Histoire de la chimie/Tome 1/Première époque/Première section/Égyptiens, Phéniciens, Hébreux/Paragraphe 3

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§3.

Métallurgie. — Or. — Argent. — Airain. — Fer, etc.

Les métaux sont les indispensables auxiliaires de l’industrie. Ils attirèrent de bonne heure l’attention du cultivateur et du chasseur. Et le guerrier lui-même devait bientôt reconnaître, soit pour l’attaque, soit pour la défense, l’incontestable supériorité des métaux sur les armes primitives de pierre ou de bois.

Le premier connu de tous les métaux, c’est l’or. D’abord, sa couleur et son éclat le font remarquer des sauvages et même de certains animaux (2[1]) ; puis, on le rencontre presque partout à l’état natif, c’est-à-dire avec la couleur, avec l’éclat et les autres propriétés physiques qui le caractérisent.

Une chose digne de remarque, c’est que le nom qui en hébreu, en phénicien et probablement dans la langue démotique des Égyptiens, signifie or, זָהָב, dérive précisément du verbe briller, resplendir, צָהַב (tsahab). C’est avec l’or qu’on a fabriqué les premiers instruments métalliques. Il est question, dans le Pentateuque (3[2]), de coupes, d’encensoirs, de tasses et de candélabres, faits avec de l’or pur, travaillé au marteau.

Le mot טָהוֹר (tahor), qui signifie pur, sans mélange, supposerait-il la connaissance de quelque moyen chimique de purifier l’or ? C’est une question sur laquelle nous reviendrons. Il paraît certain que l’on ne connaissait pas à l’époque de Moyse la dorure proprement dite, et que l’on ne savait aucun moyen de dissoudre l’or. Pour la construction du tabernacle, le seigneur avait dit : « Vous couvrirez les ais de lames d’or ; — vous couvrirez aussi ses barres de lames d’or (1[3]). »

C’était là une simple opération mécanique, semblable à celle dont parle Homère à propos du sacrifice de Nestor : « Vint le forgeron tenant dans ses mains les instruments de son art, l’enclume, le marteau et les tenailles bien faites, avec lesquels il travaillait l’or (χρυσὸν εἰργάξετο) (2[4]). »

Les anciens chimistes ont fait bien des conjectures sur le veau d’or que Moyse brûla, et qu’il donna à boire aux Israélites (3[5]). On est allé jusqu’à supposer ce législateur initié à la chimie ou à l’alchimie. Suivant Stahl, l’auteur de la fameuse théorie du phlogistique, Moyse eut le secret de l’or potable, et en faisant boire cette dissolution il aurait aggravé la punition infligée aux Israélites récalcitrants (4[6]). Le mot brûler, remarque Wiegleb (5[7]), signifie aussi fondre ; comme le veau d’or était probablement en bois recouvert de lames d’or, Moyse ne brûla réellement que le bois, pendant que l’or allait se fondre en culot : les cendres mises dans l’eau donnèrent non pas de l’or potable, mais une eau lixivielle (chargée de sels alcalins), qui devait produire l’effet d’un purgatif.

Moyse s’était-il réellement servi d’un moyen chimique pour dissoudre le veau d’or ? Non ; car en lisant attentivement le texte hébreu on peut se convaincre qu’il n’y est parlé que d’une opération purement mécanique. Voici comment nous traduisons ce passage de l’Exode : « Et il (Moyse) prit le veau, qu’ils (les Israélites) avaient fait, et le détruisit dans le feu (6[8]), et il le moulut (dans un moulin à bras (1[9]) en petites parcelles, qu’il jeta dans l’eau et fit boire aux fils d’Israël. »

Ainsi donc, c’était de l’or divisé par un moyen mécanique et tenu en suspension dans l’eau, que Moyse fit boire aux Israélites. Toutes ces discussions sur la prétendue dissolution du veau d’or et sur le savoir chimique de Moyse tombent d’elles-mêmes devant la clarté du texte original.

L’argent devait être connu presque en même temps que l’or ; car il est plus répandu dans la nature qu’on ne se l’imagine, et il se rencontre également à l’état natif. Quoique l’argent n’attire pas autant les regards que l’or, le nom qu’il porte dans toutes les langues anciennes est fondé sur la couleur et l’aspect que présente ce métal. Ainsi, כֶּסֶף (khesef), qui signifie argent en hébreu, dérive du verbe כָּסַף (khasaf), être pâle ; de même qu’en grec ἅργυρος ; (argent) vient de grc, blanc. C’est de là que dérivent le latin argentum et les mots équivalents des langues néolatines. L’argent servait aux même usages que l’or.

Après ces deux métaux viennent le cuivre, l’étain, l’airain et le plomb. On trouve l’énumération complète des métaux anciennement connu (vers 1 500 avant J.-C.), dans le passage suivant du Pentateuque (2[10]) : « Que l’or זָהָב (zahab), l’argent כֶּסֶף (khesef), le fer בַּרְזֶל (barzet), l’airain נְחֹ֫שֶׁת (nekhocet), le plomb עֹפָ֫רֶת (oferet), l’étain בְּדִיל (betil), et tout ce qui peut passer par le feu (3[11]), soit purifié par le feu. »

L’histoire ne nous a pas transmis le nom de celui qui eut le premier l’idée de retirer les métaux des minerais, dont l’extérieur ne fait ordinairement guère soupçonner les substances qu’ils recèlent.

Les Égyptiens attribuaient cette découverte à leurs premiers souverains (4[12]) ; les Phéniciens, à leurs divinités (5[13]).

Quand on songe qu’à notre époque, où la science fait tant de progrès, on n’a pas encore trouvé le moyen d’obtenir les métaux à l’état de pureté parfaite, on a toute raison de croire que les métaux des anciens étaient très-impurs et très-imparfaits. Comme les minerais ne renferment jamais un seul et même métal, les métaux qui en provenaient devaient être des espèces d’alliages, plus ou moins faciles à travailler. L’extraction et l’affinage des métaux supposent des connaissances qui se perfectionnent de jour en jour.

Il n’y a qu’un moyen d’expliquer la haute antiquité des métaux, c’est d’admettre, par hypothèse, que les métaux ou leurs mines étaient pour ainsi dire à fleur de terre ; que les éléments minéralisateurs, comme le soufre, l’oxygène, etc., n’avaient pas encore eu le temps de compléter leur action en altérant les métaux au point de les rendre méconnaissables, et que la plupart existaient à l’état natif ou à peine altérés, pareils au fer et au nickel qu’on trouve dans les météorites. Ne se pourrait-il pas que le fer d’alors, dont le prix était presque égal à celui de l’or, fût du fer aérolithique ? C’est une question que nous ne faisons que poser.

Les Égyptiens paraissent avoir connu de temps immémorial le moyen de purifier l’or et l’argent à l’aide du plomb et des cendres des végétaux. Le borith (בֹּרִית), par lequel il faut entendre tantôt le sel alcalin retiré des cendres (carbonate de potasse du commerce), tantôt les cendres mêmes, était primitivement employé comme fondant et dans l’affinage des métaux (1[14]).

Les anciens ignoraient l’usage des acides ou des eaux corrosives pour attaquer les métaux ou les minerais. Ils ne connaissaient que le vinaigre et les sucs acides des végétaux ; ils savaient cependant que ces derniers, conservés dans des vases d’airain, acquièrent des qualités malfaisantes. Il faut arriver au neuvième siècle de notre ère pour trouver les premières traces de la dissolution des métaux au moyen d’un acide minéral (eau-forte).

Les opérations auxquelles on soumettait les métaux étaient, pour le répéter, purement mécaniques. L’enclume, les tenailles et le marteau sont mentionnés par les auteurs les plus anciens comme attributs du forgeron (2[15]). On réduisait les métaux en lames plus ou moins minces ; mais on ne connaissait pas encore le moyen de les réduire en fils.

Les peuples primitifs employaient, comme le font encore aujourd’hui les peuples sauvages, le cuivre, ou des alliages de cuivre et d’étain ou de zinc (airain, bronze), pour les mêmes usages auxquels nous faisons aujourd’hui servir le fer ou l’acier, « Les Massagètes emploient, dit Hérodote, l’airain pour la fabrication des lances, des pointes de flèche, des sagayes. L’or leur sert dans leurs ornements. Ils garnissent le poitrail de leurs chevaux de cuirasses d’airain, et enrichissent d’or les brides, les mors et les housses. Mais ils ne connaissent pas le fer (1[16]). »

Les alliages de cuivre sont désignés par les noms génériques נְחֹ֫שֶׁת (nekhochet) (2[17], χαλαός aes, que l’on traduit généralement par airain. Nous reviendrons plus bas sur la valeur de ces mots.

Tous les auteurs anciens s’accordent à dire que les instruments aratoires, les armes, les outils employés dans les arts, etc., étaient fabriqués en airain (3[18]). Les armes, et d’autres instruments antiques, que l’on conserve dans les musées et dans les arsenaux de l’Europe, confirment ces témoignages (4[19]).

Le fer cru et non travaillé était probablement connu depuis la plus haute antiquité. Mais comme ce métal est très-difficile à fondre et à travailler, il s’était sans doute passé des siècles avant que l’on parvint à l’extraire convenablement de sa mine, à le forger, et à le rendre par la trempe apte à servir dans une foule d’usages, et à devenir ainsi le plus utile et conséquemment le plus précieux des métaux.

L’histoire de la découverte du Nouveau Monde nous apprend que les Mexicains et les Péruviens, qui connaissaient depuis longtemps l’art de travailler l’or, l’argent et le cuivre, n’avaient aucune notion des instruments de fer, quoique ce dernier métal abonde au Mexique et au Pérou[20]. Or, l’histoire des peuples sauvages est l’histoire des peuples primitifs.

Les traditions des Phéniciens et des Crétois font remonter la découverte du fer à des époques très-reculées[21]. Les Grecs l’attribuaient à des personnages fabuleux, à Cybèle, à Prométhée, aux Cyclopes et surtout aux Dactyles du mont Ida. « Les Dactyles étaient, dit le scoliaste d’Apollonius de Rhodes, des enchanteurs et des magiciens, qui passent pour avoir trouvé le fer[22]. » — Il y avait un mont Ida dans l’ile de Crète et un autre sur les limites de la ïroade et de la Phrygie, au fond du golfe d’Adramyttium. Duquel des deux s’agit-il ici ? Cette question se trouve résolue par le passage suivant de Diodore : a Le mont Ida est la plus haute montagne de l’Hellespont ; on y trouve un antre merveilleux, où les déesses furent, dit-on, jugées par Paris. C’est dans ce même antre que la tradition place les ateliers des Dactyles idéens, qui les premiers forgèrent le fer, après avoir appris cet art de la mère des Dieux [23] » — Les Chalybes, qui habitaient sur les bords du Pont-Euxin, passaient aussi pour très-habiles à travailler le fer[24] par l’emploi de la trempe, dont ils paraissent avoir eu le secret. Serait-ce en honneur des Chalybes que l’acier reçut le nom latin de chalybs ?

La connaissance de la trempe du fer, que François Bacon regarde à tort comme une découverte moderne, remonte au moins à mille ans avant l’ère chrétienne. Homère en parle en termes non équivoques, à propos de Polyphème, auquel Ulysse creva l’œil avec un pieu. « Et il se fit entendre, dit le poète, un sifflement semblable à celui que produit une hache rougie au feu et trempée dans l’eau froide ; car c’est là ce qui donne au fer la force et la dureté (τὸ γὰρ αὖτε σιδήρου γε κράτος ἐστίν) » [25].

Sophocle, qui vivait au temps de Périclès, par conséquent plus de 400 ans avant J.-C., compare quelque part un homme dur et entêté à du fer trempé (βαφῇ σίδηρος ὣς)[26]. Selon les marbres d’Arundell, le fer était connu 188 ans avant la guerre de Troie. Mais cette autorité est contredite par Hésiode, Plutarque et d’autres. Les anneaux de fer que l’on a trouvés dans les tombeaux d’Égypte sont d’une date plus récente ; la plupart ne paraissent pas être antérieurs aux Ptolémées[27].

La dureté du fer et la difficulté de le faire fondre, ces deux qualités caractéristiques, ont de tout temps fixé l’attention sur ce métal. Moyse parle souvent, au figuré, de la dureté du fer[28]. Une domination dure est désignée par שֵׁבֶט בַּרְזֶל (chefet barzel)[29], domination de fer ; un cœur insensible est comparé à une chaîne de fer (גִיד בַּרְזֶל)[30].

En voyant Moyse comparer la servitude à la chaleur d’un fourneau dans lequel on fond le fer, on serait porté à croire que l’on construisait déjà à l’époque de ce législateur, et probablement avant cette époque, des fourneaux particuliers pour faire fondre le fer. « Le Seigneur, dit Moyse aux Israélites, vous a fait sortir de l’Égypte comme d’un fourneau [où l’on fond] le fer (כּוּר הַבַּרְזֶל)[31].

Qu’il nous soit permis ici de relever une de ces erreurs qu’il arrive souvent de commettre, lorsqu’on est réduit à se fier) des traductions qui ne peuvent en aucun cas remplacer le texte original.

Goguet dit, à la page 342, tome I, d’un ouvrage estimé[32] : « Mais ce qu’on doit le plus remarquer, c’est que dès lors (à l’époque de Moyse) on faisait en fer des épées, des couteaux, des cognées, et des instruments à tailler des pierres. Pour parvenir à faire des lames de couteau, d’épée, etc., il a fallu trouver l’art de convertir le fer en acier, et le secret de la trempe. Ces faits me paraissent prouver suffisamment que la découverte de ce métal et l’art de le travailler remontent à des temps très-anciens, etc. »

Cette opinion, inconsidérément adoptée par beaucoup leurs, ne repose sur aucun texte de Moyse. Dans les passages du Pentateuque que Goguet cite, il n’est nullement question de lames de fer, ni de couteaux, ni d’épées. Voici comment nous traduisons textuellement :

« Il (le prêtre) lui déchirera les ailes ; il ne la partagera pus (לֹא יַבְדִּיל)[33]. » Le verbe בָּדַל (seulement employé au Hiphil) n’a jamais signifié autre chose que partager, séparer, disjoindre. Mais on peut disjoindre quelque chose par la simple force des mains, comme avec une pierre ou un os aiguisé. Il ne s’agit donc ici ni de lames ni de couteaux. De plus, le nom de fer ne s’y trouve même pas indiqué ; et les traducteurs, qui se sont servis des expressions de « lames de fer ou de couteaux », auraient pu tout aussi bien employer d’autres termes, tels que lames d’or, lames d’argent, d’airain, etc.

Ce qui prouve que les lames des couteaux qu’on employait alors (vers 1500 avant l’ère chrétienne) dans les cérémonies religieuses, et pour d’autres usages, étaient, non pas en fer, mais en pierre, ce sont les expressions de צוּר et צוּריס pierre, rocher, qui accompagnent toujours le nom חֶרֶב, couteau, épée[34]. C’est ce que les Septante ont rendu par μαχαίρας πετρίνας, et la Vulgate par cultros lapideos (couteaux de pierre).

Passons à une autre citation sur laquelle s’était appuyé Goguet, suivi par d’autres : « Si quelqu’un frappe avec [le] fer, et que [celui qui aura été frappé] meure, il est coupable d’homicide [35]. »

Dans ce passage il n’est non plus question ni d’épées, ni d’aucun instrument tranchant. On y trouve seulement le nom בַרְזֶל (barzel), qui signifie masse de fer. Mais on peut frapper quelqu’un avec une massue de fer ou une baguette, tout aussi bien qu’avec un instrument tranchant. Ce qui prouve qu’il faut entendre par בַרְזֶל une barre ou massue de fer, c’est que le verbe הִכְהי (de נָכָה), qui est ici employé pour désigner l’action de frapper, se rencontre plusieurs fois dans le Pentateuque, particulièrement à propos de la baguette de Moyse[36].

L’arme de fer (מִנֵּשֶׁק בַּרְזֶל), mentionné dans le livre de Job[37], le fer employé pour tailler les pierres, et d’autres instruments qui ne sont jamais désignés autrement que par la dénomination de fer (בַרְזֶל), pouvaient être de simples massues, des barres ou des espèces de marteaux de fer[38].

En insistant sur ces détails philologico-archéologiques, nous ne prétendons point nier que les anciens n’aient connu aucun moyen de travailler le fer pour en fabriquer des armes et d’autres ustensiles ; il nous importait seulement de montrer combien il faut être circonspect lorsque, pour défendre ses opinions, on ne s’appuie que sur l’autorité des traducteurs.

Quoi qu’il en soit, il paraît certain que, jusqu’au douzième siècle avant l’ère chrétienne, presque tous les instruments qui sont aujourd’hui en fer ou en acier étaient fabriqués avec des alliages de cuivre. Les outils du forgeron, l’enclume, le marteau et les tenailles, qui doivent être comptés au nombre des premiers instruments qu’on ait songé à faire en fer, étaient en airain, même au siècle d’Homère (χαλκήια, πείρατα τέχνης)[39].

Suivant quelques érudits, le fer fui introduit en Grèce vers l’an 1400 avant J.-C., à l’époque où régnait en Égypte Aménophis III, fondateur du temple de Louqsor et de beaucoup d’autres monuments de la haute Égypte ; mais cette opinion ne repose sur aucun document authentique. Au rapport d’Hésiode, le fer n’était pas encore connu des Grecs au temps de Thésée, qui occupa le trône d’Athènes en 1245 avant J.-C. : le glaive de ce héros légendaire était d’airain.

Ce qui avait fait croire que les Égyptiens connaissaient le fer très-anciennement, ce sont les figures hiéroglyphiques taillées dans des pierres extrêmement dures, telles que le granit et le basalte. En effet, pour exécuter ces sculptures, il fallait des instruments fabriqués avec des matières plus dures que ces roches. Mais est-ce qu’on n’aurait pas pu préalablement ramollir la pierre aux endroits où elle devait être entamée, par quelque moyen chimique ? Nous verrons plus loin que l’Egypte est la patrie de l’art sacré qui possédait le secret des dissolvants. Suivant M. de Rozière, cité par M. Wilkinson, les granites égyptiens ont été taillés et gravés avec des outils de bronze, à juger surtout par les traces d’oxyde de cuivre qu’on y rencontre. Les glaives et poignards, trouvés à Thèbes, sont en bronze. Malgré leur vétusté, ils sont flexibles et élastiques comme le meilleur acier trempé. Les glaives sont droits, d’environ deux pieds et demi de long. On en rencontre qui sont surmontés d’une tête d’épervier, symbole des Pharaons. Les faux ou couteaux recourbés, qu’on voit figurés sur les monuments de Thèbes, ont leurs lames peintes en bleu, ce qui semblerait indiquer qu’elles étaient en acier. Certaines massues paraissent avoir été composées de fer météorique[40]. Les clefs furent au nombre des premiers instruments fabriqués avec le fer, lorsque ce métal devint d’un usage plus répandu[41].

L’usage du fer est postérieur à l’usage de l’or, de l’argent et du cuivre (airain). C’est là l’opinion qu’avait déjà émise Isidore de Séville, qui vivait au sixième siècle de notre ère ([42].

Le bedil (בְּדיל), que les traducteurs rendent par étain, paraît, ainsi que le plumbum des Romains, avoir signifié, tantôt étain (plumbum album), tantôt plomb proprement dit (plumbum nigrum). Dans d’autres cas, bedil (בְּדִיל) veut dire scories, impuretés, comme dans le passage suivant (Isa. c. I. V, 25) : « J’étendrai ma main sur vous ; je vous purifierai de toute votre écume par le feu ; j’ôterai tout l’étain qui est en vous [43]. » — Le mot bedil dérive ici évidemment de badal (בָּדַל), séparer, éliminer. L’étain, le plomb, et en général tous les métaux alors connus, composaient une branche importante du commerce des Phéniciens et des Carthaginois ([44]. S’il est vrai que les métaux doivent, comme l’or et l’argent, leurs dénominations primitives à leur aspect ou à quelque propriété physique saillante, nous établirons, contrairement à l’autorité de tous les traducteurs et archéologues, que l’opheret (עוֹפֶרֶת) des Hébreux, des Phéniciens et des Égyptiens, est, non pas le plomb, mais le cuivre[45] ; car opheret dérive de aphar (עָפַר), rouge, ou terre rougeâtre[46]. Or la couleur rouge n’est applicable qu’au cuivre. Le mot opheret ne saurait faire allusion à la couleur de la litharge ; car jamais les propriétés des composés métalliques, qui étaient considérés comme des produits tout particuliers, ne servaient à désigner le métal. Sans doute les anciens connaissaient le plomb, mais ce métal n’avait alors aucun nom spécial : bedil signifiait, ainsi que nous venons de l’indiquer, tantôt étain, tantôt plomb. Il règne ici la même confusion que chez les Romains et les Grecs, pour les mots stannum, plumbum et χασίτερος.

Les composés métalliques, les plus anciennement connus, sont les oxydes (rouilles) de fer, de plomb, de cuivre et d’étain, obtenus, soit par la calcination, soit par la simple exposition de ces métaux à l’air. Peut-être faut-il y ajouter encore les acétates, préparés par la dissolution des métaux dans le vinaigre. Certains oxydes métalliques (rouilles) étaient depuis longtemps employés par les Égyptiens et les Phéniciens pour colorer le verre.

Les Hébreux, moins industrieux que les Égyptiens, auxquels ils empruntèrent leurs arts, avaient des mines dans le pays de Chanaan[47] ; mais on ne voit point qu’ils les aient exploitées. D’ailleurs ils ne nous ont laissé aucun détail sur les procédés dont ils se servaient pour l’extraction et l’affinage des métaux. Nous n’avons à cet égard que des mots isolés, tels que fourneau de fer (pour préparer le fer) (כּוּר הַבַּרְזֶל)[48], scories (כֶּ֣סֶף סִ֭יגִים)[49], four pour purifier l’argent et l’or (סִגִים כֶּסֶף וְוַהַכ כּוּר)[50], des cendres de borith (בֹּרִית)[51] (carbonate de potasse impur).


§4.

Monnaies.

Il est impossible de dire à quelle époque remonte l’emploi des métaux, particulièrement de l’or et de l’argent, comme signes représentatifs des produits industriels, ou du prix des marchandises et des denrées. Les Égyptiens paraissent en avoir les premiers fait usage. Abraham (1900 ans avant J.-C.) ne connaissait l’or et l’argent, comme signes de la richesse, qu’après son voyage en Égypte[52]. Ces métaux n’étaient pas d’abord monnayés ; ils se vendaient au poids, comme cela se pratique encore en Chine. Moyse fit peser devant tout le peuple la somme d’argent destinée à l’achat d’un terrain de sépulture[53]. Les expressions, telles que or ou argent pur, très-pur, qu’on rencontre dans l’Écriture, font supposer que ces métaux étaient, comme ils le sont encore aujourd’hui, des espèces d’alliages dans lesquels l’or et l’argent prédominaient. Y avait-il, à cette époque reculée, quelque moyen chimique pour apprécier le titre, c’est-à-dire la quantité réelle d’or ou d’argent contenue dans ces alliages ? C’est ce qu’il est difficile de déterminer. Cependant il semble ressortir de différents passages de l’Écriture, que de même qu’on employait les cendres des végétaux (borith) pour nettoyer les étoffes, on s’en servait aussi pour nettoyer l’or et l’argent, afin de leur enlever les scories, les impuretés désignées par le nom בְּדיל, plomb. Ainsi, les cendres des végétaux (faisant le même office que les coupelles d’os calcinés), le plomb et le feu, voilà, en effet, l’ensemble de tous les éléments de la coupellation. Et il n’est pas impossible que les fourneaux qui servaient à purifier l’argent et l’or (כּוּר כֶּסֶף וְוַהַכ) aient été réellement des fourneaux d’essai, et les מְכַבְּסִֽים (purificateurs), des

  1. Les pies, les corbeaux, et d’autres oiseaux d’un instinct voleur.
  2. Exode, XXV, 29, 31, 36.
  3. Exode, XXVI, 10, 29.
  4. Odysée, III 432 et suiv.

    Ηλθε δὲ χαλκεὺς
    ὅπλ᾽ ἐν χερσὶν ἔχων χαλκήια, πείρατα τέχνης,
    ἄκμονά τε σφῦραν τ᾽ ἐυποίητόν τε πυράγρην,
    οἷσίν τε χρυσὸν εἰργάξετο

  5. Exode, XXXII, 20.
  6. Vitilus aureus in Opusc. Chym. Phys. med., p. 585.
  7. Handbuch der allg. Chemie, t. I, p. 120 ; 1786.
  8. Littéralement, il l’absorba dans le feu, וַיִּשְׂרֹף בָּאֵשׁ, c’est-à-dire qu’en le fondant il en détruisit la forme. Exode, XXXII, 20.
  9. וַיִּטְחַן עַד אֲשֶׁר-דָּק : le verbe טְחַן (thakhane), qui est ici employé vient du subst. טַחֲנָה (takhanah), moulin à bras
  10. Nombr. XXXI, 22 et 23.
  11. כָּל־דָּבָ֞ר אֲשֶׁריָבֹ֣א בָאֵ֗ש
  12. Diodore, I, 43. Agatharchide apud Phot., c. II.
  13. Voy. notre Phénicie, p. 68, dans l’Univers pittoresque
  14. Voy. pag. 54 et 58.
  15. Job. XXX, 10 ; Hom., Odyss., III, 432.
  16. Hérodote, I, 215.
  17. נְחֹ֫שֶׁת est un nom onomatopique, qui dérive de נָחַשׁ (nakhach), faire du bruit, siffler
  18. Genes. iv, 22. Exod. xxvi, 11. Hésiod. Theog. v, 722, 726, 733. Lucrèce, liv.  V, 1286. Varron dans S. Augustin, de Civ. Dei, lib.  vii, c.24. Isid. Orig. lib.  viii, c. 11. Illiad. IV, v. 511 ; xiii, v. 622 ; xxiii, v. 560 ; xxiii, v, v. 723 ; xxiii, v. 118. Odyss. XXI v. 423 ; V, v. 244. Diodore, i. Agatharchide apud Phot., c. 1341 et 1344.
  19. Avant la connaissance du bronze, les hommes fabriquaient leurs armes et ustensiles avec la pierre silicieuses. De là trois âges bien distincts dans la marche de la civilisation : 1o  l’âge de pierre, 2o  l’âge de bronze, 3o  l’âge de fer. La durée de chacune de ces périodes est difficile, sinon impossible, à déterminer. Comp. p.30 et 43.
  20. Al. Barba. I, p. 111 et 118. Acosta, Hist. des Indes, in-fol., p. 132. Mém. de l’Acad. de Berlin, 1746, p. 451.
  21. Sanchoniath. apud Euseb. p. 35.
  22. Ad. Argonaut. I, 1129. Voy. P. Rossignol, les Métaux dans l’antiquité p. 16 (Paris 1863).
  23. Diodore, XVII, 7.
  24. Eschyle, in Prometh. vincto, v. 718. Virg. Georg. lib. , v. 58. Ammien Marcelin, liv. XXII, c. 8. Tzetzès, Chron. 10, p. 338
  25. Odyss. IX, 393.
  26. Ajax, v. 720.
  27. J.-G. Wilkinson, Manners and customs of the ancient Egyptians, vol. I, p. 242.
  28. Deut. XXVIII, 23 et 48 ; III, 11, VIII, 9. Lévit. XXVI, 19.
  29. Ps. II, 9.
  30. Is. XLVIII, 4.
  31. Deut. IV, 20.
  32. De l’origine des lois, des arts et des sciences, etc., 6 vol.  Paris, 8, 1778
  33. Lévit. I, 17. וְשִׁסַּע אֹתוֹ בִכְנָפָיו לֹא יַבְדִּיל, ces mots ont été inexactement rendus par les traducteurs « Il lui rompra les ailes sans les couper, et sans diviser l’hostie avec le fer (ou le couteau). » — Le mot שסַּע (chissa), qui est ici employé, est onomatopique comme le grec σχίζω, imitant, en quelque sorte, le bruit de l’action de déchirer.
  34. Josué V, 2, 3. Exod., iv, 25. Ps. LXXXIX, 44.
  35. Nombres XXXV, 16.
  36. Exode, VIII, 13 ; II, 11, 13. Deut. XXV, 3
  37. Job, XX, 24.
  38. Job, XIX, 24. Deut. XIX, 5 ; XXVII, 5. Jos., VIII, 31.
  39. Odyss. III, v.  433.
  40. S.-G. Wilkinson Manners and Customs of the ancient Egyptians, vol. I, p. 320 (Londres, 1837).
  41. Ibid., p. 112, M. Wilkinson possède une de ces clefs égyptiennes dont il a donné le dessin dans son ouvrage. Elle ressemble à une pince dite monseigneur ; un de ses bouts est armé de trois dents.
  42. Ferri usus post alia metalla repertus est. Isidore, Orig., XVI, 20.
  43. אָסִירָה כָּל בְּדִילָיִךְ, removebo omnia stanna tua, i. e. spurias et impuras metalli partes. Gesenius. Lex. Heb. et Chald. ; Lips. 1833.
  44. Ezech. XXVII, 12 « Les Carthaginois trafiquaient avec vous, en vous apportant toutes sortes de richesses, et remplissaient vos marchés d’argent, de fer, d’étain et de plomb. »
  45. Exode, XV, 10. Zach. V, 8.
  46. Job. XXVIII, 6. Prov. VIII, 26.
  47. Deut. VIII, 9. Job parle également de mines (c. XXVII). Il en est encore question Psaum. XCV, 4, et Isa. II, 1.
  48. Deut. IV, 20. I Reg. VIII), 51. Jer. XI, 4.
  49. Prov. XXVI, 23. Ps. CXIX, 140. Isa. I, 22, 25.
  50. Ezech. XXII, 18-22. Prov. XVII 3 ; XXVII, 21.
  51. Malach. III, 2. Jerem. II, 22.
  52. Genèse, XIII, 2.
  53. Gen. XXIII, 16.