Histoire de Belgique/Tome 6/Livre 2/Chapitre 2/1

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Maurice Lamertin (6p. 150-169).
I

La paix constante dont la Belgique avait joui depuis le milieu du XVIIIe siècle y avait ranimé l’agriculture aussi bien que l’industrie et le commerce[1]. Tous les voyageurs s’accordent à prôner la prospérité du pays. Young oppose la belle apparence et la fécondité des campagnes flamandes à la négligence et à l’incurie qu’il reproche aux paysans français. De 1750 à 1785 environ, on constate que le prix des terres augmente, que la population s’accroît, que la production et le trafic se développent. Tandis que la vieille industrie linière fait preuve d’une activité à laquelle elle n’avait jamais atteint auparavant, l’extraction du charbon, la métallurgie et la verrerie multiplient dans le Hainaut, dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, dans le sud du Luxembourg, les entreprises nouvelles. Même spectacle dans le pays de Liège où la fabrication des armes, la clouterie, la draperie, l’exploitation de l’alun alimentent une exportation croissante. Les finances de l’État sont aussi satisfaisantes que le crédit public est solide. Où que l’on regarde, la situation paraît pleine de promesses. Après les misères et la longue atonie du XVIIe siècle, l’énergie nationale s’est ranimée dans tous les domaines.

Elle est bien loin toutefois de s’épancher sans obstacles. Tout d’abord, l’Escaut reste impitoyablement fermé et c’est par les ports de Hollande que doivent arriver les matières premières et s’exporter les produits nationaux. Les efforts de Joseph II pour rouvrir au pays cette admirable voie naturelle, ont échoué devant la résistance combinée des Provinces-Unies et de la France. De plus, le régime douanier est singulièrement défavorable. Vers l’est, les Liégeois s’obstinent à entraver inintelligemment le transit. Au sud, le protectionisme français ourle la frontière d’un cordon de droits quasi prohibitifs. Ce n’est que grâce au bon marché de la vie et au taux très bas des salaires que l’industrie parvient à écouler ses fabricats à l’étranger. L’Espagne reste le grand marché des toiles flamandes et, en dépit de toutes les difficultés, on cherche à s’assurer de nouveaux clients et de nouveaux débouchés. Le gouvernement « éclairé » de Marie-Thérèse et de Joseph II seconde en cela les initiatives des États provinciaux. Pour faciliter le transit, des canaux sont creusés, des chaussées ouvertes, des entrepôts établis. Les réclamations des Provinces-Unies, inquiètes de cette renaissance d’un pays qui depuis le milieu du XVIIe siècle a subi passivement toutes leurs exigences, n’effrayent plus les ministres plénipotentiaires envoyés à Bruxelles par le cabinet de Vienne. Dans les villes comme dans les campagnes, l’État suscite par des octrois, la fondation de manufactures privilégiées, et à côté d’elles il en est d’autres qui doivent leur naissance à l’esprit d’entreprise des particuliers. Déjà des fabriques apparaissent, attestant que le capitalisme cherche à prendre son essor.

Sans doute, il est encore bien timide et bien neuf. L’épargne ne l’alimente qu’avec une parcimonie craintive et il ne participe que pour une faible part à l’accroissement des revenus nationaux. L’aristocratie et la haute bourgeoisie ne se laissent guère entraîner par la spéculation et l’esprit d’entreprise. Elles employent leurs fonds disponibles à acheter des terres ou à alimenter leurs dépôts à la banque de Vienne. Les institutions de crédit sont rudimentaires. Le pays ne possède aucune banque de commerce : il dépend entièrement d’Amsterdam à cet égard. Ajoutez à cela que les corporations de métiers et les « nations » entravent les progrès de l’industrie capitaliste. Le gouvernement ne se fait pas faute cependant de rogner autant qu’il le peut leurs privilèges. Mais il importe d’être prudent, car elles interviennent et dans la constitution des magistrats urbains et dans celle des États provinciaux, où leur opposition peut être et en fait est souvent très gênante. Joseph II, en 1787, a voulu les supprimer sans y réussir.

Néanmoins, le mouvement qui pousse la société dans la voie nouvelle de la liberté économique et du capitalisme est trop puissant pour qu’on l’arrête. Ni la fermeture de l’Escaut, ni le protectionnisme français, ni la jalousie hollandaise, ni le conservatisme des riches, ni l’esprit réactionnaire des métiers ne parviennent à contrecarrer son expansion. La seconde moitié du XVIIIe siècle voit se former en Belgique comme en France cette nouvelle classe sociale d’où est sortie la bourgeoisie moderne. Presque tous parvenus, les hommes qui la composent sont animés de ce génie d’entreprise impatient de toute tradition et de toutes entraves, qui est proprement l’ « esprit capitaliste ». Entrepreneurs, manufacturiers, spéculateurs, ils aspirent tous à une réforme qui leur permettra l’usage illimité de cette liberté économique dont les physiocrates prêchent la bienfaisance. Et l’État leur prête ouvertement son appui. Ce que Turgot fait pour eux en France, Cobenzl et Nény cherchent à l’imiter en Belgique, en attendant que Joseph II prétende les dépasser tous.

Au début, il a pu compter sur l’adhésion des hommes nouveaux, des nouveaux riches qui, autant que lui, condamnaient le passé. Et quand a éclaté la Révolution brabançonne, ils n’ont abandonné l’empereur que pour se ranger dans le parti vonckiste, c’est-à-dire dans le parti qui, tout en s’insurgeant contre le despotisme éclairé, n’en aspirait pas moins à une transformation « libérale » de la société[2]. L’action que la bourgeoisie a exercée en France au début de la Révolution, elle l’a aussi exercée en Belgique. Les Proli et les Walckiers ont applaudi aux nouveautés de 1789, et il n’a pas tenu à eux qu’elles ne fussent proclamées à Bruxelles comme elles l’étaient à Paris. Mais le rapport des forces en conflit n’était pas le même ici et là. En France, les partisans du mouvement étaient les plus forts ; en Belgique, ils furent les plus faibles. La Révolution brabançonne a rapidement tourné, on le sait suffisamment, au profit des conservateurs. À l’envisager du point de vue économique, on pourrait dire qu’elle marque la victoire momentanée et sans lendemain des artisans privilégiés et des grands propriétaires sur les industriels et les entrepreneurs capitalistes.

Il ne faut donc point s’étonner si l’on voit, en 1792, presque tous ces industriels et ces entrepreneurs saluer avec enthousiasme la victoire de Jemappes. La jouissance des droits de l’homme leur promettait la libre expansion de leurs facultés dans une société rendue à son équilibre naturel et débarrassée des survivances de la féodalité et des privilèges. Liberté politique et liberté économique, indispensables l’une à l’autre, allaient se développer de conserve. Le triomphe de la Révolution devait ouvrir l’âge d’or… Il n’ouvrit tout d’abord qu’une crise épouvantable.

Car il mettait fin à cette longue paix qui avait été la condition première du relèvement du pays et grâce à laquelle la bourgeoisie s’était enrichie. De 1792 à 1795, la Belgique ne devait plus cesser d’être foulée et rançonnée par les armées fluant et refluant sur elle, soit de France, soit d’Allemagne. La première occupation, aussi longtemps du moins qu’elle fut dirigée par Dumouriez, n’altéra pas très sensiblement la fortune nationale. Le vainqueur s’efforça de ménager la population : elle ne souffrit que du minimum des maux que la guerre entraîne nécessairement avec elle. Il y eut des réquisitions et des impositions, mais elles furent compensées par l’argent que les armées introduisaient dans le pays. Il semble même que la fourniture des subsistances et des équipements militaires fut pour beaucoup de spéculateurs une source abondante de profits. Du moins la Convention estimait-elle en 1794 que la Belgique s’était enrichie durant cette courte période d’un milliard en numéraire, et rien ne permet de croire que, dans son ensemble, cette évaluation soit inexacte[3]. Le retour des Autrichiens après Neerwinden ne modifia pas la situation. Les alliés furent sans doute des hôtes encombrants et désagréables, mais ils payaient et il n’apparaît pas que l’on se soit plaint d’avoir été appauvris par leur séjour. En somme, quand la bataille de Fleurus ramena les Français en Belgique, tout semble indiquer que le capital national était encore intact.

Mais on a déjà vu que la République était décidée cette fois à exploiter les ressources de sa conquête. Elle le devait sous peine de périr. Son crédit était à bout et l’on se demande si, vaincue à Fleurus, elle eût pu continuer la guerre. Ce fut pour elle une nécessité inéluctable que de sacrifier la Belgique au relèvement de ses finances et à l’entretien de ses armées. Tout ce que le pays possédait fut considéré comme butin de guerre. Jamais encore aucune occupation n’avait eu pour conséquence une spoliation aussi complète, aussi cruelle et d’ailleurs aussi imprévoyante. Visiblement on ne songea tout d’abord qu’à prendre et à tout prendre, parce que l’on avait besoin de tout. Le Comité de Salut Public agit comme un affamé qui se jette sur une table bien servie et la dépouille gloutonnement. Aucune préoccupation de l’avenir. On ne pense qu’au présent et à profiter de la chance qui s’offre. La Belgique est mise non pas même en coupe réglée, mais au pillage. Matières premières, produits fabriqués, objets d’art, tout y est réquisitionné pêle-mêle et envoyé en France ou aux armées. Le numéraire s’écoule du pays, chassé par le cours forcé des assignats. Le maximum de Lille brutalement imposé tue le commerce, arrête l’approvisionnement des marchés et plonge la population des villes dans la disette. Aux spoliations officielles s’ajoutent les rapines privées des centaines d’employés civils et militaires qui de France accourent prendre part à la curée. L’agence du commerce, instituée pour centraliser les biens et marchandises à exporter dans la République, se livre à des abus tellement scandaleux que le gouvernement, qu’elle vole sous prétexte de le servir, se voit forcé de la supprimer.

Pour comble de malheur les Anglais tiennent la mer et bloquent la côte. L’Escaut, dont l’affranchissement a été solennellement proclamé, est en fait plus étroitement fermé que jadis. La flottille de pêche qui, depuis le règne de Marie-Thérèse, s’était si rapidement développée, est capturée ou, n’osant plus se risquer au large, pourrit dans les bassins d’Ostende et de Nieuport. Tous les marchés extérieurs sont rendus inaccessibles par la guerre : on se bat sur le Rhin comme en Hollande. Impossible même de rien exporter en France, puisque le Comité de Salut Public a interdit aux Belges d’y faire le commerce. En outre, quantité d’industriels et de négociants ont émigré ; les autres, privés de matières premières, ferment leurs ateliers ou font faillite. Tous ceux qui ont pu expédier leurs capitaux au dehors n’y ont pas manqué.

Les paysans, comme il arrive toujours durant les périodes de crise, trouvent dans la vente clandestine de leurs produits une compensation aux réquisitions qui les frappent. Mais la condition des travailleurs industriels est épouvantable. Les autorités qui leur prodiguent les bonnes paroles et les encouragements, qui déclament contre les riches et affirment que la Révolution est le triomphe des classes laborieuses, sont incapables de soulager leur misère. Tout au plus peuvent-elles détourner leur mécontentement contre les « aristocrates ».

Sans argent, comment combattre le chômage général et la cherté croissante des vivres ? Les municipalités ouvrent bien çà et là quelques ateliers nationaux[4], ou font venir de Hollande à grand peine et à grand prix quelques bateaux de blé, sans pouvoir atténuer un mal qui va sans cesse en empirant. L’hiver de 1795 est pour les ouvriers un véritable martyre. Les détaillants refusent d’accepter au pair les assignats, les boulangers cachent leurs pains. La suppression des monts-de-piété livre les malheureux aux manœuvres éhontées des prêteurs sur gages. L’excès de souffrance pousse naturellement à tous les désordres. On dévaste les bois, on attaque les fermes ; les grandes routes, défoncées par les charrois militaires, deviennent des coupe-gorge et tout homme qu’on y rencontre est suspect. La désorganisation de la police favorise le brigandage à la campagne et la prostitution dans les villes. Partout rôdent les « chauffeurs » et les bandits de toute espèce. Pour trouver une semblable anarchie, il faut remonter à cette période de troubles civils qui a marqué la fin du XVe siècle, entre la mort de Marie de Bourgogne et l’avènement de Philippe le Beau[5]. Maintenant comme alors, il semble que se tarissent les sources de la vie nationale et, sous l’action du désespoir ou de la misère physiologique, la population, maintenant comme alors, décroît avec une rapidité effrayante. Bruxelles en 1783 comptait 74,427 habitants : il n’en a plus que 66,297 en 1800. Bassenge, en 1797, affirme que Liège a perdu 20,000 âmes et Verviers 5,000. De 1797 à 1801, le département de l’Escaut tombe de 578,562 habitants à 560,850, et celui de la Lys de 477,723 à 459,436.

La crise atteignit son maximum d’intensité à la fin de 1795. En se prolongeant plus longtemps, elle eût amené la ruine totale d’un pays que la République avait décidé de conserver et dont il lui importait dès lors de ménager les ressources. Déjà le Comité de Salut Public avait pris quelques mesures protectrices ; il avait supprimé l’agence du commerce et rétabli les relations commerciales entre la France et la Belgique. Sous le Directoire, la situation s’améliora en se stabilisant. Au provisoire et à l’improvisé des débuts, succéda l’introduction progressive des institutions et de l’administration françaises. La suppression du maximum, puis celle des assignats rétablirent les conditions normales de la vie économique. Et peu à peu, à mesure que s’installait l’ordre de choses nouveau, se dévoilèrent les possibilités qu’il offrait au capitalisme et à l’entreprise.

À vrai dire, la Révolution n’eut pas, à proprement parler, de doctrine économique. Son œuvre est essentiellement politique et juridique. Elle a voulu affranchir les hommes du despotisme et du privilège, et il semble qu’elle ait considéré qu’il suffisait, pour les rendre libres, de les rendre égaux en droits. Son ennemi, c’est le privilégié, et elle entend par là le privilégié héréditaire. C’est lui qu’elle stigmatise du nom d’aristocrate, nom aussi odieux à ses adeptes et aussi chargé de malfaisance que celui de « capitaliste » l’est de nos jours parmi les travailleurs socialistes. De socialisme d’ailleurs ou de communisme, on chercherait vainement la trace parmi les jacobins même les plus avancés. Leur but n’est pas la suppression de la propriété, mais sa répartition entre tous. Le travail, accessible à chacun, doit être en même temps imposé à chacun. Plus de citoyens inutiles se bornant à vivre de la fortune acquise. La fortune sera désormais la récompense de tous ceux qui auront assez de talent et d’énergie pour l’acquérir dans une société où plus rien ne subsiste des différences qu’établissaient entre les hommes la naissance ou la corporation. Il suffit que la République ouvre la carrière à tous, qu’elle leur assure l’égalité du point de départ : à eux de se distinguer par leur génie ou leur vertu. La propriété, fruit du travail, apparaît comme un droit naturel, comme une conséquence même de la liberté. Partant, elle est aussi sacrée que celle-ci et le communisme n’est pas moins incompatible avec les droits de l’homme que ne l’était la féodalité.

De toutes les lois républicaines, les plus « bienfaisantes » sont donc celles qui libèrent l’individu des liens par quoi il était jadis attaché à sa classe ou à sa profession et qui lui permettront d’épanouir, comme il le veut, son activité. Rien de plus salutaire que l’abolition des droits féodaux et du retrait lignager, puisqu’elle mobilise, au profit de tous, la propriété foncière ; que la suppression des corporations de métiers, des monopoles, des coalitions, puisqu’elle institue la libre concurrence ; que le partage égal des successions, puisqu’il empêche l’hérédité des grandes fortunes. Désormais il n’y a plus, en face les uns des autres, que des citoyens égaux, et l’harmonie de la vie sociale sera la conséquence naturelle de leur compétition. L’optimisme du XVIIIe siècle arrive ici à son apogée : bon par nature, l’homme ne peut abuser de sa liberté, et toute intervention de l’État dans son domaine serait un retour au despotisme.

Si l’État doit s’abstenir de restreindre cette liberté, il lui appartient en revanche d’en faciliter l’usage. Ici l’utilité générale se confond avec celle des particuliers et l’intérêt de la République est solidaire de celui des citoyens. De là tant d’innovations de tout genre : disparition des douanes intérieures, des péages et des tonlieux, établissement à la frontière de droits protecteurs, introduction d’un système uniforme d’imposition, améliorations de toutes sortes dans les procédés de la comptabilité publique, lois spéciales sur le timbre, l’enregistrement, les hypothèques, les patentes, etc.

En accomplissant ce programme, la Révolution n’a fait d’ailleurs que réaliser l’idéal du despotisme éclairé. En France Turgot, en Belgique Joseph II avaient ouvert la voie où elle les a dépassés. La seule différence c’est que, chez eux, les réformes découlent avant tout de l’intérêt de l’État, tandis que, chez elle, c’est au nom des droits de l’homme qu’elles sont proclamées. Et cela leur confère la dignité et le caractère absolu d’un principe. Le despotisme, ne s’inspirant que de l’utilité générale, se réservait le contrôle de l’activité économique de ses sujets ; la Révolution, en faisant de celle-ci un attribut de la liberté du citoyen, la place en dehors de ses atteintes. Elle ne peut plus admettre d’exceptions au « laissez faire et laissez passer », et il en résulte qu’elle va fournir au capitalisme une puissance qu’il n’a jamais possédée, et qu’en affranchissant au point où elle l’a fait, le commerce et l’industrie, c’est lui surtout que, sans le vouloir, elle a favorisé.

Non seulement elle aplanit devant lui tous les obstacles, mais, par une conséquence nécessaire des lois qu’elle porte contre l’Église, elle augmente son volume et ses forces. En effet, pour la plus grande partie, il s’appropriera l’immense richesse foncière consacrée par les générations passées à l’entretien du clergé et à sa mission. En Belgique, plus encore qu’en France, la vente des biens nationaux a tourné à l’avantage de la bourgeoisie.

Durant les premiers temps de l’annexion, en 1794, la République n’avait confisqué et mis à l’encan, dans les départements réunis, que les terres appartenant à des établissements religieux de France ou à des émigrés français. C’est seulement après la promulgation dans le pays des lois abolissant les corporations ecclésiastiques comme les corporations civiles, que leurs biens subirent le même sort. Il est impossible d’apprécier avec quelque exactitude leur superficie et leur valeur. On ne sera sans doute pas très loin de la vérité en estimant qu’ils recouvraient plus d’un quart du sol national[6]. Comparée à cette formidable richesse, celle des métiers apparaît négligeable : elle ne comprenait dans chaque ville que quelques maisons. Quant aux biens des émigrés, c’est à peine s’il en fut question, la plupart des absents étant rentrés de bonne heure et ayant ainsi évité la confiscation. Somme toute, les adjudications n’atteignirent guère en Belgique que les domaines de l’Église ou, pour employer l’expression populaire, que les « biens noirs ».

La mise aux enchères commença au mois de décembre 1796. Le gigantesque transfert de capital foncier qui s’en suivit est sans conteste un des phénomènes les plus importants de l’histoire économique du XIXe siècle. Son étude a malheureusement été si négligée en Belgique, qu’il faut se borner à n’en donner qu’une esquisse tout à fait indigne de son intérêt[7]. Ce que l’on peut affirmer en tous cas, c’est, qu’à la différence de ce qui s’est passé en France, les paysans n’en ont profité que dans une très faible mesure. La cause en doit être cherchée certainement dans les scrupules religieux qui les empêchèrent de s’approprier, au début, des terres dont la confiscation leur apparaissait comme une monstrueuse impiété. L’ascendant que le clergé exerçait sur eux explique suffisamment leur abstention. Elle ne peut provenir de leur incapacité d’acheter car, dans les premiers temps au moins, les ventes se firent à vil prix et tout porte à croire que la population rurale, enrichie par la vente des denrées aux habitants des villes pendant la crise que l’on venait de traverser, possédait des épargnes assez abondantes. Si elle ne fournit que très peu d’acquéreurs, c’est donc que les considérations religieuses furent plus puissantes chez elle que l’amour du gain. La signature du Concordat contribua certainement à diminuer sa réprobation. Mais alors, il était trop tard pour pouvoir encore acquérir à des conditions avantageuses et lutter à armes égales avec la bourgeoisie.

Celle-ci même paraît ne s’être décidée qu’assez lentement, soit que la religion, la crainte de se compromettre ou le manque de ressources l’aient fait hésiter. Durant les premiers temps, on trouve surtout comme acquéreurs d’anciens moines, utilisant les bons qu’ils ont reçus du gouvernement à l’achat de terres dont ils se promettent de faire plus tard restitution à l’Église, des notaires ou des hommes d’affaires agissant comme intermédiaires pour des clients anonymes, et enfin des spéculateurs étrangers : la Compagnie Paulée, de Paris, des gens du département du Nord, des Suisses de Genève, de Berne, de Lausanne, des habitants d’Amsterdam, etc. Mais la tentation était trop grande pour ne pas triompher bientôt de la timidité ou des scrupules de conscience. On voyait au surplus que de riches propriétaires ne se faisaient pas faute de profiter de l’occasion et leur exemple était contagieux. On se persuadait facilement qu’il fallait surtout éviter le scandale. Plusieurs se mettaient à acheter de seconde main et réalisaient encore de beaux bénéfices. D’autres, et de plus en plus, se rendaient acquéreurs par « command ».

À partir du coup d’État de brumaire, la confiance plus grande dans la stabilité du régime, augmente la hardiesse et le nombre des amateurs. Quantité de bourgeois prennent maintenant part aux adjudications. Des industriels, Bauwens, par exemple, et Lousberg, à Gand, se font adjuger des bâtiments conventuels qu’ils transforment en ateliers. Des maîtres de forges, dans le pays de Liège, deviennent possesseurs de moulins et de cours d’eau. Par blocs ou par parcelles, la propriété monastique entre ainsi dans le capital des entrepreneurs et vient grossir l’épargne bourgeoise.

Ce sont naturellement les partisans du régime qui ont ouvert la voie et qui continueront jusqu’au bout à s’y presser les plus nombreux. Il suffit de parcourir les registres d’adjudication pour y relever les noms d’une foule de présidents et de juges de tribunaux, de juges de paix, de maires, de notaires, de membres des Conseils généraux, ou des Conseils d’arrondissement. Non seulement en ville, mais à la campagne, ils se hâtent d’afficher un loyalisme rémunérateur. Au milieu de cette cohue d’acheteurs républicains, les autres se faufilent progressivement. Des conservateurs, des ci-devant, ne résistent plus à la tentation. La noblesse même s’y laisse aller. « Quand on peut suivre la destinée de quelques familles d’acquéreurs ou les transferts successifs d’un domaine, ce n’est pas toujours des amis de la Révolution que l’on rencontre chemin faisant »[8]. À côté des aristocratiques acheteurs de parcs monastiques et de résidences abbatiales, les spéculateurs se ruent à la curée. Dès 1797, leurs agissements étaient si scandaleux que Noailles les dénonçait au Conseil des Cinq-Cents et demandait que l’on suspendît en Belgique l’aliénation des domaines nationaux[9]. Parmi eux, à côté des étrangers, moins nombreux à partir de 1800, se rencontrent de grossiers mercantis, ne sachant ni lire ni écrire, et dont l’âpreté et le fruste génie font penser à certains héros de Balzac[10]. Des paysans proprement dits, bien peu sont sortis de la réserve effarouchée dans laquelle ils se sont confinés dès l’origine. Et encore est-il certain que très souvent ils n’ont acheté que comme hommes de paille des anciens possesseurs ou même avec l’idée préconçue de ne conserver leurs acquisitions que pour les rendre en des temps meilleurs[11]. Le plus souvent, les acheteurs campagnards, brasseurs, meuniers, notables de village, appartiennent à ce que l’on pourrait appeler la bourgeoisie rurale.

Malgré la déplorable insuffisance de nos renseignements, nous en savons assez pour conclure avec assurance que, tout compte fait, l’aliénation des domaines nationaux a tourné, en Belgique, au profit de la classe possédante. Elle n’a guère augmenté la petite propriété ; elle a surtout dilaté la grande et rendu les riches plus riches qu’ils n’étaient. Des mains du clergé, le sol a passé surtout aux détenteurs du capital. Parmi ceux-ci d’ailleurs, les « nouveaux riches » semblent en avoir recueilli beaucoup plus que les anciens propriétaires de la noblesse et de la bourgeoisie, de sorte que la grande opération dont les républicains espéraient l’égalisation des fortunes, n’a servi qu’à affermir le crédit et les ressources des capitalistes au moment même où, vers l’année 1800, le pays prend son essor industriel.

Leur situation est d’autant plus favorable qu’ils disposent maintenant d’un marché pratiquement illimité[12]. Toute la France s’ouvre à leur esprit d’entreprise. Englobée dans le cordon de ses douanes et protégée par lui contre la concurrence étrangère, l’industrie belge va pouvoir dilater sa production et utiliser, dans des conditions qu’elle n’a plus connues depuis le XVIe siècle, l’énergie et l’habileté technique de ses travailleurs. L’ère napoléonienne sera pour elle une ère de renaissance. Et il n’est point jusqu’aux guerres de l’empereur dont elle n’ait profité, puisque ses fabriques ont eu à pourvoir à l’entretien des armées.

Déjà d’ailleurs, on constate, sous le Directoire, les premiers symptômes d’un renouveau. Le gouvernement prend quelques mesures pour panser les blessures que la conquête a faites aux départements réunis. Il conseille à Bouteville de porter vers le commerce et l’industrie une sollicitude requise par trop d’affaires urgentes pour qu’elle ait pu se traduire en actes. En 1797, le ministre de l’Intérieur, Bénézech, est envoyé en Belgique avec mission de rechercher les moyens d’y développer le trafic et les manufactures. La même année, une « foire générale » est instituée à Bruxelles, qui doit devenir pour le Nord de la France, ce que celle de Beaucaire est pour le Midi. Les instructions des autorités départementales leur recommandent de favoriser l’activité économique. Mais cette bonne volonté ou pour mieux dire ces velléités sont trop fortement contrecarrées par le découragement et le mécontentement de la population pour qu’elles puissent aboutir. Comment songer à la reprise des affaires pendant que la République transforme toutes les institutions, heurte à la fois les idées et les croyances, bouleverse le régime douanier en même temps que le système des impôts, les conditions du travail et celles du transit ? Si des esprits clairvoyants distinguent déjà, au milieu du chaos, la voie à suivre et s’y engagent hardiment, la masse demeure apathique et défiante. Au surplus, on est apeuré par la fuite des capitaux. L’insécurité est générale et, en 1798, la guerre des paysans, puis la persécution contre le clergé empirent encore une situation qui, dans son ensemble, reste déplorable.

Elle favorise pourtant les spéculateurs. L’agio sur les assignats, l’achat et la vente des biens nationaux, les marchés conclus avec les autorités militaires pour l’approvisionnement des armées, la contrebande enfin suscitent trop d’affaires fructueuses pour que, la corruption du Directoire aidant, les scrupules de conscience aient pu retenir de s’y livrer ceux qui se croyaient assez habiles pour arriver ainsi à la fortune. Le renchérissement de la vie leur était une autre occasion de profits. Il est certain que, depuis le début de l’occupation française, tous les prix ont haussé rapidement. En 1789, on estime que la moyenne des dépenses journalières est de 4 francs 36, tandis qu’elle atteint 5 francs 32 vers 1800 ; durant la même période, le taux de l’intérêt passe de 4 ½ à 9 pour cent[13].

Il faut évidemment conclure de tout cela que l’époque directoriale, si elle a mis fin à l’exploitation brutale du pays, est bien loin en revanche d’y avoir instauré un régime économique satisfaisant. Mais c’est moins le gouvernement que la situation amenée par la conquête qu’il faut en rendre responsable.

À partir de 1795, l’administration de la Belgique est la même que celle des autres départements de la République. Aucune mesure d’exception ne lui est appliquée. L’impôt n’y est pas plus lourd qu’ailleurs. En 1797, la contribution foncière du département de l’Escaut est inférieure à celle du Calvados, de la Manche, du Nord, de l’Oise, de la Somme qui sont pourtant moins peuplés. Les plaintes provoquées par la fiscalité française ne doivent pas en imposer. En réalité, si l’impôt a produit beaucoup plus depuis l’annexion qu’il ne le faisait sous le régime autrichien, c’est qu’il fut mieux réparti. Le contribuable au lieu de payer davantage, payait moins[14]. Ici, comme en tant d’autres domaines, il faut le redire encore, l’abolition des pratiques surannées de l’Ancien Régime répondait aux nécessités de la vie moderne, au vœu que les économistes et les capitalistes, bien avant 1789, ne cessaient de formuler.

La Belgique en devait fournir la preuve dès que le coup d’État de brumaire l’eut enfin placée dans les conditions d’existence normale. La stabilité des institutions, l’établissement de l’ordre, la restauration de la sécurité publique y ramènent avec une rapidité surprenante la confiance et l’énergie. Le retour de la paix intérieure avec l’avènement de Bonaparte produit les mêmes conséquences qu’en 1748, le retour de la paix avec l’étranger. Mais il les produit beaucoup plus vite, parce que tout à coup, sur le terrain préparé par les institutions nouvelles, l’activité économique se déploie sans entraves. Depuis 1800 jusque vers 1810, le progrès s’accomplit avec tant de vigueur qu’il imprime au pays une physionomie nouvelle dont les traits principaux persisteront depuis lors. C’est à cette époque que s’ouvre l’histoire de l’industrie moderne de la Belgique.

L’accroissement de la population est la marque la plus irrécusable de cette renaissance. Sous Bonaparte, comme jadis sous Philippe le Beau, il atteste que le pays a surmonté la crise par laquelle il vient de passer. Les chiffres abondent qui confirment son relèvement et l’on a plaisir à les voir s’aligner dans leur éloquence muette. De 1801 à 1816, le département de l’Escaut passe de 560,850 habitants à 615,689 ; celui de la Lys, de 459,436 à 519,436, celui de l’Ourthe, de 352,333 à 366,676. Gand comptait en 1798, 56,098 âmes, il en compte 62,226 en 1815 ; Liège, qui après avoir eu 50,260 habitants en 1790, était tombé à 38,196 en 1798, remonte à 48,520 en 1811. La population de Bruxelles présente des fluctuations également significatives : 74,427 habitants en 1783, 66,297 en 1800, 72,105 en 1803, 75,086 en 1812. D’une manière générale, il semble que le mouvement ascensionnel de la population ait été beaucoup plus rapide en Belgique que dans le reste de la France. Et cette vigoureuse croissance est d’autant plus remarquable que les guerres napoléoniennes ont été plus dévoratrices. La densité des habitants atteint son maximum dans les départements réunis. Sauf le Nord, aucun département français ne rivalise avec la Lys et l’Escaut qui comptent respectivement 125 et 200 personnes au kilomètre carré.

Une fois de plus, les Belges attestent donc au commencement du XIXe siècle, cette vigueur et cette énergie laborieuse que les catastrophes déchaînées sur leur pays par les fluctuations de la politique internationale n’ont jamais pu abattre. Comme à la fin du XVe siècle, comme sous Albert et Isabelle, comme après 1748, ils ont à peine recouvré le calme qu’ils se remettent au travail. Si la position centrale de leur pays le destine à être le champ de bataille de l’Europe, il en fait aussi un centre admirable d’activité économique, de sorte que, perpétuellement ballotté par les remous de l’histoire, les périodes de marasme et de renaissance y alternent de même que la paix et la guerre. Nulle part ailleurs elles ne sont aussi nombreuses et nulle part non plus elles ne présentent un contraste aussi frappant. Car les conditions mêmes qui vouent ce pays au passage des armées et à leurs chocs y favorisent également le transit et l’échange des marchandises. Périodiquement elles attirent sur lui la ruine, mais elles lui permettent aussi de se relever avec une rapidité surprenante. À peine a-t-il cessé d’être un camp, il se transforme en une manufacture et en un marché.

Le relèvement économique de la Belgique après brumaire a donc pour cause essentielle l’énergie nationale. C’est parce qu’elle est restée intacte qu’elle a pu s’adapter tout de suite au changement de l’ordre politique et de l’ordre social, comme au changement du marché. Sans doute le gouvernement n’a pas laissé de l’y aider. On sait que le Consulat et l’Empire, reprenant pour leur compte la tradition du mercantilisme et du despotisme éclairé, ont prodigué leurs faveurs au commerce, à l’industrie, à l’agriculture. Les départements réunis en ont ressenti, comme le reste de la France, les heureux effets. L’organisation d’expositions industrielles, les primes accordées aux fabricants et aux inventeurs, l’ouverture de crédits aux entrepreneurs de manufactures nouvelles, la législation sur les brevets, la protection officielle des sociétés d’agriculture, l’institution des chambres de commerce, la sollicitude des préfets à encourager dans tous les domaines les initiatives utiles et les applications des découvertes scientifiques à l’industrie, l’introduction enfin du système métrique pour les monnaies, les poids et les mesures ont exercé une influence salutaire mais qu’il convient pourtant de ne pas exagérer. Elles ont accéléré l’impulsion ; elles ne l’ont pas provoquée. Au surplus, elles ont plutôt créé des conditions favorables au développement industriel qu’elles ne l’ont doté de ressources et de moyens d’action. La guerre mettait trop largement le trésor à contribution pour qu’il fût possible d’en détourner des sommes bien considérables. À tout prendre, les subventions aux entreprises privées furent toujours assez maigres.

On constate surtout avec étonnement l’abstention presque complète de l’État en matière de travaux publics. Malgré l’institution du corps des ponts et chaussées (25 août 1804), la période française ne peut à cet égard soutenir la comparaison avec la période autrichienne. Tandis que l’outillage économique du pays s’est accru d’une manière si remarquable durant la seconde, c’est à peine s’il s’est amélioré au cours de la première. De 1795 à 1814, le réseau routier de la Belgique, qui était de 450 kilomètres, ne s’est accru que de 38 kilomètres. Quant aux voies navigables, on ne peut signaler durant le même laps de temps que la construction du canal de Mons à Condé, entreprise en 1807 et achevée seulement en 1814.

En revanche, et le contraste est caractéristique, les millions ont été prodigués sans compter au port d’Anvers. Jusqu’à la fin de l’Empire, le gouvernement y a entretenu à frais immenses des milliers d’ouvriers, employés au creusement des bassins, à l’établissement des quais, à la création d’une flotte militaire. Mais cet énorme effort ne devait profiter au pays qu’après la chute de Napoléon. Durant son règne il demeura stérile. Le blocus de l’Escaut par l’Angleterre empêcha toujours les vaisseaux de l’empereur de prendre la mer. Le public les comparait à des paralytiques[15] : ils ne furent qu’une menace inutile et, somme toute, quelque peu ridicule. La grandeur du port et la nouveauté de ses installations n’en faisaient que mieux ressortir l’abandon. C’est tout au plus s’il recevait quelques bateaux d’intérieur venus de Flandre ou de Hollande. À tout prendre, il n’était qu’une caserne navale, comme Anvers même n’était qu’une place de guerre. Son commerce demeura aussi chétif sous le maître de l’Europe, qu’il l’avait été depuis 1648, et Napoléon ne réussit pas mieux que Joseph II à rouvrir le fleuve qui destine cette place à être la métropole commerciale de la Belgique. De toutes les grandes villes du pays, elle est la seule dont la population n’ait pas augmenté de 1800 à 1814. Le silence de ses rues paraissait plus frappant aux étrangers par le contraste de l’agitation fiévreuse qui régnait au bord des eaux désertes de l’Escaut. Elle fut la victime des projets grandioses de Napoléon, ou, pour mieux dire, elle fut la victime de l’antagonisme irréductible qui se prolongea, jusqu’à sa chute, entre la France et l’Angleterre. Base navale inutilisée et inutilisable, elle végéta dans l’isolement au milieu de la renaissance économique dont en d’autres temps elle eût décuplé l’essor. Le pays que la nature avait doté d’un des plus beaux ports du monde, fut privé de son emploi par la politique. Il suffit de songer à cela pour se rendre compte que le relèvement de la Belgique s’effectua, somme toute, dans des circonstances anormales, qui ne font que le rendre plus significatif et, si l’on peut dire, plus honorable.

  1. Histoire de Belgique, t. V. 2e édit., p. 260 et suiv. Cf. H. van Houtte, Histoire économique de la Belgique à la fin de l’Ancien Régime (Gand, 1920)
  2. Histoire de Belgique, t. V, 2e édit., p. 481.
  3. Aulard. Recueil des actes du Comité de Salut Public, t. XV, p. 142. Ceci est confirmé par le fait qu’en 1793, le pays regorge d’argent. P. Verhaegen, La Belgique sous la domination française, t. I, p. 281.
  4. Th. Gobert, Histoire des rues de Liège, t. II, p. 437.
  5. Sur la situation durant l’hiver de 1794-1795, les renseignements abondent. Voy. entre autres la Correspondance de Bouteville, les documents publiés par Aulard, les histoires locales. En décembre 1794, des gens meurent de faim dans la région de Stavelot et de Spa (Aulard, Actes du Comité de Salut Public, t. XIX, p. 69). Le 26 novembre 1794, l’administration centrale ordonne la formation de greniers d’abondance et la réquisition de toutes les subsistances (Arrêtés, p. 136). Le 1er mai 1795, arrêté contre les vagabonds, les pillards, etc. (Ibid., p. 401). Le 18 février 1795, les représentants Cochon et Ramel disent que « la Belgique est épuisée et ses habitants réduits au désespoir ». Ils ont donné des ordres pour y faire venir de Hollande des secours en grains et fourrages (Sorel, L’Europe et la Révolution française, t. IV, p. 240).
  6. P. Verhaegen, op. cit., t. II, p. 508.
  7. Je me suis surtout basé sur l’examen des documents relatifs à la vente des biens nationaux, déposés aux Archives de l’État à Gand. Il est évident que, suivant les régions, les ventes ont dû présenter des aspects différents. Il est fort probable que ce qui se constate dans un département n’apparaît pas ailleurs de la même manière. On ne pourra rien dire de définitif et d’exact avant d’avoir institué une enquête approfondie. Je crois cependant que, dans ses conclusions générales, mon exposé ne s’écarte pas sensiblement de la réalité.
  8. J’emprunte cette phrase à G. Lefebvre, Les paysans du Nord pendant la Révolution française, p. 489. Vraie pour le Nord de la France, elle ne l’est pas moins pour la Belgique. Cf. Colenbrander, Gedenkstukken (1813-1815), t. I, p 501. En 1805 « plusieurs personnes de la plus grande distinction achètent de ces biens en seconde main ». Lanzac de Laborie, op, cit., t. II, p. 385.
  9. Ph. Sagnac, La législation civile de la Révolution, p. 186.
  10. Bergman, Geschiedenis der stad Lier, p. 487.
  11. J. Cuvelier, Een kijkje in de goederenverdeeling op het einde der XVIIIe eeuw. Limburgsch Jaarboek 1894-1895 ; Janssens, Geschiedenis van Turnhout, t. I, p.355, n.
  12. Pour l’influence de cette extension du marché sur le développement de l’industrie, voy. J. Lewinsky, L’évolution industrielle de la Belgique (Bruxelles, 1911).
  13. J’emprunte ces détails à C. Viry, Mémoire statistique du département de la Lys, p. 102 et suiv. (Paris, an XII). Cf. aussi Faipoult, Statistique du département de l’Escaut, p. 151 (Paris, an XIII) ; Van der Mersch, Mémoire sur la mendicité, p. 219 (Bruxelles, 1852).
  14. D’après un rapport évidemment exagéré de Felz à Metternich, la Belgique rapportait 20 millions sous le régime autrichien et de 150 à 160 millions sous Napoléon ! Colenbrander, Gedenkstukken (1813-1815), t. I, p. 328. — Faipoult, op. cit., p. 124, constate que le contribuable paye moins en 1805 qu’en 1789, mais qu’il ne le croit pas, parce que l’impôt direct est plus fort. Cf. dans le même sens van der Mersch, op. cit., p. 162. Voy. dans P. Verhaegen, op. cit., t. II, p. 501, une évaluation du produit des impôts en 1810. Elle aurait atteint la somme de 76 millions, donc la moitié de la supputation de Felz. Il ne faut naturellement pas attacher d’importance aux plaintes des contribuables : elles sont les mêmes sous tous les régimes. Il est d’ailleurs probable que l’impôt français a été plus lourd dans le pays de Liège et dans le Namurois, fort peu taxés sous l’Ancien Régime, que dans la Flandre qui l’était beaucoup. De plus, il a dû peser particulièrement sur les classes pauvres, à cause du grand nombre des taxes indirectes.
  15. Bulletin de l’Académie royale d’Archéologie, 1923, p. 131.