Excursion au Canada et à la rivière Rouge du Nord/07

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VII.
Le Tour du mondeVolume 30 (p. 129-134).
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VII.


EXCURSION AU CANADA ET À LA RIVIÈRE ROUGE DU NORD,

PAR M. H. DE LAMOTHE[1].
1873. — TEXTE ET DESSINS INÉDITS.




VII

De Montréal à Ottawa. — M. Papineau. — Le Rideau et la Chaudière. — Industrie et paysage. — Une contestation entre capitales : le troisième larron. — La vallée supérieure de l’outaouais. — Les Indiens Montagnais. — Le commerce des bois. — Défrichement à outrance. — Les « brûlés ». — Meurtre de la poule aux œufs d’or.


La saison s’avançait et je n’avais plus une semaine à perdre si je voulais utiliser un reste de beau temps pour accomplir le voyage que je m’étais proposé de faire cette année même dans les territoires du Nord-Ouest. D’ailleurs je n’étais pas seul, mon compagnon, M. R***, semblait déterminé à m’accompagner jusqu’au bout du monde. Il rêvait d’expérimenter en grand, dans les vastes prairies du Nord-Ouest, l’élevage des chevaux et du bétail, et de consacrer à des entreprises de colonisation les débris d’une fortune tout récemment engloutis dans les naufrages de la bourse de Vienne. Au commencement de 1873, les Allemands d’Autriche escomptaient largement les conséquences probables de la pluie d’or qui tombait en ce temps-là sur leurs cousins berlinois ; mais par un juste retour des choses d’ici-bas, la pléthore d’argent mal acquis qui suivit le payement de nos premiers milliards, amena presque immédiatement une gigantesque débâcle financière où se noyèrent à la fois les banquiers spéculateurs et les économies d’une foule de braves gens. Cette catastrophe avait du même coup ravi à M. R*** le fruit de vingt ans de travail, plus de trois cent mille francs, déposés dans trois banques également infortunées, et ruiné les actionnaires des haras qu’il dirigeait en Hongrie.

C’est par une splendide matinée d’août que nous reprenons notre route vers l’occident. Le chemin de fer nous conduit à Lachine ; là un élégant vapeur nous reçoit à son bord et bientôt nous suivons le milieu du lac Saint-Louis, dont trois jours auparavant nous avions longé la rive dans la voiture de notre ami. Nous saluons en passant la Pointe-Claire, puis, abandonnant définitivement le Saint-Laurent, et nous engageant dans le bras de l’Outaouais qui sépare l’île Perrot de l’île de Montréal, nous franchissons l’écluse qui permet de surmonter le petit rapide de Sainte-Anne. Au-dessus de nos têtes le pont du chemin de fer de Montréal à Toronto réunit les deux îles ; devant nous s’ouvre le lac des Deux-Montagnes. Bientôt le paysage de la rive septentrionale commence à changer d’aspect : aux champs cultivés, devenus plus rares et plus clair-semés, succèdent les « bois francs », s’étageant sur les premières ondulations des Laurentides. Des collines, tantôt couronnées d’érables, de pins, d’épinettes, de trembles et de bouleaux, tantôt dénudées par la cognée ou l’incendie, se mirent dans le sombre cristal des eaux brunes de l’Outaouais. Au sud s’étendent les belles campagnes du comté de Vaudreuil, extrémité orientale de la vaste plaine située entre l’Outaouais intérieur et le Saint-Laurent. Seul le monticule isolé de Rigaud interrompt leur parfaite horizontalité. Nous nous arrêtons un instant, entre autres stations, à la Mission du Lac, village d’Algonquins et d’Iroquois. Quelques femmes indiennes accroupies sur les madriers du débarcadère fixent sur nous leurs grands yeux noirs, cachant à demi dans les plis de leurs couvertures un visage qui a la couleur et les reflets du cuivre jaune. Arrivés à Carillon, village du comté d’Argenteuil situé à l’extrémité du lac, il nous faut débarquer. Trois rapides échelonnés sur une distance d’un peu plus de vingt kilomètres interrompent la navigation de la rivière. Les canaux qui les contournent ont actuellement une capacité trop faible pour permettre le passage a des bâtiments de plus de cinquante tonnes. En attendant leur élargissement, un petit chemin de fer conduit les passagers de Carillon à Grenville, où nous attend un magnifique vapeur presque aussi splendidement aménagé que ceux du Saint-Laurent, et qui semble tenir à justifier son nom quelque peu prétentieux de « Peerless » (sans pair). À partir de Carillon, l’Outaouais a cessé d’être une rivière exclusivement bas-canadienne. Pendant près de six cent cinquante kilomètres, jusqu’à l’extrémité nord du lac Témiscamingue, son thalweg sert de frontière entre les deux provinces d’Ontario et de Québec. Les stations se succèdent rapidement sur l’une et l’autre rive. Ici, c’est l’Orignal, ancien chef-lieu d’une seigneurie française englobée aujourd’hui dans un comté de la province d’Ontario, celui de Prescott, où l’élément français conquiert de jour en jour la prééminence numérique, comme dans toute la vallée de l’Outaouais. Plus loin, sur la rive nord, dans le comté d’Ottawa, nos compagnons nous montrent avec respect l’habitation seigneuriale de Montebello, où s’écoula dans une noble retraite la vigoureuse vieillesse du plus célèbre et du plus énergique des patriotes canadiens, l’illustre Papineau. À ce grand orateur, qui fut pendant vingt-cinq ans la personnification de la nationalité canadienne-française, il n’a peut-être manqué, pour être populaire parmi nous, que l’appartenir à une autre race que la nôtre. Tout le monde en France a entendu parler d’O’Connell et de François Deak, mais il n’y a pas même une mention dans nos Dictionnaires des Contemporains pour l’homme qui a osé lutter contre la puissance britannique au lendemain de Waterloo, alors que des gouverneurs militaires, investis de pouvoirs exorbitants et dont la gallophobie s’exaltait aux souvenirs récents de la grande guerre continentale, s’indignaient de voir qu’une population placée depuis soixante ans sous la domination anglaise se refusât opiniâtrement à adopter la langue et les lois de ses conquérants. La cause de l’indépendance, que Papineau défendit éloquemment de 1814 à 1837, pour laquelle il souffrit l’exil et vit mettre sa tête à prix, cette cause est aujourd’hui plus qu’à moitié gagnée. Seulement l’élément français qui eût conservé la prépondérance si la séparation se fut effectuée dès 1837, n’est plus aujourd’hui qu’une minorité dans la confédération des provinces britanniques de l’Amérique du Nord. Toutefois il lui reste encore d’immenses territoires à coloniser et la perspective de devenir un peuple puissant si les hommes du jour savent s’inspirer du patriotisme qui animait l’ancien chef des libéraux bas-canadiens. Papineau est mort en 1871, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

À mesure que nous avançons, les hauteurs qui longent à distance la rive nord de l’Outaouais s’élèvent et se boisent de plus en plus. Enfin, vers le soir, à l’un des derniers détours du courant, nous apercevons au-dessus des berges de la rive droite un amas de hautes constructions gothiques couronnant une colline dont les talus escarpés plongent presque à pic dans la rivière. Ce sont les bâtiments du Parlement et des ministères qui dominent au loin de leur masse imposante les environs de la capitale fédérale. Nous laissons à notre gauche la belle chute de la rivière Rideau, qui se précipite dans l’Outaouais par deux larges nappes de trente mètres de hauteur. D’énormes échafaudages de madriers empilés nous en cachent malheureusement une notable partie. C’est là, en effet, que sont établies les scieries du village de New-Édimbourg. Un peu plus loin, sur la droite, est l’embouchure de la puissante rivière Gatineau.

Chutes à Ottawa. — Dessin de Th. Weber, d’après une photographie.

Devant nous, des colonnes de brouillard, semblables à des jets de vapeur lancés par une gigantesque machine, indiquent seules l’emplacement de la puissante « Chaudière » dont le fracas retentissant frappe déjà nos oreilles. Là l’Outaouais, réuni tout entier en amont d’un barrage de rochers, s’engouffre d’un seul bond de vingt mètres dans l’intérieur d’un abîme en fer à cheval où tourbillonnent ses eaux écumantes. M. J. Tassé, dans un travail sur la vallée de l’Outaouais, évalue à quatre mille cinq cents mètres cubes par seconde aux hautes eaux la masse liquide qui se décharge dans l’entonnoir de la Chaudière. C’est le volume du Rhin devant Strasbourg à l’époque des grandes crues ; et certes, la rivière canadienne, alimentée ainsi que tous ses affluents par une multitude de lacs qui lui servent de réservoirs et de régulateurs, présente infiniment moins d’écart entre son étiage extrême et son débit maximum que notre grand fleuve alsacien. Ce devait être jadis un admirable spectacle pour le voyageur venant du Saint-Laurent que l’apparition soudaine, à quinze cents mètres de distance, de cette merveilleuse cataracte, vierge alors des souillures de l’industrie humaine. Mais aujourd’hui, un long chapelet d’usines vulgaires s’est égrené sur ses bords et les montagnes de bois scié qui s’empilent à ses pieds la dérobent aux regards.

L’Outaouais : La Chaudière en été. — Dessin de Th. Weber, d’après une photographie.

Nous voici enfin arrivés au débarcadère, d’où l’omnibus du Russell House nous conduit corps et biens dans la haute ville, à travers des rues toutes nouvelles et déjà bordées d’énormes maisons à l’américaine aux rez-de-chaussée garnis de somptueux magasins. À quelques centaines de pas de l’hôtel, nous traversons sur un pont provisoire le canal Rideau, œuvre des ingénieurs militaires anglais, qui débouche dans le lac Ontario, près de Kingston, après un parcours de deux cents kilomètres, ouvrant ainsi au cœur du territoire canadien une voie navigable par laquelle des navires de deux cent cinquante tonneaux peuvent se rendre de la vallée de l’Outaouais aux grands lacs sans entrer dans des eaux neutres. En cet endroit, le canal descend brusquement de plus de vingt-cinq mètres vers l’Outaouais par une succession d’écluses qui figurent les marches d’un gigantesque escalier.

La Chaudière en hiver. — Dessin de J. Moynel, d’après une photographie.

Dès le lendemain, grâce à l’obligeance du chef du bureau des traducteurs français à la Chambre des communes, M. E. Blin de Saint-Aubin, — un compatriote établi depuis de longues années au Canada, — nous visitâmes tout ce que la ville a de curieux.

Outaouais ou Ottawa — selon qu’on adopte l’orthographe française ou anglaise (on conserve ordinairement cette dernière quand il s’agit de la ville et non de la rivière) — est une cité tout à fait nouvelle, qui doit son rang et sa fortune un peu à sa position stratégique et beaucoup aux prétentions discordantes des trois ou quatre capitales que s’est données successivement le Canada. Pendant les premiers temps qui suivirent l’union plus ou moins forcée des deux provinces supérieure et inférieure (1840), Kingston avait été la résidence du gouverneur et du Parlement. En 1843, l’un et l’autre se transportèrent à Montréal. En 18119, le parti conservateur anglais, qu’irritaient profondément les mesures votées sous le gouvernement de lord Elgin en faveur des victimes de l’insurrection bas-canadienne de 1837, souleva la populace anglaise de la ville. Le « mob », autrement dit la canaille, envahit le Parlement, qui fut livré aux flammes avec sa bibliothèque. La capitale fut alors transportée à Toronto ; mais le Bas-Canada réclamant sa part d’hégémonie, il en résulta un gouvernement nomade qui devait résider par périodes égales à Toronto et à Québec. Vers 1858, chacun réclamait contre les inconvénients de cette constitution bicéphale ; mais les localités rivales maintenaient plus que jamais leurs prétentions. En désespoir de cause on s’adressa à la métropole, qui, à la grande surprise de tous, trancha le procès en faveur d’une petite ville située dans une région à peine envahie par les défrichements, et qu’on ne connaissait guère alors que sous le nom de Bytown, qu’elle avait reçu du colonel By, son fondateur. Le cabinet de Londres s’était décidé par des raisons stratégiques. Assise sur la rivière Outaouais, à la tête du canal Rideau, possédant par conséquent des voies de communication indépendantes du caprice comme du canon des Yankees, la nouvelle capitale se trouvait en cas de guerre à l’abri d’un coup de main. Les Canadiens se soumirent, non sans maugréer quelque peu ; et dix ans après, Ottawa montait encore en dignité en devenant, par l’union de toutes les colonies britanniques de l’Amérique septentrionale, la capitale d’un empire aussi vaste que l’Europe entière, quoiqu’il ne contienne guère que quatre millions d’hommes, parmi lesquels un million deux cent mille environ, Canadiens, Acadiens ou métis, représentent la race et la langue des colonisateurs de la Nouvelle-France.

En 1871, Ottawa comptait déjà vingt et un mille habitants, trente mille même, en y comprenant Hull, qui lui fait vis-à-vis de l’autre côté de la rivière, sur le territoire de la province de Québec. Hull et les quartiers d’Ottawa qui avoisinent la rivière Rideau sont en grande partie habités par des Canadiens-Français, au nombre de douze mille environ, qui ont leurs écoles, leurs églises particulières et un organe quotidien, le Courrier d’Outaouais. Lors de mon passage, ils étaient parvenus à faire élire un des leurs, M. Martineau, aux fonctions de maire de la capitale. L’évêque, Mgr Guigues, — mort depuis, — était un « Français de France », appartenant à l’ordre des Oblats ; aussi bon nombre de paroisses du diocèse sont-elles desservies par des prêtres qu’il a fait venir du « vieux pays ». J’eus l’occasion pendant une excursion à Aylmer, gros village situé à quelque distance de Hull sur la rive bas-canadienne, de faire la connaissance d’un de ces prêtres français, homme fort instruit qui a parcouru dans tous les sens les vallées de l’Outaouais et de ses affluents. Selon lui, il y aurait encore de fort beaux pays parfaitement colonisables dans le haut de la rivière, sur la Matawin, le lac Témiscamingue et le lac des Quinze, ainsi nommé des quinze rapides successifs qui rendent éminemment périlleuse la navigation de la rivière par où s’écoule le trop-plein de ses eaux. Des explorations plus récentes en ont réduit, paraît-il, le nombre à quatorze, sans pour cela qu’il soit question de débaptiser le lac ou la rivière. À vingt lieues plus au nord, non loin du lac Labyrinthe, se trouve « la Hauteur des terres » ou ligne de faîte qui sépare le bassin du Saint-Laurent de celui de la baie d’Hudson, et qui sert de limite entre les deux provinces de l’ancien Canada et les territoires autrefois concédés par le roi Charles II à son frère, le prince Rupert, fondateur de la compagnie de la baie d’Hudson. Au delà du lac Témiscamingue on ne rencontre plus d’hommes blancs que dans les postes de traite de cette compagnie. Des tribus nomades, connues sous le nom générique de Montagnais, et appartenant comme les Hurons à la grande famille des Algonquins, parcourent dans leurs canots d’écorce les innombrables lacs et rivières qui sont les routes naturelles de ces vastes régions. Ce sont les Abbitibbis, les Têtes-de-boule, les Papinachois, les Chamouchouans, les Mistassins, les Naskapis, etc., dont les territoires de chasse s’étendent à l’est jusqu’au Labrador, et au nord bien au delà de la « Hauteur des terres ». Ces pauvres nomades, non encore christianisés pour la plupart, vivent chétivement de la pêche pendant l’été, de la chasse pendant l’hiver, et surtout de leur petit commerce de fourrures avec les postes de la compagnie de la baie d’Hudson.

Des documents officiels, probablement incomplets, évaluent à quatre mille cinq cents le nombre des sauvages qui errent dans la partie de la terre de Rupert située au nord de la ligne frontière des anciennes provinces canadiennes. Deux ou trois mille de leurs congénères mènent à peu près la même existence au sud de cette ligne, dans les forêts de la province de Québec. Les ressources qu’ils disputent à une nature inclémente sont des plus précaires, et l’on ne s’étonnera point que leurs tribus soient souvent décimées par la famine. Lorsque tout espoir de secours est perdu, que leurs fidèles chiens eux-mêmes ont été sacrifiés, l’Indien s’enveloppe silencieusement dans sa couverture, et, comme nos Arabes pendant la terrible disette de 1867, il attend la mort avec indifférence.

Aujourd’hui d’ailleurs, les premiers flots de l’immigration atteignent déjà leur retraite. Un certain nombre de France-Canadiens se portent depuis quelque temps sur les bords du lac Témiscamingue, ainsi que quelques émigrants allemands ou même polonais. Mais les grands défricheurs seront longtemps encore les vingt-cinq ou trente mille bûcherons — les lumbermen — qui se répandent chaque hiver dans la forêt pour le compte des grands commerçants de bois d’Ottawa, les Eddy, les Wright, les Mac Laren, les Gilmour, etc., et qui, si des lois conservatrices n’interviennent bientôt, auront irrémédiablement saccagé en quelques dizaines d’années la principale richesse dont le travail fécond de la nature, prolongé pendant des siècles, avait doté leur patrie.

Certes, le commerce des bois peut être un précieux auxiliaire de l’agriculture en déblayant pour les colons à venir nombre de plaines et de vallées fertiles destinées à nourrir un jour des millions d’hommes. Mais pourquoi dénuder en même temps les coteaux rocheux des Laurentides, qui ne retiennent un peu d’humidité et de terre végétale que grâce aux racines qui pénètrent profondément dans leurs fissures ? Que deviendront la limpidité des lacs, la régularité du débit des rivières, lorsque les pluies ne seront plus tamisées par le terreau des forêts ? Dans une région où sous la latitude de la France centrale, à trois ou quatre cents mètres à peine au-dessus du niveau des mers, le mercure arrive presque chaque hiver à se figer dans les thermomètres, combien ne faudra-t-il point de siècles pour réparer ce que l’homme détruit en quelques années ? Et ce n’est pas seulement l’exploitation à outrance qui menace les pauvres vieilles forêts : le feu, allumé par imprudence ou désœuvrement, est pour elles un ennemi plus redoutable encore que la cognée. Le seul incendie de 1870 a dévoré plus de bois dans la vallée de l’Outaouais que la hache du bûcheron n’en a fait disparaître en bien des années. Rien de plus hideux que ces squelettes décharnés et demi-carbonisés de grands arbres qui recouvrent à perte de vue les plaines et les versants dévastés par la flamme. Les printemps se succèdent sans presque rien changer à la sinistre physionomie de ces immenses espaces que le bûcheron canadien appelle des « brûlés ». À la longue, une maigre végétation d’essences presque toujours inférieures à celles qui ont disparu reprend lentement possession du sol calciné ; mais longtemps encore après que celui-ci s’est tapissé d’une verdure nouvelle, le regard reste attristé par l’aspect des grands troncs morts qui se dressent au-dessus de leurs chétifs remplaçants.

Comment s’étonner si, en présence de cet effrayant gaspillage, simple imitation, d’ailleurs, de ce qui se fait aux États-Unis, quelques hommes de bon sens ont commencé à jeter le cri d’alarme ?

Du train dont nous allons, s’écriait récemment l’un d’eux, nos superbes forêts seront avant longtemps dépouillées de nos meilleures espèces de conifères. Déjà, pour obtenir des bois de mâture, on est obligé d’aller en abattre à trois cents milles d’Ottawa, et il faut franchir une bonne distance pour couper les bois de construction. Que sera-ce dans dix ans ? dans vingt ou trente ?…

« La science de la sylviculture est ignorée en Canada, et cependant il n’y a pas de pays où l’on soit plus intéressé à en savoir quelque chose… »

Je n’ajouterai rien à ces observations. Puissent les compatriotes de l’auteur en faire leur profit ; sinon ils ne tarderont pas à donner une édition canadienne du meurtre de la poule aux œufs d’or.

  1. Suite. — Voy. p. 97 et 113.