En Orient/Les Quatrains d’Al-Ghazali/Préface de la deuxième édition

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Traduction par Jean Lahor.
Alphonse Lemerre, éditeur (p. P2).
Les Quatrains d’Al-Ghazali


PRÉFACE
DE LA DEUXIÈME ÉDITION



Quelques-uns ont aimé ce livre, trouvant en certains de ces quatrains comme un « triple extrait » de la poésie orientale, et en d’autres la vibration, l’émotion sincère d’une âme moderne. Beaucoup l’ont peu lu, ou, l’ayant lu, peu compris ; la forme d’abord leur en a paru monotone. Je conviens qu’il ne le faut pas lire tout d’un trait, comme un roman à la mode ; et que ces parfums d’orient, il est mieux peut-être de ne les respirer que par gouttes.

Quelques-uns ont donc blâmé cette forme des quatrains, mais, faisant parler en vers le philosophe persan Al-Ghazali, qui vécut à l’époque de Kheyam, l’auteur de quatrains adorables, j’avais le droit de lui faire adopter cette forme poétique, très goûtée de son temps. Il est vrai qu’en France, où nous ne connaissons que si peu l’Orient, l’on ignore presque absolument l’œuvre d’Omar-Kheyam, l’une des plus exquises de la littérature orientale. Elle l’est si bien, qu’il en existe cinq ou six traductions anglaises et américaines, et qu’à Londres s’est même créé, m’a-t-on dit, un club sous l’invocation de ce poète, le Kheyam club.

Ces quatrains d’Al-Ghazali, qui n’écrivit jamais un vers, et par là encore fut un sage, sont, comme je l’indiquais, fort imprégnés par endroits de la pensée moderne ; ils la reflètent avec ses tourments et ses troubles, ce qui est peut-être un de leurs défauts. Mais je croirais volontiers que le philosophe Al-Ghazali ressemblait à certains d’entre nous. Du moins c’est l’opinion que j’ai retirée du peu que j’ai lu de lui.

Il a eu, lui aussi, la passion de la vérité ; lui aussi à travers le monde, à travers toutes les écoles philosophiques, s’est mis à sa poursuite et ne l’a pas trouvée ; lui aussi au sortir des religions, comme de ces écoles où il avait donc si longtemps et si vainement erré, il s’est contenté, pour vivre, de quelques lueurs çà et là entrevues, de quelques notions scientifiques et morales. Et alors, revenu de ses grandes ivresses, de ses infinis espoirs, de ses amours, et même du plus magnifique de tous, l’amour mystique, il n’a plus vu et affirmé que deux choses, le peu qu’est l’homme dans les gouffres du temps et de l’espace, et devant l’incertitude, ou plutôt la certitude de notre sort, devant la mort, devant le mal et la douleur, devant le désordre et les laideurs du monde, la nécessité de la pitié qui peut alléger ses souffrances, celle de recréer ce monde dans l’ordre et la justice, et celle encore d’adorer la beauté, qui peut l’illuminer et le transfigurer parfois. Une phrase, rencontrée un jour, du philosophe Al-Ghazali m’étonna : j’y retrouvais une partie de ma pensée ; sa vie, quand je vins à la connaître, ressemblait à la mienne. C’est ainsi que j’eus cette idée d’écrire ces quatrains sous son nom, comme si j’étais un peu lui, ou qu’il eût été un peu moi.