Fabre dEnvieu - Noms locaux tudesques/Chapitre 8

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E. Thorin ; Édouard Privat (p. 279-283).

CHAPITRE VIII

NOMS DÛS À L’ONOMASTIQUE PERSONNELLE ET ÉTHNIQUE
(Die nach Personen genannt).


Un grand nombre de noms de lieux (Ortsnamen) empruntent leur radical déterminant (Bestimmungswort) à des noms d’hommes (Mannsnamen). On a, en effet, désigné fréquemment certaines localités par un nom qui renferme comme signe distinctif le nom de celui qui l’a fondée, de celui qui y a habité, de celui qui s’y est illustré, de celui à qui elle appartenait. Dans ce cas, le nom propre personnel est suivi d’un affixe qui lui donne une signification géographique. Cet affixe exprime le titre du domaine (ac, villa, court, Dorf, etc.)

Il est bon de remarquer aussi que ces noms propres formés de noms personnels (die nach Personen genannt) s’offrent soit dans leur forme complète, soit dans leur forme abrégée. Ajoutons enfin qu’il ne faut pas toujours s’en rapporter aux étymologies fondées sur de simples assonnances. Il est facile de forger des noms et d’imaginer des personnages. On peut ainsi, par exemple, dériver le nom de l’Afrique d’un héros nommé Afer. D’un autre côté, on ne peut refuser d’attribuer des noms géographiques à des noms d’hommes qui ont réellement existé. Il est bien certain que le nom de l’Amérique dérive du nom d’Améric Vespuce (voy. P., p. 114, 184) :

Andelsbuch (jad. Andoltis-buoch ; d’un certain Andolt [puissant par l’ardeur, par la vengeance] et de Buche, hêtre ; — forêt de hêtres), Behring (du navigateur qui découvrit ce détroit ; P., p. 241), Berlepsch (localité du voisinage de Cassel dont le nom est celui d’un géographe : jadis Berahtleibeshuson = à la maison de Berahtleib [corps, personne, vie illustre : Leib, Bert] ; en abrégeant, on a obtenu : Ber-leibes-sen [= Hausen], Berlebesen, Berlebsen et Berlepsch), Bissingen (champ de Busso, Bosso, ou Boso ; P., p. 244), Braunschweig (Brunonis vicus ; — du duc Bruno), Braunsberg (doit son nom à Bruno, évêque d’Ermeland, qui jeta les fondements de cette ville, en 1255), Carlsbad (de Carl iv, roi de Bohème ; P., p. 130), Carlshöhle, Carlsruhe (repos de Charles : Ruhe, repos, délassement, retraite)[1], Carlstadt (en Hongrie ; d’une forteresse construite par l’archiduc Charles, 1579 ; ou du roi Charles ii), Emmerich (d’un comte nommé Emmeric, P., p. 114), Esslingen (jad. Ezzilinga ; c’est-à-dire terroir d’Azzilo ou d’Ezzelin ; P., p. 245), Friedrichsberg ; burg, hall (galerie ; salle), hamm (abri), ort, stadt, thal, etc. ; Geroldsau, Gotha (ville qui ne doit pas son nom aux Goths, mais à l’abbé Gotthard, son fondateur, dont la statue se voit encore sur une fontaine)[2], Gersdorf (Geroldes ou Gerardes ; P., p. 36, 109), Gossweiler (la ferme, le village de Gozo, contract. de Gottfried, P., p. 239, 244), Harlem (= Herr-Lems-Stadt, ville du roi Wilhelm ou Lem), Hermannsburg (d’Hermann, P., p. 32), Hermannsfeld, Hermansacker (Acker, champ), Hermannsburg, grün, stadt, spiegel (Spiegel, miroir), stein ; Karlsburg ; — Leidenhofen (de Liudo ; P., p. 244), Ludwisgshaven (création du roi Ludwig de Bavière ; P., p. 138, 141), Ludwigshall (saline de Hesse), Ludwigshöle, Ludwigslust (Lust, plaisir, réjouissance, agrément), Oranienburg (fondée par Louise, femme du prince d’Oranien [= Orange] ; les princes d’Orange doivent leur nom à la ville d’Orange, sur le Rhône ; le même nom a été donné à Oranje-River, en Afrique), Porrentruy (all. Pruntrut ; de Pons Ragnetrudis, parce que la reine de ce nom [P., p. 188], femme de Dagobert Ier, y fit construire un pont), Ribeauvillé (Ratbertovillare, Rabaldovillare, Rutpoldesvillare ; P., p. 169, 176), Sigmaringen (aux champs de Sigmar ; P., p. 156), Thionville (all. Diedenhoven, Theodonis [P., p. 63] villa)[3], Weiblingen (aux champs de Wippo, Webilo ; voy. Wibo, P., p. 213 ; — F., p. 175), Witgenstein (jad. Widegenstene, pierre, rocher de Wittige ou de Wittekind ; P., p. 226, 227).

Les noms suivants sont faciles à comprendre : Amaliensruh, Annenruh, Antoinettenruh, Augustenruh, Carolinenfeld, Charlottenburg, Emelinenhütte, Karolinenhorst, Margarethenhausen, Theresienstadt, etc.

D’autres noms ont été formés avec des noms de famille : Meiersberg (Meier, préposé ; métayer ; fermier, majordome), Schulzendorf (Schulze, maire).

Pour expliquer les noms qui, dans le Schleswig et en Danemarck, finissent par sen, on a dit que le fils distinguait son habitation, en ajoutant le mot sen (Sohn) à son propre nom. On a donc traduit Petersen par « fils de Pierre, » Nielsen par Niklassohn. Mais sen est ici pour Hausen (v. p. 238).

Chez les Slaves, nous mentionnerons les villes suivantes qui sont formées avec un nom propre d’homme : Breslau (en polonais Wraclaw qui devrait son nom à un roi nommé Wratislaw, son fondateur), Bunzlau (de Boleslaw), Lübeck (le vieux Lübeck, das alte Lübeck, fut une forteresse que la tribu slave des Wilzen bâtit contre les Obotrites).

Noms ethniques. — Les noms géographiques qui proviennent des noms de peuples sont très nombreux : Angleterre (des Angles), Bavière ou Baiern (des Boïens ou Bajovarii), Belgique (des Belges), etc. Ces noms trouveront leur explication, lorsque nous nous occuperons, dans un ouvrage spécial, des noms ethniques dérivés du tudesque. Nous ne nous proposons pas non plus d’indiquer ici les villes qui ont formé leur nom avec celui de la tribu dont elles étaient l’oppidum ou le camp retranché (Paris, des Parisii ; Reims, des Remi, etc.). Qu’il nous suffise de mentionner les noms suivants : Katzenellenbogen (des Chattes ou Hesses), Danzig (polon. Gdansk, lat. Gedanum ; que l’on dérive de Godanske = Gothenstadt = ville des Goths, ou de Danske Wick = ville des Danois), Francfort (Frankfurt am Main ; gué, passage [Furt] des Francs), Frankenberg, Frankeneck, Frankenstein, Frankenthal ; Türkheim et Döringheim (jadis Türincheim = logis du Thuringien), Türckau, Türkenfeld.

Les mots Welsch et Wall rappellent les Celtes : Welschenbeck, Welschingen ; — Wallersdorf, Wallenfels, Wallenhorst, Wallenburg, etc. ; — Walenkamm, Walenstadt, etc.

Dans les contrées voisines des pays où règnent les langues romanes certaines localités sont distinguées par les mots deutsch et wälsch. Ainsi : Deutsch Steinach et Wälsch Steinach ; Deutschneureuth et Wälschneureuth, etc.

Dans les contrées où les Allemands se mêlent aux Slaves, quelques localités sont distinguées par l’épithète de deutsch et d’autres par le nom ethnique de la nation voisine : Deutsch-Brod et Böhmisch-Brod (brod = gué). En Styrie et en Illyrie, la présence des Slaves est indiquée par les mots wendisch ou windisch : Windischgrätz, Windischkappel, etc.


  1. Ville fondée par le margrave Carl Wilhelm dans un endroit de la forêt du Hart (Hartwald) où il avait pris quelques instants de repos. Ce prince y fit ensuite construire un pavillon de chasse. La tour du château est appelée Bleithurm (tour de plomb), parce qu’elle est couverte de plomb (Blei).
  2. Dans cette ville, il y a un château nommé jadis Grimmenstein (rocher de la colère) et aujourd’hui Friedenstein (rocher de la paix).
  3. Theodo a le sens de Publius (P., p. 65). Mais, dans l’ancien nom de Thionville, ce nom se rattache peut-être à une forme celtique défigurée. Thionville (Seine-et-Oise) se nommait jadis Thyoinvilla et Taignunvilla.