Essence du christianisme/Deuxième partie/chap 27

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Traduction par Joseph Roy.
A. Lacroix, Verboeckhoven & Cie, Éditeurs (p. 288-309).

XXVII

CONTRADICTION DE LA FOI ET DE L’AMOUR

Les sacrements dévoilent à tous les regards le contraste d’idéalisme et de matérialisme, de subjectivisme et d’objectivisme qui constitue l’essence intime de la religion ; mais les sacrements ne sont rien sans la foi et l’amour : la contradiction évidente dans les sacrements nous ramène donc à celle qui existe entre la foi et l’amour.

L’essence secrète de la religion est l’unité de l’être divin et de l’être humain ; mais sa forme ou son essence apparente, manifeste, est leur différence. L’amour nous révèle l’essence intime, la foi révèle la forme. L’amour identifie Dieu et l’homme et unit les hommes entre eux ; la foi sépare l’homme de Dieu et les hommes les uns des autres ; car Dieu n’est que l’idée mystique de l’espèce, de l’humanité, et sa séparation d’avec l’homme entraîne nécessairement la séparation de l’homme d’avec son semblable, la destruction du lien social. Par la foi la religion se met en contradiction avec la raison, la moralité, le sens du vrai chez l’homme ; par l’amour elle cherche à rétablir l’accord : la foi isole Dieu, fait de lui un être particulier ; l’amour généralise, il fait de Dieu un être universel dont l’amour ne fait qu’un avec l’amour de l’homme. La foi scinde l’homme en deux parties, le met en collision avec lui-même à l’intérieur et par conséquent aussi à l’extérieur ; l’amour guérit les blessures que la foi a faites à notre cœur. La foi s’érige en loi, l’amour est liberté ; il ne condamne même pas l’athée parce qu’il est athée lui-même, parce qu’il nie, sinon en théorie du moins en pratique, l’existence d’un Dieu particulier, opposé à l’homme.

La foi distingue : ceci est vrai, cela est faux ; et elle s’approprie la vérité à elle seule. La foi possède une vérité déterminée, spéciale, liée nécessairement à une négation ; elle est de sa nature exclusive. Il n’y a qu’une vérité, il n’y a qu’un Dieu, il n’y a qu’un être qui jouisse du monopole de fils de Dieu, — tout le reste est néant, erreur, mensonge. — Jéhovah seul est le vrai Dieu. Tous les autres sont de vaines idoles.

La foi se fonde sur une révélation spéciale ; elle n’est pas arrivée à ce qu’elle possède par une voie commune, par celle qui est ouverte à tous les hommes sans distinction. Ce qui est ouvert à tout le monde est quelque chose de général qui ne peut former aucun objet de foi particulier. Que Dieu soit le créateur, chacun peut le reconnaître à la vue de la nature ; mais ce que ce Dieu est en personne, on ne peut le savoir que par une grâce spéciale. Le dieu des païens est aussi le dieu des chrétiens ; mais il y a entre eux néanmoins une grande différence, la même pour nous qu’entre un ami et un étranger. Les chrétiens connaissent Dieu en personne, ils l’ont vu face à face. Les païens savent seulement, — et c’est déjà trop accordé, — ce que Dieu est, mais non qui il est : aussi sont-ils tombés dans l’idolâtrie. L’égalité des païens et des chrétiens devant Dieu est donc quelque chose de vague. Les derniers se distinguent des premiers par la connaissance particulière qu’ils ont de l’être divin ; leur différence caractéristique est donc Dieu lui-même. La particularité est le sel qui donne du goût à l’être général. Celui-là seul me connaît, qui me connaît personnellement. Le Dieu personnel, spécial est inconnu aux païens et aux incrédules ; il n’est rien pour eux, ou s’il est quelque chose, c’est à la condition qu’ils cesseront d’être païens ou incrédules pour devenir chrétiens. La foi rend l’homme borné, lui enlève la liberté et la faculté d’estimer selon son mérite ce qui diffère d’elle. Le dogmatisme philosophique, scientifique en général, quelque borné qu’il soit, quelque étroit que soit son système, a néanmoins un caractère beaucoup plus libre, parce que le terrain de la science est par lui-même ouvert à tout le monde et qu’en lui les principes, les choses, la raison seule décident. Mais la foi fait de son contenu une affaire de conscience et d’intérêt ; son objet est un être personnel, spécial, nous pressant de le reconnaître et faisant de cette reconnaissance la condition de notre félicité.

La foi donne à l’homme un certain sentiment de lui-même, un certain sentiment d’honneur. Le croyant se trouve distingué entre les hommes, élevé au-dessus de l’homme naturel ; il se sait un personnage de distinction, en possession de droits spéciaux, de véritables priviléges. Les croyants sont des aristocrates, les incrédules des plébéiens. Dieu est, entre les croyants et les incrédules, la personnification de ce droit et de ce privilége. Mais, d’après la nature de la foi, le croyant place son honneur non en lui-même, mais dans une autre personne. Comme un domestique sent sa propre dignité dans la dignité de son maître, se figure même être au-dessus d’un homme libre et actif, mais de position sociale inférieure à ce maître, de même le croyant se refuse tout mérite pour l’accorder à Dieu, mais parce que ce mérite lui revient ensuite, parce qu’il satisfait son propre sentiment d’honneur dans celui du maître auquel il le sacrifie. La foi est orgueilleuse ; mais son orgueil diffère de l’orgueil naturel ; elle le place en dehors d’elle dans un être différent du sien. Cet être n’est au fond qu’elle-même, n’a pas d’autre destination que celle d’un bienfaiteur, d’un sauveur, destination dans laquelle la foi n’a pas d’autre but que sa propre satisfaction, son bonheur et son salut. En un mot, nous retrouvons ici le principe caractéristique de la religion qui change l’actif en passif. Le païen s’élève, le chrétien se sent élevé. Le chrétien métamorphose en une affaire de sentiment, de réceptivité, ce qui pour le païen est un résultat de son activité propre. L’humilité de la foi est un orgueil à l’envers, un orgueil qui n’en a ni l’apparence ni les signes extérieurs. Il se sent distingué, privilégié ; mais c’est un effet de la grâce ; il n’en peut pas davantage. Au lieu de se faire le but de son activité, il se fait le but, l’objet de Dieu.

La foi est essentiellement une foi spéciale. Dieu dans cette spécialité seulement est le vrai Dieu. Le Christ seul est le christ, le vrai, l’unique prophète, le fils éternel et incréé, le seul auquel on doit croire si l’on ne veut pas perdre son salut éternel. La foi est impérative ; il est de toute nécessité qu’elle soit formulée comme dogme. Le dogme ne fait qu’exprimer ce que la foi a déjà dans l’esprit ou sur le bout de la langue. Qu’une fois le dogme fixé, il s’y rattache ensuite une foule de questions particulières qui doivent être elles-mêmes décidées, et que de là résulte un amas incommode de dogmes, c’est sans doute une fatalité ; mais la même nécessité subsiste : il faut que la foi soit fixée, afin que chacun sache au juste ce qu’il doit croire et comment il doit espérer son salut.

Ce qu’aujourd’hui l’on regrette ou tourne en ridicule, même au point de vue du christianisme, comme erreur, méprise, exagération, est une conséquence pure de la nature intime de la foi. La foi est naturellement esclave, car il s’agit en elle autant de l’honneur de Dieu que de notre propre félicité, et elle est toujours aussi inquiète que celui qui doute s’il a rendu à un supérieur les honneurs qui lui sont dus. L’apôtre saint Paul parle sans cesse de l’honneur, de la gloire, des mérites du Christ. La foi est nécessairement scrupuleuse et exclusive. Elle peut être libérale dans des circonstances indifférentes, dans l’acte de manger ou de boire, par exemple, mais non dans les objets de la foi. Qui n’est pas pour le Christ est contre lui. Ce qui chrétien est antichrétien. Mais qu’est-ce qui est chrétien ? cela doit être déterminé, ne peut pas être laissé libre. Si le contenu de la foi est écrit dans des livres, par plusieurs auteurs différents, sous forme de narrations ou de sentences incohérentes, souvent contradictoires, une détermination dogmatique est nécessaire. Le christianisme n’est redevable de sa durée qu’à la dogmatique de l’Église.

Ce n’est que le manque de caractère, la crédule incrédulité de l’époque moderne qui se réfugie derrière la Bible, pour opposer au dogme les sentences du livre sacré et se délivrer par l’arbitraire de l’exégèse du frein de la dogmatique. Ce n’est que l’indifférence religieuse sous la forme de la religiosité qui fait de la Bible indéterminée dans sa nature et son origine la mesure exclusive de la foi, et sous prétexte de ne croire que l’essentiel, ne croit à rien de ce qui doit être cru. C’est ainsi qu’à la place d’un être déterminé, plein de caractère, à la place du fils de Dieu de l’Église, on veut mettre un être vague, un homme pur, impeccable, auquel on reconnaît plus qu’à tout autre le droit de se nommer fils de Dieu, mais dont on ne saurait dire s’il est Dieu ou homme. Et ce qui prouve que c’est l’indifférentisme religieux seulement qui se cache derrière la Bible, c’est qu’on nie comme obligatoire ce qui dans ce livre est en contradiction avec le point de vue actuel, qu’on déclare même antichrétiens des actes qui découlent nécessairement de la foi, tels que la séparation future des bons et des méchants.

L’Église a pleinement le droit de condamner ceux qui ne croient pas et ceux qui croient autrement qu’elle, car cette condamnation est dans l’essence de la foi. Le croyant a Dieu pour lui, l’incrédule contre lui. Ce n’est que comme croyant en puissance qu’il peut retarder l’effet de sa colère, et tel est le principe sur lequel on se fonde pour exiger de lui l’abnégation de son incrédulité. Qui a Dieu contre lui est par cela même nul, rejeté, condamné. Croire a le même sens qu’être bon, ne pas croire le même sens qu’être méchant. La foi étroite d’esprit et de cœur rejette toute la faute sur nos intentions. L’incrédule pour elle est incrédule par méchanceté et entêtement ; c’est un ennemi du Christ. Elle ne s’assimile que les croyants, n’a de bontés que pour eux. Dans la foi il y a un mauvais principe. L’égoïsme et la vanité seuls sont cause que les chrétiens voient la paille dans l’œil des incrédules sans s’apercevoir de la poutre qui est dans le leur. La différence de la foi ne consiste que dans l’espèce ; elle n’est fondée que sur la différence des climats et des tempéraments. Un peuple guerrier, ardent, affirmera nécessairement par des actions sensibles, par la force des armes le genre de foi spécial qui lui appartient, mais néanmoins la foi est dans sa nature toujours la même ; partout elle juge et condamne. Elle accumule toutes les bénédictions, tous les biens sur elle et sur son Dieu, toutes les malédictions et tous les maux sur l’incrédulité. Béni, agréable à Dieu, participant à la félicité éternelle, est le croyant ; maudit, rejeté de Dieu et des hommes est l’incrédule ; car ce que Dieu condamne ne doit pas être absous par l’homme ; ce serait une critique du jugement divin. Les mahometans anéantissent les incrédules par le fer et le feu, les chrétiens par les flammes de l’enfer, et les flammes de l’enfer dressent leurs langues ardentes jusque sur la terre pour éclairer la nuit du monde qui n’a pas la foi. Comme le croyant jouit d’avance ici-bas des joies du ciel, de même il faut qu’au moins dans les grands moments d’enthousiasme de la foi le bûcher de l’inquisition donne un avant-goût de l’enfer.

Le christianisme n’ordonne pas, il est vrai, de persécuter les hérétiques et encore moins de les convertir par la force ; mais en tant que la foi condamne, elle enfante nécessairement des intentions hostiles d’où résulte la persécution. Aimer l’homme qui ne croit pas au Christ, c’est aimer l’ennemi du Christ, une offense contre le fils de Dieu ; c’est aimer ce que Dieu n’aime pas, se mettre en contradiction avec la divine volonté, en un mot, un crime. Si Dieu aime tous les hommes, c’est parce qu’ils sont chrétiens, ou du moins parce qu’ils peuvent et veulent l’être. La foi est le baptême de l’amour. L’amour de l’homme pour l’homme est purement naturel. L’amour du chrétien est un amour surnaturel, sublimé, sanctifié : aussi n’aime-t-il que ce qui lui ressemble. Cette proposition : « Aimez vos ennemis » n’a rapport qu’aux ennemis personnels et non aux ennemis déclarés, aux ennemis de Dieu. Qui aime l’homme nié par le Christ nie son Dieu et son maître. La foi détruit les liens établis par la nature entre les hommes ; à la place de l’unité naturelle et universelle elle fonde une unité particulière.

Qu’on ne nous objecte pas qu’il est écrit dans la Bible : « Ne jugez pas si vous ne voulez pas être vous-mêmes jugés » et qu’ainsi la foi s’en remet à Dieu du jugement et de la condamnation. De telles sentences appartiennent au droit privé chrétien et non au droit public, à la morale et non à la dogmatique. Il faut être déjà indifférent pour les introduire dans le dogme. La distinction faite entre l’incrédule et l’homme est un fruit de l’humanité moderne. La foi proclame que l’homme n’est rien sans elle, qu’elle seule constitue sa différence d’avec les animaux. Elle est la source de toutes les vertus qui rendent l’homme agréable à Dieu. Or Dieu est la mesure unique, son bon plaisir, la règle suprême. Le croyant est donc l’homme normal, légitime, l’homme tel qu’il doit être, le seul que Dieu reconnaisse. Dès qu’on fait une distinction entre l’homme et le croyant, dès lors l’homme est quelque chose par lui-même indépendamment de la foi. La foi n’est vraie que lorsqu’elle est exclusive ; sa libéralité ne s’étend qu’aux choses indifférentes. Le libéralisme lisme de l’apôtre saint Paul a pour fondement l’acceptation préalable des principaux articles de la foi ; la foi nous accorde des droits et des libertés à la condition naturellement que son domaine sera laissé intact.

Rien de plus faux que de vouloir sortir de là, en disant qu’en fin de compte Dieu seul juge. — Il ne juge que les conditions morales de la foi, que sa sincérité ou son hypocrisie. La foi sait fort bien quels sont ceux qui seront placés à la droite de Dieu et quels sont ceux qui seront à gauche ; pour les personnes, il y a doute ; mais que les croyants seuls doivent être héritiers du royaume céleste, pour cela il n’y en a point. D’ailleurs le Dieu qui distingue les croyants des incrédules, qui condamne et récompense, n’est pas autre chose que la foi. La foi est un feu qui dévore son contraire. Ce feu de la foi est personnifié dans la colère de Dieu, dans l’enfer lui-même, car l’enfer a évidemment son principe dans la colère divine. La foi contient l’enfer en elle-même, dans son jugement condamnateur ; les flammes infernales ne sont que les étincelles du regard plein de destruction, brûlant de courroux que la foi jette sur les incrédules.

La foi est essentiellement partiale. « Ou pour le Christ ou contre lui. » Elle ne connaît que des amis ou des ennemis. Elle est essentiellement intolérante parce qu’elle est nécessairement dans cette erreur que son affaire est l’affaire de Dieu, son honneur l’honneur de Dieu. L’intérêt des croyants est l’intérêt le plus intime de Dieu lui-même. « Celui qui vous offense, est-il dit dans le prophète Zacharie, blesse la prunelle même de ses yeux. » Ce qui offense la foi offense Dieu ; qui la nie le nie.

La foi ne connaît que deux choses, le culte de Dieu et l’idolâtrie. Les païens prient les démons ; leurs dieux sont des diables. « Je vous dis que les païens, quand ils font des sacrifices, sacrifient au diable et non à Dieu, et je ne veux pas que vous soyez dans une société diabolique. » Or le diable est la négation de Dieu ; il le nie, il veut qu’il n’existe pas. Aussi la foi n’a pas d’yeux pour le bien et le vrai qui se trouvent dans l’idolâtrie ; elle ne voit qu’ouvre démoniaque dans tout ce qui ne s’abaisse pas devant son Dieu ou devant elle-même. Sa tolérance serait intolérance à l’égard de Dieu, qui a seul droit à l’empire universel. Il faut donc que rien n’existe qui ne reconnaisse la foi ; il faut « qu’au nom de Jésus se courbent les genoux de tous ceux qui habitent dans le ciel ou sur la terre et que toutes les langues proclament que Jésus notre Seigneur est la gloire de Dieu le père. « C’est pourquoi la foi demande un autre monde où elle n’aura plus d’adversaires, où ces adversaires n’existeront du moins que pour rehausser le sentiment de son triomphe. L’enfer rend plus douces les joies des croyants bienheureux. « Ils sortiront des rangs les élus pour contempler les tourments des impies, et cette vue ne les remplira pas de douleur ; au contraire, à l’aspect des supplices indicibles des réprouvés ivres de joie, ils remercieront Dieu de les avoir sauvés.

La foi est le contraire de l’amour. L’amour reconnaît même dans le péché la vertu, dans l’erreur la vérité. Ce n’est que depuis le temps où, à la place de la puissance de la foi, s’est fait jour la puissance de la raison, de l’unité naturelle à l’humanité que l’on trouve de la vérité dans le polythéisme, dans l’idolâtrie en général ou qu’au moins on cherche à expliquer par des motifs humains ou naturels ce que la foi faisait dériver du diable seul. Aussi n’est-ce qu’avec la raison que l’amour est identique ; comme elle il est libre, infini ; là où règne la raison, là règne l’amour ; la raison n’est elle-même que l’amour universel. C’est la foi seule qui a inventé l’enfer. Pour l’amour il est une horreur, pour la raison une absurdité. Il serait pitoyable de ne voir dans l’enfer qu’une aberration de la foi ou une foi fausse. On trouve l’enfer déjà dans la Bible. La foi est partout la même, du moins la foi religieuse, positive dans le sens où nous la prenons et dans lequel elle doit être prise, lorsqu’on ne l’a pas mêlée à des éléments de raison qui rendent son caractère méconnaissable.

Si donc la foi n’est pas en contradiction avec le christianisme, les intentions qu’elle engendre et les actions qui en sont la suite ne sont pas non plus en contradiction avec lui. La foi condamne ; — tous les actes contraires à l’amour, à l’humanité, à la raison sont d’accord avec la foi. Toutes les horreurs de l’histoire de la religion chrétienne, dont les croyants disent qu’elles ne proviennent pas du christianisme, venant de la foi viennent de lui. Cette négation de leur part est elle-même une conséquence nécessaire de la foi ; car la foi s’approprie tout ce qui est bien, renvoyant le mal à l’incrédulité ou à l’homme en général. Mais précisément dans cette assertion de la foi que le mal dans le christianisme n’est pas sa faute, nous avons la preuve la plus frappante qu’elle en est l’instigation parce que c’est en même temps la preuve de sa partialité et de son intolérance. Le bien, selon elle, a été fait par le chrétien et non par l’homme, le mal par l’homme et non par le chrétien. Les mauvaises actions de la chrétienté répondent donc entièrement à la nature de la foi, telle qu’elle s’est exprimée déjà dans les origines les plus anciennes et les plus saintes du christianisme.

« Si quelqu’un vous prêche un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit maudit : ἀνάθεμα ἔστω. » (Galates, I, 9.) « Ne tirez pas à un joug étranger avec les incrédules : car qu’y a-t-il de commun entre la justice et l’injustice, la lumière et les ténèbres, le Christ et Bélial ? Quel rapport a le croyant avec l’incrédule ? le temple de Dieu avec les idoles ? Vous êtes le temple du Dieu vivant, comme il le dit lui-même : Je veux habiter en vous et être votre Dieu ; vous serez mon peuple : c’est pourquoi séparez-vous d’eux, ne touchez à rien d’impur et je vous accepterai. » (II. Corinthiens, 6, 14, 17.) « Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu. » (Hébreux, XI, 6.) « Dieu a tellement aimé le monde qu’il nous a donné son fils unique, afin que ceux qui croient en lui soient sauvés et acquièrent la vie éternelle. » (Jean, III, 16.) « Qui est menteur sinon celui qui nie que Jésus soit le Christ ? C’est l’antechrist qui nie le fils et le père. » (II. Jean, 11, 22.) « Celui qui n’est pas fidèle à la doctrine du Christ n’a pas de dieu, celui qui y reste fidèle a pour lui le Père et le Fils. Si quelqu’un vient chez vous sans vous apporter cette doctrine, ne le recevez pas et ne le saluez pas, car quiconque le salue est de moitié dans ses œuvres mauvaises. » (II. Jean, IX, 11.) Ainsi parle l’apôtre de l’amour ; mais l’amour qu’il proclame n’est que la fraternité des chrétiens les uns pour les autres. « Dieu est le sauveur de tous les hommes et particulièrement des croyants. » (I. Timothée, IV, 10.) Voilà un particulièrement plein de mystère. « Faisons du bien à tout le monde, mais surtout à ceux qui partagent notre foi. » (Galates, vi, 10.) Voilà encore un surtout mystérieux. « Évite tout hérétique déjà averti plusieurs fois et sache qu’un tel homme est pécheur et s’est déjà condamné lui-même. » (Tit., iii, 10, 11.) ») Les catholiques en appellent encore à ces passages du Nouveau Testament pour prouver que l’intolérance de l’Église envers les hérétiques remonte jusqu’aux apôtres. — « Si quelqu’un n’aime pas le Christ, anathème sur lui ! (I. Corinthiens, xvi, 22.) « Quiconque croit au Fils a la vie éternelle ; quiconque n’y croit pas ne verra jamais cette vie, mais la colère de Dieu sera sur lui. (Jean, iii, 36.) « Celui qui a la foi et le baptême sera sauvé ; mais celui qui ne croit pas sera damné. (Marc, xvi, 16.) La différence entre la foi telle qu’elle s’exprime dans la Bible et la foi telle qu’elle s’est montrée plus tard est la même que celle qui existe entre le bourgeon et la plante. Dans le bourgeon je ne puis pas voir clairement ce qui frappera mes regards dans la plante parvenue à la maturité, et pourtant celle-ci était en lui. — Mais les sophistes ne veulent pas reconnaître ce qui saute aux yeux aujourd’hui. Ils s’attachent à faire ressortir la différence qui sépare l’existence non développée de celle qui l’est. Leur unité, ils la rejettent de leur esprit.

La foi porte nécessairement à la haine, la haine à la persécution, dès que la puissance de la foi ne trouve pas de résistance, ne se brise pas contre une puissance étrangère, celle de l’amour, de l’humanité, du sentiment du droit. La foi, par elle-même, s’élève au-dessous des lois de la morale naturelle ; — sa doctrine est la doctrine des devoirs envers Dieu, et le premier devoir* est la foi. Autant Dieu est au-dessus de l’homme, autant les devoirs envers Dieu sont au-dessus des devoirs envers l’homme, et ces devoirs entrent nécessairement en collision les uns avec les autres. Dieu n’est pas seulement représenté comme l’être universel, père de tous les hommes, l’amour en un mot, — une telle foi est la foi de l’amour, — il est aussi représenté comme un être personnel. De même qu’en ce sens il est distinct de l’homme, de même les devoirs envers lui sont distincts des devoirs envers l’homme. La foi se sépare ainsi dans notre cœur de la morale et de l’amour. Qu’on n’objecte pas que la foi à Dieu est la foi à l’amour, au bien lui-même, qu’elle est l’expression d’un cœur généreux ; dans l’idée de la personnalité les déterminations morales disparaissent, ne sont plus que des accidents, des accessoires. L’affaire principale est le sujet, le moi divin. — L’amour pour Dieu n’est pas un amour moral, mais un amour personnel, parce qu’il est l’amour d’une personne. Des milliers de pieux cantiques ne respirent que l’amour du Seigneur, et dans cet amour il n’y a pas l’étincelle d’une seule idée ou d’une seule intention morale élevée.

La foi est par elle-même la chose suprême parce que son objet est une personnalité divine. Aussi fait-elle dépendre d’elle seule l’éternelle félicité et non de l’accomplissement des devoirs humains ordinaires. Or, ce qui a pour conséquence le bonheur éternel prend nécessairement dans le cœur de l’homme la première place. De même qu’ainsi intérieurement la morale est subordonnée à la foi, de même elle doit nécessairement lui être subordonnée, même sacrifiée dans la pratique. Il est nécessaire qu’il y ait des actions dans lesquelles la foi diffère de la morale, ou plutôt la contredise, des actions moralement mauvaises, mais selon la foi, excellentes, parce qu’elles ont la foi pour but. Tout salut est dans la foi, tout dépend donc du salut de la foi elle-même. Tout est permis quand il s’agit de la défendre ou de la propager. Elle est le seul bien de l’homme comme Dieu lui-même est le seul être bon ; le premier, le suprême commandement est donc celui-ci : Crois.

C’est précisément parce qu’il n’y a aucun rapport intime, naturel entre la foi et l’intention morale, que bien plutôt il est de sa nature d’être indifférente aux devoirs moraux et de sacrifier l’amour de l’homme à l’honneur de Dieu, c’est pour cela qu’il est exigé de la foi qu’elle soit accompagnée de bonnes cuvres, qu’elle s’affirme par l’amour. La foi sans amour est, en effet, en contradiction avec la raison, le sentiment du droit, le sentiment moral pour qui l’amour s’impose immédiatement comme une loi et une vérité. La foi devient ainsi, contrairement à sa nature, dirigée par la morale ; si elle ne produit rien de bon, si elle ne se prouve pas par l’amour, elle est accusée de n’être plus ni vraie ni vivante. Mais cette loi imposée à la foi ne vient pas de son propre mouvement ; elle vient de la puissance de l’amour. En exigeant des conditions morales comme criterium de sa pureté, on fait dépendre la vérité de la foi de la vérité de la morale. C’est là un rapport contradictoire avec sa nature.

Si la foi rend l’homme heureux, il est certain qu’elle ne le rend pas moral ; si elle améliore l’homme, si elle a pour conséquence la moralité, cela vient de cette conviction intime, indépendante de la foi religieuse, que la vérité morale est inébranlable. C’est la morale seule qui crie à la conscience du croyant : Ta foi n’est rien si elle ne te rend pas bon. On ne peut nier que la certitude d’une éternelle félicité, du pardon des fautes commises, de la délivrance de tout châtiment, n’entraîne l’homme à faire le bien. L’homme qui a cette foi a tout, il est heureux, il devient indifférent aux biens de ce monde ; ni la jalousie, ni l’envie, ni l’ambition, ni aucun désir terrestre ne peuvent l’enchaîner. Tout disparaît pour lui dans le regard jeté sur la grâce céleste et la félicité supramondaine. Mais les bonnes actions ne viennent pas chez lui d’intentions vertueuses. Ce n’est pas l’amour, ce n’est pas l’objet de l’amour, l’homme, la base de la morale qui est le ressort de ses actes. Non, il ne fait pas le bien pour le bien, ni pour l’homme, mais pour Dieu, par reconnaissance de ce que Dieu a fait pour lui. Il évite le péché parce qu’il offense son Sauveur, son bienfaiteur. L’idée de la vertu se confond ici avec l’idée d’un sacrifice sous forme de compensation. Dieu s’est sacrifié à l’homme, l’homme doit maintenant se sacrifier à Dieu. Plus grand est le sacrifice, meilleure est l’action. Plus on se met en contradiction avec la nature et l’homme, plus est grande la négation de soi-même, plus grande est la vertu. De là la haute importance de la virginité, c’est-à-dire de la négation de l’amour sexuel. C’est la vertu caractéristique de la foi catholique, parce qu’elle n’a aucune base dans la nature, la vertu la plus transcendante et la plus fantastique, mais par elle-même nullement vertu. La foi n’a donc aucun sens vertueux ; elle doit rabaisser la vertu véritable parce qu’elle élève à sa place une vertu purement apparente et qu’aucune idée ne la dirige, si ce n’est la tendance à nier la nature humaine, à se mettre en contradiction avec elle. Mais, quoique les actions contraires à l’amour dans l’histoire de la religion chrétienne soient d’accord avec l’esprit du christianisme et que ses adversaires aient en cela raison contre lui, d’un autre côté, elles sont en contradiction avec le christianisme parce qu’il n’est pas seulement une religion de la foi, mais encore une religion de l’amour. Comment des actes de haine peuvent-ils être ainsi à la fois acceptés et réprouvés par lui ? par une raison toute simple. Il sanctionne en même temps et les actions produites par l’amour et celles qui ont la foi seule pour motif. Si l’amour était sa seule loi, ses partisans auraient le droit de soutenir que les cruautés de l’histoire religieuse ne retombent pas sur lui ; si cette loi était la foi pure, les reproches de ses adversaires seraient vrais sans condition. Il n’a pas eu la liberté de s’élever assez haut pour concevoir l’amour d’une manière absolue, et il n’a pas eu, il n’a pas pu avoir cette liberté, parce qu’il est religion. L’amour est sa doctrine exotérique, la foi sa doctrine ésotérique L’amour est sa morale, la foi est la religion de la religion chrétienne.

Dieu est l’amour. Cette proposition est la plus belle du christianisme. Mais la contradiction de l’amour et de la foi y est déjà contenue. L’amour n’est qu’un attribut, Dieu est le sujet. Mais qu’est le sujet indépendamment de son attribut ? c’est là une question que je ne puis m’empêcher de faire. Je ne la ferais pas s’il était dit, au contraire : L’amour est Dieu, l’amour est l’être suprême. Dans la première proposition le sujet est le fond obscur derrière lequel se cache la foi ; l’attribut est la lumière par laquelle il est éclairé. Dans l’attribut j’affirme l’amour, dans le sujet la foi. L’amour ne remplit pas mon cœur ; il y reste une place pour l’indifférence tant que je conçois Dieu comme distinct de lui. Je ne puis m’empêcher de perdre tantôt la pensée de l’attribut et tantôt la pensée du sujet, de sacrifier tantôt la divinité de l’amour à la personnalité de Dieu et tantôt la personnalité de Dieu à l’amour lui-même. La foi s’en tient au sujet, elle ne laisse pas l’amour se développer librement. Infatuée de ses prétentions, elle se pose comme l’ètre réel, comme le dernier fondement. L’amour de la foi est une figure de rhétorique, une fiction poétique. C’est la foi en extase : dès qu’elle revient à elle, l’amour a disparu.

Cette contradiction théorétique devait nécessairement passer dans les faits, — car l’amour dans le christianisme est esclave, souillé par la foi, dépouillé de toute vérité. L’amour ne connaît pas d’autre loi que lui-même, est par lui-même divin, n’a besoin d’aucune consécration. Dès que la foi lui impose des limites, il devient faux, plein de contradictions ; il cache dans son ein la haine de la foi, n’est bon qu’autant que celle-ci n’est pas offensée. Toujours en désaccord avec lui-même, il est obligé d’avoir recours à toutes sortes de sophismes pour conserver l’apparence de l’amour, comme saint Augustin dans son apologie de la persécution des hérétiques. L’amour chrétien n’a pas vaincu l’enfer, parce qu’il n’a pas vaincu la foi. L’amour est incrédule comme la foi indifférente ; et si l’amour est incrédule, c’est qu’il ne connaît rien de plus divin que lui-même, c’est qu’il ne croit qu’à lui comme à la vérité absolue.

L’amour chrétien est déjà un amour particulier, du moment qu’il est chrétien, et se nomme chrétien. L’universalité est son caractère indispensable. Tant qu’il n’est pas érigé en loi suprême, qu’il conserve un caractère exclusif, il offense en nous le sens de la vérité, car c’est lui qui doit abolir la différence du paganisme et du christianisme ; — aussi est-il devenu en ce sens, et avec raison, un objet de l’ironie. L’amour véritable a assez de lui-même ; il n’a besoin d’aucuns titres, d’aucune autorité. Il est la loi universelle de l’intelligence et de la nature, n’étant pas autre chose que la réalisation de l’unité de l’espèce par la voie d’une éducation morale progressive. Si on veut le fonder sur le nom d’une personne, on ne peut le faire qu’en alliant à cette personne des idées superstitieuses, soit religieuses, soit spéculatives. Mais la superstition entraîne nécessairement l’esprit de secte, le particularisme et avec lui le fanatisme. L’amour ne peut se fonder que sur l’unité de l’espèce, l’intelligence et la nature. Alors seulement il est libre, parce qu’il s’appuie sur son principe réel, principe d’où découle l’amour du Christ lui-même. L’amour du Christ était un amour dérivé. Il ne nous aimait pas en vertu de sa propre puissance, mais en vertu de la nature de l’humanité. Ne devons-nous nous aimer les uns les autres que parce que le Christ a aimé ? Un tel amour serait affecté, tout d’imitation. Le Christ est-il la cause de l’amour ? N’en est-il pas l’apôtre ? Dois-je aimer le Christ plus que l’humanité ? Ne serait-ce pas chimérique ? Puis-je m’élever au-dessus de l’espèce, aimer quelque chose de plus grand qu’elle ? C’est l’amour qui a anobli le Christ, c’est par lui seul qu’il a été ce qu’il fut ; il n’en était pas le propriétaire comme se le figure la superstition. L’idée de l’amour est une idée indépendante que l’on ne peut déduire par abstraction de la vie du Christ ; au contraire, cette vie est reconnue divine parce qu’on la trouve d’accord avec la loi de l’amour ou avec son idée.

C’est ce que l’histoire prouve en montrant que l’idée de l’amour n’est pas entrée avec le christianisme et par lui dans la conscience humaine, qu’elle n’est pas le moins du monde une idée purement chrétienne. Son apparition se fait au milieu des terribles scènes de l’empire romain qui l’accompagnent et l’expliquent. L’empire de la politique qui organisait l’unité dans le genre humain par une voie contraire à sa nature, devait inéyitablement se dissoudre. L’unité politique est une unité violente, le despotisme de Rome devait se détruire lui-même. Les malheurs causés par la politique excitèrent l’homme à se délivrer de ses chaînes oppressives. À la place de Rome s’élève l’idée de l’humanité, à la place de l’idée de la domination, l’idée de l’amour. Déjà les Juifs eux-mêmes avaient adouci leur esprit de secte haineux au contact du principe humain contenu dans la civilisation grecque. Philon célèbre l’amour comme la plus haute vertu. L’idée de l’humanité contenait en germe la destruction des différences nationales. L’esprit philosophique s’était élevé depuis longtemps au-dessus des distinctions civiles et politiques entre les hommes. Aristote avait parfaitement distingué l’homme de l’esclave et placé celui-ci comme homme au niveau de son maître, en établissant entre eux des rapports d’amitié. Des philosophes mêmes avaient été esclaves. Épictète était stoïcien, l’empereur Antonin de même. C’est ainsi que la philosophie établissait l’unité parmi les hommes. Les stoïciens enseignaient que nous n’existons pas pour nous-mêmes, mais pour les autres ; que nous sommes nés pour l’amour. Cette sentence dit infiniment plus que celle plus vantée de l’empereur Antonin, qui nous ordonne d’aimer nos ennemis, Le principe pratique des stoïciens est dans le principe de l’amour. Le monde est pour eux une ville commune, tous les hommes sont concitoyens. Sénèque, entre autres, célèbre dans les termes les plus sublimes l’amour, la clémence, l’humanité surtout envers les esclaves. Ainsi étaient disparus le rigorisme politique et toutes les idées étroites, tous les sentiments bornés de nation et de patrie.

Ce nouveau principe, ces efforts et ces tendances humanitaires se firent jour particulièrement, d’une façon populaire, par cela même religieuse et au plus haut degré d’intensité dans le christianisme. Ce qui ailleurs s’imposait au nom de la civilisation s’exprima en lui comme sentiment religieux, comme affaire de foi. Le christianisme fit ainsi de nouveau de l’unité universelle une unité particulière, et en soumettant l’amour à la foi, il le mit en contradiction avec l’amour véritable commun à tous les hommes. Les différences nationales s’évanouirent ; mais à leur place surgirent dans l’histoire les différences de foi, plus vives que les premières et bien plus haïssables.

Tout amour fondé sur un phénomène particulier est, comme nous l’avons dit, en contradiction avec la nature de l’amour, qui ne souffre aucune contrainte et s’élève au-dessus de toute particularité. Nous devons aimer l’homme pour l’homme lui-même. L’homme est objet de l’amour par cela même qu’il est son propre but, qu’il est capable d’amour et de raison. C’est là la loi de l’espèce, la loi de l’intelligence. L’amour est l’existence subjective de l’espèce comme la raison en est l’existence objective. Dans l’amour, dans la raison, disparaît le besoin d’une personne intermédiaire. Le Christ n’est qu’une image sous laquelle a pénétré dans la conscience populaire l’unité de l’espèce. Le Christ aimait les hommes, il voulait les unir tous et les rendre heureux sans distinction de sexe, d’âge, de position sociale et de nationalité. Le Christ est l’image de l’amour de l’humanité pour elle-même ; comme objet religieux il ne peut pas être autre chose ; de même sa personne est idéale, n’a qu’une signification imaginaire. C’est par l’amour seulement que doivent se reconnaître les disciples. Mais l’amour, pour le répéter encore, n’est que la réalisation de l’unité du genre humain par la voie d’une éducation morale progressive, par la réciprocité d’intention. La collectivité humaine, l’espèce n’est pas une pensée pure ; elle existe dans le sentiment, dans l’énergie de l’amour. C’est l’espèce qui nous inspire l’amour, car son cœur à elle en est plein. Le Christ est donc, en tant que conscience de l’amour, la conscience de l’espèce. Un jour nous devons tous être unis en lui. Celui qui aime l’homme pour l’homme lui-même, qui s’élève à l’amour universel correspondant à la nature de l’espèce, celui-là est chrétien, est le Christ lui-même. Il fait ce qu’a fait le Christ, ce par quoi il a mérité ce nom. Là donc où surgit la conscience de l’espèce, la disparaît le Christ, sans que pour cela sa manière d’être s’évanouisse ; car il n’était que le remplaçant, que l’image et le modèle de l’unité du genre humain.