Henry Dunbar/40

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Traduction par Charles Bernard-Derosne.
Hachette (tome IIp. 190-202).

CHAPITRE XL

À Maudesley Abbey.

Carter, l’agent de police, ne perdit pas de temps ; mais il n’employa pas le télégraphe, au moyen duquel il aurait pu faire opérer immédiatement l’arrestation du meurtrier de Dunbar. Il ne fit pas usage des facilités que lui présentait le télégraphe parce qu’il eût été obligé de mettre la police dans sa confidence et qu’il désirait faire tranquillement les choses en se faisant aider par un simple camarade et très-humble subordonné qu’il employait depuis longtemps dans ces sortes d’expéditions.

Il arriva à Londres par le train-poste, après avoir quitté Clément, prit une voiture à la station de Waterloo, et se fit conduire directement au logis de son humble coopérateur qu’il fit lever sans plus de forme. Mais il n’y avait pas de train pour le comté de Warwick avant les six heures du matin réglementaires, et à sept heures il y avait un train express qui arrivait à Rugby dix minutes après le premier train. Carter préféra sacrifier dix minutes et prendre l’express. En attendant il mangea avec appétit le déjeuner préparé à la hâte par la femme de son ami, et expliqua à ce dernier la nature de l’affaire qu’ils allaient entreprendre.

Disons aussi qu’en donnant ces explications à son humble satellite, Carter avait un air qui ne laissait pas que d’être très-protecteur et que son ton amical était celui d’un supérieur vis-à-vis de son subordonné.

Ce subordonné était un homme d’âge moyen, d’un extérieur respectable, la peau décolorée semée de taches de rousseur, les yeux noirs bordés de rouge, et la chevelure d’un roux pâle. Son aspect n’était pas des plus agréables et il possédait en outre une habitude de se mordiller les lèvres et de grincer des dents lorsqu’il ne parlait pas ou qu’il ne mangeait pas, qui était très-énervante à contempler. Carter ne l’en estimait pas moins, non à cause de son habileté, mais pour son apparence complètement stupide. Il portait le sobriquet de Sawney Tom, et il valait son pesant d’or dans certaines occasions, quand il fallait que quelque simple campagnard ou quelque innocent apprenti mercier jouât son rôle dans le drame de la police de sûreté.

— Sawney, vous emporterez quelques-uns de vos joujoux, — dit Carter. — J’en accepterai un autre, s’il vous plaît, madame. Il suffit de trois minutes et demie pour l’amener au point convenable.

Cette dernière remarque s’adressait à Mme Sawney Tom, ou plutôt à Mme Thomas Tibbles, Tibbles était le nom de Sawney Tom, qui était occupée à faire cuire des œufs à la coque et à préparer des rôties de pain pour le patron de son mari.

— Vous emporterez vos joujoux, Sawney, — continua l’agent, — la bouche pleine de rôtie beurrée, nous ne pouvons pas prévoir la peine que nous donnera ce lapin-là, parce que, voyez-vous, un individu capable de jouer le jeu hardi qu’il a joué et de s’y maintenir pendant près d’un an, est capable de tout. Il n’est rien qu’il considère comme au-dessous de lui. Aussi, quoique tout me porte à croire que nous prendrons notre ami de Maudesley aussi tranquillement qu’on peut prendre un enfant dans son berceau, faut-il cependant nous préparer à tout événement.

Tibbles, qui était d’humeur taciturne et qui pendant qu’il écoutait son supérieur avait mâché activement à vide, se contenta de faire un simple signe de tête approbateur, en réponse aux discours de l’agent.

— Nous partons comme un avoué et son clerc, — continua Carter. — Vous emporterez un sac bleu. Je crois que vous feriez bien de vous habiller. Le temps passe. Vous savez, Sawney, vêtement noir convenable et rasé de près. Nous allons chez un vieux gentleman des environs de Shorncliffe qui veut faire changer son testament à la hâte après une querelle qu’il a eue avec ses trois filles. Voilà ce que nous allons faire si quelque indiscret vous questionnait.

Tibbles fit un nouveau signe de tête et se retira dans une chambre voisine, d’où il ne tarda pas à sortir, vêtu d’un vêtement noir étriqué d’un aspect assez funèbre et le bas du visage lisse comme un pain au lait de France et se rapprochant de ce comestible par la couleur.

Il tenait à la main un petit sac de nuit, puis il sortit chercher une voiture dans laquelle son chef et lui se rendirent à la station d’Euston Square.

Il était une heure de l’après-midi quand ils atteignirent la grille du parc de Maudesley Abbey dans une voiture qu’ils avaient louée à Shorncliffe. Il était une heure de l’après-midi, par une belle journée de printemps, et le cœur de Carter se dilatait à l’idée d’un grand triomphe.

Il descendit le premier de la voiture afin de questionner la femme du gardien.

— Descendez, Sawney, — dit-il en mettant la tête à la portière pour parler à son compagnon. — Je ne ferai pas entrer la voiture dans le parc. Il est plus sûr de nous rendre à pied à la maison.

Tibbles, avec son sac bleu sous le bras, descendit de voiture afin de suivre son supérieur partout où il plairait à ce dernier de le conduire.

La femme du gardien n’était pas seule ; quelques commères étaient rassemblées dans le petit parloir simplement meublé, et la conversation était bruyante et animée.

— J’ai été tellement surprise quand j’ai appris cela que j’ai failli tomber à la renverse, — disait la maîtresse du logis au moment où Carter et son compagnon se présentèrent à la grille du parc.

— Je désire voir M. Dunbar pour affaires particulières, — dit Carter. — Dites-lui que je viens de la maison de banque de Saint-Gundolph Lane. J’ai à remettre à M. Dunbar une lettre de son associé.

La concierge leva les bras et les yeux au ciel en témoignage de son profond étonnement.

— Je vous demande bien pardon, monsieur, — dit-elle ; — mais, après ce qui vient de se passer, je ne sais plus ce que je fais. M. Dunbar est parti, monsieur ; et personne de la maison ne sait pourquoi il est parti, ni à quel moment, ni où il est allé. Son domestique a trouvé les appartements vides ce matin, et le palefrenier qui soignait le cheval de M. Dunbar, et qui couche sur le derrière du château, pas bien loin de l’écurie, a cru entendre du bruit la nuit dernière de ce côté-là : mais il a mis cela sur le compte du changement de temps qui tourmentait l’animal. Ce matin, il a vu que le cheval était parti et le sable tout foulé, et il a trouvé par terre, de près la porte du jardin, la canne à pomme d’or dont se servait M. Dunbar ; car le pauvre gentleman était encore si boiteux, que c’est tout au plus s’il pouvait se traîner d’une chambre à l’autre. Personne ne peut comprendre comment il a pu faire pour seller son cheval et s’en aller sans que personne l’ait entendu, et tout le monde ce matin a perdu la tête à chercher M. Dunbar du haut en bas ; mais on ne l’a trouvé nulle part.

Carter pâlit et frappa violemment du pied. C’est un beau denier que deux cents livres pour un homme pauvre, et, de plus, la réputation de Carter était en jeu. L’homme qu’il venait chercher était parti… parti au milieu de la nuit, pendant que tout le monde dormait !

— Mais il boitait ! — s’écria-t-il. Comment expliquez-vous cela ?… l’accident de chemin de fer… la jambe cassée…

— Oui, monsieur… — répondit vivement la femme ; — vous avez bien raison, monsieur ; et c’est ce que tout le monde dit. On se demande comment un pauvre gentleman invalide, qui pouvait à peine remuer le pied ou la main, a pu se lever au milieu de la nuit, seller son propre cheval, et partir au grand galop ; car, à ce que dit le palefrenier, il est parti au grand galop, autrement le sable ne serait pas foulé comme il l’est. Et on dit comme ça que M. Dunbar est devenu fou tout à coup, et le docteur est bien inquiet, et il a envoyé des gens à cheval à sa poursuite, et Mlle Dunbar… c’est-à-dire lady Jocelyn… on l’a été chercher ce matin de bonne heure, et elle est au château maintenant avec son mari, sir Philip ; et, puisque votre affaire est si importante, peut-être voudrez-vous la voir ?

— Certainement, — répondit vivement Carter. — Restez ici, Sawney, — dit-il à part à son compagnon ; — restez ici et recueillez ce que vous pourrez. Je vais aller voir lady Jocelyn.

Carter trouva la porte ouverte et l’antichambre pleine de domestiques. Un valet de pied lui dit que la comtesse était dans les appartements de M. Dunbar. L’agent envoya cet homme demander à lady Jocelyn si elle voulait recevoir un étranger venu de Londres pour affaires importantes.

Le valet revint cinq minutes après pour dire que lady Jocelyn consentait à recevoir le gentleman étranger.

L’agent fut conduit par deux salons successifs qui précédaient l’appartement où l’homme disparu avait passé tant de nuits cruelles, tant de lourdes journées. Il trouva Laura debout devant l’une des fenêtres ayant vue sur la pelouse unie, les regards tournés vers le chemin sablé conduisant à la loge principale.

Elle se retourna au bruit des pas de Carter et se passa la main sur le front. Ses paupières tremblaient et elle avait l’apparence d’une personne dont les sens ont été surexcités par une violente émotion.

— M’apportez-vous des nouvelles de mon père ? — dit-elle. — Ce nouveau malheur, cet accident mystérieux me rend folle.

Laura tourna son regard suppliant vers l’agent. Il y avait dans le visage de ce dernier une gravité qui l’effrayait.

— Vous êtes venu m’apprendre quelque nouveau malheur, — dit-elle.

— Non, mademoiselle Dunbar… non, lady Jocelyn, je n’ai pas de nouveaux malheurs à vous apprendre. Je suis venu ici à la recherche du… du gentleman qui a disparu cette nuit. Il faut que je le trouve, coûte que coûte. Il faut pour cela que vous m’aidiez un peu. Vous pouvez vous fier à moi pour le retrouver et promptement, s’il est encore de ce monde.

— S’il est encore de ce monde ! — s’écria Laura avec frayeur. — Est-ce que vous croyez… est-ce que vous craignez que…

— Je ne crois rien, lady Jocelyn. Mon devoir est très-simple et il est tout tracé. Il faut que je retrouve l’homme disparu.

— Il faut que vous retrouviez mon père ? — dit Laura intriguée. — Je désire assurément beaucoup qu’on le retrouve ; et si… si vous voulez accepter une récompense quelconque pour vos efforts, je serai trop heureuse de vous donner ce que vous demanderez. Mais comment se fait-il que vous soyez ici, et que vous preniez à mon père un si grand intérêt ? Vous venez sans doute de la maison de banque ?

— Oui, — répondit l’agent après un silence, — oui, lady Jocelyn, je viens de la maison de Saint-Gundolph Lane.

Après ces paroles, Carter se tut de nouveau, et du regard il inspecta l’appartement, examinant tout, depuis la couleur des rideaux, le dessin du tapis, jusqu’au moindre colifichet de porcelaine placé sur une vieille console dans un angle près de la cheminée. Le seul objet qui attira particulièrement son attention fut la lampe que Margaret avait éteinte.

— Je vais faire une question à Votre Seigneurie, — dit Carter avec un regard grave, presque compatissant, en fixant le beau visage qu’il avait devant lui. — Peut-être, madame, trouverez-vous cette question indiscrète, mais j’ose espérer que vous considérerez que je suis un homme habitué aux affaires, désireux d’accomplir mon devoir en ayant toute la considération possible pour les sentiments des personnes avec lesquelles je me trouve en relation. Vous semblez très-inquiète à propos de la personne disparue ; puis-je vous demander si vous avez pour elle beaucoup d’affection ? Je sais, madame, que c’est une étrange question… ou du moins elle peut paraître telle… mais elle a plus d’importance que vous ne pourriez le croire, et je vous serais très-reconnaissant si vous y vouliez répondre franchement.

Laura rougit légèrement, et elle se prit à pleurer tout à coup. Elle se détourna et s’essuya vivement les yeux avec son mouchoir. Puis elle s’approcha de la fenêtre et y resta quelques instants, regardant au dehors.

— Pourquoi me faites-vous cette question ? — dit-elle avec quelque hauteur.

— Je ne puis vous le dire maintenant, madame, — répondit l’agent, — mais je vous donne ma parole d’honneur que j’ai d’excellentes raisons pour vous la faire.

— Très-bien alors, monsieur, je vais vous répondre franchement, — dit Laura en se retournant et en regardant Carter en face. — Je vais vous répondre parce que je pense que vous êtes un honnête homme. Il n’y a que très-peu d’affection entre mon père et moi. C’est un malheur peut-être, mais qui ne s’explique que trop bien, car nous avons été séparés pendant si longtemps, qu’à notre première entrevue, après cette séparation, nous avons paru étrangers l’un à l’autre, et j’ai senti entre nous une barrière que rien ne saurait abaisser. Dieu sait, cependant, avec quelle anxiété j’attendais mon père à son retour de l’Inde, et quel désappointement je ressentis lorsque je découvris insensiblement que nous ne serions jamais l’un pour l’autre ce que les autres pères et les autres enfants, qui n’ont jamais connu la longue amertume de l’absence, sont entre eux. Mais veuillez remarquer que je ne me plains pas ; mon père a été très-bon, très-indulgent et très-généreux pour moi. La dernière chose qu’il fit, avant l’accident qui l’a retenu malade si longtemps, fut un voyage à Londres dans le dessein d’acheter des diamants pour un collier qu’il voulait me donner comme cadeau de noce. Je ne fais pas allusion à cela, parce que je tiens aux joyaux ; mais je suis heureuse de constater que, en dépit de sa froideur, mon père a quelque affection pour son unique enfant.

Carter ne regardait pas Laura. Il avait les yeux fixés sur un objet au dehors, et son regard avait cette fixité qu’il avait eue déjà en se reposant sur Clément pendant que le caissier racontait son histoire.

— Un collier de diamants ! — dit-il. — Hum !… hum !… oui… oui… c’est cela ! — Tout cela à mi-voix et murmuré à travers ses dents serrées. — Un collier de diamants !… Vous avez sans doute ce collier, n’est-ce pas, madame ?

— Non ; les diamants ont été achetés, mais ils n’ont pas été montés.

— C’est M. Dunbar qui a acheté les diamants ?

— Oui, et à un prix énorme, je crois. Pendant mon séjour à Paris, mon père m’écrivit qu’il remettait la monture du collier au moment où sa santé lui permettrait de voyager sur le continent. Aucun des modèles qu’il avait vus en Angleterre ne le satisfaisait.

— Non, assurément ; cela ne m’étonne pas… — répondit l’agent. — J’ose dire qu’il trouvera difficilement à se satisfaire sous ce rapport.

Laura jeta un regard interrogateur sur Carter. Il y avait dans le ton dont il prononça ces paroles quelque chose d’irrespectueux, pour ne pas dire d’ironique.

— Lady Jocelyn… — dit Carter, — je vous remercie beaucoup de votre franchise. Comptez, madame, que j’aurai le plus grand soin de vos intérêts dans cette affaire. Je vais m’en occuper sans retard, et vous pouvez m’en croire, je réussirai à retrouver la personne disparue.

— Ainsi vous ne pensez pas que… que, en proie à quelque hallucination, résultat de sa longue maladie… vous ne pensez pas qu’il ait attenté à ses jours.

— Non, madame, — répondit l’agent d’un ton assuré, — rien, maintenant, ne saurait être plus éloigné de ma pensée.

— Dieu soit loué !

— Et maintenant, madame, oserai-je vous demander de me mettre en rapport avec le valet de chambre de M. Dunbar et de me laisser seul avec lui dans cet appartement ? Il se pourrait que je recueillisse quelque chose qui me mît sur les traces de votre père. À propos, n’auriez-vous pas un portrait quelconque de lui… une miniature, une photographie, ou quelque chose de ce genre ?

— Non, malheureusement, je n’ai aucune espèce de portrait de mon père.

— C’est fâcheux, mais n’importe ! Nous essayerons de nous en tirer sans cela.

Laura sonna. Un des magnifiques valets de pied qui daignaient illustrer de leur présence les antichambres et les corridors de Maudesley Abbey, apparut à l’appel de Laura et partit à la recherche du domestique particulier de Dunbar, de l’homme qui l’avait gardé et soigné depuis l’accident.

Ayant envoyé chercher cet homme, Laura souhaita le bonjour à l’agent, et se retira par les salons successifs de cette aile du château, dans la partie moderne que Percival Dunbar avait fait aménager et décorer à l’intention de sa petite-fille qu’il idolâtrait.

Le domestique de Dunbar était trop heureux d’être questionné et d’avoir une excellente occasion de discourir sur l’événement qui avait causé tant d’inquiétude et de consternation. Mais il n’était pas agréable de causer avec l’agent, car celui-ci avait une certaine manière de couper court au récit par une nouvelle question, dès qu’il voyait que le narrateur faisait mine de s’écarter du sujet, qui transformait la conversation en interrogatoire de juge d’instruction.

Sous cette pression, le domestique révéla très-brièvement et très-rapidement tout ce qu’il savait du départ de son maître,

— Résumons, — disait l’agent entre ses dents. — Il y n’y avait qu’un seul ami qui fût intime avec votre maître, et c’était un gentleman du nom de Vernon, demeurant depuis quelque temps à Woodbine Cottage, sur la route de Lisford. Ce gentleman venait voir votre maître à toute heure, avait des manières bizarres, et une mise excentrique ; il vint d’abord le jour du mariage de Mlle Laura, et il était misérablement vêtu. Plus tard, il se montra très-élégant et très-prodigue de son argent à Lisford… Hum !… hum !… Vous avez entendu votre maître et ce gentleman se disputer… du moins vous l’avez cru, mais les portes étant très-épaisses vous n’en êtes pas certain. Il se peut qu’ils fussent simplement occupés à raconter des anecdotes. Sans doute, sans doute ! Il y a des gentlemen qui jurent et crient en racontant des anecdotes. Vous avez senti une ceinture sous les vêtements de votre maître quand vous l’aidiez à se coucher ou à se lever. Il portait cette ceinture sous sa chemise, et se montrait inquiet lorsqu’il en changeait, et il paraissait ne pas vouloir que vous vissiez cette ceinture. Vous pensiez que c’était une ceinture galvanique ou quelque chose de ce genre. Vous l’avez palpée un jour en changeant la chemise de votre maître, et vous l’avez trouvée toute parsemée de bosses, dures comme du fer, mais très-petites. Voilà tout ce que vous avez à dire, excepté que vous avez toujours pensé que votre maître n’avait pas l’esprit tranquille, et que cela venait de ce qu’on l’avait d’abord soupçonné à propos du meurtre de Winchester.

Carter griffonna quelques notes au crayon sur son portefeuille, en faisant ce petit résumé de sa conversation avec le valet.

Ceci fait et le portefeuille refermé, il parcourut lentement le salon, la chambre à coucher, et le cabinet de toilette, examinant avec soin les objets qui l’entouraient et suivi de près par le domestique.

— Quels vêtements portait M. Dunbar à son départ ?

— Un pantalon et un gilet gris, et il a dû prendre un pardessus garni de fourrure.

— Un pardessus noir ?

— Non, bleu foncé.

Carter rouvrit son portefeuille pour ajouter une note nouvelle.

— Pantalon et gilet gris, pardessus bleu foncé garni de fourrure. Décrivez-moi donc un peu l’apparence extérieure de M. Dunbar.

Le valet répondit longuement à cette question.

— Ah ! hum !… — marmottait Carter, — grand, large d’épaules, nez aquilin, yeux noirs, cheveux noirs grisonnants.

Après avoir pris cette note, l’agent mit son chapeau, mais il s’arrêta devant la table où se trouvait encore la lampe.

— Cette lampe a-t-elle été remplie hier soir ? — demanda-t-il.

— Oui, monsieur, comme tous les soirs.

— Combien de temps dure-t-elle ?

— Dix heures.

— À quelle heure a-t-elle été allumée ?

— Un peu avant sept heures.

Carter enleva le verre et porta la lampe près de la cheminée. Il la mit ensuite au-dessus de la grille, et en versa le contenu dans les cendres.

— Cette lampe a dû brûler jusqu’à quatre heures du matin, — dit-il.

Le domestique regarda Carter avec toute la respectueuse horreur qu’eût pu lui inspirer un sorcier du moyen âge. Mais Carter était beaucoup trop pressé pour faire attention à l’admiration qu’il éveillait dans cet homme. Il savait tout ce qu’il avait désiré savoir, et il n’avait pas de temps à perdre.

Il quitta le château, courut à la loge où il trouva Tibbles, son compagnon. Il envoya en toute hâte ce gentleman à la station de Shorncliffe, avec mission de guetter un voyageur vêtu d’un pardessus bleu foncé bordé de fourrure. Si ce voyageur paraissait, Sawney devait s’attacher à ses pas partout où il irait, mais en ayant soin de laisser, pour la gouverne de son supérieur, une note au chef de gare, contenant le récit de ce qu’il aurait fait.