Histoire de la littérature grecque (Croiset)/Tome 5/Période de l’Empire/Chapitre 6

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CHAPITRE VI
DE SEPTIME SÉVÈRE À DIOCLÉTIEN

bibliographie

Les Philostrate. — Manuscrits. Les mss. doivent être classés séparément pour chacun des Philostrate. Voir, sur ce classement, les notices de Kayser en tête de son édition de Zurich et de chacun des deux volumes de son éd. de la bibl. Teubner. Pour la Vie d’Apollonios, le meilleur ms. est le Parisinus 1801 ; pour les Lettres d’Apollonios, le Mazarinæus 87 ; pour les Vies des Sophistes, le Vaticanus 99 ; pour l’Héroïque, le Laurentianus LVIII, 32 ; pour les Lettres de Philostrate, le Vaticanus 140 ; pour les Tableaux, le Vaticanus 1898. Le Traité de gymnastique provient d’un ms. découvert par Minoïde Minas et publié par Daremberg en 1858. Éditions. Première édition complète, Alde, Venise, 1502-1503. Principales éditions complètes : Olearius, 1 vol. in-fol., Leipzig, 1709 ; Kayser, Zürich, un vol. 1842-46, avec une étude préliminaire sur la sophistique ; Westermann, bibl. Didot, Paris, 1846 ; Kayser, bibl. Teubner, 2 vol. Leipzig, 1870-71 ; Bendorf, Leipzig, 1893. Le Traité de la gymnastique se trouve dans l’édition de Kayser. Le texte donné par Daremberg (Paris, 1858) était accompagné de notes et d’une traduction. L’édition spéciale des Vies des Sophistes que Kayser a publiée à Heidelberg en 1858 est intéressante pour ses notes et ses commentaires.

Callistrate. — Les Descriptions de Callistrate sont jointes aux Tableauœ de Philostrate de Lemnos dans presque toutes les éditions ci-dessus mentionnées (Olearius, Kayser, Westermann).

Élien. — Manuscrits. Sur la tradition manuscrite d’Élien, voir la préface d’Hercher dans son édition de la bibliothèque Didot. — Éditions. L’édition princeps est celle de Conrad Gesner, Zürich, 1556. Les meilleures éditions critiques sont celles de Hercher, la première dans la Bibl. Didot, Paris, 1858, la seconde dans la Biblioth. Teubner, Leipzig, 1864. Éditions annotées de Schneider, Leipzig, 1784, et de Jacobs, Iena, 1831.

Athénée. — Manuscrits. Voir la préface de l’édition de Kaibel. Le texte du Banquet des Sophistes nous a été transmis par un seul ms. (Venetus ou Marcianus A, xe siècle), dans lequel manquent au début le premier livre, le second et le commencement du troisième, et, à la fin, la conclusion, sans parler de quelques autres lacunes. Pour les combler en partie, nous avons un Abrégé (Epitome ou E), rédigé dans la période byzantine d’après un ms. plus complet. — Éditions. Édition princeps, Alde, Venise, 1514, d’après une copie d’A. Éditions importantes : Casaubon, Paris, 1596-1600, avec des notes qui sont un immense répertoire d’érudition ; Schweighæuser, 14 volumes, Deux-Ponts, 1801-1807 ; G. Dindorf., Leipzig, 1827 ; Meineke, Leipzig, 1858-67 ; G. Kaibel, 3 vol. Leipzig, 1887-1890 (Bibl. Teubner).

Romanciers et poètes. — Nous ne croyons pas utile de donner ici une bibliographie distincte pour chacun des romanciers grecs. Les principales éditions collectives sont : celle de la Bibl. Didot, Scriptores erotici (Paris, 1856), contenant Parthenios, Achille Tatius, Longin, Xénophon d’Éphèse, Héliodore, Chariton, Antonius Diogène, Jamblique, par Hirschig, et de plus Apollonius de Tyr par J. Lapaume ; celle de la Bibl. Teubner, 2 vol., Leipzig, 1858, due à Hercher, et contenant les mêmes romanciers, sauf Héliodore, et en plus quelques romanciers byzantins. — Héliodore, a été publié dans la même collection par J. Bekker, Lipsiæ, 1855. — Les principaux de ces romans ont été traduits en francais par Ch. Zévort, Charpentier, Paris, 1856.

Pour les poètes, voir les notes au bas des pages.

Dion Cassius. — Manuscrits. Le classement vraiment scientifique des mss. de Dion n’a été fait que de nos jours par le dernier éditeur, P. Boissevain. On trouvera dans les préfaces de son édition tous les renseignements désirables à ce sujet. Les fragments des livres perdus (I à XXXV) doivent être recherchés dans Zonaras, dans les recueils d’extraits de Constantin Porphyrogénète, dans quelques palimpsestes, dans le lexique de Bekker. Pour la partie conservée (l. XXXVI-LX), deux mss. seulement ont une valeur propre, comme indépendants l’un de l’autre : le Laurentianus 70, 8 et le Marcianus 395. — Éditions. Voir également la préface de Boissevain. Éd. princeps, R. Estienne, Paris, 1548. Principales éditions : Beimar, 2 vol. fol., Hambourg, 1750-52, avec des notes de Fabricius et de Beiske ; Sturz, 9 vol. , Leipzig, 1823-43, le tome IX contient les compléments tirés par Angelo Mai d’un vol. du Vatican ; Dindorf, 5 vol. , Leipzig, 1863-65, Biblioth. Teubner ; Melber, 5 vol., Leipzig, 1896, même collection. La meilleure édition est aujourd’hui celle de Boissevain, Berlin, Weidmann, commencée en 1895.

Hérodien. — Sur les manuscrits, voir la préface de l’édition de Mendelssohn. Édit. princ., Alde, Venise, 1503. À citer ensuite : l’édit. de Sylburg, tom. III de la collection des Scriptores historiæ romanæ, Francfort-sur-le-Mein, 1590 ; celle de Schweighaeuser, avec une traduction latine et des notes, Bâle, 1781 ; celle de Irmisch, 5 vol. in-8°, Leipzig, 1789-1805 ; celle de Bekker, Leipzig, 1855, Bibl. Teubner. La meilleure est celle de Mendelssohn, Leipzig, 1883.

Historiens secondaires. — Les textes se trouvent dans les Fragmenta historic. græcorum de C. Muller (Bibl. Didot) et dans les Histor. græci minores de Dindorf (Bibl. Teubner). Voir pour chaque auteur les renvois au bas des pages.

Diogène Laërce. — Manuscrits. Consulter Max Bonnet, Rhein. Mus., tom. XXXII, p. 578 ; Corpusc. poesis epicæ græcæ ludibundæ, fasc. I, p. 51, et Usener, Epicurea, Préf. p. VI. Les principaux sont le Borbonicus 253 (Bibl. de Naples, XIIe s.) et le Laurentianus LXIX, 13 (XIIe s.), témoins indépendants d’une même tradition. Éditions. Édit. pr., Bâle 1534. Éditions principales : Meibom, Amsterdam, 1692, avec les notes de Ménage ; Teubner, Leipzig, 1828-33, 4 vol., dont les deux derniers contenant les commentaires, notamment ceux de Ménage et de Casaubon ; Cobet, Paris, 1850, Bibl. Didot. Il n’y a pas encore d’édition pourvue d’un appareil critique suffisant.

Plotin. — Manuscrits. Voir la préface de l’édition d’Oxford de Creuzer. Le meilleur parait être le Mediceus A, du XIIIe siècle. Notre texte représente, d’après Creuzer, la recension de Porphyre, mais tronquée dans certaines parties, et même mélangée. Les Byzantins connaissaient deux recensions, celle de Porphyre et celle d’Eustochios (voir la préface de Creuzer). — Éditions. La première édition fut celle de Marsile Ficin, Bâle, 1580, avec trad. latine. La plus importante est ensuite celle de Creuzer, Oxford, 1833, 3 vol. in-8°, dont le texte a été reproduit par le même savant dans la Bibl. Didot, Paris, 1850, avec la trad. latine corrigée de Marsile Ficin. Nouvelle édition des Ennéades par H. F. Müller, Berlin ; le tome I a paru en 1878. — Traduction française par Bouillet, 3 vol. in-8°, Paris, 1857.

Porphyre. — Il n’y a pas encore aujourd’hui d’édition complète des œuvres de Porphyre ni par conséquent d’étude d’ensemble sur les manuscrits. On trouvera quelques renseignements dans la préface de la seconde édition des Opuscula selecta de Nauck. — Les éditions à citer ici sont peu nombreuses. Les Ἀφορμαὶ πρὸς τὰ νοητά, par Creuzer, se trouvent dans son édition de Plotin de la Bibl. Didot. Nauck a donné sous le titre de Opuscula selecta un choix comprenant les Fragments de l’hist. de la philosophie (y compris la Vie de Pythagore), l’Antre des Nymphes, le Traité de l’Abstinence, la Lettre à Marcella, Leipzig, 1860 (2e éd. 1886), dans la bibl. Teubner. L’Antre des Nymphes a été publié aussi par Hercher dans l’Élien de la Bibl. Didot. Les Questions homériques, par Schrader, ont paru à Leipzig, 1880. Wolf a publié à Berlin, en 1856, les fragments de l’ouvrage Sur la philosophie des oracles. La Vie de Plotin, revue par Westermann, est jointe au Diogène Laërce de la Bibl. Didot.

Écrivains chrétiens. — La bibliographie des écrivains chrétiens doit être réduite ici à quelques indications, puisque la plus grande partie de leurs œuvres sont étrangères à l’objet de cette histoire. Nous renvoyons pour de plus amples renseignements à Harnack, Gesch. der Altchristlichen Literatur, 1re partie, en 2 vol., Leipzig, 1893, et à Bardenhewer, Patrologie, Fribourg, 1894, où l’on trouvera toutes les indications désirables.

Hippolyte. — Les Philosophumena, E. Miller, Oxford, 1851 ; Duncker et Schneidwin, Goettingue, 1859, texte reproduit dans la Patrol. grecque de Migne, t. XVI, 3e partie, parmi les œuvres d’Origène. Nouvelle recension du l. I dans les Doxographi græci de Diels, Berlin, 1879. Pour le reste des œuvres, Paul AntonP. A.|Paul Anton}} de Lagarde, Hippolyti romani quæ feruntur omnia græce, Leipzig et Londres, 1858.

Origène. — Édition des œuvres exégétiques, de Huet, 2 vol. in-fol., Rouen, 1668. Édition complète des Bénédictins, Paris, 1733-1759, 4 vol. in-fol. Édition de Lommatzsch, 25 vol. in-8°, Berlin, 1831-18. Le texte des Bénédictins a été reproduit dans la Patrologie grecque de Migne, tom. XI-XVII, Paris, 1857-1860. — Pour les autres écrivains de rang secondaire, voir les notes au bas des pages.



SOMMAIRE

I. Vue générale sur la littérature du iiie siècle. — II. Les continuateurs de la sophistique. Les Philostrate. Philostrate l’Athénien : Vie d’Apollonios de Tyane, Vies des sophistes, Traité de la gymnastique, Lettres. Philostrate de Lemnos : L’Héroïque, les Tableaux. Philostrate le Jeune, les Tableaux. Callistrate, les Descriptions de statues. Élien, sa vie et ses œuvres ; Sur les animaux ; Histoire variée. Athénée : le Banquet des sophistes. — III. La rhétorique. Apsinès. Rhéteurs secondaires. Ménandre. Cassius Longin. — IV. Le roman. Ses origines. Antonius Diogène ; Jamblique ; Xénophon d’Ephèse ; l’auteur anonyme d’Apollonius de Tyr ; Héliodore ; Longus. — V. La poésie. — VI. L’histoire. Dion Cassius. Sa vie et son œuvre. Hérodien. Historiens secondaires : Dexippe. L’histoire de la philosophie : Diogène Laërce. — VII. La philosophie. Son état au commencement du iiie siècle. Le néoplatonisme. Plotin ; sa vie ; son œuvre : Les Ennéades. Grands caractères de sa philosophie : spiritualité, amour de Dieu, mysticisme. Puissance et dangers du néo-platonisme. Son influence. — VIII. Disciples de Plotin. Porphyre. Sa vie. Son œuvre. Ses principaux écrits de philosophie et de philologie. — Les livres hermétiques. — IX. Le Christianisme au iiie siècle. Hippolyte ; les Philosophoumena. Origène ; sa vie et son œuvre. Son enseignement ; l’Origénisme. — X. Les écrivains chrétiens secondaires au iiie siècle. École d’Alexandrie ; école d’Antioche. Grégoire le Thaumaturge. Méthode ; le Banquet des dix vierges. Pamphile. Jules Africain. Ce que le iiie siècle a preparé.


I

Le iiie siècle, qui va de Septime-Sévère à Dioclétien, offre, au point de vue littéraire, deux spectacles opposés : d’un côté, déclin manifeste, de l’autre, effort de création et croissance.

La sophistique, qui avait fait la gloire du siècle précédent, tombe dans le bavardage prétentieux et vide, qui était son terme naturel. Les Philostrate, les Élien, les Athénée sont, pour la valeur de l’intelligence et pour le talent, fort au-dessous d’un Dion, d’un Ælius Aristide même, et surtout d’un Lucien. Des historiens estimables, comme Dion Cassius ou Hérodien, compensent mal cette infériorité. D’autre part, la science hellénique, qui faisait grande figure encore avec Ptolémée et Galien, disparaît alors, ou peu s’en faut. L’art et le savoir méthodique s’abaissent a la fois. Vu sous cet aspect, le mouvement général du siècle est une décadence.

Mais voici la contre-partie. L’hellénisme, au second siècle, avait fait effort pour dégager de ses vieilles traditions une religion qui satisfît la conscience humaine en lui donnant à la fois une doctrine du devoir et une conception de Dieu appropriées à ses besoins. C’est à cette tentative, plus ou moins consciente, qu’avaient collaboré Épictète, Plutarque, Marc-Aurèle. Ils n’y avaient réussi qu’imparfaitement. Leur morale restait trop indépendante pour beaucoup d’âmes, leur dieu n’était ni assez défini ni assez vivant. Or, ce qu’ils n’avaient fait qu’ébaucher, les grands esprits du iiie siècle vont l’achever. Plotin et Porphyre créent réellement un hellénisme nouveau avec des éléments tirés de l’hellénisme ancien. Ils constituent une morale profondément religieuse et une religion appuyée sur une sorte de révélation. Ce qui était confus et obscur chez leurs prédécesseurs s’organise entre leurs mains. Ils établissent, sur la base de la tradition, un mysticisme rationnel, qui est à la fois dévotion et pensée, foi et réflexion. Que ce fût là au fond une altération fâcheuse du véritable hellénisme, on peut le soutenir, et la suite même du néoplatonisme le démontrera. Mais, en tout cas, cet hellénisme transformé est en soi une œuvre puissante d’adaptation, qui équivaut presque à une création. Et, sous cet aspect, le iiie siècle se montre fécond.

Il ne l’est pas moins pour le christianisme. C’est le temps où prend vraiment naissance la théologie. La philosophie chrétienne, qui inspirera au siècle suivant les pères de l’Église, est tout entière, non plus seulement en germe, mais en voie d’organisation, chez Origène. Comme le néoplatonisme, qu’elle côtoie, mais dont elle se sépare, cette philosophie cherche l’alliance du mysticisme et de la raison, de la foi et de l’examen. C’est donc bien là au fond la tendance commune des hommes d’alors. Chez les chrétiens comme chez les païens, elle est la seule qui produise de grandes choses ; et c’est par elle que le iiie siècle prépare celui qui suivra.

Si nous en cherchons les raisons, nous en découvrons de plusieurs sortes. D’abord, une raison ancienne et profonde, cette force des choses qui depuis plusieurs siècles poussait l’hellénisme à évoluer vers une forme nouvelle. Puis, des raisons récentes, qui résultent du moment, et qui sont décisives. Jamais l’empire n’a été plus trouble. Après la mort d’Alexandre Sévère, pendant trente-trois années consécutives, il est vraiment en proie à l’anarchie (235-268) ; le spectacle du monde est si décourageant que les meilleurs esprits s’en détournent et cherchent ailleurs où placer leurs espérances. Or, justement en ce temps, le conflit des religions, devenu plus sensible, excite les intelligences à éclairer leurs croyances, à les développer, à les achever. Le christianisme, dont on sent enfin la force, devient un stimulant pour la philosophie grecque ; et, de son côté, cette philosophie, dont les docteurs chrétiens ne peuvent méconnaitre la science et la méthode, se tourne pour eux, qu’ils l’avouent ou non, en un exemple fécond. Ces temps d’échanges sont des temps de pensée. Ce qui avait manqué au monde grec depuis longtemps, c’étaient des courants intellectuels d’origines diverses. Depuis plusieurs siècles, tout, en matière d’idées, venait de la même source et suivait le même cours. Il y avait profit pour lui à sentir maintenant sa tradition battue en brèche et à se voir obligé de la modifier.

Voilà en somme bien des choses dignes d’intérêt dans ce siècle d’assez médiocre réputation. Il faut essayer de les mettre en lumière successivement. Mais, avant d’arriver à ce qui est nouveau en lui, commençons par ce qui le rattache le plus directement au précédent, à savoir la survivance de la sophistique.


II

Nous avons énuméré plus haut les principaux représentants de l’éloquence à la mode dans la dernière partie du second siècle. Cette liste pourrait être continuée à travers le iiie siècle. Elle serait sans intérêt. Détachons seulement ce qui mérite d’être mentionné.

D’abord la lignée des Philostrate[1]. Celle-ci semble avoir commencé à se faire connaitre dès le temps de Néron par un premier Philostrate de Lemnos, fils de Verus, qui enseigna la rhétorique à Athènes sous les Flaviens[2]. On lui attribue aujourd’hui le Néron, dialogue fort médiocre, qui figure à tort parmi les œuvres de Lucien[3]. De ses autres œuvres, énumérées par Suidas, nous ne connaissons plus rien.

Vers la fin du second siècle, ou plutôt au commencement du troisième, le nom de Philostrate reparaît, illustré presque simultanément par deux hommes de même profession, l’oncle et le neveu, Philostrate l’Athénien et Philostrate de Lemnos.

Philostrate, dit l’Athénien, le plus connu des deux, était, malgré son surnom, né à Lemnos, lui aussi, et fils d’un Verus, comme le Philostrate du ier siècle, dont il descendait sans doute. Mais ce fut à Athènes qu’il établit sa réputation, en qualité de professeur ; d’où le surnom qu’on lui donna pour le distinguer de son neveu, lorsque celui-ci à son tour devint célèbre dans les écoles. Cette période athénienne de sa vie paraît répondre à peu près au règne de Septime-Sévère. Vers la fin de ce règne peut-être, c’est-à-dire avant 211, ou sous celui de Caracalla, il vint à Rome, étant déjà célèbre, et fréquenta la cour de l’impératrice Julia[4]. Il vécut jusqu’au temps de l’empereur Philippe (244-249). Il est l’auteur de la Vie d’Apollonios de Tyane et des Vies des Sophistes, peut-être aussi du traité Sur la Gymnastique et des Lettres.

Philostrate de Lemnos, dit aussi Philostrate l’ancien[5], le troisième du nom, était fils de Nervianus, et neveu du précédent par sa mère. Nous ne connaissons de sa vie que ce qui en est dit dans les Vies des Sophistes de son oncle et dans une courte notice de Suidas. Il fut à la fois avocat, orateur politique, sophiste, écrivain. Un détail fixe approximativement les dates de sa vie. Il eut 24 ans sous Caracalla, donc entre 211 et 217 (Vies des Soph., II, c. 30). Parmi les œuvres que Suidas lui attribue, nous n’avons conservé que l’Héroïque (appelé Τρώϰϰος (Trôkkos) par Suidas) et les Tableaux[6].

Enfin un dernier Philostrate, dit Philostrate le jeune, petit-fils du précédent par sa mère, s’est fait aussi un nom par un second recueil de Tableaux, composé à l’imitation du premier. Il dut vivre dans la seconde moitié du iiie siècle.

Philostrate l’Athénien, quelle qu’ait été sa réputation, nous apparaît aujourd’hui comme un homme singulièrement surfait. Avec des dons d’imagination et de style, qu’il gâte d’ailleurs par une insupportable prétention, il est tellement dénué de sincérité, il pense si peu par lui-même, qu’il donne partout l’impression de la médiocrité. Son plus grand mérite est de représenter fidèlement l’esprit et le ton qui dominaient alors dans les cercles littéraires. On en découvre en lui toute la vanité, toute la nullité morale, tout le mauvais gout et toute l’afféterie.

La Vie d’Apollonios de Tyane, écrite pour satisfaire un désir de l’impératrice Julia, lui est dédiée[7] ; elle parut donc avant 217, date de sa mort. Le célèbre thaumaturge pythagoricien avait disparu depuis plus d’un siècle. Mais la crédulité contemporaine entretenait son souvenir et l’entourait de légendes. On possédait des mémoires de sa vie, authentiques ou non, attribués à son disciple Damis, qui était censé avoir fait pour lui ce qu’Arrien avait fait pour Épictète. On lisait aussi, soit ce que le philosophe Maxime avait raconté de son séjour à Ægae en Achaïe, soit les quatre livres qu’un certain Mœragénès avait composés sur lui[8]. En outre, des récits anonymes circulaient ; on colportait ses lettres, vraies ou fausses ; les villes qu’il avait visitées et les temples dont il avait restauré les oracles le célébraient par des fables qui passaient pour des témoignages[9]. Peu à peu, tout le mysticisme néo-pythagoricien du temps prenait corps dans cette tradition de plus en plus légendaire, et Apollonios devenait un homme divin, en qui ces esprits désorientés réalisaient leur idéal.

Non seulement Philostrate était incapable de dégager de ces récits confus ce qu’ils contenaient de vérité, mais il n’eut, à aucun degré, le souci de le faire. Le dessein qu’il déclare fut de montrer qu’Apollonios n’était pas un sorcier, « un mage », comme on disait alors, opérant des miracles au moyen de pratiques occultes et d’incantations, mais un homme vraiment doué d’une vertu divine, ou, pour mieux dire, une sorte de dieu. Ce que d’autres appelaient magie, Philostrate le nommait, lui, miracle et opération divine ; et, en conséquence, le surnaturel était le fond même de la vie de son personnage, tel qu’il le concevait. Du moins, ce surnaturel aurait pu avoir sa beauté, s’il n’eût été que la manifestation merveilleuse d’une nature vraiment supérieure. Mais il aurait fallu, pour dégager cette supériorité, que le biographe eût lui-même une raison élevée et une grande âme. Sophiste de nature et de profession, il n’a su faire de son héros qu’un sophiste insupportable.

Les huit livres dont se compose son récit nous racontent surtout les voyages d’Apollonios. Après quelques renseignements rapides sur sa naissance, son éducation, sa jeunesse, l’auteur nous conduit avec lui à travers toute l’Asie jusqu’aux Indes, où il séjourne parmi les sages et est témoin de toute sorte de merveilles (l. IIII). Au IVe livre, nous sommes en Ionie, puis en Grèce, puis à Rome. La prédication morale du sage, son influence, sa doctrine y sont superficiellement indiquées ; les dehors que lui prête le biographe sont ceux d’un thaumaturge, et c’est par là qu’il croit le grandir. Le livre V nous conduit d’abord à Gadès, d’où nous revenons en Orient, pour assister dans Alexandrie à une consultation fabuleuse : Vespasien, encore simple général, prend conseil d’Euphrate, de Dion et d’Apollonios sur la politique présente et future. C’est l’occasion première de l’inimitié d’Euphrate, dont il est fréquemment question dans les derniers livres. Dans tout cela, le rôle d’Apollonios demeure aussi médiocre. Le VIe livre est presque entièrement consacré à son voyage en Éthiopie : il y rencontre les Gymnosophistes, dont la sagesse lui paraît fort inférieure à celle des Indiens. De là, il revient en Asie, puis en Ionie au temps de Titus et de Domitien. Dans les deux derniers livres (VII et VIII), Domitien est empereur, et l’auteur veut nous montrer l’attitude héroïque d’Apollonios en face du tyran. Dénoncé par Euphrate pour ses libres propos, il vient à Rome, est jeté en prison, comparaît devant Domitien et lui tient tête, puis rompt miraculeusement ses liens et quitte l’Italie librement. Ses dernières années se passent en Grèce et en Ionie, où il meurt sous Nerva.

En composant cet ouvrage fade et prétentieux, Philostrate ne paraît pas avoir songé le moins du monde, comme on l’a supposé, à donner à la Société païenne une sorte d’évangile ni à opposer Apollonios à Jésus[10]. Pas un mot dans son livre ne laisse soupçonner pareille intention. Mais le rapprochement devait se produire de lui-même à son heure. Le néo-pythagorisme mystique, ascétique, thaumaturgique, apparaissait là comme un idéal réalisé, dans le cadre d’une biographie merveilleuse, qui prétendait être historique, et qu’on acceptait pour telle. La forme même du récit, en ce qu’elle avait de sophistique, répondait au goût du temps[11]. Il était fatal que le paganisme, lorsqu’il chercherait un livre à opposer aux évangiles, choisît celui-là. C’est ce qui fut fait à la fin du iiie siècle par un certain Hiéroclès, gouverneur de Bithynie, dans son Philaléthès[12]. Cette tentative, et la réfutation qu’en a composée Eusèbe, ont donné à l’ouvrage de Philostrate une sorte de succès de scandale, qui s’est prolongé jusqu’à nos jours[13]. Il faut l’en dépouiller, pour le bien apprécier. Réduit à sa valeur propre, c’est une médiocre production de la sophistique, qui toutefois jette quelque jour sur l’histoire morale et religieuse du temps.

Cet ouvrage, déjà, nous laisse voir en Philostrate un homme habile à complaire au goût de ses contemporains. Il ne le fut pas moins, quelques années plus tard, lorsqu’il s’avisa d’écrire les Vies des Sophistes.

La première idée lui en vint à Antioche, un jour qu’il s’entretenait dans le temple d’Apollon Daphnéen, rendez-vous des sophistes, avec son condisciple, le futur empereur Gordien[14]. De ces entretiens, travaillés et complétés, sortit plus tard un livre que l’auteur dédia à son ancien interlocuteur, alors proconsul d’Afrique, sous le règne d’Alexandre Sévère (de 222 à 235). Cet ouvrage aurait dû être une histoire de la sophistique ; c’est, tout au plus, un recueil de notices sur un certain nombre de sophistes.

L’auteur, pourtant, prétend embrasser tout le développement de l’art sophistique, depuis le ve siècle avant J.-C. jusqu’à son temps. — Dans un premier livre, il traite de quelques hommes qui se sont donnés pour philosophes, mais qui, selon lui, ont été réellement des sophistes (Eudoxe de Cnide, Léon de Byzance, Carnéade, Dion de Pruse, Favorinus, etc.) ; puis il nous présente les maîtres de l’Ancienne sophistique (ἀρχαία σοφιστιϰή), Gorgias, Hippias, Prodicos, Polos, Thrasymaque, Antiphon, Critias, Isocrate, Eschine. De ceux-là, il passe aux représentants de la Seconde sophistique (δευτέρα τιϰή), Nikétès, Isée, Scopélien, Denys de Milet, Lollianos, Marc de Byzance, Polémon, Secundus. — Le second livre, commençant avec Hérode Atticus, qui y occupe la place principale, fait défiler sous nos yeux toute la légion des sophistes célèbres de la fin du second siècle et du commencement du troisième.

Dans cet ensemble, aucune composition méthodique, aucun sens de l’histoire. Une bonne partie du premier livre n’est que confusion ; nulle idée des distinctions à marquer, des milieux, de la succession des idées et des formes. Il est vrai qu’à partir de l’avénement de la seconde sophistique, l’auteur est mieux guidé par la chronologie. Mais, alors même, tout son plan se réduit à une simple juxtaposition. Écrit-il d’ailleurs des biographies à proprement parler ? Non, car il ne vise en aucune façon à suivre chacun de ses personnages depuis sa naissance jusqu’à sa mort. S’agit-il plutôt d’études critiques ? Pas davantage : car, bien loin de dégager avec ordre les traits caractéristiques des individus, il n’a même pas le souci d’énumérer ni de classer leurs œuvres. En réalité, ce sont des portraits oratoires. Il les a composés avec des recueils de lettres, avec des traditions d’école, avec des discours alors subsistants, avec des souvenirs personnels ; et c’est ce qui en fait le prix[15]. Il est notre témoin par excellence en tout ce qui touche non seulement aux faits et gestes des personnages dont il a parlé, mais à l’organisation des écoles d’alors, aux habitudes des maîtres, à leur genre de talent et au gout de leur public. Mais il n’est pas possible de moins dominer son sujet. Admirateur enthousiaste d’un art qui est aussi le sien, il ne quitte guère le ton de l’hyperbole. Les moindres de ses personnages sont de grands hommes à ses yeux. Malgré cela, il s’applique à donner des rangs, à noter le fort et le faible de chacun. Et l’on voit par ses jugements combien la critique était alors aiguisée dans ce monde de sophistes et d’amateurs de sophistique. On lui pardonnerait bien des défauts, si du moins il se piquait de précision. Tant s’en faut : comme biographe, il est vague, superficiel ; rarement, il trouve le détail qui révèle l’homme ; et, quand il le trouve, son style poétique et prétentieux se prête mal à le mettre en valeur. Tout au plus peut-on dire qu’il peint le maître dans son école, l’orateur sur son théâtre ; l’homme lui-même lui échappe.

N’insistons ni sur le traité de la Gymnastique ni sur les Lettres. — Le premier est une étude historique et théorique, en un livre, sur les exercices des athlètes, composée probablement sous Élagabale ou sous Alexandre Sévère[16]. On y trouve des renseignements sur le régime des athlètes, sur les qualités spéciales qu’exigeaient d’eux les divers genres d’exercice. L’auteur s’intéresse à son sujet, mais il le traite en sophiste, plus préoccupé de briller que d’instruire. — Le recueil de Lettres comprend 73 morceaux. Les 64 premières lettres sont des exercices d’école, simples variations sur des thèmes amoureux, empruntés à la comédie nouvelle, à l’élégie alexandrine, ou purement imaginaires[17]. Les neuf dernières semblent provenir d’une correspondance réelle. Ce sont des billets très courts, quelques-uns condensés en un simple trait satirique, d’autres enfermant un éloge ou une recommandation en quelques lignes, qu’un agencement savant fait ressembler aux vers d’une épigramme. La 72e lettre est un reproche à Caracalla assassin de son frère Géta : c’est assez dire qu’elle n’a jamais été envoyée à son destinataire. La 73e, la plus longue de toutes, est adressée à l’impératrice Julia : l’auteur y défend les sophistes, décriés par un certain Plutarque. Tout cela se réduit en somme à un recueil de jeux d’esprit et de pointes, sans intérêt historique et sans valeur réelle[18].

Philostrate de Lemnos ne se distingue guère de son oncle que par un tour d’imagination plus poétique et une certaine affectation de simplicité dans le style[19].

Une tendance analogue à celle qui avait inspiré à Philostrate l’Athénien la Vie d’Apollonios de Tyane se laisse deviner dans l’Héroïque ou Dialogue sur les Héros Ἡρωϊϰός (Hêrôïkos)), qui fut écrit par lui probablement sous Alexandre Sévére[20]. Le mysticisme rêveur du temps avait besoin de songeries surnaturelles ; et les habiles gens qui savaient écrire en tiraient profit. Voici le sujet. À Éléonte, sur les bords de l’Hellespont, un vigneron accueille un marchand phénicien : assis avec l’étranger dans sa vigne, sous les grands arbres, non loin du tombeau de Protésilas, il l’entretient de ce héros, lui apprend qu’il se montre à lui fréquemment, qu’il s’intéresse à ses travaux. De propos en propos, il en vient à lui parler de presque tous les héros de la guerre de Troie ; il lui décrit leur aspect et leurs mœurs ; c’est une évocation d’un monde surhumain dans un cadre rustique. À la fois crédule et bel-esprit, l’auteur vise à satisfaire simultanément le mysticisme et le raffinement littéraire de ses contemporains. Dans une sorte de pastorale dévote, d’assez pauvres histoires de revenants se revêtent tantôt d’ornements sophistiques, tantôt des couleurs de la poésie, à quoi s’ajoute une tendance à moraliser. Son vigneron, ancien citadin, a passé par les écoles, avant de se faire campagnard (I, 2). Ayant trouvé le bonheur avec la sagesse dans une existence simple et laborieuse, il vit auprès de son demi-dieu dans une sorte de rêve perpétuel, curieux de mieux connaître par lui les héros que les poètes ont célébrés. Grâce à ses confidences, il corrige à sa manière les vieilles légendes pour les rendre ou plus morales, ou plus dramatiques[21]. En définitive, de ces entretiens rustiques, se dégage une sagesse éclectique, dont la teinte générale est pythagoricienne[22].

Il faut s’arrêter un peu plus sur les Tableaux (Εἰϰόνες), un des livres des Philostrate les plus lus et les plus cités[23]. C’est un recueil de 64 descriptions de tableaux, formant deux livres. L’auteur, dans une courte préface, nous apprend que ces tableaux se trouvaient à Naples dans un portique attenant à une villa ou il avait fait un séjour. Un jour, nous dit-il, interrogé par des enfants, il eut l’occasion de leur en expliquer les sujets et la composition. Ce qu’il avait dit ainsi, il le mit ensuite par écrit, pour qu’en le lisant les jeunes gens pussent apprendre à bien juger et à bien s’exprimer[24]. Dans sa pensée, ces descriptions étaient donc, avant tout, des modèles de composition et de style ; et c’est ce qu’il ne faut pas perdre de vue. Ce genre, d’ailleurs, était depuis longtemps à la mode dans les écoles[25]. En admettant, ce qui paraît probable, que les œuvres d’art décrites par Philostrate existaient réellement, il est bien certain qu’il n’y a pas à attendre de lui une exactitude dont il ne se souciait pas[26]. Les tableaux dont il parle deviennent pour lui des matières de discours ingénieux et brillants ; aucun scrupule n’a dû l’empêcher de prêter aux artistes des mérites imaginaires, pour peu qu’il y vît un moyen d’étaler les siens. Si c’est là de la critique d’art, c’est encore bien plus de la rhétorique et de la sophistique. Mais, dans cette sophistique, Philostrate a de l’agrément, de la finesse, de la vie, une certaine grâce malgré son affectation, et même du goût. Vraies ou imaginaires, les expressions de physionomie et les attitudes sont délicatement analysées. En outre, il complète nos informations sur certains mythes et sur la façon dont on les représentait. L’œuvre ne vaut pas la réputation qu’on lui a faite autrefois, mais elle n’est pas non plus à dédaigner.

Le succès qu’elle obtint parmi les contemporains est attesté par les imitations qu’elle suscita. Philostrate fit école[27]. Le principal de ses imitateurs fut son petit-fils[28], Philostrate dit le jeune, qui vécut a la fin du iiie siècle. De son recueil, intitulé également Tableaux (Εἰϰόνες), il ne nous reste qu’un livre, comprenant 17 descriptions, la dernière incomplète. Lui aussi décrit, ou est censé décrire, des tableaux réels[29]. Sa manière rappelle de fort près celle de son modèle, avec moins d’élégance, moins de finesse, moins de vie.

Un autre imitateur de Philostrate de Lemnos fut Callistrate, dont il nous reste treize descriptions de statues (Ἐϰφράσεις). On suppose, sans raison bien probante, que l’auteur a dû vivre au iiie siècle, lui aussi. Ses descriptions sont étrangement hyperboliques et laborieusement contournées. Elles semblent moins exactes encore que celles des Philostrate et plus arrangées en « discours ». Ce sont des variations sur ce thème monotone que la matière s’amollit sous les doigts de l’artiste et semble prendre vie[30].

Entre les sophistes du iiie siècle mentionnés dans les Vies de Philostrate l’Athénien, il n’y en a qu’un dont quelques œuvres nous aient été conservées : c’est Claude Élien[31]. Il est bien propre, lui aussi, à mettre en lumière quelques-unes des tendances caractéristiques de son siècle.

Né près de Rome, à Préneste, dans le dernier tiers du second siècle, il était mort lorsque Philostrate l’Athénien traça son portrait dans ses Vies des Sophistes ; il n’avait guère vécu au delà de soixante ans[32]. Son biographe atteste qu’il se vantait de n’avoir jamais quitté l’Italie[33] ; il fut grand prêtre dans sa ville natale : c’était un pur Romain par les mœurs, mais il aimait passionnément la Grèce et parlait grec comme un Athénien[34]. Il eut pour maître d’éloquence Pausanias de Césarée, et il subit en outre l’influence d’Hérode Atticus, qu’il admirait particulièrement. S’étant essayé à la parole, il n’y réussit pas assez pour se satisfaire lui-même, malgré les éloges qu’il obtint ; dès lors, il se contenta de montrer son art, en écrivant. Parmi ses discours, Philostrate cite une diatribe contre Élagabale (Κατηγορία τοῦ Γυνννίδος), composée après la mort de ce prince (222), probablement donc au début du règne d’Alexandre Sévère[35].

Ses œuvres vraiment curieuses sont celles où il mit son érudition variée et sa patience de collectionneur au service du goût qu’il avait pour la prédication morale et religieuse. Comme beaucoup de sophistes, Élien était au fond un pauvre esprit. Incapable de penser par lui-même sur les grands sujets, il se fit une spécialité de recueillir partout des historiettes, phénomènes naturels, prodiges, merveilles de toute sorte, pour les grouper, en guise de démonstration, autour de certains thèmes, qui constituaient pour lui des croyances. Ainsi furent composés ses deux traités perdus Sur la Providence (Περὶ προνοίας) et Sur les Évidences divines (Περὶ θείων ἐναργειῶν). Autant que nous pouvons en juger par une trentaine de fragments, c’étaient deux séries de petites histoires dévotes, prises un peu partout, particulièrement sans doute chez Chrysippe, acceptées d’ailleurs sans critique et assemblées sans discussion. L’auteur y racontait avec une satisfaction naïve les châtiments des incrédules, et il s’en donnait à cœur joie d’apostropher et d’invectiver les Épicuriens, ses ennemis personnels.

C’est bien le même homme que nous retrouvons dans les dix-sept livres du traité conservé Sur les animaux (Περὶ ζῷων). Comme il nous le dit dans sa préface, il s’y est proposé de montrer qu’il y a de la sagesse, de la justice, de l’affection, du dévouement, et aussi de la jalousie, de la haine, de la cruauté chez les animaux. Voilà le point de vue d’où il les juge. Les bons et les méchants défilent devant nous, appréciés comme ils le méritent par le narrateur. On admire tour à tour le philhellénisme du héron, la tempérance du grondin, l’humanité du lynx, la fidélité conjugale du poisson ætnæos, qui, nous dit-il, ne change jamais de compagne, « sans être retenu pourtant ni par l’appât de la dot ni par la crainte des lois de Solon »[36]. On apprend avec quel scrupule les fourmis s’abstiennent de sortir le premier du mois. Et, d’autre part, on est invité à frémir d’horreur, en voyant les jeunes serpents dévorer leur mère pour venger sur elle le meurtre de leur père, scandale qui arrache à l’auteur ce cri d’une ironie pathétique : « Que sont, à côté de ces animaux, vos Orestes et vos Alcméons, chers auteurs de tragédies ?[37] » Il est vrai qu’il oublie quelquefois son dessein principal ; et, s’il ne dépouille jamais le bel esprit, il cesse du moins par instants de moraliser. On rencontre donc dans son gros recueil des faits simplement curieux ou même intéressants. Mais ce qui en fait surtout le prix, c’est qu’on y trouve, sous forme d’extraits lus ou moins arrangés, bon nombre de fragments empruntés à des livres perdus de naturalistes, de géographes, de voyageurs, en particulier à la savante Histoire des Animaux et au Recueil de merveilles d’Alexandre de Myndos, écrivain du ie siècle de notre ère, qui semble avoir été sa principale source[38]. Au reste, sous prétexte de variété, Élien s’est abstenu de composer son livre[39] ; il a tout jeté pêle-mêle, au hasard de ses lectures. Son public ne lui demandait que des historiettes racontées dans le style à la mode ; les qualités auxquelles il a visé sont l’invention poétique et le style[40] ; il estimait qu’il avait réussi pleinement en cela, et ses contemporains semblent avoir été de son avis, car Suidas nous apprend qu’il fut surnommé Μελίγλωσσος « Élien à la langue de miel[41]. »

L’Histoire variée (Ποιϰίλη ἱστορία), en 14 livres, moins bien conservée que l’ouvrage sur les animaux, est un recueil analogue par la forme. On y trouve même encore, au début, un certain nombre de traits empruntés à la vie des bêtes. Mais, en général, Élien y a rassemblé des faits relatifs soit à des peuples, soit à des personnages historiques, hommes d’État, écrivains, artistes, ou même à des inconnus ; quelquefois aussi des descriptions, ou encore de simples renseignements curieux. La forme primitive et complète du texte ne subsiste que jusqu’au milieu du 3e livre (III, 12) et pour quelques parties du 12e ; elle reparaît, çà et là, dans le reste, qui est en général un simple abrégé, tantôt plus condensé, tantôt moins ; quelques fragments nous sont parvenus sans indication de provenance[42]. La détermination des sources de l’Histoire variée reste encore à faire[43]. Dans l’entassement de choses qui constitue cet ouvrage, les informations curieuses abondent, malheureusement suspectes le plus souvent, puisque l’origine en est inconnue. On y sent fréquemment la tendance à moraliser qui dominait Élien. Du reste, nul dessein suivi, et point d’autre art littéraire que celui du style, toujours scolaire et recherché.

C’est le pur sophiste qui se montre dans les vingt Lettres rustiques attribuées au même auteur (Ἀγροιϰίαι ἐπιστολαί), que des campagnards sont censés échanger entre eux[44]. Brèves compositions sur des thèmes soit de fantaisie, soit empruntes à la comédie moyenne ou nouvelle. Quand on a fait la part de l’invraisemblance et de l’affectation fondamentales, il reste quelques situations piquantes, de la malice, et un certain réalisme parfois spirituel dans la peinture des mœurs.

L’érudition chez Élien n’était guère qu’un prétexte. Elle fut au contraire la passion sincère d’un autre écrivain du même temps, Athénée, qui est pour nous le représentant par excellence de la sophistique savante. Tout ce que nous savons de lui, c’est qu’il était de Naucratis en Égypte ; Suidas le qualifie de grammairien[45]. Son principal ouvrage semble avoir été publié après 228[46]. Il avait écrit sur plusieurs sujets, notamment sur les rois de Syrie (Banquet, V, 211 a)[47]. Mais la seule œuvre de lui qui ait survécu et qui ait préservé son nom est le Banquet des Sophistes (Δειπνοσοφισταί).

Le Banquet des Sophistes, dans sa forme originale, était une véritable bibliothèque en trente livres[48]. On l’abrégea une première fois, nous ne savons en quel temps, pour le réduire à quinze livres ; c’est en cet état qu’il nous est parvenu, avec des lacunes assez graves[49]. On l’abrégea une seconde fois vers le commencement de la période byzantine ; et cet abrégé, qui s’est également conservé, supplée en partie aux lacunes du précédent. Lorsqu’un ouvrage subit ainsi des abréviations successives, il y a lieu de soupçonner qu’à l’origine il renfermait à la fois un certain nombre de choses utiles et beaucoup d’autres qui ne l’étaient pas. Cela est vrai en tout cas de celui dont nous parlons.

Athénée a imaginé une mise en scène dont l’idée première remontait par une longue tradition jusqu’à Platon[50]. Le riche pontife romain Larentius donne un repas à des amis. À sa table s’assoient des savants de toute sorte (τοὺς ϰατὰ πᾶσαν παιδείαν ἐμπειροτάτους, I, 1) : toutes les connaissances humaines sont représentées là, grammaire, poésie, rhétorique, musique, philosophie, jurisprudence, médecine ; académie pédante s’il en fût, chargée de débiter en conversations l’encyclopédie qui sera la matière du livre. Quelques-uns des convives portent des noms illustres, Plutarque, Arrien, Galien, Masurius, Ulpien. Suivant la tradition du genre, ces personnages historiques sont traités plus ou moins en êtres de fantaisie, sans scrupule ni de chronologie ni d’exactitude morale ; ils sont là pour embellir la scène, pour donner au lecteur le plaisir de se figurer qu’il entend les propos d’hommes éminents, même quand ils débitent des inepties. À côté d’eux, d’autres convives, dont les noms, aujourd’hui inconnus, ne l’étaient peut-être pas au commencement du iiie siècle ; et, dans cette société mêlée, le Cynique indispensable, satirique attitré, bouffon au besoin. L’hôte est magnifique, savant, homme d’esprit, ami des doctes entretiens et habile à les provoquer. Grâce à lui, les propos appellent les propos, les sujets s’enchaînent ; chacun des convives à son tour paie son tribut ; à la fin, on a parlé de tout.

Ce qu’était cette mise en scène dans le texte primitif, nous ne pouvons plus en juger qu’imparfaitement : car elle a été altérée et restreinte par les abréviateurs. Il se peut donc qu’il y ait eu à l’origine plus d’incidents, plus de variété, plus d’invention dramatique. En mettant les choses au mieux, tout cela ne pouvait faire en définitive qu’un bien médiocre dialogue ; car c’était la nature même du sujet qui l’empêchait d’être bon. Des personnages qui dissertent au lieu de causer, qui débitent des articles de dictionnaire en guise de propos de table, qui prouvent leurs dires par des enfilades de citations, qui épuisent les énumérations par souci d’être complets, ne sont ni des gens du monde ni des êtres vivants. Ce sont des chapitres de traités, habillés en hommes, Le drame n’est ici qu’un prétexte, et l’encyclopédie, dissimulée, reparaît partout.

L’érudition de l’auteur, il est vrai, mérite d’être admirée. Bien que l’étude des sources du Banquet soit encore loin d’avoir donné des résultats définitifs, on peut constater qu’Athénée avait lu par lui-même un grand nombre des auteurs qu’il cite[51]. Et ces citations accumulées prêtent aujourd’hui un grand prix à son œuvre. C’est à lui que nous devons la meilleure partie de ce qui nous reste de la comédie moyenne et nouvelle. En outre, il n’y a pas dans toute l’antiquité de recueil d’informations sur les sujets les plus divers qui soit comparable en richesse à celui-là[52]. Indépendamment des trop longues et fastidieuses notices sur les diverses façons de banqueter, sur les aliments, les boissons, le luxe, la cuisine et ses grands hommes, on y trouve de curieux chapitres sur les instruments de musique (fin du l. IV et livre XIV), sur quelques banquets célèbres (l. V), sur les devinettes (fin du l. X), sur l’amour (Ἐρωτιϰὸς λόγος, l. XIII), avec mainte anecdote relative aux courtisanes célèbres. À chaque page, sous le fatras et le bavardage, les faits intéressants abondent. Bref, c’est un ouvrage qu’il faut dépouiller pour connaître l’antiquité, mais qu’il est impossible de lire.

III
Nous avons laissé la rhétorique, au chapitre précédent, dans l’état ou Hermogène l’avait constituée. Comme nous l’avons remarqué alors, elle avait pris entre ses mains une forme à peu près définitive. On ne pouvait plus la modifier qu’à la condition d’en renouveler les fondements mêmes. Aussi l’œuvre des rhéteurs du iiie siècle est-elle en somme fort médiocre. Celle de la critique, qui s’y rattache, semble avoir été plus importante ; mais elle nous est fort peu connue.

Un des maîtres les plus renommés dans la première moitié de ce siècle fut Apsinès, de Gadara (de 190 à 250, environ)[53]. Il enseignait à Athènes, d’après Suidas, sous le règne de Maximin (235-238) ; disciple de Basilicos, et ami des Philostrate, il fut, sous Philippe l’Arabe, (244-249), le rival des plus brillants sophistes du temps, Major, Nicagoras, Fronton d’Émèse[54]. De ses discours, il ne nous est rien resté. Mais son enseignement nous est encore en partie présent dans sa Rhétorique[55]. L’auteur n’y apporte rien d’essentiellement nouveau, même quand il se sépare d’Hermogène ; il accepte d’une manière générale la classification et la nomenclature traditionnelles ; il ne remonte pas plus que ses devanciers aux principes philosophiques : son dessein est avant tout pratique. Peu de règles, mais beaucoup d’exemples. Le mérite auquel il paraît viser est celui de la précision : distinguer les divers cas plus ou moins similaires, faire bien sentir ce qui est propre à chacun d’eux. Son livre a des qualités pédagogiques ; il ne faut pas lui en attribuer d’autres. — Indépendamment de sa réputation de professeur et d’orateur, Apsinès paraît s’en être fait une aussi comme critique. Il avait composé un Commentaire sur Démosthène, auquel il est fait allusion dans quelques-unes des scolies subsistantes. Sa Rhétorique prouve du reste qu’il l’avait étudié de près[56].

Nicagoras d’Athènes, sophiste et historien, Minucianus qui vécut jusque sous Gallien (260-268), Callinicos et Généthlios, leurs contemporains, Rufus, dont l’époque n’a pu être déterminée, ne sont pour nous que des noms, qui servent d’étiquettes à des fragments sans originalité. La Τέχνη de Minucianus eut cependant sa vogue : elle fut commentée comme une œuvre classique, notamment par Porphyre[57].

Ménandre, de Laodicée en Lycie, est signalé par Suidas comme un commentateur d’Hermogène et de Minucianus, ce qui laisse supposer qu’il vécut au temps où la renommée de ce dernier subsistait encore, et probablement subit son influence. Il est vraisemblable qu’il ne doit pas être distingué du Ménandre qui est cité plusieurs fois dans nos scolies de Démosthène et du Panathénaïque d’Aristide[58]. Nous n’avons plus sous son nom que deux traités Sur les discours épidictiques (Περὶ ἐπιδειϰτιϰῶν)[59]. Le premier seul paraît devoir lui revenir définitivement[60]. Il y étudie, sans aucune profondeur, mais non sans goût, les diverses formes de l’éloge, d’après les lieux communs qui leur sont propres, et caractérise le style qui leur convient. Des citations assez nombreuses relèvent l’intérêt de l’ouvrage. Le second traité, plus développé, s’attache à classer les formes de l’éloge ou du compliment d’après leur destination. Il nous fournit, comme le précédent, d’assez curieux renseignements sur les habitudes et les méthodes de l’éloquence officielle du temps.

Mais, entre les rhéteurs du iiie siècle, la première place paraît revenir à Cassius Longin, bien que ses œuvres soient presque entièrement perdues[61]. Né probablement avant 220, neveu et héritier du rhéteur Fronton d’Émèse, qui avait professé à Athènes en concurrence avec Apsinès, il appliqua successivement sa vive et souple intelligence à la philosophie, à la rhétorique, à la critique. Sa jeunesse se passa à étudier et à voyager. Il suivit à Alexandrie les leçons des néoplatoniciens Ammonios Saccas et Origène[62]. Devenu chef d’école, à son tour, il fut le maître de Porphyre pour les belles-lettres et la critique, et il paraît l’avoir aimé d’une sincère affection[63]. Il ne semble pas avoir connu personnellement Plotin, mais il lut avec empressement ses écrits, qu’il admirait vivement[64]. Apres avoir enseigné à Athènes, il passa en Syrie, et, sous le règne d’Aurélien (270-275), il s’attacha à la reine de Palmyre, Zénobie, veuve d’Odenath, d’abord comme professeur, puis comme conseiller ; il l’excita même et la soutint dans sa résistance aux armes romaines, et enfin, tombé aux mains du vainqueur, fut condamné et exécuté en 273[65]. De ses écrits philosophiques il ne nous reste qu’un fragment d’un traité Sur le souverain bien (Περὶ τέλους)[66]. Il se rattachait par ses tendances générales à l’école néoplatonicienne, mais il ne semble pas qu’il ait pris une part bien importante à son développement ; le chef de l’école, Plotin, ayant lu son traité Περὶ Ἀρχῶν, se refusait même à reconnaitre en lui un vrai philosophe[67]. Comme maître de rhétorique, Longin avait composé divers ouvrages, dont un seul, de médiocre importance, a subsisté, en partie[68]. C’est un Traité de rhétorique (Τέχνη ῥητοριϰή), qui ne consiste guère qu’en un recueil d’observations pratiques enfermées dans les cadres traditionnels, sources d’invention, disposition, diction, débit, mémoire ; il dut sans doute son succès à ce que tout y était simple, condense, facile à retenir[69]. — En réalité c’est surtout à titre de critique que Longin se fit une haute réputation parmi ses contemporains. Sa grande autorité est attestée par une série de témoignages concordants. Porphyre, qui l’a bien connu, vante sa pénétration et son goût sûr, qui faisaient de lui le premier des critiques du temps[70]. Sa science d’atticiste s’était affirmée dans un lexique spécial (Ἀττιϰῶν λέξεων ἐϰδόσεις β′). Il avait écrit sur Homère (Ἀπορήματα Ὁμηριϰά Προϐλήματα Ὁμηριϰά, Περὶ τῶν παῤ’Ὁμήρῳ πολλα σημαινουσῶν λέξεων, Εἰ φιλόσοφος Ὅμηρος, etc.)[71] ; et ceux des titres de ses ouvrages que nous connaissons encore montrent qu’il étudiait à la fois en lui la langue et les idées. Tout cela est perdu, et nous ne retrouvons plus qu’une trace indirecte de son influence dans les Questions homériques de son disciple Porphyre. C’est cette renommée qui lui a fait attribuer à tort le Traité du sublime dont nous avons parlé plus haut[72]. Cet ouvrage, nous l’avons vu, ne peut pas être de lui. Nous devons donc nous résigner à ne pas pouvoir juger par nous-mêmes celui qui fut en son temps le représentant le plus éminent de la critique.

IV

Sans sortir de l’école et de son domaine, c’est le moment d’introduire dans cette histoire un genre dont nous n’avons encore rien dit, et qui était pourtant réservé dans l’avenir aux plus brillantes destinées ; le roman. Né vers le début de la période romaine sous l’influence de la sophistique, il n’en est guère encore, au iiie siècle, qu’au commencement de sa popularité ; mais, déjà, il apparaît avec des traditions presque immuables, qu’il faut expliquer[73].

Ce qui constitue proprement le roman, tel que nous le trouvons en Grèce, c’est le récit développé d’une aventure d’amour. Par ses origines lointaines, il se rattache à l’essor que prit dans la période alexandrine la peinture des sentiments amoureux. Il dérive de l’élégie et de l’épigramme érotique, de l’idylle, de certaines scènes d’épopée, des contes milésiens, et de ces récits innombrables insérés alors dans l’histoire et la mythologie pour y introduire les sentiments à la mode[74]. Mais il procède surtout, et bien plus directement, des exercices d’école, de ces sujets inventés par la fantaisie subtile des rhéteurs, qui créaient des situations à leur gré, séductions, attaques de pirates et de brigands, enlèvements, séparations et reconnaissances, pour en tirer des matières de discours. C’est dans ces exercices en effet, que l’esprit grec a contracté le goût des aventures invraisemblables, des accidents multiplies et compliqués, des concours et des conflits de circonstances les plus étranges ; c’est là aussi qu’il a pris l’habitude de traiter les sentiments comme des thèmes oratoires et qu’il a constitué par conséquent les lieux communs de l’amplification romanesque. Ajoutons que, durant la même période, l’idée de la puissance du hasard (τύχη) s’était assise profondément dans les esprits. Une fois maîtresse des imaginations, elle les a mises en état d’accepter avec plaisir le spectacle d’événements incohérents, pourvu qu’ils donnassent lieu à des péripéties et à des coups de théâtre.

C’est avec ces trois éléments, amours d’élégie, conventions d’école, goût des péripéties, que s’est constitué le fonds du roman grec. Ces origines rendent raison de sa faiblesse native et de sa pauvreté. N’étant pas sorti de l’observation, il a manqué de réalité. Au lieu de s’attacher à l’étude de la vie et de la transporter dans des fictions qui en auraient mis en lumière certains aspects choisis, il n’a jamais fait que coudre les unes aux autres des aventures aussi monotones que compliquées et y mêler des discours d’amour, trop souvent fades et subtils. Il a eu, du drame, certains caractères extérieurs, le mouvement, les surprises, et il en a de bonne heure reçu le nom (δρᾶμα, δραματιϰόν). Mais ce qui donne au drame sa force, à savoir une action naturelle résultant des caractères, est précisément aussi ce qui lui a le plus manqué. Parfois seulement, certaines qualités de grâce et de finesse ont pu se faire jour dans ce genre faux et ont créé quelques œuvres aimables, dont une, par exception, s’est classée dans l’opinion de la postérité au rang des petits chefs-d’œuvre. C’est qu’une heureuse inspiration a rapproché alors la fiction de la réalité, et lui a communiqué un peu de cette vérité humaine, sans laquelle l’art littéraire n’est qu’un jeu de sophiste. Mais cela même ne semble pas avoir été le résultat d’une évolution régulière, d’un progrès normal, plus ou moins continu. L’histoire du roman grec semble, elle aussi, soumise aux caprices du hasard. Il est vrai que la chronologie en est mal fixée, que les éléments d’information sont encore très insuffisants, et que par suite cette histoire se réduit pour le moment a une ébauche assez confuse.

C’est vers le milieu du ier siècle de notre ère que se place l’apparition du premier ouvrage où se montrent réunis les caractères constitutifs du genre[75]. Cet ouvrage, dont un fragment a été retrouvé récemment en Égypte sur un papyrus, était une sorte de roman historique, composé au plus tard vers l’an 50 ap. J.-C., peut-être plus tôt, et qui avait pour sujet, semble-t-il, les amours de Ninus et de Sémiramis[76]. Bien que le fragment soit court, nous voyons que l’histoire y était traitée avec une extrême liberté. Ctésias, probablement, avait fourni à l’auteur une aventure d’amour ; il la développait à sa manière, en conversations, en descriptions, en récits. Ninus était pour lui un jeune garçon doué des meilleures qualités ; sa Sémiramis ne devait pas être une jeune fille moins accomplie. Sur cette donnée, on pouvait disserter, raconter, discourir, créer des incidents de toute sorte, en un mot mettre en œuvre tous les procédés de l’école, et c’est sans doute ce qu’il avait fait.

Au même temps, à peu près, semble appartenir le roman d’Antonius Diogène intitulé les Merveilles d’au-delà de Thulé (Τὰ ὑπὲρ Θούλην ἄπιστα), en 24 livres[77]. — La date en est déterminée approximativement par les faits suivants. Lucien, selon Photius, l’a imité dans son Histoire vraie ; il a donc été écrit au plus tard vers le commencement du second siècle[78]. D’autre part, le prénom romain de l’auteur ne permet pas de le faire remonter beaucoup au delà de l’ère chrétienne. Et, dans ces limites, la vraisemblance semble indiquer de préférence la fin du ier siècle, soit parce que l’auteur se montre en communion d’idées avec la forme du néopythagorisme dont Apollonios de Tyane est le représentant par excellence, soit parce que sa langue dénote déja l’influence de l’atticisme renaissant[79]. — Nous ne connaissons plus l’ouvrage que par le sommaire qu’en a donné Photius[80]. Son principal intérêt est de nous montrer le genre romanesque empruntant son cadre à la littérature des voyages fabuleux. Dire que le roman ait eu besoin de cet emprunt pour se constituer ne serait pas exact, puisque nous venons de le voir, vers le même temps, s’incorporer à l’histoire. Mais il est incontestable qu’un fond géographique et descriptif laissait plus de liberté au romancier qu’un fond historique. Donc l’œuvre de Diogène marque une date et ouvre une voie. Au reste, elle l’ouvre assez maladroitement. L’élément géographique et fabuleux y prédominait, comme le titre l’indique, sur l’élément psychologique. L’arcadien Dinias était censé y raconter un invraisemblable voyage autour du monde, non seulement jusqu’à Thulé, mais bien au delà vers le nord, jusqu’au voisinage de la lune. À ces fables se mêlaient mille aventures, notamment ses amours avec la tyrienne Derkyllis, dont les interminables malheurs, partagés par son frère Mantinias, étaient racontés tout au long. Selon Photius, l’auteur avait su prêter un air de vérité à ces inventions, que recommandaient en outre la clarté du style et l’agrément du récit. Par là, ce livre se faisait lire, malgré l’enchevêtrement des événements ; de plus, ajoute le même auteur, on avait la satisfaction d’y voir les méchants punis et les innocents justifiés. Curieux mélange, en somme, de morale et de magie, de rêveries mystiques et de fantastiques inventions.

La vraie nature du roman semble s’être dégagée plus nettement dans les Babyloniques de Jamblichos dont le texte malheureusement n’est pas venu jusqu’à nous[81]. Né en Syrie, et de race syrienne, l’auteur devint grec par l’effet de son éducation : il semble même avoir été professeur de rhétorique grecque. Dans son roman, il se donnait pour babylonien ; c’était un moyen, sans doute, d’avoir plus d’autorité dans les choses babyloniennes. D’après une notice biographique anonyme, il aurait été instruit de la langue, des mœurs et des traditions du pays de Babylone par un prisonnier de guerre qui fut son éducateur. Quelle est dans ces renseignements la part de la fiction ? nous l’ignorons : en fait, le récit qu’il a écrit ne demandait aucune information bien particulière[82]. Ce qui est certain par son propre témoignage, c’est qu’il le composa sous le règne de Marc-Aurèle, après la guerre des Parthes, par conséquent entre 166 et 180[83].

Le drame de Jamblichos n’a pas pour théâtre, comme celui d’Antonius Diogène, le monde entier. Ses personnages ne sortent pas de la région de l’Euphrate, et même la plus grande partie de l’action se passe aux environs de Babylone. Ainsi le roman chez lui ne se subordonne plus à la géographie descriptive ; mais si ça n’est plus un voyage autour du monde, c’est toujours une série de courses éperdues, à travers des aventures paradoxales. Toutefois, l’intérêt y est plus fortement concentré sur les personnages principaux, qui sont ici le jeune Rhodanès et la belle Sinonis, épris l’un de l’autre. Persécutés par le méchant roi de Babylone, Garmos, ils finissent, après mille épreuves, après des terreurs sans cesse renaissantes, par triompher de lui. Rhodanès devient même roi à sa place, conformément à une prédiction faite dans la première partie : car l’auteur a eu l’intention de conduire son récit, malgré la multiplicité des détours, à une fin prévue. Et c’est là un progrès réel. Il sembla aussi que la mise en valeur des sentiments y avait pris plus d’importance. L’auteur s’était servi de ses inventions pour éclairer les caractères. Sinonis, amoureuse de Rhodanès, était jalouse jusqu’à la fureur. Un fragment mutilé nous fait assister à une scène où le sage Soræchos cherchait en vain à calmer ses transports[84]. Par malheur, il y avait, chez Jamblichos, plus de désir de briller que de goût pour la vérité. Contemporain d’Hérode Atticus, il avait mis en œuvre toutes les ressources de la sophistique contemporaine[85]. C’est là, avec les scènes de magie, ce qui contribua le plus au succès de son livre. Les nombreuses citations de Suidas attestent qu’il demeura populaire jusqu’au xe siècle au moins.

Nouveau progrès avec Xénophon d’Éphèse[86], qui semble appartenir au iiie siècle. Si nous étions plus sûrs des dates, c’est à ce moment, et par le fait de cet écrivain, que nous pourrions considérer le genre comme définitivement constitué. Malheureusement, la seule raison qu’on ait de croire que Xénophon a écrit au iiie siècle, c’est que, d’une part, les caractères de son style et de son œuvre ne permettent guère de le faire remonter plus haut, et que, d’autre part, il paraît ignorer la destruction du temple d’Éphèse, qui eut lieu sous Gallien, en 263. Rien de tout cela n’est bien probant ni bien précis, même en ajoutant qu’il semble avoir mis à profit l’œuvre de Jamblichos, et qu’il a été imité à son tour par Héliodore et par Chariton, ainsi que par Aristénète[87].

Son roman est intitulé Récits éphésiens relatifs à Anthéia et à Habrocomès (Κατὰ Ἄνθειαν ϰαὶ Ἁϐροϰόμην Ἐφεσιαϰοὶ λόγοι), ou, par abréviation, les Éphésiaques, (Ἐφεσιαϰά)[88]. Il a pour sujet les amours du bel Habrocomès d’Éphèse et de la jeune Anthéia, ou plutôt les tristes aventures qui les séparent aussitôt après leur mariage et qui ne prennent fin qu’avec le roman lui-même. Ces aventures, en elles-mêmes, sont analogues à celles qui remplissaient les Babyloniques ; mais voici la nouveauté du livre. D’abord, elles ne se passent ni dans des pays lointains ni dans un temps fabuleux. Le lieu de la scène est le littoral de la Méditerranée, Ionie, Rhodes, Chypre, Cilicie, Syrie, Égypte, Sicile et Grande Grèce. Le temps, sans être strictement déterminé, est celui de l’empire romain ; l’administration impériale apparaît çà et là. À un monde fabuleux a donc succédé le monde réel. En outre, si les événements continuent à se produire au hasard, du moins il y a effort pour resserrer le lien moral des situations, en donnant plus d’importance aux volontés des personnages principaux. Habrocomès, avant son mariage, a offensé Éros par ses dédains ; la colère du dieu le poursuit, tandis qu’Apollon, Artémis et Isis prêtent leur appui aux deux victimes. Puis, les deux jeunes époux se sont juré l’un à l’autre de se rester fidèles, quoi qu’il arrive ; et la plupart des dangers qu’ils courent résultent précisément de l’observation volontaire de ce serment. Par là, un intérêt plus vif s’attache à eux : ce ne sont pas simplement des jouets de la destinée, ce sont des cœurs passionnés, qui obéissent à des sentiments nobles et profonds. Il y a d’ailleurs, dans le récit, sinon des portraits vivants, du moins certaines esquisses assez nettes. Si l’auteur avait su serrer de plus près la réalité, le roman de mœurs eut été créé. Mais il lui manquait pour cela la puissance qui donne la vie. Son récit, léger, rapide, d’un tour assez élégant, est superficiel jusqu’à la sécheresse. Il n’approfondit rien, ne détache rien avec vigueur. Dans l’expression même de sentiments vrais et touchants, il se contente des conventions faciles de l’école. En cela, bien qu’il s’exprime dans un langage souvent négligé, qui n’est ni attique ni même classique[89], Xénophon est sophiste de tradition ; son plus grand mérite, comme écrivain, consiste à éviter la prolixité vide, trop commune en ce siècle.

Du même temps à peu près semble dater le roman anonyme d’Apollonius de Tyr, qui a fait, comme on le sait, brillante fortune à travers le moyen âge et jusqu’aux temps modernes[90]. Le texte grec en est perdu ; et nous n’en possédons plus qu’une traduction en latin vulgaire, du vie siècle probablement, qui l’a sensiblement altéré en lui donnant une couleur chrétienne[91]. Le sujet est une série d’aventures merveilleuses dont le héros est un jeune prince tyrien, nommé Apollonius, qui voyage, résout des énigmes, échappe à mille dangers, épouse la fille d’un roi de Cyrène, puis la croit morte et fait jeter son corps à la mer dans un coffre, perd aussi sa fille Tharsia, la retrouve, bien des années après, en Ionie ainsi que sa femme, et finalement devient roi d’Antioche, de Tyr et de Cyrène. Plusieurs détails semblent empruntés aux Éphésiaques, ou dérivés de source commune[92]. En outre, on est frappé d’une certaine ressemblance générale, qui tient soit à la nature des événements et au théâtre de l’action, soit à la forme sèche et superficielle du récit. Mais les motifs moraux y sont moins nets, moins prédominants, et l’action est de nouveau située en un temps vague, dans une societé quelconque. Si donc le roman d’Apollonius est postérieur aux Éphésiaques, on ne peut pas dire qu’il marque un progrès du genre, malgré son succès, dû en grande partie au merveilleux plus ou moins pathétique dont il abonde. L’œuvre la plus considérable qu’ait produite dans la littérature grecque l’imagination romanesque est celle d’Héliodore, intitulée les Éthiopiques (Αἰθιοπιϰά) ou Théagène et Chariclée, en dix livres. Il n’en est d’ailleurs aucune où se découvre mieux, sous des qualités réelles, et en raison même de ces qualités, l’impuissance radicale de ce temps à dégager le principe de vérité qui seul aurait pu donner au roman une solide valeur.

L’auteur s’est nommé lui-même à la fin de son livre : « Héliodore, phénicien, d’Émèse, de la race du soleil, fils de Théodose »[93]. Selon l’historien Socrate, qui écrivait dans la première moitié du ve siècle, « on disait » que cet Héliodore n’était autre qu’un évêque de Tricca en Thessalie, auquel il attribue l’origine d’une coutume propre à cette province[94]. La forme même de ce témoignage ne permet pas d’en faire grand cas. De nos jours, Rohde a démontré qu’il devait être absolument rejeté : le syrien Héliodore ne peut avoir rien de commun avec le chrétien en question[95]. Retenons donc seulement, du dire de Socrate, qu’il a écrit nécessairement avant la fin du ive siècle. Mais son œuvre, comme Rohde l’a fait voir, a une couleur néo-pythagoricienne, qui convient surtout au siècle où la Vie d’Apollonios de Tyane par Philostrate était lue avec dévotion[96]. On peut ajouter qu’on y sent aussi l’influence de cette sorte de religion homérique qui se manifestait si curieusement dans l’Héroïque de Philostrate de Lemnos[97]. En outre, quoique l’auteur transporte l’action au temps où l’Égypte était une province perse, l’idée qu’il nous donne de l’Éthiopie, la mention des Axiomites, alliés de ce royaume, semblent se rapporter à l’état de choses que nous laisse entrevoir l’histoire dans la seconde moitié du iiie siècle. Ainsi enfin s’expliquerait la prédominance qui est donnée dans l’œuvre tout entière à la religion du soleil, fort en honneur, comme on le sait, au temps de l’empereur Aurélien (270-275).

Le fond du roman est l’histoire d’une jeune princesse d’Éthiopie, abandonnée dès sa naissance par sa mère, la reine Persina. Transportée à Delphes et, là, élevée par le grec Calliclès sous le nom de Calliclée, elle s’éprend du beau thessalien Théagène ; tous deux s’engagent l’un à l’autre. Pour obéir à un oracle, ils quittent Delphes sous la conduite du sage égyptien Calasiris, et, après plusieurs aventures, sont jetés par un naufrage en Égypte, aux bouches du Nil. Là, ils deviennent vraiment le jouet de la fortune. Nous les voyons aux mains des pâtres-brigands, ou Boucoles, établis dans les marais du Delta ; puis à Memphis ; tantôt rapprochés, tantôt séparés ; exposés à de terribles dangers, surtout par suite de la passion qu’Arsace, femme du satrape d’Égypte, Oroondatès, conçoit pour Théagène. Ils y échappent pourtant et arrivent en Éthiopie, où règnent les parents de Calliclée, le roi Hydaspe et la reine Persina ; mais ils y arrivent prisonniers et inconnus ; et c’est seulement lorsqu’ils vont être immolés au soleil que la reconnaissance attendue a lieu. Tout se termine par le mariage des deux fiancés, qui ont su se conserver purs jusque-là, et qui reprennent alors leur rang.

Si cet étrange tissu d’aventures manque absolument de vraisemblance intime et de liaison naturelle, on ne peut nier qu’il ne se recommande d’ailleurs par plus d’un mérite. L’ampleur du développement et la variété des épisodes s’y concilient avec une habileté de composition que nous n’avions pas encore rencontrée dans ce genre. Non seulement l’auteur nous jette dès le début in medias res, mais, jusqu’à la fin, il sait soutenir l’intérêt, nouer et dénouer des qu’ils qui s’entrecroisent, et il conduit des événements compliqués de façon à nous donner l’impression d’une marche continue vers le dénouement ; ce qui ne l’empêche pas d’y introduire, quand il le juge bon, d’adroites péripéties, qui rejettent tout à coup son lecteur dans l’inquiétude. Il a en outre le don de décrire et d’animer. Que l’on compare à cet égard ses personnages à ceux de Philostrate dans la Vie d’Apollonios, sa supériorité est éclatante. Il est vrai que ses deux héros, Théagène et Chariclée, sont les moins vivants de tous, car ils n’ont presque rien de personnel. Mais, chez ses personnages secondaires, les traits intéressants ne manquent pas. Le sage Calasiris, le brigand Thyamis, surtout l’ardente et impérieuse Arsace, se détachent avec un certain relief sur le fond du récit. Et cette même imagination, qui les anime, apparaît aussi dans la représentation d’un grand nombre de scènes et dans mainte description. Les tableaux d’ensemble, les cortèges, les cérémonies sont traités avec une habileté de main qui a son prix. Mais, il faut bien le dire, ce sont justement ces qualités qui accusent la faiblesse constitutive de l’œuvre et, par suite, le vice du temps. L’imitation, le convenu, les habitudes de l’école ont étouffé chez Héliodore une originalité qui peut-être, en un autre siècle, aurait pu se développer. Sans cesse, il se souvient, au lieu d’observer, et il copie, au lieu de créer. Son roman est plein de réminiscences d’Homère et des tragiques ; il est plein aussi des lieux communs de la sophistique. Rien n’y est traité avec le goût simple de la vérité. Une fausse élégance, une fausse poésie, un faux idéalisme, une fausse sensibilité, voilà ce qui enveloppe tout. Et le style lui-même a ce caractère, de manquer profondément de sincérité ; il est, pour ainsi dire, entre la poésie et la prose, artificiellement fabriqué avec des souvenirs, avec des éléments épiques et des éléments attiques, auxquels se mêlent, çà et là, des solécismes et des barbarismes, dus sans doute à l’origine syrienne de l’auteur.


Après Héliodore, l’histoire du roman grec se continue pour nous, — faute sans doute de beaucoup d’œuvres disparues, — par les récits d’Achille Tatios et de Chariton de Lampsaque[98]. Le temps où ils ont vécu l’un et l’autre ne peut plus être surement déterminé ; mais on incline à les rapprocher plutôt du ve siècle que du iiie. Comme d’ailleurs le roman, entre leurs mains, peut passer pour le prélude du roman byzantin, nous réservons l’étude très sommaire de leurs œuvres pour le chapitre ou nous jetterons un coup d’œil sur la dernière époque de l’hellénisme. — Au contraire, la pastorale de Longus, bien que nous n’en connaissions pas mieux la date, procède d’un effort de création qui la rapproche des œuvres dont nous venons de nous occuper. Mieux vaut ne pas l’en séparer dans notre étude.

Par ses origines, la pastorale romanesque se rattache à l’idylle bucolique des Alexandrins. Elle a dû naître des souvenirs de Théocrite, de Bion et de Moschos ; et, en un certain sens, elle peut être considérée comme une résurrection de ce genre disparu, sous la forme nouvelle d’un récit en prose. La période de l’empire, par suite du développement de la vie urbaine, avait vu, dès ses débuts, se ranimer le goût des fictions rustiques. La philosophie du temps, détachée par principe du luxe et des habitudes mondaines, secondait ce mouvement spontané des esprits. Musonius, au premier siècle, recommandait l’agriculture et le séjour aux champs comme la meilleure vie et la plus saine. Dion de Pruse, un peu plus tard, se plaisait, dans son Euboïque, à peindre les mœurs pures et simples de deux familles isolées au milieu des bois et vivant la de la chasse ou du travail de la terre. Naturellement, les purs littérateurs, toujours à l’affût de la mode, suivaient. Alkiphron vers le milieu du second siècle, Élien, au début du troisième, composaient des lettres de campagnards. La sophistique mettait au nombre de ses exercices, soit les lettres de ce genre, soit les descriptions de sites pittoresques. À quel moment au juste entreprit-on pour la première fois de transporter cette mode dans le roman ? nous l’ignorons. Pour nous, l’œuvre de Longus est à la fois la première et la dernière de son espèce, et nous ne savons même pas quand elle fut composée.

L’auteur semble avoir été un sophiste, originaire de Lesbos[99]. On a cru pouvoir conjecturer, sans preuve bien solide d’ailleurs, qu’il a fait quelques emprunts à Alkiphron et qu’il a été imité à son tour par Achille Tatios[100] ; ce qui le placerait après le second siècle et avant le cinquième. Son œuvre, intitulée Daphnis et Chloé (Τὰ ϰατὰ Δάφνιν ϰαὶ Χλόην), comprend quatre livres. Bien que la célébrité de l’ouvrage ne doive pas nous en faire exagérer la valeur réelle, cette célébrité est loin d’être entièrement imméritée, et elle demande à être expliquée. Ce qu’on ne peut refuser à Longus, c’est d’avoir mieux discerné qu’aucun autre romancier grec la vraie nature du roman. Au lieu d’en faire un récit d’aventures, chargé d’incidents et de coups de théâtre, et d’en promener l’action de pays en pays, il l’a conçu comme une peinture de mœurs et de sentiments, presque dénuée d’événements, et enfermée dans un même lieu. Innovation excellente. À vrai dire, cela lui était à peu près imposé par la nature même de son sujet : la pastorale est essentiellement sédentaire ; si les bergers qu’elle met en scène voyageaient, ce ne seraient plus des bergers, et le récit cesserait par là même d’être une représentation de la vie rustique. Le cadre enchaînait donc le narrateur, et ce fut pour lui un grand bonheur.

Au lieu de décrire des pays inconnus et des merveilles de convention, Longus nous met sous les yeux la campagne de Lesbos, aux environs de Mytilène : des champs, des bois, des montagnes, une grotte avec une source consacrée aux Nymphes, et le rivage de la mer. Ses descriptions ont beau être prétentieuses et maniérées, elles sont cependant prises dans la réalité ; et ce qu’il y a en elles de vérité rachète leur élégance apprêtée. L’auteur a de l’imagination : il voit les choses, il s’entend à les grouper et à en dégager l’impression poétique. Chacune des saisons, qui forment comme les actes de son drame, est finement caractérisée ; il sait en noter non seulement l’aspect et le décor, mais l’influence morale, pour ainsi dire, c’est-à-dire la manière dont elle modifie l’action secrète que la nature exerce sans cesse sur l’homme. Les scènes champêtres qu’il invente, ou qu’il imite, ont un charme réel. Ce sont de toutes petites choses, mais qui plaisent. Il nous intéresse à la construction d’un piège à sauterelles préparé par Chloé, à l’accident de Daphnis tombé dans une fosse à loup, à la vendange, à la tristesse de l’hiver qui sépare les jeunes amants, à la description d’une maison de paysan où l’on fait bon feu pendant que le vent glacé souffle au dehors, à la simple peinture de deux vieux arbres revêtus de lierre, abri hospitalier où les merles et les grives se réfugient en foule, tandis que le sol est couvert de neige. Tout cela est précis, vivant, amusant. Les événements proprement dits sont loin de valoir ces jolis tableaux de genre. L’enlèvement de Daphnis par les pirates, sa délivrance miraculeuse par le dieu Pan, la guerre entre Mytilène et Méthymne ne peuvent guère passer que pour de médiocres inventions. Mais ces événements sont peu de chose dans le récit, et ils n’en altèrent pas le caractère général.

Sur ce fond de réalité, les sentiments aussi devaient nécessairement se rapprocher de la vérité. Par malheur, c’est ici que le défaut capital de l’œuvre apparaît. Le vrai sujet était la peinture d’un amour ingénu qui naît et se développe ; et ce sujet, délicatement traité, était charmant. Mais rien n’est plus difficile à peindre que l’ingénuité pour qui en manque absolument. Comment un sophiste, même heureusement doué, n’aurait-il pas gardé toujours et partout ses habitudes de raffinement ? C’en était assez pour tout gâter. En outre, ce qui semble avoir le plus tenté Longus dans la peinture qu’il entreprenait, c’est, il faut bien l’avouer, son côté scabreux. Sans doute, le trouble des sens, les désirs obscurs et inquiets y avaient leur place marquée ; mais il ne convenait ni qu’ils fussent sans cesse au premier plan, ni surtout que l’auteur conduisît ses deux personnages, de l’ignorance à la pleine connaissance, par une série méthodique d’initiations graduées. Là est le vice intime de son œuvre, ce qui en fait un livre suspect, et ce qui lui a valu auprès de ses nombreux lecteurs un succès d’assez mauvais aloi. Vice moral et vice littéraire, en même temps. Car non seulement l’auteur s’arrête avec complaisance à des scènes libertines, mais il prête simultanément à ses héros une ignorance prolongée et une curiosité incessante qui sont contradictoires. Nous sentons qu’il y a, dans ces inquiétudes qui s’analysent si savamment, dans ces plaintes raffinées, et surtout dans ces recherches malsaines, quelque chose de faux, qui a la prétention d’imiter la nature et qui en réalité la sophistique[101]. La traduction d’Amyot, revue par Paul-Louis Courier, a bien pu atténuer pour les lecteurs français les défauts du style de l’original, lui prêter une apparence de naïveté et de simplicité qui est très éloignée de son vrai caractère ; elle ne fait pas disparaitre cette tare native, qui est la marque d’un âge de décadence.

V

La poésie du iiie siècle, si pauvre qu’elle soit, ne peut pas être ici entièrement passée sous silence. Mais c’est lui faire toute la part qu’elle mérite que de la caractériser en quelques mots. Dans tous les genres, elle continue très obscurément celle du siècle précédent, sans rien innover, sans rien rajeunir, vide d’idées et de sentiments, dénuée d’imagination, et, bien souvent, n’ayant plus même pour elle la correction ni l’élégance de la forme.

Divers témoignages nous font entrevoir d’abord une poésie officielle, qui a pour centre Rome, pour sujet l’éloge des empereurs, vivants ou morts, ou encore la célébration des événements qui les touchent. C’est ainsi que la vie de Septime-Sévère, et en particulier son expédition contre les Parthes, avait été racontée en détail dans divers poèmes pseudo-historiques, dont nous ne connaissons même plus les auteurs[102]. Vers le même temps, Gordien, le futur empereur, composait, tout jeune encore, un poème épique en trente livres, intitulé l’Antoniniade, où il retraçait la vie d’Antonin le Pieux et celle de Marc-Aurèle[103]. Le cercle lettre de l’impératrice Julia Domna, dont nous avons parlé, ne goûtait pas moins la poésie que l’éloquence : on a vu que le poème des Cynégétiques, du second Oppien, lui fut dédié. Ce goût se perpétue à travers tout le iiie siècle. L’empereur Gallien, d’après Trebellius Pollion, non seulement favorisait la poésie, mais il la cultivait lui-même ; quand il célébra le mariage de ses neveux, nous dit ce biographe, tous les poètes « grecs et latins » de la cour composèrent des épithalames, et lui-même récita des vers dont il était l’auteur[104].

Le drame semble avoir complètement disparu. C’est vers la fin du iiie siècle, probablement, qu’on a cessé de jouer les tragédies classiques. Philostrate de Lemnos, dans ses Tableaux, remarque encore, à propos de l’Hercule furieux d’Euripide, qu’on peut le voir souvent sur la scène[105]. Mais, cent ans plus tard, Libanios attestera que la tragédie a quitté le théâtre et est désormais confinée dans l’école[106]. C’est donc entre ces deux dates qu’elle a cessé d’être jouée en public. Et non seulement on ne la joue plus, mais on ne l’imite même plus. Nous ne connaissons aucune œuvre de forme dramatique qui puisse être rapportée à ce temps, après les « tragédies » d’Œnomaos de Gadara, dont il a été question plus haut.

Les seuls genres qui subsistent sont l’épopée mythologique, la poésie didactique, et certaines formes de poésie lyrique.

L’épopée mythologique paraît avoir été spécialement exploitée par les érudits. Sous Septime-Sévère, le lycien Nestor, de Laranda, compose des Métamorphoses, dont il ne reste rien, et il réalise en outre le tour de force inepte de refaire une Iliade, en éliminant successivement de chacun des vingt-quatre chants la lettre de l’alphabet qui en marquait le numéro d’ordre (Ἰλιὰς λειπογράμματος)[107]. Un peu plus tard, son fils, Pisandre, sous Alexandre Sévère, met en vers tout un cycle mythologique en soixante livres, qu’il intitule Théogamies héroïques, c’est-à-dire unions des dieux et des mortelles, des déesses et des héros[108]. — Vers le milieu du siècle, un poète dont Porphyre seul nous a conservé le souvenir, Zoticos, ami de Plotin et critique de profession, après avoir donné une édition d’Antimaque, versifiait la légende de l’Atlantide « très poétiquement »[109]. — Mais, en ce genre, le mieux doué paraît avoir été l’égyptien Sotérichos, de la ville d’Oasis, qui, toute la fin du même siècle ou peut-être dans les premières années du suivant, sous Dioclétien, composa toute une série de poèmes[110]. Suidas cite de lui un Éloge de Dioclétien, une Histoire de Panthéa la Babylonienne, une Ariane, un Poème d’Alexandre, où était racontée la prise de Thèbes[111]. Il faut ajouter à cette liste des Calydoniaques et un Poème sur Oasis[112] mais sa grande œuvre paraît avoir été un poème mythologique, les Bassariques, en quatre livres, où il développait la légende de Dionysos[113]. C’est peut-être à ce poème perdu que Nonnos a dû la première idée de ses Dionysiaques, et, s’il en est ainsi, Sotérichos doit être associé en quelque mesure à l’honneur de la renaissance poétique dont Nonnos sera le chef.

La seule composition en vers, qui soit venue jusqu’à nous, entre celles qu’on peut rapporter à ce temps, est un poème didactique sans valeur littéraire, relatif à la divination. Ce poème, qui porte le nom de Manéthon et qui a pour titre Ἀποτελεσματιϰά, développe en six livres une série de règles astrologiques ; assemblage confus, dont la plus grande partie, tout au moins, semble trahir une origine à peu près contemporaine d’Alexandre Sévère, tandis que d’autres parties appartiennent au ive siècle[114].

La poésie lyrique n’est plus représentée au iiie siècle par aucun nom important. Ce n’est pas à dire qu’elle eut cessé d’exister. Elle se perpétuait certainement entre les mains d’amateurs aujourd’hui inconnus, inventeurs oubliés de poèmes anacréontiques dont les œuvres figurent peut-être dans le recueil dont il sera question plus loin, épigrammatistes noyés dans les anthologies, ou encore auteurs d’odes de circonstance qui ont péri. Philostrate, dans une de ses lettres (Epist. 71), recommande à un ami riche et puissant un certain poète Celse, qui avait raconté toute sa vie dans des chansons d’amour, « comme font, dit-il, les naïves cigales ». Il a pu se rencontrer beaucoup de cigales de cette sorte dans le courant du iiie siècle ; nous ne perdrons pas notre temps à leur faire la chasse.

VI

En face de la littérature frivole, nous avons vu se constituer, dès le siècle précédent, une littérature historique et philosophique, qui, sans atteindre à une originalité supérieure, nous a paru cependant l’emporter par le sérieux, la sincérité, le goût de la raison. Cette antithèse se continue à travers tout le troisième siècle, à peu près dans les mêmes conditions. Et, là aussi, nous rencontrons, dans l’histoire et dans la philosophie, des esprits sains, vraiment dignes d’estime.

La bonne tradition historique, en particulier, qui avait été si heureusement renouvelée, au temps de Trajan, d’Adrien et des Antonins, par Plutarque, par Arrien, par Appien, est alors représentée par un Dion Cassius, un Hérodien, un Dexippos. C’est un plaisir d’opposer aux creuses inventions des sophistes leurs œuvres sensées et instructives. Comme Arrien et comme Appien, tous trois sont des hommes d’affaires, qui se sont formés dans la vie pratique, et dont l’esprit, au lieu de se remplir de chimères, s’est appliqué de bonne heure aux réalités.

Dion Cassius (Cassius Dio Cocceianus) nous est surtout connu, quant à sa vie, par ce qu’il a dit de lui-même[115]. Né à Nicée, en Bithynie, un peu avant 155[116], il se rattachait par ses origines au philosophe Dion Chrysostome, de Pruse. Sa famille était des premières de la province. Son père, Cassius Apronianus, fut gouverneur de Dalmatie et de Cilicie sous Marc-Aurèle[117] ; élevé par lui, le jeune Dion s’habitua de bonne heure à voir de près le fonctionnement de l’administration romaine, et il recueillit de sa bouche quantité de renseignements qu’il ne manqua pas d’utiliser plus tard[118]. Il dut venir à Rome dans les dernières années du règne de Marc-Aurèle, car il était déjà sénateur en 180, lorsque Commode prit le pouvoir[119]. Durant les treize années de son règne, il vécut à Rome, où il parut devant les tribunaux, comme accusateur ou comme défenseur[120]. Il eut ainsi l’occasion de connaître presque tous les hommes qui jouaient ou avaient joué un rôle dans les affaires de l’État, et il fut lui-même le témoin des folies du fils de Marc-Aurèle. Ami de Pertinax, il fut de ceux qui le saluèrent empereur en 193. Pertinax le désigna pour la préture, qu’il n’exerça qu’en 194[121]. Déjà, il avait publié un livre Sur les songes et les pronostics (Περὶ τῶν ὀνειράτων ϰαὶ τῶν σημείων) ; Septime-Sévère, alors simple général, l’ayant lu, y avait trouvé des raisons de croire à sa grandeur future, et avait écrit à l’auteur pour le complimenter[122]. Des relations amicales s’étant ainsi établies entre eux, l’avénement de Sévère (à la fin de 193) fut une bonne fortune pour Dion. Il exerça alors sa préture (194) ; et c’est à ce moment qu’il se fit historien.

Un songe lui avait révélé sa vocation[123]. Il écrivit d’abord l’histoire du règne de Commode, et il la soumit à Sévère : l’approbation et les encouragements de l’empereur le décidèrent à étendre son plan ; il entreprit d’écrire toute l’histoire de Rome, depuis les origines jusqu’à son temps. Il mit dix ans à en rassembler les matériaux, de 200 à 209 probablement, puis douze ans à les mettre en ordre et à les rédiger. La plus grande partie de son ouvrage, jusqu’à la mort de Septime-Sévère en 211, était donc achevée vers 221, un peu avant l’avénement d’Alexandre Sévère[124]. Les dix-neuf années du règne de Septime-Sévère ne lui avaient pas apporté de charges nouvelles. Soit que les dispositions de l’empereur à son égard fussent devenues moins favorables depuis qu’il s’était pris d’admiration pour Commode, soit que Dion préférât se donner tout entier à un travail qui devait immortaliser son nom, il semble avoir passé tout ce temps dans une sorte de retraite, tantôt à Rome même, tantôt en Campanie, à Capoue[125]. Sous Caracalla (211-217), il se vit obligé d’accompagner l’empereur dans plusieurs de ses expéditions, sans profit pour son avancement[126]. Macrin, en 218, le nomma commissaire impérial à Smyrne et à Pergame[127] ; fonction qu’il dut exercer pendant plusieurs années. Quand il la quitta, ce fut pour rentrer dans son pays, en Bithynie, où la maladie le retint quelque temps[128]. Mais justement alors, la fortune lui redevenait plus favorable, peut-être par suite de l’influence nouvelle d’Alexandre Sévère adopté en 221 par Élagabale, et de sa mère, Mammæa. Il dut être honoré vers ce temps d’un premier consulat ; bientôt après, il était appelé au gouvernement de la province d’Afrique, vers 224. Sa fermeté et son intelligence le désignèrent pour une situation plus difficile : il passa du gouvernement de l’Afrique à celui de la Dalmatie et de la Pannonie supérieure[129], où sa sévérité le fit redouter des légions. De retour à Rome, il faillit périr avec Ulpien dans une sédition des prétoriens[130]. Alexandre Sévère réussit à le sauver, et le désigna pour être son collègue dans un second consulat, en 229 ; en même temps, toutefois, il l’éloignait de Rome, par prudence. Dion revêtit donc sa charge en Campanie, ce qui ne l’empêcha pas de venir se montrer à Rome, quelques jours au moins, en qualité de consul ; mais il était vieux et infirme ; il obtint la permission de se retirer dans son pays, en Bithynie, où il passa ses dernières années[131]. Ce fut alors qu’il reprit son œuvre interrompue et conduisit son histoire au moins jusqu’à la date de son second consulat, sous une forme d’ailleurs plus rapide. Il dut mourir entre 230 et 240, âgé d’environ quatre-vingts ans. Outre son grand ouvrage, Suidas lui en attribue plusieurs autres, qui semblent n’en être que des parties détachées, et une Vie du philosophe Arrien, sur laquelle nous ne possédons aucun autre témoignage.

L’Histoire romaine (Ῥωμαϊϰὴ ἱστορία) comprenait quatre-vingts livres, répartis d’après Suidas en huit décades. Elle nous est parvenue fort mutilée. Vingt-quatre livres seulement (de XXXVI à LX) subsistent dans les divers manuscrits. Ils embrassent l’importante période qui va de l’an 68 avant J.-C. à l’an 47 de l’ère chrétienne, c’est-à-dire la fin de la république, les règnes entiers d’Auguste, de Tibère, de Caligula, et les premières années de celui de Claude. De plus, un manuscrit unique (Vatic. 1288) nous a conservé des parties mutilées des livres LXXVIII et LXXIX, relatifs aux règnes de Caracalla, de Macrin et d’Élagabale. Enfin, des fragments des trente-cinq premiers livres ont été retrouvés dans les extraits rassemblés par les soins de l’empereur Constantin Porphyrogénète. Voilà tout ce qui reste de l’œuvre originale. Pour suppléer à ce qui manque, nous avons surtout l’abrégé qui fut rédigé dans la seconde moitié du xie siècle par le moine Jean Xiphilinos de Constantinople. Par malheur l’exemplaire dont se servait Xiphilinos était déjà incomplet. L’abrégé ne commence qu’au livre XXXV, et il laisse de côté certaines parties (le règne d’Antonin le Pieux et les dix premières années de Marc-Aurèle) qui manquaient à l’abréviateur. Il faut recourir, pour y suppléer, soit à l’Histoire abrégée composée au xiie siècle par Jean Zonaras, qui a mis grandement à profit l’ouvrage de Dion Cassius[132], soit à quelques autres compilateurs byzantins, qui l’ont également utilisé.

Quel fut au juste le dessein de Dion lorsqu’il entreprit cette œuvre immense ? C’est ce qu’il est difficile aujourd’hui de déterminer avec certitude, car nous n’en possédons plus le début, où l’on doit supposer qu’il s’expliquait sur ses intentions. Mais il semble bien, à vrai dire, qu’il ne se soit formé aucune conception originale du rôle de l’historien. Il ne se propose de suivre spécialement ni l’histoire du développement de la puissance romaine, ni celle des institutions ou des mœurs, ni enfin celle des idées. Il n’a voulu que refaire ce qu’on avait fait avant lui, avec la prétention de faire mieux. Ce mieux, dans sa pensée, consistait à la fois en une information plus étendue et en une narration plus vivante. Alors même qu’il n’aurait pas parlé de son travail de préparation, prolongé pendant dix ans, nous en devinerions le sérieux et la durée, rien qu’à voir la solidité de son récit. Toutefois, dans cette préparation même, il n’a rien changé aux méthodes traditionnelles. Il a lu avec soin, comparé, critiqué les uns par les autres les historiens des différents âges de Rome, les Latins tels que Varron, Salluste, César, Asinius Pollion, Tite-Live, quoiqu’il les nomme peu ou point, sans doute aussi les Grecs, tels que Polybe, Denys d’Halicarnasse ; mais il ne paraît pas être remonté jusqu’à leurs sources ni avoir cherché à les compléter ou à les corriger par l’étude des mémoires, des correspondances, des archives, des monuments. L’enquête historique n’a donc fait entre ses mains aucun progrès. Elle est de valeur moyenne, précieuse encore pour nous par l’abondance et le bon choix des détails, mais bien moins curieuse et suggestive que celle de Plutarque par exemple. Le souci de l’exactitude, chronologique et géographique, atteste la conscience de l’auteur. Dans la dernière partie de son ouvrage, très mutilée, Dion parlait, souvent en témoin, des choses qui s’étaient passées de son temps. Ce qu’il en dit présente un intérêt particulier. Mais cela est exceptionnel. D’ailleurs, Dion a de véritables faiblesses d’esprit : les songes et les présages deviennent pour lui des événements graves, et il en multiplie les relations jusqu’au ridicule. En dehors de cela même, son esprit, naturellement judicieux, manque de hauteur et de pénétration. Il ne sait ni s’élever librement au-dessus des préjugés et des partis pris, ni embrasser l’ensemble d’une époque ou le rôle total d’un homme d’État, ni dégager les grands traits d’une figure historique. Son récit est sensé, substantiel, instructif, d’une exactitude générale très probable ; on se dit, en le lisant, qu’on n’est pas trompé ; mais on n’a pas le sentiment d’être pleinement et vivement éclairé sur beaucoup de choses obscures qui seraient pourtant importantes à connaître.

Comme il fallait en ce temps qu’on imitât toujours un des grands auteurs classiques, Dion avait pris Thucydide pour modèle[133]. Nous venons de voir de combien il s’en est fallu qu’il lui ressemblât dans la partie scientifique de sa tâche. On ne peut pas dire qu’il soit beaucoup plus près de lui comme écrivain. Ses qualités littéraires semblent pourtant avoir été très estimées de ses contemporains et des lettrés des siècles suivants. Photius loue la noblesse de son style, le choix de ses expressions, la construction savante de ses périodes et leur rythme, la clarté générale de son langage ; et ces éloges ne sont pas entièrement immérités. Dion, préparé par une éducation littéraire très soignée, s’est appliqué à écrire dans une langue classique, sans recherche sophistique et sans affectation d’atticisme[134]. L’allure générale de son récit est simple : on le lit sans effort, souvent même avec plaisir. Mais, au fond, son art n’a rien de vraiment distingué. Des narrations monotones, sans traits vigoureux, sans vivacité, sans imagination ; des réflexions quelquefois insignifiantes, toujours dépourvues d’accent et de relief ; une certaine sécheresse, qui se fait sentir partout. Comme Thucydide et les historiens classiques, il insère fréquemment des harangues dans son histoire. Plusieurs de ces compositions ne sont pas sans mérite : on cite, comme intéressants pour l’historien, les deux longs programmes d’administration qu’Agrippa et Mécène sont censés développer devant Auguste au livre LII. Mais en général ces morceaux de prétendue éloquence sont singulièrement fastidieux. Dion n’a aucunement le sens dramatique qui donne la vie aux personnages. Il n’a ni assez de philosophie pour dégager les idées essentielles d’une situation, ni assez d’art pour les mettre en valeur. Faute de ces qualités, ses harangues, décolorées et prolixes, ne sont trop souvent que des hors-d’œuvre.


Moins connu aujourd’hui que Dion, Hérodien lui est au moins égal en mérite, quoique son œuvre n’ait ni la même étendue, ni la même importance historique[135]. Nous voyons, par son propre témoignage, qu’il était déjà en âge d’observer à la mort de Marc-Aurèle en 180, et qu’il vécut au delà de 250. On peut donc circonscrire approximativement sa vie entre 165 et 255. Nous ignorons son pays ; mais il est certain qu’il se regardait comme chez lui en Italie[136]. Il déclare avoir exercé des charges impériales ou publiques, ce qui donne à penser qu’il dut être quelque chose comme avocat du fisc ou procurateur impérial, et qu’il parvint peut-être ensuite à de plus hautes charges, mais sans parcourir la carrière des honneurs[137]. Son œuvre atteste qu’il reçut une éducation littéraire des plus soignées. Il semble avoir entrepris d’écrire lorsqu’il était déjà âgé, vers 250, avec l’intention d’embrasser dans son récit les soixante-dix ans qui s’étaient alors écoulés depuis la mort de Marc-Aurèle[138]. En réalité, il ne dépassa pas l’année 238, date de l’avènement de Gordien III.

L’ouvrage d’Hérodien est proprement une histoire des successeurs de Marc-Aurèle (Τῆς μετὰ Μάρϰον βασιλείας ἱστορίαι) ; elle comprend huit livres, division qui est marquée par l’auteur lui-même. Son dessein, il nous le dit, a été de raconter les actes des empereurs dont il avait eu connaissance directement[139]. C’était donc la personne des souverains qu’il avait en vue plus que les destinées de l’empire ; et, en fait, son ouvrage a un caractère biographique, qu’on est on droit de regretter sans doute, puisqu’il exclut beaucoup de choses des plus intéressantes, mais qui semble avoir été voulu par l’auteur. Quant à la sincérité dont il fait profession avec quelque emphase dans sa préface, elle paraît réelle[140]. Hérodien a eu sans doute ses préjugés, il a pu se tromper dans certaines appréciations, mais il semble avoir recherché loyalement la vérité. Il mentionne souvent ceux qui ont écrit sur les choses de son temps, quoique, en général, sans les nommer. Il a dû les lire ; mais son information, ordinairement, paraît reposer plutôt sur des souvenirs, sur des notes prises au jour le jour, sur ce qu’il a vu ou entendu dire. Elle est intéressante, sans être ni très curieuse des détails, ni même toujours assez précise. Peu de chronologie, sauf les grandes indications, peu de géographie, aucune connaissance des choses militaires. Ce qui paraît l’attirer le plus et ce qu’il note le mieux, bien qu’à grands traits encore, c’est le côté moral de l’histoire, le caractère des empereurs et de leurs conseillers, les influences qu’ils ont subies, les mouvements de l’opinion. Imitateur de Thucydide, de même que Dion, mais avec une méthode plus consciente, il a emprunté à son modèle cette conception psychologique de son rôle. Son plus grand tort est de ne pas savoir se défendre assez de la rhétorique. Bien qu’il ait de la réflexion, ses trop nombreuses harangues sont fâcheuses par l’abus des souvenirs classiques ; elles le seraient bien plus encore, s’il n’avait heureusement visé à la concision. Ses récits ont beaucoup plus de mérite. Hérodien ne manque ni d’imagination ni d’art ; et c’est par là qu’il l’emporte sur Dion ; il sait composer une scène, détacher un personnage, donner aux moments dramatiques leur valeur et leur effet. Si sa langue n’est pas très pure, si la phrase est parfois d’une forme étudiée qui sent l’imitation et l’artifice, le style a pourtant de la tenue, et même, çà et là, un certain éclat[141]. On sait gré à l’auteur de n’être ni sottement affecté ni insipide, comme l’étaient les purs rhéteurs du temps.

Hérodien est resté pour nous le principal témoin d’une période agitée ; et ce sont en partie ses récits que nous retrouvons dans ceux des historiens latins du temps de Dioclétien et de Constantin, tels que Spartien, Lampride et Capitolin, qui ont raconté les mêmes événements.

Nous n’avons pas à nous arrêter ici sur d’autres historiens tout à fait secondaires du même siècle, dont il ne nous reste que les noms ou de courts fragments. Il suffit de nommer : Asinius Quadratus, qui écrivit en ionien l’Histoire de Rome depuis sa fondation jusqu’à la mort d’Alexandre Sévère, et une Histoire des guerres des Parthes assez souvent citée ;[142] — Callinicos surnomme Suctorios, de Petra, en Palestine, qui enseignait la rhétorique à Athènes vers la fin du iiie siècle et composa un recueil curieux de Récits Alexandrins, en dix livres (Περὶ τῶν ϰατ’Ἀλεξάνδρειαν ἱστοριῶν βιϐλία δέϰα[143] ; — Nicomaque et Callistrate de Tyr, historiens d’Aurélien[144]. — Seul, entre ces écrivains disparus, Dexippos mérite d’être signalé[145]. Publius Herennius Dexippos, d’Athènes, appartenait à la famille sacerdotale des Kéryces ; il vécut dans la seconde moitié du iiie siècle. Orateur et historien, ce fut aussi un homme public et un général énergique. Il exerça les hautes charges d’archonte-roi, puis d’archonte éponyme ; et quand les Hérules, sous Gallien, en 267, ravagèrent l’Achaïe et prirent Athènes, ce fut lui qui organisa la résistance et sauva son pays. Ce vaillant homme avait composé plusieurs ouvrages historiques : une Histoire des successeurs d’Alexandre (Τὰ μετ’ Ἀλέξανδρον), une Chronique (Χρονιϰά), une Histoire des guerres des Scythes (Σϰυθιϰά). Sa Chronique révélait surtout un érudit soucieux d’exactitude ; c’était un exposé chronologique des grands faits de l’histoire universelle, depuis les temps fabuleux jusqu’à l’année 269 ; elle est souvent citée par les historiens de l’Histoire Auguste, et Eusèbe, qui l’a continuée, en atteste la minutie laborieuse[146]. Dans ses histoires, il devait ressembler à Hérodien, plus encore par ses défauts que par ses qualités. Comme lui, il croyait bien faire d’imiter Thucydide, et, comme lui aussi, il s’appliquait à composer de belles harangues. Les fragments qui nous restent des Successeurs d’Alexandre semblent provenir de deux discours, prêtés par lui l’un à Hypéride, l’autre à Phocion. Dans ses Guerres des Scythes, où il racontait en détail les invasions des barbares dont il avait été le témoin, il s’était mis lui-même en scène ; on peut lire encore une partie d’une harangue qu’il était censé avoir tenue aux Athéniens, quand il les arma contre les Goths (fr. 21). Du même ouvrage proviennent deux discours, une adresse des députés barbares à l’empereur Aurélien et la réponse de l’empereur (fr. 24). Les autres extraits sont d’intéressantes descriptions de sièges, où l’on reconnaît un narrateur exact, mais un écrivain médiocre.

Nommons enfin, pour clore cette liste, le philosophe Porphyre, dont nous parlerons bientôt plus au long. Il appartient à la série des historiens par sa Chronique, dont Eusèbe a grandement profité ; mais cette chronique elle-même n’intéresse guère l’histoire de la littérature[147].

À côté de l’histoire politique, nous pouvons placer ici l’histoire de la philosophie, qui est représentée en ce temps par l’œuvre, très médiocre, mais très renommée, de Diogène Laërce.

Personne, à ce qu’il semble, ne s’était encore avisé en Grèce d’embrasser dans un ouvrage d’ensemble l’histoire de toutes les écoles philosophiques à la fois. Chaque secte avait ses archives et ses traditions. Elle conservait avec soin la liste des maîtres qui s’étaient succédé à sa tête depuis son fondateur ; c’était un point d’honneur pour elle que de pouvoir montrer qu’elle se rattachait à lui par une filiation non interrompue. En outre, elle gardait souvent sa bibliothèque, accrue peu à peu, ses ouvrages et ceux de ses principaux successeurs, leurs testaments, qui étaient à la fois de précieux souvenirs et des titres de propriété. D’assez nombreux écrivains avaient mis à profit ces documents ; les uns, tels qu’Aristoxène, Speusippe, Hermippe, Antigone de Carystos, pour composer des biographies, les autres tels que Sotion, et après lui Héraclide Lembos, pour établir les successions des chefs d’école (διαδοχαὶ φιλοσόφων) ; d’autres encore, tels que Théophraste, Areios Didymos, Aetios, pour résumer les points essentiels des doctrines de chaque secte. Mais ces ouvrages ne touchaient qu’à des parties restreintes de l’histoire de la philosophie. Cette histoire elle-même restait à écrire.

Diogène Laërce n’était pas l’homme qui aurait pu combler cette lacune. Suivre le développement des idées, noter dans leurs transformations la part des individus et celle des temps, étudier l’entrecroisement des influences à travers les relations et les dissidences des écoles, était une entreprise qui eût demandé un esprit supérieur. Il n’avait, lui, que la patience et les aptitudes d’un compilateur, et il n’a fait qu’une compilation.

La forme exacte de son nom est douteuse. Il s’appelait peut-être Diogène Laertios, mais plus probablement Diogène tout court, originaire de Laerte en Cilicie[148]. Non seulement sa vie nous est entièrement inconnue, mais nous ne savons pas même sûrement en quel temps il a vécu. Ce qui paraît autoriser à le placer au commencement du iiie siècle, c’est que, d’une part, il conduit l’histoire du scepticisme jusqu’au premier successeur de Sextus Empiricus (IX, 116), et que, d’autre part, il ignore entièrement le néoplatonisme. Il semble avoir été épicurien, du moins de tendance. Son ouvrage s’adressait à une femme de haut rang, curieuse de philosophie (III, 47), dont le nom n’a pas été conservé. Le dessein en est des plus superficiels : énumérer les principaux représentants de chaque école, résumer leur biographie, en y faisant entrer le plus possible d’anecdotes et de bons mots, donner ensuite une liste de leurs ouvrages et un aperçu de leurs théories, voilà tout ce qu’il a eu en vue. Il paraît avoir cru que c’était là l’histoire de la philosophie.

Son exposé comprend dix livres. Les deux premiers traitent des Sept Sages, des premiers philosophes, de Socrate et de ses disciples, à l’exception de Platon. Celui-ci occupe à lui seul tout le iiie livre ; l’Académie, le ive. Le ve nous fait connaître Aristote et ses disciples ; le vie, les Cyniques ; le viie, les Stoïciens. Au viiie livre, nous revenons à Pythagore et à son école. Dans le ixe, nous trouvons, pêle-mêle, Héraclite, les Éléates, Leucippe et Démocrite, d’autres encore, et enfin les Sceptiques. Le xe est tout entier pour Épicure et les Épicuriens. Dans tout cela, ni plan réfléchi, ni pensée philosophique ; et nul mérite, ni d’écrivain, ni de critique. Diogène a dépouillé d’autres ouvrages, c’est tout son rôle[149]. La valeur de son livre consiste dans la grande quantité de faits qu’il nous a conservés. S’il a droit de figurer parmi les œuvres littéraires, c’est donc seulement en raison du dessein qui l’a inspiré et de l’influence qu’il a exercée : tout imparfait qu’il est, il a contribué à établir que la philosophie doit avoir son histoire, et il a suggéré à d’autres l’idée de l’écrire.

VII
Le seul effort de création vraiment original qui ait été fait par l’esprit grec au iii, c’est celui des Néoplatoniciens[150].

Depuis longtemps, quelque chose en fait de philosophie se préparait. Les vieilles doctrines s’étaient peu à peu rapprochées ; elles tendaient à se fondre les unes dans les autres, en absorbant ce qui subsistait des anciennes religions helléniques et en attirant certains éléments des croyances nouvelles. Une synthèse était nécessaire, mais elle se faisait attendre. Elle avait apparu, imparfaite, timide, confuse encore, chez un Philon, un Plutarque, un Nouménios. Au commencement du iiie siècle, nous la retrouvons toujours hésitante, toujours dominée par des questions particulières, chez le péripatéticien Alexandre d’Aphrodise, qui nous a laissé d’abondants et précieux commentaires sur plusieurs traités d’Aristote[151]. Tout cela avait son prix ; mais ce n’était pas là cette pleine et profonde appropriation de l’hellénisme aux besoins du jour qui, seule, pouvait lui permettre de durer encore[152]. Elle ne se produisit que vers le milieu du siècle, aux heures les plus sombres de l’anarchie ; et elle fut l’œuvre de Plotin. Il est vrai que, si la place de celui-ci est grande dans l’histoire des idées, elle est en somme petite dans celle des lettres ; et par conséquent, au point de vue qui est le nôtre, un simple aperçu de son œuvre devra suffire. Mais il faut essayer au moins de marquer en quelques traits ce qui fait sa valeur comme penseur et de faire entrevoir, à travers l’imperfection de ses ouvrages, la vigueur de son génie.


Né en 204 à Lycopolis d’Égypte, et mort à 66 ans, en 270, Plotin fit tout ce qui dépendait de lui pour vivre caché[153]. Son enfance et sa jeunesse se passèrent à Alexandrie. Ce fut là que les leçons d’Ammonios Saccas lui révélèrent la philosophie[154]. Il les suivit pendant onze ans, de 232 à 243. En 243, désireux de s’initier à la sagesse renommée des Perses et des Indiens, il accompagna l’empereur Gordien III dans son expédition contra Ctésiphon et faillit périr au milieu du désastre de l’armée. Il put s’échapper, gagna Antioche, puis vint s’établir à Rome, en 244, sous la règne de Philippe l’Arabe. C’est là qu’il vécut pendant ses vingt-six dernières années, entouré d’un cercle de disciples, et tout absorbé par son enseignement, qu’une inspiration divine semblait animer. La profondeur de ses pensées, la pureté de son caractère, plus que son talent de parole, lui attiraient des auditeurs nombreux, parmi lesquels des sénateurs et plusieurs femmes distinguées. L’empereur Gallien (260-268) et sa femme, l’impératrice Salonine, lui témoignèrent une constante faveur[155]. Mais la simplicité de sa vie n’en fut pas altérée. Il touchait à peine à la vieillesse, lorsqu’il mourut en Campanie, près de Pouzzoles, dans un lieu où il se rendait fréquemment en été.

Plotin a écrit pendant toute sa vie, sans se soucier un seul instant de bien écrire. Jamais, nous dit Porphyre, il ne se relisait ; il ne s’attachait qu’à la valeur de la pensée, et ne se préoccupait ni de style, ni même d’orthographe[156]. Ce premier jet était d’ailleurs le résultat d’une méditation aussi profonde qu’abondante. Les pensées se pressaient dans son esprit ; il ne prenait pas le temps de les exprimer. Il fallait, en le lisant, deviner ce qu’il avait voulu dire, à travers un enchevêtrement de phrases incomplètes et incorrectes. L’espèce d’enthousiasme intellectuel que provoquait en lui le travail de la pensée, loin d’atténuer ces défauts, les aggravait plutôt, en l’empêchant de s’en rendre compte[157].

Ce sont ces notes, jetées ainsi au jour le jour, sans plan préconçu, sans titres distincts, et publiées par traités isolés à partir de 253, que Porphyre, sur l’invitation de son maître, recueillit, classa, organisa de son mieux, et qu’il nous a transmises[158]. L’ouvrage ainsi constitué fut nommé par lui les Ennéades (Ἐννεάδες (Enneades)), c’est-à-dire les Neuvaines, parce qu’il avait groupé ces dissertations par séries de neuf livres. Le tout forme cinquante-quatre livres, six neuvaines. En rassemblant ces morceaux détachés, Porphyre a essayé d’y mettre quelque ordre, et lui-même nous a exposé son plan[159]. La première ennéade se rapporte principalement à la morale ; la seconde et la troisième, au monde et à la manière dont il est gouverné ; la quatrième, à l’âme ; la cinquième, à la raison ; la sixième, à certaines questions sur la nature de l’être. Dans chaque ennéade, les dissertations se suivent selon l’ordre dans lequel elles ont été composées. Mais ce plan est plus apparent que réel ; car, en fait, il y a de tout dans chacune des parties de l’œuvre, et la faute n’en est pas à l’ordonnateur : ces méditations complexes ne pouvaient être assujetties à aucun arrangement vraiment organique.

Si un tel ouvrage peut séduire les initiés, il semble fait pour repousser les simples lecteurs. Et pourtant, en tant qu’il révèle et qu’il éclaire profondément certaines parties intimes de l’âme des contemporains, il est de nature à intéresser quiconque réfléchit.

Ce qu’il exprime d’abord, avec une force et une sincérité singulières, c’est le détachement des choses terrestres, le désir et le besoin de libérer l’âme du corps[160]. L’ascétisme grec, tel qu’il s’était développé depuis Socrate, chez Antisthène, chez Zénon, chez Épictète, vient aboutir à ce livre comme à son terme naturel. Seulement, la rupture des liens matériels, l’indifférence aux choses qui ne dépendent pas de nous, n’y sont plus présentées comme une fin, ni comme le suprême effort de la vie. Elles y sont posées en principe, comme la donnée préalable de toute philosophie. Le stoïcisme tendait à affranchir l’homme. Pour Plotin, cet affranchissement est le point de départ de toute activité intellectuelle et morale. Impossible de se mettre plus résolument hors du monde, de se jeter plus immédiatement dans l’idéal. Plotin, nous dit Porphyre, semblait rougir d’être dans un corps, ἐῴϰει αἰσχυνομένῳ ὅτι ἐν σώματι εἴη (eôkei aischunomenô hoti en sômati eiê)[161]. Voilà le parti pris fondamental. De là, l’élan premier et décisif, qui emporte toute la doctrine : nous avons affaire à un homme qui commence par rejeter l’humanité. Terme nécessaire d’une tendance née de l’hellénisme, mais destructrice du vrai esprit hellénique. Dès que la raison avait commencé à critiquer les conditions normales de la vie, à vouloir soustraire l’homme a la loi de la nature, considérée comme une servitude, elle devait peu à peu en venir là. Plus les liens de la cité se détendirent, plus le mouvement se précipita. Dans les misères du iiie siècle, dans le néant politique, dans la confusion sociale, il était fatal qu’un grand esprit le conduisît d’un seul coup à son terme. La philosophie de Plotin est la voix d’une humanité qui voudrait s’échapper du monde : la grande affaire de l’homme n’est décidément pas de vivre ici-bas ; et le premier usage qu’il doit faire de la raison étant de comprendre qu’il est captif dans la matière, le premier effort de sa volonté doit être de s’élancer au delà.

Cet au delà est justement l’objet propre de la pensée du sage et de son amour. Pensée et amour découvrent Dieu dans une infinie profondeur, par delà tout ce qui peut être exprimé ou même compris. Ce qu’on a pris pour Dieu en des temps divers n’est qu’une série de degrés qui mènent à lui, mais qui ne l’atteignent pas. Condensant, en un large système d’éclectisme, des éléments de théologie empruntés à toutes les philosophies et à toutes les religions de l’hellénisme, Plotin se plaît à montrer cette hiérarchie de l’être, qui part de la matière, monte du corps à l’âme, de l’âme à la raison, de la raison à Dieu. Il étend et décompose sa notion de la divinité, de façon à y faire entrer tout ce que l’humanité a cru en apercevoir dans le passé, bien qu’il s’élève lui-même toujours plus haut. Il croit aux démons avec Hésiode, aux dieux de la mythologie avec les vieux poètes, avec le peuple, avec la tradition des cultes publics et privés, au démiurge avec Timée, et la divinité des astres avec Aristote et les Stoïciens, à celle des idées avec Platon[162]. Mais rien de tout cela ne lui suffit ; car, plus l’esprit monte vers l’abstraction, plus l’abstraction recule devant l’esprit. Et il arrive ainsi jusqu’à l’unité absolue, jusqu’à l’être qui, n’étant qu’être, lui semble la réalité même. Il a synthétisé la plus pure substance des croyances antérieures sans en rien laisser perdre, il en a organisé les éléments, et maintenant il les dépasse, ou il croit les dépasser. Non qu’il ait la prétention d’ouvrir des voies nouvelles. Il se dit platonicien, et il interprète Platon. Mais son interprétation, portée à la fois par le rêve et par la logique, prend librement son essor, sans douter de sa légitimité. Or, c’est là ce qui fait sa force. Elle s’adresse, pleine de confiance, à toutes les habitudes de foi ancienne comme à toutes les puissances de croire non satisfaites encore ; et, chose que personne jusque là n’avait su faire, elle les entraîne, à travers les créations successives de l’hellénisme, jusqu’à quelque chose qui semble supérieur et nouveau. En cela aussi, elle répond à un besoin profond des contemporains, ou mieux à plusieurs besoins, également impérieux, quoique contradictoires. Plotin ne détruit rien : il concilie, il transforme, il fait à chaque chose sa place ; et, pourtant, sous ses conciliations, il y a une pensée qui va de l’avant, un élan qui donne le sentiment du progrès.

Mais ce qu’il apporte surtout, comme nouveauté, ce ne sont pas tant des idées que des tendances et des méthodes. D’autres avant lui, et depuis longtemps, avaient introduit le mysticisme dans la conscience grecque[163] ; il est le premier qui l’ait mis au cœur même de l’hellénisme, en le proclamant la suprême forme de la vie intellectuelle et morale.

Déjà, sans doute, Platon avait enseigné que la fin de l’homme était de se faire semblable à Dieu (ὁμοιοῦσθαι τῷ θεῷ (homoiousthai tô theô)). Cette formule, Plotin la garde, il la répète sans cesse, il en fait la loi même de l’activité humaine, mais il lui donne une tout autre portée. Car la plupart des choses qui semblaient à Platon des moyens de se mettre en contact avec Dieu n’ont plus pour lui qu’une valeur secondaire. Il ne s’intéresse vraiment ni à la science, ni à l’État ; il n’a au fond qu’un médiocre sentiment de la beauté, qui passionnait son maître. Ce qui l’attire, ce qui l’absorbe, c’est la contemplation par l’intelligence. La vraie vertu pour lui, celle qui est digne de l’homme, ce n’est pas celle qui se manifeste dans la société, bien qu’elle lui paraisse à coup sûr nécessaire et bonne ; il l’approuve, mais elle ne le retient pas. Il faut s’unir à Dieu par la pensée, monter à Dieu, vivre en Dieu : voilà le but ; voilà ce qui vaut la peine d’être constamment cherché.

L’intelligence humaine désormais doit s’orienter vers cette idée. Tous ses efforts, toutes ses démarches tendront là. Elle ne cherchera plus à connaitre le monde pour l’admirer, encore moins pour savoir s’y conduire ; elle n’y verra qu’un degré nécessaire qu’il faut franchir ; elle y mettra le pied pour le dépasser[164]. Toujours plus haut et plus loin. L’homme lui-même, l’âme, la société ne sont pas des choses sur lesquelles elle puisse s’arrêter. Elle les considère en passant ; c’est une connaissance qui prépare la vraie connaissance ; rien de plus. Il faut apprendre à voir, au travers de ce qui est sensible, ce qui ne l’est plus ; il faut habituer le regard de l’âme à se poser sur l’intelligible. Cela exige une purification constante (ϰάθαρσιν (katharsin)), pour qu’elle ne soit plus ni troublée ni offusquée par rien de ce qui vient des sens. Ainsi la vie intérieure, absorbée dans l’idée de Dieu, se substitue à la vie active. Tout l’homme est pris par cette poursuite éternelle d’une vision qui dépasse sa nature, mais qui lui apparaît désormais comme seule digne de son amour.

Comment parviendra-t-il à saisir cette image fuyante, à réaliser cette union irréalisable ? C’est ici que se manifeste la force efficace de la doctrine, et du même coup son danger.

Elle crée, dans l’âme qui l’accepte pleinement, un sentiment tout-puissant. Plotin, lorsqu’il exprimait ses idées, nous dit Porphyre, était le plus souvent saisi d’un véritable enthousiasme, qui donnait à son langage un accent passionné[165]. Jamais l’amour, qui, selon Platon, était la condition même de la philosophie, n’a été plus apparent que chez le père du néoplatonisme[166]. Amour épuré, subtil, tout enfiévré d’abstractions ; mais, avec cela, merveilleusement fort et ardent, répandu partout, vivifiant toutes les parties de l’enseignement, exaltant les méditations secrètes comme les entretiens du maître et des disciples, pénétrant et remplissant la vie tout entière. Or cet enthousiasme, cette effusion du cœur, n’était-ce pas là ce qui avait manqué le plus au stoïcisme, au péripatétisme, à l’Académie elle-même, quand elle s’était écartée de Platon ? et n’était-ce pas aussi ce qui était le plus demandé alors par l’instinct des natures sincères, qui sentaient le vide de la vie sociale, la nullité de la sophistique, la sécheresse du savoir scolaire ? Pour elles, cette doctrine qui enseignait à aimer, ou plutôt qui était toute faite d’amour, c’était le plus grand des bienfaits. Et, comme elle s’appuyait à la religion traditionnelle, elle rendait aux croyants, ou à ceux qui désiraient croire, l’immense service de réintégrer dans cette religion un principe de vie, de la réchauffer, pour ainsi dire, et par conséquent de l’approprier de nouveau aux besoins du cœur. Grâce à elle, l’hellénisme, comme autrefois, s’emplissait de beauté morale, il sentait palpiter en lui d’ardentes aspirations vers l’idéal, il se dépouillait de son pédantisme suranné, il recommençait le rêve divin dont l’humanité ne se peut se passer. C’était vraiment un renouvellement et une renaissance ; d’autant mieux accueillis qu’ils se produisaient sans révolution, tout simplement par une compréhension plus profonde et plus large de ce qu’on avait cru jusqu’alors, par l’absorption des sentiments nouveaux dans la tradition rajeunie, qui semblait les appeler à elle. Voilà ce qui faisait la grandeur du néoplatonisme de Plotin ; mais voici le vice secret qu’il portait en lui-même et qui devait le perdre.

Cet élan vers Dieu, Plotin ne pouvait pas le demander uniquement à un mouvement de la raison et du cœur, puisque son Dieu était au delà du sensible et de l’intelligible. Il fallait donc qu’il eût recours à une sorte de violence, et qu’il se jetât dans le surnaturel par un transport et comme un sursaut. Au fond, tout dialecticien qu’il est, ni le raisonnement ni la logique ne le satisfait, non plus que l’observation. Bien éloigné, certes, de se reconnaître sceptique, il a pris du scepticisme le vif sentiment des limites de la connaissance. Seulement, comme son besoin de croire et d’aimer l’empêche de s’y résigner, il inventera d’autres moyens de savoir. Au delà du raisonnement, il y aura pour lui l’intuition ; et au delà de l’intuition, l’extase (ἔϰστασις (ekstasis), l’acte de sortir de soi). L’intuition, à l’entendre, saisit directement le pur intelligible, qui échappe aux sens, au raisonnement lui-même trop engagé dans les données sensibles. Mais ce qui n’est plus même intelligible, ce qui n’a plus de qualités saisissables pour la pensée, c’est l’extase seule qui peut l’atteindre[167]. Elle est le suprême effort de l’ absorption et du détachement. Quand la raison, dans l’intensité de sa méditation, a réussi à dépouiller l’intelligible de tout ce qui est encore détermination, quand, d’autre part, l’âme, dans l’élan de son amour, s’est affranchie de tout ce qui la rattache au monde, alors, en un sens, tout s’évanouit, mais, en un autre sens, tout se révèle[168]. Car c’est là, dans ce néant de la forme, que l’être apparaît soudain[169]. L’homme perd conscience de sa personnalité ; il est tout entier dans sa vision qui est Dieu ; et lui-même, pendant ces rapides instants, ne fait plus qu’un avec Dieu. Nous sommes en plein rêve. Mais ce n’est plus le rêve platonicien, qui se connaît comme tel, qui sait qu’il est poésie, et qui ne nous le laisse pas oublier. C’est une ivresse de l’esprit, un délire d’abstraction, et en somme l’abolition de la raison, proposée comme but à la raison même[170].

Ce goût du surnaturel devait avoir d’autres conséquences encore. Le néoplatonisme admettait pleinement la croyance, alors générale, aux êtres intermédiaires entre Dieu et l’homme et à toutes leurs manifestations ; en l’admettant, il la sanctionnait. Donc, la divination, la magie, les incantations, toute cette partie trouble ou malsaine de la religion contemporaine, recevait de lui une autorité nouvelle. Plotin, il est vrai, semble n’avoir donné à tout cela qu’une petite part dans sa doctrine et dans sa vie. Mais, après lui, le germe morbide allait se développer jusqu’à une sorte de folie.

Avec ses défauts et ses qualités, le néoplatonisme de Plotin aurait pu avoir, si l’état social eut été autre, une immense influence littéraire. Il y avait là une manière nouvelle de penser et de sentir, par conséquent une source d’inspiration. Mais Plotin lui-même, nous l’avons dit, n’avait a aucun degré le sens de l’art. Sa dialectique abstraite, subtile, obscure, ne pouvait être comprise qu’avec effort. Bien de ce qu’il écrivait n’était fait pour émouvoir un public nombreux. D’autres, il est vrai, auraient pu interpréter et populariser sa doctrine. Mais il n’y avait plus en ce temps de société littéraire à proprement parler, plus de curiosité pour les formes nouvelles du beau et du vrai. Le néoplatonisme, malgré sa valeur et son appropriation à l’esprit du temps, ne communiqua pas d’ébranlement fécond à l’imagination contemporaine[171].

VIII
Parmi les disciples de Plotin, ni Amélius Gentilianus, ni Eustochios d’Alexandrie, ni Origène le néoplatonicien, ni Firmus Castricius ne peuvent arrêter notre attention[172]. Un seul, Porphyre, doit être distingué, à la fois pour le rôle qu’il joua dans la propagation de la doctrine et pour la place qu’il occupe dans l’histoire des lettres.

Né à Tyr en 233, Porphyre y fit sans doute ses premières études[173] ; tout jeune, nous dit-il lui-même, il y connut le docteur chrétien Origène ; plus tard il vint en Grèce, à Athènes, où il eut pour maître le célèbre critique Longin. Il était âgé de trente ans, lorsqu’il se rendit à Rome, en 263 : ce fut là qu’il s’attacha à Plotin. De faible santé et d’humeur triste, il songeait alors at se donner la mort. Plotin devina son dessein, releva son courage, et, pendant six ans, le garda sous son influence bienfaisante ; Porphyre devint dans ce laps de temps son disciple le plus cher, et ce fut lui que le maître chargea, comme nous l’avons vu, de mettre en ordre ses écrits. Ils se séparèrent en 269, Porphyre allant en Sicile pour rétablir sa santé ; ils ne se revirent plus ; car Plotin mourut en son absence. La dernière partie de la vie de Porphyre nous est mal connue. Il semble être resté longtemps en Sicile[174], puis, après divers voyages, être revenu à Rome[175]. Déjà âgé, il épousa une veuve, Marcella, pauvre, et mère de sept enfants[176]. Suidas nous dit qu’il vécut jusque sous Dioclétien (285-305) ; et cela est confirmé par un passage de sa Vie de Plotin (c. 23) où il parle lui-même d’une vision qu’il eut à l’âge de soixante-huit ans, donc en 301. On peut admettre, d’après cela, qu’il mourut entre 301 et 305, probablement à Rome[177].

Esprit bien moins original que Plotin, mais singulièrement actif, prompt à comprendre et aimant à expliquer, d’ailleurs très instruit en toute matière, Porphyre a beaucoup écrit. Il fut à la fois philosophe, polémiste, historien, grammairien et mathématicien[178]. Nous ne pouvons donner ici qu’un aperçu de cette immense production littéraire.

Ses écrits de philosophie, sans parler de la publication des Ennéades de son maître, étaient nombreux. Suidas en énumère une douzaine, la plupart perdus, et sa liste n’est pas complète[179]. L’ouvrage le plus important pour la doctrine néoplatonicienne est l'Introduction à la connaissance de l’intelligible (Ἀφορμαὶ εἰς τὰ νοητὰ (Aphormai eis ta noêta)), court résumé des idées fondamentales de la secte. Avec ce don de clarté qui était une des qualités de son esprit, Porphyre a su y condenser en formules brèves les enseignements de son maître. Ce qui subsiste d’obscurité dans ce livre tient en partie à la nature même des idées, en partie à l’état d’altération du texte. Il ne semble pas d’ailleurs qu’aucun élément nouveau y soit ajouté à ce que Plotin avait créé.

L’ample traité Sur l’abstinence de la chair (Περὶ ἀποχῆς ἐμψύχων (Peri apochês empsuchôn)), en quatre livres, aujourd’hui incomplet à la fin, n’est pas au fond beaucoup plus personnel. L’auteur s’y adresse à un autre des disciples de Plotin, à Firmus Castricius, qui peu à peu était revenu à l’usage de la viande, proscrit par l’ascétisme du maître, et il combat comme une faute grave cette infraction aux principes. Il le fait avec méthode, avec une certaine force de dialectique et de sentiment, mais surtout avec une érudition d’où résulte aujourd’hui la principale valeur du livre : les renseignements y abondent sur beaucoup d’opinions des diverses sectes, et aussi sur un grand nombre de points qui touchent à la vie des anciens, notamment aux sacrifices[180]. L’inspiration générale, toute mystique, se traduit, çà et là, par des expressions frappantes[181], sans qu’on puisse dire que, dans l’ensemble, la personnalité de l’auteur s’accuse très vivement. Le style vaut surtout par la correction du tour et la bonne tenue. Ce qui est le plus curieux, quant au fond, c’est de voir là comment l’école néoplatonicienne, tout en respectant les usages religieux du monde grec, tendait à les épurer, et comment en particulier la notion du sacrifice rituel s’idéalisait pour elle[182]. La théologie a aussi sa part dans cet ouvrage, mais une part restreinte ; c’est d’ailleurs celle des Ennéades.

Quelques-unes des vues de Porphyre sur le monde et sur Dieu doivent être plutôt cherchées dans l’opuscule Sur l’antre des Nymphes de l’Odyssée (Περὶ τοῦ ἐν Ὀδυσσείᾳ τῶν Νυμφῶν ἄντρου (Peri tou en Odusseia tôn Numphôn antrou)). Cet antre, décrit dans l’Odyssée, n’est aux yeux du philosophe qu’une allégorie ; Homère, pour lui, a voulu représenter l’univers ; de telle sorte qu’en interprétant ses prétendues conceptions, Porphyre expose les siennes, et celles de beaucoup d’autres par occasion. On apprend ainsi quel antre d’Ithaque est à la fois la figure du monde sensible et celle du monde intelligible ; mais, en même temps, on s’instruit, comme toujours, à l’abondante érudition de l’auteur et à ses multiples citations.

La Lettre à Marcella est tout intime par le sujet et par l’intention ; nous y cherchons l’homme dans l’écrivain et nous l’y trouvons quelquefois, moins pourtant que nous ne le voudrions. Séparé de sa femme après quelques mois de mariage, Porphyre lui adresse une véritable instruction morale. La noblesse de l’inspiration générale, la gravité affectueuse, le rêve de haute et pure spiritualité sont bien de lui ; mais il entoure sa doctrine personnelle de tant de maximes prises un peu partout que sa lettre peu à peu tourne au recueil de sentences[183].

Profondément religieux, Porphyre devait être plus porté encore que son maître à transformer la philosophie en une science de Dieu (θεοσοφία (theosophia)). Cette science, nul n’eut plus à cœur que lui de la rattacher aux vieux cultes helléniques, à la religion établie, qui lui paraissait en être la forme nécessaire, seule accessible à la majorité des esprits. Pour cela, il entreprit d’en montrer le sens profond et l’accord avec les vues de la raison.

De cette intention procédait l’ouvrage perdu Sur la Philosophie des oracles (Περὶ τῆς ἐϰ λογίων φιλοσοφίας) ; véritable livre d’édification et d’enseignement théologique[184]. Il l’avait composé, non pour le vulgaire ni pour les indifférents, mais pour ceux qui « avaient pris le parti de vivre en vue du salut de leur âme[185]. » La divination étant le cœur même de l’ancienne religion hellénique, c’est d’elle qu’il entreprenait de tirer toute doctrine relative à Dieu. Il la considérait comme une révélation permanente, dont il se faisait l’interprète. Les oracles, qu’il avait réunis en mettant à profit d’autres recueils antérieurs[186], étaient traités par lui comme autant de textes sacrés, qui appelaient une véritable exégèse. Il s’appliquait à en dégager les notions que les dieux avaient voulu donner sur eux-mêmes, leurs instructions sur la piété, sur la manière de les honorer[187]. En réalité, c’était lui qui transformait ainsi le néoplatonisme en un dogme et incorporait ce dogme à une religion qui en avait toujours manqué.

Même dessein dans l’écrit Sur les images des dieux (Περὶ ἀγαλμάτων (Peri agalmatôn)). Ces images avaient, elles aussi, pour un croyant, une valeur traditionnelle ; représentations symboliques des dieux, elles révélaient ce qu’ils étaient. Ce symbolisme, plein de sens, le philosophe avait à l’interpréter ; et plus d’un l’avait fait avant Porphyre. Son objet propre, à lui, semble avoir été de réunir ces interprétations allégoriques en un corps, sauf à y ajouter les siennes quand il y avait lieu, et à les accommoder spécialement à la doctrine néoplatonicienne. En définitive, il s’agissait de donner aux anciens cultes une signification conforme aux besoins de la conscience contemporaine, et d’assurer à cette signification une autorité durable.

Ces ouvrages, et d’autres semblables, caractérisent le rôle de Porphyre dans l’évolution des croyances grecques et en montrent l’importance[188]. Son maître, Plotin, penseur vigoureux et mystique profond, avait réellement créé une religion au sein de la philosophie grecque. Cette religion, dans sa pensée, était en accord avec toute la tradition hellénique, avec les mythes, avec les cultes, dont elle énonçait la sagesse cachée. Mais lui-même s’était peu soucié de faire voir cet accord, et peut-être n’avait-il pas l’érudition nécessaire pour une telle œuvre. Le savant Porphyre était au contraire l’homme de cette tâche. Et si l’hellénisme n’avait été déjà poussé à sa perte par un mouvement irrésistible, son entreprise aurait eu sans doute un bien autre succès. Quoi qu’il en soit, c’est lui qui nous apparaît comme le principal représentant d’une très remarquable tentative de rénovation dans la religion traditionnelle[189]. Ce rôle, en ce temps, devait nécessairement le mettre en conflit avec l’enseignement chrétien. Et Porphyre, en effet, est bien le plus redoutable adversaire que la foi nouvelle ait rencontré, dans l’ordre de la pensée, avant sa victoire définitive. Aussi le voyons-nous figurer chez les écrivains chrétiens comme « l’ennemi » par excellence[190].

L’ouvrage qui lui a valu surtout cette animadversion nous est fort peu connu. Les écrivains chrétiens en parlent, mais n’en donnent guère d’extraits ; après l’extinction du paganisme, il a dû disparaître promptement. Il comprenait quinze livres (Kατὰ Χριστιανῶν λόγοι ιέ (Kata Christianôn logoi ié)). Le plan en était à la fois historique et philosophique. Porphyre étudiait le christianisme dans ses antécédents judaïques, dans ses relations avec les autres traditions religieuses, et sans doute aussi dans sa doctrine. C’était tout autre chose par conséquent que le pamphlet acerbe de Celse, ou que les railleries isolées de Lucien. Il critiquait les textes de l’Écriture, discutait les commentaires autorisés, en particulier ceux d’Origène[191]. Mais ce qui le rendait surtout dangereux, c’est que sans doute il ne se contentait pas de critiquer, mais opposait doctrine à doctrine, tradition à tradition et presque église à église. Voilà du moins ce que nous pouvons soupçonner[192]. Et, s’il ne l’avait pas fait dans cet ouvrage, il l’avait en tout cas tenté dans d’autres, notamment dans celui que S. Augustin cite fréquemment sous le titre de De regressu animæ[193]. Ces citations même montrent en effet qu’il y développait toute une méthode de vie religieuse, tendant à purifier l'âme et à l’unir à Dieu dans un bonheur éternel[194]. Il paraît bien que ces livres religieux de Porphyre ont été beaucoup lus, puisqu’ils furent si ardemment combattus. Nous en retrouverons l’influence vivace chez l’empereur Julien, au siècle suivant. Jusqu’à un certain point donc, le néoplatonisme, avec Porphyre, a commencé à sortir de l’école ; mais jusqu’à un certain point seulement. Car Porphyre lui-même, quelque supérieur qu’il fût à Plotin comme écrivain, ne semble pas avoir su parler au grand public. Sa philosophie était trop subtile, trop chargée d’érudition, et son génie surtout n’était pas assez original, pour créer une de ces œuvres supérieures dans lesquelles tout un siècle reconnaît l’expression de ses idées latentes et de ses sentiments intimes.

Apres avoir ainsi indiqué son rôle philosophique et religieux, nous pouvons passer plus vite sur les parties secondaires de son œuvre. — Son Histoire de la philosophie (Φιλόσοφος ἱστορία (Philosophos istoria)), en quatre livres, n’était guère en réalité qu’une histoire des origines de la doctrine de Platon. Ce philosophe occupait à lui seul tout le quatrième livre, qui était aussi le dernier. Pour Porphyre, la philosophie s’arrêtait là, Platon ayant définitivement fixé les formules de la vérité[195]. Outre quelques fragments, nous possédons encore un morceau important de cet ouvrage, la Vie de Pythagore, malheureusement mutilée, qui faisait partie du premier livre. En érudit consciencieux qu’il était, l’auteur paraît avoir donné une attention sérieuse à la chronologie[196]. L’ouvrage abondait aussi en détails biographiques, empruntés à diverses sources, sans beaucoup de critique. Mais la biographie n’y était pas tout ; et nous voyons encore assez bien quel soin Porphyre avait pris de faire connaitre les doctrines : on voudrait savoir s’il s’était montré capable d’en établir la filiation et les rapports. Sa façon d’interpréter Platon prouve en tout cas qu’il mettait trop volontiers les idées de son temps sous les formules anciennes ; et cela donne à penser qu’il était peu en état de suivre le développement des conceptions philosophiques dans ces âges lointains. — La Vie de Plotin, composée par Porphyre dans son extrême vieillesse, est tout à fait distincte du précédent ouvrage. Nous y retrouvons sa sincérité, son exactitude un peu lourde, son goût des détails, même encombrants, son intelligence, plus juste que profonde, avec une certaine gaucherie de mise en œuvre où se trahit le manque de sens littéraire. — À cette liste d’œuvres historiques, ajoutons la Chronologie, mentionnée plus haut[197].

Porphyre s’occupa aussi de philologie. Suidas lui attribue un ouvrage intitulé Recherches philologiques (Φιλόλογος ἱστορία (Philologos historia)), en cinq livres, dont nous ne savons d’ailleurs rien. Il cite également de lui un commentaire Sur le début de Thucydide, un autre Sur l’Orateur Ælius Aristide, en sept livres, un autre encore Sur la rhétorique de Minucianus. — L’interprétation d’Homère paraît l’avoir intéressé tout spécialement. Il avait écrit Sur la philosophie d’Homère et Sur le profit que les rois peuvent tirer d’Homère. Il ne nous reste, en ce genre, que l’opuscule précédemment cité Sur l’antre des nymphes dans l’Odyssée, et les fragments de ses Recherches homériques (Ὁμηριϰὰ ζητήματα (Homêrika zêtêmata))[198] ; la méthode de l’interprétation allégorique y est poussée jusqu’à ses conséquences les plus arbitraires.

Une activité littéraire si constante et si variée peut inspirer quelque admiration ; mais elle révèle le défaut essentiel de l’esprit de Porphyre, autant que ses remarquables qualités. C’était un homme doué pour apprendre et pour retenir, un génie infatigable, qui remuait sans cesse des faits et des idées, — surtout, il est vrai, les idées des autres, — mais en somme, c’était un médiocre artiste, qui ne savait pas amener une œuvre au point de perfection où elle prend une valeur durable.

Nous retrouverons plus loin l’école néoplatonicienne et nous continuerons à en tracer l’histoire. Mais avant de quitter la littérature païenne du iiie siècle, nous devons signaler encore, sans nous y arrêter, toute une classe d’écrits voisins du néoplatonisme. Il s’agit de ceux qu’on appelle hermétiques, parce qu’ils portent le nom d’Hermès trismégiste[199].

Dès le second siècle, nous trouvons chez Plutarque, chez Philon de Byblos, chez Clément d’Alexandrie, chez Tertullien, diverses allusions à des livres attribués à Hermès. Pour quelques évhéméristes, tels que Philon de Byblos, cet Hermès « trois fois grand » était un très ancien sage égyptien[200]. Sage ou dieu, il passait pour avoir donné autrefois en Égypte des révélations de diverses sortes[201]. De là vint qu’on mit sous son nom certains enseignements qu’on voulait rendre très vénérables. Les livres hermétiques que nous possédons encore semblent dater de la fin du iiie siècle. Leur doctrine sur Dieu, sur le monde, sur l’homme ressemble à celle de Plotin ; il est probable qu’ils émanent, directement ou indirectement, de l’école d’Ammonios Saccas. Composés sans doute pour épurer et défendre la religion ancienne, ils enseignent, sous diverses formes, ce qu’il faut croire et ce qu’il faut pratiquer[202].

Les plus intéressants forment quatre groupes : — 1° le Pœmandre (Ποιμάνδρης (Poimandrês)), recueil de quatorze morceaux distincts ; le titre ne convient réellement qu’au premier[203] ; — 2° un dialogue, intitulé Asclepios, dont nous ne possédons plus qu’une traduction latine, faussement attribuée à Apulée, et qui parait dater du ive siècle ; — 3° un certain nombre de dialogues, dont les fragments sont dispersés dans le Recueil de Stobée, dans l’écrit de Cyrille contre Julien, dans Lactance et dans Suidas ; — 4° Des fragments provenant d’écrits adressés par Asclépios au roi Ammon. — Toutes ces œuvres ont leur importance pour la connaissance des idées et des pratiques religieuses dans les derniers siècles du polythéisme hellénique. Elles n’ont point de réel intérêt littéraire. — À cette littérature hermétique se rattachent aussi quelques écrits de médecine et d’astronomie, dont nous n’avons pas à nous occuper ici.

IX

Pendant que l’hellénisme, grâce à Porphyre surtout, s’organisait ainsi en une croyance coordonnée, le christianisme, de son côté, se développait et se fortifiait.

Toutefois, malgré ce qu’il y avait en lui d’énergie et de vitalité, on ne le voit pas réussir encore, au iiie siècle, à créer de belles formes d’art littéraire, ni même à s’approprier complètement celles du paganisme. Le contraste, à cet égard, est frappant entre l’Orient grec et l’Occident latin. En Occident, ses représentants sont presque tous des hommes éloquents ou diserts, un Tertullien, un Minucius Felix, un Cyprien, un Arnobe, un Lactance. En Orient, il compte des docteurs, des exégètes, des annalistes : il n’a vraiment ni grands orateurs, ni grands écrivains. Seulement, — et c’est là le progrès sur le siècle précédent, — s’il ne les a pas encore, on sent qu’il les aura bientôt. La manière un peu timide et embarrassée des apologistes du second siècle est largement dépassée. Voici que le mouvement annoncé par Clément d’Alexandrie se continue et s’amplifie. On voit naître des œuvres comme celle d’Origène, animées d’un souffle puissant, pleines d’idées, où s’incorporent les grandes traditions de science et d’humanité, et où la pensée se déploie avec une sorte d’abondance confiante. Le christianisme apostolique a pris fin ; celui qui apparaît est un christianisme hellénique, qui offre à l’humanité d’alors de quoi satisfaire, non seulement certains besoins du cœur, mais la plupart de ses hautes aspirations.

Dans la première moitié du siècle, il est surtout représenté par deux hommes, Hippolyte à Rome, Origène à Alexandrie et en Orient.

Hippolyte, dont la personne et la vie sont très mal connues, paraît avoir enseigné à Rome depuis les premières années du iiie siècle jusqu’en 235. À cette date, il était prêtre. Il fut déporté avec le pape Pontianus en Sardaigne, et probablement y trouva la mort[204]. Selon Photius, il avait été disciple d’Irénée ; il connut et admira Origène, et usa de son influence sur lui pour l’amener à publier ses leçons exégétiques. Continuateur des maîtres qui, dès le second siècle, inaugurèrent à Rome ce qu’on pourrait appeler l’enseignement supérieur du christianisme, il semble y avoir transporté quelque chose des méthodes et de l’esprit d’Alexandrie[205]. Si le récit des Philosophoumena (ix, 7, 11, 12) se rapporte bien à lui, il fut en conflit de doctrine avec le pape Calliste (217-222), et les dissidents dont il était le chef l’élurent évêque. En ce cas, une réconciliation dut intervenir ensuite, car il fut honoré par l’Église comme martyr.

L’œuvre d’Hippolyte comprenait des commentaires sur presque toutes les parties de l’Écriture, des écrits d’apologie et de polémique, des traités didactiques, enfin des travaux importants de chronologie. Il ne nous reste de tout cela que des titres et des fragments[206]. Ces fragments et ces titres attestent du moins une étendue de connaissances, une activité d’esprit, une variété d’aperçus, où se manifestent vivement les caractères nouveaux de l’enseignement chrétien en ce temps. Ce qui recommande surtout aujourd’hui et l’attention le nom d’Hippolyte, c’est l’ouvrage intitulé Philosophoumena. Jusqu’au milieu du xixe siècle, on n’en connaissait que le premier livre, qui était attribué à Origène ; Minoïde Minas découvrit, en 1842, un manuscrit de l’Athos, qui contenait les livres IV-X : deux livres seulement sur dix, les livres II et III, manquent encore aujourd’hui. Si l’attribution de l’ouvrage à Hippolyte n’est pas certaine, elle est tout au moins fort probable et admise aujourd’hui par la majorité des critiques[207]. Il paraît avoir été écrit peu après la fin du pontificat de Calliste, c’est-à-dire peu après 222. C’est un exposé et une réfutation de toutes les hérésies[208]. L’auteur se propose de démontrer qu’elles dérivent, non de la tradition chrétienne, mais de la philosophie et des superstitions grecques. Aussi commence-t-il par faire l’histoire de la philosophie grecque ; c’est le sujet du livre premier, fort précieux par les renseignements qu’il contient. Dans les deux livres suivants, aujourd’hui perdus, il traitait, à ce qu’il semble, des mystères, de l’astrologie, de la magie ; et c’était seulement dans les derniers, ceux que nous possédons, qu’il réfutait les hérésies, en les rattachant aux sources indiquées. L’ouvrage est d’un médiocre écrivain ; mais ce plan même indique combien l’auteur a eu un sens juste des origines du mouvement d’idées qui s’était produit alors depuis plus d’un siècle dans la société chrétienne. D’Irénée à lui, le progrès à cet égard est sensible.

Hippolyte, toutefois, n’est encore qu’un homme d’école. Origène a été cela aussi, à un degré supérieur, et quelque chose de plus.

Né en 185, probablement à Alexandria et de parents chrétiens, Origène, appelé aussi Adamantios, fut dans sa jeunesse le disciple le plus zélé de Clément d’Alexandrie[209]. Il avait dix-huit ans, lorsque sévit la persécution de Septime Sévère (en 202). Son âme étant déjà à la hauteur de son intelligence. Lui-même exhorta son père Léonidas à ne pas faiblir par souci des siens ; Léonidas subit le martyre[210]. Clément avait dû, dans ces circonstances, délaisser son école. Si jeune que fût encore Origène, l’évêque Démétrios le choisit pour remplacer son maître[211]. Il semble que sa nature ardente ait traversé alors une période d’exaltation, pendant laquelle, si l’on doit en croire le témoignage d’Eusèbe, il n’aurait pas craint de se mutiler lui-même[212]. C’est probablement quelques années plus tard, vers la fin du règne de Sévère, entre 205 et 211 environ, qu’il faut placer ses rapports avec le philosophe Ammonios Saccas, le fondateur du Néoplatonisme[213]. Puisque Ammonios, comme le rapporte Porphyre, fut d’abord chrétien, il paraît probable qu’il l’était encore en ce temps[214] : Origène, dans sa ferveur, n’aurait pas choisi pour maître un homme qu’il aurait consideré comme un apostat ; Ammonios, jeune encore en ce temps, pouvait d’ailleurs demeurer chrétien de profession, tout en inclinant vers un platonisme mystique, qui ne devait pas déplaire au disciple de Clément. Son attitude était différente vingt ans plus tard, lorsqu’il eut pour auditeurs Plotin et l’autre Origène, le néoplatonicien. Mais il y avait au fond tant de ressemblances, quant à la tendance générale, entre le néoplatonisme naissant et le christianisme platonisant, que les divergences pouvaient se dissimuler ou s’ignorer elles-mêmes assez longtemps.

Entre 212 et 215, Origène voyage à plusieurs reprises : il vient en Italie pour visiter l’ancienne église de Pierre, il se rend même en Arabie, mais Alexandrie est toujours son domicile. La sanglante persécution de Caracalla (215-216) l’oblige à quitter cette ville. Il fuit en Palestine, enseigne à Jérusalem et à Césarée, puis revient à Alexandrie. En 218 ou 219, Julia Mammæa, mère du futur empereur Alexandre Sévère, l’appelle à Antioche, pour l’interroger sur le christianisme[215]. De 219 à 230, il continue son enseignement à Alexandrie. En 230, au cours d’un voyage en Grèce, Origène est ordonné prêtre à Jérusalem[216] ; il avait alors près de quarante-six ans. (C’est le temps où commencent ses luttes avec l’autorité ecclésiastique.

De retour à Alexandrie, il est censuré par son évêque Démétrios, accusé d’hérésie, condamné par plusieurs synodes (231-232), et forcé de quitter définitivement son école. Il transporte son enseignement à Césarée de Palestine. Cinq ou six ans plus tard, vers 237 ou 238, au moment de la persécution de Maximin, nous le trouvons caché en Cappadoce ; puis, il revient à Césarée de Palestine et y reprend son enseignement, qui ne paraît avoir été interrompu, durant les dix années suivantes, que par quelques voyages (séjour à Athènes vers 240, en Arabie vers 244). L’Église était alors en paix ; Origène correspondait avec l’empereur Philippe (244-249) et avec sa femme Severa. Vers ce temps, mais à une date qui ne peut plus être précisée, il établit son école à Tyr. C’est là sans doute que l’atteignit la persécution de Decius (empereur de 249 à 251). Il eut à subir la torture, mais il survécut. Sa mort eut lieu à Tyr en 254 ; il avait tout près de soixante-dix ans.

Cette vie agitée fut en même temps une vie d’étude incessante. Dès son enfance, Origène eut la passion de y lire et de méditer ; et cette passion ne semble pas avoir décru en lui à aucun moment ; une partie de ses nuits se passait au travail. Bien qu’il s’attacha surtout à réfléchir sur le texte des Écritures, son savoir s’étendait bien au delà. Son disciple Grégoire le Thaumaturge, dans le panégyrique qu’il lui a consacré, nous a laissé le tableau de ce qu’était son enseignement à Césarée[217]. Le caractère encyclopédique en est frappant. Il commençait par la dialectique, afin d’habituer ses auditeurs au raisonnement. Puis, il leur exposait les sciences qui se rapportent au monde sensible, physique, géométrie, astronomie. Il passait alors à l’homme par l’enseignement de la morale. Enfin, il arrivait au monde suprasensible ; et là, il faisait connaitre les doctrines des principaux philosophes, pour mieux établir sa propre métaphysique. Celle-ci avait pour couronnement la théologie fondée sur les Écritures, ce qui amenait le maître à exposer la méthode qui lui paraissait propre à les interpréter. La seule conception d’un tel ensemble révèle un esprit aussi vigoureux qu’abondant en connaissances, et l’on y sent l’héritier des traditions de Clément, tout pénétré d’hellénisme. Mais ce qui était encore confus dans les ouvrages de celui-ci s’offre ici sous l’aspect d’une construction simple et puissante. Nous voyons, par une lettre d’Origène lui-même dans Eusèbe, que ses cours furent suivis quelquefois par des philosophes étrangers au christianisme[218] : il n’y a pas lieu d’en être surpris ; car si ce large enseignement aboutissait à la théologie chrétienne, c’était, comme on le voit, en traversant presque tout le domaine du savoir hellénique[219]. Et c’est justement cette influence profonde de la pensée grecque, pénétrant dans toutes les parties d’une doctrine d’ailleurs chrétienne, qui a constitué ce qu’on peut appeler l’Origénisme et qui l’a rendu bien vite suspect à une orthodoxie défiante.

En elle-même, et par l’effort sincère qu’elle révèle, l’œuvre d’Origène inspire le respect. Mais, au point de vue de la critique littéraire, il faut reconnaître qu’elle demeure secrètement viciée par quelque chose de hâtif et d’incomplet. On ne peut s’empêcher de regretter qu’un homme d’une si haute valeur ait eu si peu de temps pour mûrir sa doctrine et pour dégager sa personnalité. Chargé d’enseigner à un âge ou les esprits réfléchis commencent seulement à apprendre, Origène fut contraint toute sa vie de se faire rapidement ses idées, à mesure qu’il les exposait : il n’eut jamais le loisir de se recueillir, de réviser ses méthodes, de se juger lentement lui-même, d’éliminer les parties faibles de sa philosophie et de condenser les autres. Par suite, toute son œuvre a le caractère d’une improvisation brillante et inégale, qu’un esprit supérieur a développée au jour le jour, où il a jeté abondamment ses vues personnelles, sa science, ses souvenirs, ses conceptions naissantes, mais qui manque de je ne sais quelle force intime d’organisation et d’achèvement. Il suffira de la parcourir rapidement pour en donner l’impression.

Dans l’immense collection de ses écrits, en partie perdus, distinguons d’abord les ouvrages d’enseignement dogmatique[220]. Le seul dont nous puissions juger est le Traité des Principes, encore représenté par des chapitres entiers. Les principes qui donnaient leur nom à l’ouvrage étaient ceux de la croyance chrétienne : la nature de Dieu, celle de l’homme, la chute et la rédemption, la liberté et la grâce, l’autorité des Écritures. Il nous reste un important chapitre du livre III sur la liberté, et un autre du livre IV sur l’interprétation des Écritures. Le premier est d’une philosophie claire, d’une dialectique facile et ingénieuse, mais qui ne vont pas au fond des choses. Dans le second, Origène fait la théorie définitive de l’interprétation allégorique, qui, grâce à lui, est devenue comme le signe propre de l’école exégétique d’Alexandrie. Il y pose la distinction du sens matériel et du sens spirituel. En le faisant, il ne paraît se soucier ni des objections ni des conséquences possibles ; il enseigne plus qu’il ne discute, avec un dogmatisme modeste, mais confiant en son principe, qui se satisfait trop aisément par la clarté de ses déductions. Au fond, sa théorie, renouvelée de Philon, et consistant à soutenir qu’un même texte dit deux choses à la fois, ou même qu’il ne dit pas ce qu’il semble dire, est le contraire de toute saine critique. Mais il ne faut pas oublier, pour la juger, que, d’une part, elle avait pour elle l’autorité d’une ancienne méthode et que, d’autre part, elle seule pouvait infuser largement l’hellénisme dans la tradition biblique.

C’est de cette théorie, à la fois fausse et féconde, que s’inspire l’immense collection de travaux exégétiques qui constituait la principale partie de l’œuvre d’Origène. Ces travaux eurent pour base l’établissement du texte sacré dans des conditions vraiment nouvelles ; travail préalable, qui aboutit à la constitution de la Bible à six colonnes (τὰ Ἑξαπλᾶ (ta Hexapla)), ou se développaient parallèlement le texte hébreu en lettres hébraïques, le même en lettres grecques, et les quatre traductions d’Aquila, de Symmaque, des Septante et de Théodotien[221]. Ce texte ainsi établi, Origène passa toute sa vie à le commenter[222]. Son exégèse s’étendit peu à peu à tout l’Ancien et à tout le Nouveau Testament. Elle prit trois formes, selon qu’elle se produisait en Scolies (Σχόλια (Scholia)), en Homélies (Ὁμιλίαι (Homiliai)), ou enfin en Commentaires (probablement Ὑπομνήματα (Hupomnêmata), mais ordinairement désignés par le terme de Τόμοι (Tomoi), volumes). Les Scolies étaient de simples notes ; le texte original en est entièrement perdu, mais il est probable que le contenu s’en retrouve en partie dans les explications attribuées à Origène par les exégètes qui l’ont suivi. Des Commentaires, il ne reste que des parties, quelques-unes, il est vrai, assez importantes, que nous n’avons pas à énumérer ici[223]. Ces commentaires, en raison de leur abondance, de l’érudition dont ils sont pleins, des vues ingénieuses et philosophiques qui y sont partout répandues, n’ont cessé d’être considérés comme un des monuments de la littérature ecclésiastique. Selon que les docteurs chrétiens tenaient ou non pour l’interprétation allégorique et l’hellénisme, ils les ont exaltés ou combattus. Quoi qu’on en pense, on ne peut nier qu’ils n’aient contribué à faire entrer dans la théologie chrétienne plus de philosophie grecque qu’aucun autre ouvrage. Mais si l’on y cherche surtout la personnalité de l’auteur, il faut reconnaître qu’elle est loin de s’y manifester avec la force qu’on pourrait attendre. La philosophie d’Origène n’est pas une création originale, une doctrine marquée de son empreinte et qui demeure comme un système coordonné[224]. C’est une appropriation partielle et incomplète de vues diverses à des textes qui ne les admettent pas toujours. Et la forme de ces commentaires n’a rien non plus qui s’impose à l’attention. Une manière discursive et facile, souvent prolixe, qui sent l’enseignement, point de souci de condenser la pensée, point de recherche de l’expression vraiment propre et précise, et fort peu de traces de cette spontanéité vive qui seule aurait pu vivifier une langue négligée. On ne saurait tirer de toute la collection une de ces pages pleines et durables, toujours nouvelles, et où l’âme parle à l’âme.

Les Homélies, par leur nature même, offrent plus d’intérêt à l’historien de la littérature. Car elles sont, comme on l’a dit, « les premiers spécimens de l’éloquence de la chaire[225]. » Il nous en reste une vingtaine en grec, sans parler des fragments et des traductions : c’est un ensemble assez important. Par le fond et la méthode, elles se rattachent étroitement à l’exégèse proprement dite ; car ce ne sont en somme que des commentaires de textes de l’Écriture, et on y retrouve toujours la même méthode d’interprétation allégorique. Mais ces commentaires ont été donnés à l’église, non dans l’école, devant un auditoire plus mélangé, et auquel n’aurait pu convenir un enseignement trop savant. Ils ont donc quelque chose de plus libre, ils visent à édifier et à toucher en même temps qu’à instruire, et par suite le ton en est assez différent. Il ne l’est pas encore autant que nous le voudrions, et la préoccupation dogmatique y demeure beaucoup trop prédominante. En somme, ce qui recommande surtout ces discours, si on ne les juge qu’en littérateur, c’est une sincérité qui exclut toute fausse rhétorique.

Origène a été aussi un apologiste et un polémiste[226]. Le plus connu peut-être de ses ouvrages et l’un des plus considérables est la Réfutation de Celse (Κατὰ Κέλσου (Kata Kelsou)), en huit livres. Il a été question plus haut du Discours vrai composé par Celse au siècle précédent. Le succès de ce livre, qui était une attaque en règle contre le Christianisme, semble avoir été grand. Origène, sur le désir de quelques-uns de ses amis, entreprit de le réfuter. Il prépara d’abord ce travail à loisir, puis, en 246 ou 249, il se décida à l’achever rapidement et à le publier. Nous le possédons encore. C’est une véritable Défense du Christianisme, qui touche à tous les points essentiels. Écrite avec modération et dignité, elle intéresse par le sentiment qui l’anime, par la gravité des questions posées, par les idées et les informations dont elle est pleine. Quelques-uns des grands côtés du Christianisme sont heureusement dégagés et mis en lumière. Origène montre par exemple avec force comment la philosophie grecque s’est trouvée trop savante pour la masse de l’humanité ; et, quand Celse reproche au christianisme de vouloir substituer la croyance aveugle à la raison, il répond avec justesse que la simple croyance, quoi que nous fassions, a une part énorme dans la vie intellectuelle de chacun de nous, et que, d’ailleurs, le christianisme s’était fait, lui aussi, une philosophie. Ajoutons que beaucoup d’assertions légères et inexactes, avancées par Celse, sont relevées à propos. Mais, si ces mérites donnent à l’ouvrage une valeur réelle, qu’il est loin d’avoir perdue avec le temps, ils n’empêchent pas, d’autre part, que les défauts ordinaires à l’auteur n’y soient très sensibles. Ce qui y manque le plus, c’est une composition méthodique : ce n’en était pas une que de suivre l’ouvrage de Celse pas à pas ; les redites, les lenteurs y abondent ; on y voudrait surtout quelques pensées maîtresses, capables d’organiser en un tout cette masse d’arguments.

Si, de cet aperçu sommaire, on veut dégager maintenant un jugement d’ensemble sur l’œuvre d’Origène, il semble qu’il y ait lieu de faire ressortir surtout la disproportion, si frappante chez lui, entre l’activité de l’esprit et l’art littéraire. Cette insuffisance de l’art serait de peu d’importance, après tout, si elle n’atteignait aussi le fond des choses. Mais ici, comme toujours, quand l’art manque dans une œuvre de l’esprit, c’est que la pensée n’y est pas arrivée à son achèvement. Si elle était assez profonde, assez puissamment coordonnée, assez dépouillée de tout ce qui l’alourdit et l’affaiblit, elle serait belle, alors même que l’auteur n’aurait pas cherché à l’embellir. Ce que nous avons sous les yeux n’est que l’ébauche d’une grande œuvre. Et s’il en est ainsi, c’est que le christianisme, en ce temps, n’était pas encore assez hellénisé. Déjà, il avait emprunté beaucoup à la Grèce ; mais le temps n’était pas encore venu, où, sûr de lui, il allait lui demander, non seulement sa philosophie, son érudition, ses méthodes de recherche, sa dialectique, mais aussi le moyen de faire valoir tout cela, c’est-à-dire son éloquence.
X
Après Origène, et jusqu’à la fin du iiie siècle, nous ne trouvons plus, dans la littérature chrétienne, que des écrivains secondaires. Ce serait sortir du cadre de cet ouvrage que de les étudier en détail. Essayons seulement, en groupant les principaux d’entre eux, de caractériser en quelques mots les tendances qu’ils manifestent.

Notons d’abord la persistance de l’école, dite catéchétique, d’Alexandrie, héritière directe d’Origène et, par lui, de Clément et de Pantænos. Elle se continue par Héraclas, par Denys le Grand, par Pierios, Theognostos, Sérapion, et Pierre qui meurt martyr en 311. Presque tous les écrits de ces docteurs sont perdus. Les plus importants fragments proviennent des œuvres du second d’entre eux, Denys le Grand, qui fut le chef de l’école de 248 à 265 ; et ceux-là même intéressent plus l’histoire du dogme et de la discipline ecclésiastique que celle de la littérature[227]. D’une manière générale, cette école d’Alexandrie reste fidèle à l’esprit d’Origène, très attachée au sens symbolique et très pénétrée d’hellénisme, bien qu’un certain nombre de ses maîtres rejettent d’ailleurs ou même combattent quelques opinions particulières d’Origène[228].

Dans le même temps, on voit apparaître à Antioche une série d’autres docteurs qui s’inspirent d’un esprit différent et qu’on a pris l’habitude de grouper pour cette raison sous le nom d’école d’Antioche[229]. Tandis que les Alexandrins sont platoniciens et allégorisants, ceux-ci relèvent plutôt d’Aristote et inclinent, dans l’exégèse, vers le sens littéral. Cette tendance prend corps dans la seconde moitié du iiie siècle avec le savant Lucien de Samosate, qui enseigne alors à Antioche et subit le martyre en 311[230]. Lui aussi, comme Origène, s’occupe d’établir le texte des Écritures, et, comme lui, il l’explique. Et c’est à l’esprit général de son interprétation que se rattachera, au siècle suivant, l’Arianisme.

En dehors même de l’école, l’Origénisme divisait les esprits. Un des plus remarquables disciples du grand docteur alexandrin fut Grégoire dit le Thaumaturge. D’abord païen, il entendit Origène à Césarée de Palestine en 231, fut gagné par lui au christianisme, et resta son auditeur et son élève jusque vers 239. Un peu plus tard, vers 240, il devint évêque de Néocésarée dans le Pont ; c’est là qu’il passa la fin de sa vie et mourut vers 270[231]. Ses œuvres, en grande partie perdues, comprenaient des traités dogmatiques et des homélies, dont nous n’avons pas à nous occuper. Mais il y a peut-être quelque intérêt à signaler son Discours sur Origène (Εἰς Ὀριγένην προσφωνητιϰὸς ϰαὶ πανηγυριϰὸς λόγος (Eis Origenen prosphônêtikos kai panêgurikos logos)), prononcé solennellement en 239, au moment où il se séparait de son maître[232]. Le texte en est venu jusqu’à nous[233] ; et, outre l’intérêt historique qu’il présente, il nous laisse voir, plus qu’aucune autre œuvre du temps, comment l’influence de la rhétorique grecque commençait à pénétrer dans certains milieux chrétiens. Elle s’y trahit, chez lui, par l’emphase, les hyperboles, les tours oratoires ; mais il apparaît par ces défauts même qu’en certaines circonstances au moins, ces sévères exégètes n’étaient pas insensibles à l’élégance du discours ; et nous voyons ainsi naître parmi eux un goût de l’art littéraire qui devait bientôt porter ses fruits.

Ce même goût se fait sentir plus fortement encore chez un autre écrivain contemporain, l’évêque Méthodios, aussi décidé contre Origène que Grégoire l’était en sa faveur. Tout ce que nous savons de lui se réduit à peu près à ceci, qu’il fut évêque d’Olympos en Lycie à la fin du iiie siècle et mourut martyr, probablement en 311, pendant la persécution de Maximin Daïa[234]. Mais il n’est pas douteux qu’il n’ait été instruit dans les lettres profanes, car tout ce qu’il a écrit atteste l’influence des modèles classiques, poètes et prosateurs, de Platon en particulier[235].

N’insistons pas ici sur les fragments de sa Réfutation de Porphyre, non plus que sur ceux du traité anti-origéniste Sur les choses créées (Περὶ τῶν γενητῶν (Peri tôn genetôn)), ni sur d’autres d’un caractère exégétique ou dogmatique. L’influence classique se manifeste surtout dans trois de ses œuvres, qui sont des dialogues de philosophie religieuse. Le plus connu est le Banquet des dix vierges (συμπόσιον τῶν δέϰα παρθένων (sumposion tôn deka parthenôn)), dont le texte entier nous a été conservé[236]. L’imitation de Platon y est sensible : il y met en scène dix vierges, qui, tour à tour, dissertent sur la charité, sans doute pour faire antithèse aux discours des personnages de Platon sur l’amour. Comme œuvre d’art, cela est médiocre. Ces vierges sont de vrais docteurs, qui n’ont rien d’aimable, malgré le sentiment poétique qu’on ne peut refuser à l’auteur ; et, de plus, l’excellence de leurs intentions leur fait un peu trop oublier la réserve qui eut été séante à leur sexe. Du moins, elles s’expriment en assez bon langage, et elles savent raisonner sans diffusion et sans prolixité. Certes, nous sommes loin, de toute façon, du dialogue platonicien ; mais enfin, il y a là vraiment un sentiment nouveau de ce que c’est qu’écrire et composer[237]. Deux autres dialogues, Sur le libre arbitre (Περὶ τοῦ αὐτεξουσίου (Peri tou autexousiou)), et Sur la Résurrection (Περὶ τῆς ἀναστάσεως (Peri tês anastaseôs)), tous deux dirigés contre les idées d’Origène, ne nous ont pas été conservés dans leur intégrité ; mais nous en possédons d’importants fragments. On y retrouve les mêmes qualités littéraires, le même tour d’imagination poétique uni à une dialectique assez dégagée. Donc, chez Méthodios, l’enseignement chrétien, sans rien perdre de sa gravité, commence à se préoccuper de plaire et à se débarrasser du pédantisme de l’école. Il s’achemine ainsi tout droit vers des habitudes nouvelles qui le feront entrer dans la littérature proprement dite.

Deux noms seulement doivent encore être mentionnés dans ce chapitre ; ceux de Pamphile et de Jules Africain. — Pamphile, qui fut élève de l’école d’Alexandrie et mourut évêque de Césarée de Palestine en 309, n’intéresse guère l’histoire de la littérature qu’à titre de fondateur d’une célèbre bibliothèque chrétienne, qui, servit aux travaux d’Eusèbe et de Jérémie. Il avait composé une Apologie d’Origène, qu’il laissa inachevée en cinq livres : Eusèbe y ajouta un sixième livre ; l’ouvrage a disparu, sauf le premier livre, dont nous possédons encore la traduction latine par Rufin[238]. — Julius Sextus Africanus, qui vécut dans la première moitié du siècle et se fixa de bonne heure à Emmaüs en Palestine, est célèbre comme le père de la chronographie ecclésiastique[239]. Mais de sa Chronographie en cinq livres, qui s’étendait de l’an 5499 av. J.-C. à l’an 221 de notre ère, il ne reste que des fragments ; et ces fragments n’ont rien de littéraire[240].

Le iiie siècle, malgré le grand nom d’Origène, n’a donc marqué dans la littérature chrétienne par aucune œuvre de premier ordre. Mais, s’il n’a rien achevé, on peut dire qu’il a tout préparé. Les genres futurs étaient en germe dans les œuvres qu’il avait produites. De ces germes allait sortir une riche et brillante végétation.

  1. Sur cette famille, assez difficile à débrouiller, consulter Bergk. Die Philostrate, dans son recueil intitulé Fünf Abhändlungen, Leipzig, 1883.
  2. Suidas, Φιλόστρατος ὁ πρῶτος (Philostratos ho prôtos).
  3. Sur l’attribution du Néron, voir Kayser, Flav. Philostrati Vitæ sophist., Heidelberg, 1838, Proleg., p. 33.
  4. Sur cette cour lettrée, voir Philostr., Vie d’Apollonios, I, ch. III ; Vies des sophistes, II, ch. XXX ; Lettres, 73 ; Dion Cassius, 75, 15, 6 ; Suidas, Ἰουλία Αὔγουστα (Ioulia Augousta) ; Oppien d’Apamée, début des Cynégétiques.
  5. On l’appelle ainsi pour l’opposer à son petit-fils dont il va être question ensuite, Philostrate le jeune, parce qu’ils sont tous deux auteurs de Tableaux. Il faut bien remarquer qu’il n’est aucunement le plus ancien des Philostrate.
  6. Les attributions de Suidas sont confuses et contradictoires. Mais celles-ci sont confirmées par une scolie anonyme ajoutée au titre de l’abrégé des Vies des sophistes du Vatican (voir Kayser, Vies des soph., édition d’Heidelberg, 1838, p. XXVIII) et par le rhéteur Ménandre (Rh. Gr., de Spengel, t. III. p. 390).
  7. Vie d’Apoll., l. I, ch. iii.
  8. Ibid.
  9. Ibid.
  10. Voir Philologus, nouvelle série, V, p. 137.
  11. On peut croire qu’il contribua à augmenter la réputation d’Apollonios. Caracalla lui dédia un sanctuaire (Dion Cass., t. LXXVII, ch. xviii) ; Alexandre Sévère avait sa statue dans son lararium (Hist. Aug., Alex. Sev., 29) ; il fut honoré, ou même adoré comme un dieu, à Éphèse (Lact., Inst. div., V, 3) ; et dès la fin du iiie siècle, son image se trouvait dans beaucoup de temples (Vopiscus, Aurel., 24). Vopiscus (pass. cité) écrit à son sujet : « Quid enim illo viro sanctius, venerabilius diviniusque inter homines fuit ? Ille mortuis reddidit vitam, ille multa ultra hominem fecit et dixit. Quæ qui velit nosso, græcos legat libros qui de ejus vita conscripti sunt. » Il se proposait d’écrire lui-même sa vie en latin.
  12. L’ouvrage d’Hiéroclès, perdu, peut encore être restitué dans ses grandes lignes, à l’aide de la réfutation d’Eusèbe, dont on trouvera le texte à la suite de la Vie d’Apollonios, dans le Philostrate de Kayser, t. I, Bibl. Teubner.
  13. Voir surtout Baur, Apollonius und Christus, Tubingue, 1832. Cf. Chassang, Apollonius de Tyane, traduction annotée, Paris, 1862, Introduction.
  14. Vies des Soph., préface.
  15. Il semble qu’il ait dû beaucoup à Damianos d’Éphèse en particulier : liv. II, chap. IX et XXIII. On voit par ces passages que c’était ce sophiste qui l’avait renseigné sur Ælius Aristide et sur Adrien de Tyr.
  16. Il y est fait mention, (ch. xlvi) de l’athlète Hélix, célèbre sous Élagabale (Dion Cassius, 79, 40).
  17. On a vu plus haut que la « lettre » était une des formes d’amplification en honneur parmi les sophistes.
  18. On peut en dire autant de deux fragments qui accompagnent ce recueil de lettres. L’un est une définition des qualités propres au genre épistolaire : il est plaisant d’y voir l’auteur recommander, en termes d’ailleurs prétentieux, la simplicité et la clarté. L’autre est un pur développement sophistique sur l’exposition et la conciliation de la nature et de la coutume. Suidas attribue à Philostrate un recueil de διαλέξεις (dialexeis) : ce second fragment doit provenir d’une de ces amplifications.
  19. Ménandre (Rh. Gr., Spengel, t. III, p. 190) : Ἐξαγγελία.. ἀπλουστέρα.. ϰαὶ ἀφελεστέρα, οἴα ἡ Ξενοφῶντος ϰαὶ Φιλοστράτου τοῦ τῶν Ἡρωΐϰῶν τὴν ἐξήγησιν ϰαὶ τὰς Εἰϰόνας γράψαντος, ἐρριμμένη ϰαὶ ἀϰατάσϰευος.
  20. Héroïque, II, 6, mention de l’athlète Hélix, dont il a été parlé plus haut.
  21. Il utilise pour cela des tragédies perdues, ce qui donne aujourd’hui à ses récits une certaine valeur documentaire.
  22. Portraits de Palamède, d’Ajax, d’Achille, etc.
  23. Consulter E. Bertrand, Un critique d’art dans l’antiquité ; Philostrate et son école, Paris, Thorin, 1882 ; Bougot, Une Galerie antique, traduction, avec une introduction et des commentaires, Paris, 1881.
  24. Préface : … Ἀφ’ὤν ἑρμηνεύσουσί τε ϰαὶ τοῦ δοϰίμου ἐπιμελήσονται.
  25. Voir Suidas, Νιϰόστρατος Μαϰεδών. On a vu plus haut que Lucien s’était complu à décrire des œuvres d’art et à les interpréter.
  26. La question indiquée ici a divisé et quelque peu passionné les archéologues. Selon K. Friedrichs, les tableaux de Philostrate auraient été composés par lui d’après des passages de divers poètes (Die Philostratischen Bilder, N. Jahr. f. class. Phil., 1861). Mais, l’opinion contraire a été fortement défendue, surtout par H. Brunn (Die Philoatratischen Gemälde, même recueil, vol. supplém., 1861 et 1871). Pour l’opinion intermédiaire, voir F. Matz, De Philostratorum in describendis imaginibus fide, Bonn, 1867.
  27. Nous avons un certain nombre de descriptions de Libanios (voir plus loin). Il y en a aussi dans le roman d’Achille Tatios. Bien que le genre ne fût pas propre à Philostrate, l’un et l’autre avaient certainement lu ses descriptions.
  28. Μητροπάτωρ est le titre qu’il donne à son prédécesseur dans la Préface de ses Tableaux.
  29. Il est manifeste, toutefois, qu’en certains passages au moins, il invente ou arrange les choses à sa manière. C’est ainsi que, dans le tableau 10, un des personnages, Néoptolème, est censé porter le bouclier d’Achille ; à ce propos, Philostrate paraphrase la description du 18e chant de l’Iliade, bien que ce bouclier n’ait pu être représenté avec tout ce détail sur un tableau.
  30. On y voit figurer trois bronzes de Praxitèle, savoir : un Éros, (ch. iii), un Dionysos ch. viii), une statue de jeune homme (ch. vi, et une œuvre, également en bronze, de Lysippe, le Génie de l’à-propos (Καιρός, ch. vi).
  31. Suidas, Αἰλιανός ; Philostr., Vies des soph., II, 31. — Art. Claudius Elianus, dans Pauly-Wissowa, t. I, p. 486.
  32. Vies des Soph., II, 31.
  33. Philostrate ne dit pas à quel moment cette parole fut prononcée. Il est possible que, plus tard, Élien ait visité l’Égypte. J’ai peine à croire que les mots ἐθεασάμην ἐν Ἀλεξανδρείᾳ, dans l’Hist. des animaux, XI, 40, soient empruntés avec le reste du passage à Apion, comme le pense Wellmann (Pauly-Wissowa, art. cité).
  34. Ibid. : Ῥωμαῖος μὲν ἦν, ἠττίϰιζε δὲ ὥσπερ οἱ ἐν τῇ μεσογείᾳ Ἀθηναῖοι.. Et plus loin : λόγου πλείονος ϰατὰ τὴν Ρώμην ἠξιοῦτο ὡς τιμῶν τὰ ἤθη. Voy. Hist. variée, II, 38.
  35. Philostrate rapporte que son neveu, Philostrate de Lemnos, dit à Élien, non sans esprit : Ἐθαύμαζον ἂν εἰζῶτος ϰατηγόρησας.
  36. Sur les animaux, I, 13.
  37. Sur les animaux, 24.
  38. Sur les sources d’Élien dans son Περὶ ζῴων, voir l’art. cité de Wellmann dans Pauly-Wissowa et les études du même savant dans l’Hermes, XXVI et XXVII. Élien prétend avoir apporté aussi des observations personnelles, Épilogue, fin. Cela reste à prouver.
  39. Épilogue, vers le milieu.
  40. Prologue σπουδῆς ἄξιον μάθημα… ϰαὶ τῇ εὑρέσει τῇ περιττοτέρᾳ ϰαὶ τῇ φωνῇ. Il traduisait ses auteurs en langage littéraire : 1. ταῦτα… ἀθροίσας ϰαὶ περιϐαλὼν αὐτοῖς τὴν συνήθη λέξιν. La συνήθης λέξις s’oppose pour lui au langage technique des spécialistes.
  41. Suidas le cite sans cesse. Au xiiie siècle, ce succès durait encore : Manuel Philès d’Éphése lui emprunta la substance de son poème Περὶ ζῴων ἰδιότητος, dédié à l’empereur Michel Paléologue.
  42. Hercher, De Æliani varia historia, Rudolstadt, 1857.
  43. Essai de Rudolph dans Leipziger Stud., VII.
  44. L’authenticité de ces lettres reste douteuse, malgré l’opinion d’Hercher, Epistol. græci, Préf., p. X.
  45. Suidas, Ἀθήναιος. — Article Ἀθήναιος, n° 22, dans Pauly-Wissowa.
  46. Il y parle de la mort d’Ulpien, qui eut lieu en 228 (l. XV, p. 286 e) ; malgré la part de fiction qu’il mêle à la réalité, il y a lieu de croire qu’il n’eut pas fait mourir un personnage vivant (Voir Kaibel, Préf. de son édition).
  47. Voir C. Müller, Fragm. Hist. Gr., III, 656.
  48. La trace de cette division primitive se trouve à la marge du ms. de Venise.
  49. Manquent les deux premiers livres, le commencement du troisième, deux parties du onzième, et la fin de l’ouvrage.
  50. I, 3. Δραματουργεῖ δὲ τὸν διάλογον ὁ Ἀθήναιος ζήλῳ πλατωνιϰῷ, dit l'abréviateur.
  51. Discussions à ce sujet : Rudolph, Leipziger Stud., VII ; Philolog., suppl., VI ; Bapp, Leipziger Stud., VIII, et en général l’art. cité de Wenzel dans Pauly-Wissowa, I, p. 2032.
  52. Voir, dans le même article, l’exposé de ce que contient l’ouvrage, livre par livre.
  53. Suidas. Ἀψίνης Γαδαρεύς. Philostr. V. des Soph., II, 33, fin. — Art. de Brzoska dans Pauly-Wissowa, Apsines.
  54. Voir ces noms dans Suidas.
  55. Rhet. Græci de Spengel, t. I, p. 331. Le titre de l’ouvrage est diversement altéré dans les mss. Le plus important de ceux-ci est le Parisinus 1874. Le texte de la rhétorique y est d’ailleurs défiguré, comme dans tous les autres mss., par diverses interpolations. Ce chaos a été débrouillé peu à peu par Ruhnken, Spengel, Finckh. Voir l’art. cité de Brzoska. — Le traité Περὶ ἐσχηματισμένων προϐλημάτων, qui est joint à la Rhétorique, n’en est sans doute qu’un chapitre aujourd’hui détaché.
  56. Scol. de Démosth., Leptin., 458, 9, et scol. d’Hermogène, V, 517, Wahl.
  57. Nicagoras, voir C. Müller, Fr. Hist. Gr., III, p. 662. Minucianus, Περὶ ἐπιχειρημάτων. Rhet. Gr., Spengel, I, 415 ; Suidas, Μινουϰιανός, Γενέθλιος, Μένανδρος et Πορφύριος. Rufus, Τέχνη ῥητοριϰή, Rh. Gr., Spengel, I, 461.
  58. Éd. Dindorf, tom. III, p. 26, 22 et surtout 260, 2. La citation de la page 53, 34 me paraît se rapporter au poète Ménandre.
  59. Rh. Gr., Spengel, III, 329.
  60. Bursian, Der Rhetor Menandros und seine Schriften (Abhandl. d. bayer. Akad. t. XVI, 1882). Il attribue le second traité à un auteur inconnu, d’Alexandria Troas.
  61. Suidas, Λογγῖνος. Cf. Φρόντων Ἐμισηνός et Πορφύριος. Eunape, Vit. Sophist.
  62. Porph., Vie de Plotin, § 20 (Didot).
  63. Voir la fin de la lettre citée par Porphyre, ibid., § 19 et le fragment du Περὶ τέλους, ibid., § 20.
  64. Même lettre.
  65. Vopiscus, Aurel., ch. xxx. Zosime, I, 56.
  66. Voyez plus haut, p. 783, n. 5.
  67. Φιλόλογος μὲν ὁ Λογγῖνος, φιλόσοφος δὲ οὐδαμῶς, Porphyre, Vie de Plotin, 14. Zeller, Die Phil. d. Griech., t. V, p. 463 et suiv.
  68. Confondu dans les mss. avec la Rhétorique d’Apsinès, ce traité de Longin en a été dégagé par Ruhnken  ; voir Walz, Rh. Gr., III, p. XXIII.
  69. Voir l’appréciation de l’Anonyme (Rh. Gr. de Spengel, t. I, p. 321), qui égale cette Rhétorique à celle d’Hermogène, et même la préfère οὔτος γὰρ (Longin) ϰαὶ εὐμαθέστερος ἐστι τοῖς ἀναγινώσϰουσιν.
  70. Vie de Plotin, 20 : Τοῦ ϰαθ’ ἡμᾶς ϰριτιϰωτάτου γενομένου ϰαὶ τὰ τῶν ἄλλων πάντα τῶν ϰαθ’ αὑτὸν διελέγξαντος.. Et plus loin : ἐλλογιμωτάτου ἀνδρὸς ϰαὶ ἐλεγϰτιϰωτάτου. Plus loin encore, 21 : τοσοῦτος ἀνὴρ ϰαὶ ἐν ϰρίσει πρῶτος ὢν ϰαὶ ὑπειλημμένος ἄχρι νῦν. — Cf. l’anonyme cité dans la note précédente, et surtout ce qu’en dit Eunape dans la vie de Porphyre.
  71. Titres cités par Suidas.
  72. Voir p. 378.
  73. L’étude capitale sur le roman grec est celle de E. Rohde, Der griechische Roman und seine Vorlaüfer. Leipzig, 1876. Elle avait été précédée en France par celle de Chassang, Histoire du roman et de ses rapports avec l’histoire dans l’antiquité grecque et latine, 2e éd., Paris, 1862. La définition du roman n’y étant pas assez précise, l’auteur a écrit plutôt l’histoire de la fiction, ce qui est assez différent. Cf. aussi Nicolaï, Ueber Entstehung und Wesen des Griechischen Romans, 2e édition, Berlin, 1867. Rappelons enfin, à cause du nom de l’auteur, l’étude de Villemain Sur les Romans grecs.
  74. On a voulu aussi autrefois le rattacher aux contes orientaux ; Huet, Lettre à Segrais sur l’origine des romans. Cette opinion paraît devoir être rejetée. Nous ne trouvons rien dans le roman grec qui ne s’explique par des antécédents helléniques.
  75. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu antérieurement d’autres ouvrages analogues. Le roman a pu prendre naissance un siècle ou deux plus tôt, sans que nous en saisissions la trace.
  76. Ce papyrus appartient à la section égyptienne du musée de Berlin. Il a été décrit et analysé par U. Wilcken dans l’Hermes, 1893, 2e fasc.
  77. Photius, Bibl., 166 ; E. Rohde, Griech. Rom., p. 254 sqq. ; Pauly-Wissowa, art. Antonius Diogenes, t. I, p. 2615.
  78. Ajoutons que Porphyre le cite dans sa Vie de Pythagore.
  79. Photius, pass. cité : Σαφὴς ἡ λέξις ϰαὶ ϰαθαρά.
  80. Il y en a quelques fragments dans la Vie de Pythagore de Porphyre, mais ils sont difficiles à isoler.
  81. Suidas, Ἰάμϐλιχος. — Photius, 94. Les renseignements biographiques sont au milieu de l’analyse (p. 75, Bekker ; Hercher, Erot. Scrip. Or., t. I, p. 225) ; évidemment Jamblichos les donnait là dans son récit ; mais ils doivent étre contrôlés à l’aide de la notice marginale du Venetus, 450, reproduite dans le Photius de Bekker, p. 73, note 24. — E. Rohde, Gr. Rom., p. 361.
  82. L’analyse de Photius doit être lue dans l’édition des Erotici græci de Hercher, t. I, p. 225 et suiv. — Voir en outre : 1° les fragments réunis dans le même volume, p. 217-220 ; 2° ceux qui ont été ajoutés après coup en tête du second volume, p. 64-67 ; 3° enfin ceux qui ont été publiés par H. Hinck, à la suite des Polemoni declamationes, Lipsiæ, 1873 (p. 46-51).
  83. Selon Suidas, les Babyloniques avaient 39 livres ; mais l’analyse qu’en donna Photius s’arrête au XVIe et sembla complète ; comme le livre eut grand succès, on peut expliquer cette divergence en supposant qu’il y eût plusieurs éditions, diversement divisées.
  84. Hercher, ouv. cité, II, p. LXIV.
  85. Voir dans Hinck, ouv. cité, p. 46, le discours du maître accusant son esclave d’adultère, et, p. 49, la description du cortège du roi de Babylone.
  86. Suidas, Ξενοφων Ἐφέσιος. En dehors de cette notice, qui ne nous apprend à peu près rien, nous n’avons aucun renseignement biographique sur Xénophon.
  87. E. Rohde, Gr. R., p. 388 et suiv. Cf. Schnepf, De imitationis ratione inter Heliodorum et Xenophontem Ephesium, Kempten, 1887.
  88. Dans le texte que nous possédons, il forme cinq livres, qui conduisent l’aventure jusqu’à son dénouement. Selon Suidas, il formait dix livres. Il est donc possible, mais nullement certain, que notre texte représente une édition abrégée. E. Rohde, p. 401.
  89. E. Rohde, p. 405, note 1.
  90. Singer, Apollonius von Tyren, Untersuchung ueber das Fortleben des antiken Romans in spaeteren Zeiten, Halle, 1896.
  91. Voir surtout la préface de A. Riese, en tête de son édition : Historia Apollonii regis Tyri, Leipzig, 1871 ; 2e édition, 1893. — Cf. E. Rohde, Gr. R. p. 408 et suiv., et Pauly-Wissowa, Apollonius, n° 89. L’existence d’un original grec, quoique certaine, ne se fonde sur aucun témoignage positif. On l’a déduite d’abord des hellénismes qu’on a cru relever dans le latin du traducteur (voir A. Riese, préface ; contredit par Lielmann, Ueber Sprache und Kritik des lateinischen Apollonius Romans, Speier, 1881). Elle résulte surtout de la nature même de l’œuvre. — Les remaniements en grec vulgaire qui ont eu cours chez les Byzantins dérivent de la traduction latine (Krumbacher, Byz. Liter., § 252).
  92. Riese, Préface, seconde édition, p. XVI. Selon Krumbacher (Byz. Literatur gesch., § 252), l’imitateur serait au contraire Xénophon.
  93. Nous n’avons aucune notice sur lui. Nos seuls renseignements sont ceux que nous discutons dans le texte.
  94. Photius, cod. 73, s’exprime de même : τοῦτον δὲ (Héliodore) ϰαὶ ἐπισϰοπιϰοῦ τυχεῖν ἀξιώματος ὕστερόν φασι. — Nicéphore Callistos, qui écrivait au XIVe siècle son Histoire ecclésiastique, en sait plus long. Il raconte (XII, 34) qu’Héliodore, ayant composé les Éthiopiques dans sa jeunesse, fut sommé par le synode de Thessalie, lorsqu’il était évêque, de les supprimer ou d’abandonner l’épiscopat. Il se démit de ses fonctions plutôt que de brûler son œuvre.
  95. Rohde, Griech. Rom., p. 432 sqq.
  96. Le souvenir précis de cet ouvrage se retrouve peut-être dans la façon dont sont représentés les Gymnosophistes d’Éthiopie, qui ressemblent fort aux sages Indiens de Philostrate.
  97. Voir en particulier le passage du l. II relatif aux Ænianes, à Achille, à Néoptolème et à Théagène, leur descendant ; ou encore, au l. V, l’apparition d’Ulysse à Calasiris.
  98. Suidas (Ξενοφῶν) cite en outre deux romanciers du nom de Xénophon, l’un d’Antioche, l’autre de Chypre, dont nous ne savons d’ailleurs rien.
  99. Voir l’avant-propos de sa pastorale.
  100. Rohde, Griech. R., p. 302 sqq.
  101. Lire à ce sujet S. Marc Girardin, Littérat. dramat., IV, ch. liii, en se défiant pourtant d’une certaine exagération qui s’y fait sentir.
  102. Hérodien, II, chap. xv, 6.
  103. Capitol., Gordiani, chap. III.
  104. Treb. Pollion, Gallieni, chap. ii, 6.
  105. Tableaux, II, 23. Voy. Haigh, The tragic drama of the Greeks, p. 457.
  106. Liban., Contre Aristide, p. 391 Reiske.
  107. Suidas, Νέστωρ Λαρανδεύς.
  108. Suidas, Πείσανδρος Νέστορος. Pisandre semble avoir dissimulé sa personnalité et s’être donné pour un poète de l’âge antéhistorique. Voir dans l’Hésiode de Didot, la notice sur Pisandre de Rhodes, p. 6, et les fragments des Théogamies héroïques, p. 8. Mais cette supercherie n’est pas une raison pour mettre en doute l’attribution de ce poème au fils de Nestor, car les renseignements de Suidas sont précis et paraissent venir de bonne source.
  109. Porphyre, Vie de Plotin, c. 7 : Τὸν Ἀτλαντιϰὸν εἰς ποίησιν μετέϐαλε πάνυ ποιντιϰῶς.
  110. Suidas, Σωτήριχος ; cf. Βασσαριϰά.
  111. C. Müller a cru pouvoir considérer comme des fragments de ce poème quelques vers choliambiques qui figurent dans le récit du Pseudo-Callisthène (Pseud. Call., p. XXIV, dans l’Arrien de la Biblioth. Didot).
  112. Tzetzes, ad Lycophr., 486 et Ét. de Byz., Ὕασις.
  113. Fragments dans Duentzer, Fragm. der ep. Poesie, II, 99 sqq.
  114. Les Ἀποτελεσματιϰά se trouvent dans le volume de la Biblioth. Didot qui contient Théocrite et les poètes didactiques. Voir l’étude préliminaire très complète de A. Koechly, seconde édition de Koechly, Leipzig, 1858. — On trouvera dans le même volume : un poème Sur les Auspices, qui porte le nom du philosophe Maxime (ive siècle), mais qui paraît être l’œuvre d’un poète alexandrin ; des fragments astronomiques de Dorothéos (d’époque inconnue) ; quelques vers élégiaques Sur l’horoscope d’Annubion, probablement contemporain de Néron, mais en tout cas antérieur au ive siècle ; Engebrecht, Hephaest. von Theben, 36.
  115. Notice très courte de Suidas, Δίων ὁ Κάσσιος ; Photius, cod. 71. — Dissertation de Reimar De vita et scriptis Dionis, en tête de son édition, Hambourg, 1750, reproduite en partie dans le Dion de la Bibl. Teubner, t. V.
  116. Dion, 75, 15. La date de sa naissance ne peut être postérieure, puisqu’il était sénateur en 180, l’âge sénatorial étant de 25 ans. Elle ne peut guère être antérieure, à cause de la date de sa mort.
  117. Dion, l. XLIX, 36, 4 ; LXIX, 1, 3 ; LXXII 1, 7, 2.
  118. Voir par ex. LXIX, 1, 3 : Ὁ πατήρ μου… πάντα τὰ κατ’ αὐτὸν ἐμεμαθήϰει σαφῶς.
  119. LXXII, 14.
  120. LXXIII, 12.
  121. LXXIII, 1 ; LXXII, 12.
  122. LXXII, 23.
  123. LXXII, 23.
  124. Pour tous ces détails, nous avons son propre témoignage, très précis ; même passage. La date initiale ne peut être déterminée qu’approximativement et par conjecture. Voir Reimar, dissertation citée, p. LXI dans l’édition Teubner.
  125. LXXVI, 2 : Τοῦτο γὰρ τὸ χωρίον ἐξειλόμην τών τε ἄλλων ἒνεϰα ϰαὶ τῆς ἡσυχίας ὅτι μάλιστα, ἵνα σχολὴν ἀπὸ τῶν ἀστιϰῶν παργμάτων ἄγων ταῦτα γράψαιμι.
  126. Reimar, Dissertation, p. LXV.
  127. LXXVI, 7.
  128. LXXX, 1.
  129. Même passage. Cf. Reimar, p. LXVII.
  130. LXXX, 4.
  131. Même passage. Cf. Photius, cod. 71.
  132. J. Melber, Beiträge zur Neuordnung der Fragmente des Dio Cassius (Sitzungber. d. bay. Ak. d. W., philos. und hist. Cl., 1889).
  133. Photius, cod. 71 : Ἐν δὲ ταῖς δημηγορίαις …μιμητὴς Θουϰυδίδου, πλὴν εἴ τι πρὸς τὸ σαφέστερον ἀφορᾷ· σχεδὸν δὲ ϰὰν τοῖς ἄλλοις Θουϰυδίδης ἐστὶν αὐτῷ ὁ ϰανών.
  134. Dion, I, 2 : Ὅτι ϰαϰαλλιεπημένοις, ἐς ὅσον γε ϰαὶ τὰ πράγματα ἐπέτρεψε, λόγοις ϰέχρημαι. Cela n’empêche pas d’ailleurs qu’il n’y ait chez lui des expressions et des formes non classiques.
  135. Hérodien, I, ch. xi, 5 et II, ch. xiv, 7. Il est superflu, après cela, de faire remarquer qu’Hérodien l’historien ne doit pas être confondu, comme il l’a été autrefois par Sylburg et par d’autres, avec le grammairien Hérodien dont nous avons parlé plus haut.
  136. II, chap. ii, 8, ἐν τῇ ϰαθ’ἡμᾶς γῇ. Cf. III, chap. viii, 10, spectacles qu’il a vus à Rome sous Septime-Sévère. Jugement sur les Grecs, III, chap. ii, 7.
  137. I, chap. ii, 5 : Ἔστι δ’ὦν ϰαὶ πείρᾳ μετέσχον ἐν βασιλιϰαῖς ἢ δημοσίαις ὑπηρεσίαις γενόμενος..
  138. II, chap. xiv, 7.
  139. II, chap. xiv, 7 : Ἐμοὶ δὲ σϰοπὸς ὑπαρχει ἐτῶν ἑϐδομήϰοντα πράξεις πολλῶν βασιλέων συντάξαντι γράψαι ἃς αὐτὸς οἶδα..
  140. Capitol. Clod. Albin., 12, 14 : Quæ qui diligentius scire velit, legat Marium Maximum de latinis scriptoribus, de græcis Herodianum, qui ad fidem pleraque dixerunt.
  141. Photius, cod. 99, le loue avec excès, mais son jugement repose sur des impressions justes.
  142. Fragm. Hist. Gr., III, p. 659.
  143. Ibid., p. 663.
  144. Ibid., p. 664-665.
  145. Ibid., p. 666 et suiv. — Suidas, Δέξιππος ; Photius, cod. 82. CIG, I, 380. Trebellius, Gallieni, ch. xxiii. — Les fragments de Dexippe se trouvent aussi dans les Historici græci minores de Dindorf, t. I, Bibl. Teubner.
  146. Fragm. Hist. Gr., III, p. 610.
  147. Fragm. Hist. Gr., III, p. 688 et suiv.
  148. Ét. de Byz., 693, 7, Διογένης ὁ Λαερτιεύς. Mais il l’appelle ailleurs (239, 15) Λαέρτιος Διογένης.
  149. Les deux ouvrages dont il paraît s’être le plus servi sont l’Ἐπιδρομὴ φιλοσόφων (Epidrophê philosophon) de Dioclès de Magnésie, écrivain du ier siècle av. J.-C., et la παντοδαπὴ ἱστορία (pantodapê historia) de Favorinus. Voir Fr. Nietzsche, De Laertii fontibus, Rhein. Mus., t. XXIII, XXIV, XXV ; V. Egger, De fontibus Diogenis Laertii, Bordeaux, 1881.
  150. J. Simon, Hist. de l’École d’Alexandrie, 2 vol., Paris, 1845 ; Vacherot, Hist. de l’École d’Alexandrie, 3 vol., Paris, 1846, 1851 ; Zeller, Phil. d. Griechen, t. V, p. 418 et suiv. ; Chaignet, Hist. de la psychol. des Grecs, 5 vol., Paris, 1893 ; le tome IV est consacré à la psychologie de Plotin.
  151. Nous avons de lui des commentaires sur les Analytiques, sur les Topiques, sur la Météorologie, sur le traité De la Sensation, sur une partie de la Métaphysique, et en outre plusieurs écrits indépendants, dont le Περὶ εἱμαρμένης, dédié en 211 à Septime Sévère et à Caracalla. Les commentaires, souvent édités séparément, doivent être réunis dans la grande édition des Commentaria circa Aristotelem de l’Académie de Berlin. Les Scripta minora ont été publiés par Bruns, Suppl. in Aristotel., t. II.
  152. Nous ne nous arrêtons pas ici aux ouvrages sans intérêt. On rapporte au iiie siècle le Lexique de Platon, du sophiste Timée, que Ruhnken a tiré d’un ms. de la Biblioth. de Saint-Germain. Cf. Photius, cod. 151. Édition de Ruhnken, Leyde, 1754 et 1789. Ce lexique est joint à plusieurs éditions de Platon, notamment à celle d’Hermann, dans la Biblioth. Teubner, t. IV, p. 397. Il n’y a rien à en tirer ni pour la philosophie, ni pour la philologie.
  153. Nous sommes surtout renseignés sur la vie de Plotin par la Biographie qu’a écrite Porphyre. Cf. Suidas, Πλωτῖνος, et Eunape, Vie des Soph., Plotin.
  154. Ammonios Saccas lui-même n’a rien écrit. Son rôle a été tout philosophique : il n’y a donc aucune raison de la faire figurer dans une histoire littéraire. D’ailleurs, ses idées ne nous sont pas assez connues pour qu’on puisse y discerner sûrement ce qui est de lui et ce que Plotin y a ajouté.
  155. Treb. Pollion, Gall., ch. II. Porphyre rapporte (V. de Plotin, 12) qu’il fut question entre eux de fonder en Campanie une cité sur le modèle de celle de Platon. Elle devait s’appeler Platonopolis. Il est difficile de décider aujourd’hui jusqu’à quel point un tel projet était sérieux de la part de l’Empereur.
  156. Vie de Plotin, 8.
  157. Ibid., chap. XIV.
  158. Ibid., chap. XXIV.
  159. Ibid., chap. XXIV et suiv.
  160. Enn., I, l. II, 1 : Ἐπειδὴ τὰ ϰαϰὰ ἐνταῦθα ϰαὶ τόνδε τὸν τόπον περιπολεῖ ἐξ ἀναγϰης, βούλεται δὲ ἡ ψυχὴ φεύγειν τὰ ϰαϰὰ, φευϰτέον ἐντεῦθεν. (Epeidê ta kaka entautha kai tonde ton topon peripolei ex anangkes, bouletai de hê psuchê pheugein ta kaka, pheukteon enteuthen). — Enn., III, l. IV, 2 : Φεύγειν δεῖ πρὸς τὸ ἄνω (Pheugein dei pros to anô).
  161. Vie de Plotin, 1.
  162. Non pas, bien entendu, que toutes ces conceptions soient simplement incorporées telles quelles à son système ; elles y sont fondues, mais on peut les y retrouver, et d’autres encore.
  163. Dès le siècle précédent, sous Antonin et Marc-Aurèle, la théurgie chaldéenne tendait à se populariser dans le monde grec. Suidas, Ἰουλιανός Χαλδαῖος φιλόσοφος (Ioulianos Chaldaios philosophos) et Ἰουλιανός (Ioulianos), fils du précédent.
  164. Enn. I, l. VI, chap. VIII : Ἰδοντα γάρ δεῖ τὰ ἐν σώμασι ϰαλὰ μή τι προστρέχειν, ἀλλὰ γνόντας ὡς εἰσὶν εἰϰόνες ϰαὶ ἴχνη ϰαὶ σϰιαὶ, φεύγειν πρὸς ἐϰεινο οὔ ταῦτα εἰϰόνες..
  165. Vie de Plotin, chap. xiv : Τὰ πολλὰ ἐνθουσιῶν ϰαὶ ἐϰπαθῶς φράζων (Ta polla enthousiôn kai ekpathôs phrazôn).
  166. Ibid., chap. xxiii : Ἀεὶ σπεύδων πρὸς τὸ θεῖον, οὔ διὰ πάσης ψυχῆς ἤρα (Aei speudôn pros to theion, ou dia pasês tês psuchês êra).
  167. Porph., V. de Plotin, 23 : Ὁ θεὸς ὁ μὴτε μορφὴν μὴτε τινὰ ἰδέαν ἔχων, ὑπὲρ δὲ νοῦν ϰαὶ πᾶν τὸ νοητὸν ἱδρυμένος (Ho theos ho mête morphên mête tina idean echôn, huper de noun kai pan to noêton hidrumenos).
  168. Enn. VI, l. IX, 1, 3 : Νοῦν τοίνυν χρὴ γενόμενον… τούτῳ θεᾶσθαι τὸ ἓν, οὐ προστιθέντα αἴσθησιν οὐδεμίαν οὐδέ τι παρ’ αὐτῆς εἰς ἐϰεῖνα δεχόμενον, ἀλλὰ ϰαθαρῷ τῷ νῷ τὸ ϰαθαρώτατον θεᾶσθαι ϰαὶ τοῦ νοῦ τῷ πρώτῳ.
  169. Enn. V, l. III, ch. XVII : Τότε δὲ χρὴ ἐωραϰέναι πιστεύειν ὅσαν ἡ ψυχὴ ἐξαίφνης φῶς λάβῃ· τοῦτο γὰρ, τοῦτο τὸ φῶς παρ’ αὐτοῦ, ϰαὶ αὐτος. — L. V, ch. III : Ἐφ' ἅπασι δὲ τούτοις (les degrés inférieurs de l’être et de la connaissance) βασιλεὺς προφαίνεται ἐξαίφνης αὐτὸς ὁ μέγας, οἱ δ’ εὔχοντα : ϰαὶ προσκυνοῦσιν, ὅσοι μὴ προαπῆλθον, ἀρϰεσθέντες τοῖς πρὸ τοῦ βασιλέως ὀφθεῖσιν.
  170. Enn. V, l. III, ch. XIV : Καὶ τοῦτο τό τέλος τὸ ἀλθινὸν ψυχῇ, ἐφάψασθαι φωτὸς ἐϰείνου, ϰαὶ αὐτῷ αὐτὸ θεάσασθαι, οὐϰ ἄλλου φωτὶ, ἀλλὰ αὐτὸ δι’ οὖ ϰαὶ ὁρᾷ. — Cf. Porphyre, Ἀφορμαί, 26 : Περὶ τοῦ ἐπέϰεινα νοῦ ϰατὰ μὲν νόησιν πολλὰ λέγεται· θεωρεῖτα : δὲ ἀνοησίᾳ ϰρεῖττον νοήσεως.
  171. Il eut d’ailleurs une influence morale et religieuse profonde, mais seulement une influence morale et religieuse. Eunape, V. des Soph., Plotin : Πλωτίνου θερμοι βωμοὶ νῦν (au ve siècle) ϰαὶ τὰ βιϐλία οὐ μόνον τοῖς πεπαιδευμένοις διὰ χεῖρας ὑπὲρ τοὺς Πλατωνιϰοὺς λόγους, ἀλλὰ ϰαὶ τὸ πολὺ πλῆθος, ἐάν τι παραϰούσῃ δογμάτων, ἐς αὐτὰ ϰάμπτεται. Eunape, malheureusement, est toujours suspect d’exagération oratoire.
  172. Amélius Gentilianus, le plus remarquable d’entre eux, était originaire d’Étrurie. Il s’attacha à Plotin en 247 et resta auprès de lui jusqu’à sa mort. Il avait mis en ordre les notes qu’il prenait en écoutant son maître, et il les donna a son fils adoptif ; elle formait cent volumes (Porph., V. de Plotin, chap. III). Ni ce recueil, ni ses autres écrits ne nous sont parvenus. Voir Zeller Ph. d. Griech., t. V, p. 632.
  173. Il s’appelait proprement Malchos, ce qui, en syrien, signifie « roi ». Ce nom fut traduit en grec tantot par Βασιλεύς (Basileus), tantôt par Πορφύριος (Porphurios). Cette dernière forme est celle qu’il avait adoptée lui-même. Sa biographie nous est connue soit par ses propres témoignages (il parle beaucoup de lui-même dans sa Vie de Plotin), soit par une notice de Suidas (Πορφύριος (Porphurios)) et une autre d’Eunape (V. des Soph., Porphyre). — Sur Origène, voir le passage de Porphyre cité par Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 19.
  174. Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 19 : Ὁ ϰαθ’ἡμας ἑν Σιϰελίᾳ ϰαταστάς Πορφύριος (Ho kath’hêmas hen Sikelia katastas Porphurios).
  175. Voyage à Carthage, Traité sur l’abstin., III, chap. IV.
  176. Lettre à Marcella, 1.
  177. Eunape, pass. cité.
  178. Augustin. Cité de Dieu, XIX, 22 : doctissimus philosophorum. Eunape, p. cité : Γραμματιϰῆς τε εἰς ἄϰρον ἁπάσης… ἀφιϰόμενος ϰαὶ ῥητοριϰῆς… φιλοσοφίας τε πᾶν εἶδος ἐϰματτόμενος.
  179. Outre ceux dont nous allons parler, mentionnons, à cause de leur notoriété et sans y insister autrement, le Traité sur l’âme (Περὶ ψυχῆς (Peri psuchês)), dédié à Boéthos, et la Lettre à Anébon, qui traitait de la divination. Des fragments assez importants de l’un et de l’autre subsistent dans la Préparation évangélique d’Eusèbe. Pour la Lettre à Anébon, voir aussi Augustin, Cité de Dieu, X, ch. xi. — Il nous reste des fragments d’un traité Sur les forces de l’âme (Περὶ τῶν τῆς ψυχῆς δυνάμενων (Peri tôn tês psuchês dunamenôn)) et l’Introduction du commentaire sur les catégories d’Aristote.
  180. On y trouve aussi quantité de citations intéressantes ; l’auteur a particulièrement utilisé le traité de Théophraste Sur la piété, au point qu’avec son livre on peut le restituer en partie. Il a emprunté, en outre, maint passage aux poètes. Bernays, Theophrastos Schrift ueber Frommigkeit, Berlin, 1866.
  181. I, 57 : Οὐϰ ἕστιν ἄλλως τυχεῖν τοῦ τέλους ἢ προσηλωθέντα μὲν, εἰ χρὴ φάναι, τῷ θεῷ, ἀφηλωθέντα δὲ τοῦ σώματος.
  182. II, 33 et suiv.
  183. Sur ces emprunts, voir Nauck, Porphyr. opusc. selecta, Præf., p. XVII. Porphyre s’est particulièrement servi des Sentences de Sextus et des écrits d’Épicure.
  184. Voir sur ce livre Boucher-Leclercq, Hist. de la Divination, t. I, p. 85. — Fragments assez nombreux et importants dans Eusèbe, Préparation évangélique, passim. — Édit. : Porphyrii de philosopbia ex oraculis haurienda librorum reliquias ed. Wolf, Berlin, 1856.
  185. Eusèbe, Prép. évang., IV, c. viii : Τοῖς τὸν βίον ἐνστησαμένοις πρὸς τὴν ψυχῆς σωτηρίαν (Tois ton bion enstêsamenois pros tên psuchês sôterian).
  186. Sur ces recueils, consulter Lobeck, Aglaophamus, p. 98-111, 224-226.
  187. Eusèbe, IX, 6 : Οὖτος τοιγαροῦν ἐν οἶς ἐπέγραψε Περὶ τῆς ἐϰ λογίων φιλοσοφίας συναγωγὴν ἐποιήσατο χρησμῶν τοῦ τε Ἀπόλλωνος ϰαὶ τῶν λοιπῶν θεῶντε ϰαὶ ἀγαθων δαιμόνων, οὔς μάλιστα ἐϰλεξάμενος αὑτῷ ἡγήσατο ἱϰανοὺς εἶναι εἰς τε ἀπόδιξιν τῆς τῶν θεολογουμένων ἀρετῆς εἴς τε προτροπὴν ἧς αὐτῷ φίλον ὀνομάζειν θεοσοφίας.
  188. Si nous étudiions ici Porphyre comme philosophe, il y aurait lieu d’insister sur la part de la théurgie dans son enseignement. Voir, sur sa démonologie et sur ses pratiques théurgiques, les témoignages de S. Augustin dans sa Cité de Dieu, particulièrement l. X, ch. xx et suiv. Mais cette partie de sa doctrine n’est plus représentée par aucune œuvre qui intéresse la littérature.
  189. Eusèbe, Prépar. évangél., IV, 6 : Μάλιστα γὰρ φιλοσόφων οὖτος τῶν ϰαθ’ ἡμᾶς δοϰεῖ ϰαὶ δαίμοσι ϰαὶ οἶς φησὶ ὡμιληϰέναι ὑπέρ τε τούτων πρεσδεῦσαι, ϰαὶ πολλῷ μᾶλλον τὰ περὶ αὐτῶν αϰριϐέστερον διηρευνηϰέναι.
  190. Suidas, Πορφύριος ὁ τῶν χριστιανῶν πολέμιος. — Οὖτός ἐστιν ὁ Πορφύριος ὁ τὴν ϰατὰ Χριστιανῶν ἐφύϐριστον γλῶσσαν ϰινήσας. — Cyrille, c. Julien, I, p. 28 : Πορφύριος ὁ πιϰροὺς ἡμῶν ϰαταχέας λόγους ϰαὶ τῆς Χριστιανῶν θρησϰείας μόνον ϰατορχούμενος.
  191. Eusèbe, Prépar. évangél., VI, 19.
  192. L’importance de l’ouvrage est attestée aussi par ce fait, qu’au siècle suivant Apollinaire de Laodicée en composa une réfutation en trente livres, aujourd’hui perdue.
  193. Cité de Dieu, X, 29, 32. On voit assez par toute la discussion de S. Augustin, que, pour lui, Porphyre est le grand écrivain religieux du paganisme.
  194. M. ouv., XIII, ch. xix : Itaque, ne a Christo vinci videretur vitam sanctis pollicente perpetuam, etiam ipse purgatas animas sine ullo ad miserias pristinas reditu in æterna felicitate constituit.
  195. Il est possible cependant qu'il eût indiqué brièvement, en forme de conclusion, les destinées ultérieures de la doctrine platonicienne, car nous voyons qu’il parlait de Plutarque (fr. 19, Nauck).
  196. J. Malalas, Chronogr., p. 56, 11, appelle son ouvrage φιλόσοφος χρονογραφία (philosophos chronographia). Voyez aussi les fr. 1, 2, 3, de Nauck.
  197. Euséb., Chron., p. 195. Voir Fr. Hist. græc., t. III, p. 688.
  198. Porphyrii quæstionum homericarum ad Iliadem pertinentium reliquias, éd. Herm. Schrader, Leipzig, 1880.
  199. Zeller, Phil. d. Griech., t. V, p. 224 et suiv. Voir aussi l’essai, de L. Ménard, joint à la traduction signalée plus bas.
  200. Suidas. Ἑρμῆς τρισμέγιστος (Hermês trismegistos).
  201. R. Pietschmann, Hermes Trismegistus, Leipzig, 1895.
  202. Texte grec de Turnèbe. Traduction française : Hermès Trismégiste, traduction complète, précédée d’une étude sur l’origine des livres hermétiques, par L. Ménard, Paris, 1866 et 1868.
  203. Pœmander, ad fidem codic. mss. recognovit Gust. Parthey, Berlin, 1854.
  204. Eusèbe, Hist. eccl., VI, 22 ; Jérôme, De Viris illustribus, ch. 61 ; Suidas, Ἱππόλυτος (Hippolutos) ; Photius, cod. 94 ; Catal. Libérien. — Bardenhewer, Patrol., § 25. Batiffol, Litt. gr. chrét., p. 146. Harnack, Gesch. d. altchr. Lit., 1re p., t. II, p. 605 et suiv.
  205. À côté de lui, d’autres, que nous laissons de côté à dessein, se firent alors un nom dans le même milieu, par exemple Caïus, prêtre, un de ceux auxquels on a cru pouvoir attribuer les Philosophoumena.
  206. P. A. de Lagarde, Hippolyti romani quæ feruntur omnia grace, Leipzig et Londres, 1858.
  207. Bibliographie de la question dans Bardenhewer, ouv. et art. cités. Opinion dissidente dans Batiffol, ouv. cité, p. 155.
  208. Le vrai titre a dû être celui que donne Eusèbe, Hist. eccl. VI, 22 : Πρὸς ἁπάσας τὰς αἰρέσεις. (Pros hapasas tas aireseis).
  209. Sur Origène, en général, Harnack, Gesch. d. Altchr. Lit., 1re partie, t. I, p. 332-405. — Pour la biographie, Suidas nous donne dans son lexique, au mot Ὀριγένης (Origenês), toute une série de notices empruntées à divers auteurs. La principale de ses sources est Eusèbe ; presque tout le l. VI de l’Hist. ecclés. se rapporte à Origène et se fonde sur des lettres ou sur les souvenirs de témoins oculaires (VI, ch. 2). Nombreuses mentions dans les historiens ecclésiastiques et dans Photius. — Redepennig, Origenes, eine Darstellung seines Lebens und seiner Lehre, Bonn, 1841-46 ; Freppel, Origène, Paris, 1868 et 1875.
  210. Eusèbe, Hist. eccl., VI, ch. ii.
  211. Il tenait alors une école de grammaire ; il l’abandonna lorsqu’il eut la charge de l’école catéchétique : Ibidem et ch. iii, 8.
  212. Les traditions à cet égard étaient fort divergentes. Voir Cedrenus (dans Suidas, p. 1154, Bekker).
  213. Porphyre, dans Eusèbe, Hist. eccl., VI, 19.
  214. Même passage. Porphyre, il est vrai, semble dire qu’il renonça au christianisme « dès qu’il se mit à philosopher » ; mais une telle manière de dater un fait est en réalité fort vague, et Porphyre a intérêt dans ce passage à présenter la conversion d’Ammonios à l’hellénisme comme ayant eu lieu de bonne heure.
  215. Cedrenus, p. 256. D’après Eusèbe, VI, 21, le fait aurait eu lieu peu après 222, lorsque Alexandre était déjà empereur.
  216. Eusèbe, Hist. eccl., VI, 23.
  217. Panegyr. in Orig., chap. vii-xv.
  218. Eusèbe, Hist. eccl., VI, chap. xxx, 42.
  219. Ibid. : Ἔδοξεν ἐξετάσαι, τὰ τῶν φιλοσόφων περὶ ἀληθείας λέγειν ἐπαγγελλόμενα. Porphyre, dans Eusèbe, Hist. eccl., VI, chap. xix, 8 : Συνῆν τε γὰρ ἀεὶ τῷ Πλάτωνι τοῖς τε Νουμηνίου ϰαὶ Κρονίου Ἀπολλοφάνους τε ϰαὶ Λογγίνου ϰαὶ Μοδεράτου Νιϰομάχου τε ϰαὶ τῶν ἐν τοῖς Πυθαγορείοις ἐλλογίμων ἀνδρῶν ὡμίλει συγγράμμασιν · ἐχρῆτο δὲ ϰαὶ Χαιρήμονος τοῦ Στωϊϰοῦ Κορνούτου τε ταῖς βίϐλοις. Jérôme, Ep. 70, dit qu’Origène a voulu trouver dans Platon et Aristote, Noumenios et Cornutus, la justification des dogmes du christianisme.
  220. Sur la résurrection, quelques fragments seulement. Les Stromates, en dix livres, perdus entièrement. Sur les Principes (Περὶ ἀρχῶν (Peri archôn)), en quatre livres, composé à Alexandrie avant 231 ; fragments importants, surtout les chapitres conservés dans la Philocalie, recueil d’extraits d’Origène, dû à Basile et à Grégoire de Nazianze.
  221. Sur les Hexaples, voir Batiffol, ouv. cité, p. 168 et suiv.
  222. Cela ne veut pas dire qu’il ait attendu, pour commencer à commenter le texte, l’achévement des Hexaples ; il est seulement vrai de dire que la question de la constitution du texte l’a préoccupé constamment.
  223. Voir Bardenhewer, 29, 7, et Batitfol, p. 173 ; ou, pour plus de détails, Harnack, p. 343 et suiv.
  224. J. Denis, Philosophie d’Origène, Paris, 1884.
  225. Batiffol, p. 173.
  226. Eusèbe, Jérôme, Rufin mentionnent de lui diverses controverses avec les hérétiques et un traité contre Valentinien (Dialogus adversus Candidum Valentinianum). On lui a aussi attribué, mais à tort, cinq dialogues contre les Gnostiques, réunis sous le titre commun Adamantii dialogus de rectu in Deum fide, qui semblent dater du commencement du ive siècle ; Harnack, p. 478.
  227. Ils ont été conserves par Eusèbe, dans son Hist. ecclésiastique.
  228. Bardenhewer, § 30 ; Battifol, p. 180487. Lehmann, Die Katechetenschule zu Alexandria, Leipzig, 1896.
  229. Bardenhewer, § 42, 3 ; Battifol, p. 187.
  230. Suidas, Λουϰιανὸς ὁ μάρτυς (Loukianos ho martus).
  231. Biographie, en partie légendaire, par Grégoire de Nysse, Migne, Patrol. Gr., XLVI, 893-957; Suidas, Γρηγόριος ὁ ϰαὶ Θεόδωρος (Grêgorios ho kai Theodôros).
  232. Jér., De vir. illustr., ch. Lxv : Convocata grandi frequentia, ipso quoque Origene præsente.
  233. Les œuvres subsistantes de Grégoire sont dans la Patrol. grecque, de Migne, t. X.
  234. Jérôme, De vir. illustr., ch. Lxxxiii. Suidas, Μεθόδιος Ὀλύμπον (Methodios Olympon). — Bardenhewer, § 32 ; Batiffol, p. 140.
  235. S. Methodii opera et S. Methodius Platonizans, édit. A. Iahn, Halle, 1865 ; la première partie contient les œuvres et les fragments, la seconde une étude sur le platonisme de Méthodios et des Pères grecs. — Une partie des écrits perdus se trouve traduite en vieux slavon dans un Corpus Methodianum qui a été publié par Bonwetch, en 1891.
  236. Carel, S. Methodii Palarensis convivium decem virginum, thèse, Paris, 1880.
  237. À la fin du repas, l’une des vierges, Thécla, chante un hymue iambique, dont ses compagnes répetent le refrain. Sur cet hymne, voir E. Bouvy, Poètes et Mélodes, Nîmes, 1886, p. 30-42, 124-126.
  238. Sur Pamphile, les principaux témoignages sont ceux d’Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 33 et 34 ; VII, 32 ; VIII, 13. Eusèbe avait écrit sa vie (Ibid) ; cet ouvrage ne nous est pas parvenu. — Bardenhewer, 33, 4 ; Batiffol, p. 183. — Fragments, Migne, Patr. Gr., XVII, 521-632.
  239. Eusèbe, Hist. ecclés., VI, 31 ; Prépar. évang., X, 10 ; Démonstr. évang., VIII ; Suidas, Ἀφριϰανός (Aphrikanos). — Bardenhewer, 22, 1 ; Batiffol, p. 185.
  240. Photius. cod. 34. Jules Africain avait écrit aussi, sous le titre de Κεστοί (Kestoi) (Broderie), une sorte d’encyclopédie scientifique, dont il reste d’assez nombreux fragments. Ce qui subsiste de J. Africain se trouve dans Migne, Patr. Gr., X, 35-108.