Esprit des lois (1777)/L14/C11

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CHAPITRE XI.

Des lois qui ont du rapport aux maladies du climat.


Hérodote[1] nous dit que les lois des Juifs sur la lepre ont été tirées de la pratique des Égyptiens. En effet, les mêmes maladies demandoient les mêmes remedes. Ces lois furent inconnues aux Grecs & aux premiers Romains aussi bien que le mal. Le climat de l’Égypte & de la Palestine les rendit nécessaires ; & la facilité qu’a cette maladie à se rendre populaire, nous doit bien faire sentir la sagesse & la prévoyance de ces lois.

Nous en avons nous-mêmes éprouvé les effets. Les croisades nous avoient apporté la lepre ; les réglemens sages que l’on fit l’empêcherent de gagner la masse du peuple.

On voit par la loi[2] des Lombards, que cette maladie étoit répandue en Italie avant les croisades, & mérita l’attention des législateurs. Rotharis ordonna qu’un lépreux, chassé de sa maison & relégué dans un endroit particulier, ne pourroit disposer de ses biens ; parce que, dès le moment qu’il avoit été tiré de sa maison, il étoit censé mort. Pour empêcher toute communication avec les lépreux, on les rendoit incapables des effets civils.

Je pense que cette maladie fut apportée en Italie par les conquêtes des empereurs Grecs, dans les armées desquels il pouvoit y avoir des milices de la Palestine ou de l’Égypte. Quoi qu’il en soit, les progrès en furent arrêtés jusqu’au temps des croisades.

On dit que les soldats de Pompée revenant de Syrie, rapporterent une maladie à peu près pareille à la lepre. Aucun réglement, fait pour lors, n’est venu jusqu’à nous : mais il y a apparence qu’il y en eut, puisque ce mal fut suspendu jusqu’au temps des Lombards.

Il y a deux siecles, qu’une maladie inconnue à nos peres passa du nouveau monde dans celui-ci, & vint attaquer la nature humaine jusques dans la source de la vie & des plaisirs. On vit la plupart des plus grandes familles du midi de l’Europe périr par un mal qui devint trop commun pour être honteux, & ne fut plus que funeste. Ce fut la soif de l’or qui perpétua cette maladie : on alla sans cesse en Amérique, & on en rapporta toujours de nouveaux levains.

Des raisons pieuses voulurent demander qu’on laissât cette punition sur le crime : mais cette calamité étoit entrée dans le sein du mariage, & avoit déjà corrompu l’enfance même.

Comme il est de la sagesse des législateurs de veiller à la santé des citoyens, il eût été très-censé d’arrêter cette communication par des lois faites sur le plan des lois Mosaïques.

La peste est un mal dont les ravages sont encore plus promps & plus rapides. Son siege principal est en Égypte, d’où elle se répand par tout l’univers. On a fait dans la plupart des états de l’Europe de très-bons réglemens pour l’empêcher d’y pénétrer ; & on a imaginé de nos jours un moyen admirable de l’arrêter : on forme une ligne de troupes autour du pays infecté, qui empêche toute communication.

Les[3] Turcs qui n’ont à cet égard aucune police, voient les Chrétiens, dans la même ville, échapper au danger, & eux seuls périr ; ils achetent les habits des pestiférés, s’en vêtissent, & vont leur train. La doctrine d’un destin rigide qui regle tout, fait du magistrat un spectateur tranquille : il pense que Dieu a déjà tout fait, & que lui n’a rien à faire.


  1. Liv. II.
  2. Liv. II. tit 1. §. 3. & tit. 18. §. 1.
  3. Ricaut, de l’empire Ottoman, p. 284.