Esprit des lois (1777)/L14/C3

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CHAPITPRE III.

Contradiction dans les caracteres de certains peuples du midi.


Les Indiens[1] sont naturellement sans courage, les enfans[2] mêmes des Européens nés aux Indes, perdent celui de leur climat. Mais comment accorder cela avec leurs actions atroces, leurs coutumes, leurs pénitences barbares ? Les hommes s’y soumettent à des maux incroyables ; les femmes s’y brûlent elles-mêmes : voilà bien de la force pour tant de foiblesse.

La nature, qui a donné à ces peuples une foiblesse qui les rend timides, leur a donné aussi une imagination si vive, que tout les frappe à l’excès. Cette même délicatesse d’organes qui leur fait craindre la mort, sert aussi à leur faire redouter mille choses plus que la mort. C’est la même sensibilité qui leur fait fuir tous les périls, & les leur fait tous braver.

Comme une bonne éducation est plus nécessaire aux enfans qu’à ceux dont l’esprit est dans sa maturité ; de même les peuples de ces climats ont plus besoin d’un législateur sage, que les peuples du nôtre. Plus on est aisément & fortement frappé, plus il importe de l’être d’une maniere convenable, de ne recevoir pas des préjugés, & d’être conduit par la raison. Du temps des Romains, les peuples du nord de l’Europe vivoient sans art, sans éducation, presque sans lois : & cependant, par le seul bon sens attaché aux fibres grossieres de ces climats, ils se maintinrent avec une sagesse admirable contre la puissance Romaine, jusqu’au moment où ils sortirent de leurs forêts pour la détruire.


  1. « Cent soldats d’Europe, dit Tavernier, n’auroient pas grand’peine à battre mille soldats Indiens ».
  2. Les Persans même qui s’établissent aux Indes, prennent, à la troisieme génération, la nonchalance & la lâcheté Indienne, Voyez Bernier, sur le Mogol, tom. I. p. 282.