Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (trad. Daremberg)/Tome II/V/15

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Galien-Oeuvres anatomiques physiologiques et médicales (1856)
Traduction par Charles Victor Daremberg.
Baillière (IIp. 131-157).
LIVRE QUINZIÈME.


organes génitaux (suite). — des parties propres au fœtus. — de l’articulation ischio-fémorale.


Chapitre premier. — Que le membre viril ne pouvait pas occuper une autre place que celle qu’il occupe actuellement, et qu’il devait être fait d’une substance particulière. — À ce propos, Galien entre dans de véritables extases sur l’art admirable du Créateur.


Ainsi, après les nombreux et admirables organes inventés par la nature pour perpétuer l’espèce, et que nous avons fait connaître dans le livre précédent, si vous examinez la structure du pénis, en le disséquant, vous trouverez, j’en suis certain, que dans sa création l’habileté déployée par la nature n’est certes pas moins admirable que dans aucun de ses organes. D’abord, et c’est un fait compris et connu de tous, puisqu’il était préférable de créer doubles les animaux destinés à engendrer, ainsi qu’il a été précédemment démontré (XIV, vi), la nature, en conséquence, lorsqu’elle disposait les parties, a rendu propres les unes à recevoir, les autres à sécréter le sperme. En second lieu, elle a doué de facultés les organes qui devaient être capables d’en user convenablement ; enfin toutes les parties des organes, même les plus petites, se trouvent dans les meilleures conditions de situation, de grandeur, de structure et de configuration, en un mot, possèdent toutes les qualités inhérentes aux corps, nous l’avons dit mille fois. Dans tous ces organes, vous ne sauriez trouver une partie qui soit superflue ou qui fasse défaut, qui ait besoin d’être changée de place ou de forme, à laquelle manquent la densité, si la densité lui est profitable, la rareté, si elle lui est utile, les méats, si elle doit sécréter une humeur, les cavités, si elle sert de réceptacle ; toutes enfin ont le degré de perfection conforme à leur utilité propre. En effet, vous ne pourriez imaginer une place préférable pour les organes génitaux de l’un ou de l’autre sexe ni dans aucune autre partie du corps entier, ni même dans la région qu’ils occupent, que vous les écartiez tant soit peu de leur position actuelle, soit plus en avant, ou plus en arrière, soit plus en haut, ou plus en bas. Le précédent livre explique suffisamment qu’ils ont dû être établis dans la région qu’ils occupent effectivement. Sachez comment dans cette région même ils ne sauraient trouver d’avantage au plus petit déplacement (voy. XIV, iii, et p. 91, note 1).

Où voudriez-vous transporter le pénis du mâle, car c’est par lui que je commence ? Est-ce plus près du fondement qu’il n’est actuellement ? Mais alors il serait incliné sur ce dernier et causerait de la gêne dans l’acte de la défécation, à moins qu’il ne vous semble préférable que le membre soit toujours allongé et en érection ; mais vous ne faites que déplacer et prolonger les difficultés. Si, à la vérité, il ne gêne plus dans la défécation, il devient pendant toute la vie embarrassant et facilement exposé aux lésions, comme le serait la main, si elle était continuellement tendue en avant. Peut-être était-il préférable qu’il fût placé plus haut à l’hypogastre ou au pubis ? Mais dites-nous si là aussi, il eût été toujours tendu ou toujours lâche , ou s’il eût pu tour à tour être lâche et en érection. S’il eût été toujours en érection, outre qu’il eût été très-exposé, il serait encore gênant pendant tout le reste du temps, ne devenant utile qu’au moment seul du coït. S’il eût été perpétuellement flasque, il eût été dans ce cas complétement inutile, ne pouvant jamais remplir la fonction pour laquelle il a été créé. Puisqu’il est alternativement relâché et en érection , on doit d’abord admirer que la disposition indiquée comme nécessaire par le raisonnement [pour que le relâchement et l’érection aient lieu] soit précisément celle qui existe ; puis il faut examiner quelle est la structure par excellence capable de permettre au pénis de passer rapidement par des états si opposés.

S’il eût été veineux, il se fût aisément rempli et aisément vidé ; mais est-ce qu’il eût acquis en se remplissant une forte tension ? La faculté de remplir et d’évacuer un vaisseau aussi rapidement n’existe pas dans le sang ; elle appartient à l’air, au pneuma ou à quelque autre substance également pénétrante ; et la tunique de la veine n’aurait pas supporté, en se remplissant, une forte tension ; car il faut, pour exécuter de telles fonctions, une substance forte et nerveuse (fibreuse). Était-il préférable que le pénis fût créé artériel ? Outre les objections déjà signalées à propos des veines, les artères ont encore une certaine régularité de battement, en sorte qu’on ne pourrait les obliger, quand elles sont remplies, à demeurer en cet état, ni, quand elles sont resserrées, à ne plus se dilater derechef. Eût-il donc été préférable de créer nerveux le membre viril ? Mais de quelle espèce de nerf serait-il fait, c’est là le point embarrassant. Ce qu’on nomme proprement nerfs, lesquels dérivent de l’encéphale et de la moelle, outre qu’ils n’ont aucune cavité visible, qu’ils ne sont destinés ni à se dilater, ni à se contracter, se trouvent, vu leur mollesse, dans un état opposé avec la faculté d’entrer en érection. Les nerfs nommés ligaments par Hippocrate (σύνδεσμοι — voy., p. ex., De l’art, § 10, et Lieux dans l’homme, § 5), et nerfs d’attache (νεῦρα συνδετικά) par les médecins modernes, en raison de leur dureté, ne sont pas impropres à l’action de la tension, mais ils manquent de cavités. Les corps nerveux dérivés des muscles (c.-à-d. des aponévroses musculaires) et nommés tendons par Hippocrate, (voy. Dissert. sur l’anat.), sont complètement impropres à la structure du membre viril, non-seulement parce qu’ils n’ont pas plus de cavités que les nerfs cités plus haut, mais encore parce qu’ils sont moins durs que les ligaments. Et cependant, comme il existe en tout trois espèces de corps nerveux, si l’on trouve que l’une, celle qui dérive de l’encéphale et de la moelle, et que l’autre, issue des muscles (c.-à-d. des aponévroses), sont également impropres, par deux raisons, comme plus molles qu’il ne convient au membre viril et comme dépourvues de cavités, que la troisième, naissant des os (ligaments proprem. dits), est utile en tant que dure, mais impropre en tant que privée de cavité, il ne reste, on le voit, aucune espèce de nerfs convenable pour la structure du membre viril. Ni les artères ni les veines ne conviennent, nous l’avons également démontré. Ni chair, ni glandes, ni os, ni cartilage, ni toute autre substance analogue ne conviennent davantage ; cela est de toute évidence.

Ne devons-nous donc pas tout d’abord admirer la sagesse et en même temps la prévoyance du Créateur ? En effet, comme il est beaucoup plus facile de donner une idée des choses créées que de créer effectivement la chose, notre parole demeure tellement au-dessous de la sagesse du Créateur de l’homme, que nous ne pouvons même pas expliquer ce qu’il a créé si aisément. Ensuite, après avoir témoigné de notre admiration, et de notre embarras à expliquer quel est cet expédient employé dans la structure des organes génitaux, il faut en venir à la dissection de la partie et examiner si le Créateur de l’homme n’a pas imaginé quelque nature de corps propre au membre viril. Puis, si nous ne découvrons rien qui ne se voie dans quelque autre partie, nous devons admirer comment des mêmes organes (tissus) il a tiré des actions différentes. Si nous trouvons quelque substance qui n’existe dans aucune partie, nous devons louer à cet égard la prévoyante du Créateur, et n’abandonner la substance découverte qu’après l’avoir exactement observée en la disséquant. Vous pouvez être guidé dans vos recherches par un médecin qui s’occupe des œuvres de la nature. À défaut d’un médecin, examinez du moins par vous-mêmes le corps nerveux issu des os appelés pubis, corps à la fois creux et exempt de toute humidité (corps caverneux).

Voilà ce corps que nous cherchions tout à l’heure par le raisonnement sans le découvrir, et que nous n’aurions jamais trouvé sans l’aide de la dissection. En effet, ce que nous n’avions vu dans aucune autre partie du corps entier, nous n’osions pas l’imaginer.

Si nous sommes réellement instruits des choses de la nature, nous devons parfaitement supposer que le corps spécial du pénis, devant être à la fois dur et creux, naîtra d’un os comme les autres ligaments, mais que, seul entre tous, il sera creux ainsi que l’exige ce à quoi il sert. Le Créateur de l’homme a donc voulu que les choses fussent ainsi disposées. Maintenant qu’elles sont telles, n’allez pas tenter de découvrir, n’ayez pas la présomption de chercher comment elles ont été créées. En effet, si pour constater leur existence il vous a fallu l’aide de la dissection, oseriez-vous raisonnablement chercher comment elles ont été créées ? Il vous suffit d’avoir découvert que toute partie est disposée comme l’utilité l’exige ; mais si vous tentez de chercher comment elle a été créée ce qu’elle est, vous prouvez ainsi que vous ne comprenez ni votre faiblesse, ni la puissance du Créateur. Puisqu’il est démontré que cette partie du membre viril, qu’il faille l’appeler nerf ou comme il vous plaira, doit avec toute raison dériver des os, à cause de la substance qui, avons-nous dit, les constitue, et parce que cela était préférable en vue de ses fonctions, afin que tout le pénis issu d’un corps fixe se maintînt droit et sans inclinaison, revenons à notre sujet dont une digression nous a écarté.

Chapitre ii. — Pourquoi le pénis devait occuper précisément la place à laquelle il se trouve en réalité. — Quelles sont les questions que Galien se propose d’étudier ici à propos du membre viril.


En commençant à discourir sur la position des organes génitaux,nous avons démontré que ce qu’on nomme la verge a dù être engendré par les os. Si elle doit dériver des os, il lui était possible, mais non préférable, comme nous l’avons démontré précédemment (chap. i), d’être plus rapprochée du fondement qu’elle ne l’est en réalité ; quant à être placée au-dessus du pubis, cela lui est absolument impossible, car il n’existe là aucun os. Elle naîtra donc nécessairement des os du pubis, et encore de leurs parties supérieures. De cette façon, elle sera le plus éloignée possible du fondement et le mieux placée pour le coït. Qu’elle ne soit pas située plus à gauche ou plus à droite qu’elle n’est, cela s’explique de la manière suivante : nous avons souvent déjà dit, et notamment dans ce qui précède (à propos des viscères et des organes des sens), que si une partie ne forme pas une paire avec une autre partie, elle recherche la position moyenne ; que si au contraire il existe deux parties semblables, chacune d’elles veut s’écarter également du milieu, et que si dans quelques cas rares cette régularité n’est pas observée, il faut alors chercher la cause de la différence, comme nous l’avons démontré à propos du foie (IV, vii ; t. I, p. 288), enfin que dans le cas où elle est observée, il est inutile d’en faire mention.

Après avoir parlé assez longuement de la position du pénis, de la nature et de la génération des nerfs creux et caverneux qui s’y trouvent, nous expliquerons les autres particularités de leur structure, en négligeant celles qui sont évidentes pour tout le monde, celles-ci, par exemple : que le pénis doit être unique, avoir des artères, des veines et être revêtu d’une peau. Ces détails ne rentrent plus dans l’examen de l’utilité des parties, mais sont du ressort des problèmes naturels (cf. VII, xxii ; t. I, p. 522). Il en est de même de cette autre question : comment se produit dans le membre viril l’érection volontaire et parfois l’érection involontaire ? Mais que le fait ait lieu quand le nerf creux est rempli de pneuma, cela rentre dans notre sujet actuel. Le comment du fait est un problème naturel. C’est renfermé dans ces limites que nous devons compléter la démonstration.

Chapitre iii. — L’érection du pénis a deux utilités : permettre son introduction dans le vagin et faciliter l’éjaculation du sperme. Dispositions anatomiques qui favorisent cette éjaculation. — Avantage qu’il y avait à faire servir le canal de l’urèthre pour l’émission du sperme et de l’urine. — Utilité des lèvres de la vulve chez la femme et du prépuce chez l’homme.


Il nous reste d’abord à expliquer le fait que nous signalions tout à l’heure, en d’autres termes, la nécessité pour le membre viril d’une tension parfaite pendant le coït. Si cette tension parfaite du membre viril est utile, ce n’est pas seulement en vue de son intromission dans le vagin, comme on le croirait peut-être, c’est encore pour que le conduit se dilate et se maintienne droit, afin de lancer le sperme aussi loin que possible. Si, en effet, le sperme n’est pas porté en droite ligne, parce que le canal est recourbé ou retombe sur lui-même, il s’arrêtera à ce point. Aussi les individus affectés d’hypospadias sont-ils dans l’impossibilité d’engendrer, leur méat étant contourné par le frein de l’extrémité de la verge ; non qu’un sperme fécond leur manque, mais parce qu’arrêté par la courbure de la verge, il ne peut être porté en avant. Cette explication est vérifiée par la guérison ; car, une fois le frein coupé, ils engendrent. Ce défaut eût été général, si la nature n’eût pourvu à ce que le méat devînt à la fois large et droit dans le coït.

Un autre expédient trouvé par la nature contribue encore à procurer ce résultat ; c’est la situation du corps nerveux lui-même et des muscles placés de chaque côté. En effet, le conduit du sperme est situé aux parties inférieures du membre viril, s’étendant dans sa longueur sur la ligne médiane. Au-dessus de ce canal se trouve le nerf creux (corps caverneux), et de chaque côté deux muscles (ischio et bulbo-caverneux) destinés à élargir dans les deux, sens le conduit tiré en arrière comme par des mains, tandis que le membre viril lui-même demeure stable.

Par suite de cette structure, le canal devait être maintenu large ; or, il est utile, dans l’éjaculation du sperme, que le conduit soit exactement maintenu à la fois très-large et très-droit, pour que tout le sperme pénètre en un seul jet, aussi rapidement que possible, dans les sinus des matrices. La vessie étant placée dans le voisinage, il n’y avait pas avantage à créer un autre conduit pour l’émission de l’urine, plutôt qu’à employer celui du sperme. C’est donc avec raison que le col de la vessie occupe toute la région du périnée, s’élevant au-dessus de l’anus sur lequel il repose dès son origine jusqu’à ce qu’il débouche dans le membre viril.

Chez la femme, dont le pudendum n’est pas saillant au dehors, le col de la vessie n’a pas un semblable prolongement ; mais le pudendum lui-même est situé au-dessus de l’anus ; à son extrémité supérieure aboutit le col de la vessie, lequel déverse l’urine, n’ayant besoin d’être ni si flexueux, ni si allongé que chez l’homme.

Les apophyses charnues, qui, dans les deux sexes, se trouvent à l’extrémité du pudendum, chez la femme, servent d’ornement, et sont disposées en avant des matrices comme un rempart contre le froid (grandes et petites lèvres) ; chez l’homme (prépuce), outre qu’elles contribuent à l’ornement, leur absence absolue paraîtra impossible, si l’on se rappelle les précédents raisonnements où nous démontrions comment se conforme l’être mâle et l’être femelle (XIII, vi, xiii et xiv[1]). La protection que le pharynx trouve dans la luette (cf. XI ; t. I, p. 676 et suiv.) existe pour les matrices dans ce qu’on nomme nymphes. Elles garantissent et en même temps défendent contre le froid l’orifice du col de la matrice qui aboutit au vagin chez la femme. Telles sont les différentes parties des organes génitaux avec leur disposition, leur grandeur, leur conformation et toutes leurs autres particularités, dont on peut découvrir sans moi l’admirable ordonnance.


Chapitre iv. — Du nombre et de la disposition des membranes du fœtus. — Origine, marche et insertion des vaisseaux utéro-placentaires et des vaisseaux ombilicaux.


Toutes les ressources d’habileté que déploie la nature chez le fœtus en le conformant, en empruntant pour lui à la mère la nourriture et la respiration, en disposant des réceptacles pour ses superfluités, sont difficiles à expliquer clairement. Considérées attentivement dans la dissection, elles forcent bien vite le spectateur à l’admiration. En effet, le fœtus tout entier est de toutes parts enveloppé d’une membrane mince nommée amnios, laquelle reçoit ce qui peut passer pour la sueur du fœtus. Sur cette membrane est placée une autre membrane plus mince appelée allantoïde, qui s’ouvre dans la vessie du fœtus et laisse s’accumuler en elle jusqu’à la naissance ce qu’on peut appeler l’urine du fœtus. Cette membrane est recouverte circulairement par le chorion, lequel tapisse intérieurement toute la matrice (cf. chap. v, p. 141-2), afin qu’elle ne soit pas en contact immédiat avec son contenu5 et c’est par cet intermédiaire que le fœtus est rattaché à la matrice[2].

À chaque orifice des vaisseaux qui pénètrent dans la matrice, et par lesquels y était porté le sang menstruel, naît à l’époque de la gestation un autre vaisseau, artériel à l’orifice de l’artère, veineux à l’orifice de la veine, de sorte que les vaisseaux engendrés sont égaux en nombre aux orifices qui aboutissent dans la matrice. Ils sont rattachés les uns aux autres par une membrane mince, mais forte, qui adhère extérieurement à tous les vaisseaux et s’insère sur les parties intérieures de la matrice. Cette membrane s’étend en double sur toutes les parties de la matrice situées entre les orifices des vaisseaux (voy IV, xii ; t. I, p. 334) ; elle se prolonge et s’avance avec tous les vaisseaux mentionnés, revêtant de ses deux parties la moitié de chacun d’entre eux, en sorte que cette double membrane est pour les vaisseaux un abri, une protection et un lien qui unit les vaisseaux entre eux et avec les matrices. Chacun des vaisseaux est petit au moment où il sort de la matrice, comme sont les extrémités des racines d’un arbre enfoncées dans la terre. Peu à peu en avançant ils se rapprochent et s’unissent, et de deux vaisseaux n’en forment plus qu’un seul ; puis il y a une nouvelle jonction entre deux vaisseaux semblables. Cette union progressive ne cesse que quand tous lès petits rameaux sont confondus en deux grands vaisseaux qui comme des troncs pénètrent dans le fœtus par la région ombilicale. On y trouve en tout quatre vaisseaux, deux artères et deux veines[3], aucune jonction n’ayant eu lieu entre des vaisseaux de différent genre, mais toujours les veines s’unissant aux veines et les artères aux artères.

Vous pouvez donc considérer cela comme une œuvre capitale de la nature, quand même je n’en ferais pas la remarque. En effet, que dans un si long circuit, parmi tant de vaisseaux mêlés les uns aux autres, jamais on ne trouve une veine qui vienne grossir une artère, ni une artère qui vienne grossir une veine, mais que toujours chaque espèce de vaisseaux se reconnaisse et s’unisse, c’est là une preuve d’un art admirable et non d’un hasard irréfléchi. En outre, que chez tous les animaux dont la nature est de bondir, comme les cerfs et les chèvres, les vaisseaux de nouvelle formation soient rattachés aux matrices, non par des membranes minces seulement, mais par des chairs visqueuses comme un enduit, n’est-ce pas là encore une preuve d’admirable prévoyance ? Si de plus ni veine ni artère ne s’insèrent sur le fœtus nulle part ailleurs qu’à l’ombilic, lequel occupe le centre de l’animal entier, cela non plus n’indique pas une habileté vulgaire. N’est-il pas admirable aussi que les veines ne dépassent pas le foie pour se fixer sur quelque autre viscère, et que les artères ne se portent pas ailleurs qu’à la grande artère (c.-à-d. aux artères iliaques primitives), laquelle naît du cœur lui-même ? L’intervalle qui sépare les vaisseaux n’a pas été non plus déterminé au hasard ; les vaisseaux ne s’insèrent pas sur les premières régions venues du foie et de l’aorte, mais les veines vont aux parties concaves du foie, et les artères à la partie de la grande artère voisine des lombes ; or, ce sont là les marques d’une habileté non méprisable. On peut voir, en effet, les veines, sitôt qu’elles ont franchi l’ombilic, se réunir l’une à l’autre et n’en former plus qu’une seule, puis cette veine unique revêtue de fortes membranes et rattachée aux corps voisins (cf. IV, xiii ; VI, xxi), continuer sa route jusqu’au viscère ; car elle devait arriver d’abord au principe des veines dans le fœtus, puis de là se distribuer partout. Pour les artères, elles devaient s’insérer sur le principe des artères, savoir, le ventricule gauche du cœur ; mais celui-ci étant fort éloigné de la région ombilicale, il y avait danger pour elles à accomplir, pour ainsi dire suspendues, un si long trajet. Qu’y avait-il de mieux à faire que de les mener par l’intervalle le plus court aux artères issues du cœur ? Or, la grande artère naît du cœur, et repose sur le milieu du rachis dont elle occupe toute la longueur. C’est donc à celle-ci que devaient aboutir et se rattacher les artères venant de la matrice dans le fœtus ; elles vont y déboucher et s’y rattachent effectivement ; ici encore la nature n’a évidemment rien fait en vain. Pourquoi donc ne les a-t-elle pas menées à la grande artère par le plus court chemin ? En effet, le chemin le plus court est le plus sûr et le plus habituellement adopté par la nature, comme il a été démontré dans les livres précédents (voy. IX, xiv ; XIII, v et ix) ; et faut-il ici encore admirer la prévoyance de la nature ? En fait de chemins, quand elle ne voit pas d’autre avantage [à une disposition contraire], c’est le plus court qu’elle choisit. S’il se trouve que la longueur du trajet offre plus de sécurité que sa brièveté, elle n’hésite pas à adopter le plus long. C’est pour ce motif que dans le cas actuel elle a préféré à un chemin abrégé mais dangereux un chemin plus long mais très-sùr. En effet, elle a évité avec raison de conduire directement de l’ombilic au rachis les artères, qu’il y en ait deux ou une, ne pouvant en aucune partie de leur trajet les appuyer sur aucun organe, circonstance à laquelle il faut encore ajouter que cette région était déjà occupée par les intestins et les reins. La vessie étant proche, surtout dans le fœtus (car chez ceux-ci le fond de la vessie adhère à la région ombilicale), il était aisé aux artères de monter d’abord par cet endroit, et le long de la vessie tout entière comme sur un support, pour faire ainsi route jusqu’à la grande artère. Mais elles n’y vont pas simplement, car cheminant sur un terrain convexe, elles n’auraient pu demeurer stables, n’étant retenues par aucun lien. Aussi la nature les a-t-elle rattachées toutes deux par de forts ligaments, chacune à la portion de la vessie qu’elle touche. C’est ainsi qu’elles arrivent sûrement jusqu’à la grande artère, comme si elles faisaient partie de la vessie elle-même. Telle est la prévoyance qui a présidé à l’arrangement des artères.

Mais pourquoi la veine se fixe-t-elle sur les parties concaves du foie (sillon transversal), et non sur les parties convexes ? Parce qu’en cet endroit était situé le canal de la bile (canal cholédoque), et qu’il était préférable que le sang fût purifié avant de se distribuer dans l’animal tout entier. Pourquoi, à partir de l’ombilic, la veine devient-elle unique, tandis que les artères demeurent pendant longtemps au nombre de deux ? N’est-ce pas parce qu’il était plus sûr pour les veines de ne former en se réunissant qu’un grand vaisseau, En effet, ce qui est plus volumineux est toujours moins exposé aux lésions ; d’ailleurs ce vaisseau devait s’insérer sur une seule partie du foie. Pour les artères qui devaient cheminer en toute sûreté sur la vessie, sans pénétrer immédiatement dans le ventricule gauche du cœur, il n’était pas nécessaire qu’elles ne formassent qu’un tronc. Évidemment, si la nature les eût fait monter, suspendues, vers le cœur, comme les veines vers le foie, elle eût immédiatement réuni ces artères en une seule.


Chapitre v. — Origine du nom de la membrane allantoïde. — Position des vaisseaux ombilicaux par rapport à l’ouraque. — Du chorion. — Utilité de l’allantoïde et des eaux de l’amnios : pendant la vie intra-utérine, ces eaux soutiennent le fœtus suspendu, et, au moment de l’accouchement, elles facilitent son expulsion. — Admirables dispositions prises par la nature pour la juxtaposition et l’entrelacement des membranes. — Comment il se fait que l’urine contenue dans la vessie s’échappe, non par le canal de l’urèthre, mais par l’ouraque, dans l’allantoïde ; réfutation des erreurs commises par les médecins à ce sujet. — Comparaison de l’ouraque et du canal de l’urèthre.


Il existe donc, comme nous le disions (chap. iv), quatre vaisseaux à l’ombilic, deux artères et deux veines ayant l’ouraque à leur centre ; tel est, en effet, le nom donné ordinairement par les anatomistes au canal qui du fond de la vessie amène l’urine dans la membrane allantoïde dont nous parlions tout à l’heure. Cette membrane est ainsi appelée à cause de sa ressemblance avec une saucisse.

Des quatre vaisseaux qui entourent l’ouraque, les veines se trouvent à la partie supérieure ; car il était préférable qu’elles remontassent immédiatement vers le foie. Les artères se trouvent à la partie inférieure, car il était préférable qu’elles descendissent portées sur les côtés de la vessie. La nature a donc immédiatement établi en un lieu favorable l’une et l’autre paire de vaisseaux ; et par ces vaisseaux, comme par des troncs, l’embryon tire de la matrice le sang et le pneuma. Entre tous ces vaisseaux et les petits vaisseaux qui s’insèrent dans la matrice elle-même, se trouve une sorte de chevelu.

On appelle chorion (placenta) cette radication formée d’une multitude de vaisseaux qu’on ne saurait compter facilement, et qui sont rattachés par une membrane mince (membrane chorion et couche couenneuse utéro-placentaire). Nous avons dit plus haut (chap. iv, p. 138) que cette membrane est double, et nous en avons indiqué la raison. Tous les vaisseaux du chorion s’avancent entre les deux feuillets qui les rattachent et les protègent en même temps.

Des deux autres membranes, celle qu’on nomme allantoïde et qui débouche par l’ouraque dans la vessie, ainsi que nous le disions plus haut, est disposée comme réceptacle de l’urine.

Il est de beaucoup préférable que le fœtus n’urine pas par la verge, mais par l’ombilic, ainsi que cela a lieu en réalité. En effet, le fœtus tout entier étant enveloppé par la membrane nommée amnios, laquelle reçoit une autre sorte d’humeur, il n’était pas convenable que cette humeur se mêlât à l’urine, car le liquide contenu dans l’allantoïde, outre qu’il est plus ténu et plus jaune que le liquide de l’amnios, est évidemment encore plus âcre, puisqu’il frappe et offense l’odorat de ceux qui dissèquent la membrane. Le liquide accumulé dans l’amnios, sous forme de sueur qui baigne le fœtus, ne peut aucunement blesser son derme. L’urine est éloignée et séparée du fœtus ; elle ne touche ni le derme ni les veines du chorion, afin de ne pas nuire par son âcreté aux parties voisines. Le liquide amniotique présente une utilité assez grande ; en effet, le fœtus surnageant pour ainsi dire dans ce liquide perd de son poids, et remonte, de sorte qu’il devient moins lourd pour les ligaments qui le rattachent à la matrice. C’est cette idée qui a fait dire à Hippocrate (Aph. V, 45) : « Quand les femmes grosses avortent au bout de deux ou trois mois, sans cause apparente, c’est que les cotylédons sont pleins de mucosités ; ne pouvant plus supporter le poids du fœtus, ils se rompent. » Il appelle cotylédons[4] les orifices des vaisseaux qui pénètrent dans les matrices, ainsi que cela a été démontré dans d’autres livres (Comm. sur les Aph. V, 45 ; De la sem. I, vii), et dit qu’ils ne peuvent porter et soutenir l’embryon quand ils sont remplis de mucosités, mais que, cédant au poids, ils se rompent. Cet accident arriverait perpétuellement à toutes les femmes grosses si le fœtus, en nageant dans le liquide amniotique, ne devenait plus léger, et si par conséquent il n’en résultait pas un moindre tiraillement pour les vaisseaux qui s’abouchent avec ceux de la matrice. Ceux qui prétendent que le fœtus devient plus léger pour la mère elle-même, parce qu’il nage dans le liquide amniotique, sont complétement ridicules, ne comprenant pas que le liquide aussi est porté par celle-ci.

Une autre utilité commune à ces liquides se manifeste encore à l’époque de la naissance de l’animal. Enveloppé par un liquide abondant, le fœtus franchit plus aisément le col de l’utérus, attendu que les membranes se rompent nécessairement aussi à ce moment. En effet, le liquide sert non-seulement à faire glisser le fœtus, mais encore il dispose le col de la matrice à se dilater considérablement ; lubrifié par les liquides que nous venons d’indiquer, il devient plus mou et se dilate plus aisément. Une grande preuve à l’appui de notre assertion nous est fournie par la pratique des accouchements : si le liquide vient à s’échapper subitement et prématurément, les sages-femmes, forcées elles-mêmes d’imiter la nature, possèdent certaines préparations liquides pour humecter le col de l’utérus. En effet, les œuvres de la nature sont d’une fécondité immense ; comme il a été souvent démontré (voy. V, iii, t. I, p. 339), elle se sert en vue du mieux de ce qui avait été créé primitivement en vue du nécessaire. C’est ainsi que ces liquides, qui ont été créés par nécessité en vue de l’embryon, sont employés par la nature à rendre exempte de toute gêne la suspension de cet embryon et à faciliter sa sortie au temps de l’accouchement.

De plus, les membranes sont si minces et si délicates qu’en les disséquant, si on ne les touche pas avec précaution, elles se déchirent aisément. Comment donc ne se déchirent-elles pas quand une femelle grosse vient à courir et à sauter ? Cela résulte d’une disposition très-ingénieuse de la nature, qui sait que la plus grande garantie de tous les corps minces contre les lésions est la juxtaposition de ces corps. C’est ainsi que les corps composés de laine ou d’autres poils ou de fibres, tressés et entrelacés, acquièrent par cet assemblage une solidité considérable, tandis que chacune des parties, prise à part, est naturellement très-faible. Si donc les membranes étaient non-seulement agglomérées comme le sont les substances des objets tissés et tressés par nous, mais encore possédaient une cohérence exacte, leur force s’en trouverait considérablement accrue. Il n’est donc pas étonnant que les quatre membranes superposées tirent de la force de leur union intime. Ce qu’il y a de plus étonnant encore, c’est que non-seulement elles reposent les unes sur les autres, mais qu’elles sont soudées en plusieurs endroits, et aussi qu’en plusieurs endroits elles se rattachent mutuellement par de minces prolongements de fibres, la nature ayant voulu les unir autant que possible afin que toutes conjointement obtinssent cette force qui manquait à chacune d’elles prises isolément. Pourquoi, dira-t-on peut-être, la nature, pourvoyant à la sécurité de toutes les membranes, n’a-t-elle pas, dès le principe, créé forte chacune d’elles ? Si elle les eût faites épaisses et dures, car il n’était pas possible de leur donner la force par un autre moyen, un fardeau lourd et en même temps très-volumineux eût été attaché à l’utérus de la femme grosse, fardeau qui non-seulement eût été fâcheux pour celle-ci, mais qui devait encore rétrécir sans nécessité la place réservée au fœtus. En outre, chacune d’elles se fût malaisément rompue au temps de l’enfantement. Afin donc que toute la place restât libre pour le fœtus, que la femme grosse fût moins incommodée par le poids et que les membranes se rompissent facilement pendant l’accouchement, la nature avec raison, créant minces toutes les membranes, a pourvu à leur sécurité en les rattachant les unes aux autres.

Quel expédient, car il me reste à le faire connaître, la nature a-t-elle inventé pour que, tout en ayant déjà ouvert le méat urinaire dans le col de la vessie, néanmoins aucun animal pendant la gestation n’urine par ce méat, mais que toute l’urine remonte à l’ombilic et à l’ouraque ? Comme la vessie avait, pendant la vie fœtale, à ses deux extrémités des canaux excrétoires, il semble que l’urine ne devait pas moins être expulsée par l’ouraque que par le col. Les hypothèses des médecins à cet égard sont tout à fait absurdes, bien qu’à première vue elles paraissent très-plausibles. En effet, ces deux propositions passant comme démontrées que chez l’homme l’émission de l’urine est volontaire, et que le fœtus n’est pas encore capable d’actions volontaires, ils infèrent de là que c’est à bon droit que la sécrétion se fait par l’ombilic ; car il n’existe pas un muscle à l’ombilic qui serve à l’action volontaire de l’animal comme celui du col de la vessie [lequel est sans puissance pendant la vie fœtale]. Mais ils méconnaissent les points essentiels de la question, et se trompent complètement faute de savoir d’abord que ce muscle n’a pas [comme ils le croient] le pouvoir de resserrer le col de la vessie ; en second lieu, que le fœtus est déjà susceptible d’action volontaire. Ils ignorent également que l’animal, sorti du sein de sa mère, quand il veut uriner distend et relâche le muscle préposé au canal urinaire, comme il fait pour ceux de l’anus quand il veut aller à la selle. La miction s’effectue par la contraction physique (naturelle ou involontaire) de la vessie sur les liquides qu’elle renferme, avec le concours des muscles de l’épigastre quand nous voulons uriner plus abondamment à la fois. Nous avons suffisamment étudié ces questions dans nos traités Sur les facultés naturelles (I, xiii suiv. et III, iii), et Sur le mouvement des muscles (II, viii et ix), et dans le Manuel des dissections (V, vi). Quant à prouver que ce qui est renfermé dans l’utérus, du moins lorsque toutes les parties de ce produit sont conformées, est déjà un animal, la question est traitée dans nos écrits Sur la démonstration[5] et Sur les dogmes d’Hippocrate et de Platon. Mais, lors même que le contenu de l’utérus ne serait pas un animal, l’explication serait également défectueuse, car le muscle qui ferme l’orifice de la vessie sera oisif.

Comme la vessie se contracte sur le liquide qu’elle renferme, il serait alors naturel que ce liquide s’échappât par les deux canaux et non par celui-là seulement qui aboutit à l’ombilic. Telle est la difficulté de la question sous le rapport du raisonnement ; mais l’œuvre elle-même manifeste l’habileté ingénieuse de la nature en toutes choses, et vous devez d’abord la contempler en disséquant des embryons, avant de découvrir par le raisonnement la cause réelle du fait que je signale. Enlevez la partie du péritoine qui repose sur la vessie, et faites deux choses : relevez l’ombilic et refoulez le liquide renfermé dans la vessie en l’entourant de votre main ; vous verrez l’urine couler dans l’allantoïde par le canal de l’ombilic. Si, à son tour, vous pressez l’allamoïde, vous remplissez la vessie ; puis pressez de nouveau la vessie, vous remplissez l’allantoïde. La vue des choses elles-mêmes vous montrera que le conduit de l’ombilic étant droit et grand, l’urine se dirige tout d’abord dans ce canal. En effet, la largeur de l’ouraque est bien plus considérable que celle du col de la vessie. Quant à la rectitude de direction, comparer ces deux canaux serait injuste : le col de la vessie est très-recourbé (cf. V, xix), l’ouraque est parfaitement droit ; l’ombilic étant relevé et comme suspendu à la matrice par les vaisseaux du chorion, aucun muscle n’enveloppe extérieurement l’ouraque pour empêcher un écoulement intempestif des superfluités, comme le fait chez les animaux venus au monde le muscle du col de la vessie (cf. IV, xix ; V, xvi ; t. I, pp. 332 et 376). Chez le fœtus, en effet, aucun moment n’est inopportun pour l’excrétion de semblables superfluites (IV, xviii) comme chez les êtres déjà achevés. Chez ces derniers, il existe, avec raison, un muscle qui ne laisse rien passer sans le concours de la volonté ; ce muscle chez les embryons serait superflu et inutile. Or la nature ne fait rien inutilement.


Chapitre vi. — Pourquoi, pendant la vie fœtale, le foie l’emporte sur toutes les autres parties. — Après lui viennent l’encéphale et le cœur. — Pourquoi le poumon est également plus rouge qu’après la naissance. — Particularités du système vasculaire chez le fœtus et immédiatement après la naissance. — Du canal veineux et du canal artériel.


Après avoir assez longuement traité ces questions, passons aux autres particularités de structure qui distinguent le fœtus de l’animal venu au monde, et expliquons l’art qui s’y révèle. Nous ne trouverons pas moins digne d’admiration dans le fœtus la grandeur du foie[6] quand nous pourrons voir nettement la conformation de chacune des parties du fœtus ; et ce volume du foie ne diminuera pas jusqu’à l’époque de l’enfantement. En effet, le foie, dans les premiers temps, est d’une grosseur considérable par rapport aux autres viscères, et cette prééminence persiste encore sensiblement jusqu’à l’enfantement. Après lui, l’encéphale et le cœur sont proportionnellement plus volumineux que les autres parties. Cela vient de ce que le foie est le principe des veines, le cœur celui des artères, et l’encéphale celui des nerfs. Si donc les architectes ont raison d’établir d’abord les fondements d’une maison, d’un temple, la carène d’un navire, et ensuite élèvent avec sécurité leurs constructions sur ces fondements, de même la nature, dérivant chaque espèce de vaisseau de son principe propre arrivé déjà à une consistance solide, la prolonge dans tout le corps. L’utilité que tire le fœtus des veines étant la plus importante, attendu qu’il vit longtemps à la façon des végétaux, la nature a immédiatement, dès le premier moment de sa génération, créé très-fort le principe des veines. Pour l’encéphale, pour le cœur et pour les organes que ceux-ci engendrent, l’usage des veines est indispensable, puisque, privés de sang, ils ne pourraient ni naître ni s’accroître. Quant au foie et aux veines, ces parties avaient peu besoin d’artères et nul besoin de nerfs avant d’être achevées. C’est pour ce motif que, dès l’origine, la nature a créé grand et fort le système veineux. Puis elle a commencé à développer chacun des autres.

Mais pourquoi le poumon, chez le fœtus, est-il rouge et non pas blanchâtre comme chez les animaux parfaits[7] ? C’est qu’il est nourri alors, comme les autres viscères, par des vaisseaux qui n’ont qu’une mince tunique ; car, pendant la gestation, le sang arrive de la veine cave à ces vaisseaux. Lorsque les animaux sont nés, l’ouverture des vaisseaux s’oblitère, il y pénètre beaucoup de pneuma, très-peu de sang, et un sang parfaitement ténu. En outre, le poumon est agité d’un mouvement perpétuel quand l’animal respire. Le sang donc, agité par le pneuma en raison du double mouvement qu’il tient des artères et que lui communique le poumon tout entier, devient encore plus ténu, plus léger qu’il n’était et comme écumeux. En conséquence, la chair du poumon, changeant de nature, de rouge, de lourde, de dense qu’elle était, devient blanche, légère et rare : transformation très-utile, je pense l’avoir dit (VI, ii, t. I, p. 382), au poumon, qui, dans les mouvements respiratoires, obéit au thorax ; il serait, en effet, par sa pesanteur, difficile à mouvoir s’il avait une chair semblable aux autres viscères. Il est donc juste ici encore d’admirer la nature, qui, au temps où le poumon avait besoin seulement de se développer, lui fournit un sang pur, et, quand ce poumon devient apte à se mouvoir, lui donne une chair légère comme de la plume, afin qu’il soit aisément dilaté et contracté par le thorax. C’est pour cela que chez le fœtus il existe une ouverture servant de communication (trou de Botal) entre la veine cave et l’artère veineuse (veine pulmonaire. Cf. VI, xx, t. I, p. 452 et note 2). De sorte que, ce vaisseau servant de veine au viscère, il était nécessaire, je pense, que l’autre (artère pulmon.) fît office d’artère ; c’est pour cela que la nature a ouvert celui-ci dans la grande artère (aorte). Mais, en cet endroit, comme il existait un intervalle entre les vaisseaux, la nature a créé un troisième petit vaisseau qui les rattache tous deux (canal artériel). Pour les deux autres vaisseaux (veines cave et pulmonaire), attendu qu’ils se touchent l’un l’autre, la nature leur a donné comme une ouverture commune à tous deux, et a disposé sur cette ouverture une membrane en guise d’opercule ; cette membrane se relève sans peine vers le vaisseau du poumon, afin d’ouvrir passage au courant sanguin qui vient de la veine cave et de s’opposer à son retour dans cette veine.

Toutes ces œuvres de la nature sont admirables, sans doute ; mais au-dessus de toute admiration est l’oblitération qui s’opère bientôt dans la susdite ouverture. En effet, soit aussitôt que l’animal est né, soit un jour ou deux avant sa naissance, chez quelques-uns même quatre, cinq jours ou plus, on peut voir la membrane en train de se souder à l’orifice, bien qu’elle n’y soit pas encore complétement soudée. Quand l’animal est achevé et qu’il a atteint la croissance qui lui est propre, si vous considérez que toute cette partie est maintenant très-dense, vous ne pourrez croire qu’il y ait eu un temps où elle fut percée. Mais si vous voyez, chez les fœtus ou les animaux nouvellement nés, la membrane attachée par sa racine seulement, tandis que tout le corps de cette membrane vous apparaît flottant dans la cavité dés vaisseaux, c’est alors surtout que vous jugerez encore plus impossible qu’elle devienne jamais apte à se souder exactement au pourtour de l’orifice. Pour les corps nerveux et ténus, quand on s’efforcerait de les réunir aussitôt après leur séparation, on n’y parviendrait pas, fussent-ils même depuis longtemps arrivés à leur entière perfection. Cependant cette membrane parvient, avec le temps, à se souder parfaitement, bien qu’elle soit nerveuse et ténue, bien qu’elle soit remuée et agitée continuellement. De même le vaisseau (canal artériel) qui rattache la grande artère à la veine du poumon, tandis que toutes les autres parties de l’animal se développent, non-seulement ne se développe pas, mais devient de jour en jour plus ténue, au point qu’avec le temps elle s’atrophie et se dessèche entièrement.

Que la nature ait habilement conformé toutes ces parties, c’est ce qu’indique l’utilité de chacune d’elles. Quant à la puissance avec laquelle elle accomplit ses œuvres, la comprendre est au-dessus de nous, si, dès le principe, nous n’ajoutons foi à sa puissance qu’après en avoir eu souvent des preuves manifestes. Mais j’arrête ici mes réflexions sur ce sujet ; car je l’ai plus d’une fois traité précédemment alors qu’il s’agissait des organes du poumon.


Chapitre vii. — Pendant la gestation, l’orifice utérin est exactement fermé ; mais, au moment de l’accouchement, il acquiert une merveilleuse faculté de dilatation. — Précautions prises par la nature pour que le fœtus se présente presque toujours bien au passage. — La nature ne s’est pas montrée moins habile et moins sage en dotant l’animal naissant de la faculté instinctive de se servir de ses organes.


Je vais parler d’une autre œuvre de la nature également admirable, mais connue de tous même avant qu’on ait disséqué. Personne, en effet, n’ignore, au sujet de l’orifice utérin, ni qu’au temps de la gestation il se resserre et se ferme exactement, ni qu’à l’époque de l’enfantement il s’ouvre considérablement (voy. XIV, iii, et Fac. nat., III, iii). Or, l’enfantement a lieu quand le fœtus est assez parfait pour pouvoir se nourrir par la bouche. À tout autre moment il serait impossible d’introduire même le bouton d’une sonde dans le col utérin, tandis que dans l’enfantement l’animal tout entier y trouve passage. De même donc que pour la membrane dont il est parlé un peu plus haut (chap. v), nous voyons clairement qu’elle fait corps avec les vaisseaux (aucune sagesse humaine ne saurait expliquer comment cela s’effectue), de même, à propos de la matrice, tous savent que son orifice s’ouvre assez pour offrir au fœtus une issue aisée ; mais comment cela s’opère-t-il, nous ne pouvons à cet égard qu’admirer. Pour ces dispositions et pour toutes les autres relatives à l’enfantement, la nature trouve des expédients admirables. En effet, elle a veillé avec soin à ce que le fœtus arrive au col de la matrice dans la position convenable, à ce qu’il en sorte sans se blesser, et sans se luxer aucun membre, en engageant d’abord la tête du fœtus dans le col de la matrice et en ouvrant ainsi la route aux autres parties. Si le fœtus pour sortir se présentait obliquement ou en travers, ou s’il se présentait dans le sens de sa longueur, ce qui arrive dans des cas rares, mais non pas comme il le fait régulièrement en insérant d’abord la tête dans le col, ou si la jambe ou la main se présente avant la tête, alors la sortie devient difficile pour les autres membres. Donc sur trois ou quatre présentations défavorables, si une fois seulement le fœtus ne pouvait sortir, il arriverait ainsi que sur quatre cents fœtus, par exemple, cent trouveraient obstacle à leur sortie ; mais c’est à peine si cela arrive une fois sur des milliers de cas. Ce fait doit nous remettre en mémoire les avantages dont nous a gratifiés l’habileté de l’artiste qui nous a créés, et nous manifeste clairement non-seulement sa sagesse, mais encore sa puissance. Quel est, en effet, le Phidias ou le Polyclète assez habile artiste pour ne commettre qu’une faute parmi des milliers d’œuvres d’une exécution difficile ?

Mais la nature ne mérite-t-elle nos éloges que pour ces seules dispositions ? ou bien n’avons-nous pas encore omis de signaler la plus admirable de toutes les merveilles ? c’est que cette même nature enseigne à l’être naissant les fonctions de toutes ses parties. Elle n’a pas seulement disposé une bouche, un œsophage et un estomac, comme organes de l’alimentation, mais elle a rendu l’animal à peine né immédiatement capable de s’en servir, en le mettant, par son propre enseignement, en possession d’une certaine faculté instinctive qui dirige chaque animal vers l’aliment qui lui convient. Nous expliquerons ailleurs ce qui sous ce rapport concerne les autres animaux. Pour l’homme la nature a préparé le lait comme aliment, et elle fait coïncider deux choses à un terme préfixe, l’aliment dans les mamelles de la mère, le mouvement spontané qui porte le nourrisson à user de ce lait ; car si l’on introduit le bout de la mamelle dans la bouche du nouveau-né, à l’instant il le presse avec la bouche, à l’instant il attire le suc en ouvrant les mâchoires, puis il le pousse dans le pharynx en recourbant la langue, comme si depuis longtemps il avait appris cette manœuvre. L’œsophage l’envoie ensuite dans l’estomac comme si lui aussi était instruit. L’estomac ayant profité de l’aliment envoie à son tour le superflu aux intestins. Ceux-ci se le transmettent successivement jusqu’au dernier. Bientôt il pousse des dents à l’enfant, pour qu’il ne soit pas une charge perpétuelle à sa mère. En même temps que les dents la fonction de la mastication se produit spontanément comme les autres fonctions. Toutes les autres fonctions se manifestent successivement, mais leur explication doit se trouver ailleurs. Maintenant nous avons terminé notre travail, sauf quelques points auxquels il convient de passer.


Chapitre viii. — Différence entre l’articulation de l’ischion chez le singe et chez l’homme. — En disséquant les muscles du singe, les anatomistes se sont souvent trompés. — Principes d’après lesquels Galien a divisé et subdivisé les muscles de l’articulation ischio-fémorale ; ce sont ceux-là mêmes qui ont présidé à la structure et au volume de ces muscles. — Énumération, brève description et indication de l’action de ces muscles.


Il nous reste, pour compléter notre ouvrage, à parler des muscles qui meuvent l’articulation de la hanche (voy. III, xvi, p. 275) dont je n’ai pas dit un mot, et à consacrer un livre aux organes communs au corps, artères, nerfs et veines. Le livre suivant, qui sera le seizième, traitera ce sujet ; nous allons actuellement parler des muscles qui meuvent l’articulation de la hanche. Nous avons dit au treizième livre (lisez XIIe, chap. viii) pourquoi cette articulation devait avoir des mouvements moins variés mais plus sûrs que celle de l’humérus. Quant aux os, nous avons dit au IIIe livre (chap. ix ; cf. XIII, vii et XIV, xiii) quelle est leur nature et comment ils sont parfaitement disposés pour la fonction en vue de laquelle ils ont été créés. En effet la ressemblance des choses nous a engagé à les traiter collectivement. Ici donc nous n’indiquerons que les particularités de l’articulation de la hanche qui ne peuvent être comprises avec aucune autre dans un enseignement commun.

La nature a créé chez les animaux les jambes comme organes de marche ; elle en a donné quatre au cheval, au chien, à l’âne, au bœuf et à tous les autres animaux ; l’homme est le seul des animaux faits pour marcher qui n’en ait que deux. Les jambes du singe sont comme celles de l’homme enfant quand il commence à faire des efforts pour s’en servir (cf. les chap. i à vi, viii, ix et xvi du liv. III). En effet il marche avec les quatre membres comme les quadrupèdes, et il se sert des membres antérieurs en guise de mains. Mais quand l’homme est devenu grand il ne se sert plus des membres antérieurs en guise de pieds, tandis que le singe continue à les employer à un double usage, parce qu’il a été disposé à la fois pour grimper rapidement comme les reptiles et pour courir d’un pas mal assuré comme un petit enfant ; car il ne pouvait être bien conformé en vue des deux fonctions. En conséquence il a les doigts des pieds très-écartés les uns des autres, et plusieurs des muscles qui meuvent l’articulation du genou descendent assez loin sur la jambe. De même encore chez lui l’articulation de la hanche ressemble beaucoup à celle de l’homme, mais elle n’est pas exactement conforme comme l’est l’ensemble du bras. De plus les muscles charnus qui constituent les fesses sont ridicules chez le singe, comme tout le reste, car nous avons montré que cet animal est une imitation risible de l’homme (III, xvi ; t. I, p. 277). Chez l’homme elles sont parfaitement disposées, tant pour la décence des parties nécessaires, que pour garantir l’anus de toute contusion et gêne dans la position assise. Le singe a les fesses seules plus tronquées ; tout le reste est disposé comme chez l’homme. Jugez donc sur le singe la discussion suivante à laquelle je vais me livrer touchant les muscles qui meuvent l’articulation de la hanche. Les anatomistes qui nous ont précédé ont aussi voulu faire connaître ces muscles d’après le singe ; mais de même qu’ils avaient omis beaucoup de choses dans tout le corps, ils ont ici omis des muscles entiers. Nous avons nous-même écrit un traité spécial Sur la dissection des muscles (cf. chap. xxxiii, éd. Dietz). Nous avons également décrit dans le Manuel des dissections (II, iv, v, ix) quels sont le nombre et la forme des muscles de cette région, et nous indiquions en même temps les raisons qui avaient induit en erreur nos devanciers, à l’égard des muscles.

Comme l’articulation de la hanche devait être fléchie quand la jambe se lève, tendue quand elle s’abaisse, et que son action principale réside dans ces mouvements (car elle est moins utile quand une jambe se rapproche de l’autre, quand elle s’écarte en dehors, et moins encore quand elle opère un mouvement quelconque de circumduction), chacun reconnaîtra promptement l’habileté de la nature dans la différence de grandeur des muscles et dans leur nombre ; car elle a fait les muscles extenseurs et fléchisseurs du membre les plus grands et les plus nombreux ; au second rang, pour la grandeur et le nombre, sont les muscles chargés des mouvements latéraux ; puis, à un rang inférieur, se trouvent les muscles rotateurs du membre. C’est ainsi qu’est effectuée avec raison cette première division des muscles, en trois groupes, division calculée sur l’utilité des mouvements. Partageons encore en deux chacune des trois divisions précédentes et expliquons quelle supériorité possèdent les muscles de la partie la plus utile. En effet, les muscles fléchisseurs sont moins grands et moins nombreux que les extenseurs ; les adducteurs le sont aussi moins que les abducteurs, les muscles rotateurs de la cuisse sont tous à peu près sur le même rang. Tels sont les points principaux du sujet ; nous allons en donner la démonstration.

L’action des jambes, en vue de laquelle les muscles ont été créés, comprend la marche, la course et la station. Dans la marche et la course les jambes ont une position inverse l’une de l’autre ; dans la station leur position est la même. En effet, dans la station les deux jambes s’appuient sur le sol qu’elles pressent également ; dans la marche et la course, l’une est appuyée, l’autre se porte en avant ; celle qui pose sur le sol fatiguant davantage. En effet, celle qui se déplace ne fait que se mouvoir elle-même ; celle qui est appuyée, non-seulement demeure tendue dans une position fixe, mais encore elle soutient le corps tout entier supportant un poids double de celui que toutes deux debout supportaient naguère. Dans la translation, les muscles fléchisseurs de la jambe agissent davantage. Dans la station les muscles extenseurs demeurent fortement tendus, car s’ils pliaient tant soit peu, tout le corps de l’animal serait en danger de s’affaisser. La jambe est donc fléchie à l’aine quand nous la levons, et si vous voulez maintenir le membre dans cette position, il faut que les muscles fléchisseurs soient tendus. La jambe est tendue quand nous la baissons vers le sol ; elle acquiert son maximum de tension quand nous sommes exactement debout. La nature a donc avec raison confié cette action à des muscles forts, nombreux et grands : d’abord à celui qui recouvre l’articulation tout entière à la partie postérieure (grand fessier et tenseur du fascia lata) et qui a son analogue dans le muscle de l’épaule (deltoïde) ; puis au muscle suivant qui dérive de toutes les parties externes de l’os iliaque, et qui s’insère au sommet du grand trochanter, avançant même un peu à la partie antérieure (moyen fessier) ; puis au troisième et suivant, lequel tient à la partie externe et inférieure de l’os iliaque, se fixe à la partie tout à fait interne du grand trochanter, et vient s’enrouler à la partie antérieure (petit fessier) ; puis enfin au quatrième et dernier, lequel procède de l’os large (sacrum), s’insère sur toutes les parties postérieures jusqu’au sommet du grand trochanter (analogue du pyramidal).

Le premier de tous ces muscles procure par deux extrémités une tension forte et sans déviation d’aucun côté ; en tirant en haut le fémur, si vous ne tendez que l’une d’elles, au lieu de produire une tension rectiligne, vous obtenez une tension oblique. Le second porte en haut et en même temps tire en dedans la tête du fémur. Chacun des deux autres relève un peu le fémur ; l’un tourne cet os sur lui-même en dehors ; l’autre le porte en dedans un peu plus qu’il ne le relève, mais beaucoup moins que le muscle qui exécute cette action, muscles que j’expliquerai en dernier lieu.

Maintenant, je vais, comme j’ai commencé, parler des muscles extenseurs avant tous les autres, puis des fléchisseurs, et enfin des muscles qui effectuent les mouvements latéraux. Mais comme les mouvements de la plupart des muscles sont mixtes, et que la nature s’applique toujours, j’en ai fait souvent la remarque, à créer pour les animaux le plus de fonctions avec le plus petit nombre d’organes ; je rappellerai en parlant des extenseurs de la jambe ceux qui exécutent encore un autre mouvement. Des quatre muscles précités, le premier de tous, l’analogue, comme je le disais, du muscle de l’épaule et qui tend la jambe par deux insertions, la rend exactement droite quand les deux agissent à la fois ; quand une seule d’elles agit, il la fait légèrement pencher de côté. De même le muscle désigné par nous comme le second, étend et à la fois tire un peu en dedans la tête du fémur ; de même encore le troisième et le quatrième tendent très-peu, ainsi que je le faisais remarquer, et exécutent plutôt un léger mouvement de rotation.

Outre ces muscles, il en est un cinquième, le plus grand de tous les muscles du corps[8], lequel s’insère par les parties internes et postérieures à l’os tout entier du fémur descendant jusque près du genou. Les fibres postérieures de ce muscle qui partent de l’ischion affermissent la jambe en tendant l’articulation. Cette action n’est pas produite moins énergiquement par la portion inférieure des fibres dérivées de l’os pubis, et il s’y ajoute un léger mouvement de rotation interne. Les fibres plus élevées que celles-ci ramènent le fémur en dedans, de même que les plus élevées de toutes ramènent et relèvent en même temps le fémur.

Les muscles fléchisseurs de l’articulation, antagonistes des cinq muscles désignés, sont inférieurs à ceux-ci pour le nombre et la grandeur. Parmi ceux-ci le muscle qui vient d’en haut est droit ; procédant par une double origine, il se termine en un seul tendon qui s’insère sur le sommet du petit trochanter (les deux psoas, l’iliaque, le carré lombaire réunis). Un autre qui l’accompagne s’insère sur le même trochanter, mais un peu plus bas (voy. Dissert. sur l’anat.). Un autre, issu des parties antérieures du pubis et qui semble une portion du plus grand muscle, est étendu obliquement et agit de même (voy. la même Dissert.) ; un quatrième tend l’articulation du genou au moyen de l’aponévrose qui passe par-dessus la rotule (droit antérieur ?) ; il ne fléchit le fémur qu’accidentellement, tandis que c’est la fonction première des trois autres ; le muscle qui vient d’en haut, inclinant un peu le fémur en dedans, ceux qui viennent des parties antérieures du pubis, l’inclinant beaucoup en dedans et le tirant un peu en haut. Le quatrième, qui, disions-nous, ne fléchit qu’accidentellement le fémur, parce qu’il n’a pas été créé primitivement en vue de l’articulation de la hanche, opère toutefois une élévation et une flexion considérables, beaucoup moindres cependant que le muscle nommé le premier (psoas, etc.). Celui-ci, en effet, dérivé des lombes et des parties internes de l’os iliaque, descend au petit trochanter. Comme celui qui tend l’articulation du genou (droit antérieur ?), en vue de laquelle il a été créé, naît de l’épine droite de l’os iliaque, et qu’en conséquence il tire sur lui-même, il est destiné non-seulement à relever le tibia, mais encore à fléchir le fémur, car s’il eût pris naissance au-dessous de l’articulation de l’aine, il n’aurait fait mouvoir que le tibia. C’est même une disposition prévoyante de la nature qui a fait naître ce muscle au-dessus de l’articulation de la hanche, afin que chemin faisant il puisse exécuter un autre mouvement nécessaire à l’animal.

Les muscles adducteurs internes du fémur sont d’abord les deux muscles précités qui dérivent des parties antérieures du pubis (voy. Dissert. sur l’anat.), et qui sont capables de tirer le membre, non-seulement en dedans, mais encore de le fléchir modérément ; ensuite le troisième (droit antér.), qui sans avoir la longueur des précédents muscles, est encore assez long. En effet, issu des parties antérieures du pubis, il s’étend le long de tout le membre jusqu’au genou où il se termine sur sa tête interne (condyle interne du tibia). La portion interne du très-grand muscle (faisceau des adducteurs) a encore la même action. Le fémur est ramené en dehors par l’une des portions du muscle cité le premier (l’une des fasciculations du grand fessier) entre tous, par le muscle dérivé de l’os large (pyramidal), qui, disions-nous, lui imprime un léger mouvement circulaire. Il y a encore deux autres muscles qui meuvent le fémur ; ils naissent, l’un des parties internes, l’autre des parties externes du pubis (obturateurs interne et externe ; jumeaux). Tous deux s’enroulant sur l’os nommé ischion arrivent au même point et par des tendons robustes s’insèrent dans une seule cavité, sur les parties postérieures du fémur, là surtout où commence à s’élever le grand trochanter. De tous les muscles cités, ceux-là seuls qui tirent sur eux-mêmes font tourner et mouvoir circulairement le fémur. En effet, comme je l’ai expliqué dans ma première énumération, ceux des muscles extenseurs du membre qui, secondairement, font tourner le fémur sur lui-même, ne lui impriment en ce sens qu’un léger mouvement, puisque la nature les a créés en premier lieu pour tendre l’articulation de l’ischion.

Nous avons maintenant passé en revue tous les muscles moteurs du fémur dont le nombre et la grandeur sont en harmonie avec l’utilité des mouvements auxquels ils président. De ce que nous avons dit ressort clairement l’utilité des points d’origine et d’insertion, et aussi de la disposition intermédiaire de chaque muscle. En effet, quand ils sont tirés en haut, vers leur point d’origine, il est nécessaire que leur extrémité, entraînée par la tension, relève avec elle le membre ; il est donc aussi nécessaire que le muscle qui relève la jambe descende des parties supérieures. Parmi les muscles qui lui impriment des mouvements latéraux, ceux qui la ramènent en dedans doivent avoir une origine interne, et ceux qui la ramènent en dehors une origine externe. Mais comme il fallait que, dans certains mouvements, le fémur tournât sur lui-même, la nature ploie, enroule circulairement le corps entier des muscles de cette nature ou les tendons seuls qui doivent exécuter ces mouvements. Les muscles droits exécutent un mouvement simple, ils tirent les membres en ligne droite vers les points où aboutissent leur têtes. Les muscles qui se déroulent par leur corps tout entier ou même par leurs tendons exécutent un mouvement circulaire plutôt que droit. Il est donc nécessaire aussi que les deux muscles cités en dernier lieu, lesquels s’insèrent sur le grand trochanter et se dirigent obliquement, et non en ligne droite, vers la partie qu’ils meuvent (obturateurs, jumeaux), président à un mouvement analogue à leur position.






  1. Galien veut rappeler ici qu’au début de la formation des animaux, les sexes ne sont pas distincts.
  2. Voy. Hoffm., l. l., p. 335 et 336, et Dissert. sur l’anatomie, touchant les membranes de l’œuf et les vaisseaux du fœtus. — Cf. aussi Greenhill, Ad Theophil., p. 332 et 333.
  3. Chez l’homme il n’y a qu’une veine dans le cordon ombilical ; mais chez les mammifères il y en a deux. Voy. Haller, Phys. XXIX, iii, § 18 ; t. VIII, p. 220, et la Dissert. sur l’anatomie.
  4. Voy. Dissert, sur l’anatomie et Sur les termes anatom. — Cf.Hoffm, , l. l., p. 341. — On sait que pour les modernes les cotylédons sont des renflements utérins et placentaires propres aux ruminants à cornes. Galien les considère particulièrement sur les parois de l’utérus.
  5. Cet ouvrage en XV livres est perdu. Voy. Histoire littéraire de Galien. — Le traité galénique : An animal sit id, quod in utero est, n’a aucun caractère d’authenticité. Voy. du reste Dissert. sur la physiologie.
  6. Une partie de ces observations ont été vérifiées par les modernes. Voy. Dissertation sur l’anatomie et la physiologie. Cf. Hoffm., p. 342.
  7. Cf. VI, x ; VII, xv, et la Dissert. sur la physiologie.
  8. Il s’agit des grand, moyen et petit adducteurs, sauf le faisceau isolé du grand adducteur, que Galien considère comme constituant tous un seul muscle, et au moins d’un pectiné (chez le singe). Voy. Dissert. sur l’anatomie.