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Essai sur les mœurs/Chapitre 112

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CHAPITRE CXII.

Suite des affaires politiques de Louis XII.

Il eût été possible aux Français de reprendre Naples de même qu’ils avaient repris le Milanais. L’ambition du premier ministre de Louis XII fut cause que cet État fut perdu pour toujours. Le cardinal Chaumont d’Amboise, archevêque de Rouen, tant loué pour n’avoir eu qu’un seul bénéfice, mais à qui la France, qu’il gouvernait en maître, tenait au moins lieu d’un second, voulut en avoir un autre plus relevé. Il prétendit être pape après la mort d’Alexandre VI, et on eût été forcé de l’élire, s’il eût été aussi politique qu’ambitieux[1]. Il avait des trésors : les troupes qui devaient aller au royaume de Naples étaient aux portes de Rome ; mais les cardinaux italiens lui persuadèrent d’éloigner cette armée, afin que son élection en parût plus libre et en fût plus valide. Il l’écarta (1503), et alors le cardinal Julien de La Rovère fit élire Pie III, qui mourut au bout de vingt-sept jours. Ensuite ce cardinal Julien, qu’on appelle Jules II, fut pape lui-même. Cependant la saison pluvieuse empêcha les Français de passer assez tôt le Garillan, et favorisa Gonsalve de Cordoue. Ainsi le cardinal d’Amboise, qui pourtant passa pour un homme sage, perdit à la fois la tiare pour lui et Naples pour son roi.

Une seconde faute d’un autre genre, qu’on lui a reprochée, fut l’incompréhensible traité de Blois, par lequel le conseil du roi démembrait et détruisait d’un coup de plume la monarchie française. Par ce traité, le roi donnait la seule fille qu’il eût d’Anne de Bretagne au petit-fils de l’empereur et du roi Ferdinand d’Aragon, ses deux ennemis, à ce même prince qui fut depuis, sous le nom de Charles-Quint, si terrible à la France et à l’Europe. Qui croirait que sa dot devait être composée de la Bretagne entière, de la Bourgogne, et qu’on abandonnait Milan, Gênes, sur lesquels on cédait ses droits ? Voilà ce que Louis XII ôtait à la France en cas qu’il mourût sans enfants mâles. On ne peut excuser un traité si extraordinaire qu’en disant que le roi et le cardinal d’Amboise n’avaient nulle intention de le tenir, et qu’enfin Ferdinand avait accoutumé le cardinal d’Amboise à l’artifice. Mais quel artifice et quelle infamie ! On est réduit à imputer au bon Louis XII l’imbécillité ou la fraude.

(1506) Aussi les états généraux, assemblés à Tours, réclamèrent contre ce projet funeste. Peut-être le roi, qui s’en repentait, eut-il l’habileté de se faire demander par la France entière ce qu’il n’osait faire de lui-même : peut-être céda-t-il par raison aux remontrances de la nation. L’héritière d’Anne de Bretagne fut donc ôtée à l’héritier de la maison d’Autriche et de l’Espagne, ainsi qu’Anne elle-même avait été ravie à l’empereur Maximilien. Elle épousa le comte d’Angoulême, qui fut depuis François Ier. La Bretagne, deux fois unie à la France, et deux fois près de lui échapper, lui fut incorporée, et la Bourgogne n’en fut point démembrée.

Une autre faute qu’on reproche à Louis XII fut de se liguer contre les Vénitiens, ses alliés, avec tous ses ennemis secrets. Ce fut un événement inouï jusqu’alors que la conspiration de tant de rois contre une république qui, trois cents années auparavant, était une ville de pêcheurs devenus d’illustres négociants.

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  1. Il paraît que le cardinal avait de l’ambition et de l’avidité, et qu’il ne montra dans les affaires qu’une habileté très-médiocre. Mais comme il ne fut ni sanguinaire ni déprédateur, et surtout qu’il fut souvent trompé, il a laissé la réputation d’un homme vertueux : réputation facile à obtenir dans le siècle des Ferdinand et des Borgia.

    M. de Voltaire l’a trop loué dans la Henriade (chant VII) ; le dernier des quatre vers où il en parle est peut-être le seul qui soit rigoureusement vrai. Mais M. de Voltaire, encore très-jeune lorsqu’il fit la Henriade, parlait alors d’après l’opinion générale, et non d’après ses propres recherches sur l’histoire. (K.)