Fabre dEnvieu - Noms locaux tudesques/Chapitre 7

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E. Thorin ; Édouard Privat (p. 274-279).

CHAPITRE VII

NOMS EMPRUNTÉS À L’ONOMASTIQUE RELIGIEUSE.


ARTICLE PREMIER

Noms dus à des noms de divinités ou à la mythologie des anciens Germains. — On trouve dans quelques noms de lieux les traces du culte des Celtes pour leurs dieux. Ainsi : Mayence, Moguntiacum, d’un nom de l’Apollon gaulois Mogounos ; Borbetomagus rappelle le dieu celtique Borvo (armor. bourbon, bourbounen, ébullition ; kymr. berw, bouillonnement), qui a donné aussi son nom à Bourbonne-les-Bains, à Bourbon-Lancy, à la Bourboule ; Borvo était la chaleur salutaire des eaux ; et aussi le soleil, source de la chaleur : on et ul, ull signifient eau) ; Aquisgranum nous offre le nom de Grannus (le soleil), etc.

Les peuplades tudesques apportèrent à leur tour quelques noms de leurs dieux dans l’onomastique géographique de la Germanie. Mais rien ne nous autorise à transporter dans ce pays les dieux et les mythes de la religion d’Odin (voy. P., p. 312). Pour retrouver des traces du culte d’Odin et de Thor, en Allemagne, il ne suffit pas d’y rencontrer des noms commençant par oud ou par wod et par tur, thur, torn. On pourrait toutefois expliquer par le culte de Wuotan ou de Wodan (nom qui désignait Dieu et qui n’était pas une propriété exclusive d’Odin ; — P., p. 312 et ss.), les noms de Gudensberg (dans la Hesse) et peut-être aussi celui du Gudenesberg auj. Godeberg), près de Bonn. Le culte de la hache pourrait se trouver dans quelques noms formés de Bill (Bielstein), celui du soleil et de la lune dans les noms formés de Sonne ou de Mond (Sonneberg, Sonneborn, Sonnenburg, Sonnenfeld, Sonnenhof, Sonnenkamp, Sonnenstein, Sonnenwald ; — Mondsee). Le tonnerre (Donner) peut avoir été adoré dans quelques localités dont le nom est composé avec ce mot (Donnerberg, Donnerhorst, Donnersberg, Donnersreuth, Donnerstædt) ou avec wittern = donnern (tonner : — Wittersdorf, vg. du H.-R., — Wittersheim, vg. du B.-R.). Staufenberg rappellerait, dit-on, le dieu Stuffo[1]. Le nom du dieu Puster s’est conservé dans le nom du Pusterthal (vallée de Puster). Il est possible que sûl (die Säule, colonne) indique des localités où l’on adorait une colonne ou un tronc d’arbre (voy. P., p. 282) : Sula, Marksuhl, Sulingen.

Rügen (île de la Baltique) rappellerait le culte de Rughevit (le dieu de la guerre chez les anciens slaves) ou plutôt un monticule sacré, un cromlech (en suio-gothique, ruga ou ruka, en island. hruga, tas, monceau ; cfr. Rücken, dos ; chose saillante). On a dit que Zeits (ville de Saxe) doit son nom aux mamelles (Zitze, mamelle ; cfr, téton, tétin ; bas all. titte, holl. tuyt, ital. tetta, zitta, cizza), de la déesse Cérès (sans doute Hertha, adorée en ce lieu). Le nom de Zittau peut aussi se rattacher au culte d’une déesse de la fécondité, de la Nourricière, de la Verte (en tchèque zito signifie le froment : de zyto, le vert ; wende zyzysch, verdir ; polon. zywic, nourrir). Jettenhöhle (l’antre de Jetta) ou Jettenbühel ( le tertre).

Le Riesenstein et les Drei Troege (Trois auges : Trog, auge), etc.


ARTICLE II

NOMS QUI RAPPELLENT DIEU ET LES SAINTS.

Gott, Dieu : Gottberg, Gottesberg, Gottesgabe (Gabe, don, présent, Gottesgnade (Gnade, grâce, miséricorde), Gottesthal, Golteszell, Gottsau, Gottsfeld, Gottsfriede, Gottslager (Lager, camp) ; — Gottlieben (Theophilia : Liebe, amour), bourg et château des bords du lac de Constance qui furent bàlis par Conrad, évêque de cette ville ; — Gotteshülfe (assistance de Dieu : Hülfe, secours, aide), courant du Rhin, près du Rolandseck, ainsi nommé parce que les rameurs peuvent déposer leurs rames et abandonner le bateau à la rapidité du fleuve ; Göttingen (pourrait signifier contrée de Dieu : ing, v. p. 196), ville située dans une longue et spacieuse vallée aussi fertile qu’agréable.

Noms empruntés à la nomenclature hagiographique (die Orte von Heiligen benannt, nach Heiligen, so zu sagen, getauft).

Le mot heilig (primit. salutaire : auj. saint) indique ordinairement un lieu consacré par un culte religieux : Heilig-Kreutz, Heiligeberg, Heiligenberg, Heiligendamm, Heiligendorf, Heiligenfelde, Heiligengrab (Grab, creux, fosse ; caveau ; tombeau, sépulcre), Heiligenhafen, Heiligenkreutz, Heiligenloh, Heiligenrode, Heiligenroth, Heiligensee, Heiligenstadt, Heiligenstein, Heiligenthal, Heiligenzell ; — Heil (salut, prospérité) : Heilbronn, jadis Heiligbronn (dont le nom rappelle le baptême que le celte saint Kiliam donna aux habitants du pays), Heilbrunn, Heilsbron ; — Hilgermissen (bas sax. hilge = heilige ; miss est pour Kirchenmesse [messe de l’église, fête de l’anniversaire de la dédicace d’une église ; fête de la dédicace ; fête d’une localité ; foire] ; en = Heim) ; — Allerheiligen (tous les saints ; deux fois en Bavière et une fois en Hesse), Allerheiligenberg (dans le Nassau) ; — Heiligenbluth (Blut, sang ; — le précieux sang ; nach einem Fläschchen des Blutes Christi benannt).

Quelques localités ont formé leur nom en joignant à celui de leur patron l’adjectif Sankt = heilig (saint) : St-Maria, Sainte-Marie-aux-Mines (Sancta Maria ad Fodinas, all. Mariakirch ou Markirch, v. industrieuse du H.-R. qui doit son nom à son église de Sainte-Marie-Madeleine), Saint-Goar[2], Sanct-Pölten (fanum sanct. Hyppolyti), Sanct-Gothard[3], etc., etc.

D’autres localités ont formé leur nom en ajoutant au nom du saint les suffixes bien connus : -berg, -burg, -feld, -dorf, etc. Ainsi : Marienbad, Marienberg (montagne de Marie), Marienborn, Marienburg[4], Mariencron, Mariendorf[5], Marienfeld, Marienfels, Marienforst, Mariengarten, Marienhagen, Marienhausen, Marienheide, Marienhöhe, Marienkamp, Marienland, Marienmünster, Marienrode, Mariensaal, Marienschloss, Mariensee, Marien-Seigerhütte (Seigerhütte, établissement, du ressuage ; affinerie : seigern, opérer le ressuage), Marienstedt, Marienstern, Marienstuhl, Marienthron, Marienwalde, Marienwerder ; — Mariastein (ou Notre-Dame de la Pierre ; — la chapelle est formée par une grande grotte et a été bâtie dans le roc), Maria-Himmelpfort (porte du ciel) ; Mariä-Himmelfahrt (assomption de Marie), Mariahilf (helfen, secourir ; hilf, impératif), Mariaschein (Schein, clarté, rayonnement), Maria-Schnee (Notre-Dame des neiges), Maria-Schutz (Schutz, asile, refuge), Maria-Trost (Trost, consolation), Mariazell (Mariæ cella), etc. ; = Schlægel (ou Unser lieben Frauen Schlag (= Plagense cœnobium : Schlag, coup [plaga] ; taillis), etc. — Notre-Dame des Trois-Epis (Drein Aehren), en Alsace. — Le Rigi a dû, paraît-il, son nom à une image de la Sainte Vierge, reine (Regina) de la montagne (Gnadenbild der Maria zum Schnee, Regina montis) ; selon d’autres de mons rigidus [raide], par opposition au Pilat (mons fractus).

Le patronage de Marie est encore indiqué par le mot Frau (femme, dame) qui désigne la Femme bénie entre toutes les femmes : Frauenberg, Frauenburg, Frauenbrunn, Frauendorf, Frauenhagen, Frauenhain, Frauenhaus, Frauenheim, Frauensee, Frauenstein, Frauenthal, Frauenwerth, Frauenzell, etc. — Unser lieben Frauen Saal, Unser lieben Frauen Berg, Unsere liebe Frau auf dem Sand, Unser lieben Frauen Schlag, etc. Odilienberg ou St. Odile[6], Poltenberg (mons sancti Hippolyti), etc. Glarus ou Glaris (chef-lieu d’un canton suisse) dérive son nom de S. Hilarius, patron du couvent de Säckingen, qui avait défriché cette vallée des Alpes, etc.

Les noms de la croix, du ciel, etc.Kreuz, croix : Kreutzberg, Kreutzburg, Kreutzendorf, etc.

Himmel, ciel : Himmelberg, -geist, -kron, -pforte, -pforten, -ried, -reich, -stadt, -thür, -thal, etc.

Teufel, diable, démon : Teufelsgraben (Graben, fossé), Teufelshörner (Horn, corne), Teufelskanzel (chaire du diable : Kanzel, chaire ;, Teufelsleiter (Leiter, échelle), Teufelsloch (Loch, trou, cavité), Teufelsmauer (Mauer, muraille), Teufelssee (See, lac ; mer), Teufelstein, Teufelstisch (Tisch, table).


  1. Le nom de ce dieu paraît indiquer une statue en pierre, un monument en pierre (v. h. all. stauf, rupes, saxum).
  2. Cette localité doit son nom à un ermite qui, au vie siècle, indiquait la route aux voyageurs et donnait l’hospitalité aux pèlerins.
  3. Ce nom (voy. P., p. 109) rappelle celui d’un évêque d’Hildesheim et d’un évêque de Mayence. Il est probable que le nom de l’évêque d’Hildesheim fut donné à cette montagne, parce qu’il s’assimilait aisément avec son ancien nom celtique. Nous ne voyons aucune raison de supposer, avec Stumpf, que ce nom est dû à des Goths qui, chassés de l’Italie par Narsės, se réfugièrent en Suisse.
  4. En Prusse, on trouve une ville de ce nom, fondée par les Deutschritter (connus sous le nom de chevaliers teutoniques), et placée sous le patronage de la sainte Vierge (zu Ehren der h. Jungfrau so genannt).
  5. Smargendorf (village situé non loin de Berlin) est une altération de St. Mariendorf.
  6. Au viiie siècle, cette montagne se nommait Altitona (ce nom indique une hauteur fortifiée : celtique [irland.] alt, élévation ; rocher escarpé ; dun, forteresse). Mais déjà au viie siècle apparaît le nom tudesque Hohenburc qui n’est qu’une traduction du précédent. Ces deux noms avaient trait au mur connu sous le nom de Heidenmauer (mur des païens).