Histoire de la littérature grecque (Croiset)/Tome 5/Période de l’Empire/Chapitre 5

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CHAPITRE V
HELLÉNISME ET CHRISTIANISME SOUS LES ANTONINS.

bibliographie

Arrien. Pour les Entretiens d’Épictète et le Manuel, voir la Bibliographie d’Épictète, en tête du chap. III. — Expédition d’Alexandre. Manuscrits. Voir les préfaces des éditions de Brüger et de Dübner. Les meilleurs mss. paraissent être le Laurentianus 9, 31 et le Parisinus 1753 ; un classement définitif est encore à faire. Éditions. Première édition, Venise, 1515, due à Trincavelli. Les plus importantes sont celles de Gronovius, Leyde, 1704 ; de Krueger, Berlin, 1835-1848, avec des notes ; de Duebner, dans la biblioth. Didot, Paris, 1846 ; de Sintenis, Berlin, 189 ; d’Abicht, Leipzig, 1879, dans la bibliothèque Teubner. Il manque encore une édition critique tout à fait satisfaisante. — Petits écrits (Scripta minora). Éditions. Œuvres complètes par Borheck et Schulze, 3 vol. 1792-1810 ; édition de C. Müller, dans l’Arrien de la biblioth. Didot, Paris, 1868 ; du même, recueil de fragments dans le III des Hist. græc. fragmenta ; édition générale des Scripta minora par Hercher dans la bibliothèque Teubner, Leipzig, 1834.

Appien. Manuscrits. Voir l’art. Appianus n° 2, de Schwartz, dans Pauly-Wissowa, t. I, col. 217. Les diverses parties de l’histoire d’Appien se trouvent dans des mss. divers, ou sont mieux conservées dans certains d’entre eux. Pour le prologue, le meilleur ms. est le Vaticanus 141 (xiie siècle). Les livres VI, VII, VIII, de même que l’abrégé du IVe, ne subsistent plus que dans la seconde partie du même ms., plus ancienne que la première (XIe s.). Le reste nous a été conservé par divers mss., dont les meilleurs (Monacensis 374, Marcianus 387, et Vaticanus 134) procèdent d’un même archétype perdu. — Éditions. La première édition de l’original grec est celle de C. Estienne, Paris, 1551. La plus importante, du xvie au xixe siècle, fut celle de Schweighæuser, 3 vol., Leipzig, 1785, avec un appareil critique et des notes. Divers fragments découverts par Angelo Mai ont été publiés par lui dans Scriptorum veterum nova collectio, t. II, Rome, 1825, et reproduits, avec les parties conservées de l’histoire romaine, dans l’Appien de la bibliothèque Didot, Paris, 180. Bekker a donné une petite édition sans notes en deux volumes, Leipzig, 1832-53. La meilleure est aujourd’hui celle de Mendelssohn, dans la biblioth. Teubner, 2 vol., Leipzig, 1879-81.

Pausanias. Manuscrits : Voir la préface de l’édition Schubart. Les meilleurs paraissent être le Leidensis 16 et le Vindobonensis 51. — Éditions. La première fut celle de Musurus, Alde, Venise, 1516. Parmi celles qui suivirent, sans révision cri que des mss., citons seulement celle de Clavier et Coraï, 6 vol., Paris, 1814-1821, à cause de la traduction française et des notes qui l’accompagnent ; avec les remarques supplémentaires de P. L. Courier, 1823. La première édition critique a été celle de Bekker, 2 vol. ; Berlin, 1826-27. Citons ensuite celle de Schubart et Walz, 3 vol., Leipzig, 1838-39, avec un appareil critique et une traduction latine ; celle de Dindorf dans la bibliothèque Didot, Paris, 1845 ; la seconde édition de Schubart dans la biblioth. Teubner, 2 vol., Leipzig, 1873-74, réimprimée en 1875. Une nouvelle et importante édition, avec commentaires archéologiques, par Hitzig et Blumner, est en cours de publication.

Bibliothèque d’Apollodore. La meilleure édition est aujourd’hui celle de Rich. Wagner, dans la biblioth. Teubner, Mythographi græci, t. I, Leipzig, 1894. On trouvera dans la préface une étude complète des mss. Parmi les éditions antérieures, il suffira de citer celle de Heyne, en deux vol., dont un de notes. Gœttingue, 1782, et celle de C. Müller, dans la biblioth. Didot, Hist. Græc. fr., t. I.

Antoninus Liberalis, édition d’E. Martini, dans la biblioth. Teubner, Mythog. Græci, vol. II, Lipsiæ, 1886. La préface, p. XXIX et suiv., contient une étude soignée du ms. Palatinus 398 (le seul qui nous ait conservé le Recueil de Métamorphoses), ainsi que des éditions antérieures.

Marc-Aurèle. Manuscrits. Voir la préface de l’édition de J. Stich, p. VII et suiv. Le seul complet est le Vaticanus 1959. — Éditions. La première fut donnée par Xylander, Zurich, 1530, d’après un Palatinus aujourd’hui perdu. Les plus importantes furent ensuite celles de Casaubon, Londres, 1643 ; celle de Th. Gataker, Cambridge, 1652, avec une traduction latine et un commentaire ; celle de Duebner, dans la biblioth. Didot (réuni avec Théophraste), Paris, 1840. La meilleure est aujourd’hui celle de Stich, dans la bibliothèque Teubner, Leipzig, 1882.

Sextus Empiricus. Nous n’avons pas encore d’édition critique, ni d’étude méthodique des mss. Voir quelques indications dans la préface de l’édition de Bekker. La plus importante édition est celle de J. A. Fabricius. Leipzig, 1718 ; seconde édition corrigée. Leipzig, 1840-42, Bekker a donné une édition en un seul volume, où le texte a été collationné sur de nouveaux mss., Berlin, 1842.

Artémidore d’Éphèse. Édition de Reiff en 2 vol., avec notes de divers savants. Leipzig, 1805 ; éd. critique de Rud. Hercher, Leipzig, 1864, dont on peut consulter la préface pour une bibliographie plus détaillée.

Ptolémée. Nous ne pouvons donner ici une bibliographie détaillée pour un auteur qui appartient à peine à l’histoire littéraire. Il n’y a pas d’édition d’ensemble des œuvres de Ptolémée. Les œuvres mathématiques (moins le Planisphère et l’Analemma) ont été publiées à Bâle, en 1541, et, depuis, éditées séparément. La Géographie fut publiée pour la première fois à Vicence en 1475, sans cartes, et à Amsterdam en 1618, avec les cartes de Mercator ; édition importante de Wieberg et Grashof. Essend, 1839-1845 ; une nouvelle édition est en cours dans la biblioth. Didot.

Dioscoride. La principale édition est l’édition variorum de Curt Sprengel, 2 vol. Leipzig, 1829-30, qui forme les tomes XXV et XXVI des Opera medicorum græcorum de C. G. Kuhn.

Médecins secondaires. Les textes se trouvent en général dans les Physici et Medici græci minores, de Ideler, Berlin, 1841. Voir en outre les indications bibliographiques données dans le corps du chapitre, au bas des pages.

Galien. Manuscrits. Aucun ms. ne contient toutes les œuvres de Galien. Un classement spécial est donc nécessaire pour chacun de ses écrits. On trouvera quelques indications à ce sujet dans les préfaces des trois volumes de Scripta minora de la biblioth. Teubner. — Éditions. Les grandes éditions de Galien sont : celle d’Alde, Venise, 1525 ; celle de Bâle, 1538 : celle de Chartier, Paris, 1679 ; enfin celle de Kuehn, qui forme les 20 premiers volumes des Opera medicorum græcorum. Leipzig, 1821-1830. La bibliothèque Teubner a donné trois volumes de Scripta minora, contenant les écrits les plus intéressants pour les lecteurs qui ne sont pas médecins. Leipzig, 1884-96, et en outre l’Institutio logica, 1896. Voir les notes au bas des pages, à propos des ouvrages mentionnés.

Apologistes chrétiens. Il suffira de citer ici les deux grandes éditions collectives des apologistes du second siècle : celle de Dom Prudent Marran, Paris, 1742, et Venise, 147, et celle de Jo. Ch. Th. de Otto, 9 vol., lena, 1842-1872. La plus grande partie des textes des apologistes du second siècle dérivent directement ou indirectement d’un recueil formé au xe siècle par l’archevêque de Césarée Aréthas, dont un exemplaire est conservé à la biblioth. nationale de Paris (Parisinus 451). Voir Harnack, Die Ueberlieferung der Griechischen Apologeten des 2 Juhrhunderts dans les Texte und Untersuchungen de Gebhardt et Harnack, t. I. fasc. 1 et 2, Leipzig, 1882, et Gebhardt, Der Arethascodex Parisinus 451, même vol., fasc. 3. Une édition nouvelle des Apologistes a commencé de paraître dans la collection des Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchrislichen Literatur, dirigée par les deux savants qui viennent d’être nommés. Voir, pour chaque auteur, les indications de détail données dans les notes. — De même pour Irénée, qui ne figure pas dans les recueils des Apologistes.

Clément d’Alexandrie. Sur la tradition manuscrite des œuvres de Clément, voir la préface de l’édition de Dindorf. L’Exhortation et le Pédagogue se trouvent dans le ms. d’Aréthas (Parisinus 451) qui vient d’être mentionné. Le texte des Stromates repose sur un ms. unique de Florence, du xie siècle. — Éditions. L’édition princeps est celle de Petrus Victorius, Florence, 1550. Les principales éditions sont : celle de Potter, 2 vol. in-8, Oxford, 1713, réimprimée dans la Patrologie grecque de Migne, t. VIII-XI (1857), et celle de W. Dindorf, 4 vol. Oxford, 1869.



Sommaire.
I. Vue générale. — II. L’histoire. Ses caractères nouveaux. Arrien ; Appien. — III. Genres attenants. Pausanias. Polyænos. Apollodore de Damas. Élien le tacticien. Hérennius Philon et Hermippe de Bérytos. Phlégon de Tralles. Ptolémée Chemnos. Bibliothèque dite d’Apollodore. Antoninus Liberalis. — IV. La philosophie. Albinos, Atticos et Théon. Celse. Noumenios d’Apamée. L’empereur Marc-Aurèle. Sextus Empiricus ; Œnomaos. — V. Littérature scientifique. Ménélas d’Alexandrie et Théodore de Tripolis. Sérénos d’Antissa et Cléomède. Nicomachos de Gerasa. Artémidore d’Éphése. Claude Ptolémée. Denys le Périégète et Denys de Byzance. — VI. Littérature médicale. Dioscoride. Les sectes dogmatiques, empiriques, méthodiques et sceptiques. Andromachos, Damocratès. Rufus d’Éphèse. Soranos. Xénocrate d’Aphrodisias et Arétaeos de Cappadoce. Claude Galien. État de l’hellénisme à la fin du second siècle. — VII. Débuts de la littérature grecque chrétienne. Ses caractères propres. Les apologistes : vue générale. Quadratus et Aristide. Justin. Apologistes et docteurs de second rang : Tatien, Athénagoras, Théophile, Ariston, Miltiade, Méliton, Apollinaire, Irénée. Écrits faussement attribués a Justin. Lettre à Diognète. Hermias. — VIII. La philosophie chrétienne. Clément d’Alexandrie. Sa vie. Ses œuvres. Originalité de sa pensée. Son dédain de la forme. Le christianisme en face de l’hellénisme à la fin du second siècle.


I

Le fruit le plus brillant de la renaissance grecque au second siècle est incontestablement cette sophistique dont nous venons de suivre le développement. Mais la sophistique n’est pourtant pas toute la littérature de ce siècle. Si nous n’avons voulu parler dans le précédent chapitre que des sophistes et des écrivains qui se groupent naturellement auteur d’eux, c’est qu’ainsi réunis et séparés des autres, leur caractère propre se montre mieux. Nous avons maintenant à nous occuper de tous ceux qui ne pouvaient convenablement figurer dans ce groupe.

Notre intention n’est pas de les opposer aux précédents ; il n’y a, entre les uns et les autres, ni contraste, ni même séparation absolue. Toutefois, si ceux dont nous avons à parler ont fait en général moins de bruit dans le monde, s’ils ont été moins applaudis et moins adulés, on peut dire, en revanche, que leur œuvre, à presque tous, a été plus sérieuse. Avec eux, nous revenons à un genre d’étude qui touche plus aux choses et aux idées. Nous pourrons donc plus aisément nous y rendre compte de ce que l’hellénisme contenait encore de sérieux. Et, comme d’autre part, nous arrivons au temps où le christianisme, sortant de l’obscurité, se manifestait par des œuvres littéraires, ce sera l’occasion de le mettre en face de cet hellénisme vieillissant.

II

L’histoire, comme on l’a vu, n’avait manifesté dans les deux derniers siècles aucune tendance vraiment élevée. Tantôt entre les mains des philosophes, tantôt entre celles des rhéteurs de profession, elle comprenait sa tâche, soit comme une copieuse notation de faits à retenir, soit comme une matière de beaux récits, émaillés d’éloquents discours. On ne peut nier qu’au temps des Antonins, à côté des tentatives ridicules des sophistes, il ne se produise en elle une sorte de renouvellement intérieur, dû a une meilleure conception du genre lui-même. Arrien et Appien en sont les représentants. Fonctionnaires impériaux l’un et l’autre, muris par les emplois militaires ou civils, par la pratique des hommes et la connaissance des affaires, ils se font de leur rôle une notion saine qui manquait à leurs prédécesseurs. L’historien, chez l’un et l’autre, a un coup d’œil plus ferme et plus libre, il juge de plus haut, se dégage plus sûrement des petits détails purement curieux ; et, d’autre part, il sent mieux le prix d’une simplicité élégante. Grâce à eux, nous voyons reparaître, après un long intervalle de temps, une forme de récit claire, dégagée, instructive, qui plaît par le sérieux et le bon goût et qui a vraiment quelque chose de classique.

Seulement, ce progrès remarquable est limité par sa cause même. On ne peut attendre de ces hommes, pliés à la régularité correcte d’une administration très autoritaire, l’indépendance d’esprit des grands historiens. Leur jugement sera sage, pondéré, mais sans hardiesse et sans vigueur. Ils comprendront et expliqueront en général assez bien le détail de la politique, mais les mouvements de l’humanité leur échapperont, parce que c’est la matière de philosophie, et qu’un fonctionnaire impérial ne fait pas de philosophie, au sens large du mot. Si on les compare à un Denys d’Halicarnasse, ou même à un Strabon, ils ont une supériorité réelle ; si on les met en face d’un Thucydide, d’un Hérodote ou d’un Polybe, ils semblent petits ; car ils sont timides et confinés dans une expérience restreinte. Arrien racontera avec talent la conquête de l’Asie par Alexandre, mais nous ne sentirons dans son ouvrage ni la grandeur emportée de son héros, ni l’ébranlement du monde oriental, tout à coup livré à une autre destinée. Appien nous fera l’histoire de Rome, et ce qui manquera le plus à son livre, ce sera Rome elle-même. C’est pourquoi aucune de ces nouvelles compositions historiques ne se classera au rang des chefs-d’œuvre. On y regrettera toujours une certaine force de pensée qui n’était plus possible dans le milieu où elles sont nées. Arrien, avec son mérite modeste, mais sérieux, est un des hommes qui représentent le mieux les qualités moyennes de la bonne société grecque de l’empire[1]. Il les a eues toutes, sans supériorité éclatante, au degré voulu pour se tirer de la foule très honorablement.

Né à Nicomédie, en Bithynie, vers la fin du premier siècle, il appartenait à une famille considérée ; son père semble avoir été déjà citoyen romain. De cette source lui vinrent les vertus traditionnelles de la bourgeoisie provinciale : moralité, piété simple, dignité, une ambition sage, une intelligence droite. Il hérita probablement de son père le sacerdoce à vie de Déméter et Coré dans sa ville natale[2]. Le fait capital de son éducation et de sa jeunesse fut le séjour qu’il fit auprès d’Épictète, à Nicopolis d’Épire, sous Trajan. Les souvenirs qu’il en a conservés dans ses Entretiens d’Épictète prouvent que ce commerce fut assez long. Il s’y révèle comme le plus docile et le plus attentif des disciples. Rien chez Épictète qui ne soit excellent, rien qui ne mérite d’être admiré et imité. On doit admettre qu’il resta auprès de lui jusqu’au jour où le sage lui fut enlevé par la mort ; en outre, les années qui suivirent furent encore pleines de lui, car les Entretiens et le Manuel, composés après qu’Épictète avait disparu, nous montrent Arrien aussi attaché que jamais à son modèle.

Toutefois il ne voulut pas faire profession de philosophie. La vie active l’attirait : dès sa jeunesse, il prit du service pour s’élever aux honneurs militaires. C’est probablement ce mélange de philosophie et de goûts pratiques qui éveilla en lui, lorsqu’il en prit conscience, le sentiment d’une ressemblance naturelle avec Xénophon[3]. Nous ne savons pas au juste quand ni comment cette idée germa dans son esprit, mais il est certain qu’elle finit par exercer une réelle influence sur la direction de sa vie. Arrien était une nature docile, qui ne se sentait sûre de bien faire qu’à la condition de s’appuyer sur une autorité reconnue. Il aima plus complètement encore Épictète, lorsque, grâce à Xénophon, il en eut fait son Socrate.

Une fois entré dans la carrière militaire, il semble avoir parcouru, en qualité d’officier, une bonne partie de l’Empire. Son propre témoignage prouve qu’il connaissait le cours moyen du Danube[4] ; et la manière dont il décrit, dans le Cynégétique, les chasses des Gaulois et des Numides, donne au moins lieu de présumer qu’il avait été en Gaule et en Numidie. Ses services lui valurent la faveur d’Adrien, qui l’éleva aux plus hauts honneurs. Il fut consul vers l’an 130[5]. Puis l’empereur le chargea d’administrer, en qualité de légat, la province de Cappadoce[6]. Cette région était alors menacée par les Alains, peuple de nomades apparentés aux Scythes, qui, depuis un siècle environ, avait succédé aux Sarmates dans la région des steppes, entre la Caspienne et le Tanaïs. Dion Cassius atteste que l’énergique gouverneur sut inspirer à ces barbares une crainte salutaire qui mit fin à leurs invasions[7]. Son Périple du Pont Euxin nous offre une intéressante manifestation de sa vigilante activité : nous l’y accompagnons dans une de ses tournées de surveillance, au moment où, nouveau venu, il prenait connaissance de sa province en visitant une à une les villes du littoral.

Sa légature cessa un peu avant la mort d’Adrien[8] ; avec le règne de ce prince, sans que nous sachions bien pourquoi, se termina aussi sa carrière publique. Arrien atteignit une vieillesse avancée, sans occuper aucune autre fonction. Peut-être était-il tombé dans une demi-disgrâce ; peut-être aussi, et cela semble plus probable, après être arrivé au faite des honneurs, se plaisait-il dans une retraite volontaire, où il jouissait paisiblement de sa fortune et de la haute considération qui l’entourait. Cette dernière partie de sa vie semble s’être écoulée surtout à Athènes, bien qu’il ait dû faire, de temps en temps, d’assez longs séjours dans sa ville natale, à Nicomédie. Il était citoyen d’Athènes et il se laissait décerner par les Athéniens de coûteux honneurs municipaux : archonte éponyme en 147-48, prytane de la tribu Pandionide une première fois à une date inconnue, une seconde fois en 171-72[9]. Au reste, son tempérament militaire ne s’amollissait pas avec l’âge. Toujours actif jusque dans sa retraite, il se livrait à sa passion pour la chasse, en même temps qu’à ses goûts d’écrivain[10]. Malgré cela, il aimait à s’entendre traiter de sage et au besoin se donnait à lui-même cet éloge[11]. Plus que jamais, sa ressemblance avec Xénophon, désormais reconnue de tous, l’amusait et l’enchantait. On l’appelait couramment le nouveau Xénophon[12]. Lui-même usait volontiers de ce nom : il aimait à dire qu’il était de la même ville que l’ancien Xénophon et qu’il avait les mêmes goûts que lui[13].

Le plus ancien des écrits d’Arrien semble être le recueil des Entretiens d’Épictète (Ἐπικτήτου διατριβαί), en huit livres, dont quatre seulement sont venus jusqu’à nous. Peu après, dut paraître le Manuel (Ἐγχειρίδιον), qui n’est qu’un abrégé des Entretiens, une sorte d’extrait contenant tout l’essentiel des enseignements du maitre. Nous avons étudié ces deux livres à propos d’Épictète ; il n’y a pas lieu d’y revenir ici[14]. Rappelons seulement qu’Arrien n’y est encore que simple rédacteur.

Ce ne fut guère qu’une quinzaine d’années plus tard, pendant son gouvernement de Cappadoce, et probablement sous l’influence de l’empereur Adrien, qu’il commença à devenir vraiment écrivain.

Dès son arrivée dans sa province, en 131, il eut à rendre compte au souverain d’une inspection du littoral entre Trapézonte et Dioscourias. Cette inspection donna lieu à un rapport officiel rédigé en latin, auquel Arrien renvoie deux fois dans son Périple (6, 2 ; 10, 1). Mais le Périple lui-même est autre chose que ce rapport transcrit en grec, bien qu’il le suive de très près. Le rapport, comme nous le voyons par les renvois, s’étendait davantage sur certains détails techniques, que, peut-être, il n’était pas opportun de publier. Le Périple les supprime. Il semble que l’empereur, qui aimait le grec, ait voulu avoir sous la main un document clair, facile à lire, écrit dans sa langue favorite. Arrien a composé, pour lui d’abord, et sans doute ensuite pour d’autres lecteurs, une sorte de journal de route, qui note les choses intéressantes, sous une forme un peu sèche, mais correcte et dégagée. Une fois ce journal fait, il jugea bon de le compléter par une description analogue du reste du littoral du Pont Euxin[15]. Il ajouta donc, d’abord la partie du littoral méridional qui s’étend du Bosphore jusqu’à Trapézonte (c. 12-17) : puis celle du littoral occidental et septentrional, du Bosphore à Dioscourias (17-25) ; la mort récente de Cotys, roi du Bosphore Cimmérien, en offrant à l’empereur l’occasion de régler une succession princière, lui paraissait prêter à ces derniers chapitres un intérêt d’actualité (c. 17). Dans toute cette seconde partie, Arrien n’a fait qu’utiliser des Périples antérieurs[16]. Il ne visait pas à l’originalité des recherches ni à la nouveauté des faits. Son seul but était de réunir, sous une forme très simple, des renseignements formant un tout[17].

Le Traité de Tactique (Τέχνη τακτική), achevé en 137[18], peu avant qu’Arrien quittât la Cappadoce, dénote un état d’esprit analogue. L’auteur y continue son apprentissage d’écrivain en rajeunissant des œuvres antérieures. Remarquant que les nombreux traités de tactique écrits jusque là en grec étaient fort obscurs, principalement en raison des termes spéciaux dont ils étaient pleins, il entreprend d’en composer un nouveau, d’une forme accessible à tous[19]. Toute la première partie (c. 2-32) n’est qu’un exposé des anciennes formations tactiques, grecques et macédoniennes[20]. Arrien y suit de très près le tacticien Élien dont nous parlerons plus loin[21]. Dans la seconde partie (c. 33-44), l’auteur s’occupe de la tactique romaine ; mais ayant déjà parlé de celle de l’infanterie dans un écrit qu’il avait composé pour l’empereur, il s’en tient aux manœuvres de la cavalerie[22]. Le mérite de l’ouvrage est de même genre que celui du Périple : c’est un exposé clair, sans ornement.

Au même groupe d’écrits paraît se rattacher le Plan de bataille contre les Alains (Ἔκταξις κατὰ Ἀλανῶν) ; simple fragment d’un ordre de marche et d’attaque, qu’Arrien avait dù rédiger en qualité de général. Peut-être l’avait-il inséré plus tard dans son ouvrage Sur les Alains (Ἀλανική), d’où il aura été extrait par un compilateur de documents tactiques[23].

En somme, ce n’étaient encore là que des essais sans grande importance. La véritable activité littéraire d’Arrien commence après sa retraite. C’est probablement à Athènes, sous Antonin et sous Marc-Aurèle, qu’il a composé ses principaux ouvrages. Ceux-ci appartiennent tous au genre historique. Rien en effet ne convenait mieux que l’histoire à cet esprit sage, mais plus exact que puissant ou inventif. D’après les indications de Photius[24], Arrien, dès qu’il se sentit capable de composer, songea à se faire l’historien de la Bithynie, sa patrie. Mais les renseignements, dispersés, étaient longs à recueillir ; il ajourna donc son projet ; et, en attendant, il écrivit deux biographies, celles de Timoléon de Corinthe et de Dion de Syracuse, toutes deux perdues. Alors, devenu plus sûr de lui, il entreprit son Expédition d’Adexandre (Ἀλέξανδρον ἀνάβασις), sur laquelle nous reviendrons tout à l’heure ; et ce fut seulement après l’avoir terminée, qu’il acheva et publia ses Βιθυνιακά. De ce dernier ouvrage nous ne savons que ce qu’en dit Photius : qu’il commençait aux temps mythiques, se composait de huit livres, et se terminait à l’époque où la Bithynie devint province romaine (75 av. J.-C.)

Une fois libéré de sa dette envers sa patrie, Arrien revint à ses études sur Alexandre, et il compléta son Anabase par deux ouvrages : un écrit Sur l’Inde (Ἰνδική) et la Succession d’Alexandre (Τὰ μετ’Ἀλέξανδρον) en dix livres. — Le premier ouvrage, qui subsiste encore, est écrit en dialecte ionien[25] : après une courte description de l’Inde, dont les éléments sont empruntés surtout à Ératosthène, à Néarque et à Mégasthène[26], l’auteur raconte en abrégé le voyage d’exploration (des bouches de l’Indus au fond du golfe persique) que Néarque avait accompli sur l’ordre d’Alexandre et relaté en détail dans son Périple. En suivant de très près ce récit, dont il nous a ainsi conservé la substance, il semble s’être proposé simplement de réunir, sous une forme brève, beaucoup de faits curieux, à l’usage de ceux des lecteurs de son Expédition d’Alexandre, que cet épisode intéresserait plus spécialement[27]. — Du second ouvrage, nous ne possédons plus qu’un résumé assez court dans Photius (cod. 92). Nous y voyons qu’il embrassait les événements des années 323-321, depuis la mort d’Alexandre jusqu’au retour d’Antipater en Europe. Il est difficile de dire pourquoi Arrien s’était arrêté là et s’il avait eu l’intention de pousser plus loin. Au reste, le résumé que nous possédons ne permet de juger ni de son originalité ni de son mérite littéraire[28].

Ce fut probablement après avoir beaucoup écrit d’après les autres qu’Arrien se risqua à faire œuvre plus personnelle en abordant le récit d’événements contemporains. Son livre Sur les Alains (Ἀλανική), qui ne nous est plus connu que par une simple mention de Photius[29], datait peut-être du temps de son gouvernement de Cappadoce. Mais son œuvre la plus personnelle et la plus importante fut l’histoire de la Guerre des Romains et des Parthes sous Trajan (Παρθική), en dix-sept livres[30]. Il ne nous en reste malheureusement aucun fragment ; ce qu’en dit Photius (cod. 58) est tout à fait insuffisant pour nous en donner même un aperçu.

Un écrit très spécial, l’opuscule sur la Chasse (Κυνηγετικός), est venu jusqu’à nous. Nous en ignorons absolument la date[31]. Arrien s’y propose de compléter le traité de Xénophon sur le même sujet. Au milieu de détails purement techniques, on y trouve quelques descriptions, quelques souvenirs personnels, et même des traits de caractère, qui ne manquent ni d’intérêt ni d’agrément[32]. — Enfin nous savons par Lucien (Alexandre, c. 2) qu’il avait écrit aussi une Vie du brigand Tilliboros, personnage entièrement inconnu.

C’est sur son Expédition d’Alexandre que nous devons aujourd’hui le juger, comme historien et comme écrivain. Le choix du sujet en lui-même est déjà caractéristique. Si Arrien eût été doué d’un génie vraiment original, il n’eût pas été tenté sans doute par cette histoire très ancienne, d’autant qu’il n’avait à sa disposition aucun document nouveau qui lui permît de la rajeunir. Mais ce qui aurait éloigné un esprit plus curieux de nouveauté fut peut-être justement ce qui l’attira. Dénué du goût de la recherche, il aimait à juger, à classer et à simplifier. Or, pour traiter ce sujet, il disposait de plusieurs récits bien informés et complets, sans parler de ceux où l’élément fantastique prédominait. Sa tâche était de les critiquer les uns par les autres, de les concilier autant que possible, enfin de les fondre en un nouveau récit, qui deviendrait ainsi le plus vraisemblable de tous en même temps que le plus clair. C’était bien l’affaire de son esprit judicieux et lucide. Ajoutons que le côté militaire du sujet, qui était à ses yeux le principal, dut plaire à l’ancien général qui survivait en lui chez l’écrivain. D’autant plus que la récente expédition de Trajan en Asie, dont il avait pu recueillir les souvenirs dans sa jeunesse en causant avec des officiers plus âgés, donnait alors un intérêt nouveau à cette étonnante expédition du conquérant macédonien, qui avait mené pour la première fois des armées régulières au delà de l’Euphrate et du Tigre.

Avec un scrupule qui n’était pas ordinaire dans l’antiquité, Arrien nous a fait connaître ses sources à la première page de son livre[33]. Entre tous les historiens d’Alexandre, il a choisi, nous dit-il, Ptolémée et Aristobule comme les plus dignes de foi, parce que tous deux avaient pris part à l’expédition et que tous deux avaient écrit après la mort du conquérant. C’est de leurs récits qu’il tire la substance du sien. Le rôle qu’il revendique est de les comparer ; s’ils sont d’accord, il ne fait que les suivre, on se réservant seulement d’éliminer les choses trop peu dignes d’intérêt ; en cas de désaccord entre eux, il se décide selon la vraisemblance. En outre, ajoute-t-il, il a lu la plupart des autres récits, et, lorsqu’ils lui ont paru mériter de n’être pas entièrement passés sous silence, il en a fait mention en usant de la formule on dit (λέγεται), ou d’autres analogues. Les travaux critiques qui ont été faits de nos jours sur les sources d’Arrien ont démontré l’exactitude de ces déclarations[34]. On peut donc dire que son récit relève constamment de ceux de Ptolémée et d’Aristobule et qu’il a, au point de vue historique, à peu près la valeur qu’ils avaient eux-mêmes ; avec cette différence toutefois, qu’il a effacé par système ce qu’il y avait sans doute de plus caractéristique chez l’un et chez l’autre comme tendance personnelle, pour s’en tenir à une vraisemblance moyenne. Ainsi conçu, l’ensemble du récit n’a rien qui éveille la défiance ; le merveilleux en est banni, sauf les présages, que la dévotion du narrateur aime à enregistrer ; partout apparaît un souci d’exactitude et un air de vérité qui fait bonne impression. Du reste, Arrien, comme ses auteurs, est manifestement favorable à Alexandre, bien que son esprit de justice l’oblige à le blâmer quelquefois. Ce qu’il ne sait pas faire, c’est de réagir contre le préjugé hellénique, de façon à juger une telle entreprise d’un point de vue plus largement humain ; et il n’a pas non plus toute la souplesse qui eût été nécessaire pour bien comprendre, dans ses inégalités et dans ses écarts, une nature aussi exceptionnelle que celle de son héros. Enfin toute la partie politique de l’entreprise n’est réellement qu’entrevue.

De même que la critique, l’art littéraire est chez lui de qualité moyenne. Un exposé clair et intéressant, rapide sans l’être trop, bien ordonné, suffisamment animé. Les récits de batailles sont d’un homme du métier, qui sait d’ailleurs se mettre à la portée de tous ; les descriptions de pays et d’itinéraires ont quelque chose de dégagé, les personnages sont caractérisés surtout par leurs actions ; s’ils ont peu de relief, la physionomie qui leur est prêtée semble en définitive assez juste. Ce sont là des mérites très estimables, qui rendront toujours le livre d’Arrien agréable et utile. Mais la grande originalité lui fait défaut. Ni éclat de style, ni vivacité d’imagination, ni couleurs brillantes, ni mouvement entraînant, ni force de pensée ou de sentiment, rien en un mot de ce qui crée une supériorité dans l’art d’exprimer la vie par le langage. Et cette médiocrité est d’autant plus sensible qu’il s’agit d’une aventure héroïque, d’une sorte d’épopée rapide et brillante, qui, par sa nature même, semblait exiger plus impérieusement du narrateur des qualités dramatiques. Arrien n’avait aucun de ces dons exceptionnels, et l’apprentissage laborieux qu’il avait fait du métier d’écrivain n’avait pu lui donner qu’une remarquable habileté d’imitation.

Sa langue est celle qu’il avait apprise dans les livres, un composé de tout ce que les écrivains classiques avaient autorisé. Visiblement, il a beaucoup pratiqué Hérodote, Thucydide, Xénophon, et il écrit sous l’influence d’une sorte de réminiscence perpétuelle, sans qu’on puisse dire quel est celui de ses modèles auquel il s’attache le plus. Il use avec aisance d’une diction attique pure et correcte (sauf la petite part nécessaire des inadvertances), et il en tire bon parti. Entre tous les écrivains du temps, — si l’on met à part Lucien, dont l’originalité est tout autre, — il est un des meilleurs incontestablement, et il en a conscience[35]. Mais cela revient à dire simplement, qu’entre des imitateurs plus ou moins adroits, il est peut-être celui qui a eu le plus de goût, le plus de naturel et le plus de sincérité.


Appien est tout à fait, par l’âge, un contemporain d’Arrien : né, comme lui, dans les dernières années du premier siècle, il était déjà un homme âgé avant la fin du règne d’Antonin (mort en 161). Toutefois, par sa réputation d’écrivain, il lui est un peu postérieur ; car il ne composa probablement son histoire qu’à la fin du règne d’Antonin, ou même sous Marc-Aurèle. Ce que nous savons de sa vie se réduit à bien peu de chose[36]. Il était d’Alexandrie, et ce fut là que, sous Trajan et Adrien probablement, il se fit une situation importante au barreau[37]. Plus tard, sans que nous puissions suivre en détail toute sa carrière, nous le trouvons à Rome, où il semble avoir été avocat du fisc sous Adrien et Antonin[38]. Son aptitude aux affaires et son talent étaient reconnus : il jouissait d’une belle fortune, sans doute acquise par son travail ; et il avait des amis puissants, parmi lesquels le consulaire Fronton, avec lequel il travaillait et échangeait parfois des lettres, dont deux sont venues jusqu’à nous[39]. Fronton, à deux reprises, sollicita pour lui de l’empereur Antonin une place de procurateur[40]. Antonin finit par accorder ce qu’on lui demandait ; et Appien semble avoir occupé ce poste encore sous Marc-Aurèle[41]. Fier de cette brillante carrière, il jugea à propos de publier sa propre biographie, qui, malheureusement, ne nous est pas parvenue. Ses dernières années furent employées à la composition et à la publication de son Histoire romaine[42]. Nous ignorons la date précise de sa mort, mais, si l’on songe qu’il était déjà âgé sous Antonin, on tiendra pour vraisemblable qu’il mourut dans la première partie du règne de Marc-Aurèle.

À la différence d’Arrien, qui écrivit sur des sujets variés, Appien n’a vraiment produit qu’une seule œuvre, puisque son autobiographie, d’ailleurs perdue, ne pouvait être en tout cas qu’un simple opuscule. Cette œuvre est son Histoire romaine (Ῥωμαϊκὴ ἱστορία, ou plutôt, Ῥωμαϊκά)[43], en vingt-quatre livres, qui s’étendait depuis les origines de Rome jusqu’à la fin du règne de Trajan[44]. En établissant son plan, Appien avait résolument laissé de côté la méthode annalistique, qui, suivant lui, avait l’inconvénient d’empêcher de saisir les ensembles. Au lieu de suivre les événements d’année en année, il les groupait de façon que chaque livre formât un tout : le principe de ces groupements était d’ailleurs tantôt ethnographique, quand il réunissait en un récit continu toute l’histoire des rapports d’un certain peuple avec Rome, tantôt historique, lorsqu’il embrassait et détachait toute une période, caractérisée soit par la prédominance d’une institution, soit par une entreprise importante, soit encore par un conflit meurtrier. Photius nous a conservé la liste complète des titres des vingt-quatre livres[45]. Elle permet de suivre assez bien la marche du récit. C’étaient : 1. Les Rois (βασιλική, sous-ent. βίβλος ou ἱστορία) ; 2. Guerres d’Italie (Ἰταλική) ; 3. Guerres du Samnium (Σαυνιτική) ; 4. Guerres contre les Gaulois (Κελτική) : 5. Conquête de la Sicile et des îles (Νησωτική) ; 6. Guerres d’Espagne (Ἰβηρική) ; 7. Guerre d’Annibal (Ἀννιβαῖκῆ) ; 8. Guerre d’Afrique, ou de Carthage, ou Numidique (Λιβυκή, Καρχηδονική, Νομαδική) ; 9. Guerres de Macédoine et d’Illyrie (Μακεδονικὴ καὶ Ἰλλυρική) ; 10. Guerre de Grèce (Ἐλληνικὴ καὶ Ἰωνική) ; 11. Guerre de Syrie et des Parthes (Συριανικὴ καὶ Παρθική) ; 12. Guerre de Mithridate (Μιθριδάτειο) ; 13-21. Guerres civiles (Ἐμφυλίων πρώτη — ἐνάτη), depuis la lutte de Marius et de Sylla jusqu’à l’établissement de l’Empire : 22. Les Cent ans (Ἑκατονταετία), d’Auguste à Trajan ; 23. Guerre contre les Daces (Δακική) ; 24. Affaires d’Arabie (Ἀράβιος). De cet imposant ensemble, il nous reste la préface, des fragments des livres I-V, les livres I, VII, VIII, à peu près complets, toute la seconde partie du livre IX, sur l’Illyrie, avec des fragments de la première partie, enfin les livres XI-XVII en entier[46]. D’après Photius, l’historien avait traité sommairement les événements postérieurs à Auguste, c’est-à-dire ceux qui remplissaient les trois derniers livres. Ces trois livres, du reste, Appien a dû les ajouter après coup, car il n’en parle pas dans sa préface.

Provincial de naissance, mais associé dans la maturité de l’âge à l’administration impériale, Appien semble avoir été très frappé de la grandeur de Rome, de sa croissance continue et de la plénitude de force dont elle jouissait sous Antonin. Ces sentiments éclatent dans sa préface. C’est l’intérêt même de ce spectacle, plutôt senti d’ailleurs qu’analysé, qui l’a décidé à entreprendre une si grande tâche. Quant à des vues particulières et précises sur les causes de cette croissance et sur la nature de cette force, il n’en a point. Il admire vaguement la vertu romaine, faite de patience, d’énergie, de constance, de bon conseil[47]. Mais il ne sait pas l’étudier, comme l’avait fait Polybe, dans les institutions, dans une politique réfléchie et traditionnelle, ni en suivre pas à pas le développement à travers une longue série de siècles. Donc, point d’idée fondamentale. Ce qu’il peut y avoir d’unité apparente dans le récit lui vient surtout du dehors, des événements eux-mêmes, et cela est insuffisant ; l’unité du dedans, la vraie, tout au plus en trouve-t-on quelque germe dans un sentiment d’admiration confuse, incapable d’ailleurs de s’attacher à des objets précis. La première des conditions nécessaires à une œuvre d’art, la personnalité, fait défaut à cette vaste composition.

Par suite, l’ordonnance en est profondément défectueuse. Celle qu’Appien a imaginée a pu faire illusion à des lecteurs peu réfléchis : elle plaît par une sorte de clarté superficielle, elle est commode dans l’usage. Mais ce sont là des qualités qui se dérobent dès qu’on examine les choses plus sérieusement. Une histoire complète de Rome n’admet qu’un seul plan, qui sans doute pourra varier dans le détail selon les idées personnelles de l’historien, — pourvu qu’il en ait, — mais, qui restera toujours le même dans sa conformation essentielle. Ce plan, on peut le caractériser d’un mot, en disant qu’il doit être organique. Cela signifie qu’il doit nous faire assister au développement de la puissance romaine : il faut que nous voyions croître ses ambitions avec ses forces, que sa politique extérieure s’explique par son histoire intérieure, et, réciproquement, que les événements soient mis en rapport avec les institutions et les institutions elles-mêmes avec les mœurs, en un mot que Rome nous apparaisse comme un être qui vit, qui grandit et qui décline. Or cela était manifestement impossible avec la méthode adoptée par Appien. Que penser de la philosophie d’un historien qui, sans se soucier de l’ordre du temps, racontait dans son quatrième livre la conquête des Gaules par César, entre les guerres du Samnium et les guerres de Sicile, bien avant par conséquent d’avoir pu donner la moindre idée de l’état de choses dans lequel l’ambition d’un César et sa personnalité avaient été à même de se former ? Ainsi composé, son ouvrage ne pouvait être et n’est en effet qu’un recueil de monographies mal cohérentes.

Comme série de récits isolés, il a ses mérites très réels. La critique moderne n’est pas arrivée encore à déterminer avec sûreté les sources d’Appien[48] : on a constaté chez lui des points de contact nombreux avec Denys d’Halicarnasse, avec Polybe, avec Tite-Live, avec Plutarque, et l’on a cru d’abord qu’il avait mis à profit directement ces auteurs. Un examen plus attentif a démontré que cela était inexact. Certaines divergences caractéristiques prouvent qu’il a suivi d’autres auteurs, ayant leurs tendances propres. Quoi qu’il en soit, l’histoire d’Appien représente une tradition, sinon toujours impartiale, du moins intéressante à connaître, une tradition patriotique, modérée, césarienne, qui arrange doucement les choses conformément à ses vues, en évitant les partis pris trop évidents. Appien paraît l’avoir suivie docilement, parce qu’elle convenait à son tour d’esprit, à ses habitudes, à ses fonctions mêmes, sans dessein préconçu, mais aussi sans effort sérieux de critique. Au reste, son récit est d’un homme intelligent, instruit des affaires. S’il ne va pas au fond des choses, il les présente du moins sous une forme facilement intelligible. Exempt de passion, il a un ton d’honnête homme qui séduit ; et comme ses jugements se tiennent d’habitude dans un juste milieu, on y acquiesce volontiers : il faut examiner ses informations de plus près, pour s’apercevoir qu’elles sont quelquefois incomplètes sur des points importants, quelquefois incertaines ou erronées. Voilà pourquoi, à mesure que la critique historique est devenue plus exigeante, Appien a vu décroitre son autorité. S’il contente les simples lecteurs, il laisse trop souvent dans le doute les chercheurs.

En tant qu’écrivain, Appien, moins pur et moins élégant qu’Arrien, se recommande surtout par une simplicité qui ne manque ni d’agrément ni parfois de force[49]. N’ayant point de prétentions littéraires, il n’a en vue que les faits eux-mêmes. Le sérieux de son esprit l’a préservé de l’influence de la sophistique. Nulle trace de déclamation dans son œuvre, point de harangues subtiles ou pompeuses ni de tableaux à effet, point d’affectation d’atticisme. Si son récit manque un peu de couleur, il n’est pourtant ni sec ni insignifiant. Ce qui nous reste de son exposé des guerres civiles nous met vraiment sous les yeux d’une manière intéressante toute une période de l’histoire de Rome. Il fait peu parler ses personnages, et les discours qu’il leur prête, la plupart en style indirect, ne servent qu’à expliquer leur pensée. Sans originalité très marquée, il a le grand mérite de ne pas chercher à s’en créer une artificiellement.


À côté de l’histoire proprement dite, on voit se continuer au second siècle le mouvement de recherches qui, depuis longtemps déjà, portait un grand nombre d’esprits soit vers le passé de l’hellénisme, soit simplement vers les curiosités de l’érudition. Si nous essayons ici de caractériser rapidement quelques-unes des œuvres qu’il a suscitées, on n’oubliera pas que, le mérite littéraire en étant fort mince, nous n’avons pas à les étudier en détail.

La Grèce, en ce temps, devait apparaître, au milieu de l’Empire, comme une sorte de musée, où les plus grands souvenirs de la mythologie, de l’art, de la civilisation étaient représentés par des monuments célèbres. Combien ces monuments étaient chers aux Grecs distingués, nous l’avons vu déjà par l’exemple de Plutarque, si attaché de cœur à toutes les grandeurs de sa patrie. Mais ce genre d’intérêt pouvait être également senti par tous ceux que la culture grecque avait formés, quel que fût leur lieu de naissance. En fait, il n’était guère d’homme instruit, pouvant voyager, qui ne voulût visiter, au moins une fois dans sa vie, Athènes, Corinthe, Argos, Olympie, Delphes, ces villes dont le nom seul évoquait tant d’images et tant de souvenirs. On y venait de tous les points du monde comme en pèlerinage, et, lorsqu’on y était venu, on ne se lassait point d’en entendre parler.

Cet état d’esprit, dont nous trouvons tant de traces à travers la littérature du second siècle, s’est traduit particulièrement dans l’ouvrage de Pausanias, intitulé Description de la Grèce (Περιήγησις τῆς Ἑλλάδος). Nos informations sur l’auteur se réduisent à ceci : qu’il écrivait son livre en 173[50] : qu’il habitait en Asie, à peu de distance du Sipyle et de l’Hermos, et considérait ce pays comme le sien[51] : enfin qu’il avait visité, non seulement la Grèce, mais l’Italie, peut-être aussi la Sardaigne, et dans une autre direction, la Syrie et l’oracle d’Ammon[52]. Philostrate, dans ses Vies des sophistes (II, 13), mentionne, comme un des sophistes illustres du second siècle, un certain Pausanias de Césarée nommé plus haut, qui fut disciple d’Hérode Atticus et occupa la chaire de rhétorique d’Athènes. Vossius, et beaucoup d’autres après lui, ont cru que ce Pausanias n’était autre que le périégète. Rien n’est moins vraisemblable[53]. Suidas, qui cite les ouvrages du sophiste, ne fait aucune mention de la Description de la Grèce ; et d’ailleurs le style de cette relation, plutôt négligé, ne saurait être d’un des maîtres de la rhétorique en vogue. De nos jours, un des éditeurs de Pausanias, Schubart, a conjecturé que le périégète était le même qu’un historien d’Antioche, cité par plusieurs auteurs byzantins[54]. C’est là encore une hypothèse à rejeter : l’historien en question était d’Antioche ou de Damas, et ceux qui le citent le qualifient de chronographe habile, sans faire la moindre allusion à son ouvrage archéologique.

La Description de la Grèce est un des écrits les plus précieux que l’antiquité nous ait légués pour la connaissance de la Grèce ancienne, de sa mythologie, de sa topographie et de ses monuments. Mais la reconnaissance que tous les amis de l’antiquité ont pour l’auteur ne doit pas nous faire illusion sur ses mérites réels.

Quelle fut, en l’écrivant, son intention ? Pausanias ne semble pas avoir voulu rédiger un Guide du voyageur en Grèce à proprement parler, ni même un Guide de l’archéologue, car il omet quantité de choses qui eussent été utiles à l’un ou à l’autre. Son livre semble bien plutôt avoir été principalement destiné à ceux de ses contemporains qui avaient déjà visité la Grèce. Il se proposait de renouveler et de préciser leurs souvenirs, de compléter ou de corriger les indications des exégètes. Le voyage qu’il leur faisait faire était probablement celui qu’il avait fait lui-même, le voyage d’un amateur qui ne se souciait pas d’être complet. Abordant au Pirée, il décrit d’abord l’Attique et la Mégaride (l. I, Ἀττικά) ; puis, il franchit l’isthme, visite Corinthe, Argos, Mycènes, Épidaure (l. II, Κορινθιακά), s’arrête un peu plus en Laconie (l. III, Λακωνικά), traverse la Messénie, dont il raconte l’histoire (l. IV, Μεσσηνιακά) et arrive ainsi en Élide ; l’importance d’Olympie et de ses monuments justifie l’étendue relative de cette partie de sa relation, qui a été singulièrement précieuse en notre temps pour les archéologues (l. V et VI, Ἠλιακά) ; il parcourt ensuite l’Achaïe en rapportant les grands faits de son histoire, ce qui l’amène à parler aussi incidemment de l’Ionie, colonisée en partie par les anciens habitants de l’Ægialée (l. VII, Ἀχαϊκά) ; il achève l’exploration du Péloponnèse par l’Arcadie, à propos de laquelle il s’étend sur Philopœmen (l. VIII, Ἀρκαδικά). Revenant alors dans la Grèce continentale, il visite d’abord la Béotie ; Thèbes l’y retient particulièrement, avec ses souvenirs de la Thébaïde, des guerres médiques, d’Épaminondas, et ses monuments ; il rayonne de là dans les villes du voisinage, à Platées, Délium, Anthédon, Orchomène, Tanagra, etc. (l. IX, Βοιωτικά) ; enfin il se rend en Phocide, où Delphes l’attire et le séduit ; la description qu’il en fait est en quelque sorte le guide des fouilles qui s’y exécutent de nos jours ; et son récit de l’expédition des Gaulois nous a conservé un curieux épisode de notre histoire nationale (l. X, Φωκικά). Là se termine son voyage, laissant de côté, à notre grand regret, toute la Grèce occidentale et septentrionale, Acarnanie, Étolie, Épire, région du Pinde central, Thessalie.

En composant cette description, Pausanias a certainement suivi de près des écrivains antérieurs, qu’il ne nomme pas[55]. Pour l’archéologie, son principal guide n’a guère pu être que Polémon le Périégète[56], dont les œuvres, devenues classiques, avaient été abrégées à l’usage des voyageurs ; Pausanias présente des omissions frappantes à propos de tous les monuments notables postérieurs au temps de Polémon[57]. Pour la topographie, il a emprunté beaucoup à Artémidore ; pour l’histoire, à Istros. Par lui-même, il n’avait ni le goût ni la méthode des vérifications minutieuses, des recherches patientes, des déchiffrements d’inscriptions. Il aimait le travail tout fait. Mais il a eu du moins le mérite de puiser à de bonnes sources, et il nous a conservé quantité de renseignements de valeur en les incorporant à son exposé. Qu’il eût d’ailleurs beaucoup lu, en particulier les anciens poètes, c’est ce qu’attestent toutes les parties de son ouvrage. Il cite surtout les vieilles épopées perdues, parfois peut-être d’après d’autres, mais souvent aussi d’après ses lectures personnelles.

Du reste, pas plus de sens artistique que de véritable science. Ses descriptions des chefs-d’œuvre de l’art sont sèches, terre à terre, dénuées de tout sentiment personnel. Il note des faits, explique et commente les sujets traités, raconte des anecdotes sur les artistes, mais apprécie peu, et presque jamais par lui-même. Il était de ceux qui visitent les choses célèbres, moins pour les voir, que pour dire qu’ils les ont vues. Il prenait des notes, mais il ne pensait pas. L’écrivain, naturellement, ne pouvait guère être supérieur à l’observateur. Il s’exprime sans élégance naturelle, avec un laisser aller où l’on croit sentir comme une vague imitation d’Hérodote. Son plus grand mérite est de ne pas enjoliver les choses par une rhétorique prétentieuse. Sa manière, simple et sèche, laisse paraître une sorte de naïveté, moitié naturelle, moitié calculée, où entre comme élément principal la médiocrité foncière de son esprit. S’il parlait de sujets qui n’eussent pas en eux-mêmes leur intérêt, il serait insipide ; mais son ouvrage est si instructif qu’en le lisant on oublie de le juger ; par la variété des informations, c’est un fonds qu’on n’épuise jamais.


Rangeons également dans cette catégorie très modeste, mais plus bas encore, un certain nombre d’érudits et de polygraphes, dont les œuvres, perdues pour la plupart, touchaient soit à diverses parties de l’histoire, soit plus spécialement à la mythologie.

D’abord un simple collectionneur de faits historiques, le macédonien Polyænos, de qui nous possédons encore l’ouvrage à peu près complet sur les Ruses de guerre (Στρατηγήματα), en 8 livres, dédié aux empereurs Marc-Aurèle et Lucius Verus[58]. C’est un simple recueil de 900 récits, empruntés à divers historiens, particulièrement à Éphore et à Nicolas de Damas, dont les histoires universelles se prêtaient par leur longueur même à être ainsi dépouillées[59]. Nulle recherche originale, nulle critique, nulle expérience personnelle des choses de la guerre[60]. L’auteur n’a voulu qu’offrir à ses lecteurs des récits amusants ou intéressants. Ces récits, il n’a même pas cherché à les grouper d’une manière intelligente ; l’ordonnance du livre est fondée sur des ressemblances purement extérieures ; ruses des Romains, ruses des Macédoniens, ruses des barbares, ruses des femmes, etc. Le seul mérite de cet amalgame, c’est qu’il nous a transmis un certain nombre de faits dont l’histoire ne peut se désintéresser.

À Polyænos, on peut joindre quelques représentants contemporains de la littérature militaire, sur lesquels nous n’avons pas à insister. Apollodore de Damas, célèbre architecte, à qui Trajan confia l’exécution d’un grand nombre de ses édifices, avait composé un écrit dédié à l’empereur Adrien et intitulé Poliorcétiques (Πολιορκητικά). Il nous en reste un extrait[61]. — Vers le même temps, un certain Élien, qui nous est d’ailleurs à peu près inconnu, écrivait une Théorie de la tactique (Τακτική θεορία), dont le style soigné, bien que parfois obscur, dénote une véritable culture littéraire[62].

Un nom plus important est celui du syrien Hérennius Philon, qui se fit connaître dans la première moitié du second siècle[63]. C’était un érudit, qui semble avoir dû sa fortune à la protection du consul Hérennius Severus, de qui on croit qu’il prit son prénom. Il composa un écrit Sur le règne d’Hadrien, sans doute un panégyrique, qui n’a laissé aucune trace. Un traité étendu Sur l’acquisition et le choix des livres (Περὶ κτήσεως καὶ ἐκλογῆς βιβλίων), en douze livres, également perdu, donne lieu de conjecturer qu’il dut exercer quelque part les fonctions de bibliothécaire[64]. Son ouvrage le plus important était un immense recueil, en cinquante livres, Sur les villes et les hommes remarquables que chacune d’elles a produits. Il nous en reste un certain nombre de fragments, dispersés dans Étienne de Byzance[65]. C’était une sorte d’encyclopédie, à la fois géographique et biographique, où les collectionneurs des âges suivants, en particulier Hésychios de Milet, se sont fournis de renseignements. Elle dut satisfaire la curiosité des contemporains, facilement attirée vers les répertoires de cette sorte, où l’on trouvait de tout sans se donner de peine. Cet érudit était aussi un polémiste. Dans un écrit perdu, intitulé Histoire paradoxale (Παράδοξος ἱστορία)[66], il s’était plu à faire ressortir un certain nombre de contradictions flagrantes entre les témoignages des historiens grecs ; la tâche était facile ; le mérite eût été de s’en acquitter méthodiquement et de tirer de cette enquête des conclusions sur la manière d’écrire l’histoire. Il ne semble pas que Philon s’en soit aperçu. C’est dans des dispositions analogues qu’il composa l’ouvrage auquel son nom a dû surtout de survivre, à savoir l’Histoire des Phéniciens, en neuf livres (Φοινικικὴ ἱστορία)[67]. Cette histoire la donnait pour une traduction du prétendu Sanchoniathon, philosophe de Tyr ou de Sidon ou de Bérytos, plus ancien que la guerre de Troie[68]. Elle traitait des origines divines selon les Phéniciens, cosmologie et mythologie. Au dire de Philon, la vérité sur toutes ces choses, autrefois recueillie par un certain Taaut (Τάαυτος), avait été altérée dans les livres sacerdotaux ; Sanchoniathon l’avait rétablie ; et lui, Philon, avait eu la bonne fortune de retrouver ces écrits véridiques, qu’il se faisait un devoir de donner au public en les traduisant du phénicien en grec. Il nous reste de cette prétendue traduction d’importants fragments, conservés surtout par Eusèbe (Prép. évang., I, c. 9 et 40 ; IV, c. 16). L’auteur est un évhémiriste décidé ; à la manière d’Évhémère, il transforme toute la vieille mythologie phénicienne en une histoire de convention, dans laquelle les dieux deviennent des hommes. Hérennius Philon avait-il inventé de toutes pièces son Sanchoniathon, ou bien l’avait-il emprunté à d’autres historiens inventeurs ? On ne saurait le dire. Quoi qu’il en soit, son ouvrage est resté important pour les études phéniciennes ; car, tout en arrangeant les vieilles traditions, il s’en fait le témoin[69]. Du reste, dans son intention, son livre était surtout, à ce qu’il semble, une attaque indirecte contre la religion hellénique ; car celle-ci, selon lui, provenait originairement de l’Égypte et de la Phénicie, et ce qu’il disait des croyances phéniciennes s’étendait ainsi à la croyance grecque[70] ; par là, il se rattachait à la littérature sceptique et incrédule. Quant à son mérite littéraire, ce qui nous reste de lui prouve assez qu’il était fort médiocre : le style des fragments est celui d’un exposé quelconque, sans rien de personnel ni de distingué, où abondent les néologismes de la langue du temps.

Hérennius Philon eut un imitateur en la personne d’un certain Hermippe de Bérytos[71]. Parmi divers ouvrages d’érudition qui lui sont attribués, mentionnons seulement l’écrit Sur les esclaves qui se sont distingués par leurs connaissances (Περὶ τῶν διαπρεψάντων ἐν παιδείᾳ δούλων), qui a été mis largement à contribution par les dictionnaires biographiques des siècles suivants.

Phlégon de Tralles a un peu plus de notoriété ; peut-être l’a-t-il méritée, comme chronographe tout au moins[72]. Affranchi de l’empereur Adrien, il composa, vers la fin de son règne, une chronologie, intitulée Olympiades (Ὀλυμπιάδες ou χρονικά), en seize livres, qui fut plus tard abrégée en huit. Il nous reste quelques fragments, soit de l’ouvrage lui-même, soit de l’abrégé[73]. Autant qu’on peut y deviner la forme de la composition, c’était une assez sèche nomenclature, avec des récits introduits à titre d’explications, et force oracles cités à tort et à travers[74]. D’ailleurs, ni critique personnelle, ni ombre de mérite littéraire : une simple série de faits et de dates, qui fut utilisée par Julius Africanus. Du même Phlégon nous avons aussi quelques fragments d’un recueil de Prodiges (Θαυμασίων συναγωγή)[75] ; étrange collection d’inepties ramassées un peu partout : l’auteur s’y fait juger par le soin qu’il prend d’assigner une date précise à chacune des énormités qu’il rapporte. Enfin, on lui attribue encore un petit opuscule intitulé De ceux qui ont vécu longtemps (Περὶ Μακροβίων), qui, sous sa forme actuelle, n’est qu’une liste de noms répartis en catégories[76].

Le goût, très répandu alors, de savoir beaucoup de choses médiocrement utiles était la principale raison d’être de tels écrits. On comprend combien ce goût se prêtait à être exploité par des gens hardis et sans scrupules, capables de tout pour se faire une réputation de savants. Sous Trajan et Adrien, parut justement un de ces charlatans d’érudition dont le nom eut quelque éclat. Ptolémée, dit Chemnos, d’Alexandrie, fils d’Héphestion, eut pour métier de fabriquer toute sorte d’articles de littérature prétendue savante, soit en prose, soit en vers[77]. Suidas cite de lui, entre autres ouvrages, un drame historique intitulé le Sphinx, un poème épique en vingt-quatre chants, l’Anthomère (Ἀνθόμηρος), un écrit Sur l’histoire paradoxale (Περὶ παραδόξου ἱστορία), toutes œuvres perdues et sans doute peu regrettables. La seule que nous connaissions, grâce à un résumé détaillé de Photius[78], c’est celle qu’il avait intitulée Histoire nouvelle pour s’instruire sur beaucoup de choses (Ἡ εἰς πολυμαθίαν κοινὴ ἱστορία), en sept livres. On pouvait, dit Photius, y apprendre en peu de temps quantité de choses curieuses, dispersées un peu partout, qui auraient demandé toute une vie de labeur à qui eût voulu les recueillir par lui-même. Ces choses curieuses, relatives à des points de mythologie ou d’histoire, c’étaient pour la plupart des inventions absurdes[79]. L’auteur les avait assemblées sans ordre, dans ce recueil dénué d’ailleurs de tout talent littéraire[80]. Son livre était dédié à une femme, Tertulla, d’où l’on peut conclure qu’il s’adressait spécialement aux gens du monde, atteints de la manie du pédantisme.

Nous touchons là à un des ridicules de ce siècle. D’autres ouvrages, qu’il est difficile de dater exactement, nous laissent entrevoir une tendance analogue sous une forme plus légitime. La connaissance des mythes, mal distinguée de celle de l’histoire, passait pour chose indispensable à quiconque se piquait d’une bonne éducation. Comme on ne lisait plus guère les vieux poètes épiques, sauf Homère et Hésiode, le besoin s’était fait sentir depuis longtemps de réunir dans des Cycles en prose tout ce qu’ils avaient raconté, Dès la fin de la période alexandrine, comme on l’a vu, de telles œuvres avaient pris naissance. Nous avons parlé ailleurs de Denys le cyclographe. Ces manuels de mythologie ne devaient pas avoir moins de succès sous l’empire. — Le plus célèbre est celui qui est venu jusqu’à nous sous le titre de Bibliothèque d’Apollodore, dû à une fausse attribution du manuscrit qui nous l’a conservé[81]. La critique moderne a prouvé jusqu’à l’évidence que ce livre ne pouvait être l’œuvre du célèbre chronographe athénien dont il a été question plus haut[82]. On ne peut que le rapporter approximativement aux premiers siècles de l’Empire. C’est un exposé systématique des généalogies des dieux et des héros, destiné sans doute à être lu et consulté par tous ceux que les longues recherches auraient effrayé[83]. Ils avaient là sous la main, en un tout petit volume, ce qu’il leur était nécessaire de savoir. Le seul mérite de l’ouvrage était d’être commode. S’il a paru précieux aux mythologues modernes et s’il s’est fait une réputation parmi eux, c’est qu’il est resté pour nous comme le témoin indispensable d’une quantité de traditions, ou perdues, ou mal attestées. — On rapporte généralement au même temps, sans indices bien probants d’ailleurs, le petit opuscule d’Antoninus Liberalis, intitulé Recueil de métamorphoses (Μεταμορφώσεων συναγωγή), qui appartient en tout cas par sa nature à la même classe d’ouvrages. On y trouve réunies, sous forme de petits récits en prose passablement secs, quarante-et-une des métamorphoses qui avaient été racontées par divers poètes, plus spécialement par Nicandre dans ses Ἑτεροιούμενα[84]. Quelques modernes ont pensé que c’était là un livre de classe. Il paraît plus probable qu’il s’adressait, comme le précédent, à ce public lettré qui avait besoin d’érudition expéditive.

En insistant sur de telles œuvres, nous nous écarterions de notre plan. Mais ce savoir futile et médiocre est un des traits de l’hellénisme du temps ; on ne pouvait omettre de le signaler.

III

Nous avons vu plus haut ce qu’était la philosophie grecque à la mort de Plutarque. Remarquable dans la direction morale, elle se montrait dans le reste sans originalité et sans puissance. Il en est à peu près de même pendant toute la fin du second siècle. Ce qu’elle offre alors d’intéressant pour l’historien de la philosophie, ce sont les premiers symptômes du mouvement néoplatonicien qui se déclarera au siècle suivant ; mais ces symptômes, indécis encore et confus, dispersés dans des œuvres perdues, se dérobent à la critique littéraire. Nous passerons donc vite sur cette littérature philosophique : elle ne doit figurer ici que pour mémoire.

La transition du platonisme proprement dit au néoplatonisme est intéressante à suivre chez les commentateurs de Platon qui se sont fait alors un nom. Les plus célèbres sont Albinos, Atticos et Théon. — Albinos, élève de Gaïus, enseignait à Smyrne vers le milieu du siècle, sous Antonin, et il y eut pour élève, en 151, le jeune Galien, qui devait s’illustrer bientôt comme médecin. Il semble avoir écrit un grand ouvrage Sur les dogmes de Platon (Περὶ τῶν Πλάτωνι ἀρεσκόντων), d’où les deux morceaux que nous possédons de lui ont été probablement détachés. L’un est un Prologue où il définit le dialogue et discute l’ordre des écrits de Platon (Ἀλβίνου εἰσαγωγὴ εἰς τοὺς Πλάτωνος διαλόγους) ; l’autre, qui nous est parvenu sous le nom altéré d’Alkinoos, offre un exposé sommaire de la philosophie du maître (Ἀλκινόου διδασκαλικὸς τῶν Πλάτωνος δογμάτων)[85]. La doctrine platonicienne y est mélangée d’éléments empruntés au péripatétisme et au stoïcisme ; éclectisme qui est justement un des signes avant-coureurs du néoplatonisme[86]. — Atticos, d’après la chronique d’Eusèbe, était en pleine réputation dans les dernières années du règne de Marc-Aurèle (vers 175). Ses commentaires sur Platon nous sont connus par quelques citations, et il nous reste dans Proclos des extraits de son Explication du Timée[87]. Eusèbe nous a conservé en outre des fragments d’un écrit de lui, de titre incertain, dans lequel il semble avoir cherché à défendre le platonisme pur contre l’invasion de certaines idées aristotéliciennes[88]. Infidèle en cela à l’éclectisme du temps, il s’y rattachait cependant en faisant large part à l’élément stoïcien ; et d’ailleurs, ce qu’il excluait surtout, comme aristotélicien, c’était ce qui s’opposait à la tendance mystique, de plus en plus prédominante dans le platonisme[89]. — Théon de Smyrne s’applique à éclaircir et à commenter la partie mathématique des écrits de Platon. Nous possédons une partie au moins de ses commentaires (Τὰ κατὰ ἀριθμητικὴν χρήσιμα εἰς τὴν τοῦ Πλάτωνος ἀνάγνωσιν)[90], et son livre sur l’Astronomie[91]. Dans le premier de ces ouvrages se marque fortement l’influence que les spéculations systématiques des néopythagoriciens tendaient à exercer sur l’école de Platon[92]. Le second paraît emprunté en grande partie à un écrit péripatéticien et atteste, lui aussi, la tendance qu’avaient alors les diverses doctrines à s’amalgamer[93].

Du même fond de philosophie procède un des livres curieux de ce temps, celui que le platonicien Celse avait écrit contre le christianisme, sous le titre d’Exposé de la vérité (Ἀληθὴς λόγος). Nous ne connaissons rien de la personne ni de la vie de l’auteur[94]. Quant à son livre, bien que perdu, il a pu être restitué en partie par les citations qu’en a faites Origène en le réfutant[95]. Autant que nous pouvons encore en juger, c’était une œuvre de discussion acerbe, mais sérieuse, qui marque une date dans l’histoire morale de l’hellénisme. Pour la première fois, il se sentait menacé, quoique vaguement encore, et il éprouvait le besoin de se défendre. Celse a vu, avec un sentiment qui paraît avoir été un mélange d’inquiétude, d’impatience et de pitié, le mouvement qui commençait à entraîner vers le christianisme beaucoup d’esprits hésitants[96]. Ce mouvement, avec ce qu’il comportait de foi, lui a paru une sorte d’abandon de la raison ; et c’est de ce point de vue tout hellénique qu’il le juge. Si l’on essaie de grouper ses objections en négligeant les détails, les points essentiels de sa critique paraissent avoir été les suivants. D’abord, la notion fondamentale du christianisme, celle d’un dieu fait homme, lui est inintelligible : il la combat, historiquement et logiquement, par la discussion des témoignages qu’elle invoque et par celle des idées qu’elle implique. Puis, au delà du récit évangélique, il découvre dans le christianisme une conception du gouvernement du monde qu’il ne peut accepter : c’est celle d’un Dieu qui se conduit par des décisions changeantes et particulières : conception à laquelle il oppose son déterminisme rationaliste. Enfin, considérant l’intérèt public, il s’inquiète, en politique réfléchi, de cette religion qui n’a point de patrie, el il estime qu’il est bon que les hommes restent attachés au culte de leurs pères, à leurs coutumes, à leurs dieux locaux et nationaux, en d’autres termes, que la religion, tout en se faisant philosophique, s’arrange des formes anciennes et particulières qui se sont transmises d’âge en âge. Ce sont là, comme on le voit, d’intéressantes et sérieuses pensées ; et si, d’une part, elles jettent une vive lumière sur l’hellénisme du second siècle, de l’autre il est curieux de noter combien elles font ressortir les ressemblances de la philosophie grecque avec le rationalisme moderne.

À côté de ces platoniciens, une place importante appartient, dans l’histoire des idées de ce temps, au pythagoricien Nouménios, d’Apamée en Syrie[97]. C’est, de tous les penseurs qui ont vécu au siècle des Antonins, celui qui doit être considéré comme le précurseur le plus immédiat du néoplatonisme. Un de ses principaux écrits avait pour titre Comment l’Académie s’est éloignée de Platon (Περὶ τῆς τῶν Ἀκαδημαϊκῶν πρὸς Πλάτωνα διαστάσεως). Un autre, en trois livres au moins, traitait du Bien (Περὶ τἀγαθοῦ)[98]. Dans ces écrits, et peut-être dans d’autres que nous ne connaissons plus, il s’attachait à établir que la vraie doctrine de Platon était identique à celle de Pythagore, et que celle-ci à son tour ne se distinguait pas de celle des sages de l’Orient, Brahmanes, Mages, Égyptiens et Juifs. Il avait en particulier la plus vive admiration pour Moïse, en qui il trouvait toutes les idées de Platon : si bien qu’il ne craignait pas d’appeler ce philosophe « un Moïse parlant attique » (Μωυσῆς ἀττικίζων)[99]. La tendance vraiment néoplatonicienne de Nouménios consistait à distinguer, d’abord un dieu suprême, simple, immuable, sans relation avec la matière, puis un second dieu, participant à la divinité du premier, mais inférieur, intermédiaire entre lui et la matière, et enfin un troisième, qui était le monde[100]. Il ne lui a manqué que de développer ce système dans ses détails pour faire d’avance l’œuvre de Plotin.

Mais aucun de ces philosophes ne présente, au point de vue littéraire, un intérêt comparable à celui qu’excite Marc-Aurèle. Car, entre tous, il est le seul qui ait écrit un livre où se révèle un homme.

La vie de Marc-Aurèle appartient à l’histoire politique[101]. Nous n’en rappellerons ici que les dates principales. Né en 121, à Rome, d’une illustre et ancienne famille (la gens Annia), Marc-Aurèle fut remarqué, tout enfant, par l’empereur Adrien, qui l’aimait pour son ingénuité. En jouant sur le nom de son père, Annius Verus, il se plaisait à l’appeler Verissimus. Un peu avant sa mort, en 138, quand il se décida à désigner Antonin pour son héritier, il lui ordonna d’adopter le jeune homme, alors âgé de dix-huit ans. Sous Antonin, de 138 à 161, Marc-Aurèle vécut dans la maison impériale, avec la qualité de fils adoptif de l’empereur et d’héritier présomptif. Lorsque Antonin mourut, en 161, il devint empereur à son tour et régna pendant dix-neuf ans, de 161 à 180, d’abord associé avec son frère d’adoption, L. Vérus, de 161 à 169, puis seul, et enfin, à partir de 177, avec son fils Commode, qu’il avait appelé à partager le pouvoir.

Ce qu’il fut comme homme, tous ceux qui ont parlé de lui dans l’antiquité l’ont attesté. Selon le mot de Capitolinus, il vécut en philosophe depuis son premier jour jusqu’à son dernier (C. 1 : in omni vita philosophanti viro). Dans son enfance, ses hautes qualités morales se révélèrent, et l’application constante de toute sa vie fut de s’améliorer lui-même. Instruit par les maîtres les plus illustres du temps, il lui fut impossible, malgré sa bonne volonté, jointe à l’influence d’un Hérode Atticus et d’un Fronton, de se donner de cœur à la rhétorique. La philosophie l’attirait invinciblement : il fallut qu’il lui abandonnât toute son âme. Il fut l’élève de plusieurs philosophes de sectes diverses, parmi lesquels il est juste de distinguer Sextus de Chéronée, le neveu de Plutarque. Mais, de bonne heure, le stoïcisme le prit, et il le garda jusqu’à la fin. Ses vrais éducateurs furent les deux stoïciens Apollonios de Chalcédoine et Junius Rusticus. Au reste, il était de ceux qui se font surtout par eux-mêmes. L’homme qui se montre dans son livre s’est formé par la vie intérieure, par l’observation constante de soi-même, par un désir ardent de la perfection, qui était le fond de sa nature.

Les écrits qui nous restent de Marc-Aurèle sont les uns en latin, les autres en grec. Romain de naissance, il semble que le grec n’aurait dû être pour lui qu’une langue étrangère. Pourtant il n’en est rien. S’il écrit en latin à Fronton, il écrit en grec quand il se parle à lui-même, quand il se met seul en face de sa conscience ; et la façon dont il le fait prouve qu’il n’y apporte aucun effort ni aucun apprêt. C’est que le grec, étant la langue de la philosophie, a été celle de son éducation morale. Rien là qui ressemble à un jeu de lettré, à une transposition artificielle de la pensée. Marc-Aurèle, qui est romain dans la société et dans son rôle officiel, est vraiment grec comme penseur et comme moraliste. C’est en cette langue que ses maîtres lui avaient révélé tout d’abord le bien, les règles de la conduite, toute la sagesse et toute la vertu ; c’est en cette langue que sa conscience continuait à lui parler et qu’il lui répondait instinctivement.

Laissons donc de côté la correspondance latine, quelque intéressante qu’elle soit d’ailleurs[102], et allons droit aux Pensées (Τὰ εἰς ἑαυτόν.)

Ce petit volume, aujourd’hui divisé en douze livres[103], semble avoir été écrit par Marc-Aurèle, au jour le jour, dans les dernières années de sa vie. Le premier livre, achevé au bord du Gran chez les Quades, est postérieur à 166, probablement même à 169, mais antérieur à 176, date de la mort de Faustine (I, 17). Le second, composé à Carnuntum, a dû être écrit entre 170 et 174. Le huitième est en tout cas postérieur à 169, date de la mort de Verus (voy. 25 et 37).

Comme doctrine, les Pensées n’offrent rien d’original. La philosophie qui s’en dégage est celle des Stoïciens de ce temps, en particulier d’Épictète, que Marc-Aurèle a bien connu par les Entretiens d’Arrien et le Manuel. Du reste, le goût de la recherche lui est plus étranger encore qu’à aucun des autres philosophes contemporains. Pour fond de croyance, un acte de foi envers la raison et la bonté divine. Rien n’existe, rien ne se produit, qui ne serve au bien commun. Si l’individu se croit lésé, c’est qu’il ignore le dessein universel, auquel sa souffrance contribue. Le philosophe, lui, croit de toute son âme à ce dessein, bien qu’il ne puisse ni le comprendre ni le deviner ; persuadé qu’il est souverainement bon, il s’y associe sans réserve. D’ailleurs, le seul mal réel, c’est le mal moral, celui qui vient de la volonté. Or, selon le mot d’Épictète, personne ne peut nous prendre notre volonté (λῃστὴς προαιρέσεως οὐ γίνεται. XI, 36). Mettre cette volonté en accord avec les prescriptions de la raison, qui est dieu en nous (τὸ ἐν σοὶ θεῖον XII, 1), c’est le but de la vie. Ainsi se réalise la double formule du stoïcisme : vivre selon la nature et se rendre semblable à Dieu.

Mais si ce fond de pensées n’est pas propre à Marc-Aurèle, voici ce qui lui appartient ; c’est la manière dont il s’en fait l’application à lui-même. Aucun livre de l’antiquité n’a un caractère aussi intime que celui-ci. Il consiste en une sorte d’examen de conscience perpétuel, au sens élevé du mot. Chaque jour, celui qui l’a écrit s’est interrogé lui-même. Il ne catalogue pas ses faiblesses, ce qui en tout cas n’eût pas mérité d’être transmis à la postérité : mais il se rappelle ce qui l’a troublé ; et il fixe sa pensée sur les réflexions qui, désormais, devront le consoler ou le fortifier. Le charme de ces notes, c’est de nous laisser deviner l’homme sans le dévoiler. L’auteur ne se confesse pas à nous : il ne nous parle guère de ses peines secrètes, des froissements de sa vie quotidienne, de ses doutes, de ses découragements, des désirs bas qui ont pu venir inquiéter son austérité, de ses appréhensions, de ses souffrances physiques el morales. À peine, çà et là, quelques allusions légères à ces choses. En général, une sorte de pudeur les tient cachées. Ce que le moraliste nous dit, c’est la réaction qu’elles ont provoquée en lui ; et si nous les devinons, c’est justement par cette réaction. Son livre est une méditation, non une confession, mais une méditation qui sort des incidents quotidiens, qui les suppose, qui permet de les soupçonner.

Pour ceux qui partagent, sous une forme ou sous une autre, l’optimisme imperturbable de Marc-Aurèle, qui ont foi comme lui en une raison suprême toujours orientée vers le bien final, ce livre peut devenir, et il a été souvent en fait, une sorte de manuel de la vie intérieure. Pour les autres même, il est loin d’être indifférent. Car il suffit de s’intéresser à ce qui est humain, pour observer avec sympathie les efforts incessants d’une raison et d’une volonté très nobles vers l’idéal qu’elles se sont fait. D’ailleurs, comme Marc-Aurèle n’enseigne pas, son ascétisme n’a pas le caractère dogmatique, autoritaire, et quelquefois rebutant, de celui d’Épictète. Le philosophe de profession nous fait la leçon ; l’homme simple et modeste qui était dans l’empereur se contente de réfléchir. Et, dans ses réflexions, toutes les qualités attachantes de cette âme, qui fut au fond très douce, se montrent sans cesse. Tantôt, c’est la reconnaissance délicate envers ses parents, ses maîtres, ses amis, tous ceux auxquels il a dû de bons exemples ou de bonnes pensées. Tantôt, c’est une mélancolie sans amertume, qui met une ombre sur la sérénité du sage et qui la rend par là même plus touchante. Quoi qu’il dise, on se sent en présence d’une nature en qui rien n’est vulgaire et qui inspire à la fois la sympathie et le respect.

Comment ce livre tout intime a-t-il été publié ? Nous l’ignorons. Sans doute, il se sera trouvé, dans l’entourage de l’empereur, des amis pieux, qui, à défaut du fils indigne, en auront senti la beauté et l’auront donné au public après sa mort. La réputation de sainteté qu’avait laissée Marc-Aurèle dut contribuer ensuite à le conserver[104]. Lui-même, à coup sûr, ne l’avait pas destiné à la publicité. Ce sont, quant à la forme, de simples notes, à peine rédigées. En les écrivant, il ne s’est soucié ni d’élégance, ni même de correction et de clarté. Il accepte sans scrupule les expressions techniques, la phraséologie lourde, le jargon de l’école. Les qualités de style qu’on peut appeler nécessaires sont précisément celles qui lui manquent le plus. Par compensation, il en a d’autres, qui viennent moins de l’écrivain que de l’homme : l’émotion, la sincérité, partout ; souvent, la concision énergique, le trait, l’image vive et qui frappe ; parfois, une certaine grandeur, qui sans doute est plus dans les idées elles-mêmes que dans le style, mais qui n’en fait pas moins impression sur le lecteur. Toutefois, dans un livre de cette sorte, on a quelque scrupule à noter de tels mérites ; car c’est traiter en auteur l’homme qui songeait le moins à l’être. La beauté qu’il y a mise est de nature morale, non littéraire. S’il est éloquent, c’est qu’il est impossible de ne pas l’être, quand on a une grande âme et qu’on la laisse parler sincèrement.

L’importance du livre de Marc-Aurèle, dans l’histoire des idées, c’est de représenter l’état le plus élevé de la conscience morale dans l’hellénisme, avant l’avénement du mysticisme néoplatonicien, et en dehors des influences chrétiennes. Et lorsqu’on veut juger équitablement où en était l’humanité formée par la culture grecque, au moment où le christianisme allait se répandre, ces méditations d’un sage sont un des éléments les plus indispensables de l’enquête à faire.


Il est curieux qu’en face de ce croyant, l’ordre chronologique nous force à placer le plus déterminé des sceptiques. C’est vers la fin du second siècle en effet que le scepticisme grec a produit le livre qui est resté devant la postérité le principal témoin de ses doctrines, celui de Sextus Empiricus.

Sextus, surnommé l’empirique, du nom de la secte médicale à laquelle il appartenait, paraît avoir écrit après Galien, qui ne le nomme jamais, donc au plus tôt dans les dernières années du second siècle. D’autre part, il est antérieur d’une génération à Diogène Laërce, qui parle non seulement de lui, mais de son successeur (IX, 116) ; ce qui ne permet pas de le reculer au delà du commencement du troisième siècle[105]. Qu’il ait tenu école ou non, toujours est-il qu’il prit à tâche de rassembler en un corps tous les arguments inventés par ses prédécesseurs en scepticisme. Il le fit dans deux ouvrages. L’un, plus court, intitulé Esquisses pyrrhoniennes (Πυρρώνειοι ὑποτυπώσεις), est une sorte de formulaire abrégé, qui contient en trois livres tout l’essentiel de la doctrine : les vues générales dans le premier, la réfutation spéciale de la logique dogmatique dans le second, celle de la physique et de la morale dans le troisième. L’autre, beaucoup plus étendu, avait probablement pour titre Commentaires sceptiques (Σκεπτικά, ou Ὑπομνήματα σκεπτικά)[106]. Dans les manuscrits qui nous l’ont transmis, il est divisé en onze livres[107]. Les cinq premiers, qu’on réunit souvent sous une dénomination commune, Contre les dogmatiques (Πρὸς δογματικούς), sont une discussion complète de la philosophie dogmatique : les livres I et II traitent de la logique (Πρὸς λογικούς, Α, Β) ; les livres III et IV, de la physique (Πρὸς φυσικούς, Α, Β ; le livre V, de la morale (Πρὸς ἐθικούς) ; les six livres suivants forment ensemble le traité Contre l’enseignement des sciences (Πρὸς μαθηματικούς), et ils se divisent comme les sciences elles-mêmes : un livre contre les grammairiens (Πρὸς γραμματικούς), un contre les rhéteurs (Πρὸς ῥήτορας), un contre les géomètres (Πρὸς γεωμέτρας). un quatrième, très court, contre les arithméticiens (Πρὸς ἀριθμητικούς), un contre les astrologues (Πρὸς ἀστρολόγους), un enfin contre les musiciens (Πρὸς μουσικούς). Sextus parcourt ainsi le cycle entier des études (ἐγκύκλια μαθήματα, p. 600, l. 23 Bekker), pour ruiner toutes les disciplines l’une après l’autre. Car ce qu’il prétend démontrer, c’est que rien ne peut être enseigné.

Rien de plus fastidieux, à vrai dire, que cette démonstration d’un paradoxe toujours identique au fond, et qui n’a même pas le mérite de l’originalité. Sextus reproduit les sophismes de ses devanciers ; il ne semble pas y avoir rien ajouté. Et ces sophismes, s’ils peuvent avoir quelque intérêt pour l’historien de la philosophie qui en recherche la filiation, n’en ont vraiment aucun pour le simple lecteur ; tant ils sont le plus souvent artificiels et fragiles. La seule chose qui les recommande à l’attention, c’est qu’ils nous renseignent sur les sciences qu’ils prétendent détruire. À ce point de vue très spécial, le livre de Sextus a son prix. Mais c’est là un mérite de document, non d’œuvre littéraire. Quant à la personnalité de l’auteur, ces séries interminables d’arguties, ces petits raisonnements secs, subtils, captieux, et souvent puérils, ne la montrent guère sous un aspect favorable. Quoiqu’il fasse profession de considérer la croyance comme une maladie, dont il prétend avoir à cœur de guérir les hommes, on se demande à chaque instant s’il est sérieux. Et en admettant qu’il le fût au fond, il paraît difficile de nier qu’il n’ait cédé bien souvent au plaisir de jouer avec les idées et de taquiner les pédants trop convaincus de leur importance[108]. Le malheur est que son pédantisme à lui dépasse toute mesure. Autant le doute sincère sur des matières graves intéresse et provoque à réfléchir, autant ce bavardage stérile, qui, sous prétexte de raisonner, déraisonne à prix fait, est de nature à dégoûter les esprits sensés.

Un autre incrédule, mais d’un tout autre tempérament, peut figurer à côté de lui : c’est un philosophe cynique, un Grec syrien, Œnomaos de Gadara. Sa vie ne nous est pas connue ; les dates même en sont incertaines ; on ne peut dire s’il appartient à la fin du second siècle ou au commencement du troisième[109]. Comme Lucien, mais avec plus de violence et moins d’esprit, il semble s’être donné pour tâche de décrier la croyance aux dieux et surtout la divination. De ses divers ouvrages, un seul nous est connu par d’importants fragments. C’était une diatribe virulente contre les oracles, intitulée Les charlatans pris sur le fait (Γοήτων φωρά)[110]. Les extraits étendus qu’Eusèbe en a insérés dans sa Préparation évangélique nous permettent encore de nous en faire une idée[111]. Dans une discussion moqueuse et mordante, il y tournait en dérision un certain nombre des oracles célèbres rapportés par les historiens, surtout par Hérodote : et au nom de la liberté humaine, il protestait contre le déterminisme des Stoïciens. Sa dialectique, parfois obscure, paraît plus pressante que subtile, plus emportée que souple et pénétrante. Mais il a une verve, un éclat, une sincérité âpre, qui frappent vivement. Julien lui a reproché durement sa grossièreté[112] ; Œnomaos est pour lui le type du cynique qui déshonore le cynisme ; mais Julien était un dévot du paganisme ; les railleries d’Œnomaos l’avaient blessé dans ses croyances. Son jugement ne doit donc pas être accepté sans réserve. Œnomaos, tel qu’il nous apparaît dans ce que nous lisons de lui, n’est ni un grand esprit ni un rare écrivain, mais c’est une des figures marquantes de ce temps.

IV

Après la philosophie, un autre élément non moins nécessaire à l’appréciation de l’hellénisme d’alors serait l’exposé de l’état de la science contemporaine. Mais cet exposé, si l’on se plaçait au point de vue scientifique, ne répondrait pas à la nature de cet ouvrage. Il suffira d’en donner ici quelque idée, en présentant les plus renommés des savants du temps sous l’aspect où ils intéressent le plus la littérature.

D’une manière générale, la science grecque, sous ses diverses formes, avait subi une éclipse sensible a la fin de la période alexandrine. Mais de même que la littérature, elle eut, sous l’empire, et particulièrement au second siècle, une renaissance, dont il est d’ailleurs malaise de déterminer avec précision l’étendue et les phases.

Nommons seulement les mathématiciens Ménélas d’Alexandrie et Théodose de Tripolis, qui vivaient l’un et l’autre sous Trajan, Sérénos d’Antissa et Clèomède, probablement leurs contemporains. Ce qui nous reste de leurs œuvres, soit en grec, soit dans des traductions latines, n’intéresse que l’histoire des mathématiques. — Il n’en est pas tout à fait de même de celles du pythagoricien Nicomachos, de Gerasa en Arabie, qui paraît avoir vécu au commencement du second siècle[113]. Il y a lieu de penser qu’il avait composé sur l’ensemble des doctrines pythagoriques un grand ouvrage, dont quelques parties seulement nous sont parvenues sous des titres divers, comme autant d’ouvrages distincts. Ce sont : le Manuel d’Harmonique (Ἐγχειρίδιον ἁρμονικῆς) en deux livres[114] ; l’Introduction à l’Arithmétique (Ἀριθμητικὴ εἰσαγωγή), en deux livres[115] ; la Théologie Arithmétique (Ἀριθμητικὰ θεολογούμενα), dont un extrait nous a été conservé par Photius (cod. 187)[116]. Par ce dernier ouvrage tout au moins, Nicomachos est un des témoins des rêveries mathématiques auxquelles se complaisaient les néopythagoriciens, et dont l’influence se retrouve chez tant d’écrivains de la période romaine.

Artémidore d’Éphèse[117] représente presque seul une science bien plus fantaisiste encore, celle de l’interprétation des songes. Le seul ouvrage qui nous reste de lui, les Songes expliqués (Ὀνειροκριτικά), en quatre livres, est un simple recueil de règles et d’exemples, d’une extrême platitude, qui serait sans aucune valeur, s’il ne nous renseignait sur un art qui a joué dans l’antiquité un grand rôle, et s’il n’attestait la misérable crédulité des hommes de ce temps.


Une tout autre place dans la science appartient au célèbre astronome et géographe Claude Ptolémée, d’Alexandrie. Venu le dernier dans la série chronologique des grands savants de la Grèce, il a résumé dans ses œuvres, avec une remarquable puissance de synthèse, tout ce qu’ils avaient découvert, en y ajoutant le fruit de ses recherches personnelles. Et comme il n’a pas eu de successeur, c’est lui qui a révélé la science hellénique aux hommes du moyen âge d’abord, et ensuite aux modernes. Par là son rôle a été très grand, supérieur même à son mérite personnel ; car Ptolémée, malgré sa large et intelligente activité, n’a pourtant à son compte aucune grande découverte ; nulle part, il n’a fait œuvre de génie, comme autrefois un Archimède ou un Hipparque.

Tout ce que nous savons de sa vie, c’est qu’elle se passa soit à Alexandrie, soit aux environs, qu’il était illustre au temps de Marc-Aurèle, et qu’il fit probablement ses observations dans le temple de Canope[118].

Le plus célèbre de ses ouvrages astronomiques est le Traité complet d’Astronomie (Σύνταξις τῆς ἀστρονομίας) en treize livres. Ce traité, qui condensait toute la science astronomique d’alors sous une forme relativement simple et claire, quoique prolixe, devint en peu de temps le livre classique sur la matière. Commenté au ive siècle par Théon et Pappos, qualifié de grand et de très grand (μεγάλη, μεγίστη), il fut traduit en arabe au ixe siècle et passa ainsi en Occident sous le titre d’Almageste (Tabrir al magesthi). Il est resté jusqu’à Copernic l’oracle de l’astronomie. En réalité, ce qu’il contenait de meilleur, c’est ce que Ptolémée avait pris à Hipparque. Lui-même, il est vrai, avait largement complété les enseignements du grand astronome, et, en suivant ses méthodes, il se montrait calculateur hardi et ingénieux ; mais il semble qu’il ait peu ou médiocrement observé, et la nature de ses erreurs donne à penser qu’il n’a pas eu autant qu’on le voudrait la conscience qui caractérise le vrai savant[119].

À côté de ce grand ouvrage, il suffit de nommer d’autres écrits secondaires : les Tables Manuelles (Πρόχειροι κανόνες), édition abrégée des tables astronomiques qui figuraient dans le Traité ; le Canon des Rois (Κανὼν βασιλέων), liste chronologique de souverains que Georges le Syncelle a fait entrer dans sa Chronographie ; les traités Sur les Planètes (Ὑποθέσεις καὶ πλανωμένων ἀρχαί), Sur les étoiles fixes (Φάσεις ἀπλανῶν) ; puis ceux qui ont pour titres Sur la manière de prendre la hauteur du soleil (Περὶ ἀναλήμματος) « où se trouve enseignée, dit Delambre, toute la théorie gnomonique des Grecs, » et Sur le déploiement de la surface de la sphère (Ἅπλωσις ἐπιφανείας σφαίρας), où il expose les principes de la projection stéréographique[120]. L’Optique (Ὀπτικὴ πραγματεία), que nous n’avons qu’en latin, atteste des observations exactes sur la réfraction. Dans les Harmoniques (Ἁρμονικὰ), en trois livres, il étudie, d’après Aristoxène et les Pythagoriciens, les intervalles musicaux et leurs rapports.

Mais, après l’Almageste, c’est surtout la Géographie qui a fait la réputation de Ptolémée. L’ouvrage comprend huit livres. Comme l’indique le titre (Γεωγραφικὴ ὑφήγησις), c’est une introduction à l’art de dresser ou de lire les cartes. Après un exposé de principes généraux (L. I)[121], où l’auteur signale les services rendus à la cartographie par Marin de Tyr[122] et cherche à marquer nettement ce qui reste à faire, il donne en une série de tables (l. II-VII), la latitude et la longitude des principaux points du monde alors connu, depuis les îles Fortunées à l’Ouest jusqu’à la métropole des Sinæ à l’Est, et depuis le 10e degré au sud de l’Équateur jusqu’au 60e au nord. Si nombreuses qu’y soient les inexactitudes provenant de fausses observations, nous n’en avons pas moins là le précieux résumé de toute la connaissance géographique des anciens. Ptolémée en effet travaille à mettre au point les travaux de Marin de Tyr, comme celui-ci, déjà, avait corrigé et complété ceux des successeurs d’Ératosthène et d’Hipparque. « Si jamais, dit M. Vidal de Lablache, la nécessité de rectifier la carte s’était fait sentir, c’était bien au moment où affluaient tant de notions nouvelles, qu’il fallait trouver moyen de combiner avec les anciennes. Jamais il n’y avait eu tant de sources d’informations, tant d’ouvertures sur diverses contrées du monde, qu’à la fin du ier siècle de notre ère et dans la première moitié du iie. L’Histoire naturelle de Pline rend bien le sentiment de haute curiosité que ce spectacle inspirait à certains esprits. Si l’on n’avait pris le soin de recueillir et de consigner des renseignements que livraient, au jour le jour, les expéditions commerciales ou militaires, d’en dégager les données géographiques précises, il ne serait résulté de ces découvertes qu’un fatras de noms, que la carte n’aurait su comment rapporter à ses cadres, une confusion qui aurait compromis l’œuvre scientifique dont Ptolémée, si sobre d’ordinaire, parle avec un véritable accent d’enthousiasme[123] ». En mettant en ordre ces données, et en indiquant à qui il les doit, l’auteur de la Géographie nous fournit le moyen d’apprendre comment les connaissances géographiques s’étaient accrues peu à peu ; la science moderne retrouve dans son œuvre la trace des journaux de route des anciens navigateurs, elle y reconnait les voies que suivait alors le commerce. De telle sorte que de ces tables, si sèches en apparence, se dégage en fin de compte une image très vivante de l’activité de plusieurs siècles[124].

Ce géographe mathématicien était aussi philosophe au sens propre du mot. Nous avons encore de lui un petit traité de logique Sur le criterium et le principe directeur de l’âme (Περὶ κριτηρίου καὶ ἡγεμονικοῦ)[125]. — Plusieurs autres de ses écrits, cités par Suidas et Simplicius, ont été perdus.

Parmi les autres géographes contemporains, si l’on excepte Denys le Périégète, dont nous avons parlé plus haut à propos de la poésie didactique[126], il suffit de mentionner Denys de Byzance, auteur de la Navigation sur le littoral du Bosphore (Παράπλους Βοσφόρου)[127].

V

Avec les sciences qui se rattachent aux mathématiques, celles qui ont le plus brillé en ce temps sont les sciences médicales[128]. Le remarquable mouvement d’idées et de connaissances auquel elles ont alors donné lieu se résume pour nous dans l’œuvre de Galien, et c’est d’après lui surtout qu’il nous est possible de l’esquisser. Mais auparavant, il est bon de dire un mot de l’extension qu’avait prise alors la botanique médicale.

À mesure qu’on connaissait mieux le monde, on apprenait aussi à en classer les productions naturelles. Rien n’atteste mieux ce développement de connaissances que l’immense compilation de Pline l’Ancien, dont sept livres entiers (XX-XXVII) sont consacrés à la botanique médicale. Chez les Grecs, il est vrai, nous ne trouvons aucun ouvrage qui embrasse tant de choses à la fois. Mais, pour cette partie au moins de la science, nous avons l’œuvre de Dioscoride, qui a fait loi jusqu’au temps de la Renaissance et même au delà.

Dioscoride était un médecin d’Anazarba en Cilicie[129]. Le temps où il écrivit semble à peu près déterminé par ce fait que Pline, si exact à citer ses sources, ne le nomme pas, tandis qu’il est mentionné dans le lexique hippocratique d’Érotianos qui fut composé vers le commencement du second siècle. Galien le cite fréquemment. On peut donc admettre qu’il dut publier son ouvrage sous Domitien ou sous Nerva[130]. Cet ouvrage, en cinq livres, sur la matière médicale (Περὶ ὕλης ἰατρικῆς), nous a été conservé dans un grand nombre de manuscrits, qui témoignent de sa vogue au moyen âge[131]. Ce n’est en somme qu’une longue série d’articles confusément groupés. Les descriptions des plantes y sont si insuffisantes qu’il n’a été possible d’en identifier qu’une faible partie (une centaine environ sur six cents). Ce que l’auteur développe, ce sont les vertus médicinales qu’il leur attribue. Une grande partie de sa science était empruntée à ses prédécesseurs, en particulier à Crateuas, qu’il cite assez souvent[132] : c’est une des sources qui lui sont communes avec Pline ; il est impossible d’apprécier aujourd’hui ce qu’il y avait ajouté quoiqu’il déclare, dans sa préface, « avoir parcouru différents pays pour connaître les substances qui peuvent être utiles dans la médecine »[133]. Comme écrivain, Dioscoride n’a guère d’autre mérite que de n’être ni long ni obscur. Son renom en somme est celui d’un spécialiste, au sens le plus étroit du mot.

Au contraire, les vrais représentants de la médecine, en ce temps, sont tous plus ou moins des philosophes, et quelques-uns sont des écrivains. Les sectes qui s’étaient constituées pendant la période alexandrine continuaient à subsister ; de nouvelles s’y étaient même ajoutées. Tandis que les Dogmatiques, qui se rattachaient à Hippocrate, à Platon, à Aristote, tenaient énergiquement pour la recherche des causes et expliquaient le fonctionnement des organes par des forces spécifiques (δυνάμεις) adaptées à certaines fins, les Empiriques, au contraire, n’admettant ni forces préexistantes ni causes, ne voulaient connaître que des faits particuliers, caractérisés par les circonstances concomitantes ou symptômes (συμπτώματα). Entre ces deux sectes, une troisième, celle des Méthodiques, avait surgi dans le cours du ier siècle avant J.-C., sous l’influence d’Asclépiade de Bithynie, et surtout de Thémison. Ceux-là, non plus, ne croyaient ni aux causes ni aux forces ; mais ils se distinguaient des empiriques en ce que, au lieu de s’en tenir aux faits particuliers, ils les groupaient en genres selon leurs ressemblances (κοινότητες) ; le propre de la secte était la superstition de ces genres, qui se traduisait dans la pratique par la méconnaissance systématique des particularités. Enfin, une dernière secte, celle des Sceptiques, appliquait à la médecine les principes de Pyrrhon, d’Arcésilas et d’Ænésidème, et mettait en doute la possibilité même de la certitude. Comme on le voit, le dissentiment entre ces écoles rivales portait en réalité sur les questions fondamentales de la philosophie. Il donnait lieu à des discussions, orales et écrites, qui sans doute avaient l’inconvénient de substituer trop souvent à l’observation une vaine dialectique, mais qui pourtant, ont provoqué aussi d’utiles expériences[134]. Ces discussions semblent avoir intéressé le public d’alors. Beaucoup de médecins, imitant les sophistes, faisaient des conférences publiques, où ils commentaient quelque point de doctrine qui leur était proposé[135]. En outre, presque tous écrivaient ; et cette littérature, à la fois philosophique et médicale, trouvait de nombreux lecteurs[136]. Ce qui nous en reste n’en est certainement qu’une petite partie.

Rufus, d’Éphèse, vécut sous Trajan[137]. Le principal ouvrage que nous possédons de lui a pour titre Sur la dénomination des organes de l’homme (Περὶ ὀνομασίας τῶν τοῦ ἀνθρώπου μορίων). Il est intéressant par le fond même des choses, car il nous fait, mieux qu’aucun autre, connaître l’état des connaissances anatomiques au second siècle ; mais ce n’est qu’une nomenclature, sans rien de personnel. Ses autres écrits sont de moindre importance. On lui a attribué par conjecture un poème didactique Sur les Herbes (Περὶ βοτανῶν), qui semble être d’une date très postérieure, et un traité Sur le Pouls (Περὶ σφυγμῶν)[138]. — Soranos, né à Éphèse comme Rufus dont il fut le contemporain, vécut à Alexandrie, puis à Rome, sous Trajan et sous Adrien[139]. Nous savons par divers témoignages qu’il fut un de ceux qui achevèrent de formuler les principes de l’école méthodique[140]. Ce qui nous reste de ses œuvres se rapporte presque uniquement à la physiologie et à la pathologie de la femme. Il avait composé aussi des Biographies de médecins, d’où provient vraisemblablement la vie abrégée d’Hippocrate que nous possédons[141].

À la génération suivante, qui est celle de Galien, appartiennent Xénocrate d’Aphrodisias et Aretæos de Cappadoce. Du grand ouvrage que le premier avait composé Sur l’alimentation animale (Περὶ τῆς ἀπὸ τῶν ζῴων τροφῆς), il ne subsiste qu’un chapitre sur la nourriture fournie par les animaux aquatiques (Περὶ τῆς ἀπὸ τῶν ἐνυδρων τροφῆς)[142]. Le second a gardé une certaine réputation pour ses deux écrits en dialecte ionien, l’un Sur les causes et les signes des maladies aiguës et chroniques (Περὶ τῆς ἀπὸ τῶν ἐνυδρων τροφῆς), l’autre Sur le traitement des maladies aiguës et chroniques (Περὶ θεραπείας ὀξέων καὶ χρονικῶν παθῶν). Tous deux sont remarquables par une forme vive, qui fait valoir quantité d’observations justes ; mais, quant au fond, la critique moderne semble avoir démontré qu’Arétæos n’avait guère fait que suivre pas à pas les enseignements d’Archigénès, qui s’était illustré au temps de Trajan[143].


De tous ces médecins écrivains, aucun n’est comparable, ni pour la réputation, ni pour la variété des connaissances et des aptitudes, ni pour la puissance de l’esprit, ni enfin pour l’activité littéraire, à Galien. C’est lui qui, avec Ptolémée, représente le mieux la science de ce temps ; son œuvre mérite qu’on s’y arrête quelques instants.

Claude Galien naquit à Pergame sous le règne d’Adrien, en l’an 134 de notre ère[144]. Son père, Nicon, homme intelligent et réfléchi, probablement architecte, semble avoir été familier avec la géométrie et ses applications. Le goût des mathématiques était d’ailleurs héréditaire dans la famille[145]. Galien fut élevé par lui jusqu’à l’âge de quatorze ans, et il a rendu un témoignage plein de reconnaissance à la modération de son âme et à la rectitude de son intelligence[146]. À quinze ans, il suivit, à Pergame même, les leçons d’un Stoïcien, d’un Platonicien, d’un Péripatéticien et d’un Épicurien. Son père le conduisait lui-même chez ces maîtres, assistait avec lui à leurs cours et l’empêchait de s’abandonner à aucune secte exclusivement ; en même temps, il l’exerçait à la dialectique par des démonstrations de géométrie pure et appliquée[147]. Ainsi formé, le jeune Galien restait fort indépendant à l’égard de ses maîtres, et, bien plus tard, dans sa vieillesse, il put se vanter de n’avoir jamais donné son acquiescement à la légère[148]. Quand il devint homme, l’éducation qu’il avait reçue le rendait apte presque également à toute profession libérale : il était préparé à la philosophie, à la rhétorique, aux sciences mathématiques et naturelles. Sa fortune d’ailleurs lui permettait de choisir selon ses goûts[149]. Mais, dès l’âge de dix-sept ans, son père, obéissant à un songe, lui avait fait étudier la médecine en même temps que la philosophie[150]. Ce fut cette science qu’il préféra.

Après avoir été, probablement à Pergame même, le disciple du médecin Satyros, il se rendit à Smyrne pour y suivre les leçons de Pélops ; il se proposait d’y entendre en même temps le platonicien Albinos[151]. Pélops était un dogmatique, et ce fut lui qui eut le plus d’influence sur la direction générale des idées de Galien. Mais Smyrne ne le retint pas définitivement. Avide de s’instruire, il se rend bientôt à Alexandrie, qui était depuis plusieurs siècles un des centres d’études médicales les plus célèbres. Puis, d’Alexandrie, il vient à Rome, comme dans le lieu du monde où affluaient le plus de savants et où se faisaient les réputations. Il était fort jeune encore[152], car ce voyage eut lieu sans doute vers la fin du règne d’Antonin, — mais c’était déjà un maître. Il fit là un cours de médecine pour les jeunes gens, qui eut, nous dit-il, grand succès. En outre, il donnait des conférences, où il ne craignait pas d’engager des polémiques avec les principaux représentants des écoles rivales[153]. Nous ignorons la durée exacte de ce premier séjour à Rome. Quand il s’en éloigna, ce fut pour revenir dans sa patrie ; et peut-être est-ce alors qu’il fut attaché, comme médecin et chirurgien, à la schola gladiatorum qui s’y trouvait. En tout cas, sa réputation grandissait. Car en 165, à l’âge de trente-quatre ans, nous le voyons rappelé à Rome par les empereurs Marc-Aurèle et L. Verus[154]. Il y séjourne trois ans. Moins épris alors d’applaudissements, il ne se prodiguait plus en public, mais il se livrait avec un succès croissant à la pratique de son art. En 168, les débuts de la peste qui allait ravager l’empire le firent revenir à Pergame ; mais, presque aussitôt, un nouvel ordre impérial le mandait à Aquilée, où les deux empereurs passaient l’hiver avant de commencer leur campagne contre les Germains. Il vit mourir L. Verus en 169 ; Marc-Aurèle, en partant seul pour son expédition, le laissa à Rome, sur sa demande, pour y veiller sur la santé du jeune Commode[155]. Il semble y être resté assez longtemps. Mais à partir de ce temps, les événements de sa vie nous échappent. Peut-être revint-il à Pergame après la mort de Marc-Aurèle et y passa-t-il ses dernières années. Sa vie, selon Suidas, se prolongea sous les règnes de Commode, de Pertinax et de Sévère, jusqu’à l’âge de soixante-dix ans. Si cela est exact, il serait mort en 201.

Personne n’a plus écrit que lui, et sur toute sorte de sujets. Il avait commencé à écrire dès sa jeunesse, avant même de quitter sa ville natale, et il écrivit jusqu’à sa vieillesse[156]. Comme beaucoup de ses contemporains avaient de la peine à s’orienter, de son vivant même, au milieu de cette immense production, et comme en outre on faisait courir sous son nom des écrits qui n’étaient pas de lui, il composa, vers la fin de sa vie, deux opuscules destinés à prévenir les méprises : l’un a pour titre Sur l’ordre de mes écrits, l’autre Sur mes propres ouvrages. Tous deux nous sont parvenus, et c’est à ces opuscules naturellement qu’il convient de se référer pour avoir des renseignements précis sur chacun de ces écrits en particulier[157]. Il est impossible ici, non seulement de les étudier tous, mais même d’en donner la nomenclature complète. Tout ce qu’on peut faire est d’indiquer les principaux en chaque genre[158].

Ce qu’on peut appeler la philosophie médicale est représenté largement dans la collection ; il n’y a pas lieu de s’en étonner, car Galien est un des esprits les plus philosophiques de ce temps. Citons d’abord l’opuscule Sur les sectes (Περὶ αἱρέσεων)[159], où il expose, pour des jeunes gens qui débutaient dans les études médicales, les principes essentiels des trois grandes sectes ; l’ouvrage en six livres Sur les dogmes d’Hippocrate et de Platon (Περὶ τῶν Ἱπποκράτους καὶ Πλάτωνος δογμάτων[160], dans lequel le dogmatisme éclectique qui lui est propre est rattaché à ses origines ; le traité capital en trois livres Sur les forces naturelles (Περὶ φυσικῶν δυνάμεων)[161], où se montrent, avec l’essence de sa doctrine, sa méthode et la force de sa dialectique ; enfin, le tout petit écrit qui a pour titre : Que le bon médecin est philosophe (Ὅτι ὁ ἄριστος ἰατρὸς φιλόσοφος)[162]. — Si nous passons à la science médicale proprement dite, il faut signaler en premier lieu des ouvrages généraux, parmi lesquels la série des Commentaires sur Hippocrate (Ὑπομνήματα εἰς τὰ Ἱπποκράτους), en cinquante-cinq livres, œuvre de sa vie entière, dont quelques parties seulement nous ont été conservées. Puis, pour chacune des grandes divisions de la médecine, un certain nombre d’ouvrages spéciaux. Sur l’anatomie, on peut citer : les Travaux d’anatomie (Ἀνατομικαὶ ἐγχειρήσεις), en quinze livres, dont neuf seulement sont venus jusqu’à nous ; sur la physiologie, le grand traité Des fonctions des organes dans le corps de l’homme (Περὶ χρείας τῶν ἐν ἀνθρώπου σώματι μορίων), en dix-sept livres, ouvrage qui a servi de fondement aux études médicales jusqu’au temps où elles se sont affranchies par l’observation. La pathologie était étudiée dans une série de traités spéciaux ; ces traités, Galien les avait résumés dans son Art médical (Τέχνη ἰατρική), célèbre dans les écoles du moyen âge sous le nom de « Microtechnum ». Enfin, parmi les écrits nombreux relatifs à la thérapeutique et à la matière médicale, il faut mentionner en première ligne la Méthode thérapeutique (Μέθοδος θεραπευτική) en quatorze livres, qui fut le « Megalotechnum : » du moyen âge ; puis seize livres, de titres divers, sur les pronostics, et trois ou quatre compositions assez étendues sur les remèdes, formant ensemble plus de vingt-cinq livres.

Une si abondante production aurait absorbé toute l’activité d’un autre homme. Mais Galien, tout en écrivant sans cesse sur la médecine, trouvait encore moyen de s’occuper de logique, de morale, même de grammaire et de rhétorique.

La logique l’intéressait tout particulièrement. De tout temps, il avait été passionné pour l’art de la démonstration[163] ; il le cultiva toute sa vie, non seulement en pratique, mais par des recherches de théorie. Son principal ouvrage sur ce sujet, le Traité de la démonstration (Περὶ τῆς ἀποδείξεως), en quinze livres, est malheureusement perdu, ainsi que ses commentaires sur la logique d’Aristote et de Théophraste, ainsi encore que bon nombre d’écrits spéciaux sur le syllogisme, sur l’induction, sur les propositions nécessaires, etc. Il nous reste une brève réfutation du scepticisme de Favorinus (Περὶ τῆς ἀρίστης διδασκαλίας), un intéressant écrit Sur les erreurs (Περὶ ψυχῆς ἁμαρτημάτων), qui forme la seconde partie du traité Sur Les passions et les erreurs (Περὶ ψυχῆς παθῶν καὶ ἁμαρτημάτων)[164], et un opuscule de médiocre valeur Sur les sophismes de mots (Περὶ τῶν κατὰ τὴν λέξιν σοφισμάτων)[165].

La morale était représentée dans l’œuvre de Galien par environ vingt-cinq écrits, qui ont presque tous disparu. L’ouvrage le plus regrettable en ce genre semble avoir été le traité Sur les différents genres de vie qui résultent de notre conception du souverain bien (Περὶ τῶν ἀκολούθὠν ἑκάστῳ τέλει βίων) ; l’auteur y touchait nécessairement aux questions fondamentales de la morale.

En dehors de la logique et de la morale, Galien avait encore abordé quantité de questions diverses de philosophie dans des livres perdus qu’il énumère lui-même[166]. Enfin, il avait fait à ses heures de la critique littéraire et de la grammaire. Parmi les dix ouvrages relatifs à ces sujets dont il nous donne les titres[167], cinq se rapportaient à l’ancienne comédie, qui semble l’avoir particulièrement intéressé et dont il avait étudié de près le langage. D’autres touchaient à la question de l’atticisme : il avait composé, sous forme de lexique alphabétique en quarante-huit livres, un recueil des mots usités chez les écrivains attiques (Τῶν παρὰ τοῖς Ἀττικοῖς συγγραφεῦσιν ὀνομάτων τεσσαράκοντα ὀκτώ)[168]. Mais, comme il le dit expressément, ce n’était pas qu’il attachât la moindre valeur au purisme affecté des atticistes contemporains[169] ; il trouvait même ridicule qu’on reprît ceux qui parlaient incorrectement[170]. Son but avait été tout autre : il s’était proposé seulement d’établir le sens exact des mots anciens, qu’il voyait méconnu souvent autour de lui.

Par cette quantité d’écrits variés, Galien se révèle comme un esprit singulièrement actif. Toutefois, si on voulait le traiter en philosophe proprement dit et lui demander ses opinions sur les points de doctrine essentiels, on risquerait d’aboutir à un mécompte. Homme de savoir avant tout, c’est sous cet aspect qu’il convient de l’apprécier. En métaphysique, en théologie, en morale, en logique même, on ne peut pas dire qu’il ait rien approfondi. Les idées qu’il exprime sur ces sujets nous montrent en lui un éclectique, qui s’appuie de préférence sur Aristote, en mêlant à ses opinions celles de Platon et des Stoïciens, et en modifiant tout cela à sa manière[171]. Au fond, si l’on excepte quelques affirmations qui lui sont chères, il a très peu le goût de dogmatiser. En face des questions difficiles, sur lesquelles les philosophes disputent, lui s’arrête volontiers, avoue son ignorance et ne se croit pas autorisé à conclure, faute de preuves.

Mais où se montre la vigueur et la supériorité de son intelligence, c’est dans ce qu’on peut appeler sa philosophie de la médecine[172]. Elle se ramène essentiellement à étudier « l’art de la nature » (τέχνη τῆς φύσεως) ; car cet art, le médecin a besoin de le connaître et de le comprendre à fond, pour y conformer sa pratique. La nature a des fins, auxquelles elle arrive par le jeu des forces (φυσικαὶ δυνάμεις) qu’elle a créées et qu’elle entretient. Ces forces résident dans chaque partie de l’organisme ; en s’unissant entre elles, elles constituent par leur association d’autres grandes forces supérieures et collectives. Telles sont la force de création (γεννητική), la force d’accroissement (αὐξητική), la force d’entretien ou d’alimentation (θρεπτική). Les forces particulières, elles, sont en très grand nombre, et c’est d’elles que dépend tout le détail infini des phénomènes qui constituent la vie ; les plus remarquables sont la force d’attraction (ἑλκτική ou ἐπισπαστική), grâce à laquelle chaque organe attire ce qui lui est propre ; la force de rétention (καθεκτική), qui lui permet de le retenir jusqu’à qu’il en ait tiré ce qu’il en doit tirer : la force d’élimination (ἀποκριτική). par laquelle il se débarrasse du superflu. À coup sûr, cette doctrine, qu’il suffit ici de caractériser par ces quelques exemples, n’appartient pas en propre à Galien. Elle est par ses origines hippocratique et péripatéticienne. Mais lorsque Galien l’adopta à son tour, elle était depuis longtemps combattue par les empiriques et les méthodiques, et il fallait, pour la soutenir désormais, réfuter une à une les objections qu’elle avait soulevées. Cette nécessité devait conduire un dialecticien tel que lui à donner aux idées dont elle était faite une cohésion et une vigueur qu’elles n’avaient pas eues jusque-là. C’est donc lui qui les a coordonnées en un vasts système, c’est lui qui les a le premier étudiées dans toutes leurs applications et conséquences, et par là, il en est devenu comme le répondant devant la science.

Or la science, il faut le reconnaitre, les a rejetées bien loin, et c’est en les repoussant qu’elle a réalisé ses plus sérieux progrès. Aujourd’hui, cette doctrine des « forces » nous apparaît à travers les moqueries dont Molière a accablé les médecins de son temps, et la « puissance attractive » nous fait songer immédiatement à la « vertu dormitive » de l’opium. Mais toutes les grandes explications théoriques des phénomènes du monde, une fois dépassées, en sont là : ce qui n’empêche pas que la science ait besoin de théories, pour lier ses expériences et en coordonner les résultats. Tout ce qu’on doit se demander par conséquent, c’est si, au temps de Galien, sa doctrine fondamentale répondait à l’état des connaissances, et si, au lieu d’entraver les progrès de la science, comme elle le fit plus tard, une fois vieillie, elle n’était pas au contraire propre à les favoriser. Sur ces deux points, il ne semble pas que le doute soit possible. En dehors de cette doctrine, nous ne voyons, dans le monde scientifique d’alors, que des théories stériles, qui ne provoquaient ni observation ni expérimentation. Au contraire, la philosophie, si vigoureusement coordonnée et défendue par Galien, tenait compte de tous les faits établis, elle en faisait même découvrir d’autres, et si elle créait, derrière ces faits, des entités imaginaires, ce n’étaient guère que des noms qu’elle imposait à l’inconnu, chose que l’homme n’a jamais pu se dispenser de faire. On lui a reproché d’abuser de la dialectique. Mais la dialectique de Galien est celle d’un homme qui sait, qui observe, qui expérimente, qui réfléchit, et qui éprouve le besoin de conclure de ce qu’il voit à ce qu’il devine. Admirable de vigueur, elle est toujours appuyée sur des faits. Sans dialectique de cette sorte, il n’y a jamais eu de grand savant, il n’y en a pas plus aujourd’hui qu’autrefois. La faculté de lier les observations de détail et d’en tirer des conséquences est une des conditions fondamentales de l’esprit scientifique, et il semble bien que, chez Galien, cette faculté ait été de premier ordre. Ce qu’on peut regretter, comme il l’a d’ailleurs regretté lui-même, c’est que la nécessité de discuter lui ait pris trop de temps. Il eût mieux valu, pour le progrès de la science, qu’il eût poursuivi des recherches personnelles sur quelques points obscurs, au lieu de défendre des résultats qui lui paraissaient acquis. Le goût des discours, même sous sa forme la plus légitime, est le seul trait qui dénote en lui le contemporain des sophistes.

Ces hautes et saines qualités d’esprit se reflètent naturellement dans son style. « Le premier mérite de la diction, écrivait-il, c’est, à mon avis, la clarté[173]. » Et, en effet, il est clair avant tout. Cette clarté provient en partie du bon choix des mots ; nulle recherche, nulle bizarrerie ; les termes ordinaires, connus de tous[174], sans affectation d’archaïsme ni d’atticisme, comme aussi sans concessions exagérées aux négligences de l’usage courant. Mais, si l’on va plus au fond des choses, on s’aperçoit qu’il est clair surtout parce que sa pensée est naturellement analytique et ordonnée, parce que ses idées se décomposent, se développent, se rangent avec méthode. Le mouvement de son style est égal, avec quelque lenteur. L’écrivain revient parfois sur ce qu’il a déjà dit, pour insister, pour marquer les phases de la démonstration. De là, une certaine prolixité, sans diffusion pourtant. Le discours ainsi fait a plus de bonne tenue que d’élégance. Son mérite est surtout fait de logique et de précision. L’agrément proprement dit y est rare ; Galien ne cherche pas à orner sa diction ; mais il lui arrive assez souvent de rencontrer des comparaisons dont la justesse piquante égaie sa dialectique, tout en contribuant encore à la clarté. Et dans la probité de ce style scientifique, qui ne vise qu’à l’enseignement, se révèle ainsi l’homme d’esprit, qu’on devait écouter avec plaisir.


Galien, Ptolémée, Marc-Aurèle, Appien et Arrien marquent, en face de la sophistique, ce qui restait encore de sérieux dans l’hellénisme. Si les beaux esprits du temps mettaient l’art littéraire au service d’une virtuosité frivole, il ne manquait pas, on le voit, d’intelligences saines et fermes, qui aimaient la vérité, qui croyaient la trouver par les forces de la raison, et qui pensaient que l’emploi naturel de la parole, c’est de l’exprimer. À tous, il est vrai, on pouvait adresser un même reproche : ils vivaient trop sur un passé qui était épuisé. Décidément, la renaissance qui avait commencé à la fin du siècle précédent ne donnait pas tous les fruits qu’on eût été en droit d’en attendre. Après avoir tiré parti des enseignements de l’antiquité, on ne savait pas s’en affranchir, pour marcher hardiment dans des voies nouvelles. Et toutefois le plus grand mal était ailleurs.

L’hellénisme, en ce qu’il avait d’essentiel, n’avait pas pu se faire adopter par les multitudes qui étaient venues à lui trop vite. Elles n’en avaient pris que le dehors, non les profondes manières de penser ni les méthodes. Et ce qu’elles en avaient pris ne leur suffisait pas ; il fallait autre chose à leur vie intellectuelle et morale. En conséquence, à la science dont elles ne comprenaient pas les conditions, elles tendaient à substituer la croyance ; à la sagesse, qui leur semblait froide, elles tendaient à substituer l’exaltation du sentiment. Ces tendances, jusqu’ici, s’étaient à peine manifestées dans la littérature ; mais elles devenaient singulièrement puissantes dans la société, et l’heure approchait où elles devaient trouver leur expression dans les productions de la pensée. Au iiie siècle, elles allaient susciter le néoplatonisme. Mais déjà, elles apparaissaient bien vivement dans la littérature chrétienne, qui commençait à attirer l’attention. Occupons-nous donc maintenant de ses premiers représentants et de leurs œuvres, pour essayer de montrer comment ils tendaient à transformer l’hellénisme, non seulement lorsqu’ils le combattaient ouvertement, mais alors même qu’ils lui faisaient de larges emprunts et mêlaient ses idées aux leurs.

VI

Ce serait sortir du cadre de cet ouvrage que de reprendre ici l’histoire de la littérature grecque chrétienne à ses commencements, pour en suivre toute l’évolution. Cette histoire, pour peu qu’on voulût entrer dans les questions essentielles qu’elle soulève, formerait à elle seule la matière d’un gros livre[175]. D’ailleurs, nous ne nous occupons ici que de l’hellénisme et de ses destinées. Or une bonne partie de cette littérature, bien qu’écrite en grec, est en réalité étrangère à l’hellénisme : elle n’en a ni l’esprit, ni la tradition, ni les caractères propres ; pendant assez longtemps même, elle l’ignore, ou peu s’en faut, et elle est sans influence sur ceux qui se meuvent dans sa sphère. Nous ne devons ici la prendre en considération qu’à partir du moment où elle entre vraiment en contact avec la pensée grecque, et il suffira, pour tout ce qui précède, de dire brièvement comment s’étaient constituées sa force et son originalité.


La littérature chrétienne commence par des lettres, des écrits d’enseignement élémentaire, des visions et des récits[176]. Depuis le milieu du ier siècle, ou les dernières années du règne de Néron, nous voyons se succéder des épîtres émanant soit des apôtres, soit des diverses communautés chrétiennes et de leurs chefs ; c’est par elles que ces communautés sont en relations les unes avec les autres. Ces épîtres traitent des choses du jour, elles contiennent des avis, des réprimandes, des informations pieuses, souvent aussi des enseignements. Quelques-unes sont en quelque sorte impersonnelles : elles n’expriment que les sentiments généraux des églises naissantes. D’autres, et entre toutes les épîtres de l’apôtre Paul, sont marquées fortement à l’empreinte de leur auteur ; elles révèlent son âme tout entière. Les écrits d’enseignement proprement dits n’ont rien de cela : ce sont, dans cette première période, des œuvres anonymes, impersonnelles, uniquement destinées à conserver des croyances ou des préceptes dont on tient à fixer la tradition. Les visions, telles que l’Apocalypse de Jean, le Pasteur d’Hermas, présentent naturellement un intérêt très supérieur, du moins pour qui cherche plutôt des âmes que des dogmes : on y sent vivre tous les sentiments et toutes les passions, les espérances, les craintes, le mysticisme ardent et naïf, qui s’agitent alors dans la conscience chrétienne. Mais rien ne vaut, pour la nouveauté de l’inspiration, pour le charme, la beauté morale, les récits variés dont le type le plus achevé se trouve dans les Évangiles. C’est là que le christianisme apparaît vraiment dans sa grâce primitive, qui a conquis le monde.

Si l’on réunit par la pensée toutes ces formes diverses, il est possible d’en dégager certains traits dans lesquels se résume ce qu’on peut appeler la nouveauté littéraire du christianisme.

D’abord quelque chose qu’on est fort en peine de définir et qui est proprement « évangélique ». Une sorte de puissance douce, faite de simplicité populaire, de certitude pieuse, de détachement et de tendresse, associés dans une vision permanente d’idéal. Germe fécond qui est la vertu même du christianisme, son élément divin, celui qui procède directement de son fondateur. Une fois la période primitive passée, quand le christianisme grec deviendra raisonneur et théologien, cet élément se cachera souvent, dans les œuvres littéraires, sous la véhémence des passions et sous le jeu subtil des idées ; rarement néanmoins, il disparaîtra tout à fait : et ce qui en restera visible ou sensible sera justement la goutte précieuse de myrrhe que le christianisme aura versée dans le rationalisme antique.

Mais, par ses antécédents, le christianisme est juif, et, en conséquence, il jettera aussi dans le courant de la pensée grecque bien des éléments de provenance judaïque. On peut en distinguer surtout trois, dont l’importance sera capitale. En premier lieu, un élément populaire, auquel les évangiles donnent une autorité durable, et dont l’influence se fera sentir chez tous les écrivains grecs chrétiens. Ensuite, un élément rabbinique : car plusieurs des apôtres, et Paul principalement, ont subi fortement l’empreinte de la science des docteurs juifs ; et de là, une sorte de dialectique particulière, une méthode didactique qui n’est pas grecque, et qui passera en partie des épîtres à toute la littérature chrétienne. En troisième lieu, un élément prophétique emprunté à l’Ancien Testament : images hardies, brusquerie des tours, âpreté du ton, comparaisons et paraboles, parallélisme de la phrase, expressions violentes ou lyriques, transformation de la prose en une sorte de poésie par l’oubli ou le mépris des qualités rationnelles, sacrifiées aux formes de l’inspiration.

Ces éléments nouveaux, mis en œuvre par des hommes de talent, vont apporter un supplément de force à l’art hellénique déclinant. Mais ils étaient, par leur nature, trop différents de ceux dont cet art était fait peur s’y associer harmonieusement. Il y aura donc invasion plutôt que fusion intime ; et de cette perturbation puissante, nous verrons peut-être sortir quelques grandes œuvres, mais non des œuvres achevées.


C’est par le genre apologétique que s’établit, dans le premier tiers du second siècle, le contact entre la littérature chrétienne et l’hellénisme^^1. Les apologistes chrétiens sont presque tous des hommes sortis des écoles grecques. Plus ou moins initiés à la philosophie et même à la rhétorique, dans leur jeunesse du moins, ils gardent, sous les habitudes nouvelles de leur pensée, quelque chose de cette éducation première. Ils s’adressent à ceux qui détiennent le pouvoir, empereurs, magistrats, sénat, pour repousser à la fois les griefs de l’autorité publique et les calomnies de l’opinion populaire. Leur but est d’établir que le christianisme ne menace en rien l’État, qu’il est pur, non seulement des infamies dont on l’accuse, mais aussi des mauvaises intentions qu’on lui prête, enfin et surtout qu’il a pour lui la vérité. Chez la plupart d’entre eux, cette dernière vue prédomine. Au lieu de se défendre, ils attaquent. Ils décrient le paganisme, ils en montrent librement les absurdités et les hontes, et, en face de ces croyances condamnées, ils établissent les leurs. Satire d’une part, exposé dogmatique de l’autre. La satire a chez eux une franchise qui en fait le prix ; elle n’est ni piquante, ni habile, comme la moquerie de Lucien ; elle est naïve, rude, maladroite, mais forte ; elle s’attaque sans ménagements aux choses officielles, au culte public, aux jeux du cirque, à tout ce que la philosophie même souffrait ou excusait[177].

On est surpris que de telles choses aient pu être écrites dans l’Empire. Mais il faut songer qu’elles échappaient sans doute, par leur nature même, à la répression. Il n’est pas probable qu’elles fussent publiées, c’est-à-dire récitées en public ou mises en vente. C’étaient en général des suppliques adressées à l’empereur personnellement, et elles n’étaient pas censées sortir de ses bureaux ; elles circulaient évidemment, mais par des copies clandestines qu’on se passait de main en main. Si la propagande se faisait, c’était sans bruit, grâce à des communications privées. Les fidèles y trouvaient des arguments pour se fortifier eux-mêmes dans la foi, et ils s’en servaient pour achever la conversion de ceux qu’une première instruction avait déjà touchés. Par là, l’apologie est la première forme de l’enseignement dialectique, qui se développera bientôt. Les apologistes sont les prédécesseurs immédiats des docteurs chrétiens. C’est par eux que le christianisme a commencé à devenir une philosophie, c’est-à-dire en somme, à se rapprocher de l’hellénisme, qu’ils combattaient pourtant si ardemment.

Nous ne savons presque rien du plus ancien d’entre eux, Quadratus (Κοδράτος), sinon qu’il adressa son apologie à l’empereur Adrien lors de son passage à Athènes, vers 125-126[178]. Le seul fragment qui nous en reste se réduit à quelques lignes, qui ne permettent de juger ni du plan de cet écrit ni de sa méthode[179].

C’est au successeur d’Adrien, à Antonin le Pieux, que fut adressée, contrairement au témoignage d’Eusèbe, l’apologie d’Aristide[180]. L’auteur ne nous est pas mieux connu que Quadratus ; mais son œuvre, dont on ne croyait naguère posséder que des fragments insignifiants, nous a été rendue presque en son entier depuis dix ans[181]. Il y donne son nom : Markianos Aristide, philosophe athénien. Son œuvre est une brève étude sur l’idée de Dieu chez les différents peuples. Plus ou moins défigurée chez les Barbares, chez les Grecs, et même chez les Juifs, cette idée, selon lui, n’apparaît vraiment pure que dans le christianisme. Si le style même de l’original ne se laisse plus juger aujourd’hui avec certitude, la composition du moins frappe par une certaine netteté vraiment grecque. La dialectique en est rapide, dégagée, sarcastique. Elle n’entre ni dans les objections, ni dans les difficultés ; mais elle va droit au but sans embarras, avec un ton de certitude décidée, qui était par lui-même une force en un temps où tant d’esprits flottaient sans savoir où se prendre.

Chez Aristide toutefois, l’apologie est encore un peu maigre et sèche. Celui chez qui elle s’achève au second siècle, c’est Justin. S’il ne l’a pas créée, il l’a tout au moins dotée de ses formes propres, de ses arguments et de ses lieux communs. Surtout, il a fait un effort singulièrement remarquable pour organiser la future philosophie chrétienne, en essayant de donner aux dogmes une valeur rationnelle. Et, de plus, il a mis, dans tout ce qu’il a écrit, à défaut d’un mérite littéraire élevé, du moins une sincérité, un charme de bonne foi et de bonne volonté, de bon sens naturel et de droiture, qui lui prêtent une certaine éloquence[182].

Justin, fils de Priscus, était de famille grecque[183] ; il naquit à Flavia Neapolis, en Judée, vers l’an 100. Tout ce que nous savons de sa vie se réduit à quelques faits et à quelques dates. Élevé dans le paganisme, il étudia les diverses philosophies grecques, sans y trouver de quoi se satisfaire. Toutefois, la doctrine de Platon l’attacha bien plus fortement que les autres, et c’est par elle en somme que s’est faite l’éducation de sa raison. Jeune encore, il fut gagné au christianisme ; lui-même nous a raconté, non sans charme, sa conversion, qui dut avoir lieu dans les premières années du règne d’Adrien, aux environs de 123[184]. Vers le même temps, ou un peu plus tard, il semble avoir séjourné à Éphèse[185]. Puis il vint s’établir à Rome ; et là, il enseignait, sans être prêtre, la croyance qu’il avait reçue et à laquelle il avait adapté sa philosophie. Il ne semble pas s’être éloigné de cette ville ni sous le règne d’Antonin, ni sous celui de Marc-Aurèle. Il y mourut martyr, sous la préfecture de Junius Rusticus, entre 163 et 167 ; victime probablement de sa franchise et des haines qu’elle lui avait attirées, en particulier de la part du Cynique Crescens, qu’il attaque si rudement dans sa seconde apologie[186].

Plusieurs de ses écrits sont perdus : entre autres, le Discours aux Gentils (Λόγος πρὸς Ἕλληνας), où il semble qu’il s’était étendu assez longuement sur la valeur et les défauts de l’hellénisme[187] ; le livre sur l’âme (Περὶ ψυχῆς)[188] ; le traité Contre toutes les hérésies qui se sont produites (Σύνταγμα κατὰ πασῶν τῶν γεγενημένων). qui devait nécessairement comporter des discussions de nature philosophique sur les points essentiels de la croyance chrétienne[189]. — En revanche, la collection qui porte son nom contient un grand nombre d’ouvrages qui ne sont pas de lui. La critique les a éliminés peu à peu. Outre la Lettre à Diognète, dont nous dirons quelques mots plus loin, citons un Discours aux Gentils (Λόγος πρὸς Ἕλληνας), qui n’a de commun que le titre avec celui que Justin avait réellement composé[190].

Les seuls de ses ouvrages subsistants qui soient certainement authentiques sont les deux Apologies et le Dialogue avec le juif Tryphon (Πρὸς Ἰουδαῖνον Τρύφωνα διάλογος).

La première des deux apologies fut adressée, vers l’an 150, à l’empereur Antonin[191]. Autant qu’on peut démêler un plan sous la composition confuse de l’auteur, on voit qu’il réclame d’abord pour les chrétiens le droit d’être jugés sur leurs actes, comme tous les sujets de l’Empereur, au lieu d’être proscrits arbitrairement sur la simple attribution d’un nom. Entrant ensuite dans l’apologie proprement dite, il expose la morale chrétienne ; puis il détaille les prophéties relatives au Messie et en montre la réalisation : enfin il fait connaître les principaux traits du culte que les chrétiens rendent à Dieu. Cette suite d’idées est troublée sans cesse par des redites et des digressions, qui la font perdre de vue. D’un bout à l’autre, l’auteur poursuit, à côté de son dessein principal, un parallèle entre le christianisme et le paganisme, qui l’amène à parler longuement des dieux du polythéisme, du rôle des démons dans leur religion, des mœurs païennes, de la philosophie grecque. Tout cela forme un écheveau singulièrement embrouillé, dont il est à peu près impossible de démêler complètement les fils. — La seconde apologie, n’est en quelque sorte qu’un complément de la première[192]. À l’oc- casion d’une condamnation prononcée contre des chrétiens par le préfet Urbicus, Justin explique pourquoi les fidèles ne recherchent pas la mort, quoiqu’ils fassent profession de ne pas la craindre ; puis, raisonnant sur les persécutions, il y découvre, dans les sentiments des persécuteurs et dans ceux des persécutés, d’une part la malice des démons et de l’autre la puissance de Dieu. Les empereurs auxquels il s’adresse sont Antonin le Pieux et Marc-Aurèle[193].

Le Dialogue avec le juif Tryphon, aujourd’hui incomplet, a été composé après la première apologie[194]. C’est une réfutation très étendue des arguments que les Juifs opposaient au christianisme. La dispute y est donc exclusivement entre Juifs et Chrétiens, et par conséquent cette œuvre est bien plus étrangère à l’hellénisme que les précédentes. Ce qu’elle offre de plus intéressant pour le lecteur profane, c’est, d’un côté, le grand effort de l’auteur pour démontrer que le dogme chrétien n’est pas en désaccord avec le monothéisme intraitable d’Israël, et, de l’autre, sa conception du christianisme comme religion universelle, capable de réaliser les promesses dont Israël s’était cru dépositaire.

Justin n’est pas un écrivain. Il ne sait pas plus ordonner chaque phrase en particulier que ses argumentations en général. Mais, ce qui vaut mieux, c’est un homme de cœur, qui intéresse par ses hautes qualités morales, et un philosophe, dont la pensée est toujours curieuse à suivre. Nul ne représente mieux le mouvement d’idées, qui, sous l’influence de l’hellénisme, s’éveillait alors chez un certain nombre de chrétiens. Il est le premier, parmi ceux-ci, qui semble s’être préoccupé de juger sérieusement la philosophie païenne. Et ce jugement est tout autre chose qu’une condamnation tranchante. Il reconnaît chez les païens une certaine connaissance de la vérité.

Tous ceux qui ont écrit ont pu, grâce à la semence de raison qui était naturellement en eux (διὰ τῆς ἐνούσης ἐμφύτου λόγου σπορᾶς), apercevoir obscurément ce qui est[195].

Par suite, presque toutes les écoles ont vu des parcelles du vrai, mais aucune n’a pu embrasser la vérité dans son ensemble ; et, de là, leurs contradictions ridicules :

Je suis fier d’être reconnu chrétien, je revendique ce nom de toutes mes forces. Non pas que les enseignements de Platon soient étrangers à ceux du Christ (οὐχ ὅτι ἀλλότρια ἐστι τὰ Πλάτωνος διδάγματα τοῦ Χριστου), mais ils n’y sont pas semblables en tout (ἀλλ’ ὅτι οὐκ ἔστι πάντη ὅμοια). Pas plus d’ailleurs que ceux des autres Grecs, stoïciens, poètes, historiens. Car si chacun d’entre eux, pour sa part, apercevant quelque parcelle du verbe divin dispersé, qui était en rapport avec sa propre nature, l’a bien exprimée[196], ils ne s’en sont pas moins contredits les uns les autres dans les choses essentielles, et ils ont ainsi montré qu’ils ne possédaient ni la science suprême ni la connaissance irréfutable[197].

Sous l’influence de ces idées, il va jusqu’à reconnaître, dans quelques philosophes païens, des chrétiens avant le christianisme :

Ceux qui ont vécu avec le verbe (οἱ μετὰ λόγου βιώσαντες) sont des chrétiens, bien qu’ils aient été regardés comme des athées, par exemple, entre les Grecs, Socrate et Héraclite, et ceux qui leur furent semblables[198].

Ce sont là de nobles sentiments qui nous rendent Justin sympathique. Il est regrettable qu’il ne les ait pas dégagés plus nettement et qu’ailleurs il ait expliqué cette sagesse des Grecs soit par des emprunts faits à Moïse, soit même par l’inspiration de mauvais esprits qui voulaient faire tort au christianisme[199]. Justin n’avait pas cette hauteur de vues qui permet à quelques hommes supérieurs de s’affranchir des préjugés régnants. Mais il cherchait la vérité noblement, avec toute son âme, selon le mot de Platon, et il l’aima jusqu’au sacrifice de sa vie.


Nous devons passer rapidement sur les apologistes ou docteurs de second rang qui se groupent autour de Justin. Quelques-uns ne nous sont pas même connus de nom ; tels, les auteurs de certains écrits qui lui sont faussement attribués. D’autres, tels que Tatien, Athénagoras, Théophile d’Antioche, Ariston, Miltiade, Irénée même, n’ont pas assez d’originalité littéraire pour nous arrêter longtemps.

Le syrien Tatien fut un des auditeurs de Justin à Rome sous le règne d’Antonin[200]. Eusèbe (Hist. eccl., IV, 28) fait de lui — avec un doute : λόγος ἔχει, dit-il — le chef de la secte hérétique des Encratites. Ce qui est certain, c’est que son naturel sombre et austère se portait de lui-même vers un mysticisme ascétique. Il nous reste de lui un Discours aux Gentils (Λόγος πρὸς Ἕλληνας)[201], apologie écrite probablement à Rome, peu après la mort de Justin[202]. Le trait particulier de cet écrit, dans le genre apologétique, c’est l’importance donnée à la démonologie. Les idées ébauchées par Justin sur ce sujet sont développées par Tatien avec l’outrance passionnée qui était dans sa nature. Toute la civilisation hellénique devient pour lui l’œuvre perfide des démons, quand elle n’est pas un simple larcin. Et ainsi l’apologie se transforme en une diatribe virulente, dont l’injustice est mal rachetée par une sorte d’éloquence amère[203].

Tout autre est Athénagoras, Athénien et philosophe chrétien, selon le titre qui figure en tête de son Apologie[204]. Celle-ci (Πρεσβεία περὶ Χριστιανῶν) est adressée aux empereurs Marc-Aurèle et Commode : postérieure par conséquent à 176, année où Commode fut associé à l’empire, et antérieure à 180, année de la mort de Marc-Aurèle, elle date probablement de 177. Naturellement modéré, Athénagoras ne fait point de satire : il se borne à défendre les chrétiens contre les calomnies qui les représentaient comme des athées et qui leur imputaient d’infâmes et sanglantes débauches. Son argumentation est simple, ordonnée, convaincante, présentée avec bon ton et dignité, dans un style correct ou même élégant. Rien chez lui des colères de Tatien contre l’hellénisme. Loin de mépriser la philosophie grecque, il l’estime ; et, en fait, il use de ses méthodes, lorsqu’il entreprend de démontrer rationnellement l’unité de Dieu. Les mêmes qualités se retrouvent, à un degré moindre, dans son second écrit, qui traite de la Résurrection des morts (Περὶ ἀναστάσεως νεκρῶν)[205]. En s’appuyant sur des arguments purement philosophiques, l’auteur se donne pour tâche de démontrer, d’abord que la résurrection des morts n’est pas impossible, ensuite qu’elle est même exigée par le raisonnement. Ses développements se lisent sans effort et avec intérêt. Nous avons là un christianisme de raison autant que de foi, étroitement rattaché à la bonne tradition hellénique, dont il a la modération et la clarté.

Théophile, peut-être évêque d’Antioche, composa, peu après la mort de Marc-Aurèle (180 ap. J.-C.), trois livres d’instruction chrétienne adressés à un païen nommé Autolycos (Πρὸς Αὐτόλυκον Ἕλληνα περὶ τῆς τῶν Χριστιανῶν πίστεως)[206]. Nous les possédons encore. Moitié exposé, moitié discussion, cet ouvrage est moins une apologie, qu’une sorte d’initiation. L’auteur, qui écrit avec élégance, raisonne clairement, sans beaucoup de force d’ailleurs ni de profondeur. Son œuvre, médiocrement personnelle, intéresse plus l’histoire des dogmes que celle de la littérature.

Au même groupe d’écrivains se rattachent Ariston, auteur du dialogue perdu entre le chrétien Jason et le juif Papiscos (Ἰάσονος καὶ Παπίσκου ἀντιλογία), Miltiade, Méliton, évêque de Sardes, Apollinaire, évêque d’Hiérapolis en Phrygie, qui, tous trois, adressèrent à Marc-Aurèle des apologies pour le christianisme. De toutes ces œuvres, il ne nous reste que des fragments insignifiants. Mais elles attestent encore, par leur nombre du moins, le mouvement littéraire qui se produisait alors dans le christianisme, et aussi les espérances que les chrétiens ne cessèrent de fonder sur la justice de Marc-Aurèle[207].

Bien plus importante assurément serait pour nous la collection des œuvres d’Irénée, si elle nous eût été conservée. Irénée est en effet un des docteurs les plus autorisés de l’Église chrétienne dans la seconde moitié du second siècle, et c’était en outre un esprit cultivé par l’hellénisme[208].

Né probablement à Smyrne vers 125 ou 130, il y recueillit dans sa jeunesse la tradition chrétienne tout près de sa source, en écoutant l’évêque Polycarpe (mort en 155) et quelques autres anciens, qui avaient encore connu les disciples des apôtres. Plus tard, au temps de Marc-Aurèle, nous le trouvons à Lyon. Et c’est là qu’il est désormais fixé, d’abord comme simple prêtre, puis, après le martyre de Pothin en 177, comme évêque. Il y vécut, sauf quelques absences, jusqu’au temps de Septime Sévère, sous le règne duquel il subit le martyre en 202.

Plusieurs de ses écrits ont été perdus et ne nous sont plus connus que par leurs titres[209]. Le grand ouvrage auquel son nom demeure attaché, c’est le traité en cinq livres, qu’on désigne communément sous le titre de Adversus hæreses et qui paraît avoir été intitulé Ἔλεγχος καὶ ἀντροπὴ τῆς ψευδωνύμου γνώσεως, Réfutation et renversement de la prétendue gnose[210]. L’original grec est perdu, sauf les passages cités par les écrivains ecclésiastiques. Nous ne le connaissons plus que par une traduction latine, presque contemporaine du texte, qu’elle suit servilement, au point de n’être quelquefois intelligible qu’à la condition de restituer par conjecture les mots primitifs[211]. On conçoit que, sous cette forme, il soit impossible de l’apprécier comme œuvre de littérature grecque[212]. Du reste, malgré sa culture hellénique prouvée par de nombreuses citations des poètes et philosophes grecs, Irénée s’y appuie surtout sur la tradition. Après avoir fait dans le premier livre l’histoire du Gnosticisme depuis Simon le magicien jusqu’à Marcion, il ne le réfute rationnellement que dans le second, pour opposer à l’hérésie, dans les trois derniers livres, les témoignages de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Parmi les écrits faussement attribués à Justin, plusieurs semblent appartenir aussi à cet âge de la littérature chrétienne. L’Exhortation aux Gentils (Πρὸς Ἕλληνας, Cohortatio ad Gentiles, en 38 chapitres) et le traité Sur la monarchie divine (Περὶ θεοῦ μοναρχίας) ne peuvent être ni l’un ni l’autre de Justin : car ils n’offrent rien des caractères de son style[213]. Dans une langue assez dégagée, les auteurs de ces écrits soutiennent que tout ce qu’il y a de vrai dans l’hellénisme provient de la tradition juive, recueillie par les poètes, les sages et les philosophes de la Grèce ; et ils réfutent le polythéisme par lui-même, à l’aide de citations empruntées à la littérature apocryphe dont Alexandrie paraît avoir été l’atelier principal[214]. Le point de vue général est bien celui des apologistes et des docteurs du second siècle. Mais l’argumentation est appuyée ici sur une méthode historique si radicalement erronée qu’elle ne saurait offrir un grand intérêt.

La Lettre à Diognète (Πρὸς Διόγνητον), qui figure aussi dans le recueil attribué à Justin, a une tout autre valeur. C’est un des écrits remarquables de la littérature chrétienne primitive[215]. Nous ne savons rien de l’auteur, qui ne se nomme pas : mais il est évident que ce ne peut être Justin ; car tout en lui est absolument différent. C’est une âme ardente, servie par une parole éloquente. Son style net, vigoureux, antithétique, donne à sa pensée un relief frappant. En véritable orateur, il se défend mal des entraînements de parole, et, pour jeter plus de lumière sur ses idées, il lui arrive de les pousser à l’extrême. Celui à qui il s’adresse, Diognète, est un païen ébranlé, que le christianisme trouble et attire. L’auteur passe rapidement sur la réfutation du paganisme. Homme de foi, et nullement critique, il n’y voit que scandale et absurdité, et il ne lui paraît pas qu’il soit nécessaire de démontrer ce qui est évident[216]. Par contre, dès qu’il s’agit de faire connaître le christianisme, il se laisse aller, et le développement chaleureux sort vraiment de l’abondance de son cœur. Mais, là même, peu ou point de discussion ; le sentiment domine. Le Judaïsme lui semble une religion basse, servile, formaliste, attachée à des rites. La vraie religion pour lui, c’est la religion de l’esprit et de l’amour ; et voilà justement de quelle nature est le christianisme, celui du moins qu’il conçoit et qu’il exalte avec une véritable éloquence, touchante par son imprudence même :

Les chrétiens ne sont séparés des autres hommes ni par les frontières, ni par le langage, ni par les coutumes. Ils n’habitent pas des villes qui leur soient propres, ils n’ont pas un idiome distinct, ils ne vivent pas d’une vie particulière… Domiciliés dans les villes grecques et barbares, partout où le sort les a placés, s’accommodant aux mœurs locales pour le vêtement, pour la nourriture et pour tous les détails de l’existence, ils se sont constitué une forme de vie étonnante et qui paraît à tous paradoxale. Ils ont chacun une patrie, mais ils y sont comme des voyageurs ; ils participent à tout comme des citoyens, mais ils supportent tout comme des étrangers ; toute terre étrangère leur est patrie, toute patrie leur est étrangère. Ils se marient, ils ont des enfants comme tout le monde, mais ils ne jettent pas ceux qui sont nés d’eux… ; ils sont en chair, mais ils ne vivent pas selon la chair ; ils prient sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel ; ils obéissent aux lois établies, et ils sont supérieurs aux lois par leurs mœurs. En un mot, ce qu’est l’âme dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde[217].

Et il continue ainsi, poursuivant ses antithèses, dures et frappantes. L’antagonisme du christianisme et de l’hellénisme, c’est celui de l’âme et du corps, de l’esprit et de la chair. La révélation par le Messie a apporté dans le monde la lumière que les hommes cherchaient en vain ; Dieu ne les a laissés se tromper si longtemps que pour les convaincre de leur impuissance à la trouver ; la vérité est dans l’imitation de Dieu, qui consiste elle-même essentiellement dans l’amour du prochain et dans le détachement. De telles pages ne peuvent être lues avec indifférence. Elles ont en elles-mêmes une beauté qui tient à la sincérité passionnée de l’auteur et à l’élévation de son idéal. L’art hellénique, sous une forme un peu raide sans doute, mais vigoureuse, se plie ici, pour la première fois dans le christianisme, aux besoins d’une âme d’orateur, qui se l’approprie.

Il suffit de mentionner le Persiflage des philosophes païens (Διασυρμὸς τῶν ἔξω φιλοσόφων) qui nous est parvenu sous le nom d’Hermias, philosophe[218]. Moquerie facile et sans portée, sur les contradictions et les systèmes des penseurs helléniques. À vrai dire, nous en ignorons entièrement la date, et il n’y a aucune raison probante pour rapporter cet écrit au second siècle[219]. Il a d’ailleurs trop peu de valeur pour que la question soit vraiment importante.

VII

Toutes les œuvres dont nous venons de parler sont plus ou moins des écrits de circonstance. Nulle entreprise intellectuelle de longue haleine ; de courts traités, des apologies, des satires, partout la préoccupation d’un résultat prochain à atteindre, plutôt que celle d’un large enseignement à organiser. Un grand pas restait donc à faire. La pensée chrétienne, sous peine d’infériorité éclatante, devait se montrer capable de ces conceptions étendues, de ces vastes et fécondes synthèses qui avaient été l’honneur de l’hellénisme païen. C’est grâce à l’école catéchétique d’Alexandrie et à son premier grand représentant, Clément, qu’elle ébaucha enfin, à la fin du second siècle, ce travail, d’où dépendait son avenir.

Titus Flavius Clemens[220] était probablement athénien (Épiphane, Hérésies, 32, 6). Il dut naître aux environs de 160. Tout ce que nous savons de sa jeunesse, c’est qu’il voyagea d’école en école, en Grèce, en Italie, en Syrie, en Palestine, en Égypte, cherchant partout un enseignement qui le satisfît[221]. Il le trouva enfin à Alexandrie, où il dut arriver vers 180, au début du règne de Commode, période de paix pour le christianisme[222]. Dans ce milieu savant, l’église chrétienne avait hérité naturellement des méthodes et de l’esprit de la communauté juive d’où elle était sortie. On a vu plus haut, dans l’étude relative à Philon (p. 422), ce que les Juifs hellénistes d’Alexandrie avaient fait de l’exégèse biblique, sous l’influence de l’hellénisme. De bonne heure, les chrétiens, à leur tour, semblent avoir développé, selon leurs vues propres, cette exégèse allégorique et philosophique[223]. En même temps, ils s’appropriaient, sans plus d’esprit critique que leurs prédécesseurs, l’érudition, de bon ou de mauvais aloi, que ceux-ci avaient mise au service de leurs idées. Ainsi s’était constitué un enseignement de tendance mystique, mais de forme rationnelle, appuyé sur l’histoire, quelquefois altérée, sur une littérature, quelquefois apocryphe, et sur une connaissance étendue de la philosophie grecque. Il était représenté, au temps où Clément arrivait à Alexandrie, par une école assez improprement appelée « catéchétique »[224], sorte d’auditoire analogue aux auditoires des philosophes païens. Le maître qui y professait alors se nommait Pantænos, stoïcien converti au christianisme, dont l’influence sur le nouveau venu fut décisive[225]. Celui-ci se sentit gagné immédiatement et complètement. L’union entre le maître et le disciple devint chaque jour plus intime. Vers 190, Clément, déjà prêtre, fut associé à Pantænos et commença d’enseigner, lui aussi. Après la mort du maître, il le remplaça. Donc, soit comme assistant, soit comme chef de l’école, il professa d’une manière continue à Alexandrie pendant les dernières années du second siècle et les premières du troisième, de 190 environ jusque vers 203. Ce fut alors qu’il compta Origène parmi ses auditeurs. La persécution de Septime Sévère mit fin à son enseignement ; il dut se dérober par la fuite aux haines ou aux jalousies qu’il avait excitées. Une fois qu’il eut quitté Alexandrie, il n’y revint plus. La dernière partie de sa vie semble avoir été errante. On le voit séjourner en Asie-Mineure, puis à Antioche, sans qu’on puisse dire au juste dans quelles conditions[226]. Il dut mourir vers 215.

Clément avait beaucoup écrit[227]. L’ouvrage où se révélait peut-être le mieux la nature de son enseignement était les Esquisses (Ὑποτυπώσεις), en huit livres, série de commentaires sur la Genèse, l’Exode, les Psaumes, l’Ecclésiaste, et un certain nombre d’Épîtres, notamment celles de saint Paul[228]. Si ce premier monument de l’exégèse chrétienne alexandrine nous eût été conservé, il n’est pas douteux que nous apprécierions mieux l’influence de Clément sur Origène et ce qu’ils ont dû l’un et l’autre à Philon. D’autres écrits perdus peuvent être négligés ici. De même, parmi ceux qui ont été conservés, nous n’avons pas à parler du discours sur la Justification du riche (Τίς ὁ σωξόμενος πλούσιος), sinon pour signaler un des plus anciens débris de l’homilétique chrétienne. Pour nous, Clément est tout entier dans la série constituée par l’Exhortation (Προτρεπτικός), l’Éducateur (Παιδαγωγός), et les Stromates (Στρωματεῖς), œuvres qui nous ont été transmises dans leur intégrité.

L’Exhortation (Λόγος προτρεπτικὸς πρὸς Ἕλληνας), en un seul livre, s’adresse soit à des païens, déjà inclinés au christianisme, soit plutôt à des demi-chrétiens, encore hésitants dans leur foi. Il s’agit de porter le dernier coup à leurs hésitations, de rompre les dernières attaches. Et, pour cela, reprenant la méthode des apologistes antérieurs avec plus d’érudition et plus de suite, l’auteur ramasse, en une sorte d’acte d’accusation passionné, tous les griefs de la raison et de la morale contre le paganisme.

L’Éducateur (Παιδαγωγός), ouvrage en trois livres, fait suite à l’Exhortation, avec un dessein différent. Le paganisme est censé vaincu et rejeté. Mais il ne suffit pas de le désavouer, il faut encore l’expulser de la vie quotidienne. Voilà pourquoi le « Verbe » se fait à présent « éducateur », afin de tracer les règles de conduite que le chrétien doit s’imposer. Il expose dans le premier livre l’esprit de son enseignement, qui est fondé à la fois sur la révélation et sur la raison. Puis, dans les deux livres suivants, entrant dans les détails, il donne, sans ordre apparent, des prescriptions pratiques sur la nourriture, l’ameublement, les banquets, les conversations, sur la vie conjugale, sur la toilette, sur les relations sociales, sur les bains, etc. Ces prescriptions, plus modérées qu’on ne s’y attendrait étant donnée la tendance ascétique de l’auteur, proviennent en partie des écrits des philosophes grecs, notamment de ceux du stoïcien Musonius[229] ; seulement, elles sont appuyées ici sur des textes de l’Écriture et rapportées à un idéal que l’auteur tire de l’Ancien ou du Nouveau Testament. Préceptes, citations, commentaires, allégories, effusions lyriques, réflexions subtiles se mêlent d’ailleurs sans cesse dans ce livre étrange et curieux ; et, comme il est naturel, la préoccupation des petites choses n’est pas sans y rapetisser l’intention générale[230].

Les Stromates (Κατὰ τὴν ἀληθῆ φιλοσοφίαν γνωστικῶν ὑπομνημάτων στρωματεῖς, proprement Tapisseries de notes gnostiques selon la philosophie de la vérité[231]) forment le troisième terme de la série. Cette fois, l’auteur écrit pour des chrétiens achevés, pleinement adonnés à la vie spirituelle, et il se propose de traiter à leur intention les hautes questions de doctrine ou de morale qui se rapportent à ce qu’il nomme « la gnose », ou philosophie de la vérité. C’est ce qu’il fait, sans plus d’ordre d’ailleurs que précédemment, à travers les sept livres dont se compose son ouvrage[232]. Les sujets les plus divers y sont traités tour à tour, parfois à plusieurs reprises. Visiblement, nous avons affaire à un ouvrage qui a grandi jour par jour entre les mains de son auteur, selon le hasard des circonstances, à mesure que surgissaient dans son esprit des souvenirs ou des pensées nouvelles. Ce qu’il se propose, c’est de suggérer des réflexions, d’ouvrir des voies, d’instruire, de fixer certains points essentiels de doctrine. Les plus importants pour lui sont les rapports de la vérité chrétienne avec la philosophie hellénique, ceux de la science avec la foi, enfin la définition de l’idéal moral. Voilà sur quoi il revient sans cesse, sous mille formes diverses.

Quels que soient les défauts de ce vaste ensemble, le fait seul de l’avoir conçu dénote une puissance d’esprit que nous n’avions encore rencontrée chez aucun des apologistes ou docteurs chrétiens. L’auteur, au début de son Éducateur, révèle la pensée qui en constitue l’unité[233]. Il a organisé un plan, et il le suit autant que sa nature d’esprit le lui permet. Son entreprise est une sorte d’initiation progressive, qui doit mener l’âme depuis le paganisme jusqu’au degré supérieur de la perfection chrétienne, en passant par certaines phases nécessaires. Or c’est là une idée empruntée à la philosophie grecque, en particulier à celle de Platon. En faire l’application au christianisme, qui jusque là semblait ne relever que d’une révélation immédiate, c’était lui donner une direction nouvelle, en le poussant dans la voie de l’étude et de la réflexion. Telle était bien, en effet, la pensée de Clément, et cette pensée profonde lui prête une grandeur qui ne peut sans injustice être contestée. Ses prédécesseurs, même Justin, n’avaient été que des apologistes, plus ou moins bien inspirés : Il est, lui, un fondateur : car toute la philosophie du christianisme, qu’elle accepte ou non ses doctrines, relève de lui, par cela seul qu’elle est philosophie.

Sa conception fondamentale, il n’y a pas à le nier, c’est d’établir les droits de la connaissance rationnelle, — de la gnose, comme il dit, — à côté de ceux de la tradition ou de la foi. Sans doute, la connaissance, telle qu’il l’entend, dépend de la tradition et de la foi ; elle ne crée rien par elle-même ; mais elle éclaire le sens de la tradition, et elle rend possible par suite, chez celui qui la cultive, un état de perfection supérieure, tant intellectuelle que morale. Cette connaissance a pour matière propre la vérité chrétienne ; mais, pour se former, elle ne peut pas se passer de l’hellénisme. La philosophie grecque est une propédeutique (προπαιδεία) : car elle habitue l’esprit à penser, elle le dégage et le purifie des préjugés bas, elle lui donne, pour ainsi dire, le goût de la raison. Comment, dès lors, Clément se ferait-il scrupule de lui emprunter ce qu’elle a de bon ? Il puise dans toutes les doctrines, surtout dans celle de Platon ; il y puise souvent en le déclarant, quelquefois sans le dire. Toute son œuvre est pleine des idées des Grecs et de leurs méthodes. Et, naturellement, après l’avoir ainsi admise au premier degré de l’initiation qu’il poursuit, il ne saurait songer à s’en dégager ensuite. Elle s’attache à lui, ou plutôt elle devient lui-même. Qu’il en ait conscience ou non, une bonne part de ses pensées et de ses sentiments n’a pas d’autre source. Et lorsqu’il trace le portrait du « gnostique », c’est-à-dire du parfait chrétien tel qu’il le conçoit, il introduit les formules stoïciennes au cœur même du christianisme.

Ces emprunts, d’ailleurs, n’étaient à ses yeux qu’une légitime reprise. Comme Justin, il accepte sans le moindre doute l’étrange conception selon laquelle toute la substance de l’hellénisme proviendrait de la révélation par un détournement. D’après cette théorie, le christianisme, en s’appropriant la philosophie grecque, ne faisait réellement que reprendre son bien. Et, dans cette reprise, la révélation ne devait rien à la raison humaine, puisque celle-ci s’était bornée à mettre en œuvre ce qu’elle avait dérobé. Voilà ce que Clément a cru de très bonne foi ; et, après tout, il n’y a qu’à se réjouir de cette erreur, puisqu’elle a permis une conciliation dont l’humanité devait profiter.

Ce qui est regrettable, c’est que ce représentant du christianisme hellénisé n’ait pas eu à un plus haut degré le sens de l’art littéraire. S’il y a chez lui quelque éloquence naturelle, de la véhémence satirique, en même temps qu’un certain lyrisme, ces qualités disparaissent sous la diffusion, sous le désordre de la composition et de la pensée, sous l’abus de l’érudition, sous les digressions. Causerie confuse, où se mêlent tous les tons, où manquent l’ordre, la lumière, le bon goût même. Du reste, Clément dédaigne par principe tout ce qui est beauté ou grâce, tout ce qui pourrait être soupçonné de viser à plaire. Et c’est là, on a pu le voir, un trait commun à presque tous les écrivains chrétiens de ce siècle. Justement offensés, dans leur sérieuse tendance, par le bavardage prétentieux des rhéteurs à la mode, ils croient que bien écrire est une marque de frivolité. Aucun d’eux ne se rend bien compte de ce que la pensée gagne à être claire, ordonnée, dégagée, à se traduire dans des expressions justes et choisies. Une certaine barbarie leur plaît, comme une preuve de sincérité. D’ailleurs, elle n’est pas uniquement chez eux affaire de principe. Élevés presque tous dans l’hellénisme, ils ont été plus ou moins troublés dans leur goût, dans leurs habitudes littéraires, par la brusque influence des lectures toutes différentes qui ont été la conséquence de leur conversion. L’Ancien et le Nouveau Testament sont venus se mêler chez eux à ce qui leur restait des auteurs précédemment étudiés. Il n’est pas étonnant que, sous cet afflux d’éléments étrangers, le sens délicat du beau se soit obscurci chez presque tous. Leur style est l’image des bouleversements intérieurs par lesquels ils ont passé.

Quoi qu’il en soit, après Clément d’Alexandrie, le christianisme a définitivement pris pied dans la littérature grecque. Ce n’est plus seulement la croyance d’un petit groupe d’hommes, c’est une des philosophies qui se proposent aux esprits en quête de vérité, une des formes désormais essentielles de la pensée hellénique. Celle-ci, pendant tout le siècle suivant, se resserrera de plus en plus dans les deux courants parallèles que nous venons d’étudier, l’un païen, l’autre chrétien. De plus en plus, ces deux conceptions intellectuelles et morales s’opposeront l’une à l’autre, se rencontreront, se modifieront mutuellement, et, de plus en plus aussi, la conception chrétienne prendra le dessus sur sa rivale.


  1. Nos principaux renseignements sur Arrien proviennent : 1o  d’une courte notice de Suidas (Ἀρριανὸς Νικομηδεύς) ; 2o  de Photius, cod. 58 (les cod. 91-93 contiennent des résumés de ses ouvrages historiques) ; 3o  de quelques indications dispersées, dues à Arrien lui-même, à Lucien (Alex., 2 et 55), à Dion Cassius ; 4o  enfin de trois inscriptions qui seront mentionnées plus loin. Consulter, dans Pauly-Wissowa, l’art. Arrianus, no 9 (II, 1230.)
  2. Inscr. de Nicomédie (Ἑλλην. σύλλογος, III, p. 253, 5).
  3. Doulcet, Quid Xenophonti debuerit Arrianus, Paris, 1882.
  4. Inde, c. 4, § 15.
  5. Consul suffectus ; Borghesi IV, 157. Cf. Suidas et Photius, 58.
  6. Les dates connues de cette légature sont 133 (CIG II 2408) et 137 (20e année du règne d’Adrien, Tactique, c. 44, 3).
  7. Dion, l. LXIX, 15.
  8. CIL, X 6006.
  9. CIA III 146 ; 1099 et 1032.
  10. Cynégét. 1 et 34.
  11. Cynégét. 1 : Ἀπὸ νέου ἐσπουδακὼς κυνηγέσια καὶ στρατηγίαν καὶ σοφίαν.
  12. Photius, 58 : Ἐπωνόμαζον δὲ αὐτὸν Ξενοφῶντα νέον.
  13. Cynégét. 1 : Ὁμώνυμός τε ὢν αὐτῷ καὶ πόλεως τῆς αὐτῆς καὶ ἀμφὶ ταὐτὰ ἀπὸ νέου ἐσπουδακώς. D’ailleurs Arrien avait déjà pris ce nom au temps d’Aurien ; car dans son Périple, adressé à ce prince, il parle de Xénophon l’ancien (Ξενοφῶν ὁ πρεσβύτερος), c. 12 et 25. L’allusion est assez claire. Dans le plan de bataille contre les Alains, il se nomme simplement Xénophon. Il ne se serait pas permis ce jeu d’esprit, en s’adressant à l’empereur, si celui-ci ne l’y eût en quelque sorte invité en le nommant lui-même ainsi. Il est donc bien possible que ce soit l’empereur lettré qui ait inventé ce surnom.
  14. Voir plus haut, p. 460 et suiv.
  15. Suivant C. G. Brandis (Rhein. Mus., Nelle sér., t. 51, fasc. 1), cette suite aurait été ajoutée postérieurement et ne serait pas d’Arrien.
  16. C’est ce que démontre la comparaison avec le Περίπλους τῆς ἐντὸς θαλάσσης de Ménippe de Pergame, dont un fragment nous a été conservé dans l’Epitome de Marcianus d’Héraclée (voir plus loin, ch. VIII.
  17. Le Périple d’Arrien est une des sources du Περίπλους Εὐξεινου πόντου, compilation byzantine, qui figure dans les Geogr. gr. minores Didot, I, p. 462 et suiv.
  18. La 20e année du règne d’Hadrien (c. 44, 3).
  19. Tactique, c. 1 ; surtout : ὡς οὖν εὐγνωστότατα ἔσται τοῖς ἐντυγχάνουσι τά τε πράγματα καὶ τὰ ὀνόματα.
  20. C. 32, 2.
  21. Voir Pauly-Wissowa, art. Ælianus, 10, et R. Fürster, Hermès, XII, 488.
  22. C. 32, 2. La phrase est altérée, mais le sens ressort du contexte.
  23. Il nous a été conservé dans le Laurentianus 55, 4, qui contient des écrits relatifs à la tactique.
  24. Photius, 93.
  25. Arrien, qui avait fait d’Hérodote un de ses modèles, aura voulu sans doute s’assimiler autant que possible par cette imitation les secrets de son style.
  26. Inde, c. 47, cf. 3.
  27. Il renvoie à plusieurs reprises à son Expédition d’Alexandre et donne son nouveau livre comme un supplément indépendant (c. 19, 23, 26, 43). Il l’avait du reste annoncé dans son Expédition (V, 5, 1).
  28. L’historien Dexippos, au iiie siècle, semble avoir mis a profit l’ouvrage d’Arrien dans celui qu’il composa sous le même titre. Voy. Photius, cod. 81 Ἀρριανῷ κατὰ τὸ πλεῖστον σύμφωνα γράφων.
  29. Si cet ouvrage était surtout un récit de ses campagnes, on peut supposer, comme on l’a vu plus haut, que le Plan de bataille contre les Alains en a été extrait.
  30. La date relative de cet écrit se déduit de ce qu’Arrien, d’après Photius (c. 93), justifiait, dans la préface de ses Βιθυνιακά, les retards qu’il avait mis a publier cette histoire de son pays en citant les autres ouvrages qui l’avaient occupé. Il citait les biographies de Dion et de Timoléon et l’histoire d’Alexandre, mais non la guerre des Parthes. Celle-ci est donc postérieure aux Βιθυνιακά.
  31. On voit seulement, par le c. 1, que l’auteur était alors fixé à Athènes, ou du moins se considérait comme Athénien.
  32. Voir notamment le c. 26, où Arrien atteste sa dévotion.
  33. Expéd. d’Alex., préface.
  34. Pauly-Wissowa, art. cité.
  35. Voyez la phrase, très fière, qui termine la préface de l’Expédition d’Alexandre. Cf. Photius, cod. 92 fin.
  36. Photius, cod. 57. La notice de Suidas (Ἀππιανός) ne contient qu’une analyse très incomplète de l’Hist. romaine, sans détails biographiques. Les seuls que nous possédions proviennent de la Préface d’Appien lui-même, ch. xv, et des Lettres de Fronton, citées plus loin. Consulter Pauly-Wissowa, Appianus.
  37. Photius, cod. lvii. Ἤκμαδε δὲ ἐν τοῖς χρόνοις Τραϊανοῦ καὶ Ἀδριανοῦ.
  38. Ibid., fin. Préf., ch. xv : Ἀππιανὸς Ἀλεξανδρεὺς ἐς τὰ πρῶτα ἥκων ἐν τῇ πατρίδι, καὶ δίκαις ἐν Ῥώμῃ συναγορεύσας ἐπὶ τῶν βασιλέων. Le sens de ces derniers mots n’est pas évident ; il paraît difficile toutefois de les interpréter autrement. Le pluriel βασιλέων indique probablement qu’il a rempli ces fonctions pendant plusieurs règnes.
  39. Frontonis Epistulæ, éd. Naber ; p. 244, lettre en grec d’Appien à Fronton ; p. 246, réponse en grec de Fronton à Appien. Appien voulait offrir à Fronton deux esclaves ; Fronton ne crut pas pouvoir accepter un présent de cette valeur.
  40. Ibid., p. 110, lettre de recommandation en latin de Fronton à Antonin : Supplicavi tibi jam per biennium pro Appiano, amico meo, cum quo mihi et vetus consuetudo et studiorum usus prope quotidianus intercedit… Dignitatis suæ in senectute ornandæ causa, non ambitione aut procuratoris stipendii cupiditate, optat adipisci hunc honorem. — Antonin, comme on le voit par la même lettre, craignait d’abord que cette faveur accordée à un avocat n’engageât trop d’avocats à solliciter : futurum ut… causidicorum scatebra exoreretur idem petentium.
  41. Préface, ch. xv : Μέχρι με σφῶν ἐπιτροπεύειν ἠξίωσαν. Le pluriel, ici encore, paraît indiquer que la confiance témoignée à Appien par Antonin lui fut continuée par ses successeurs.
  42. On voit en effet par la Préface, ch. xv, qu’Appien avait alors parcouru toute sa carrière d’honneurs. Les dates qu’il indique dans sa préface sont :(ch. vii) près de 200 ans depuis le rétablissement de la monarchie (c’est-à-dire probablement depuis la dictature à vie décernée à César en 45), ce qui donne approximativement l’an 153 ; ch. ix, 900 ans depuis la fondation de Rome, ce qui donne 147. Le désaccord de ces dates prouve qu’elles sont données en chiffres ronds, à quelques années près.
  43. Préface, 1 et 14.
  44. Photius, 57.
  45. Photius, 57. Cf. Appien, Préface, ch. xiv.
  46. Le morceau qui nous reste sous le titre de Παρθική n’est pas l’œuvre d’Appien. C’est une composition faite d’après Plutarque au début de la période byzantine, ainsi que l’avaient déjà reconnu Xylander et Perizonius.
  47. Préface, ch. II.
  48. Voir sur ce sujet dans Pauly-Wissowa l’art. cité, presque entièrement consacré à l’étude des sources.
  49. Voyez Photius, lvii, fin. — Appien fut un des écrivains qui faisaient autorité pour la langue chez les Byzantins, comme le prouvent les exemples tirés de lui qu’on rencontre dans le Lexique de Suidas en assez grand nombre et dans un grammairien anonyme (réunis dans les Fragments).
  50. L. V, 1, 2 : 217 ans après le relèvement de Corinthe. Mais il l’avait commencé depuis longtemps. Le livre I était achevé avant qu’Hérode ne commençât son Odéon, et ce monument était terminé quand Pausanias écrivit VII, 20.
  51. L. V, 13, 1 : Πέλοπος δὲ καὶ Ταντάλου τῆς παρ’ ἡμῖν ἐνοικήσεως σημεῖα ἔτι καὶ ἐς τόδε λείπεται. Et il énumère le marais de Tantale, son tombeau, le siège de Pélops au sommet du Sipyle et une statue d’Aphrodite, en bois, que ce héros était censé avoir consacrée à Temnos. Cf. VIII, 47, 4.
  52. Séjour en Campanie, V, 42, 6 ; à Rome, VIII, 17, 4 ; IX, 24, 4. Description détaillée de la Sardaigne, X, 17, dont certaines parties semblent être d’un témoin oculaire. Pour ce qui est de la Syrie, les témoignages sur l’Oronte sont très précis, VI, 2, 7 : VIII, 20, 2 et surtout VIII, 29, 3. Oracle d’Ammon, IX, 16, 1. On a cru aussi que Pausanias était allé en Arabie : mais ce qu’il sait de l’Arabie (IX, 28, 3) provient de lectures ou de récits, et tel autre passage (IX, 21) paraît prouver, au contraire, qu’il n’avait point pénétré dans ce pays.
  53. Kayser, Philostrati Vitæ Sophist., p. 357.
  54. Schubart, Pausaniæ descriptio Græciæ, t. II, p. VIII. — Voir les témoignages sur l’historien Pausanias dans Histor. græci minores de Dindorf, t. I, p. 154 et suiv.
  55. Kalkmann, Pausanias der Periegel ; Untersuchungen über seine Schriftstellerei und seine Quellen, Berlin, 1883.
  56. Voyez plus haut, p. 119.
  57. Wilamowitz-Moellendorff, Hermes, XII, 346.
  58. Ms. principal Laurentianus, 56, 1. — Édition en usage : Polyænus, rec. Wolfflin-Melber, bibl. Teubner.
  59. Melber, Ueber Quellen und Wert der Strategemensammlung Polyæns (Jahrb. f. Phil., Suppl., XIV). Von Knott, De fide et fontibus Polyæni, Lipsiæ, 1883.
  60. Il était avocat. Voy. l. VIII, préface.
  61. Wescher, Poliorcétique des Grecs, Paris, 1867, p. 197-193. Cf. Lacoste, Revue des Études grecques, t. III, p. 230 et suiv.
  62. Édité par Koechly dans ses Kriegeschriftsteller, Leipzig, 1895, 2e partie. Sur les rapports de la tactique d’Élien avec celle d’Arrien et sur les auteurs suivis par Élien, voir plus haut, p. 665.
  63. Suidas, Φίλων Βύβλιος. La notice repose sur des renseignements évidemment altérés quant à la chronologie. Mais on peut accepter la date de naissance (γέγονεν ἐπὶ τῶν χρόνων τῶν ἐγγὺς Νέρωνος), d’après laquelle la vie de Philon aurait commencé approximativement en 70. Il aurait eu par conséquent 68 ans à la mort d’Adrien. Cf. Suidas, Ἕρμιππος Βηρύτιος. — Voir Frag. Hist. græc., t. III, p. 560.
  64. C’était, à ce qu’il semble, une sorte de Bibliographie générale, par ordre de genre. Le IXe livre traitait des Ἰατρικά. Voir Müller, p. 576.
  65. Didot-Müller, Frag. Hist. græc., III, p. 573.
  66. Ibid., Fr. 1, § 6 et Fr. 10.
  67. Fragments réunis dans Didot-Müller, ouv. cité, p. 563 et suiv.
  68. Suidas, Σαγχωνιάθων. Cf. Eusèbe, Prép. évang.
  69. Movers, Ueber die Religion d. Phoenizer, Bonn, 1841, p. 138. Cité dans Didot-Müller, p. 562, en note.
  70. Fr. 1, § 7. Cf. 2, § 6.
  71. Suidas, Ἕρμιππος Βηρύτιος. Voir Didot-Müller, Fr. Hist. gr., t. III, p. 35, note.
  72. Suidas, Φλέγων τραλλιανός. Photius, cod. 97.
  73. Fragm. Hist. græc., t. III, p. 602 et suiv.
  74. Photius, pass. cité.
  75. Publié également dans les Frag. Hist. græc., à la suite des Olympiades. Diels (Sibyllinische Blütter, Berlin, 1890) y a retrouvé 10 vers (ch. x), qui semblent être des oracles sibyllins.
  76. Ibidem.
  77. Suidas, Πτολεμαῖος Ἀλεξανδρεύς.
  78. Photius, cod. 490.
  79. Voir le jugement de Photius, au début de son résumé : Ἔχει δὲ πολλὰ καὶ τερατώδη καὶ κακόπλαστα, etc. Cf. Hercher, Jahrb. für Philol., Suppl. I, 269-293.
  80. Photius, ibid. : οὐδ’ ἀστεῖος τὴν λέξιν.
  81. Pour la Biblioth. d’Apollodore, consulter l’importante préface de R. Wagner en tête de son édition (voir ci-dessus, Bibliographie) et l’art. de Schwartz dans Pauly-Wissowa, I, p. 2875 et suiv.
  82. Robert, De Apollodori bibliotheca, diss. 1813. Cf. Schwartz, De scholiis homericis ad historiam fabularem pertinentibus (Jahrb. f. Phil., Suppl. XII) et Bethe, Quæstiones Diodoreæ mythographæ, diss. Gott, 1889.
  83. La question des sources, fort difficile, n’est encore qu’ébauchée. Voir l’art. cité de Schwartz dans Pauly-Wissowa.
  84. Les sources sont indiquées dans le ms. unique qui nous a conservé la Συναγωγή. Ces indications semblent être l’œuvre d’un scoliaste ; elles sont incomplètes.
  85. Ces deux morceaux se trouvent dans la plupart des éditions de Platon, notamment dans le Platon d’Hermann, t. VI (Bibl. Teubner).
  86. Zeller, Ph. d. Gr., t. V2, p. 22 et suiv. ; Freudenthal, Hellen. Studien, III, 322 et suiv.
  87. Proclos, 87 B. 315 A.7, C. 30 D. 63 C, D. 129 D.187 B. 234 D.
  88. Eusèbe, Prép. évang., XI, 1-2 ; XV, 4-9.
  89. Zeller, Ph. d. Gr., t. IV2, p.  808.
  90. Theonis Smyrnaei philosophi platonici expositio rerum mathematicarum ad legendum Platonem utilium, rec. Ed. Hiller, Lipsiæ, 1878 (Bibl. Teubner).
  91. Theonis Smyrnaei liber de astronomia, Paris, 1849.
  92. Zeller, Ph. d. Gr., t. V2, p. 212.
  93. Voir, dans l’édition citée de l’Astronomie de Théon, la dissertation de H. Martin.
  94. Sur Celse, les principaux ouvrages à consulter sont : Baur, Kirchengeschichte, I, 382-409 ; Keim, Celsus Wahres Wort, Zurich, 1873 ; Pélagaud, Étude sur Celse, Lyon, 1878 ; Aubé, Le Discours véritable de Celse, Paris, 1878 ; O. Heine, Philol. Abhandl. zu Ehren Mart. Hertz, 1888, p. 197-214. Ce dernier paraît avoir établi qu’il est impossible de confondre le platonicien Celse avec l’épicurien du même nom auquel Lucien a dédié son Alexandre.
  95. Keim, ouv. cité, a dépouillé les huit livres du traité d’Origène contre Celse et en a tiré le pamphlet de Celse, morceau par morceau.
  96. L’Ἀληθὴς λόγος paraît avoir été écrit dans les dernières années du règne de M. Aurèle, en 171-178, selon Keim (p. 261 sqq.) et Pélagaud (p. 189 sqq.).
  97. On ne sait rien de sa vie. La courte notice de Suidas (Νουμήνιος Ἀπαμεύς) n’en fixe même pas l’époque. Mais celle-ci résulte approximativement du caractère de sa philosophie et de ce double fait que lui-même est nommé pour la première fois par Clément d’Alexandrie, et que son disciple Harpocration fut aussi l’élève d’Atticos, qui enseignait, comme on l’a vu, sous Marc-Aurèle.
  98. Ces titres nous sont donnés par Eusèbe (Prépar. évangél. XIV, 4, 13, et IX, 7 et 8, 4), qui nous a conservé dans ces passages d’importants fragments de Nouménios.
  99. Clément, Strom., I, 22, 150 : Τί γὰρ ἐστι Πλάτων ἢ Μωυσῆς ἀττιαίζων.
  100. Zeller, Phil. d. Griech., V2, p. 216 et suiv.
  101. Sources principales : son livre Εἰς ἑαυτόν ; ses Lettres ; Dion Cassius, abrégé et fragments du l. LXXI ; Hérodien, Τῆς μετὰ Μάρκου βασιλείας ἱστοριῶν I, 24 : Jul. Capitolinus, Vita Marci Antonini Philosophi ; Suidas, Μάκρος. — La vie de M. Aurèle est étudiée en détail, avec renvoi aux sources et indications bibliographiques, dans Pauly-Wissowa, art. M. Annius Verus (t. I, p. 2279). L’ouvrage d’ensemble le plus célèbre sur Marc-Aurèle est le volume de Renan, Marc-Aurèle et la fin du monde antique, Paris, 1883.
  102. M. Cornel. Frontonis et M. Aurelii imperatoris epistulæ, rec. Naber, Lipsiæ, 1887 ; une partie de cette correspondance a été étudiée par M. G. Boissier, La jeunesse de M. Aurèle et les lettres de Fronton, Rev. des Deux Mondes, 1er  avril 1868.
  103. Cette division est déjà signalée par Suidas. Elle n’est autorisée qu’en partie par le Vaticanus A. Il est fort douteux qu’elle remonte à l’original.
  104. Capitol., M. Ant. Philos., 18 : Denique hodieque (au temps de Dioclétien) in multis domibus Marci Antonini statuæ consistunt inter deos penates. — Suidas le cite (au mot Μάρκος) sous ce titre inexact : Τοῦ ἰδίου βίου ἀγωγη ἐν βιβλίοις ιβʹ.
  105. Suidas (Σέξτος) le confond avec Sextus de Chéronée, le neveu de Plutarque et l’un des maîtres de Marc-Aurèle.
  106. Σκεπτικά est le titre donné par Suidas et par Diogène Laërce ; Sextus lui-même se sert du mot ὑπόμνημα pour désigner chacune des parties de son ouvrage. Contre les Géom., p. 721, 45 Bekker.
  107. Suidas et Diogène ne parlent que de dix livres. Sans doute le livre très court Contre les Arithméticiens était primitivement réuni au livre Contre les Géomètres.
  108. Contre les Gramm., p. 689, 14 Bekker : Ἀλλ' ὅμως ἵνα μὴ καινοτερων ἐλέγχων ἀπορεῖν δοκῶμεν, προσφωνητέον τι κἀνταῦθα τοῖς γραμματικοῖς. — M. ouvr., p. 626, 12. Ἀλλ' ἀφέμενοί γε ταύτης τῆς ζητήσεως ἐκεῖνο ἂν λέγοιμεν ὃ μᾶλλον δύναται θλίβειν τοὺς γραμματικούς.
  109. Selon G. Syncelle, 349, il vivait sous Adrien. Selon Suidas (Οἰνόμαος Γαδαρεύς), il est de peu antérieur à Porphyre. Eusèbe, Prép. évang., V, 18, le cite comme « récent », τὶς τῶν νεῶν. Voir sur Œnomaos, J. Bernays, Lukian und die Kyniker, et Saarmann, de Œnomao Gadarensi, Tubingue, 1887.
  110. Julien, Or. VII, p. 210 D, mentionne de lui des tragédies, qui ressemblaient par l’esprit à ses écrits en prose.
  111. Prépar. évang. V, 19-36 ; VI, 7.
  112. Julien, pass. cité. Cf. Or. VII, p. 209 B et Or. VI, p. 199 A.
  113. Zeller (Ph. d. G. t. V3, p. 108, n. 5.
  114. Publié dans les Antiquæ musicæ scriptores septem de Meibom, Amsterdam, 1652. — Traduction Ruelle : Nicomaque, Manuel d’Harmonique, Paris, 1875.
  115. Introductionis arithmeticæ : libri duo. Rec. Rich. Hoche, Lipsiæ, 1866, Teubner.
  116. Publié par Ast, Leipzig, 1897, dans les Theologoumena arithmeticæ de Jamblique.
  117. Suidas, Ἀρτεμίδωρος. Sa mère était de Daldis en Lydie, et lui-même était prêtre d’Apollon Daldaios ; voilà pourquoi il s’appelle, Artémidore de Daldis.
  118. Suidas : Πτολεμαῖος ὁ Κλαύδιος.
  119. Voir, dans la Biographie universelle de Michaud, l’article de Delambre (t. 36, p. 263 suiv.), où sont cités les jugements sévères et motivés de Halley, de Lemonnier et de Lalande. Peut-être ne tiennent-ils pas assez de compte de ce fait que Ptolémée a un goût de simplicité et d’exactitude apparente qui se satisfait quelquefois aux dépens de l’exactitude réelle. C’est un de ces esprits qui corrigent les choses pour les mettre d’accord avec la théorie. Cela n’implique pas toujours légèreté ni mauvaise foi.
  120. Ces deux derniers ouvrages ne nous sont parvenus que dans des traductions latines.
  121. Voir, sur ce premier livre, Letronne, Examen critique des Prolégomènes de la géographie de Ptolémée, à propos de la traduction française de l’abbé Halma, Journal des savants, décembre 1830, avril et mai 1831.
  122. Marin, de Tyr, dut vivre sous Trajan ou Adrien, en tout cas après Pline l’Ancien. On ne le connaît que par Ptolémée, il est probable, sinon sûr, qu’il écrivit une géographie en grec, plus descriptive que celle de Ptolémée.
  123. Vidal de La Blache, Les Voies de commerce dans la Géographie de Ptolémée, Paris, 1896 (Extrait des comptes rendus de l’Acad. des Insc. et B. Lettres, séance du 6 novembre 1896). Je suis ici de près les appréciations de cet excellent mémoire.
  124. Aux manuscrits de la géographie sont jointes des cartes : et il ne peut guère en être autrement, puisque le livre est fait en vue de cartes à dresser. Dans quatre de ces mss. (Parisini 1401 et 1402, Venetus 353, Vindobonensis), se trouve une notice qui les attribue à Agathodæmon d’Alexandrie. Le Venetus l’appelle Ἀλεξανδρεύς μηχανικός. Nous n’en savons rien de plus.
  125. Ptolemæi περὶ κριτηρίου recens. Fr. Hanow, Leipzig, Teubner, 1871.
  126. Voyez plus haut, p. 620.
  127. Didot-Müller, Geographi græci minores, t. II. Müller rapporte cet ouvrage par conjecture au commencement du iiie siècle.
  128. Consulter en général sur ce sujet Sprengel, Geschichte der Medizin, sect. V.
  129. Suidas, Διοσκορίδης. Notice où Dioscoride est d’ailleurs confondu immédiatement avec un homonyme qui vivait au temps d’Antoine et de Cléopâtre. Cf. Photius, cod. 178, fin, d’après lequel son prénom était Pedanius. C’est celui qu’il porte dans un ms.
  130. Notez aussi que la ville natale de Dioscoride, Anazarba, qui s’était appelée longtemps Diocæsarea, ne reprit son nom que sous Nerva. Pauly-Wissowa, Anazarba.
  131. Nous en avons en outre une analyse dans Photius (cod. 118). L’ouvrage, tel que le lisait Photius, comprenait un 6e livre sur les poisons et contre-poisons, et un 7e sur les animaux venimeux et les remèdes propres à guérir leur morsure.
  132. Sur Crateuas et ses rapports avec Dioscoride, voir Wellmann, Cratevas, Berlin, 1897.
  133. Il semble résulter d’autres allusions qu’il les parcourut à la suite des armées romaines.
  134. Galien se plaint souvent de cette nécessité de discuter qui empêche les recherches. Forces naturelles, I, 14 : Οὐ γὰρ ἐπιτρέπουσιν οἱ σοφισταὶ τῶν ἀξίων τι ζητημάτων προχειρίζεσθαι καίτοι παμπόλλων ὑπαρχόντων, ἀλλὰ κατατρίβειν ἀναγκάζουσι τὸν χρόνον εἰς τὴν τῶν σοφισμάτων, ὧν προβάλλουσι, λύσιν. Mais lui-même rapporte de fort belles expériences de vivisection, provoquées par les négations des méthodistes relativement à la fonction des reins ; même ouvr., I, c. 13 (p. 127 Helmreich).
  135. Galien, Sur ses propres livres, c. I.
  136. Ibid. préface : passage sur les libraires de la « Rue aux sandales » à Rome.
  137. Suidas, Ῥοῦφος Ἐφέσιος.
  138. Édition principale : Œuvres de Rufus d’Éphèse, texte et traduction, commencée par Ch. Daremberg, terminée par Ch. Ém. Ruelle, Paris, 1879, avec une introduction.
  139. Suidas, Σωρανός Μενάνδρου et Σωρανός Ἐφέσιος. Les deux articles se rapportent au même personnage.
  140. Les principaux de ces témoignages sont ceux de Cælius Aurelianus, médecin du ve siècle, qui traduisit en latin une partie des œuvres de Soranos. Voir en particulier son traité De morbis acutis, II, c. 9.
  141. La Vie d’Hippocrate, avec le traité Sur les fractures et les fragments du Traité sur la matrice, dans Ideler, Scriptores physici et medici græci minores, Berlin, 1841, t. I. Le texte du traité Sur les maladies des femmes, retrouvé seulement au xixe siècle par Reinhold Dietz, a été publié après sa mort d’après sa copie : De arte obstetricia morbisque mulierum, Kœnigsberg, 1848. La meilleure édition aujourd’hui est celle de Val. Rose dans la Biblioth. Teubner, 1882. — La Vie d’Hippocrate se trouve aussi dans les Vitarum scriptores de Westermann et dans la plupart des éditions d’Hippocrate.
  142. Medici script. græci min. de Ideler, t. I.
  143. Édition principale : Aretæi Cappad. quæ supersunt rec. et illustr. F. Ermerius, Utrecht, 1847 ; accompagnée de prolégomènes. — Pour la bibliographie, voir l’art. de Wellmann dans Pauly-Wissowa, Aretaios, II, 669.
  144. Suidas, Γαληνός. Galien lui-même fournit de nombreux renseignements sur sa biographie ; particulièrement dans l’opuscule Sur ses propres ouvrages, c. 1, 2 et 11. Voir aussi Sur les passions, c. 4 et 8. — Études biographiques : Ackermann, Historia litteraria Galeni, dans le t. I de l’édition complète de Kuhn, p. xvii et suiv. ; Pass, Cl. Galeni vila ejusque de medicina merita et scripta, diss., Berlin, 1854.
  145. Sur ses propres écrits, c. II : Ὑπὸ πατρὶ παιδευόμενος ἀπὸ πάππου τε καὶ προπάππου διαδεγμένῳ τὴν θεωρίαν.
  146. Sur les passions, c. 8. Dans le même passage, il accuse en revanche, avec peu de discrétion, le caractère emporté de sa mère, qui « criait, mordait ses servantes, et bataillait contre son mari plus que Xanthippe contre Socrate. »
  147. ibid. Cf. Sur l’ordre de ses écrits, c. 4.
  148. Sur les erreurs, c. 3. Les élèves intelligents et bien formés, dit-il, se moquent des maîtres légers, καθάπερ ἐγώ πολλῶν διδασκάλων ἔτι μειράκιον ὧν ὑπερεφρόνησα. Même traité, c. 6, à propos de la précipitation : Ἐγώ μὲν σοὶ λέγω μόνῳ· οὐδεὶς ἐχει με δεῖξαι τοιοῦτον ποτ’ ἐσφαλμένον οὐδέν.
  149. Sur Les passions, c. 8.
  150. Sur l’ordre de ses écrits, c. 4.
  151. Sur l’ordre de ses écrits, c. 3, et Sur ses propres ouvrages, c. 2.
  152. Sur ses propres ouvrages, c. 1. Νέος ὢν ἔτι (III. p. 96, l. 5, Müller). La phrase semble altérée par une transposition, qui, je crois, n’a pas encore été signalée. Les mots τέταρτον ἔτος ἄγων καὶ τριακοστόν doivent être transportés dans la phrase suivante et se rapportent au second séjour. L’ensemble du passage le démontre.
  153. Voir tout le chapitre cité, qui est plein de détails curieux.
  154. Sur ses propres ouvrages, c. 4. Lucius Verus était alors en Orient, mais l’expression ὑπὸ τῶν βασιλέων désigne naturellement un acte de l’autorité impériale, qui est censé commun aux deux empereurs.
  155. Pour tous ces détails, même ouvr., c. 2.
  156. Un certain nombre de ses écrits furent brûlés à Rome dans l’incendie qui consuma le temple de la Paix : Sur ses propres ouvrages, c. 41.
  157. Sur la chronologie des écrits de Galien, consulter l’étude de J. Ilberg, Rhein. Mus., nouvelle série, t. 51, 2e fasc.
  158. Les ouvrages conservés que nous mentionnons sans indiquer d’édition spéciale se trouvent dans les éditions des œuvres complètes de Galien. Voir la Bibliographie en tête du chapitre.
  159. Éd. Helmreich dans les Scripta minora de Galien, t. III, Bibl. Teubner, Lipsiæ, 1893.
  160. Éd. Iwan Müller, texte grec avec traduction latine, Lipsiæ, 1874.
  161. Éd. Helmreich, dans le volume cité plus haut.
  162. Éd. Iw. Müller, dans les Scripta minora cités, t. II.
  163. Sur ses propres écrits, c. 11 : Οὐδὲν οὕτως ἐσπούδασα μαθεῖν ἁπάτων πρῶτον ὡς τὴν ἀποδεικτικὴν θεωρίαν. Sur la logique de Galien, voir Prantl, Gesch. d. Logik, I, 559 et suiv.
  164. Ces deux écrits sont dans le second vol. des Scripta minora, où ils ont été édités par J. Marquardt, Lipsiæ, 1884.
  165. Dans le tome XIV des œuvres compl., édition de Kuhn (p. 582 sqq.) — Minoïde Minas a publié en 1844, (Paris, Didot) une Εἰσαγωγὴ διαλεκτική attribuée à Galien, mais qui n’est pas de lui. Voir Prantl, ouv. cité. Ella a été rééditée par Kalbfleisch, Galeni institutio logica, Lipsiæ, 1897, Bibl. Teubner.
  166. Sur ses propres écrits, c. 13-16.
  167. M. ouvr., c. 47.
  168. M. ouvr. c. 17.
  169. Sur l’ordre de ses ouvrages, c. 5.
  170. Ibidem. Il mentionne son écrit Πρὸς τούς ἐπιτιμῶντας τοῖς σολοικίζουσι τῇ φωνῇ.
  171. Sur la philosophie de Galien, consulter Zeller (Phil. d. Griech., t. IV, p. 893 et suiv., qui a eu le tort d’ailleurs de ne pas dégager des œuvres de Galien sa philosophie de la science, la seule qui nous le montre tout entier. — En français, E. Chauvet, La psychologie de Galien, Caen, 1867, et du même La théologie de Galien, Caen, 1873.
  172. On la trouvera principalement dans le traité Sur Les forces de la nature. Sprengel, Gesch. d. M., section V, c. 6, ne me paraît pas en avoir saisi toute la valeur.
  173. Forces physiques, c. 1 : Ἡμεῖς γε μεγίστην λέξεως ἀρετὴν σαφήνειαν εἶναι πεπεισμένοι.
  174. Ibid. : Καὶ ταύτην (la clarté) εἰδότες ὑπ’ οὐδενὸς οὕτως ὡς ὑπὸ τῶν ἀσυνήθων ὀνομάτων διαφθειρομένην, ὡς τοῖς πολλοῖς ἔθος, οὕτως ὀνομάζοντες.
  175. Parmi les ouvrages généraux qui traitent de ce sujet, les plus autorisés aujourd’hui sont : J. Donaldson, A critical history of Christian literature and doctrine from the death of the apostles to the Nicene council, Londres, 1866 ; Krüger, Geschichte der altchristlichen Litteratur in den ersten drei Jahrhunderten, Friburg et Leipzig, 1895 ; Harnack, Geschichte des altchristlichen Literatur bis Eusebius, 3 vol. parus, Leipzig, 1893-1897 ; Bardenhewer, Patrologie, Freiburg, 1894 ; P. Batiffol, Anciennes littératures chrétiennes, Littérature grecque, Paris, 1897. Il faut ajouter Renan, Les Apôtres, S. Paul, l’Antéchrist, les Évangiles, l’Église chrétienne, Marc-Aurèle, série d’ouvrages qui étudient plutôt le développement du christianisme que celui de sa littérature, mais où la littérature chrétienne primitive tient naturellement une grande place.
  176. Nous ne distinguons pas ici entre les écrits canoniques et les écrits apocryphes ; car, au point de vue littéraire, cette distinction n’aurait évidemment aucune raison d’être.
  177. Sans excepter les apothéoses impériales ; voyez Justin, Première apologie, ch. xxi.
  178. Eusèbe, Hist. eccl., IV, 3.
  179. Eusèbe, Ibid. ; Otto, Corp. Apol., t. IX, p. 339.
  180. Eusèbe, Ibid. La vraie date a été rétablie d’après le texte même de l’Apologie.
  181. Une traduction arménienne incomplète en fut découverte et publiée par les Mékitaristes en 1878. Harris en découvrit une seconde, en syrien, dans un cloitre du Sinaï, en 1889. L’étude de ces textes amena Robinson à reconnaître que l’original grec, quelque peu altéré, se retrouvait dans la Vie de Barlaam et de Joasaph attribuée à Jean de Damas. Ces trois textes ont été publiés par Hennecke : Die Apologie des Aristides, Recension und Reconstruction des Textes, Leipzig, 1893.
  182. Consulter Freppel, Les Apologistes chrétiens au iie siècle : S. Justin, Paris, 1886 ; B. Aubé, De l’Apologétique chrétienne au iie siècle. S. Justin, philosophe et martyr. Paris, 1861.
  183. Notice dans Suidas, Ἰουστῖνος, et dans Photius, 125.
  184. Justin, C. Tryphon, 2. 8.
  185. Eusèbe, Hist. eccl., IV, 18, place à Éphèse le lieu du dialogue avec Tryphon, qui est censé avoir lieu, d’après les données même de l’auteur, après la révolte des Juifs (132-135) ; voir le ch. 1 du dialogue.
  186. Seconde Apol., ch. iii.
  187. Tatien, Orat., 18.
  188. Eusèbe, Hist. eccl., IV, 18, 5.
  189. Justin, Apol., 1, 26. Cf. Eusèbe, Hist. eccl., IV, 11, 10. 7.
  190. Voir Puech, Mélanges Henri Weil, p. 395, Paris, 1898. — La prin- cipale édition de Justin est encore celle d’Otto, dans le Corpus cité ci-dessus, p. 657. Elle en forme les quatre premiers volumes ; les tomes I et II contiennent les œuvres authentiques ; les tomes III et IV, celles que la critique a rejetées. L’édition de la Patrologie grecque, de Migne, reproduit celle de dom Marran, Paris, 1742. Les deux Apologies ont été publiées par Braun, Bonn, 1830, 1860 ; 3e  édit. revue par Gutberlet, Leipzig, 1883. Édition isolée de la première Apologie, par Kaye, Londres, 1889.
  191. Prem. Apologie, ch. xlvi : Πρὸ ἐτῶν ἑκατὸν πεντήκοντα γεγεννῆσθαι τὸν Χριστόν.
  192. Renvois à la première, ch. iv, vi, viii.
  193. Ch. xv et ch. ii. Bardenhewer, Patrol., § 16, 3.
  194. Renvoi au ch. cxx.
  195. Seconde Apolog., ch. xiii.
  196. Ibid. : Ἕκαστος γάρ τις ἀπὸ μέρους τοῦ σπερματικοῦ θείου λόγου τὸ συγγενὲς ὁρῶν, καλῶς ἐφθέγκατο.
  197. Ibid., Cf. même ouvr., ch. vii, l’éloge de la morale stoïcienne.
  198. Première apologie, ch. xlvi.
  199. Prem. apologie, ch. lix, lx ; et, d’autre part, ch. liv.
  200. Pour sa biographie, nous n’avons que des renseignements épars ; d’abord son Disc. au Gentils, ch. xlii ; puis Irénée, Adv. hæres., I, 28 ; Eusèbe, Hist. ecclés., IV, 29.
  201. Tatien est connu aussi par son Harmonie des quatre évangiles, écrite en syrien, et que les écrivains grecs appellent le Διὰ τεσσάρων.
  202. Diverses opinions ont été émises à ce sujet. Voir Bardenhewer, Patrologie, § 17, 1. — Éditions. Outre celle d’Otto dans le t. VI de son Corpus, citons l’édition plus récente de Schwartz, Leipzig, 1888, dans la collection des Texte und Untersuchungen.
  203. Voir par exemple le ch. xxvi et tout le mouvement satirique marqué par ce début : Παύσασθε λόγους ἀλλοτρίους θριαμβεύοντες κ. τ. λ.
  204. C’est le seul renseignement que nous ayons sur sa personne. Les écrivains ecclésiastiques ne disent rien de lui. Voir pourtant Bardenhewer, Patrol., § 18. 1, et L. Arnould, De Apologia Athenagoræ, Paris, 1898 (p. 12 et suiv., discussion du fragment suspect où Philippe de Sida parlait d’Athénagoras).
  205. Les deux écrits d’Athénagoras forment le tome VII du Corpus de Otto. Ils ont été réédités par Schwartz, Leipzig, 1891 (Texte und Untersuchungen).
  206. Renseignements biograph., À Autolyc., I, 14 ; II, 24 ; Eusèbe, Chron., éd. Schœne, II, 110 ; Hist. eccl., IV, 20. Les trois lettres à Autolycos sont dans le Corpus d’Otto, t. VIII. Sur les autres ouvrages de Théophile, voir Bardenhewer, Patrol., 19, 3.
  207. Pour plus de détails sur ces divers auteurs, consulter Bardenhewer, Patrologie, 21, et Batiffol, Littér. grecque chrét., p. 89, 92, 99.
  208. Sur Irénée, Photius, cod., 120 ; Eusèbe, Hist. eccl., V, 4 et 24 ; Jérôme, Epist., 75, 3 ; Grég. de Tours, I, 29. Tous les témoignages sur Irénée sont recueillis dans Harnack, Gesch. d. Altch. Liter., t. I, p. 266 et suiv. — Études critiques ou biographiques : Freppel, S. Irénée et l’éloquence chrétienne dans la Gaule pendant les deux premiers siècles, Paris, 1861 et 1886 ; Ziegler, Irenäus der Bischof von Lyon, Berlin, 1871.
  209. Voir Bardenhewer, Patrologie, 24, et Batiffol, p. 205. Lettres conservées en partie, notamment celle qui se rapporte aux souvenirs d’enfance d’Irénée, Eusèbe, Hist. eccl., V, 20. Cette lettre a du charme et une aimable simplicité.
  210. Photius, cod. 120.
  211. Édition des Bénédictins (Massuet), Paris, 1716, reproduite dans la Patrol. gr. de Migne, t. VII. La meilleure aujourd’hui est celle de Harvey, Cambridge, 1857, avec les fragments du texte grec et les fragments syriens et arméniens.
  212. Son importance, comme source de l’histoire littéraire chrétienne, est très grande. Car l’auteur a largement emprunté aux écrivains chrétiens antérieurs, notamment à Justin, et aussi à Hégésippe (mort sous Commode), qui, dans cinq livres de titre inconnu, avait, lui aussi, combattu le gnosticisme, mais probablement par des faits et des témoignages plus que par des discussions. Sur Hégésippe, voir Bardenhewer, § 23.
  213. Sur la Cohortatio, voir l’étude très méthodique de A. Puech, Mélanges Henri Weil, p. 395. L’auteur pense que la Cohortatio est de la fin du iiie siècle plutôt que du second.
  214. Bardenhewer, § 16, 5.
  215. Pour les discussions sur la date et la provenance de cette lettre, voir Bardenhewer, § 13.
  216. Ch. 2, fin : Εἰ δέ τινι μὴ δοκοίη κἂν ταῦτα ἱκανὰ, περισσὸν ἡγοῦμαι καὶ τὸ πλείω λέγειν.
  217. À Diognète, c. 5.
  218. Otto, Corpus, t. IX. Diels, Doxographi, p. 649, Berlin, 1819.
  219. Harnack, Gesch. d. Altch. Liter., t. I, p. 782 ; Bardenhewer, § 20.
  220. Nous n’avons pas de notice complète sur Clément d’Alexandrie. Ce que nous savons de lui provient des renseignements dispersés dans ses propres écrits et dans ceux d’Origène, d’Épiphane, d’Eusèbe, etc. — Principaux écrits sur Clément : Reinkens, De Clemente, presbytero alexandrino, homine, scriptore, philosopho, theologo liber, Vratislaviæ, 1851 ; É. Freppel, Clément d’Alexandrie, Paris, 1865. Ch. Bigg, The Christian Platonists of Alexandria, Oxford, 1886. — Nous ne citons pas ici les nombreux ouvrages où Clément est surtout considéré au point de vue du dogme. Voir la bibliographie donnée par Bardenhewer, Patrol. 38, 1.
  221. Stromates, I, 1.
  222. Cette chronologie repose surtout sur des indices, assez sûrs d’ailleurs. Voir Eusèbe, Hist. Eccl., VI, c. 6.
  223. Eusèbe, V, 10 : Ἐξ ἀρχαίου ἔθους διδασκαλείου τῶν ἱερῶν λόγων παρ’ αὐτοῖς συνεστῶτος.
  224. Étude récente de Lehmann, Die Katechelenschule zu Alexandria, Leipzig, 1896.
  225. Eusèbe, Hist. eccl., V, 10. Cf. Stromates, I, 1.
  226. Eusèbe, Hist. eccl., VI, 11.
  227. Bibliographie, p. 657.
  228. Photius, 109.
  229. P. Wendland, Quæstiones musonianæ (De Musonio stoico Clementis Alexandrini aliorumque auctore), Berlin, 1886.
  230. Winter, Die Ethik des Clemens von Alexandrien, Leipzig, 1882.
  231. Les titres de ce genre, d’une fantaisie prétentieuse, étaient alors à la mode. Voir Aulu-Gelle, N. Att., Préface.
  232. Le ms. unique des Stromates (Laurentianus, V, 3) donne un 8e livre, qui figure dans toutes les éditions. Il n’est pas sûr qu’il soit de Clément ni qu’il appartienne à cet ouvrage. Voir Harnack, Altchr. Lit., t. I, p. 315.
  233. Pédag., c. 1.