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Henri Cornélis Agrippa/Lettre XXXII

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XXXII
Un ami à Agrippa[1].

Lompnes, année 1524.

Nous avons appris par Jacques d’Illins, notre commun ami, que vous veniez d’être, non sans avantage, enrôlé parmi les pensionnaires du roi. Aucune nouvelle, croyez-moi, ne pouvait nous être plus agréable. Nous nous réjouissons beaucoup de cette faveur de la fortune ; elle n’est pas, à la vérité, encore à la hauteur de vos vertus, mais elle se trouve on ne peut plus opportune.

Nous ne nous en félicitons pas moins pour le monde des études : les savants jusqu’à ce jour ont été en proie aux injustices du sort, et leur ciel est obscurci par les nuages de l’infortune. Votre bonheur présent est d’un bon présage de temps plus heureux. Nous avouons que la pensée dont Platon exprimait autrefois le désir paraît atteindre à un but pratique, c’est-à-dire que les sages soient rois ou que les rois soient sages. Il n’y a pas en effet de différence entre leur pouvoir et leurs conseils pour le gouvernement de la République.

Nous voulons vous avertir d’une chose puisque vous avez résolu d’échanger de nouveau la toge pour la saie des camps, et de partir en guerre contre Bourbon, ayez soin d’attacher votre tessère au bout de votre lance pour que notre Official[2] n’éprouve pas la mésaventure de ne pas reconnaître son ami car, lui aussi, comme nous venons de l’apprendre, s’est établi à l’armée du connétable pour suivre le drapeau à l’avant-garde, ou au corps de réserve. Quant à nous, nous devons nous abstenir de prendre part à l’action ; quelles que soient les calamités dont la fortune nous donne le spectacle, il nous faut rester en dehors de toute affaire, puisque notre position nous l’interdit. Mais nous ne sommes pas pour cela privés de toute espérance de voir la fin de nos maux nous la conservons dans notre cœur, pour nous servir du proverbe admis au forum romain, ce qui nous est permis à bon droit. Car vous savez de quel prix nous estimons les paroles de ces Romains. Les affaires privées et publiques ne peuvent nous enlever notre repos, mais nous pouvons dépenser notre activité au travail littéraire, à l’art de la parole, puisque le pouvoir d’agir nous a été enlevé. Malgré notre infériorité pour ces deux genres de travaux, le second nous a toujours paru plus agréable : si, d’un côté, la supériorité de vos vertus et de votre fortune, et, de l’autre, le sentiment de notre peu de valeur, ne nous permettent guère d’aspirer à ce que nos œuvres puissent bien mériter de vous (ce que nous avons toujours désiré, comme vous ne l’ignorez point), nous voulons du moins essayer de combattre avec vous par la plume, ne demandant d’autre récompense que de vous adresser la présente non pas pour faire parade de nos sentiments à votre égard, vous les connaissez assez, mais pour vous dire toute la joie que nous avons ressentie de votre succès. Là-dessus nous vous prions, si, dans la suite, vous pouvez disposer de quelques instants, de les employer à nous donner des nouvelles soit de vous, soit des événements nouveaux. Adieu, présentez en notre nom nos salutations à votre épouse.

Lompnes[3], à la hâte (ce que vous reconnaîtrez facilement au style et aux ratures), année 1524.

  1. Cette lettre est probablement de François Bonisard, né à Seyssel en 1493 et mort à Genève sur la fin de 1570. Bonivard fut un des adversaires les plus ardents de Genève contre le duc de Savoie et, avec Berthelier, il fut l’un de ceux qui essayèrent de soustraire Pécolat à la mort, et qui voulaient la combourgeoisie avec Fribourg, ce que le duc voulait éviter à tout prix.
  2. Eustache Chapuys venait d’être envoyé en mission diplomatique au camp du connétable de Bourbon par l’évêque de Genève, Pierre de la Baume.
  3. Il y a 6 Lomniz en Allemagne (en latin Lompnis), 4 en Autriche et encore d’autres en France, entr’autres le château de Lompnes, dans l’Isère. Le Lompnes dont il s’agit ici est Lompnas, à 36 kilomètres de Belley, canton d’Hauteville.