Aller au contenu

Essais/édition Michaud, 1907/Texte modernisé/Livre II/Chapitre 3

La bibliothèque libre.
Traduction par Michaud.
Firmin Didot (Livre Ip. 629-653).

CHAPITRE III.

À propos d’une coutume de l’île de Céa.

On dit que philosopher, c’est douter ; à plus forte raison est-ce être dans le doute que d’émettre, comme je le fais, des idées niaises et fantasques ; mais c’est affaire aux apprentis de s’enquérir et de discuter et au maître de décider. Mon maître à moi, c’est l’autorité émanant de la volonté divine, laquelle fait loi, nous régit sans conteste et plane au-dessus de toutes les vaines discussions des hommes.

Il y a des accidents pires que la mort ; qui ne la craint pas, brave toutes les tyrannies et toutes les injustices. — Philippe étant entré avec son armée dans le Péloponèse, quelqu’un dit à Damindas que les Lacédémoniens auraient fort à souffrir s’ils ne demandaient grâce : « Eh, poltron ! lui répondit celui-ci, que peuvent avoir à souffrir ceux qui ne craignent pas la mort ? » — On demandait à Agis comment un homme pouvait faire pour vivre libre : « En méprisant la mort, » dit-il. — Ces propos et mille autres semblables que l’on trouve à ce sujet, impliquent évidemment autre chose que d’attendre patiemment la mort, quand elle nous arrive ; car il y a dans la vie nombre d’accidents qui font souffrir bien plus que la mort. C’est ce que témoigne cet enfant de Lacédémone fait prisonnier par Antigone et vendu comme esclave qui, pressé par son maître de faire un travail abject, lui dit : « Tu vas voir qui tu as acheté ; ce serait une honte pour moi de servir, ayant la liberté si à ma portée », et, ce disant, il se précipitait du haut de la maison. — Antipater menaçait durement les Lacédémoniens pour les contraindre à satisfaire à une de ses demandes : « Si tu nous menaces, lui répondirent-ils de pis que la mort, nous accepterons plus volontiers de mourir. » — À Philippe qui leur avait écrit qu’il ferait échouer tout ce qu’ils entreprendraient, ils répondaient : « Quoi ! nous empêcheras-tu aussi de mourir ? »

C’est un bienfait de la nature, d’avoir mis constamment la mort à notre portée ; arguments en faveur du suicide. — C’est ce qu’on veut dire, quand on dit que le sage vit autant qu’il le doit mais non autant qu’il le pourrait, et que le don le plus favorable que nous ait fait la nature et qui nous ôte tout droit de nous plaindre de notre sort, c’est de nous avoir laissé la clef des champs ; elle n’a créé qu’un moyen d’entrer dans la vie et cent mille d’en sortir. Nous pouvons manquer de terre pour y vivre ; pour y mourir, elle ne fait point faute, ainsi que le dit Boiocalus dans sa réponse aux Romains. Pourquoi te plaindre de ce monde ? Il ne te convient pas, tu y vis dans la peine ? Ta lâcheté seule en est cause. Pour mourir, il suffit de le vouloir : « La mort est partout, nous le devons à la faveur divine ; on peut arracher la vie à l’homme, mais non lui arracher la mort ; mille chemins ouverts y conduisent (Sénèque). »

Et ce n’est pas là une recette applicable seulement à une maladie ; la mort est un remède à tous les maux, c’est un port qui offre toute sécurité ; jamais à redouter, il est souvent à rechercher. Tout revient à ceci : que l’homme décide de sa fin ou qu’il la subisse, qu’il coure au-devant ou qu’il l’attende, d’où qu’elle vienne, c’est toujours lui qui est en cause ; en quelque point que le fil se rompe, il est hors de service ; c’est l’extrémité de la fusée qui éclate, dès que le feu l’atteint. — La mort que l’on se donne volontairement est la plus belle de toutes. Notre vie dépend de la volonté d’autrui, la mort ne dépend que de la nôtre. En aucune chose plus qu’en celle-ci, nous sommes libres d’en agir suivant notre tempérament. Notre réputation n’a rien à y voir et c’est folie d’y avoir égard. Vivre, c’est être esclave, si la liberté de mourir n’est pas admise. — D’ordinaire, la guérison ne s’obtient qu’au détriment de la vie ; on nous fait des incisions, on nous cautérise, on nous ampute, on nous sèvre de nourriture, on nous soutire du sang ; un pas de plus, et nous voilà guéris à tout jamais. Pourquoi ne serions-nous pas libres de nous couper la gorge, comme nous le sommes de nous faire une saignée au bras ? aux maladies les plus graves conviennent les remèdes les plus énergiques. — Le grammairien Servius, souffrant de la goutte, ne trouva rien de mieux. que d’employer un poison qui amena la paralysie des jambes ; pourvu qu’elles devinssent insensibles, peu lui importait de devenir impotent. Dieu fait assez pour nous quand il nous donne possibilité d’en agir comme bon nous semble, lorsque nous estimons que vivre nous est pire que mourir. — C’est être faible que de céder au mal, mais c’est folie que de l’entretenir. — Les stoïciens estiment que, pour le sage, c’est vivre conformément aux lois de la nature que de mettre fin à ses jours, alors même qu’il est complètement heureux, si le moment est opportun ; pour le fou, de continuer à vivre, si misérable que soit son existence, pourvu qu’il ait sa large part des choses que l’on dit être dans l’ordre naturel. — De même que je ne viole pas les lois faites contre les voleurs quand j’emporte mon bien et coupe[1] moi-même ma bourse, non plus que celles contre les incendiaires quand je brûle mon bois, je ne contreviens pas davantage à celles faites contre le meurtre quand je m’ôte la vie. — Hégésias disait que de même que les conditions de notre vie sont dépendantes de nous, nous devons aussi disposer des conditions de notre mort. — Diogène rencontrant se faisant porter en litière le philosophe Speusippe depuis longtemps affligé d’hydropisie, celui-ci lui cria : « Je te souhaite le bonjour, Diogène ! » À quoi ce dernier répliqua : « Moi, je ne te souhaite rien, à toi qui supportes de vivre dans l’état où tu es. » Quelque temps après, las de l’existence dans de si pénibles conditions, Speusippe se donnait la mort.

Objections contre le suicide. — Mais à cela, que d’objections ! Certains estiment que nous ne pouvons abandonner ce monde où nous tenons garnison, sans le commandement exprès de celui qui nous y a placés ; que c’est à Dieu qui nous a envoyés ici-bas, non pour notre seul agrément mais pour sa gloire et le service d’autrui, qu’il appartient de nous donner congé quand il lui plaira et non à nous de le prendre ; que nous ne sommes pas nés seulement pour nous mais aussi pour notre pays. — Les lois, dans leur propre intérêt, nous demandent compte de nous-mêmes et peuvent nous poursuivre comme homicide, et, d’autre part, dans l’autre monde, nous sommes punis pour avoir déserté notre poste : « Plus loin, se tiennent, accablés de tristesse, ceux qui, n’ayant à se punir d’aucun crime, se sont donné la mort en haine de la lumière, rejetant le fardeau de la vie (Virgile). »

C’est une lâcheté de fuir l’adversité. — Il y a bien plus de courage à attendre que tombent d’eux-mêmes, par suite de leur usure, les fers qui nous enchaînent qu’à les rompre, et Régulus fit preuve de plus de fermeté que Caton. C’est le manque de discrétion et l’impatience qui nous font hâter le moment fatal. La vertu vraiment digne de ce nom ne cède devant aucun accident quel qu’il soit ; les maux et la douleur sont en quelque sorte ses aliments et elle les recherche ; les menaces des tyrans, les tourments, les bourreaux l’animent et la vivifient : « Tel le chêne, dans les noires forêts de l’Algide ; élagué par la hache, malgré ses pertes et ses meurtrissures, il recouvre une nouvelle vigueur sous le fer qui le frappe (Horace). » On peut encore dire avec ces auteurs : « La vertu, mon père, ne consiste pas, comme tu le penses, à craindre la vie, mais à ne jamais la fuir et à faire face à l’adversité (Sénèque) » ; — « Dans le malheur il est facile de mépriser la mort et il y a bien plus de courage à savoir être malheureux (Martial). »

C’est le rôle de la peur et non celui de la vertu, d’aller se tapir dans une fosse, sous une tombe massive, pour se soustraire aux coups de la fortune ; la vertu, elle, ne modifie ni sa route, ni son allure, quelque orage qu’il fasse : « Que l’univers brisé s’effondre, ses ruines l’écraseront sans qu’il en soit effrayé (Horace). » Le plus ordinairement, c’est pour fuir d’autres inconvénients que nous en arrivons à celui-ci ; quelquefois même, c’est pour échapper à la mort que nous y courons : « Dites-moi, je vous prie, mourir de peur de mourir, n’est-ce pas folie (Martial) ? » ainsi font ceux qui par peur d’un précipice, s’y jettent de leur propre mouvement : « La crainte du péril fait souvent qu’on s’y précipite. L’homme courageux est celui qui brave le danger s’il le faut, et l’évite s’il le peut (Lucain). » — « La crainte de la mort va jusqu’à inspirer aux hommes un tel dégoût de la vie, qu’ils en arrivent à porter sur eux-mêmes des mains criminelles, oublieux qu’ils sont de cette vérité, que cette crainte de la mort est l’unique source de leurs peines (Lucrèce). »

C’est aller contre les lois de la nature, que de ne pas supporter l’existence telle qu’elle nous l’a faite. — Dans ses lois, Platon ordonne qu’une sépulture ignominieuse soit réservée à qui aura privé de la vie son parent le plus proche et son meilleur ami, autrement dit soi-même, et aura interrompu le cours de ses destinées alors qu’il ne s’y trouvait pas contraint par le sentiment public, par quelque triste et inévitable accident de la fortune, une honte insupportable, et n’a eu pour mobile que la lâcheté et la faiblesse d’une âme craintive. — Dédaigner la vie est un sentiment ridicule, car enfin la vie, c’est notre être, notre tout. S’il y a des choses dont l’être soit plus noble et plus riche, elles peuvent déprécier le nôtre ; mais que nous nous méprisions et que nous n’ayons aucun souci de nous-mêmes, c’est contre nature ; se haïr et se dédaigner constituent une maladie d’un genre particulier qui ne se retrouve chez aucune autre créature. — C’est encore de la vanité que de souhaiter être autre que nous sommes ; un tel désir ne mène à rien, il se contredit lui-même et porte en lui ce qui fait obstacle à sa réalisation. Celui qui souhaite d’homme devenir ange, ne travaille pas pour lui-même ; son souhait se réaliserait-il, il ne s’en trouverait pas mieux, puisque n’étant plus, il ne pourrait pas lui-même se réjouir de sa transformation et en éprouver les effets : « On n’a rien à craindre d’un mal à venir, si on ne doit plus exister quand ce mal arrivera (Lucrèce). » La sécurité, l’indolence, l’impassibilité, l’exemption des maux de cette vie, que nous achetons en nous donnant la mort, ne nous deviennent d’aucune commodité ; c’est pour rien qu’évite la guerre celui qui ne peut jouir de la paix, pour rien que fuit la peine celui qui ne peut savourer le repos.

Pour ceux qui admettent comme licite de se donner la mort, dans quel cas est-on fondé à user de cette faculté ? — Chez ceux qui pensent qu’il est licite de se donner la mort, il est un point qui fait grand doute : quand les circonstances sont-elles suffisamment justifiées pour qu’un homme soit fondé à se tuer, à faire ce qu’ils appellent « une sortie raisonnable » ? Bien qu’ils admettent que souvent des causes légères peuvent motiver une semblable détermination puisque, dans la vie, tout ce qui nous arrive est de peu d’importance, encore faut-il y apporter quelque mesure. Il y a des dispositions d’esprit, absolument dénuées de sens et de raison, qui ont poussé non pas seulement des hommes isolés, mais des peuples à se détruire. J’en ai précédemment cité des exemples, en voici un autre : Par suite d’une entente tenant de la folie furieuse, les jeunes filles de Milet se pendaient les unes après les autres ; cela ne prit fin que lorsque le magistrat, intervenant, eut ordonné que celles qui seraient ainsi trouvées pendues seraient, toutes nues, traînées par la ville, avec cette même corde qui leur aurait servi à se pendre.

Tant que demeure un reste d’espérance on ne doit pas disposer de sa vie. — Threycion pressait Cléomène de se tuer, en raison du mauvais état dans lequel se trouvaient ses affaires, et, puisqu’il avait fui une mort honorable qu’il eût pu trouver dans le combat qu’il venait de perdre, d’en accepter une autre qui, pour l’être moins, priverait cependant le vainqueur de la satisfaction de lui faire souffrir ou une mort ou une vie honteuses. Cléomène, avec un courage tout lacédémonien et vraiment stoïque, écarta ce conseil, le tenant pour lâche et efféminé : « C’est, dit-il, une ressource qui ne peut jamais faire défaut et à laquelle il ne faut avoir recours tant qu’il reste encore la moindre parcelle d’espérance ; vivre, c’est quelquefois faire preuve de fermeté et de vaillance ; je veux que ma mort elle-même soit utile à mon pays et soit un acte qui témoigne de mon courage et me fasse honneur. » Threycion, conséquent avec lui-même, se tua ; Cléomène en fit autant par la suite, mais seulement après avoir, jusqu’à la fin, essayé de maîtriser la fortune.

Les revirements de la fortune sont tels qu’il n’y a jamais lieu de désespérer. — Tous les inconvénients de la vie ne valent pas qu’on se donne la mort pour les éviter ; et puis, les choses humaines sont sujettes à de tels revirements, qu’il est difficile d’apprécier le moment où nous sommes fondés à renoncer à toute espérance : « Étendu sur l’arène, le gladiateur vaincu espère encore la vie, alors que déjà la foule menaçante fait le geste qui ordonne sa mort (Pentadius). »

L’homme, dit un aphorisme de l’antiquité, est en droit de tout espérer, tant qu’il vit. Oui, répond Sénèque, mais pourquoi se dire que « la fortune a tout pouvoir sur ce qui est vivant » plutôt que « la fortune est impuissante sur qui sait mourir » ? — Nous voyons Josèphe, menacé d’un danger si apparent et si proche, tout un peuple étant soulevé contre lui, que raisonnablement il ne pouvait s’en tirer, persister à tenir bon contre toute espérance, si bien que déjà un de ses amis, dit-il, lui avait donné le conseil de se tuer. Bien lui en prit de ne pas avoir désespéré ; la fortune, contre toute prévision humaine, lui fit esquiver l’accident qui le menaçait et dont il se trouva délivré sans en éprouver de dommage. — Cassius et Brutus n’achevèrent-ils pas de perdre les derniers restes de la liberté romaine, dont ils étaient les soutiens, par la précipitation et la témérité qu’ils apportèrent à se tuer, avant le moment où les circonstances pouvaient le nécessiter. — À la bataille de Cérisoles, M. d’Enghien tenta deux fois de se percer la gorge de son épée, dans son désespoir de voir le combat si mal tourner là où il se trouvait et, par cette précipitation, faillit se priver de jouir d’une si belle victoire. — J’ai vu cent lièvres échapper, alors qu’ils étaient sous la dent des lévriers : « Il en est qui ont survécu à leurs bourreaux (Sénèque). » — « Le temps, les événements divers peuvent amener des changements heureux : souvent, dans ses jeux, la fortune capricieuse revient à ceux qu’elle a trompés et les relève avec éclat (Virgile). »

Cependant des maladies incurables, d’irrémédiables infortunes peuvent autoriser une mort volontaire. — Pline dit qu’il n’y a que trois sortes de maladie pour lesquelles on soit en droit de se tuer pour y échapper et il cite comme la plus douloureuse de toutes la pierre, quand elle obstrue la vessie et occasionne des rétentions d’urine. Sénèque n’admet que celles qui compromettent pour longtemps les fonctions de l’âme. D’autres sont d’avis que pour éviter une mort plus douloureuse, on peut se la donner à sa convenance. — Damocrite, chef des Étoliens, emmené en captivité à Rome, trouva une nuit moyen de s’échapper ; poursuivi par ceux qui avaient charge de le garder et sur le point de tomber entre leurs mains, il se passa son épée à travers le corps. — Antinous et Théodotus, citoyens d’Épire, voyant leur ville réduite à la dernière extrémité par les Romains, donnèrent au peuple le conseil de se tuer tous ; celui de se rendre l’ayant emporté, ils se résolurent à la mort, et, la cherchant, se ruèrent sur l’ennemi, s’efforçant uniquement de frapper sans se préoccuper de se garantir. — Lorsque, il y a quelques années, l’île de Goze tomba au pouvoir des Turcs, un Sicilien qui s’y trouvait et avait deux belles filles en état d’être mariées, les tua de ses propres mains et, après elles, leur mère accourue comme il leur donnait la mort. Cela fait, il sortit dans la rue avec une arbalète et une arquebuse ; et, comme les Turcs approchaient de sa maison, il déchargea sur eux ses deux armes, tuant les deux premiers ; puis, l’épée à la main, il se précipita sur les autres ; immédiatement enveloppé, il fut mis en pièces, et par là il échappa à l’esclavage, après en avoir affranchi les siens. — Les femmes juives, fuyant la cruauté d’Antiochus, allaient, après avoir fait circoncire leurs enfants, se jeter avec eux dans un précipice. — On m’a conté qu’un homme de qualité se trouvant en prison sous le coup de poursuites criminelles, ses parents, avertis qu’il serait certainement condamné à mort, pour éviter la honte du supplice, donnèrent commission à un prêtre de lui dire qu’il était pour lui un moyen souverain d’obtenir sa délivrance ; qu’à cet effet, il se recommandât à tel saint lui faisant tel et tel vœu, et demeurât huit jours sans prendre la moindre nourriture, quelque défaillance et faiblesse qu’il en ressentit. Il le crut, et de la sorte, sans y penser, se délivra de la vie et du danger qui le menaçait. — Scribonia donna le conseil à son neveu Libo de se tuer plutôt que d’attendre l’intervention de la justice, faisant valoir que c’était faire précisément les affaires d’autrui, que de conserver sa vie pour la remettre entre les mains de gens qui, trois ou quatre jours après, viendraient la chercher ; que c’était aller au-devant des désirs de ses ennemis, que de garder son sang pour qu’ils puissent s’en repaître à loisir. On lit dans la Bible que Nicanor, persécutant les fidèles observateurs de la loi de Dieu, envoya ses gardes pour se saisir de Rasias, vieillard de haute vertu, honoré de tous et pour cela surnommé le « Père des Juifs ». Se voyant perdu, sa porte brûlée, ses ennemis prêts à s’emparer de lui, cet homme de bien se frappa de son épée, préférant mourir noblement plutôt que de tomber entre les mains des méchants et d’avoir à subir des traitements indignes de son rang. Mais, dans sa hâte, le coup ayant mal porté, il courut se jeter du haut en bas d’un mur, se laissant choir sur la troupe assaillante ; celle-ci s’écartant pour lui faire place, il tomba directement sur la tête. Conservant, malgré sa chute, quelques restes de vie, il fait effort sur lui-même, se relève et, tout ensanglanté et meurtri, forçant le cercle de ceux qui l’entourent, il cherche à atteindre le bord d’un rocher taillé à pic, pour s’en précipiter ; mais, n’en pouvant plus, obligé de s’arrêter, il tire à deux mains ses entrailles par l’une de ses plaies, les déchire, les froisse et les jette à la tête de ceux qui le poursuivent, prenant le ciel à témoin de la justice de sa cause et appelant sur eux la vengeance divine.

Elle est glorieuse chez les femmes qui n’ont d’autre moyen de conserver leur honneur ou auxquelles il a été ravi par violence, ce dont beaucoup toutefois finissent par prendre leur parti. — Parmi les violences faites à la conscience, les plus à éviter, à mon avis, sont celles qui portent atteinte à la chasteté des femmes ; d’autant que, du fait même de la nature, notre conduite en pareil cas étant inséparable du sentiment de plaisir qu’elle éveille en nos sens, le dissentiment qui l’inspire cesse d’être notre unique mobile, et il semble que toujours, aux exigences que nous mettons en avant contre elles, s’associent quelque peu nos appétits sensuels. L’histoire ecclésiastique conserve avec respect la mémoire de certaines femmes pieuses qui eurent recours à la mort pour se défendre des outrages dont étaient menacées leur religion et leur conscience. Parmi elles, Pelagia et Sophronia qui, toutes deux sont canonisées : la première se précipita dans la rivière avec sa mère et ses sœurs pour échapper aux violences de quelques soldats, la seconde se tua également pour éviter celles de l’empereur Maxence.

Ce sera peut-être notre honneur dans les siècles futurs, qu’un savant auteur de notre époque, de Paris s’il vous plaît, ait pris la peine de persuader aux dames de nos jours de s’arrêter, le cas échéant, à un autre parti que celui-ci de si horribles conséquences, que jusqu’ici leur a inspiré le désespoir. Je regrette que cet auteur n’ait pas connu, pour en appuyer sa propagande, le bon mot qui m’a été conté à Toulouse, d’une femme qui était passée par les mains de plusieurs soldats : « Dieu soit loué, disait-elle, qu’au moins une fois en ma vie, je m’en sois soûlée sans péché. » — Se tuer pour semblable aventure est, en vérité, une cruauté qui n’est pas digne de la douceur des mœurs françaises ; aussi, Dieu merci, voyons-nous, depuis que l’avis leur en a été si charitablement donné, de telles coutumes se perdre presque complètement, et aujourd’hui il suffit à ces dames de dire « Nenni », à la manière que leur suggère ce bon Marot.

Les raisons les plus diverses ont été cause de semblables résolutions. — L’histoire est pleine de gens qui, de mille façons, ont échangé contre la mort une vie qui leur était à charge : — Lucius Aruntius se tua pour, dit-on, « fuir le passé autant que l’avenir ». — Granius Silvanus et Statius Proximus, auxquels Néron avait pardonné, se tuèrent pour ne pas devoir la vie à un si méchant homme et n’être pas exposés à un second pardon, en raison de la facilité avec laquelle ce caractère soupçonneux accueillait les accusations contre les gens de bien. — Sargapizes, fils de la reine Thomyris, fait prisonnier de guerre par Cyrus, employa à se détruire la première faveur que lui fit son vainqueur en le faisant détacher, ne voulant de sa liberté que la possibilité de se punir de la honte de s’être laissé prendre. — Bogez, gouverneur d’Enione pour le roi Xerxès, assiégé par les Athéniens sous les ordres de Cimon, refusa toute proposition de se retirer en toute sûreté en Asie, lui et tout ce qui lui appartenait, ne pouvant se résigner à survivre à la perte de ce dont son maître lui avait donné la garde. Après avoir poussé la défense de la ville jusqu’à la dernière extrémité, n’ayant plus de vivres, il fit d’abord jeter dans la rivière de Strymon l’or et tout ce dont l’ennemi eût pu s’emparer utilement, puis allumer un grand bûcher dans lequel ses femmes, ses enfants, ses concubines et ses serviteurs, qu’il avait fait préalablement égorger, furent jetés et où il se précipita ensuite lui-même.

Mort remarquable d’un seigneur indien. — Ninachetuen, seigneur indien, ayant eu vent que le vice-roi portugais, sans motif apparent, préméditait de le déposséder de la charge qu’il occupait à Malaga pour la donner au roi de Campar, prit la résolution suivante : Il fit dresser une estrade plus longue que large, soutenue par des colonnes, la fit tapisser magnifiquement et orner de fleurs et de parfums en abondance ; puis, vêtu d’une robe de drap d’or, rehaussée de quantité de pierreries de haut prix, il sortit de son palais et, par un escalier, monta sur l’estrade à l’une des extrémités de laquelle était un bûcher formé de bois aromatiques auquel le feu avait été mis. La foule accourut pour voir dans quel but avaient eu lieu ces préparatifs inusités. Ninachetuen exposa alors d’une voix assurée, ne cachant pas son mécontentement, quelles obligations la nation portugaise avait envers lui ; combien il s’était fidèlement acquitté de sa charge ; qu’après avoir si souvent témoigné pour d’autres, les armes à la main, que l’honneur lui était beaucoup plus cher que la vie, il n’y manquerait certainement pas pour lui-même, et que la fortune lui refusant tout moyen de s’opposer à l’injure qu’on voulait lui faire, son courage lui imposait le devoir de n’en être pas témoin, de ne pas être la risée du peuple, et de ne pas servir au triomphe de personnes valant moins que lui. Ce disant, il se jeta dans les flammes.

Femmes se donnant la mort pour encourager leurs maris à faire de même. — Sextilia, femme de Scaurus, et Paxéa, femme de Labéo, sacrifièrent volontairement leur vie pour encourager leurs maris à se soustraire par la mort aux dangers pressants qui les menaçaient et qui ne les intéressaient elles-mêmes qu’en raison de leur affection conjugale, voulant en cette nécessité extrême leur donner l’exemple et demeurer en leur compagnie. — Ce que ces deux femmes firent pour leurs maris, Cocceius Nerva le fit pour sa patrie, à laquelle cet acte, tout en procédant d’un amour pareil, n’eut pas la même utilité : ce grand jurisconsulte qui avait santé, richesse, réputation, crédit auprès de l’empereur, se tua uniquement par compassion pour l’état misérable en lequel était tombé le gouvernement de l’Empire romain. — Y a-t-il rien de plus touchant que la mort de la femme de Fulvius, qui était de l’intimité d’Auguste. Ce dernier s’étant aperçu que Fulvius avait divulgué un secret important qu’il lui avait confié, lui fit fort mauvais accueil, quand un matin il vint le voir. Fulvius rentra chez lui désespéré et piteusement déclara à sa femme que, devant un pareil malheur, il était résolu à se tuer. Celle-ci lui répondit sans détours « Tu feras bien, puisque ayant assez souvent éprouvé combien peu je sais me taire, tu n’y as pas pris garde ; mais laisse, que je me tue la première. » Et, sans en dire plus long, elle se plongea une épée dans le corps.

Mort de Vibius Virius et de vingt-sept autres sénateurs de Capoue. — Lors du siège de Capoue par les Romains, Vibius Virius, désespérant du salut de sa ville et aussi de la miséricorde de l’ennemi, après avoir, dans la dernière réunion que tint le Sénat, longuement discuté ce qui restait à faire, conclut que le plus beau parti à prendre était de se mettre soi-même hors des atteintes de la mauvaise fortune, que les ennemis ne les en honoreraient que davantage et qu’Annibal sentirait mieux quels amis fidèles il avait abandonnés. Il convia alors ceux qui approuvaient sa motion à venir prendre part à un festin somptueux qu’il avait fait préparer chez lui et où, après avoir fait bonne chair, ils boiraient de compagnie un breuvage qu’on leur présenterait, qui délivrerait leurs corps de leurs tourments, leurs âmes de leurs afflictions, leurs yeux et leurs oreilles du sentiment de tous les vilains maux que les vaincus ont à souffrir de vainqueurs cruels et profondément offensés : « J’ai pourvu, ajoutait-il, à ce qu’aussitôt après que nous aurons rendu le dernier soupir, nous soyons placés, par les soins de personnes désignées à cet effet, sur un bûcher dressé devant ma porte. » Beaucoup approuvèrent cette résolution digne d’un grand cœur, mais peu s’y résolurent. Vingt-sept sénateurs seulement se joignirent à lui et, après avoir cherché dans le vin l’oubli de ce qui devait s’ensuivre, terminèrent en buvant avec lui le fatal breuvage ; puis, s’embrassant les uns les autres, après avoir déploré une dernière fois le malheur de leur pays, les uns se retirèrent chez eux, les autres demeurèrent pour, avec Vibius, être réduits en cendres. Chez tous, la mort fut lente à venir, les vapeurs du vin les ayant échauffés et ralentissant l’effet du poison, si bien que quelques-uns coururent risque, à une heure près, de voir les ennemis entrer dans Capoue qui fut prise le lendemain, et d’éprouver les misères auxquelles ils avaient tout sacrifié pour y échapper.

Inhumanité de Fulvius consul romain. — En cette même circonstance, Tauréa Jubellius, autre citoyen de cette même ville, interpella courageusement le consul Fulvius comme celui-ci revenait de cette honteuse boucherie que fut le massacre qu’il ordonna de deux cent vingt-cinq sénateurs. L’appelant par son nom et l’arrêtant : « Commande, lui dit-il, qu’on m’égorge aussi après tant d’autres et tu pourras te vanter d’avoir tué quelqu’un de beaucoup plus vaillant que toi. » Fulvius, dédaignant ses propos comme le fait d’un fou, d’autant qu’il venait de recevoir de Rome des lettres lui reprochant son inhumanité et l’empêchant de se livrer à de nouveaux actes de cruauté, Jubellius continua : « Puisque mon pays a succombé, que mes amis sont morts, que j’ai tué de ma main ma femme et mes enfants pour les soustraire aux calamités qu’entraîne notre ruine et que je ne puis mourir de la mort de mes concitoyens, que le courage me vienne en aide pour quitter cette vie odieuse. » Et tirant un glaive qu’il tenait caché, il se l’enfonça dans la poitrine et tomba mourant aux pieds du consul.

Indiens qui se brûlent tous dans leur ville assiégée par Alexandre. — Alexandre assiégeait une ville des Indes. Vivement pressés, les assiégés se résolurent à le priver, par un acte de vigueur, du plaisir de la victoire. Malgré l’humanité dont il usait envers les vaincus, ils incendient leur ville, livrant au feu leurs biens et leurs personnes ; et voilà qu’un nouveau combat s’engage : les assiégeants s’efforçant de sauver les assiégés qui, pour n’être pas sauvés et assurer leur mort, font tout ce que d’ordinaire on fait pour garantir sa vie.

Fin héroïque des habitants d’Astapa. — La ville d’Astapa, en Espagne, n’ayant que des murs et des moyens de défense insuffisants pour résister aux Romains, les habitants mirent en tas leurs richesses et leurs meubles sur la place publique, placèrent dessus les femmes et les enfants et empilèrent tout autour des bois et autres matières propres à s’enflammer aisément, et, laissant dans la ville cinquante jeunes gens d’entre eux chargés d’exécuter le dessein qu’ils avaient conçu, ils font contre l’ennemi une sortie où, suivant le serment qu’ils en avaient fait, ne pouvant vaincre, ils se firent tous tuer. Pendant ce temps, les cinquante jeunes gens laissés à cet effet procédaient au massacre de tout être vivant trouvé isolément en ville ; puis, mettant le feu à ce qui avait été entassé sur la place, ils se jetèrent aussi dans le brasier. Leur liberté touchait à sa fin, ils n’en furent pas affectés grâce à cet acte généreux qui leur épargnait la douleur et la honte de la perdre, et par lequel ils montraient à leurs ennemis que si la fortune ne leur eût été contraire, ils étaient, par leur courage, tout aussi bien à même de remporter la victoire qu’ils l’étaient de leur en enlever le bénéfice et de la rendre horrible et même mortelle, car bon nombre d’entre eux, attirés par l’appât de l’or en fusion qui apparaissait au milieu des flammes, s’en approchèrent trop et furent suffoqués et brûlés, dans l’impossibilité où ils se trouvaient de reculer, pressés qu’ils étaient par la foule qui venait derrière eux.

Fin analogue des habitants d’Abydos ; de semblables résolutions sont plus facilement décidées par les foules que par des individus. — Les habitants d’Abydos, pressés par Philippe, s’étaient arrêtés à cette même résolution ; mais ils s’y décidèrent trop tard. Le roi, auquel il répugnait de voir un tel carnage décidé et exécuté si précipitamment, après avoir fait main basse sur les trésors et autres objets mobiliers que les Abydéens voulaient brûler ou jeter à la mer, retirant ses soldats, leur accorda trois jours pour qu’ils pussent mettre à exécution, avec plus d’ordre et plus commodément, le projet qu’ils avaient formé de se tuer ; durant ces trois jours, le sang coula et il se produisit des scènes de meurtre dépassant tout ce que l’ennemi le plus cruel eût pu commettre ; personne, à même de disposer de soi-même, ne survécût.

L’histoire rapporte un nombre infini de déterminations semblables, prises par des populations entières ; elles frappent d’autant plus l’imagination, qu’elles s’appliquent à tous sans exception ; et pourtant, elles sont moins difficiles à prendre par des foules qu’isolément par des individus, parce que le raisonnement que chacun ne ferait pas s’il était seul, il l’accepte si tout le monde en est, la fièvre qui vous agite quand on est réuni ôtant le jugement à chacun en particulier.

Privilège accordé, du temps de Tibère, aux condamnés à mort qui se la donnaient eux-mêmes. — Au temps de Tibère, les condamnés qui attendaient de recevoir la mort de la main du bourreau, perdaient leurs biens et étaient privés de sépulture ; ceux qui devançaient ce moment en se tuant eux-mêmes, étaient inhumés et avaient possibilité de disposer de leurs biens par testament.

On se donne aussi parfois la mort dans l’espoir des félicités d’une vie future. — On souhaite quelquefois la mort, parce qu’on espère mieux en l’autre monde. Saint Paul dit : « Je désire mourir pour être avec Jesus-Christ » ; et dans un autre passage : « Qui rompra les liens qui me retiennent ici-bas ? » — Cléombrotus d’Ambracie, ayant lu le Phédon de Platon, fut pris d’un si vif désir de la vie future que, sans autre motif, il alla se précipiter dans la mer. — Nous voyons par là combien à tort nous attribuons au désespoir certaines morts volontaires vers lesquelles nous porte souvent une espérance ardente et qui, souvent aussi, sont l’effet de déterminations prises avec calme et mûrement réfléchies.

Jacques du Châtel, évêque de Soissons, qui avait suivi saint Louis dans une de ses expéditions outre-mer, voyant que le retour en France du roi et de toute l’armée était chose décidée, alors que les intérêts religieux qui l’avaient fait entreprendre n’avaient pas reçu complète satisfaction, prit la résolution de hâter son entrée dans le Paradis. Il dit adieu à ses amis, et, tout seul, à la vue de tous, se porta contre l’ennemi et y trouva la mort. — Dans un royaume de ce continent récemment découvert, en certains jours de processions solennelles, l’idole qui y est adorée, est promenée en public sur un char de proportion considérable. Au cours de ces processions, nombre de gens se coupent des lambeaux de chair vive pour les offrir à l’objet de leur culte, tandis que d’autres, se prosternant sur son parcours, se font écraser et broyer sous les roues de son char pour acquérir par là une réputation de sainteté qui les fasse vénérer après leur mort. Celle de notre évêque les armes à la main, comparée à ces sacrifices, a plus de grandeur, mais le sentiment religieux y prédomine moins, étant masqué en partie chez lui par son ardeur pour le combat.

Plusieurs coutumes et institutions politiques ont autorisé le suicide. — Il y a des gouvernements qui sont intervenus pour statuer sur les cas où une mort volontaire est justifiée et opportune. Dans notre pays même, à Marseille, on conservait jadis, aux frais du trésor public, du poison (de la ciguë) constamment tenu prêt pour ceux qui voudraient hâter leur fin. Il fallait qu’au préalable le conseil des six-cents, qui représentait leur sénat, en eût approuvé les raisons ; il n’était pas permis de se tuer sans en avoir obtenu l’autorisation du magistrat, et seulement pour des motifs légitimes. — Cette même loi existait encore ailleurs.

Mort courageuse, dans ces conditions, d’une femme de haut rang de l’île de Céa, qui s’empoisonne en public. — Sextus Pompée, se rendant en Asie, passait par l’île de Céa de Négrepont. Pendant qu’il y était, nous apprend un de ceux qui l’accompagnaient, le hasard fit qu’une femme de haut rang, qui avait prévenu ses concitoyens qu’elle était résolue d’en finir avec la vie et leur en avait expliqué les motifs, pria Pompée d’assister à sa mort, pour lui faire honneur. Il y consentit, et, après avoir longuement et en vain essayé de la détourner de ce dessein, mettant à cet effet en jeu toutes les ressources de l’éloquence dont Il était si merveilleusement doué, il souffrit qu’elle agit suivant ce qu’elle souhaitait. Elle était âgée de quatre-vingt-dix ans passés et jouissait de toutes ses facultés intellectuelles et physiques. Étendue sur son lit magnifiquement paré pour la circonstance, appuyée sur un coude, elle lui dit : « Ô Sextus Pompée, que les dieux, ceux que je laisse sur cette terre plutôt que ceux que je vais trouver dans l’autre monde, te sachent gré de n’avoir pas dédaigné d’avoir été mon conseiller pendant ma vie et témoin de ma mort ! Pour moi, j’ai toujours été favorisée de la fortune ; mais, de peur que ma vie se prolongeant, elle ne me devienne contraire, je renonce dans d’heureuses conditions aux quelques jours que je pourrais encore avoir à vivre, et pars, laissant après moi deux filles et une légion de neveux. » Cela dit, elle donne quelques conseils aux siens, les exhortant à vivre unis et en paix, leur partage ses biens, recommande ses dieux domestiques à sa fille aînée, puis, prenant d’une main assurée la coupe contenant le poison, adresse ses vœux à Mercure, le priant de la conduire en quelque heureux séjour de l’autre monde, et avale d’un trait le breuvage qui doit lui donner la mort. À partir de ce moment, elle ne cesse d’entretenir ceux qui l’entourent des progrès du mal, indique les diverses parties du corps que le froid gagne les unes après les autres, jusqu’à ce que signalant qu’il envahit les entrailles et le cœur, elle appelle ses filles pour lui rendre les derniers devoirs et lui fermer les yeux.

Pline raconte d’une nation hyperboréenne que la douceur de la température dans cette contrée est telle, que la vie chez ses habitants ne se termine d’ordinaire que du fait de leur propre volonté. Ils en arrivent à être si las et si rassasiés de l’existence, qu’ils ont coutume, arrivés à un âge avancé, d’aller, après un bon repas, se précipiter dans la mer, du haut d’un rocher choisi à cet effet.

Conclusion. — Une douleur insupportable, une mort misérable en perspective me semblent les mobiles les plus excusables qui peuvent nous porter à nous détruire.

  1. *