Hiéron (Trad. Talbot)/05
CHAPITRE V.
« Je vais encore te dire, Simonide, un grand malheur pour les tyrans. Ils connaissent aussi bien que les particuliers les hommes distingués, habiles, justes ; mais, au lieu de les révérer, ils en ont peur : les braves peuvent tenter un coup de main pour la liberté ; les habiles peuvent tramer des complots ; les justes se sont élevés au pouvoir par la volonté du peuple. Si, par crainte, ils se défont secrètement de ces gens-là, que leur reste-t-il à employer que des scélérats, des débauchés, des esclaves ? Les scélérats ont leur confiance, parce qu’ils craignent, comme les tyrans, que les villes, devenues libres, ne soient plus fortes qu’eux ; les débauchés, à cause de la licence actuelle qui leur est octroyée ; les esclaves, parce qu’ils ne font aucun cas de la liberté. Pour moi, je regarde comme une affreuse calamité, pour qui connaît les gens de bien, d’être forcé d’en employer d’autres. D’ailleurs, le tyran est forcé d’être patriote. Sans sa ville il ne peut vivre, ni être heureux ; mais la tyrannie contraint à ravaler la patrie. Le tyran ne se plaît à voir les citoyens ni courageux, ni bien armés ; il préfère élever des étrangers au-dessus des citoyens, et ce sont des étrangers qu’il prend pour doryphores. Enfin, lorsque des années fertiles répandent partout l’abondance, le tyran ne prend point part à la joie commune : plus un peuple est dans le besoin, plus il espère le trouver soumis. »