Histoire de la pomme de terre/Chapitre VI

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Histoire de la pomme de terre traitée aux points de vue
historique, biologique, pathologique, cultural et utilitaire
Rothschild (p. 357-440).
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Deuxième partie


CHAPITRE VI

CULTURE DE LA POMME DE TERRE


I. — CULTURE ET PROPAGATION PAR LES TUBERCULES


L’on a dû remarquer que, dès le commencement de la culture en Europe de la Pomme de terre, il n’était question que de la plantation des tubercules. Mais il arriva une époque où l’on regretta d’être dans l’obligation de prélever sur la récolte la quantité de tubercules exigée pour la culture de l’année suivante. On chercha alors les moyens de diminuer le plus possible cette réserve obligatoire, et pour cela on se servit d’abord des plus petits tubercules, puis de morceaux de tubercules, enfin de morceaux réduits à n’avoir plus qu’un seul œil ou bourgeon. On devait plus tard même se contenter d’utiliser les pelures, assez épaisses cependant pour y conserver les yeux intacts. Et comme, au XVIIIe siècle, la production des Pommes de terre était relativement médiocre, qu’on ne faisait pas d’essais de culture comparatifs, on croyait faire une bonne opération en ne prélevant sur la consommation de la récolte qu’un nombre très faible de tubercules pour la plantation. Cependant, des avis contraires ne devaient pas tarder à être formulés. Déjà, en 1768, Philip Miller s’élevait en Angleterre contre la méthode de ne planter que de petits tubercules coupés en morceaux, et préconisait au contraire pour la plantation le choix des plus beaux tubercules. Plus tard, en France, dans son Rapport, lu en 1787 à la Société royale d’Agriculture, sur des cultures expérimentales de M. de Chancey, Parmentier disait : « Quelques auteurs ont prescrit de mettre jusqu’à trois Pommes de terre dans chaque trou ; d’autres conseillent d’y mettre simplement l’œil détaché de la racine ; d’autres sans pulpe. Dans le premier cas, on employe en pure perte beaucoup de racines ; dans le second, au contraire, on court le risque d’avoir de chétives récoltes. M. de Chancey a entrepris, en 1784, une suite d’expériences qui confirment, comme je l’avais déjà annoncé, qu’il était avantageux de partager les espèces de Pommes de terre longues, et moins les rondes, surtout lorsqu’il y a lieu de craindre les ravages du Ver du Hanneton. Malheur alors à ceux qui n’ont planté que des morceaux pourvus seulement d’un œil ! La plupart des pieds manquent, et ceux qui échappent au fléau destructeur dont nous venons de parler, ne produisent pas abondamment ».

Il semble que, pour être logique, Parmentier aurait dû tout aussi bien proscrire la plantation par morceaux de tubercules. Mais les expériences faites à cette époque ne pouvaient en aucune façon éclairer la question. Lorsque la culture de la Pomme de terre eut pris une plus grande extension, on se préoccupa davantage des divers modes de plantation. Voici ce que disaient, en 1826, Payen et Chevalier, dans leur Traité de la Pomme de terre.

« Nous nous sommes assurés, par des essais comparatifs, qu’il ne pourrait y avoir généralement aucun avantage dans la substitution des morceaux, des pelures, des germes, etc., aux tubercules entiers ; les faits que nous avons apportés à l’appui, dans le Mémoire qui fut honoré des suffrages de la Société royale d’Agriculture, ont été confirmés depuis par des expériences renouvelées plusieurs fois.

» Ces moyens d’économie des tubercules ne sont applicables que dans les temps où les Pommes de terre seraient fort rares ; ils auraient plus de succès dans les années humides que dans les années sèches : en effet, on conçoit que la plante ne recevant pas sa première nourriture d’un tubercule volumineux et ne pouvant la puiser dans un sol desséché, doit végéter avec peine, pousser de faibles rejetons et donner peu de produits.

» La conservation des pelures avec les yeux des tubercules, peut-être utile pour envoyer au loin, sous un petit volume et un poids peu considérable, les moyens de reproduction des variétés nouvelles…

» Il nous est également bien démontré aujourd’hui, que les tubercules coupés en quartiers, comme cela se pratique habituellement, donnent surtout dans les années sèches, beaucoup moins de produits que les tubercules entiers ; qu’enfin, les Pommes de terre les plus saines et les plus grosses, rapportent généralement les tubercules les plus nombreux et les plus gros ; que ces produits plus abondants indemnisent et bien au delà, des prix plus élevés que coûtent les semenceaux ».

Voici l’une des expériences qu’ont faites à ce sujet Payen et Chevallier. Ils ont planté dans le même terrain, de cinq façons différentes, la même Variété de Pommes de terre, la Patraque blanche, en rendant autant que possible toutes les autres conditions égales. Ils ont employé pour chaque plantation, et dans six trous espacés d’environ 70 centimètres :

N° 1. Six Pommes de terre d’une grosseur moyenne.
N° 2. Six Pommes de terre plus petites.
N° 3. Six morceaux de grosses Pommes de terre équivalant en
quantité les six petites.
N° 4. La pelure de six Pommes de terre moyennes.
N° 5. Les yeux de six Pommes de terre de la même grosseur environ.

Les tiges des trois premiers Numéros s’élevèrent rapidement et conservèrent pendant toute leur végétation une grande vigueur ; les plus belles cependant se trouvaient parmi celles du N° 1 ; celles du N° 3 était généralement moins fortes. Les tiges des deux derniers Numéros étaient grêles et se soutenaient à peine, la plupart même, parmi celles du N° 5, furent toutes courbées sous leurs poids. Les Pommes de terre furent toutes récoltées avec soin après leur maturité ; leur produit, en tubercules, pesé exactement, a donné les résultats suivants :

N° 1. Pommes de terre moyennes 6 kil. 500 gr.
N° 2. plus petites 6 kil. 100 gr.
N° 3. en morceaux 5 kil. 590 gr.
N° 4. Pelures 500 grammes.
N° 5. Yeux 400 grammes.

On le voit, la question avait fait un grand pas. Mais le cas prévu par Payen et Chevallier, que l’on ne devait montrer de la parcimonie dans le choix des tubercules que dans les temps où les Pommes de terre seraient fort rares, se présenta en 1846, lorsque les ravages de la maladie de la Pomme de terre eurent fait perdre la plus grande quantité de la récolte. On recourut alors aux moyens extrêmes, et l’on fit usage pour la plantation, de pelures, d’yeux, de morceaux et même de tubercules malades. On essaya même de la multiplication par boutures et par marcottes, ce qui demandait beaucoup de soins, mais ce qui ne produisit pas moins encore une bonne quantité de tubercules. Au bout de quelques années, on put abandonner ces procédés peu rémunérateurs, et le problème se posa de nouveau de savoir qu’elle était la meilleure méthode de plantation des tubercules : fallait-il choisir les plus gros, les moyens ou les petits ?

Nous trouvons dans le Journal de la Société d’Horticulture de France diverses Notes qui répondent assez bien à cette question. En 1872, Charles Royer, connu pour ses études sur les organes souterrains des plantes, s’y exprimait comme il suit.

« Mes expériences, dit-il, m’ont donné des résultats qui sont en faveur des petits tubercules (je dis petits par opposition à gros ; mais il s’agit d’une grosseur plus ou moins au dessous de la moyenne). Proportionnellement au poids de semence, la petite semence a la supériorité sur la grosse, outre qu’on a l’avantage de conserver les gros tubercules pour l’alimentation ou pour la vente.

» Sans doute le rendement d’un gros tubercule est supérieure à celui d’un petit, et avec un nombre égal de tubercules pour les mêmes surfaces, la petite semence ne peut lutter avec la grosse. Mais il faut observer que, dans ce cas, l’espacement qui convenait à de gros tubercules aura été trop grand pour de petits, et que ces derniers n’auront pas occupé tout le sol. Pour l’occuper entièrement, ils devront être plus nombreux, c’est-à-dire se rapprocher du poids total de la grosse semence, cas où celle-ci a une infériorité manifeste. Et s’il est vrai de dire que le rendement s’élève quand on augmente le poids de la semence, il ne l’est plus d’ajouter que le poids de la récolte est en raison directe du poids des semences employées.

» Quand on se sert pour les mêmes surfaces du même poids en tubercules d’un volume différent, la supériorité de la petite semence me semble tenir à ce que les pieds étant plus nombreux mais moins touffus, les tiges et les racines se nuisent beaucoup moins dans leur évolution.

» … On doit aussi se préoccuper de la maturité des tubercules de semence. À l’arrachage, il y a deux sortes de tubercules : les uns à peau rugueuse souvent gercée, sont nés dans la première phase de la végétation, c’est-à-dire au printemps et au commencement de l’été, et ils ont eu tout le temps de mûrir ; les autres ont une peau lisse et très mince et deviennent promptement flasques au grand air ; ce sont les tubercules de la seconde période de végétation, c’est-à-dire d’Automne, auxquels a manqué le temps de mûrir complètement. Comme la plantation des tubercules n’est qu’un bouturage souterrain, on comprend qu’il faille rejeter les Pommes de terre d’Automne, par la raison qui fait rejeter les boutures incomplètement aoûtées. »

La question est, en effet, plus complexe qu’elle ne le paraît à première vue, et il y a certains points qui, dans les évaluations, demandent à être pris en grande considération. Ainsi, d’une Note publiée dans le même Recueil par M. Louesse, en 1868, il paraissait résulter qu’en raison d’expériences comparatives faites sur la variété Marjolin et la Pomme de terre Hardy, la production proportionnelle la plus faible, relativement au poids des tubercules plantés, avait été celle des Pommes de terre les plus grosses. Or, en 1869, M. Vuitry faisait remarquer que, dans des essais faits depuis 1860, il avait reconnu que le poids des tubercules plantés exerçait une action notable sur leur produit. « Pour étendre le cercle de la comparaison, dit-il, j’ai doublé, puis triplé le poids de la semence ; la comparaison a porté sur 200 pieds de chaque catégorie. Le poids des tubercules a été successivement porté de 14 kilogrammes à 28, puis à 42 : les produits se sont élevés à 94 — 130 — et 158 kilogrammes qu’il faut réduire en retranchant le poids respectif planté, à 80 — 102 — et 116 kilogrammes, d’où il résulte qu’en doublant le poids de la semence, le bénéfice net a été de 27 pour 100 ; de 45 pour 100 en le triplant. »

La même année, M. Louesse faisait connaître les résultats d’une deuxième série d’expériences sur la plantation de tubercules de différentes grosseurs. Il s’était d’abord servi de la variété Hollande de Brie, très estimée alors par les cultivateurs. Voici les résultats obtenus par lui et dont il ne juge pas utile de tirer des conclusions.


Première expérience (Plantation de tuberc. en nombre égal, mais de poids différent) :

N° 1. 4 gros (550 gr.) en ont produit 70 (dont 23 petits) pesant 4 k. 500 gr.
N° 2. 4 moyens (250 gr.) en ont produit 66 (dont 22 petits) pesant 4 k. 400 gr.
N° 3. 4 petits (100 gr.) en ont produit 57 (dont 15 petits) pesant 4 k. 100 gr.


Deuxième expérience (Plantation de tuberc. en nombre inégal, mais de même poids) :

N° 4. 4 gros (550 gr.) en ont produit 107 (dont 35 petits) pesant 5 k. 900 gr.
N° 5. 10 moyens (550 gr.) en ont produit 180 (dont 76 petits) pesant 8 k. 500 gr.
N° 6. 22 petits (550 gr.) en ont produit 191 (dont 85 petits) pesant 9 k. 100 gr.


Troisième expérience (Plantation de moitiés de tuberc. en nombre égal, mais de poids différent) :

N° 7. 4 moitiés de gros (300 gr.) en ont produit 92 (dont 24 petits) pesant 5 k. 700.
N° 8. 4 moitiés de moyens (150 gr.) en ont produit 71 (dont 19 petits) pesant 6 k. 200.
N° 9. 4 moitiés de petits (75 gr.) en ont produit 49 (dont 22 petits) pesant 2 k. 300.


Quatrième expérience (Plantation de tuberc. en nombre inégal et de poids différent) :

N° 10. 4 gros (500 gr.) en ont produit 107 (dont 39 petits) pesant 4 k. 300 gr.
N° 11. 8 moyens (450 gr.) en ont produit 75 (dont 48 petits) pesant 2 k. 200 gr.
N° 12. 16 petits (400 gr.) en ont produit 88 (dont 51 petits) pesant 2 k. 100 gr.


Cinquième expérience (Plantation de tuberc. de la variété Chardon pour comparaison).

4 gros pesant 2 k. 400 en ont produit 126 pesant 9 k. 400 gr.
4 moyens pesant 1 k. 200 en ont produit 124 pesant 10 k. 200 gr.
4 petits pesant 0 k. 600 en ont produit 68 pesant 6 k. 400 gr.


Ce qui nous paraît résulter de ces diverses expériences, c’est que le poids égal de la semence, faisant de beaucoup varier le nombre des tubercules, ne peut être choisi comme un bon élément de comparaison. Mais, en général, les résultats sont plutôt favorables à la plantation des tubercules moyens. Seulement, on pourrait objecter que ces expériences ne portaient que sur quatre plantations de tubercules de volume différent, et il ne faut pas avoir assisté à un arrachage de Pommes de terre pour ne pas se rappeler combien souvent est variable le nombre des tubercules que l’on récolte à chaque pied, dans les circonstances de culture ordinaire. C’est ce qui rend très délicates les appréciations que l’on peut faire sur toutes les données de ces expériences.

En 1893, M. Plumb, à la Station expérimentale de l’Université du Tennessee, a cherché à évaluer le produit d’un tubercule de poids variable, et a fait porter ses recherches sur une série de tubercules pesant depuis 1 once jusqu’à 14 onces (environ 30 grammes 60 à 428 grammes 30). Il a obtenu une série ascendante aussi bien pour la hauteur des tiges, pour la moyenne du poids de la récolte que pour le nombre moyen des tubercules produits à chaque touffe. Ses expériences ont été faites avec la variété Early Rose.

Mais ce qui prouve bien que cette question est fort complexe, c’est que certaines expériences qui ont montré que plus est gros un fragment de tubercule planté, plus considérable est le produit ; d’autres expériences ont prouvé que de gros tubercules entiers produisent des Pommes de terre plus petites que les moitiés ou les quarts de tubercules, ou même des fragments ne portant qu’un seul œil.

De même, le Dr Arthur, à la Station expérimentale de l’Université de Purdue, qui a fait porter ses recherches sur le rôle que pouvait jouer le nombre des yeux sur les tubercules, dans le produit de la récolte, constatait qu’il y a un rapport défini entre le poids du tubercule et le nombre des pousses qu’il donnera, et que le nombre des yeux sur les tubercules ou fragments plantés est indifférent, tandis que le poids de ces tubercules ou fragments a une grande importance.

En somme, toutes ces expériences ont permis de constater des résultats intéressants, à peu près en dehors de la production comparative de tubercules d’un assez grand nombre de variétés. C’est qu’il y a là, en effet, un autre élément d’appréciation. Dans le même terrain, avec les mêmes soins de culture, et placés l’un à côté de l’autre, deux tubercules appartenant à deux variétés différentes produiront, le premier une demi-douzaine à peine de tubercules, et le second près d’une quarantaine. De plus, certaines variétés productives fournissent une récolte qui est plus abondante pour les unes que pour les autres. Le choix des variétés est donc aussi fort important. Il ne restera plus qu’à combiner à la fois le choix de la variété et la meilleure méthode de plantation pour se donner l’espoir d’une très bonne récolte.

En 1885, M. Arnould-Baltard, rapporteur d’une Commission, exposait, dans le Journal de la Société d’horticulture de France, des idées fort justes à ce sujet. « La question du Rendement, disait-il, est l’une des plus difficiles à élucider, à cause du nombre considérable des éléments dont il faut tenir compte : la quantité en nombre de semence employée, son poids, sa grosseur, la distance des touffes, la nature du terrain, les circonstances météorologiques, etc. En outre, la comparaison doit se faire entre des variétés d’une hâtiveté presque égale, ou entre celles qui ont une même destination, soit à la culture maraîchère, soit à la grande culture, et, dans ce dernier cas, le rendement en fécule doit être indiqué. »

M. Aimé Girard a publié dans ses Recherches sur la culture de la Pomme de terre industrielle et fourragère, les résultats de plusieurs expériences très bien suivies, dont il tire les conséquences suivantes :

« 1o Les tubercules de poids élevé, dit-il, donnent, en général, un produit plus abondant que les tubercules de poids faible ; mais cette règle n’est pas absolue, et il n’existe pas de proportionnalité nécessaire entre le poids du plant et le poids de la récolte ; 2o Les tubercules de poids faible donnent quelquefois une récolte égale à celle que donnent des tubercules de poids double et même triple ; les tubercules de poids égaux ne donnent pas toujours des récoltes égales ; 3o Les tubercules provenant d’un même sujet étant sériés par ordre de poids, on constate toujours, dans la série de plants ainsi dressée, une zone comprenant les gros et les moyens, englobant même quelques-uns des petits, et pour laquelle, à quelques exceptions près, la récolte ne varie que dans des limites peu étendues ; 4o Les très gros tubercules donnent quelquefois des récoltes moindres que les gros et les moyens. »

On doit reconnaître, par suite, combien la question est complexe. M. Aimé Girard en tire, plus loin, les conclusions qui suivent. « Choisir les petits tubercules serait une imprudence, choisir les gros serait charger la culture d’une dépense inutile ; c’est aux moyens qu’il convient de s’adresser. Reste alors à fixer ce qu’il faut entendre par tubercules moyens. Le poids, bien entendu, en doit être différent, suivant que la variété cultivée produit particulièrement de petits ou de gros tubercules ; mais, d’une manière générale, on peut les définir en disant que ce sont ceux qui, par leur grosseur, représentent le type moyen de la récolte, en laissant de côté les petits et les gros ».

M. Aimé Girard a résolu encore une autre question qui vient s’ajouter à la précédente. Il s’agissait de déterminer l’influence des qualités héréditaires de chaque tubercule de plant sur la récolte qu’il fournit, et c’était un des côtés de la question sur lequel l’attention jusqu’alors ne s’était pas portée. « En voyant, dit-il, des tubercules de même poids fournir des récoltes très différentes, j’ai dû naturellement être conduit à penser qu’à chacun de ces tubercules devait appartenir une puissance productive différente, puissance productive que, d’après les lois naturelles, on devait à quelques exceptions près, retrouver dans sa descendance. J’ai été conduit, en un mot, à penser qu’à chacun des tubercules provenant d’un sujet à riche récolte devait appartenir, sinon absolument, du moins dans une large mesure, la faculté de fournir, lui aussi, une récolte abondante, à penser également que, dans les tubercules provenant d’un sujet pauvre, cette faculté ne devait pas se retrouver. L’expérience m’a montré qu’il en était bien ainsi ». Il conclut ensuite, de ses expériences, « que le cultivateur doit prendre ses plants au pied des sujets qui, eux-mêmes, ont fourni un rendement élevé ».

Enfin, considérant « qu’à toute végétation vigoureuse correspond un rendement abondant ; à toute végétation grêle, au contraire, un faible rendement », M. Aimé Girard conclut définitivement en ces termes : « La question du choix du plant se trouve ainsi résolue : le cultivateur le doit prendre parmi les tubercules moyens, que mettent à sa disposition les pieds les plus vigoureux de sa récolte ».


II. — MULTIPLICATION PAR LE SEMIS DES GRAINES


La Pomme de terre peut se reproduire de diverses façons, mais principalement par la plantation de ses tubercules ou par le semis de ses graines. Ce dernier mode a été connu, dès son introduction en Europe. En effet, Charles de l’Escluse en parle déjà, en 1601, comme nous l’avons vu plus haut. « Je n’ai, dit-il, jamais fait d’expériences sur les graines ; mais j’ai appris par d’autres personnes que, dans la même année, elles donnent aussi des fleurs dont la couleur paraît différer de celles de la plante-mère. Ainsi, mon ami Jean Hogheland m’écrivait que les pieds, qui étaient sortis de la semence que je lui avais envoyée, avaient donné des fleurs toutes blanches, mais qu’il avait constaté que ces pieds qu’il avait déterrés à la même époque où l’on déterre ceux qui ont été produits par des tubercules, n’avaient encore développé aucun de ces derniers, peut-être parce que les tiges n’avaient pas encore atteint leur maturité ». Plus tard, Miller nous a fait connaître, dans l’édition de 1768 de son Gardener’s Dictionary, que le semis des graines était déjà pratiqué en Angleterre, pour obtenir des Pommes de terre plus hâtives. « Dans ce but, dit-il, les jardiniers de Manchester ont fait choix des tubercules qui produisent leurs fleurs les premiers, et les ont laissés mûrir leurs graines qu’ils ont semées avec grand soin. Or les plantes ainsi obtenues ont généralement été plus précoces que les autres ; et en répétant souvent ce système, ils ont si bien augmenté la précocité des tubercules qu’ils sont arrivés à en tirer parti deux mois après la plantation ». D’un autre côté, nous avons vu que Parmentier, en vue de la régénération de la Pomme de terre, avait conseillé d’employer le semis des graines et donné tous les procédés à suivre pour essayer ce nouveau mode de reproduction.

Nous ne pouvons reproduire ici tout ce que nous avons déjà cité de Parmentier à ce sujet ; mais nous trouvons dans les Mémoires de la Société royale d’Agriculture de l’année 1816, un document historique qui trouve ici sa place.

« Avis aux cultivateurs sur la manière de multiplier la Pomme de terre par le semis de ses graines, publié au nom de la Société.

» La facilité et l’abondance avec laquelle la Pomme de terre se multiplie par ses tubercules, l’ignorance où sont la plupart des cultivateurs de la possibilité de l’élever de semence, l’opinion de quelques-uns sur la longueur et la difficulté de cette méthode, l’habitude enfin, ont empêché jusqu’ici de faire usage de ce moyen de reproduction, qui est cependant celui de la nature. Quelques amateurs seulement, dans l’intention de se procurer des variétés soit meilleures, soit plus appropriées à leurs besoins ou à leur climat, avoient fait quelques essais ; mais ce n’est réellement que dans ces derniers temps que quelques membres de la Société royale et centrale d’Agriculture, et la Société elle-même, en ont fait un objet de culture suivie, et dont les résultats ont été tellement satisfaisans qu’elle a cru devoir proposer des médailles pour encourager cette méthode. De nombreuses expériences, dont deux particulièrement faites cette année, l’une à Paris, dans le jardin de M. Sageret, l’autre à Verrières, chez M. Vilmorin, en plein champ, et dans une terre qui n’a été préparée qu’à la charrue, ont donné la conviction, que ce moyen n’est ni si long, ni si difficile qu’on l’avait pensé, et que ses produits peuvent offrir d’utiles ressources en cas de disette, ou du moins et encore mieux, servir à la plantation, s’il arrivoit que le besoin forçât de consommer les tubercules qui y étoient destinés ; et quand ils ne seroient bons qu’à cela, ce seroit encore beaucoup, puisque la quantité de tubercules nécessaire à la plantation d’un arpent ou demi-hectare, est dans le cas de suffire à la nourriture de deux hommes pendant une année.

» Quoique en général les tubercules provenus de semis ne soient pas d’un gros volume, et que le produit total soit de beaucoup inférieur à celui qu’on obtient par la méthode ordinaire, il n’est cependant point à dédaigner. D’après plusieurs expériences, on pourrait l’évaluer à 50 setiers par arpent[1], et il seroit susceptible de s’élever plus haut au moyen d’une culture très soignée. En 1813, on a présenté à la Société un pied provenu du semis de la Grosse jaune, consistant en 27 tubercules, dont un du poids de 10 onces, et en total du poids de 4 livres et demie ; on a même cité des exemples encore plus remarquables, tels qu’un tubercule du poids de 25 onces[2] provenant du semis de la Grosse blanche commune. D’ailleurs, tous les tubercules obtenus de semis jouissent d’une telle énergie vitale, que, quelque petits qu’ils soient, ils peuvent être employés avec avantage à la plantation.

» Ce n’est donc point ici un essai que l’on conseille aux cultivateurs, c’est l’emploi d’une pratique consacrée par l’expérience. Au surplus, s’ils conservent à cet égard quelques doutes, s’ils craignent de voir leur récolte diminuée par l’emploi d’un procédé nouveau, que, sans préjudicier en rien à leur plantation ordinaire, sans diminuer la quantité de terre qui y est annuellement consacrée, ils établissent, soit dans leur jardin, soit dans un coin de leur champ, une pépinière en semis ; que les produits de ce semis soient plantés sur un morceau de terre que sans cela ils eussent négligé ou laissé en jachère, ils n’auront point à se reprocher d’imprudence, et ils s’applaudiront au contraire d’avoir obtenu un surcroît de provisions inattendu. Utilité publique, intérêt particulier, tout les engage donc à faire des semis de Pommes de terre ; mais comme cette graine n’est point encore dans le commerce, il faut que chacun d’eux se procure la sienne, ce qui n’est pas bien difficile, puisqu’il ne s’agit que de ramasser les baies ou fruits, qui se perdent dans son champ. Il est urgent de faire cette récolte, une partie de ces fruits est déjà tombée à terre, une autre est prête à tomber, et en peu de temps ils deviendroient la proie des insectes, ou la pluie et la gelée les feroient disparoître. On devra choisir les plus mûrs : on les reconnaîtra à leur couleur blanche grisâtre, et à une odeur particulière assez agréable qu’ils exhalent alors ; mais, faute de mieux, on les ramassera tels qu’ils se trouveront ; quoique imparfaitement mûrs, une partie de leurs graines auront cependant la faculté de germer ; on en sera quitte pour, dans ce cas seulement, semer un peu plus dru, ce qui sera fort aisé, chaque fruit pouvant contenir jusqu’à 300 graines. La récolte faite, on peut suspendre ces fruits par la queue dans un lieu sec, ou les y étaler sur des tablettes, et c’est le parti que l’on devra prendre dans le cas d’une maturité imparfaite ; ils la compléteront ainsi insensiblement, et au printemps quand on voudra les employer, s’ils sont secs, on les écrasera avec un léger marteau, les graines se sépareront aisément, ou bien on les mettra ramollir dans l’eau, et on les traitera comme nous allons l’indiquer plus bas ; car cette méthode n’étant guère bonne que pour en préparer de petites quantités, en grand on devra préférer la suivante, mais seulement lorsque les fruits sont bien mûrs. Les fruits, aussitôt après leur récolte, seront écrasés dans les mains, lavés à grande eau pour détruire la viscosité de la pulpe qui entoure les graines, à l’aide si l’on veut d’un tamis ; l’eau passe à travers chargée du suc visqueux et y dépose la graine ; on l’y ramasse, on l’étale sur une toile ou sur une feuille de papier gris, on la fait sécher à l’air ou dans un endroit sec, à l’abri des souris, qui en sont très friandes : on la met ensuite en sac jusqu’au moment de la semer. Cette graine conserve pendant plusieurs années sa faculté germinative.

» Le choix des espèces[3] de Pommes de terre sur lesquelles on récolte la graine n’est pas indifférent ; quoiqu’elles soient sujettes à varier beaucoup par le semis, cependant elles retiennent toujours quelque chose de leur race ; et comme il s’agit ici d’avoir le plus grand produit possible, on devra prendre les graines sur les espèces les plus vigoureuses ; ainsi, sans cependant en proscrire aucune, on devra préférer celles indiquées dans le Catalogue de la Société, sous les noms de Grosse blanche commune ou de Patraque blanche, Truffe d’Août, Berbourg, Bavière, La divergente, Mouffen, Beaulieu marbrée, La Brugeoise, mais surtout les Grosses jaunes, telles que La Grosse Zélandaise, le Champion, l’Ox noble, la Patraque jaune et ses analogues, le produit par semis des jaunes étant généralement plus constant et beaucoup plus régulier, tant en quantité qu’en qualité. On recommande encore de recueillir et de semer séparément les graines de chaque espèce, autant qu’il sera possible, la récolte et la conservation des produits en était alors beaucoup plus commodes.

» Méthode de semis. — Quelques amateurs sèment la graine de Pomme de terre sur couche, et repiquent ensuite les plants dans leur jardin ; mais nous avons constamment employé une méthode bien plus simple et bien plus économique que voici.

» Depuis Février jusqu’en Mai, suivant le climat et la saison, mais surtout lorsqu’on n’a plus de gelées à craindre (à Paris, vers la mi-Avril), sur un terrain bien labouré et bien fumé, mais surtout bien ameubli et de nature légère, s’il est possible, on dresse des planches de 3 à 4 pieds de largeur ; on y trace des rayons espacés l’un de l’autre de 2 ou 3 pieds et 3 ou 4 pouces de profondeur ; la graine s’y sème très claire, et se recouvre très légèrement d’une ligne environ de terre ou de terrain, qu’on marche ou qu’on foule un peu ; au bout de quelques jours, si la saison est sèche, il est bon d’arroser de temps en temps, si on le peut ; mais pour peu qu’il pleuve, on en est dispensé, et plusieurs de nos semis ont été élevés sans ce secours ; quand les plantes sont levées, on les sarcle soigneusement ; on les éclaircit, on les bine à plusieurs reprises, en rapprochant un peu la terre de leurs pieds, prenant garde cependant de ne pas trop les enterrer, ou du moins de ne le faire qu’au fur et à mesure qu’elles prennent de la force ; quand elles sont assez grandes, on les butte alors complètement. La distance à laquelle on laissera les plantes devra dépendre de leur vigueur : 2 pieds, 2 pieds et demi d’éloignement en tous sens, seront un espacement convenable ; au surplus on ne peut rien prescrire de positif à cet égard, les espèces vigoureuses exigeant plus de place que les espèces faibles, surtout lorsqu’elles sont aidées par une saison favorable : il suffira de savoir que plus elles auront de liberté pour s’étendre, plus elles deviendront fortes, et plus leurs tubercules seront gros. Il arrive souvent qu’elles ont autant d’apparence, et quelquefois qu’elles donnent autant de produit que celles plantées de tubercules. Les pieds arrachés lors de l’éclaircissement peuvent être repiqués ailleurs si l’on veut ; ils reprennent aisément lorsque la saison est pluvieuse, ou qu’on a soin de les arroser. Comme la végétation des Pommes de terre élevées de semis se prolonge beaucoup, et que la production des tubercules est tardive, il faudra ne les arracher que le plus tard qu’on pourra, c’est-à-dire quand la gelée y forcera ; néanmoins s’il s’y en trouvoit de hâtives, on fera bien de les arracher d’avance. Lors de la récolte, on devra, sur-le-champ, mettre à part pour la replantation de l’année suivante les pieds les plus vigoureux, les plus abondans en tubercules, d’une belle forme et d’une bonne grosseur ; rejetant ceux qui sont trop petits en même temps et trop nombreux, trop traçans, mal conformés ou ne paraissant pas sains : ces derniers surtout doivent être absolument exclus, car ils transmettent infailliblement leurs vices à leur postérité. Il sera bon aussi de trier les différentes espèces et d’en faire des lots séparés ; la plantation de l’année subséquente en sera plus commode à exécuter, la culture et la récolte des espèces mêlées étant plus difficiles, et la consommation ainsi que la vente beaucoup moins avantageuses. D’ailleurs, la culture de ces espèces venues de semence n’exige aucun soin particulier, et devra être faite comme à l’ordinaire ; elles acquerront dans cette seconde année toutes les qualités dont elles sont susceptibles ».

Nous croyons devoir ajoutera ces excellents conseils, émanant de personnes très compétentes, les passages suivants que nous extrayons des Nouvelles instructions populaires sur la maladie de la Pomme de terre publiées en 1845 par Charles Morren, et qui se rapportent au semis des graines de cette Solanée.

« Nul doute, dit Charles Morren, que, pour perfectionner nos variétés, il serait convenable d’en produire de nouvelles, mais je pense que le meilleur moyen serait de semer et d’améliorer les bonnes races produites à la suite des semis, par des plantations raisonnées, comme on l’a fait en Angleterre…

» Il s’agit donc que les circonstances suivantes soient prises en mûre considération : — 1o Il faut choisir le lieu de production des fruits. 2o Il faut savoir sur quelle variété on recueille le fruit. 3o Le fruit sain, non infecté, doit être préparé d’avance ; c’est-à-dire qu’il faut sur un bouquet de fruits n’en laisser que deux ou trois pour bien les faire grossir et mûrir. 4o Ces fruits ne peuvent être arrachés que lorsque la fane saine est bien desséchée et qu’elle gît à terre. 5o On brise le fruit, on ôte la pulpe par le lavage et on recueille les graines propres et vigoureuses allant au fond de l’eau quand on les y jette. 6o On les étend sur du papier, au soleil, pendant un jour. 7o On les renferme dans du papier noir, bien sec…

» On procède au semis en Mars, et on récolte les jeunes Pommes de terre en Octobre. Elles n’ont alors que la grosseur d’une noisette. L’année d’après, elles deviennent grosses comme des noix, et la troisième année, on a d’excellents tubercules plus ou moins gros.

» Le semis se fait en plate-bande, en ligne ou à la volée.

» La première transplantation se fait à quinze pouces de distance en quinconce et on butte à temps, c’est-à-dire lorsque la plante atteint deux ou trois pouces de hauteur.

» Dans un semis de cette espèce, voici ce qu’on observe. Les plantes ne laissent pas dessécher leurs fanes toutes à la fois. Il y a des fanes sèches un mois, un mois et demi avant d’autres. Celles qui se dessèchent le plus vite sont désignées par des piquets. Ce sont les plantes les plus hâtives.

» On peut accélérer la précocité en prenant des fruits provenant des fleurs les plus précoces. C’est par ce moyen que Knight a obtenu les Pommes de terre si hâtives de l’Angleterre.

» Une fois cette précocité fixée, et après tout, ce n’est pour la plante qu’un état de nubilité plus prompt, elle se perpétue par la plantation des tubercules.

» Un champ de semis, outre des variétés de formes, de couleurs, de goût, de fertilité, produit aussi des variétés plus ou moins hâtives, plus ou moins tardives ».

M. Courtois-Gérard, qui est un habile praticien, donne de bons conseils sur le semis des graines, dans son petit livre, récemment publié, et intitulé : Du choix et de la culture des Pommes de terre. Il émet toutefois cet avis que les semis de graines ne sont pas très utiles au point de vue du jardinage, parce qu’ils produisent d’ordinaire des variétés tardives, et que dans les potagers on ne cultive guère que les variétés hâtives ou de seconde saison. Il dit alors que cela résulte de ce que les variétés hâtives ne fleurissent que rarement, ou bien que, si elles fleurissent, les fleurs avortent, de telle sorte que, dans les deux cas, on n’obtient aucune baie contenant des graines.

» Que faudrait-il pour qu’il en fût autrement, ajoute-t-il ? D’abord ne pas s’en remettre au hasard qui, s’il produit des fécondations accidentelles, ne peut évidemment les produire qu’entre les variétés qui fleurissent exactement à la même époque ; ensuite cultiver les variétés hâtives de manière à les contraindre à fleurir et à épanouir leurs fleurs précisément au moment où fleurissent les variétés dont on veut opérer le croisement ».


Fig. 154. — Tubercules produits la première année, après le semis des graines (grand. nat.). Reproduction d’une photographie de la Conférence intitulée Potatoes, par M. Arthur Sutton (1895).

Ce que dit là M. Courtois-Gérard, est très juste, et ses deux derniers conseils sont excellents à suivre. Mais il n’indique pas la façon dont il faut s’y prendre pour faire fleurir des variétés hâtives qui d’ordinaire ne fleurissent pas. On peut obtenir ce résultat en employant l’ingénieux procédé du célèbre Knight. Nous le ferons connaître dans le paragraphe suivant.

Un de nos habiles semeurs, M. Lamarre, à Bayeux, a bien voulu nous donner connaissance des soins minutieux qu’il prend pour faire germer ses graines de Pommes de terre et hâter le développement de ses plantules. Nous pensons qu’il y a intérêt à les reproduire ici.


Fig. 155. — Tubercules obtenus la quatrième année après le semis des graines (1/2 grand. nat.). Reproduction d’une photographie de la Conférence intitulée Potatoes, par M. Arthur Sutton (1895).

« Je sème, nous écrit-il, en Février-Mars sur couche chaude sous châssis ou en serre tempérée, mais très près du verre. Je fais ce semis en petites terrines recouvertes d’une plaque de verre, que l’on change de côté deux fois par jour. La levée est assez rapide. Il faut alors donner de l’air pour éviter l’étiolement. Quinze jours ou trois semaines après, on peut procéder à un premier repiquage. Si le plant est faible, on mettra six plantules par godet de 7 centimètres de diamètre, à distances égales, contre les parois. Ces plantules mises sous cloches ou sous châssis, arrosées et ombrées, seront bonnes à être séparées quinze jours plus tard, et placées chacune dans un godet distinct de même dimension. On les y laissera jusqu’à la mise en place, en pleine terre, lorsque les gelées ne seront plus à craindre. Il conviendra alors d’espacer cette plantation, en conservant seulement entre les pieds une distance de 40 centimètres, ce qui permet de se rendre mieux compte du port de la plante et de ne pas commettre d’erreur lors de l’arrachage. Dans de telles conditions et avec de bons soins culturaux, les jeunes plants atteindront tout leur développement dans la première année. Il convient lorsque l’on procède au premier, ou tout au moins au second repiquage, de planter de façon à ce que les cotylédons se trouvent enfoncés au niveau du terreau, car c’est de l’aisselle de ces cotylédons que partiront les premiers stolons sur lesquels se formeront les tubercules. Ces derniers se montrent à leur origine assez rapidement, lorsque la plantule aura la force de les développer, car il arrive parfois qu’il ne s’en produit point. Dans ce cas, j’ai cru remarquer que les plantules trop faibles n’en produisent pas non plus ultérieurement, ou bien ne présentent que des renflements tuberculiformes de peu d’importance.

» On ne peut juger, dès la première année, de la valeur de la récolte. Il y a lieu de réformer, pour la plantation de l’année suivante, tout ce qui dénote de mauvaises qualités, les plantules trop coureuses ou peu fertiles, les petits tubercules ayant des yeux trop enfoncés ou de volume trop faible, sans compter les malades, car il ne faut pas perdre de vue que ces plantules sont autant, sinon plus, sujets à la maladie que les plants adultes.

» Les plantations de la seconde année, avec les tubercules ainsi sélectionnés, procurent des résultats plus nets. On peut remarquer les pieds qui développent des tiges vigoureuses et qui produiront une récolte satisfaisante. Mais on doit s’attendre à ce que les tubercules ne donneront pas tout ce qu’on espère. Aussi juge-t-on mieux du produit, après la troisième année, car alors le développement est normal, et il ne restera plus qu’à faire une sélection presque définitive des tubercules récoltés, d’après toutes les règles que l’on doit suivre pour se rendre compte de la véritable valeur d’une variété nouvelle ».

On le voit, le semis des graines de Pommes de terre exige beaucoup de soins, de patience et d’intelligence pour être mené à bonne fin.


III. — HYBRIDATIONS ET FÉCONDATIONS CROISÉES.


Nous avons expliqué, dans un Chapitre précédent, comment se trouve organisée la fleur de la Pomme de terre ou du Solanum tuberosum. Au centre de ses deux enveloppes, le calyce et la corolle, s’élèvent cinq étamines presque soudées ensemble, formant une sorte de colonne creuse dans l’intérieur de laquelle passe le style qui se termine au-dessus des anthères en un stigmate arrondi, verdâtre. Les anthères présentent ce caractère particulier, qui est du reste commun à toutes les anthères des fleurs des espèces du genre Solanum, de s’ouvrir au sommet par deux pores : chacun de ces orifices permet aux grains de pollen de s’échapper de chaque loge de l’anthère pour arriver sur le stigmate ; mais ce phénomène ne peut s’accomplir qu’au fur et à mesure que les grains de pollen, par l’effet de l’action solaire, se trouvent élevés successivement, à leur maturité, jusqu’au pore terminal par lequel s’effectue leur sortie. Bien que la séparation des grains polliniques ou leur isolement les uns des autres n’exige qu’un temps assez court, ils ne se trouvent pas tous simultanément prêts pour la fécondation. Il en résulte une certaine difficulté pour en obtenir une grande quantité lorsqu’on veut pratiquer des fécondations artificielles, c’est-à-dire porter directement sur des stigmates en état d’être fécondés, le pollen, extrait des anthères mûres. On est contraint, pour assurer le succès de l’opération, de s’adresser à un assez grand nombre d’anthères, ce qui permet de réunir la quantité de grains de pollen nécessaire pour en couvrir totalement le stigmate. D’un autre côté, lorsqu’on ne tient pas à favoriser simplement la fécondation des fleurs d’une même variété par son propre pollen, il faut empêcher le pollen de la fleur à féconder d’agir de lui-même sur le stigmate. Pour cela, avant l’ouverture des pores des anthères, on détache les cinq étamines de cette fleur pour ne lui laisser que le pistil avec le calyce et la corolle. Cette opération exige beaucoup de soins pour ne pas blesser, lors de cette castration, le stigmate, le style et l’ovaire. Puis, lorsque l’on juge que le stigmate est arrivé à l’époque ordinaire de la fécondation, on y porte les grains de pollen primitivement recueillis, ce qui peut se faire délicatement avec un petit pinceau. Enfin, si l’on veut se mettre à l’abri de tout transport étranger de pollen, soit par le vent, soit par les insectes, on entoure les fleurs ainsi artificiellement fécondées avec une gaze légère qui leur permet de rester isolées pendant quelque temps du monde extérieur, mais néanmoins de vivre dans l’air et de recevoir les rayons solaires. Tels sont les procédés à employer pour pratiquer la fécondation artificielle.

Les produits qu’on obtient par cette fécondation artificielle entre espèces congénères s’appelant des hybrides, il est d’usage de désigner cette opération sous le nom d’hybridation. On appelle fécondation croisée, l’opération qui a pour but de féconder artificiellement des variétés d’une même espèce entre elles, et c’est celle qui se pratique le plus fréquemment pour obtenir de nouvelles variétés de Pommes de terre. Cependant, des tentatives d’hybridation ont été faites entre le Solanum tuberosum et des espèces voisines. On a obtenu, il y a déjà quelque temps, une plante hybride qui se maintient par la culture des tubercules, car elle est stérile, entre le S. utile et le S. tuberosum.

Nous trouvons dans un Mémoire de Schacht[4] une description de cette plante hybride et des remarques à son sujet. Nous en donnons ci-après la traduction.

« Le Dr Klotsch, dit Schacht, par la pollinisation des fleurs d’une très vigoureuse variété de Pomme de terre avec le pollen du Solanum utile, a obtenu des graines, en 1850, qui lui ont donné une plante hybride, laquelle a jusqu’ici parfaitement résisté à la maladie des feuilles et des tubercules. Klotsch croit qu’en raison de l’âge récent de cette hybride, ses qualités particulières pourront s’améliorer. Le Solanum utile, semblable à notre Pomme de terre (Solanum tuberosum), appartient aux espèces tuberculifères du genre Solanum ; ses fruits mûrs exhalent une odeur aromatique. La plante et les fleurs de cette hybride rappellent assez bien celles de notre Pomme de terre ; pourtant la plante elle-même est en quelque sorte plus forte et colorée en vert plus foncé. Vers la fin de Septembre de cette année, je l’ai vu ayant encore de très belles fleurs et sans apparence de taches noires, tandis que les Pommes de terre des champs, ce jour-là même, se montraient comme étant depuis longtemps dépérissantes ; l’hybride et ses fleurs se sont conservées plus tard, jusqu’en Octobre[5]. Dans les préparations microscopiques, les feuilles et la tige paraissent tout à fait organisées comme celles de la Pomme de terre ; le mode de villosité est aussi le même, mais l’hybride la présente avec des caractères plus accentués qui dénotent une cuticule plus épaisse. Il en résulte qu’avec cette cuticule plus fortement développée, la feuille et la tige de l’hybride se trouvent mieux protégées contre les influences extérieures que la Pomme de terre : c’est ce qui explique que ses feuilles ne se fanent pas aussi vite que celles de cette dernière plante, qui perdent plus facilement leur humidité. Cette plante hybride exige, d’après Klotsch, un sol bien profond. Les tubercules que j’en ai obtenus s’étaient également développés dans une terre argileuse. Ces tubercules, de grosseur moyenne, se trouvaient de deux sortes, blancs et bleus ; leur forme était très irrégulière, anguleuse-arrondie, plus longue que ronde, et ils montraient çà et là des dépressions, comme si dans le sol très compact leur développement avait dans ces parties rencontré quelque obstacle. La chair de la variété blanche paraissait blanche ; celle de la variété bleue, jaunâtre. La consistance des tubercules était extraordinairement ferme ; ils étaient riches en fécule. Les grains amylacés avaient leur structure normale, mais il semblait que la paroi des cellules qui renferment ces grains amylacés était plus épaissie que d’habitude. Dans les tubercules cuits, on trouvait cette particularité encore plus manifeste, car les cellules alors complètement isolées paraissaient entourées d’une membrane très épaisse ; les tubercules de cette hybride se laissent par suite mieux triturer après la cuisson que ceux de la Pomme de terre ; la chair en est pour la même raison plus ferme et plus dure. De deux tubercules de la variété blanche que j’avais fait cuire, l’un s’était tant soit peu crevé : la saveur m’en a paru très agréable. La peau n’en est pas particulièrement épaisse, mais elle est constituée pour être très ferme. Quant à la peau des tubercules de la variété bleue, on remarque qu’elle est couverte de petites papilles tubéreuses, ce qui n’a pas lieu chez la variété blanche ».

L’obtention de cette hybride date déjà d’une quarantaine d’années et les résultats de sa culture ont été en somme peu satisfaisants. Grâce à l’obligeance de M. de Vilmorin, qui l’a conservée dans sa collection, nous avons pu la cultiver et en suivre le développement. La plante fleurit très bien, mais les fleurs restent stériles : les tubercules sont petits et ne paraissent pas susceptibles d’être pratiquement utilisés. On ne peut la considérer que comme exemple curieux d’une plante hybride dont les tubercules assurent la conservation.

M. Blanchard parle, dans la Revue horticole (1885), d’essais d’hybridation qui avaient été faits sur le Solanum Ohrondii avec le S. tuberosum. À cette époque, on avait constaté que le S. Ohrondii restait toujours stérile. Il était réservé à M. Heckel d’en obtenir des baies avec graines, en 1896, en faisant cultiver la plante au Jardin botanique de Marseille. On peut dire qu’il y avait alors intérêt à essayer de féconder ce Solanum avec notre Pomme de terre, en raison surtout des tentatives de cultures qui étaient faites avec le S. Ohrondii. Voici ce que dit M. Blanchard, à ce sujet.

« La fécondation de l’Ohrondine, comme la désignent les cultivateurs bretons, par elle-même, ne nous ayant pas réussi, nous avons été obligé d’avoir recours au S. tuberosum, qui est l’espèce avec laquelle elle a le plus d’affinités. M. Pondaven en essaya plusieurs variétés et celle qui lui donna les meilleurs résultats fut la variété connue en Basse-Bretagne sous le nom de Pomme de terre plate, qui est communément cultivée à Pont-l’Abbé, Roscoff, Plougastel, etc. Il obtint de cette fécondation trois à quatre baies assez chétives qui, à l’exception d’une, disparurent au bout d’une quinzaine de jours : une seule arriva à peu près à sa grosseur naturelle et donnait les plus belles espérances ; mais la plante qui l’a produite arriva au bout de sa période végétative avant que le fruit ait atteint sa maturité. En voici la description : Pédicelle grêle, très allongé, réfléchi, articulé vers le milieu, velu. Baie ovale, oblongue-obtuse, de 8 millimètres de long sur 3 mill. de large, brun vert olive, glabre ».

Le fruit normal du S. Ohrondii diffère de celui de cette hybride : il est allongé, presque cylindrique, d’un beau vert, et ne ressemble pas non plus à celui du S. tuberosum. Il se rapprocherait plutôt de celui du S. Commersonii.

Plus récemment, de nouvelles expériences ont été commencées. M. Arthur Sutton sous l’inspiration de lord Cathcart, a fait en Angleterre des essais d’hybridation entre le S. tuberosum et le S. Maglia. L’habile opérateur en a fait connaître les résultats dans son intéressante Conférence sur la Pomme de terre, qu’il a faite à la Société royale d’horticulture de Londres, en Novembre 1895, et qu’il a publiée en 1896. Voici comment s’exprimait devant son auditoire M. Arthur Sutton, dont nous traduisons les paroles.


Fig. 156. — Solanum tuberosum ♂ × S. Maglia ♀. Tubercules de l’hybride (1/2 grand. nat.). D’après une photographie de la Conférence intitulée Potatoes, par M. Arthur Sutton (1895)

« Lord Cathcart avait choisi le Solanum Maglia, comme étant probablement l’espèce la plus convenable pour être hybridée avec le S. tuberosum afin d’obtenir une race de Pommes de terre qui pourrait être assez bien constituée pour résister à la maladie… Bien que plusieurs centaines de fleurs du S. Maglia aient été fécondées artificiellement avec le pollen de diverses variétés de Pommes de terre, cinq seulement réussirent à l’être : le résultat a été cinq baies avec leurs graines ; mais avec ces graines, il n’a été obtenu que deux plantules. Une seule de ces plantules a laissé entrevoir quelque promesse d’avenir, la seconde ayant exigé d’être cultivée sous verre pour prévenir son dépérissement à l’air libre. Cette première plantule, tout en se présentant sous la forme d’un S. Maglia perfectionné, est encore bien loin d’offrir un produit équivalent à celui d’une Pomme de terre ordinaire, soit dans son apparence, dans son rendement et dans ses qualités. Et cependant cette plantule est aujourd’hui cultivée depuis huit ans ; mais en 1894 elle a été légèrement atteinte par la maladie, à laquelle elle avait pour dire échappé jusque-là ». M. Blanchard avait constaté qu’à Brest le S. Maglia est éprouvé par la maladie, autant, sinon plus que le S. tuberosum ; nous avons eu l’occasion de faire la même constatation : il est donc à présumer que, sous ce rapport, l’obtention ne sera pas de grande valeur. Et comme, d’après M. Arthur Sutton, le produit obtenu n’est pas comparable à une Pomme de terre ordinaire, il n’y a pas grand espoir non plus d’en voir sortir la race rustique et vigoureuse qu’on espérait.

Nous n’avons pas entendu dire qu’il ait été fait de nouveaux essais d’hybridation entre le S. tuberosum et d’autres espèces voisines, ou bien, s’il en a été fait, que ces essais aient donné des résultats appréciables ou satisfaisants. Il est à croire, toutefois, qu’on pourra difficilement par ce procédé obtenir des produits estimables. En effet, le S. tuberosum est un type vigoureux, à tendances variables améliorantes, d’une organisation assez puissante pour produire à la fois des fruits et des tubercules volumineux, faculté qu’il ne perd que par suite d’une trop grande précocité dans la formation de ses tubercules ; les autres espèces voisines, au contraire, sont de leur propre nature faibles, débiles, ou bien stériles, stolonifères, ne développant que de petits tubercules, peu nombreux. Vraiment, la comparaison leur est tellement défavorable que l’on doit s’attendre, en les hybridant avec le S. tuberosum, à diminuer la vigueur de ce dernier, ou bien en hybridant le S. tuberosum avec elles, à créer inutilement des types nouveaux sans valeur culturale.

Tout autre se présente la fécondation croisée entre variétés du S. tuberosum. Les croisements y promettent d’abord des résultats plus faciles à obtenir et plus productifs. On peut essayer, avec espoir de succès, d’améliorer de certaines variétés, de leur infuser pour ainsi dire un sang nouveau, de modifier leurs tendances à ne produire que tard leurs tubercules, en leur donnant plus de précocité, de leur communiquer même des qualités qu’elles n’avaient point. Malgré cela, les difficultés de l’opération de cette fécondation artificielle sont encore assez grandes et les résultats obtenus demandent à être patiemment suivis et surveillés ; puis il faut savoir avec soin pratiquer dans les plantules du semis une habile sélection. Il n’est donc pas surprenant que nous ne trouvions à citer parmi les heureux opérateurs de croisements que MM. Robert Fenn, Glarke et Sutton en Angleterre, MM. Bresee et Pringle aux États-Unis, et MM. Richter, Paulsen et Cimbal, en Allemagne.

M. Robert Fenn ayant publié quelques-unes de ses impressions sur ses essais de fécondations artificielles, ainsi qu’un aperçu de ses obtentions, nous croyons qu’on ne lira pas sans en tirer profit la traduction de certains passages de ses Mémoires. Voici ce que nous trouvons à extraire du Gardener’s Chronicle de 1876 sur ce sujet.

« Je me suis occupé de la Pomme de terre, dit M. Fenn, depuis environ cinquante ans… Mais j’ai été longtemps sans trop savoir ce que je devais faire. Nous n’avions alors aucune autorité à consulter, et l’on n’a pas de peine à se rappeler combien peu de personnes à cette époque avaient le souci de tout ce qui concerne le perfectionnement de la Pomme de terre. Quoi qu’il en soit, il y a quelque vingt-cinq ans, je reçus d’un de mes amis et voisins quelques tubercules d’une variété américaine Black Kidney, nouvellement arrivée de l’État de New-York à Woodstock. Cette variété était d’un grand produit, mais elle me paraissait peu agréable pour la table. Dans le but de perfectionner ses variétés culinaires, j’ai fécondé avec son pollen notre vieille variété anglaise Red Regent. Et c’est à la suite de cette expérience que j’acquis les connaissances suffisantes, pendant quelques années, pour être encouragé à procéder de même, et à pratiquer successivement de nouveaux croisements. Il serait inutile de vous parler ici de tous ceux de mes essais qui ont eu des résultats insuffisants, provenant en grande partie de la fécondation de variétés rondes avec des Kidney, et vice versa. On doit éviter de procéder ainsi, et je ne puis dire que ces croisements, si bien suivis de bévues, m’ont mis en garde de suivre plus longtemps cette voie… Aussi, mes derniers croisements, je parle de ceux de ces seize dernières années, ont-ils été faits d’après les principes que je crois les plus corrects, et ils ont eu pour but, depuis deux ans, de mélanger les meilleures de nos vieilles variétés anglaises qui, dans le cours de la nature, sont, je ne puis pas dire épuisées, mais comme usées et presque éteintes par la culture.

» Je suis donc excessivement satisfait d’avoir pu obtenir ce que je désirais, c’est-à-dire de conserver la qualité de nos vieilles variétés, tout en rétablissant et augmentant leur productivité. De plus, dans ces deux dernières années, j’ai cherché à ouvrir une nouvelle voie en croisant le sang anglais avec celui de quelques-unes des nouvelles races semi-américaines, avec l’espoir d’obtenir une productivité raffinée, combinée avec la bonne saveur de nos races anglaises. Et en fait, je puis croire que j’arriverai à ces résultats, si j’en juge par les apparences actuelles ; mais il me faut une autre année au moins, avec l’aide de la Providence, pour me permettre d’avoir à ce sujet une opinion définitive. Quant à mes derniers croisements semi-anglais, ceux mêmes qui me donneront des fruits, elles exigeront encore trois années de plus. Nos jeunes et courageux obtenteurs de nouvelles variétés peuvent donc avoir la certitude qu’ils ont entrepris une tâche qui n’est pas une sinécure, — une tâche qui exigera à la fois tout leur enthousiasme et toute leur patience, et je puis leur en donner pour garants mon appréciation et mes encouragements. Malgré tout, nous pouvons éprouver une satisfaction intérieure en nous efforçant d’améliorer nos variétés. Il est même tout à fait vrai de dire que tous, nous pouvons profiter de l’expérience. Aussi ne manquerai-je pas à l’avenir de faire connaître une nouvelle variété de Pomme de terre sans oublier sa généalogie. Car ceci est une règle qu’adopteront, je pense, tous les obtenteurs de variétés nouvelles, parce que c’est la meilleure méthode à suivre pour en donner une connaissance qui permette d’en tirer les meilleurs résultats. Je crois, par suite, ne pouvoir mieux conclure qu’en développant les généalogies des variétés de Pommes de terre que j’ai volontiers mises au commerce, ainsi que de quelques autres qui se sont glissées dans la circulation contre mes désirs.

» Purple Blush. Un croisement de 1857 entre l’Américain Black Kidney et l’Anglaise Red Regent. Tubercules entaillés avec la forme du Red Regent, rouge, avec la peau de couleur pourpre de sa mère ; chair du Regent pour la couleur, mais de contexture moins bonne, et d’une saveur moins agréable. Je n’ai jamais considéré cette obtention, non plus que le Cricket Ball, comme suffisamment bonne pour être livrée au commerce. Je ne l’ai conservée que pour donner de la couleur à mes sélections d’exposition. Un prototype voisin de cette Pomme de terre, nommé Blanchard, a été mis dernièrement au commerce.

» Cricket Ball. Un croisement de 1857 entre le vieux Red Regent et l’Américaine Black Kidney, Les tubercules ont la forme perfectionnée du Red Regent et sont presque de la même couleur. La chair offre, pour la saveur, une amélioration sur les deux parents ; mais elle est malheureusement tachée dans l’intérieur de raies pourpres, qui persistent et se transmettent à sa postérité. Aussi ai-je refusé de l’offrir au public, ce qui n’en a pas moins été pour moi le sujet d’un grand désappointement. Il s’est glissé, malgré cela, dans les cultures de mon voisinage, et je l’ai vu exposé comme Red Regent : mais le contenu révèle sa parenté.

» Onwards (Second Early[6]). Un croisement de 1863 entre le vieux Cambridge Kidney et l’ancien Fluke. C’est la seule et unique production que j’aie conservée, et qui m’a donné confiance dans l’avenir. Elle n’est pas d’un grand produit, mais elle m’a servi comme une bonne race dont j’ai tiré un résultat excellent. C’est une variété d’été, et j’étais persuadé, en dépit de moi-même, de la mettre au commerce.

» Rector of Woodstock (Second Early). Un croisement de 1867 entre Onwards et Early Red Emperor. C’est une bonne variété, et propre à une culture générale dans un bon sol. Il a obtenu, en 1869, un Certificat de 1re classe de la Société royale d’horticulture.

» Early Market (First Early). Un croisement entre le vieux Early Ash-leaf et le Hegg’s Coldstream Early. Il exige une bonne culture potagère, étant une variété strictement hâtive, et qui demande à être consommé dans un état précoce, car, bien qu’il soit de bonne garde et qu’il garde sa saveur, il devient trop jaune pour être digne d’une bonne table. Il a obtenu un Certificat de 1re classe à Chiswick en 1873.

» Early White Kidney. Un croisement de 1868 entre le vieux Early Ash-leaf Kidney et Mona’s Pride. C’est une variété très délicate et une bonne modification de notre Early Kidney, par suite de la blancheur de sa chair. Il doit être l’objet d’une culture potagère. Certificat de 1re classe à Chiswick en 1873.

» Little Gem (Early), Un croisement de 1868, de la même production que la précédente. Mais bien qu’il ait obtenu également un Certificat, je le garde simplement comme une curiosité. C’est une très exquise Pomme de terre, mais elle ne constitue en somme qu’une variété d’amateur ou de connaisseur.

Alice Fenn. C’est un croisement de 1869 entre le vieux Cobbler’s Lapstone et le vieux Ash-leaf Kidney. Je ne l’ai obtenu qu’après plusieurs années d’essais, par suite de la propension des deux parents à perdre leurs fleurs. À la fin, l’Ash-leaf produisit une baie qui m’a donné assez de semence pour produire les prototypes de ce qui, je crois, constitue toutes les variétés d’Ash-leaf sous le soleil. Mais Alice Fenn est la seule variété que j’aie conservée de toute la lignée, en raison de son excellente qualité. Elle est unique, et c’est strictement une variété d’amateur et de connaisseur. Cerficat de 1re classe à Chiswick en 1873.

» Bountiful Red Kidney (Second Early). Un croisement de 1867 entre Onwards et Early Red Emperor. Cette variété semble gagner en faveur dans le public, plus que je ne le supposais. C’est une Pomme de terre qui a un excellent goût de noisette et une variété de bonne garde. Elle exige un sol riche de jardin potager et provient de la même baie que Rector of Woodstock et English Rose. Certificat de 1re classe à Chiswick en 1874.

» English Rose (First Early). Un croisement de 1867. C’est la variété qui approche le plus des nouvelles variétés semi-américaines. Elle a une saveur délicate, mais que l’on ne doit consommer qu’en pleine maturité. Elle demande à être privée d’un œil et à être cultivée dans le sol le plus riche d’un jardin potager. Je la garde simplement pour sa couleur comme une variété de choix. C’est contre mon désir qu’on l’a mise au commerce, parce que le public en général ne peut pas la cultiver avec assez de profit pour l’apprécier.

» George Temple (First Early). Un croisement de 1865 ou 1866 entre Turner’s Union Round et le Shutfort. C’est une forme délicate ou une variété précoce, d’excellent goût, et tout à fait ornementale à cause de ses belles fleurs bleuâtres. Je ne l’ai pas mise au commerce, mais elle a failli obtenir un Certificat à Chiswick ».

Dans une Revue rétrospective publiée, en 1884, dans le Journal of Horticulture and Cottage Gardener, M. Robert Fenn a fait connaître la correspondance qu’il avait échangée avec M. Pringle, des États-Unis. Nous en traduisons ici des passages assez instructifs.


« Charlotte, Vermont, 5 Janvier 1876.

» À M. Fenn. — Il semble désirable que je me serve de vos belles et excellentes obtentions pour donner à nos variétés américaines de grand rendement une meilleure qualité et une plus fine saveur ; de même, que, si cela vous intéresse, vous pourriez, de votre côté, par une infusion de sang américain dans quelques-unes de vos variétés, augmenter leur produit, sans pour cela leur rien faire perdre de leur qualité supérieure.

» Depuis vingt ans, il y a une légère disparité, à ce qu’il me semble, entre les Pommes de terre anglaises et américaines. La majorité des variétés que nous cultivons maintenant, celles surtout qui sont l’objet d’une culture extensive, proviennent de variétés à demi domestiquées qui ont été importées de l’Amérique du Sud. C’est ainsi que M. Goodrich a obtenu la Garnet Chili de celle-ci, M. Bresee a tirée l’Early Rose, Peerless, Bresee’s Prolific, etc., et en fécondant l’Early rose avec le pollen des meilleures des anciennes variétés, j’ai obtenu la Snowflake, l’Alpha et la Ruby.

» En suivant cette voie, nous avons quelques raisons d’espérer qu’en travaillant surtout de la manière que j’ai indiquée, nous pourrons arriver avant peu à des résultats certains, et que nous obtiendrons des variétés dans lesquelles se trouveront réunies la qualité supérieure et la belle apparence, avec une vigueur et une productivité satisfaisantes…

» Je serai heureux de vous adresser des graines de mes croisements en échange des vôtres, de préférence celles qui fourniront de bon pollen. Car le pollen de presque toutes nos nouvelles variétés est tout à fait improductif (chez le Snowflake la stérilité est poussée à ce point que les boutons de fleurs s’ouvrent très rarement, et se flétrissent de bonne heure), si bien que c’est seulement comme porteurs de graines qu’elles peuvent être employées pour races de croisements.

» J’ai essayé aussi des hybridations. Pour cela, j’ai cultivé le Solanum Fendleri du Nouveau Mexique. Malgré tous les soins que j’ai pris pour le féconder avec le pollen de nos variétés du S. tuberosum cultivées, il s’est montré récalcitrant : j’ai obtenu quelques fruits en partie développés, mais il se sont flétris avant maturité[7].

» Je suis etc. Pringle. »

« 27 Janvier 1876.

» À M. Pringle. — J’entre complètement dans vos idées. Pendant trois années consécutives, bien qu’encore sans résultats, j’ai essayé de croiser mon Rector of Woodstock avec votre Snowflake, qui est bien la meilleure de vos variétés américaines. Snowflake se refuse à me fournir un seul grain de pollen ou à se laisser féconder. D’autres variétés américaines se sont comportées de même ; mais une touffe de la peu fleurissante Willard’s Seedling a donné une tige fleurie et, à ma grande joie, m’a permis de recueillir un peu de pollen sur l’ongle de mon pouce. J’ai porté immédiatement ce pollen sur les pistils de trois fleurettes, préparées pour le recevoir, de mon Bountiful, et, peu de jours après, j’ai eu l’inexprimable satisfaction de voir que la fécondation avait réussi et que les futures baies grossissaient.

» De plus, il y a trois ans, j’avais porté le pollen de Bountiful sur quelques centaines de pistils des fleurs de l’Américaine Late rose. J’étais au désespoir de constater qu’il ne restait plus que deux grappes de fleurs dans la rangée, lorsque, comme dernière ressource, je leur appliquai de nouveau le pollen de Bountiful : or ma persévérance me procura cinq baies fécondées. Cette circonstance ravive mes espérances sur Snowflake, et je projette déjà d’observer dans la saison ses fleurs les plus tardives, et de tenter alors d’en réussir la fécondation avec Rector of Woodstock. J’ai semé les graines des derniers croisements internationaux, et je possède maintenant 400 nouveaux tubercules, passant d’un rouge sombre par toute sorte de nuances au blanc de perle, et de parfaitement ronds aux plus beaux types de rognons, — sans yeux marqués sur la majorité d’entre eux, — une récolte pleine de promesses comme je n’en ai jamais obtenu. Maintenant, mon objectif serait de pouvoir infuser la saveur anglaise en conservant la productivité supérieure des variétés américaines. Puissé-je du moins réussir !..

» Permettez-moi de vous proposer de travailler de concert avec vous. Voici ce qu’il conviendrait de faire. — Croiser Snowflake avec Hector of Woodstock, et vice versa, si vous pouvez. Croiser Bountiful avec Willard’s Seedling, en employant le dernier pour le père, seulement. Avec Snowflake croiser Hector of Woodstock. Nous viserons ainsi tous deux aux mêmes résultats, puis nous comparerons et jugerons avec plus de certitude, ce qui nous permettra de décider de quel côté de l’Atlantique on aura pu obtenir une réelle amélioration…

» En attendant, permettez-moi de vous envoyer, sans attendre votre réponse, quelques-unes de mes obtentions qui vous intéressent, y compris Bountiful et Hector of Woodstock, afin de vous aider à faire les croisements dont il a été question ci-dessus.

« Robert Fenn. »

» À M. Fenn. — Vous me signalez le Willard, comme étant le seul de notre nouvelle race de Pommes de terre provenant en dernier lieu des régions sauvages ou à demi sauvages de l’Amérique du Sud, qui vous ait donné de bons produits. À l’exception de sa mère, l’Early Goodrich et le véritablement sauvage Grand Blanc de M. Goodrich, je n’en connais pas d’autre qui soit aussi fertile. J’ai été forcé de compter sur la vieille race des Américains, dont quelques-uns sont très productifs. Je me suis servi le plus souvent d’Excelsior : c’est le père de Snowflake. Il porte des fruits avec profusion, donne une grande récolte, et il a, comme nos Pommes de terre, meilleures saveur et qualité. Il donnerait sûrement de la vigueur à vos nouveaux produits. Je vous en enverrai des graines. J’y ajouterai deux tubercules de notre excellent Peachblow : la mère était une belle White Kidney de bonne qualité, qui est originaire de London, province d’Ontario, Canada, et qui est appelée London White. Je vous envoie ces deux tubercules, parce que la race est de très forte croissance et vous fournira le pollen le plus efficace.

« C. G. Pringle. »

M. Fenn ajoute alors, après cette correspondance :

« Je n’ai pas encore appris comment nos Pommes de terre se comportaient dans le Vermont. Mais je puis dire que j’ai tiré de bons résultats de mes essais anglo-américains. Sutton’s Early Border, Early Regent, Fiftyfold, Reading Russet et Prizetaker sont les résultats commerciaux des Américains Willard et Late rose croisés avec mon Bountiful. Il y a deux ans, j’avais ici la très grande satisfaction de recueillir un certain nombre de grains de pollen de l’Américain Snowflake de M. Pringle, sur une grappe de dernières fleurs dans mon jardin, mais en vérité si tardivement que les fleurs du Rector of Woodstock étaient déjà passées, et bref ainsi que la totalité des fleurs de toutes mes variétés. Il ne me restait, par un heureux hasard, qu’un couple de deux dernières fleurs qui se trouvaient épanouies sur la tige du pied délaissé du Willard par Bountiful. Je n’ai jamais opéré de fécondation, plus soigneusement et plus nerveusement, que je ne l’ai fait sur ces deux fleurs, et j’étais aussi anxieux du résultat que s’il s’était agi du Rector of Woodstock, Le pollen ainsi obtenu provenait de si bonne source ! Une seule des baies se développa et mûrit : c’est le plus gros fruit de Pomme de terre que j’aie jamais vu ! Il me produisit cinquante graines, dont chacune a germé la saison suivante. Tout cela m’a procuré un très bon croisement résistant à la maladie, et j’ai livré au commerce : Sutton’s Ringleader, Favourite et Lady Truscott ; de plus, j’ai gardé en réserve, pour une autre année, deux nouveautés nommées provisoirement Golden Spot et New Bountiful. La Société royale d’horticulture a certifié Alderman de Keyser que je tiens en mains propres en ce moment, ainsi qu’un petit nombre de la fournée que je garde pour des essais ultérieurs. Ainsi finit mon histoire de Pommes de terre jusqu’à présent ».

Mais d’un autre côté, s’il est relativement assez facile de croiser des variétés qui fleurissent, il semblerait à première vue qu’il devient impossible de le faire, lorsqu’il s’agit de variétés qui ne fleurissent pas ou qui ne fleurissent plus. Voici ce que dit à ce sujet Loudon, dans son Encyclopédie d’Agriculture[8] dont nous traduisons le passage qui nous semble le plus instructif.

« Certaines variétés de Pommes de terre les plus hâtives ne fleurissent pas, et par suite ne produisent pas de graines. Pour obtenir de ces variétés des fleurs et des graines, il est nécessaire de temps en temps, pendant la première partie de l’Été, de retirer la terre qui entoure les racines des plantes et de détacher les tubercules lorsqu’ils commencent à se former. En empêchant ainsi la force de la plante de s’employer à la formation des tubercules, on la contraindra de se porter vers les feuilles et les parties herbacées pour produire des fleurs et des fruits. Knight, le Président de la Société d’horticulture, en se servant de ce procédé, a réussi à se procurer des graines de plusieurs variétés de Pommes de terre qui n’avaient jamais auparavant produit de fleurs, et de ces graines il a obtenu d’excellentes variétés, quelques-unes robustes et moins précoces, d’autres petites et très hâtives. Il a de plus fécondé les fleurs de ces variétés précoces avec celles d’autres variétés, soit hâtives, soit tardives, et il est arrivé à produire ainsi des variétés plus précoces, plus vigoureuses et prolifiques que toutes celles qu’il connaissait. Il a cultivé ces variétés dans ses champs, les jugeant préférables à toutes les autres, parce qu’elles lui permettaient de planter plus tard et de récolter plus tôt ».

Knight a décrit son procédé dans les Philosophical Transactions de 1806. « Tout jardinier, dit-il, sait que les variétés précoces de Pommes de terre ne produisent jamais ni fleurs, ni graines. J’attribue cette particularité à une privation de nourriture, qui résulte de ce que les tubercules contraints de se former extraordinairement tôt, détournent à leur profit cette partie de la sève, qui, dans le cours ordinaire de la nature, est employée au développement et à la nutrition des fleurs et des graines. J’ai donc, le Printemps dernier, planté quelques morceaux de tubercules d’une variété très hâtive de Pommes de terre, bien connue pour ne pas fleurir ; je les ai placés dans des pots, en ayant soin d’entasser d’abord le terreau aussi haut qu’il me fut possible au-dessus du niveau des pots et de planter chaque morceau de tubercule presque à la surface. Lorsque les tiges eurent atteint quelques pouces de hauteur, elles furent soutenues au moyen de forts tuteurs qui ont été enfoncés droits dans les pots pour cette fin, et le terreau fut alors détaché de ces tiges par un vif courant d’eau. Il en résulta que chaque plante se trouva suspendue en l’air, n’ayant d’autre communication avec le terreau des pots que par ses racines fibreuses. Or comme celles-ci sont parfaitement des organes distincts des stolons qui engendrent et nourrissent les tubercules, il me devenait aisé d’empêcher la formation de ces derniers. En effet, chaque plante ne manqua pas bientôt d’essayer de produire des stolons et des tubercules ; mais ceux-ci étaient détruits aussitôt qu’ils devenaient perceptibles. Les tiges ne tardèrent pas alors à prendre un développement remarquable ; elles se couvrirent de fleurs, et toute fleur porta fruit ».

Nous sommes, en France, quelque peu en retard, pour ces expériences de fécondation croisée, sur nos voisins d’Angleterre ou d’Allemagne. C’est pourquoi nous avons pensé qu’il pourrait être utile d’appeler l’attention sur ce sujet, par la lecture des citations précédentes. Nous souhaitons vivement que l’emploi de ces procédés de fécondations artificielles, suivis de sélections raisonnées, ne soit pas dédaigné, comme il semble l’être chez nous actuellement, et que des expérimentateurs français prennent goût à les appliquer. Ce mode d’expérimentation, avec les soins à donner aux semis des graines obtenues, peut devenir passionnant, dans l’attente des résultats problématiques qu’il procure. Il nous appartiendrait peut-être, en France, de consacrer ces essais à l’obtention de nouvelles variétés de table, dignes d’être mieux appréciées, et qui seraient destinées à remplacer nos bonnes variétés actuelles, dont quelques-unes sont en voie de dégénérescence. Il pourrait en être de même pour les variétés industrielles et fourragères à rendement considérable. Puisse ce souhait se réaliser à bref délai !


IV. — LA GREFFE DE LA POMME DE TERRE.


M. Trail, d’Édimbourg, paraît être le premier qui ait eu l’idée de faire des essais sur la Greffe de la Pomme de terre. En 1867, il partageait par le milieu une soixantaine de Pommes de terre bleues ou blanches, et il associait l’une à l’autre chacune des moitiés des deux variétés, en ne laissant qu’un œil sur l’une d’elles et détruisant tous les autres yeux, puis il plantait ces réunions de demi-tubercules ainsi préparées. Or la majorité des tubercules produits appartenaient soit à la variété blanche, soit à la variété bleue ; mais quelques-uns cependant étaient en partie blancs et en partie bleus, et quatre ou cinq étaient marbrés des deux couleurs.

Peu après, M. Taylor, du Yorkshire, faisait une opération un peu différente. Il prenait deux tubercules de variétés différentes dont il enlevait tous les yeux, puis il pratiquait sur l’un d’eux une petite cavité et y insérait hermétiquement un morceau taillé pour la remplir et portant un ou deux yeux, détaché d’un tubercule de l’autre variété : il opérait de même pour le second tubercule, puis fixait les morceaux avec des épingles et les liait même au besoin, et plantait les tubercules disposés de la sorte. Il aurait obtenu par ce moyen des variétés nouvelles, surtout en greffant ainsi des rondes sur des longues, et réciproquement.

M. Fitz-Patrick faisait, en 1868, une autre expérience. Il plantait trois variétés de Pommes de terre : une blanche, une noire et une rouge. Dans le courant de Mai, lorsqu’elles commençaient à émettre leurs tiges, il les déterrait avec soin, en laissant les racines avec leur terre, accolait à chaque tubercule-mère un autre tubercule de variété différente, les liait fortement tous deux, les entourait de terre molle et les replantait. Lors de la récolte, il obtenait des tubercules noirs d’un côté, blancs de l’autre, ou moitié blancs et moitié rouges. Seulement, les variétés noires avec les rouges donnaient des tubercules marbrés des deux couleurs, où le rouge dominait.

En 1868, M. Hildebrand remplaçait, sur plusieurs tubercules d’une variété ronde à peau lisse et blanche, tous les yeux par ceux pris sur des tubercules d’une autre variété longue à peau rugueuse et rouge, et il opérait de même sur des tubercules de la seconde variété avec des yeux de la première. Le tout fut planté, et les pieds se développèrent. Mais la récolte ne fournit que deux tubercules modifiés. Le premier, qui présentait une forme allongée et qui était rouge et rugueux à une extrémité, avait le milieu bigarré de rouge et de blanc, et l’autre extrémité lisse et blanche. Le second tubercule incomplètement développé ne différait du premier que par une couleur généralement plus blanche. Les deux tubercules en question, plantés en 1869, ne donnèrent aucun résultat appréciable.

En 1872, M. Norbert, de Stuttgart, s’y prenait d’une tout autre manière. Au lieu de chercher à greffer entre elles des portions de tubercules différents, il obtenait, au moyen de boutures, de jeunes pieds de Pommes de terre sur lesquels il posait ensuite des greffes de variétés différentes. Toute la culture fut faite en pots, et les résultats en furent presque tous satisfaisants. Beaucoup des tubercules obtenus offraient une coloration très prononcée, différente des deux variétés unies par la greffe, surtout quand il s’agissait des variétés noire et blanche, mais moins accusée pour les variétés rouge et blanche.

D’un autre côté, Charles Royer, qui s’était beaucoup occupé de l’étude des parties souterraines des plantes, crut devoir s’élever contre l’idée que l’on se faisait de la Greffe des tubercules de pommes de terre. Il disait, dans une Note publiée dans le Journal de la Société d’horticulture de France en 1874 : « Un tubercule de Pomme de terre est dû à la double hypertrophie de l’écorce et du cylindre central ; et c’est l’écorce qui contient le plus de fécule. Outre une zone génératrice principale qui sépare ces deux parties, il se développe au sein de l’écorce une zone génératrice surnuméraire plus ou moins accentuée. Les bourgeons sont toujours insérés sur la zone génératrice principale, et ils reposent chacun au fond d’une dépression, seuls points où l’écorce échappe à l’hypertrophie, afin de ne pas recouvrir ni étouffer les bourgeons. Si l’on veut tenter la greffe sur un tubercule de Pomme de terre, il faudra donc faire une entaille assez profonde pour pénétrer jusqu’à la zone génératrice principale. Mais ce résultat obtenu, l’opération n’en doit pas moins avorter, car le tubercule est un corps sans vie, ses bourgeons exceptés ; et la zone génératrice y est inactive… Il n’est pas rare cependant qu’un bourgeon qu’on a inséré sur un tubercule vienne à se développer ; mais ce ne sera qu’avec le secours des racines que le bourgeon aura émises de sa propre base. Le tubercule, loin de servir à la végétation, aura plutôt été nuisible, en s’interposant tout d’abord entre le sol et les jeunes racines du bourgeon ».

On peut dire que, théoriquement, cette opinion est juste. Cependant, après les résultats obtenus par les expérimentateurs, il convenait d’essayer de les expliquer, et surtout ce qui paraissait un fait acquis, le passage de la matière colorante d’un tubercule dans la greffe, pour produire des tubercules à double teinte ou marbrés. Il y a là, en effet, un phénomène curieux.

En 1876, Robert Fenn, qui s’est rendu célèbre en Angleterre par ses obtentions de variétés nouvelles de Pommes de terre, au moyen de fécondations croisées, disait avec humour dans le Gardener’s Chronicle : « La Greffe de la Pomme de terre a été le sujet d’une controverse, lorsque j’ai parlé de mes expériences sur elle. Je ne crois pas que nos savants anglais soient convaincus qu’elle soit possible, même aujourd’hui. C’est un fait, néanmoins, bien qu’elle ne réussisse pas 99 fois sur 100, soit que le type originel se perde, soit que les greffes ne prennent pas. Dans mes expériences faites en vue d’améliorer une variété par la Greffe, je n’ai eu qu’un seul succès en obtenant une forme plus naine et une précocité d’environ trois semaines dans sa maturité, en comparaison du tubercule greffé. Mais le jeu de la Greffe de la Pomme de terre ne vaut pas le nombre d’années qu’elle exige, pour courir la chance d’obtenir une heureuse modification ! »

On le voit, il s’agissait d’arriver à améliorer certaines variétés par la Greffe. C’est aussi le but que vont se proposer d’atteindre de nouveaux expérimentateurs. En 1878, M. Vavin publiait, dans le Journal de la Société d’horticulture de France, un Mémoire sur la Greffe des Pommes de terre, dont la partie historique nous a fourni les renseignements que nous avons donnés au commencement de cet article. Dans ce mémoire, M. Vavin expliquait son procédé. À l’aide d’un cylindre métallique creux, formant emporte-pièce, il enlevait tous les yeux d’une Pomme de terre, en la traversant de part en part : il obtenait de la sorte des cylindres formés de tissu cellulaire, sur chacun desquels se trouvait un bourgeon, et il introduisait ces cylindres dans de pareilles cavités faites dans un autre tubercule avec le même emporte-pièce. « Je n’ai malheureusement pas toujours réussi dans mes essais, dit M. Vavin, mais il s’opérait le plus souvent un changement très remarquable dans la forme et la couleur des types dont je m’étais servi : le plus souvent les métis sont marbrés, panachés, rubanés ; dans certains cas, la coloration de chaque partie du tubercule est différente ; dans d’autres, la teinte est uniforme, homogène et semble provenir du mélange de la couleur de chacune des variétés ; parfois, la Pomme de terre est jaune et ses yeux sont entourés d’une aréole rouge ou violette ».

M. Vavin ajoutait qu’il avait obtenu, en 1867, une variété rubanée, qui produisait beaucoup, et faisait observer que les Pommes de terre obtenues par le greffage sont généralement plus tardives que celles dont elles proviennent, mais que le rendement en est beaucoup plus considérable et la végétation plus vigoureuse.

En 1886, le Gardener’s Chronicle publiait un article de M. Vorthington G. Smith sur la Greffe de la Pomme de terre. L’auteur y expose son procédé de greffage, avec des dessins à l’appui : il y montre deux tubercules, l’un rond de la variété Early Regent sur lequel deux particules obconiques, ou deux troncs de cône dont la base est à la surface et porte au centre un bourgeon, et dont le sommet se termine au centre du tubercule, seront détachées ; l’autre ovoïde de la variété Early Ash-leaf Kidney présentant des cavités obconiques de même dimension destinées à recevoir les particules précédentes. La préparation doit être faite de telle façon que les cônes et les alvéoles se placent les uns dans les autres avec une précision géométrique. Un double petit lien sert à fixer cette préparation. « On doute, dit M. Worthington Smith, que l’amalgamation puisse se faire entre la chair des deux parents. Cette amalgamation me semble possible en raison des faits suivants : 1o Le produit des tubercules greffés est quelquefois intermédiaire entre les deux parents ; 2o Le tubercule-semence avec ses cônes végétatifs s’épuise complètement pendant la croissance de la plante, ce qui montre que pour ce développement toute la nourriture de réserve de la chair des deux parents a été employée. »

En 1894, le Journal de la Société d’Horticulture de France insérait une Note de M. Gustave Martin qui faisait connaître une manière assez identique de greffer les Pommes de terre. « Au préalable, disait-il, mise en végétation des tubercules sur lesquels on veut opérer, sujets et greffons. Détruire tous les yeux du tubercule-sujet et recouvrir les plaies avec une couche légère de mastic Lhomme-Lefort ; creuser dans ce sujet deux ou trois cavités en forme de trémie. Puis, détacher du tubercule-greffon les bourgeons développés en conservant à leur base une tranche de ce tubercule en forme de pyramide tronquée de façon que, introduite dans la trémie creusée dans le sujet, elle y soit exactement contenue ; mettre deux ou trois greffons, suivant la grosseur du sujet. Constater que l’adhérence est complète, que les épidermes sont bien au contact, puis recouvrir la commissure avec le mastic ; planter ensuite comme à l’ordinaire ».

La même année, le même Recueil publiait une Note importante de M. Édouard Lefort, résumant les expériences que l’auteur avait faites depuis dix ans. Son procédé consiste à se servir pour le greffage, non des tubercules, mais des tiges de la Pomme de terre. comme M. Norbert. Dans le cours de ses expériences, M. Lefort avait obtenu, par son procédé, des sous-variétés d’Early rose à chair jaune, au lieu de chair blanche, et très précoces, en greffant la variété Early rose avec les variétés Marjolin et Marjolin-Tétard. Il en avait obtenu même qui étaient panachées de jaune et de rose. Il avait ensuite uni par la Greffe la variété Richter’s Imperator avec les mêmes variétés, ainsi qu’avec la Hollande, la Saucisse, la Blanchard et la Versaillaise. Il en avait obtenu de bons résultats, notamment une Richter’s Imperator, à chair jaune, fine, notablement hâtive. Pendant le Congrès horticole de 1896, M. Lefort a exposé de nouveau ses idées à ce sujet et s’est exprimé en ces termes.

« Cette Greffe, dit-il, se fait en Mars et Avril. L’on prend des tubercules donnant de grosses pousses qu’on laisse se développer et durcir à l’air ; on choisit pour greffons des pousses de même grosseur, et on réunit celles-ci aux premières par la greffe en fente, en coupant la tige à une distance de 2 à 4 centimètres du tubercule. Pendant une quinzaine de jours, les pieds greffés doivent être tenus frais, sans arrosements, résultat que l’on obtient en les couvrant de mousse que l’on rafraîchit tous les jours Se servir de terre glaise pour la greffe et non de mastic. Planter les tubercules dans des pots, sous cloches ou sous châssis ; les tenir à l’étouffée les premiers jours, et donner de l’air ensuite ; un mois après, planter en place et maintenir encore sous cloche pendant quelque temps.

» C’est sur la tige greffée que partiront les tubercules qui seront petits ou moyens la première année ; ce n’est que deux ou trois ans après le greffage que l’on récoltera des Pommes de terre atteignant le volume normal et définitif.

» L’avantage de la Greffe est de pouvoir rendre les Pommes de terre industrielles, comestibles, sans qu’elles cessent de donner un grand rendement, et aussi de les rendre plus précoces lorsqu’on les greffe sur la variété Marjolin. J’ai obtenu des variétés bien modifiées par la Greffe. L’une était Early rose, dont la chair est devenue jaune et la tige basse, 20 à 25 centimètres ; le développement est si rapide, que la récolte se fait en deux mois et demie, après la plantation. L’autre variété était la Richter’s Imperator, greffée sur Marjolin-Tétard, qui a pris une chair bien jaune ; elle est aussi très basse de tige, 30 à 35 centimètres, ce qui permet de planter très près, le plus à 50 centimètres de distance. Elle est très précoce et donne près de deux kilos par pied[9]. C’est une récolte considérable, en Juillet. Le tubercule est un peu moins féculent que celui de la Richter’s Imperator. Cette année je présenterai à la Société d’horticulture, la Pomme de terre Institut de Beauvais, à chair jaune, greffée sur Pomme de terre Hollande ».

Il serait à souhaiter que ces expériences fussent répétées par d’autres personnes, pour confirmer les avantages de ce procédé, dont les résultats, d’après M. Lefort, sont véritablement intéressants.

Mais, d’un autre côté, la Pomme de terre ne pourrait-elle se greffer sur d’autres Solanées ? C’est ce qu’un jardinier de Bristol, nommé Maule, a déclaré avoir réussi à pratiquer. Il annonçait, en 1876, avoir greffé le Solanum tuberosum sur les S. nigrum et Dulcamara, c’est-à dire sur la Morelle noire et la Douce-amère, et avoir obtenu, chose incroyable, non seulement des tubercules aériens sur le jeune scion du S. tuberosum, mais d’autres tubercules sur les racines de la Douce-amère ! Nous ne sachions pas que cette expérience ait été répétée et ait donné les mêmes résultats.

La même année, le Gardener’s Chronicle insérait une Note de M. Alexandre Dean faisant connaître la réussite d’une autre tentative de greffage, celle de la Greffe par approche d’une tige de Pomme de terre sur une tige de Tomate. Il faisait cette opération au printemps, au moment où chacune des tiges ne dépassait pas 0m,15 de hauteur. Au bout de peu de semaines, l’union des deux tiges était parfaitement opérée ; il coupait alors la tige de la Pomme de terre, qui formait la greffe, au-dessous de la portion ainsi unie, et celle de la Tomate au-dessus de cette même portion : il en résulta qu’il eut de cette manière le haut d’une tige de Pomme de terre nourrie à sa base par une tige de Tomate formant le sujet. Mais il se produisit bientôt, sur cette tige de Pommes de terre, des pousses renflées à leur base en sortes de tubercules arrondis, qui ressemblaient exactement à ceux qui se produisent parfois sur des tiges de Pommes de terre dont la partie souterraine a été endommagée.

Nous avons appris que, depuis lors, cette expérience a été répétée avec le même succès. Mais M. Arthur Sutton obtint plus encore. Dans une conférence qu’il fit, en Novembre 1895, à la Société royale d’horticulture de Londres, il montra, au moyen de photographies projetées sur un écran, une greffe de Tomate sur une tige de Pomme de terre, et une greffe de Pomme de terre sur une tige de Tomate. Voici ce qu’il disait à cette occasion. « Un tubercule de Pomme de terre fut planté dans un pot, le 22 mars ; lorsque la tige qui en sortit eut atteint 4 à 5 pouces de hauteur, on la coupa à un demi-pouce au-dessus du sol, et l’on y inséra une greffe de Tomate le 8 Mai. Le résultat fut que la Pomme de terre produisit des tubercules dans la terre du pot et que la tige de la Tomate s’était, de son côté, chargée de Tomates. Quant à l’autre greffe, c’est le même procédé renversé : la tige d’une Tomate fut coupée à un demi-pouce au-dessus du sol, et l’on y inséra une greffe de Pomme de terre. La Tomate ne produisit que ses racines ordinaires ; mais la tige de la Pomme de terre donna un groupe de fleurs, lesquelles produisirent cinq baies ».


V. — PLANTATION DES POMMES DE TERRE EN AUTOMNE.


On a pu remarquer que, depuis l’introduction de la Pomme de terre en Europe, l’habitude avait été prise de planter les tubercules au Printemps, en Mars ou Avril habituellement. Lorsque la redoutable maladie a commencé, en 1845, à exercer cruellement ses ravages, on a eu recours à divers procédés pour essayer de mettre la Pomme de terre à l’abri de ce fléau. L’on a cherché alors à hâter le moment des récoltes, et l’on a espéré y arriver soit en cultivant des variétés précoces, soit en plantant les tubercules-semences à l’Automne, au lieu de le faire au Printemps. Les résultats obtenus par cette nouvelle méthode de plantation ont été contradictoires, et l’on peut dire que la question est encore sujette à controverses. Il n’est pas, en tous cas, sans intérêt de suivre la marche de cette idée nouvelle, et de voir se dégager actuellement l’opinion que l’on peut avoir de son utilité.

Dans ses Nouvelles Instructions populaires sur les moyens de combattre la maladie des Pommes de terre, etc., publiées, en 1845, par Charles Morren, et que nous avons déjà citées, l’auteur préconise la plantation automnale ou hivernale à différents points de vue. « Evelyn, dit-il, une des grandes autorités de l’Agriculture des Îles Britanniques, envisageait en 1699 la Pomme de terre avec quelque dédain. « Plantez des Pommes de terre dans le plus mauvais terrain de vos jardins, disait-il, levez-en en Novembre pour la nourriture d’hiver, n’en conservez pas ; il en restera toujours assez dans le sol pour repousser l’année suivante ». Cette ancienne manière de voir d’Evelyn a produit aujourd’hui en Angleterre une culture, dite la Culture de Grey, du nom de son inventeur, qui rend des services signalés… C’est en Irlande que l’opinion d’Evelyn a provoqué, il y a longtemps, une culture nouvelle, la culture pendant l’hiver. Un agriculteur, James Goodiffe, y cultive la Pomme de terre depuis vingt ans, en hiver et en été, toujours avec succès. Il plante des Pommes de terre en Septembre et même à Noël, il récolte depuis Février jusqu’en Mai, ce qui ne l’empêche pas de planter en Avril pour récolter en Été des variétés successivement plus précoces et plus tardives. En un mot, c’est une récolte continue. La Pomme de terre blanche, dite White Kidney, réussit admirablement dans cette culture.

» On a parlé de la profondeur où il fallait déposer les Pommes de terre pour ne pas les faire geler, et on objecte que, plantées trop profondément, elles ne poussent pas. James Goodiffe a fait à cet égard une série d’expériences confirmées par d’autres agriculteurs ; il a voulu savoir la limite sous terre où cette Solanée ne pousserait plus. Cette limite est rassurante, elle est à trois pieds de profondeur. Au-dessus de trois pieds, la Pomme de terre pousse des tiges qui s’élèvent hors de terre ; mais dans la culture hivernale, James Goodiffe se contente d’un enfoncement de quatre à six pouces. Il donne une fumure et butte comme à l’ordinaire. Il n’a pas souvenance que jamais une culture de ce genre ait manqué, et même tandis que plusieurs maladies attaquaient les cultures d’Été, celles d’Hiver étaient à l’abri de leurs ravages. Il n’hésite nullement, encore en 1845, à recommander ce procédé à tous les cultivateurs de la région où la Pomme de terre peut croître. Ce même agronome a cultivé la Pomme de terre en la plantant en Juin pour la récolter en Novembre, et cela aussi avec un grand succès.

» À Birmingham, on s’est aussi occupé de la profondeur de la plantation ; M. Grey rapporte des faits curieux à ce sujet. On y plante à vingt pouces de profondeur ; sur ces plants, les tubercules les plus profonds devenaient les plus gros, et parfois atteignaient quatre livres et quelques onces ; ceux de dessus étaient les plus petits.

» Les fermiers du Flintshire plantent pendant tout l’automne ; les tubercules ne gèlent pas, viennent abondamment et sont d’un goût excellent.

» Un agronome de Stockton, M. Trotter, est d’avis que pour les terrains argileux la plantation automnale l’emporte de beaucoup sur celle du printemps. Selon lui, le tubercule grossit plus, mûrit mieux et acquiert un goût meilleur. Il dit plus, c’est que la récolte est de quatre fois plus abondante. Les expériences de M. Grey s’accordent, sur ce point avec celles de M. Trotter. Dans les fortes gelées, il couvre de litière les plantes, mais non tout le champ.

» M. Robert, d’Édimbourg, a publié un ouvrage fort curieux. C’est un physiologiste qui émet l’idée que l’œil des Pommes de terre est un œil dormant, par conséquent il ne peut se développer qu’au Printemps qui suit l’époque de la formation. Ce fait explique pourquoi il faut employer comme tubercules-semences des tubercules de la récolte antérieure. En un mot, pour planter en Automne 1845, il faut avoir des tubercules de 1844 qu’on eût plantés au Printemps de cette année. C’est une plante retardée.

» Un célèbre professeur d’Agriculture, M. Low, d’Édimbourg, écrit dans un de ses ouvrages. « Dans quelques parties du Sud de l’Angleterre, des Pommes de terre précoces sont plantées avant l’Hiver et sont alors bonnes à manger très tôt dans la saison qui suit. On les plante en Octobre ou en Novembre, à neuf ou dix pouces de profondeur et on les couvre de litière ou de paille. En Mars, la végétation est complète et on obtient la récolte parfaite en Mai. Parfois, en plantant en Octobre, la récolte peut être faite avant les gelées d’Hiver, et on peut alors les ôter pendant tout l’Hiver ».

» En France, MM. Changarnier et Chambray plantent des Pommes de terre, le 1er Août, à une profondeur de 28 à 30 centimètres, et à une distance de 50 à 60 centimètres. On sarcle quand les mauvaises herbes ont poussé ; on ameublit la terre ; on butte au premier froid et on coupe les tiges à 16 centimètres du sol. La ligne est alors couverte d’une couche de fumier, et on place dessus de la terre pour détruire l’effet du vent. La récolte se fait en Février. Un tubercule donne en moyenne 18 à 20 Pommes de terre ».

Charles Morren, s’inspirant ensuite de toutes ces expériences, engage les cultivateurs à se hâter de les mettre en pratique.

En 1848, MM. Cazin, Leroy et Brunet de Boulogne-sur-Mer, publiaient un ouvrage intitulé : Moyens de guérir la Maladie de la Pomme de terre par la plantation d’Automne et d’obtenir des récoltes plus abondantes et plus hâtives. C’est un recueil de lettres adressées à la Société centrale d’Agriculture de Paris, qui l’a couronné en 1849. Les auteurs citent un grand nombre d’observations favorables à la thèse qu’ils soutiennent. Nous en détacherons les passages suivants.

« Il n’est pas étonnant, disent-ils, que l’on croie généralement que la Pomme de terre ne résiste pas à la gelée : on la plante À 8 ou 9 centimètres. Mais à quelle profondeur trouve-t-on au printemps les tubercules qui ont échappé aux recherches des ouvriers ? À 15, 20, 25, 30 et 35 centimètres ; alors, non seulement ils ont résisté aux gelées, mais, encore, ils se distinguent par une végétation vigoureuse. C’est un double enseignement que la Nature nous donne et qu’elle renouvelle presque tous les ans. La plantation à une plus grande profondeur qu’à l’ordinaire n’a pas seulement pour effet de garantir la Pomme de terre de la gelée : elle procure aussi une plus grande abondance. D’un autre côté, on a remarqué que plus les Pommes de terre avaient été enterrées, plus elles s’étaient trouvées exemptes de la Maladie. La profondeur, à conditions égales, même lorsqu’on plante trop tard, est donc encore un moyen de combattre le mal. Et si cette profondeur vous permet de planter avant l’Hiver, et, par conséquent, de récolter plus tôt, vous obtenez donc, à la fois, abondance, qualité, précocité ».

Plus loin, les auteurs reprennent la question, après avoir cité de nouvelles expériences, et font suivre de réponses les objections que faisait, en Avril 1847, à la plantation d’Automne M. Philippar. « Ce savant agronome, disent-ils, avait fait planter, le 17 octobre 1845, six variétés de Pommes de terre à diverses profondeurs. Lors de la récolte, pas un tubercule n’a été attaqué. Malgré ce succès, M. Philippar formulait les conclusions suivantes : « Je ne pense pas que l’Agriculture trouve, surtout dans le climat où nous sommes, aucun avantage à faire des plantations automnales. Les tubercules trop enterrés ne produisent rien ou trop peu de chose. Les tubercules plantés à la profondeur convenable doivent être garantis du froid par une couverture quelconque. Les produits ne sont pas plus hâtifs ; ils ne sont pas plus abondants. On ne peut admettre cette plantation automnale qu’en horticulture, et en procédant sur les variétés tuberculifères choisies à cet effet… »

Nous ne reproduirons pas les réponses faites point par point par les auteurs à M. Philippar. Des oppositions d’expériences à expériences ne sont guère probantes, et établissent tout au plus que là où certains ont réussi, d’autres ont échoué. Plusieurs des objections de M. Philippar étaient fondées, puisque depuis près d’un demi-siècle elles subsistent encore et que la plantation d’Automne n’a fait que peu de prosélytes.

Charles Morren, en préconisant la culture automnale, s’était surtout appuyé sur des expériences faites en Irlande et en Angleterre. Nous avons pensé qu’il y avait quelque intérêt à connaître ce que pensaient les cultivateurs anglais de la plantation d’Automne. Nous avons trouvé quelques opinions exprimées à ce sujet dans le Gardener’s Chronicle, en 1876. Voici d’abord un article assez explicatif sur ce point, publié en réponse à un Journal français qui faisait l’éloge du procédé.

« Ce procédé de planter les Pommes de terre en Automne n’est pas nouveau, car il a été longtemps pratiqué avec succès par M. Radclyffe et d’autres cultivateurs. C’est aussi un axiome universellement admis dans la culture des Pommes de terre que celles qui se trouvent plantées d’elles-mêmes produisent d’ordinaire les meilleures récoltes. Quoi qu’il en soit, cependant, la plantation d’Automne est peu pratiquée, peut-être dans certains cas par la crainte des effets de la gelée, dans d’autres par suite des inconvénients que présente l’emploi d’un sol trop dur ou trop froid, enfin parce que les bons résultats de la plantation automnale n’ont pas été jusqu’ici suffisamment démontrés ».

D’autres articles, au contraire, font valoir le procédé, surtout au point de vue des bons effets qu’on en retire pour sauver les récoltes des atteintes de la maladie. Mais un dernier article, dont l’opinion de l’auteur est tout opposée, nous a paru assez intéressant pour être traduit ici.

« Au commencement de la Maladie, en 1845, j’étais dans le Sussex, dit cet auteur, en face de l’Île de Wight… La violence des attaques était plus forte alors que je ne l’ai vue depuis. Le cri général était que la constitution de la Pomme de terre était épuisée, et qu’on trouverait un remède en plantant à l’Automne, et en conservant ainsi les tubercules dans leur élément naturel pendant l’Hiver. Cette nouvelle théorie avait été soutenue très chaleureusement par le Dr Lindley, et très fortement préconisée par les rédacteurs du Gardener’s Chronicle. L’Automne de cette même année, dans le but d’éprouver les effets de ce nouveau système de culture, je choisis une pièce de terre que je partageai en deux moitiés. Dans la première, aussitôt bêchée et fumée, je plantai immédiatement trois variétés hâtives de Pommes de terre, parmi lesquelles se trouvait l’Ash leaf Kidney. La seconde moitié, au commencement de Mars, fut préparée de la même manière, après quoi j’y plantai les mêmes variétés. Les premiers résultats ne furent pas satisfaisants, car les plants du Printemps développèrent leurs tiges huit ou dix jours avant les plants d’Automne ; et, ce qui était plus grave, c’est que, parmi ces derniers, beaucoup de ceux d’Ash leaf Kidney ne poussèrent pas du tout : en en cherchant la cause, je trouvai que ces derniers n’avaient formé que de petits tubercules, sans produire de tiges. J’ai observé ce fait assez souvent depuis, et je crois pouvoir l’attribuer à ce que le sol est trop humide et trop froid pour faciliter le développement d’une variété si délicate. Lorsqu’on fit toute la récolte en Août, l’avantage fut tout en faveur de la plantation de Printemps. Aussi n’ai-je jamais eu recours depuis à la plantation automnale. Je pense que si ceux qui préconisent vivement la plantation d’Automne, faisaient une expérience semblable, ils se trouveraient dans une meilleure situation pour inviter à suivre leur exemple. Le sol dans lequel on plante au Printemps activant le développement, cela montre clairement que la terre fraîchement retournée se pénètre alors des rayons chauds du soleil plus rapidement que celle qui a été refroidie par les pluies d’Hiver, le froid et la neige, alors surtout qu’on ne peut la retourner sans porter préjudice aux plantes vivantes qu’elle renferme ».

Malgré ce qu’en pense l’auteur de l’article, son expérience n’est pas absolument probante, car il a choisi des variétés qui ne se sont pas prêtées à ses essais, et il passe légèrement sur le rendement ; de plus, il ne s’est occupé en aucune façon de la Maladie. D’autres expériences, au contraire, ont donné de plus forts rendements et ont réussi à préserver les récoltes de la Maladie. Mais sa manière d’opérer était bien choisie, et c’est pourquoi nous avons cru intéressant de la faire connaître. Il n’en est pas moins vrai, qu’en Angleterre comme en France, le procédé de la culture d’automne est peu suivi. Peut-être y aurait-il de nouvelles expériences à faire, méthodiquement conduites, pour en établir nettement les bons ou les mauvais effets ?

Pour répondre en partie à cette question, nous avons essayé nous-même de faire une expérience sur une parcelle de terre, en plein champ. Le sol en était argilo-sablonneux, mais en somme assez léger, surtout après le bêchage. La parcelle de terre fut divisée en onze plates-bandes, pour la plantation de onze variétés, choisies comme hâtives, demi-hâtives et tardives. Cinq tubercules de chaque variété furent plantés sur un des côtés de chaque plate-bande, vers la fin de Novembre, et cinq autres de la même variété et du même volume le furent au commencement d’Avril suivant, sur l’autre côté des plates-bandes. La terre avait été au préalable convenablement fumée ; seulement un second bêchage fut donné à la moitié de chaque plate-bande en Avril, sur le côté réservé à la plantation de Printemps, au moment de cette seconde plantation. Ajoutons que les plants d’Automne avaient été faits à 25 ou 30 centimètres de profondeur, et que trois d’entre eux, sur chacune des plates-bandes, avaient reçu une bonne couverture de fumier. L’hiver fut assez doux, avec de faibles et peu longues gelées. Des Pommes de terre oubliées dans le sol lors de la récolte précédente, dans une autre partie du champ, germèrent fort bien et poussèrent d’elles-mêmes en même temps que celles plantées pour l’expérience. Donc, aucun effet de gelée ne s’était fait sentir sur la plantation, et cependant la généralité des plants d’Avril montrèrent leurs tiges et les élevèrent au dessus du sol, alors que rien ne paraissait sur les plants d’Automne. Ce retard ne fut pas en général regagné. Plus tard, l’aspect des tiges foliées ne fut pas non plus favorable à la plantation d’Automne. Quant à la récolte, celle des pieds plantés en Novembre fut des plus médiocres, alors que celle des pieds d’Avril était des plus satisfaisantes. Mais ce qui nous a paru fort instructif, c’est la facilité avec laquelle s’effectua l’arrachage de ces derniers en comparaison de la difficulté que présenta celui des plants d’Automne. La terre de la partie des plates-bandes réservée à cette plantation s’était extraordinairement durcie, et il fallait de grands efforts pour la séparer. Cet inconvénient, qui explique d’ailleurs en partie la médiocrité de la récolte, nous semble de nature à être pris en sérieuse considération.

Aussi ne voyons-nous pas quels avantages réels on pourrait obtenir d’une plantation d’Automne en plein champ, d’autant plus qu’il n’est nullement prouvé que les tiges de Pommes de terre qu’elle produit sont parfaitement à l’abri des atteintes du Phytophtora infestans et que les tubercules qui se forment assez près de la surface du sol y échappent également.

D’un autre côté, M. Courtois-Gérard, dans son ouvrage précité, fait remarquer avec raison que le procédé de la culture hivernale n’a d’intérêt à être employé que dans les Départements méridionaux et en Algérie. « Partout ailleurs, ajoute-t-il, il est prudent, pour ne pas éprouver de déceptions, de continuer à planter les Pommes de terre au Printemps, comme par le passé ».

Ajoutons ici quelques mots sur un procédé de culture de la Pomme de terre, connu en 1875 et 1876 sous le nom de Procédé Tellier. Il s’agissait de tremper les tubercules pendant une heure dans de l’eau fortement salée, puis de les planter au mois d’Août, pour en faire la récolte en Mars ou Avril. Avec la culture ordinaire, c’est-à-dire plantation en Avril et récolte en Août, ce procédé constituait la culture non interrompue de la Pomme de terre. Malheureusement, ce procédé a été loin de produire ce qu’en annonçait l’auteur. M. Rivière a fait connaître les résultats de ses expériences à ce sujet, dans le Journal de la Société centrale d’Horticulture de France, en Mars 1876, et ces résultats ont été ou tout à fait nuls, ou des plus médiocres.

Toutefois, l’Agriculture moderne, en 1897, a fait connaître une nouvelle méthode de culture automnale et hivernale de la Pomme de terre, qui nous paraît beaucoup mieux raisonnée. M. Leclerc, l’auteur de ce procédé, s’était inspiré de ce qu’avait indiqué Poiteau, en 1845, pour obtenir en pleine terre des Pommes de terre de première saison. Il s’agissait de planter les tubercules au mois d’Août (avec du plan retardé) et de les abriter dès les premières gelées. Les Pommes de terre étaient bonnes à arracher en Novembre et se conservaient jusqu’en Mars, comme des primeurs. M. Leclerc a expérimenté de la façon suivante, avec les variétés hâtives Belle de Fontenay et Victor. Il récoltait ses tubercules, bien mûrs, vers la fin de Juin, et les disposait en clayettes, en les laissant à l’air libre, à mi-ombre, et en les arrosant une fois par jour. Le 15 Août, il préparait une planche bien ameublée et copieusement fumée, et y plantait ses tubercules qu’il recouvrait de bon terreau ou de fumier très consommé. Puis il arrosait, en cas de besoin, pendant les mois d’Août et Septembre. Dès les premières gelées, il recouvrait la terre de 0m, 20 de feuilles ou de litière pour empêcher le froid de pénétrer. Il pouvait ensuite arracher, de Novembre à Mars, et même Avril, et il déclarait que cette récolte n’offrait aucune différence, comme qualité et comme apparence, avec les produits de châssis. Le point important ; pour réussir avec ce procédé, paraît être l’emploi exclusif de variétés hâtives et productives.

Ce procédé, on le comprend du reste, ne peut être appliqué que dans un jardin. Donnera-t-il toujours les mêmes résultats ? Cela peut dépendre du plus ou moins de froidure de l’Automne ou de l’Hiver.


VI. — PROCÉDÉ DE LA COUPURE DES FANES OU DU PINCEMENT DES TIGES DE POMMES DE TERRE


En 1851, M. Bouchardat entretenait ses collègues de la Société centrale d’Agriculture des deux expériences suivantes.

» M. Dalmas, membre de la Société d’agriculture de Grenoble, avait, en Avril 1848, ensemencé 45 ares de Pommes de terre précoces. Au mois de Septembre, il vit les fanes se noircir et se dessécher. Il fit de suite couper et enlever ces fanes sur une portion (environ les trois quarts) du champ ; sur l’autre quart, il les fit arracher. Lors de la récolte, toutes les Pommes de terre dont les tiges avaient été arrachées furent trouvées saines et intactes, tandis que les autres, dont les tiges avaient été simplement coupées, ont donné des tubercules dont la moitié était atteinte. En 1849 et en 1850, on arracha complètement les fanes dès les premiers symptômes de la maladie ; pas une seule Pomme de terre ne fut attaquée, ni au moment de la récolte, ni ensuite dans la cave, tandis que les voisins, qui n’avaient pas procédé de la même manière, perdirent les trois quarts de leur récolte.

» M. Tombelle-Lomba, agronome de la province de Namur, retranche, avec une faucille parfaitement affilée, les fanes des Pommes de terre après qu’elles ont fleuri, jamais avant, et ce point paraît être de la plus haute importance. Quand l’opération est faite avec adresse et que l’instrument coupe bien, les tubercules attachés au bout de la tige n’en éprouvent aucun dérangement. On enlève les fanes de Pommes de terre à mesure qu’elles sont coupées, après quoi l’on répand sur toute la surface du champ une couche mince de terre, de l’épaisseur de 0m,02 ou 0m,03 seulement. Les Pommes de terre dont on a retranché les fanes avec les précautions indiquées ont donné constamment des produits égaux, en qualité comme en quantité, à ceux qu’elles auraient donnés sans ce retranchement, et elles n’ont ressenti aucune atteinte de la Maladie : elles sont arrivées régulièrement au volume normal de leur espèce à l’époque ordinaire de leur maturité ».

Mais, d’un autre côté, M. Verrier, chef des cultures à la Ferme régionale de la Saulsaie, écrivait le 15 Novembre 1851 à la Société d’horticulture pratique du Département du Rhône. « Le procédé de M. Tombelle-Lomba m’a été plus nuisible qu’utile. Les tiges de Pommes de terre ayant été coupées fin Juillet ont empêché les tubercules de grossir davantage, et, au moment de l’arrachage (fin Août), ils étaient aussi malades que les autres et beaucoup plus petits. En effet, cela est facile à comprendre : la partie aérienne servant à alimenter les racines, celles-ci cessent de croître dès que cette partie est supprimée ».

Il y a tant de données différentes dont il convient de tenir compte dans ces expériences, qu’il n’est pas surprenant de voir l’un échouer, là même où l’autre a réussi. La nature du sol, les diverses variétés mises en culture, les dates d’apparition de la Maladie, celles de la coupure des fanes, sont autant de sujets qu’il faut prendre en considération, et qui, par leur variabilité, peuvent expliquer soit des mécomptes, soit des succès. Du reste, ce procédé n’a été que peu mis en pratique, ou s’il a été essayé, il a dû être abandonné. Cependant nous le retrouvons, mais sous une autre forme, étudié par M. Quéhen-Mallet, qui semble n’avoir pas connu les expériences précédentes, et qui a publié les siennes dans le Journal de la Société d’Horticulture de France en 1868 et 1869. Notons d’abord que la question de la Maladie de la Pomme de terre a été ici laissée de côté.

« Le Pincement des tiges de la Pomme de terre. — Il y a environ vingt-cinq ans, dit M. Quéhen-Mallet, que j’ai vu l’opération suivante pratiquée dans différentes contrées, notamment dans le département du Pas-de-Calais, canton de Guines. On coupait à la faucille les tiges des Pommes de terre qui avaient poussé démesurément, à la hauteur de 0m,25 à 0m,35 du pied. Pratiquait-on ce travail antérieurement, et le pratique-t-on encore aujourd’hui ? C’est ce que je ne puis dire : les uns coupaient les tiges pour essayer d’arrêter les progrès de la Maladie spéciale, d’autres parce que les tiges prenaient trop d’extension, ce qui devait nuire au produit. Enfin, tous faisaient cette suppression pour donner à manger aux vaches. On assurait que ce raccourcissement des tiges n’empêchait pas de récolter autant et même plus que sur les plantes qui n’avaient subi rien de pareil.

« Il est présumable qu’on n’agissait pas avec connaissance de cause, attendu qu’un pincement léger et parfois réitéré, suffit pour opérer un refoulement de la sève, lequel donne, pour le produit en tubercules, un résultat meilleur que la suppression presque totale des tiges.

» J’ai eu l’idée, ces années dernières, d’exécuter un pincement sur la Pomme de terre. Cette année notamment, je l’ai pratiquée plus en grand sur plusieurs variétés plantées à différentes expositions et dans différentes terres ; parfois même je l’ai réitérée.

» Les pincements ont été faits au commencement de la pleine floraison, à une feuille ou deux au dessous de la fleur. Les pieds de Pommes de terre qui ont subi le pincement et ceux qui avaient été laissés intacts étaient toujours placés à côté les uns des autres, et j’avais même donné la meilleure place à ceux que je ne pinçais pas ».

M. Quéhen-Mallet fait suivre cette Note d’un tableau dans lequel il fait connaître les résultats de sa culture méthodique. Sur les sept variétés qu’il a comparativement soumises ou non à son procédé, quatre lui ont donné à l’arrachage un poids plus considérable par suite du pincement, deux lui ont fourni dans les deux cas une récolte presque identique, la dernière lui a offert un résultat moindre. Non content de cette expérience, M. Quéhen-Mallet la recommença l’année suivante.

« Je crois devoir signaler, dit-il, les résultats qu’ont produits cette année les pincements opérés sur les tiges des Pommes de terre. J’ai remarqué que sur celles qui ont été plantées tardivement, les pincements ont nui à la quantité ; mais les tubercules en étaient plus beaux. Un champ de Pommes de terre dont on pincera les tiges, pouvant être planté un peu plus serré que les autres, produira davantage par ce seul moyen, abstraction faite de l’action du pincement. La grande sécheresse tardive que nous avons eue cette année a fait repousser chez nous les Pommes de terre, par deux et trois fois. J’aurais mieux réussi à coup sûr, si j’avais pu planter plus tôt ».

Le tableau, qui accompagne cette note, montre que l’opération a été faite sur huit variétés. À l’arrachage, cinq de ces variétés ont donné un poids de récolte supérieur, par suite du pincement, deux un poids inférieur, une dernière un poids à peu près égal dans les deux cas. Ces résultats prouvent que les résultats obtenus sont très complexes. Nous n’avons pas appris que ces expériences aient été poursuivies. Dans tous les cas, l’application du procédé ne paraît pas avoir fait beaucoup de prosélytes ; mais il était utile de le faire connaître, parce que des tentatives expérimentales, faites consciencieusement, ne doivent, selon nous, jamais être dédaignées.

En 1887, dans son Traité sur la culture de la Pomme de terre, M. Quéhen-Mallet revient de nouveau sur les avantages de son procédé. Il ne cite pas cependant de nouvelles expériences à l’appui de son opinion. Il laisse seulement connaître que cette idée du pincement des tiges lui paraît excellente, en raison des bons résultats que donne ce procédé pour les fèves et les pois. C’est résoudre bien facilement un problème de physiologie, assez délicat, celui de savoir si le pincement favorise la formation des tubercules autant que celle des fruits. Et ce point est loin d’être indiscutablement établi.

Du reste, M. Aimé Girard, dans ses belles Recherches sur la culture de la Pomme de terre industrielle et fourragère (1891), a établi, par des expériences précises, qu’il existait un rapport régulier entre la richesse de la végétation aérienne et l’abondance de la récolte des tubercules. Aussi, peut-il en conclure qu’il ne faut pas arracher trop tôt. « Alors même, dit-il, que tout le feuillage latéral de la plante est fané, s’il reste encore au sommet des tiges un bouquet terminal de quelques feuilles, on peut être certain que la plante travaille encore et que chaque jour, par ce petit bouquet terminal, elle fabrique une certaine quantité de matière organique qui, spécialement destinée aux tubercules, peut, même en une quinzaine, augmenter sensiblement le poids et la richesse. Mais aussitôt que ce bouquet terminal est fané à son tour, le gain devient nul et il convient de procéder à l’arrachage ». Que procure donc, en définitive, le procédé du pincement des tiges ? Rien autre qu’un affaiblissement dans l’accroissement des tubercules, comme l’avait déjà reconnu M. Verrier, en 1851.


VII. — PROCÉDÉ DU PROVIGNAGE DES TIGES DE POMMES DE TERRE


Lors de l’introduction en France de la Pomme de terre, on avait coutume d’employer ce procédé. Olivier de Serres, dans son Théâtre d’Agriculture et Mesnage des champs, publié en 1600, disait à ce sujet : « De chacun cartoufle[10] sort un tige, faisant plusieurs branches, s’eslevans jusqu’à cinq ou six pieds, si elles n’en sont retenues par provigner. Mais pour le bien du fruict[11] l’on provigne le tige avec toutes ses branches, dès qu’elles ont attaint la hauteur d’une couple de pieds ; d’icelles en laissant ressortir à l’aer, quelques doigts, pour là continuer leur ject : et icelui reprovigner, à toutes les fois qu’il s’en rend capable, continuant jusques cela au mois d’Aoust : auquel temps les jettons cessent de croistre en florissant, faisans des fleurs blanches, toutefois de nulle valeur. Le fruict naist quand-et les jettons[12], à la fourcheure des nœuds, ainsi que glands de chesne. Il s’engrossit et meurit dans terre, d’où l’on le retire en ressortant les branches provignées, sur la fin du mois de Septembre, lors estant parvenu en parfaicte maturité ».

D’un autre côté, Gaspard Bauhin, dans son Prodromus theatri botanici (1620), disait également, d’après la traduction que nous en avons donnée plus haut : « Les Bourguignons ont l’habitude aussi d’étaler les rameaux sur le sol et de les recouvrir de terre dans le but d’augmenter le nombre des tubercules ».

Ainsi, pendant une vingtaine d’années, historiquement parlant, le procédé était resté en usage, d’abord, dans le Vivarais, puis, en Franche-Comté, en Bourgogne. Nous ne trouvons plus de document qui en fasse mention plus tard, et l’on peut dire qu’il a été abandonné, soit que ses résultats n’aient pas été rémunérateurs, en raison du travail particulier qu’il exigeait, soit même qu’il n’ait pas été aussi productif qu’on l’avait estimé à l’origine. Peut-être qu’à cette époque où les tubercules restaient petits, alors que les tiges étaient vigoureuses, y avait-il néanmoins quelque avantage à provigner ces tiges. Mais, depuis lors, que les tubercules ont pris de plus en plus un volume plus considérable, que les tiges ont diminué de grandeur, et qu’il y a lieu de ne pas exiger d’elles d’autre fonction que celle de fournir aux tubercules les matériaux nécessaires à l’augmentation de la fécule, n’y a-t-il plus lieu de se servir de cet ancien procédé. Ce n’est pas, cependant, que certaines variétés au grand rendement ne se signalent quelquefois par une production assez singulière, celle de tubercules aériens, naissant aux aisselles des feuilles sur les tiges. Ce fait a été signalé par plusieurs observateurs, et nous avons été nous-même témoin d’une production semblable de plusieurs de ces tubercules sur des tiges puissantes de la variété Richter’s Imperator. N’y a-t-il pas là une sorte d’indication naturelle de la valeur de cet ancien procédé ?

Il en a été question, en Allemagne, en 1870 et 1871, à propos de ce que l’on appelait la Méthode Gülich pour la plantation et la culture de la Pomme de terre. Cette méthode consistait à planter les tubercules à une grande distance les uns des autres ; puis, quand le pied avait végété fortement et donné plusieurs tiges, à coucher celles-ci en terre, de manière à en faire en quelque sorte autant de marcottes. Un pied de Pomme de terre ainsi traité finissait par garnir un carré d’environ 2 mètres de côté. Quant aux résultats que donnait cette méthode de culture, ils étaient assez difficiles à apprécier, et les avis étaient assez partagés. Cette divergence dans les opinions des cultivateurs, qui avaient fait l’essai de cette méthode, provenait de l’inégalité même de ces résultats. En somme, sur 86 expériences qui avaient été faites dans différentes localités en vue de reconnaître précisément les résultats de cette méthode de culture, comparativement à la culture ordinaire, 8 ont donné des produits égaux de part et d’autre, 23 ont donné l’avantage au procédé Gülich, tandis que 55 lui ont été défavorables. Ces expériences ont prouvé que cette manière de cultiver la Pomme de terre est avantageuse seulement dans une terre forte et humide, tandis qu’elle n’est nullement applicable aux sols légers et secs.

Tout récemment, une nouvelle expérience a été faite en France, sans qu’on eût connaissance de ce qui vient d’être dit à ce sujet. Elle a été publiée, en 1896, par la Gazette des campagnes. Voici ce que nous trouvons, en effet, dans ce Journal.

« Le hasard a souvent mis sur la voie des découvertes importantes. Le récit suivant que fait M. J. B. Avignon, professeur d’Agriculture à Wassy, est une nouvelle attestation de cette vérité.

« Il y a quelques années, dit M. Avignon, j’avais remarqué que la récolte de Pommes de terre était supérieure, dans une partie d’un champ où les tiges de cette plante avaient été couchées par un roulage accidentel, effectué en traversant ce champ avec un rouleau pour se rendre dans une pièce voisine enclavée.

» L’année dernière, dans un carré de mon champ d’expériences, je vérifiais la valeur de ma remarque. Il est utile d’ajouter que les Pommes de terre de ce carré avaient été plantées avec la même variété (Géante bleue) et dans les mêmes conditions. Le 17 Juillet, 10 mètres carrés furent piétines, opération qui correspondait à peu près à un roulage. À cette date, cette Solanée était en pleine floraison. Les fleurs disparurent bientôt sans donner naissance aux baies vertes globuleuses connues de tout le monde. L’extrémité des tiges se releva peu à peu. Le Phytophtora infestans ne sévit pas davantage sur les tiges couchées que sur celles restées droites. La récolte eut lieu le 22 Octobre et le pesage donna le résultat suivant : le carré dont les tiges avaient été couchées fournit un rendement, à l’hectare, de 26 000 kilos : le carré resté comme témoin, 24 000 kilos. D’où une différence de 2 000 kilos en faveur du couchage des tiges ou roulage. L’excédent de récolte ne peut guère s’expliquer autrement, je crois, que par le changement de destination que l’on fait subir à la sève. En effet, une grande partie des éléments fertilisants (azote, acide phosphorique, potasse etc.), qui doit se fixer dans les tiges, les fleurs, les baies, à la suite du roulage, se dirige aux tubercules et en accélère le développement. N’utilise-t-on pas ce procédé pour activer le grossissement des bulbes des oignons ? »

Il serait donc possible que les variétés à grand rendement se prêtassent à l’emploi de ce procédé d’un provignage assez simple, s’il n’exigeait qu’un piétinement ou qu’un roulage.

C’est pourquoi il nous a paru utile de le faire connaître, en rappelant, toutefois, que le provignage a déjà été pratiqué très anciennement, qu’il a même été appliqué de nouveau dans ces dernières années, puis abandonné. Mais peut être qu’aussi, dans l’application de ce procédé, le roulage n’était pas employé pour la culture des Pommes de terre en plein champ.


VIII. — CULTURE DES VARIÉTÉS INDUSTRIELLES OU FOURRAGÈRES


Parmentier disait, en 1809, dans le Cours complet d’Agriculture : « Cette culture n’est fondée que sur un seul principe, quelle que soit la nature du sol, l’espèce ou la variété de Pomme de terre : il consiste à rendre la terre aussi meuble qu’il est possible avant la plantation et pendant toute la durée de l’accroissement. Les diverses méthodes de culture pratiquées doivent être réduites à deux principales ; l’une consiste à planter à bras, l’autre à la charrue. La première produit davantage, mais elle est plus coûteuse ; la seconde cependant doit toujours être préférée, lorsqu’il est question d’en couvrir une certaine étendue pour la nourriture et l’engrais du bétail ».

Parmentier parle ensuite de la préparation du sol, de la plantation, des façons à donner à la culture et de la récolte. Il nous a semblé qu’il serait plus intéressant pour le lecteur de comparer son opinion avec celle des agronomes qui ont traité ces mêmes questions dans le cours de ce siècle. Parmi les ouvrages qui ont été publiés sur ce sujet, nous citerons quelques passages du Traité de la Pomme de Terre par Payen et Chevalier (1826), du Traité d’Agriculture pratique de Magne (1859), des Recherches sur la Culture de la Pomme de terre industrielle et fourragère de M. Aimé Girard (1891), et du Cours d’Agriculture pratique de M. Heuzé (1892). Ces passages nous paraissent devoir suffisamment compléter chacun des articles qui suivent.

Préparation du sol. — « Le sol le plus convenable, disait Parmentier, doit être formé de sable et de terre végétale dans les proportions telles, que le mélange humecté ne forme jamais ni liant, ni boue : celui qui convient au seigle plutôt qu’au froment mérite la préférence, il cède plus aisément à l’écartement que les tubercules exigent pour grossir et se multiplier. Telle est la condition sans laquelle le succès de la plante est fort équivoque.

» Deux labours suffisent assez ordinairement pour disposer toutes sortes de terrains à la culture des Pommes de terre : le premier très profond, avant l’hiver ; le second avant la plantation. Il est bon que le sol ait 7 à 8 pouces de profondeur, que la racine soit placée à un pied et demi de distance, et recouverte de 4 à 5 pouces de terre. Il faut planter plus clair dans les fonds riches que dans les terres maigres, et dans celles-ci plus profondément. Les espèces blanches demandent à être plus espacées que les rouges qui poussent moins au dehors et en dedans. Toutes les espèces de Pommes de terre sont tendres, sèches et farineuses dans les lieux un peu élevés, dont le sol est un sable gras ; pâteuses, humides, dans un fond bas et glaiseux. Il faut mettre les blanches dans des terres à seigle, et les rouges dans des terres à froment ; la Grosse blanche dans tous les sols, excepté dans ceux trop compacts, où cette culture est difficile et les produits de médiocre qualité. On leur restitue, il est vrai, leur premier caractère de bonté en les plantant l’année d’ensuite dans le terrain qui leur est le plus favorable ».

« La Pomme de terre, disent Payen et Chevallier, vient dans presque tous les terrains ; ceux qui lui conviennent le mieux sont peu compacts, pas humides, médiocrement fumés et surtout assez profonds.

» On peut alléger, pour cette culture, les terres trop fortes avec des cendres de houille, des terres sableuses, du fumier de litière à longue paille, etc. Les terres trop sableuses seront améliorées par leur mélange avec de la marne, des argiles plastiques glaiseuses, des anciens dépôts d’égouts, etc. Tous les fumiers conviennent : les plus actifs se répandent à la superficie, les autres au fond du labour. Pour obtenir une récolte abondante, il faut préparer le sol avec soin. On donne successivement deux labours légers destinés à meublir et aérer la terre ; un troisième, plus profond, sert quelquefois en même temps à ouvrir les tranchées pour déposer les tubercules et à les recouvrir de terre ; mais si le sol est compact, on donne un quatrième labour. La quantité et la proportion de Pommes de terre obtenues indemnisera suffisamment des frais que cette dernière façon occasionne ».

Magne dit, de son côté : « La Pomme de terre vient dans tous les sols ; mais elle prospère très bien et donne d’excellents produits dans les terres franches profondes, un peu sablonneuses. Elle se plaît particulièrement dans les sols mixtes, un peu exposés au sud et au levant, riches en terreau et en substances minérales solubles. Dans les sables arides, ses produits sont de bonne nature, mais peu abondants dans les années de sécheresse ; sur les sols argileux, trop humides, elle réussit mal et ses tubercules sont aqueux et pauvres en fécule, difficiles à nettoyer et à conserver, insipides et peu salubres : ils ne s’y développent même qu’imparfaitement, lorsque la sécheresse trop forte resserre et fait crevasser la surface du sol.

» Dans une terre très profondément labourée, la Pomme de terre résiste beaucoup à la sécheresse comme à l’humidité. C’est surtout dans les climats secs que la terre doit avoir été bien préparée par des labours faits avant l’hiver, et de 25 à 40 centimètres si c’est possible. Au printemps, on divise une autre fois la terre, et souvent une troisième, en plantant les tubercules.

» Le bon fumier, chaud pour les terres grasses, et frais pour les terres légères, est l’engrais le plus approprié à la Pomme de terre. Elle en absorbe une quantité égale au produit qu’elle donne, mais on ne doit pas craindre d’en mettre en excès. Peu riche en albumine, la Pomme de terre n’exige pas des engrais fortement azotés ; elle réclame plutôt des principes carbonés ; les fumiers répondent très bien à ses besoins ».

« La Pomme de terre, dit M. Heuzé, est une plante à la fois exigeante et épuisante… Elle doit être cultivée, si on lui demande des produits abondants, sur des terres bien fumées ».

M. Heuzé rapporte des expériences dont les résultats prouvent qu’on peut remplacer le fumier de ferme par des engrais riches en principes azotés ou en alcalis. Dans les expériences citées, le guano, le sulfate d’ammoniaque, les nitrates de soude et de potasse ont donné des produits de beaucoup supérieurs au fumier seul. Quant à la quantité de fumier à employer, M. Heuzé estime qu’il faut appliquer environ 100 kilogr. de fumier pour chaque 100 kilogr. de tubercules que l’on croit pouvoir récolter.

D’après M. Aimé Girard, « la composition générale du sol n’exerce pas sur le rendement une influence aussi grande qu’on le croit généralement. Des terres argilo-siliceuses, argilo-calcaires, calcaires, même argileuses, dit-il, peuvent donner de bons résultats. Mais il n’en est pas de même de la profondeur et de l’ameublissement du sol ; leur influence est considérable, et l’on n’a pas lieu d’en être surpris lorsqu’on tient compte du grand développement radiculaire de la Pomme de terre… C’est un préjugé très répandu que, sous le rapport de la préparation du sol, la Pomme de terre n’est pas une plante exigeante. Nombre de cultivateurs, rencontrant, au moment de l’arrachage, les tubercules à fleur de terre, considèrent que, pour cette culture, point n’est besoin de labourer le sol au-delà de quelques centimètres. Il suffit d’avoir considéré une fois le chevelu long et touffu de la Pomme de terre pour comprendre à quel degré cette coutume est mauvaise, elle est cependant presque générale. J’ai démontré, ajoute-t-il, par des cultures comparatives qu’au contraire des labours profonds sont nécessaires… L’engrais doit être abondant. Il faut à la Pomme de terre, et à la fois, de l’acide phosphorique, de l’azote et de la potasse. Les formes les meilleures sous lesquelles ces agents fertilisants peuvent être donnés, sont : le fumier de ferme, le superphosphate de chaux, le nitrate de soude et le sulfate de potasse… Dans un terrain de composition moyenne, on peut compléter une fumure ordinaire au fumier par l’emploi d’un engrais chimique composé de :

Superphosphate de chaux riche 62 parties
Sulfate de potasse 23
Nitrate de soude. 15
100 parties

» Il conviendra de répandre le superphosphate de chaux et le sulfate mélangés, après l’enfouissement du fumier, avant le dernier hersage et de semer le nitrate de soude seul, en couverture, quelques jours avant la levée ».

Plantation. — « Une seule Pomme de terre suffit, quel qu’en soit le volume, disait Parmentier, et quand elle a une certaine grosseur, il faut la diviser en biseaux et non pas en tranches circulaires, et laisser à chaque morceau 2 ou 3 œilletons au moins, avec la précaution d’exposer un ou deux jours à l’air les morceaux découpés, afin qu’ils sèchent du côté de la tranche, et ne pourrissent point en terre par l’action des pluies abondantes qui surviennent immédiatement après la plantation. En un mot, il vaut mieux une petite Pomme de terre qui a bien mûri, que le plus gros quartier… Il est nécessaire de proportionner à la nature du sol la quantité de Pommes de terre à planter ; plus il est riche par lui-même et ensuite par les engrais qu’on emploie, moins il en faudra pour chaque arpent ; depuis 4 setiers jusqu’à 5, mesure de Paris, selon leur grosseur et leur espèce ».

« La plantation des tubercules, d’après Payen et Chevallier, a lieu ordinairement dans les quinze derniers jours du mois de Mars ou les premiers du mois d’Avril (suivant les climats, les terrains et les saisons)… Lorsque le terrain est prêt à recevoir les Pommes de terre, on ouvre un sillon à la charrue ; des femmes ou des enfants suivent le laboureur, en déposant à la main les Pommes de terre (ordinairement coupées par quartiers, à moins qu’elles ne soient pas beaucoup plus grosses que des noix) au fond du sillon, et à neuf pouces environ de distance ; le trait de charrue donné immédiatement après celui-ci sert à déverser la terre sur les tubercules ; il ne reçoit pas de plant. Celui que l’on donne ensuite, est planté par les femmes ou enfants, de la même façon que le premier, et ainsi de suite jusqu’à ce que toute la surface du champ ait été parcourue de cette manière. Chaque coup de charrue ayant au moins 14 pouces de large, on voit que les rangées de Pommes de terre sont à 28 pouces, au moins, les unes des autres. On passe ensuite la herse et le rouleau, on recommence trois ou quatre jours après, et deux fois encore avant que les pousses paraissent, en sorte que la terre est bien divisée et débarrassée de toutes mauvaises herbes ».

Voici ce que Magne conseillait : « Le plus souvent on plante les Pommes de terre à la charrue, dans le dernier labour. Si les raies sont peu profondes, on place les tubercules au fond et si elles le sont trop, sur le côté de la raie en faisant en sorte qu’ils soient couverts de 8 à 10 centimètres dans les terres légères et de 6 à 8 dans celles qui sont fortes. Pour faire les plantations à la main, on se sert de la bêche ou d’une houe, et l’on s’applique à faire les trous en suivant les raies du dernier labour. Souvent deux ouvriers sont employés à ce travail : le premier fait un trou, et quand le tubercule y a été placé par un enfant, il le remplit avec la terre qu’il enlève pour en faire un second. D’autres fois on fait d’abord tous les trous, et on couvre les tubercules avec un coup de herse. Cela permet de mettre les plantes plus régulièrement en lignes, et même en quinconce, ce qui facilite les sarclages. On écarte d’ordinaire les Pommes de terre de 25 à 40 centim. et les rangées de 45 à 60, plus quand les tubercules sont gros que lorsqu’ils sont petits : on ne met donc des tubercules, que tous les deux ou tous les trois sillons quand on plante à la charrue… De bonnes Pommes de terre moyenne, de 50 à 80 grammes, nous paraissent, dans la plupart des cas, donner les résultats les plus lucratifs… Elles veulent être plantées très à bonne heure, aussitôt que les grands froids ne sont plus à craindre, à la fin de Février et en Mars. À la vérité les jeunes pousses souffrent souvent de la gelée blanche, mais cela ne nuit pas à la plante ; les mêmes tiges continuent à pousser ou il en vient d’autres, et, dans tous les cas, les tubercules, en partie formés avant les fortes chaleurs, mûrissent convenablement ».

« Doit-on choisir de préférence de gros tubercules, dit M. Heuzé, ou est-il utile de ne planter que des tubercules petits ou moyens ? Cette question a fait naître bien des opinions, et elle a donné lieu à des expériences nombreuses. Quoi qu’il en soit, les plus gros tubercules sont ceux qu’on doit préférer… On peut planter, ajoute-t-il, avec une charrue traînée par des chevaux, de 40 à 45 ares par jour ; avec des bœufs, on ne plante pas au-delà de 32 à 35 ares[13]. Les Pommes de terre sont plantées sur des lignes distantes les unes des autres de 0m,50 à 0m,65. Pour exécuter la plantation d’un hectare, on emploie en moyenne de 22 à 25 hectolitres combles, suivant la grosseur des tubercules et l’espacement des touffes ».

« De son côté, M. Aimé Girard dit : « S’il est, chez les planteurs de Pommes de terre, une habitude bien enracinée, c’est celle qui consiste à couper les tubercules de plant en deux ou trois fragments, de manière à obtenir d’un poids donné de semenceaux l’ensemencement le plus étendu possible. Cette habitude est essentiellement mauvaise ; en opérant de cette façon on économise le plant, il est vrai, mais on diminue dans une importante mesure le rendement à l’hectare. La théorie l’indique et la pratique le prouve… Je ne saurais trop le répéter, c’est seulement dans le cas où quelque circonstance particulière l’y oblige, lorsque, par exemple, le cultivateur ne dispose que de tubercules de grosseur exagérée, qu’il doit se résoudre à couper ses tubercules de plant. Toujours il trouvera avantage à planter entiers des tubercules moyens provenant de sujets vigoureux… Des études répétées sur la date de la plantation m’ont permis de montrer que le cultivateur avait pour planter une latitude assez grande. Du milieu de Mars au milieu d’Avril la récolte n’est pas sensiblement influencée par la date de la plantation ; mais j’ai montré qu’en tardant davantage on en diminue le poids… Les cultivateurs n’attachent en général aucune importance à la régularité de la plantation ; j’ai montré qu’au contraire l’importance en était grande… La question de l’espacement des tubercules de plant est capitale au point de vue du rendement : j’ai dû sur ce point lutter contre de vieux préjugés. L’espacement que l’expérience a montré être le meilleur comprend des lignes écartées à 0m,60, sur lesquelles les tubercules sont plantés à 0m,50 l’un de l’autre : on compte alors 330 poquets à l’are ».

Cette importante recommandation de M. Aimé Girard, de réserver une distance de 0m,50 entre les plants, vient tout récemment de recevoir une approbation nouvelle, résultant de cultures expérimentales très précises faites en Allemagne par M. Westermeier.

Voici le résumé des expériences de cet agronome, qu’ont fait connaître d’ailleurs plusieurs journaux agricoles. D’après M. Westermeier, l’espacement le plus favorable au rendement (poids total des tubercules par hectare) est celui qui correspond à une surface de 2 500 centimètres carrés par plant (0m,50 sur 0m,50) ; un espacement plus considérable est inutile. L’espacement a plus d’influence sur la grosseur que sur le nombre des tubercules. Quand l’espacement grandit, l’augmentation de grosseur des tubercules cesse avant leur augmentation en nombre. Comme l’emmagasinement d’amidon dépend uniquement des conditions d’éclairement, on conçoit que les tubercules, dans les mauvaises années, soient d’autant plus pauvres en amidon qu’ils sont plus nombreux sur chaque plante ; il en est de même lorsque l’espacement est plus grand qu’il n’est nécessaire ; dans les bonnes années, il paraît y avoir compensation.

Dans la grande culture, il n’est pas de petits détails qui n’aient leur importance. Si l’on indique 0m,60 centimètres d’écartement entre les rangées, c’est qu’il faut rendre plus facilement exécutables les travaux de sarclage et de buttage, et cela n’a pas de rapport avec l’espacement des plants.

Façons à donner à la culture. — « Dès que la Pomme de terre a acquis 3 à 4 pouces, disait Parmentier, il faut la sarcler à la main ; et quand elle est sur le point de fleurir, on la butte avec la houe, ou en faisant entrer dans les raies vides une petite charrue qui renverse la terre de droite et de gauche et rechausse le pied : souvent une première façon dispense de la seconde quand le terrain trop aride ne favorise pas la végétation des herbes étrangères et que l’année est sèche et brûlante ; il faut, dans ce cas, borner les travaux de culture à une simple surcharge. En buttant la plante, on expose les tubercules, à mesure qu’ils se forment dans la terre amoncelée au pied, à recevoir les impressions immédiates de la chaleur et à s’y dessécher comme dans une étuve ».

« Lorsque la plupart des jeunes plantes, disaient aussi Payen et Chevallier, sont sorties de 4 à 5 pouces au dehors de la terre, on donne un léger laboura l’aide d’une charrue à deux déversoirs, et, passant ainsi entre toutes les lignes, on opère en même temps un buttage qui rechausse, soutient et fortifie la racine de la plante ; ce labour s’opère quelquefois à la main avec une houe. Le champ se recouvre bientôt d’herbes parasites ; on les enlève par un sarclage ordinaire, que l’on répète plusieurs fois, à des intervalles plus ou moins courts, suivant que l’herbe repousse plus ou moins vite. On ne cesse les sarclages que lorsque les plantes ont pris assez de développement pour ombrager toute la superficie du sol. »

Mais, de son côté, Magne s’exprime ainsi : « Aussitôt que les Pommes de terre commencent à sortir de terre, il faut leur donner un hersage afin de niveler le sol et de détruire les mauvaises herbes. On ne craindra pas de couper les jeunes tiges : elles repousseront plus vigoureuses. D’ordinaire, si le terrain est herbeux, on donne une seconde façon avec la houe à cheval, quinze jours ou trois semaines après. On renouvelle ensuite cette dernière opération, ou bien on pratique le buttage. C’est une façon économique, très expéditive, et propre à détruire les plantes annuelles. En outre, en recouvrant les tubercules qui ont poussé au contact de l’air, le buttage les préserve de la maladie. Il faut le pratiquer lorsque les plantes sont jeunes, et avec un buttoir étroit afin de laisser contre les lignes plantées, des bandes épaisses de terre. De cette manière, on ne dérange pas la formation des tubercules et on n’expose pas les racines à la sécheresse. On avait conseillé de couper la fane de la Pomme de terre pour nourrir le bétail ; mais l’opération serait tout à fait désavantageuse ; le produit, qui d’ailleurs a bien peu de valeur comme fourrage, ne payerait pas la cueillette. »

« La première opération, dit M. Heuzé, que l’on exécute après la plantation consiste en un hersage énergique au moyen d’une herse à dents de fer. Ce hersage doit être fait en Mai, lorsque les pousses apparaissent à la surface du sol. Puis, lorsque les tiges ont 0m, 15 à 0m, 20 d’élévation, on donne un binage à la houe à cheval. Cette opération doit être renouvelée toutes les fois qu’elle est nécessaire, afin que le sol soit toujours propre et exempt de mauvaises herbes. La Pomme de terre doit être buttée, surtout lorsqu’elle végète sur des sols secs ou peu profonds, et qu’elle produit ses tubercules à la surface du sol. Dans le Midi, on arrose souvent les Pommes de terre après les avoir buttées. »

M. Heuzé pense, en outre, que la soustraction des fanes est plutôt nuisible, parce que cette opération diminue le produit des tubercules. Mais il croit que la soustraction des fleurs pourrait bien ne pas être inutile dans la culture d’anciennes variétés, pour augmenter le produit et diminuer la faculté épuisante de la Pomme de terre.

« On ne saurait trop recommander le soin à donner aux binages, dit aussi M. Aimé Girard ; toute plante adventice à laquelle on laisse son libre développement diminue, dans une mesure appréciable, la récolte des sujets qui l’avoisinent ; si l’opération a lieu au moyen d’une sarcleuse à cheval, il faut soigneusement faire reprendre à la main les entrepieds que cet outil n’a pu atteindre. Lorsqu’il s’agit de variétés telles que la Richter’s Imperator, la Red Skinned, la Jeuxey, le buttage doit être élevé afin de bien couvrir les tubercules qui s’enfoncent peu. À l’écartement de 0m,60 entre les lignes, il est aisé de donner cette façon à l’aide d’une butteuse à cheval ».

Il nous semble que le buttage pourrait être considéré comme utile à un autre point de vue, comme préservatif contre la maladie, ainsi que le disait Magne, mais en l’exécutant avec plus de connaissance de cause. Nous avons vu, en effet, que les germes motiles du Phytophtora avaient la faculté de pénétrer dans le sol pour atteindre les tubercules. Or l’une des pratiques de la méthode Jensen consistait d’abord dans un buttage de protection, assez épais pour arrêter le passage des germes du parasite. Il conviendrait donc de le faire exécuter avant l’apparition du Phytophtora sur les feuilles des Pommes de terre, mais avec toute la solidité que conseillait le célèbre agronome.

Récolte. — « C’est assez ordinairement dans le courant de Novembre, disait Parmentier, qu’il faut s’occuper de la récolte des Pommes de terre. Une simple charrue suffit pour en déchausser par jour un arpent et demi, et six enfants bien d’accord peuvent aisément la desservir, munis chacun d’un panier ; ils portent à un tas commun les racines dépouillées des filamens chevelus. La récolte à bras est bien moins compliquée : on peut bien dans les terres légères, en saisissant les tiges et tirant à soi, enlever les racines en paquets ; mais dans les terres fortes, il faut se servir non pas d’une bêche ou d’une houe, mais d’une fourche à 2 ou 3 dents ; on fait le triage des petites d’avec les grosses, on met de côté celles qui sont entamées pour les consommer des premières ».

« On se sert, pour l’arrachage des Pommes de terre, disaient à leur tour Payen et Chevallier, des bêches pleines ou à trois lames, de houes à une ou deux lames, suivant l’habitude du pays et la nature du terrain. Quel que soit au reste l’outil que l’on emploie, il faut enlever chaque pied avec le plus de terre possible, afin d’avoir tout à la fois la plus grande partie des tubercules ; on brise la motte, et des femmes ou des enfants ramassent les Pommes de terre ; on donne encore deux ou trois coups de bêche ou de houe pour reprendre les tubercules échappés la première fois ».

Magne donnait les conseils suivants : « Il faut attendre, pour arracher la Pomme de terre, que la fane soit flétrie, en partie desséchée ; la fécule en est alors formée, et les tubercules, fermes au centre, possèdent toutes les qualités qu’on en peut espérer ; tandis que si on les tire avant leur maturité, ils sont aqueux au milieu, peu sapides et nourrissants. On a même conseillé de les laisser en terre jusqu’au moment de les consommer ; mais dans nos climats, où règnent souvent des froids rigoureux et des neiges parfois si longues, il est moins aventureux de les arracher ; seulement il faudra le faire aussi tard que possible, excepté quand on craint des froids, des pluies continues, ou qu’on a besoin de rendre la terre libre pour l’ensemencemnt de la récolte qui va suivre. Autant que possible il faut faire la récolte par un beau temps : lorsque la terre est bien égouttée et l’air sec, l’extraction est facile et moins dispendieuse ; les tubercules se nettoient, se conservent bien, et peuvent être administrés sans avoir été lavés. Il serait même bien, si le temps le permettait, de les étaler sur le sol et de les y laisser sécher, au moins quelques heures, afin de pouvoir les nettoyer plus complètement. Qu’on arrache les Pommes de terre à la main ou à la charrue, ce qui est beaucoup plus expéditif, on doit avoir soin de les enlever toutes ; car celles qu’on laisserait, non seulement seraient perdues, mais elles infesteraient les récoltes suivantes. On ne doit pas blesser celles qu’on veut conserver, crainte qu’elles ne viennent à se gâter et à communiquer leur pourriture aux autres ».

« Autrefois, dit M. Heuzé, on arrachait les Pommes de terre vers la fin de Septembre et dans le courant d’Octobre. Depuis que l’on a remplacé les variétés tardives par des races précoces, cette opération se fait depuis le 15 Août jusqu’au 20 Septembre. Quoi qu’il en soit, on doit opérer dès que les fanes sont sèches et par un beau temps. Les tubercules arrachés par un temps sec se conservent mieux, et la terre qui adhère à leur surface est toujours en moins grande quantité que lorsqu’on procède à l’arrachage pendant les pluies ou lorsque la terre est humide ». M. Heuzé décrit ensuite les divers procédés d’arrachage, soit à l’aide d’une houe fourchue que l’on appelle crochet, soit à la fourche, soit enfin à la charrue, c’est-à-dire avec la charrue ordinaire ou le buttoir. Il cite, à ce propos deux sortes de charrues particulièrement disposées pour faire plus rapidement et plus commodément cet arrachage.

Quant à M. Aimé Girard, il s’explique ainsi au sujet de la récolte : « Il convient d’en retarder l’époque jusqu’à ce que la végétation de la plante ait entièrement cessé. On ne saurait, bien entendu, indiquer à l’avance pour chaque variété, hâtive ou tardive, une date précise ; cette date est, dans tous les cas, sous la dépendance des conditions météorologiques de la saison. Mais, d’une manière générale, on peut fixer les caractères extérieurs auxquels on reconnaît le moment où les tubercules cessent de s’accroître, et où l’arrachage, par conséquent, doit avoir lieu. Ce moment, il faut, si l’on veut avoir le rendement maximum, le retarder jusqu’à la dernière limite ; presque toujours, on arrache trop tôt, et le bénéfice ainsi perdu est quelquefois important. Alors même que tout le feuillage latéral de la plante est fané, s’il reste encore au sommet des tiges un bouquet terminal de quelques feuilles, on peut être certain que la plante travaille encore et que chaque jour, par ce petit bouquet terminal, elle fabrique une certaine quantité de matière organique qui, spécialement destinée aux tubercules, peut, même en une quinzaine, augmenter sensiblement le poids et la richesse ; mais aussitôt que ce bouquet terminal est fané à son tour, le gain devient nul et il convient de procéder à l’arrachage ».


IX. — CONSERVATION DES POMMES DE TERRE


« Il ne suffit pas de se procurer beaucoup de Pommes de terre, disait Parmentier en 1809, il faut savoir les conserver pendant l’hiver, époque où les temps doux les font germer, et où les gelées, en les désorganisant, les rendent impropres à la nourriture des hommes et des animaux[14]. Leur durée dépend autant de la perfection de leur maturité que de l’influence du local où on les serre. Dès que les Pommes de terre sont arrachées, il faut, si l’on n’a rien à redouter des gelées blanches, les laisser se ressuer sur le terrain où on les a récoltées, ou bien sur l’aire d’une grange : Cette opération préliminaire, quand on n’a pas de gelées blanches à craindre, achève de dissiper l’humidité superficielle, détruit l’adhérence d’un peu de terre qui leur feroit contracter un mauvais goût, et rend leur garde plus facile.

« Il est bien certain que quand la provision ne consiste que dans quelques setiers, la garde n’en soit très facile, parce qu’on peut la déplacer, la transporter sur le champ de la cave au grenier, du hangar au cellier, dans des caisses, des paniers ou des tonneaux éloignés des murs ; mais quel que soit le lieu où l’on serre les Pommes de terre, il convient de n’y point laisser pénétrer la chaleur, le froid, la lumière et les animaux ; de diviser la provision, autant qu’il sera possible, soit par des planches, des nattes, de la paille ou des feuilles sèches ; mais pour les grandes quantités il faut d’autres procédés… »

Parmentier conseille alors de faire des tas coniques qu’on abrite avec de la paille recouverte de terre battue, et pendant les gelées avec du fumier ou de la litière ; ou bien des silos garnis de paille longue et fermés par une sorte de cône ou de talus formant meule ; ou bien encore d’établir dans une grange une resserre avec des claies de parcs à moutons ou des planches, entourée de pailles et de fourrages.

« Au printemps, ajoute Parmentier, lorsque le danger des gelées est passé, il faut s’occuper de mettre ce qui reste à l’abri de la germination, après avoir mis de côté celles destinées à la plantation. Un moyen assez efficace pour les conserver jusqu’à ce qu’on récolte de nouvelles hâtives, c’est de les transporter dans un grenier bien aéré, de les étendre sur le plancher les unes à côté des autres, et de les visiter quelquefois pour enlever les germes qui poussent pendant les premiers jours du printemps[15] ».

La conservation des Pommes de terre, par les procédés indiqués ci-dessus ne paraissait pas s’effectuer avec trop de difficultés. Mais l’apparition de la maladie spéciale n’a pas été sans troubler la quiétude que donnaient ces procédés. « L’ensilotage ordinaire, disait Payen en 1845, serait l’un des plus mauvais moyens de conservation, car la fermentation putride se propage avec une grande rapidité au contact d’un tubercule à l’autre, même jusque parmi les plus sains : elle gagnerait ainsi toute la masse enfermée dans un silo ».

Bonjean, en 1846, expose qu’il avait fait des expériences avec onze substances différentes, et qu’il avait remarqué que les Pommes de terre placées dans le sable pur, le sable et le charbon, le sable et la cendre de chaux, étaient les mieux conservées, et qu’en somme, le sable réunit toutes les conditions désirables, si on a soin de l’employer parfaitement sec. N’est-il pas curieux de constater que c’était le moyen qu’employait au XVIe siècle Charles de L’Escluse pour conserver ses tubercules ? Mais ce procédé n’est pas très pratique lorsqu’il s’agit de s’en servir pour de grandes quantités de Pommes de terre.

« Elles se conservent, dit M. Heuzé, dans les caves ou les celliers ; mais quel que soit le procédé auquel on ait recours, on doit les visiter de temps à autre, afin de s’assurer de l’état des tubercules. Si la masse offrait des signes de fermentation, il faudrait séparer immédiatement les Pommes de terre altérées ».

En somme, les meilleurs lieux de conservation sont de grandes caves, non humides, très aérées, à l’abri de la gelée. L’emploi de paniers en osier, comme ceux qu’emploie la maison Vilmorin, est aussi très pratique, en ce qu’ils facilitent la visite périodique des tubercules, lorsqu’on les dispose sur des tablettes. On peut se servir aussi de casiers en sapin à claire-voie, qu’on appelle des claies ou clayettes, et qui se superposent aisément et se déplacent de même. Dans tous les cas, l’obscurité de la cave est nécessaire pour bien conserver les tubercules de consommation, et les empocher de verdir. Au contraire, on peut garder à la lumière les tubercules de semence, dont le verdissement n’a pas d’inconvénient, et paraît leur être plutôt profitable.

Tout récemment, la conservation des Pommes de terre dans des silos a été conseillée de nouveau, d’après un procédé appliqué surtout en Autriche. « Cette conservation, dit M. de Gironcourt (Agriculture moderne, 1896), s’effectue parfaitement dans des silos en terre, analogues à ceux que l’on établit couramment pour la betterave. Il n’y a perte ni de la valeur nutritive, ni du bon goût naturel des tubercules. Ils ne germent pas ; à l’ouverture du silo, ils paraissent comme fraîchement arrachés ». Le rédacteur de l’article explique dans tous ses détails ce qu’il y a lieu de faire pour établir ces silos dans de bonnes conditions. Mais il paraît surtout les recommander pour la conservation des Pommes de terre récoltées saines. Et malgré cela, il ne manque pas d’ajouter : « Bien que la conservation des tubercules soit généralement bonne, il est utile de s’assurer de temps en temps à la main, ou mieux au thermomètre, descendu dans les cheminées (d’aération), que la température ne s’élève pas au-dessus de 3 à 4 degrés ; ce serait l’indice certain d’une fermentation commencée, risquant de faire pourrir la masse si l’on n’y portait remède. Ce remède est des plus simples : ouvrir le silo, le laisser revenir à une température basse et refermer ensuite ».

Il est très possible que ces silos puissent rendre de grands services. Encore convient-il qu’on ne s’en serve que pour des Pommes de terre parfaitement saines. Là, en effet, est une difficulté qui n’est pas de faible importance. La terre, qui, dans les saisons humides, reste adhérente aux tubercules, empêche souvent d’en bien voir l’épiderme, et les maladies bactériennes sont de celles qui, dans ce cas, échappent le plus facilement à un examen rapide, et sont les plus à craindre dans les ensilotages.

Mais on doit à MM. Vauchez et Marchal d’avoir fait connaître récemment un autre procédé très ingénieux, qui consiste à appliquer la chaleur dégagée par la fermentation de fourrages ensilés pour obtenir la cuisson et la conservation économique de la Pomme de terre. En 1895, au mois de Septembre, ces expérimentateurs plaçaient des tubercules crus et entiers dans un silo de Maïs. Retirées en Avril 1896, ces Pommes de terre, parfaitement conservées, ne renfermaient plus que 55 % d’eau, au lieu de 75 % ; elles se déchiraient complètement à la main et les animaux les mangeaient avec avidité. En Mai 1896, des tubercules crus furent placés dans un ensilage de fourrage vert (trèfle incarnat), dont la température peut atteindre 70°. On obtint des tubercules cuits fortement aplatis. M. Aimé Girard leur a reconnu la constitution caractéristique des tubercules soumis au procédé de cuisson ordinaire, et a constaté qu’ils ont parfaitement acquis la digestibilité qu’exige leur emploi dans l’alimentation du bétail. Ce nouveau procédé peut donc rendre de grands services à ce dernier point de vue.


X. — CHOIX DE VARIÉTÉS AGRICOLES POUR LA PLANTATION


Ce choix a une grande importance, en raison du plus ou moins de production des variétés. À la fin du siècle dernier, on avait déjà reconnu que certaines variétés étaient plus utilisables que d’autres pour la grande culture, et l’on avait déjà commencé à se rendre compte qu’il y avait un intérêt majeur à se préoccuper du rendement. Ces tendances n’ont fait que s’accentuer avec le temps, et les désirs de l’Agriculteur se sont trouvés peu à peu avec ceux de l’Industrie en conformité d’intérêts. Des évaluations expérimentales ont fini par s’établir dans les cultures soignées, et aujourd’hui telle variété est estimée d’une façon précise, à la fois par son rendement en poids de tubercules à l’hectare et son produit net en fécule. Il y aura par suite toujours là un mouvement à suivre, en raison de l’affaiblissement du produit des variétés existantes et de la force nouvelle dont seraient douées les variétés nouvellement créées.

Nous nous en tiendrons ici à ce qui se passe actuellement dans le mouvement de ces variétés, les anciennes n’étant plus intéressantes à connaître à ce titre. En 1892, dans Les Plantes fourragères, M. Heuzé citait comme variétés de grande culture, recommandées aux Agriculteurs : la Shaw (ou Chave), la Ségonzac (ou Saint-Jean), la Rose hâtive (ou Early rose), la Patraque jaune (ou Grosse jaune), la Saucisse (ou Généreuse), la Chardon, la Magnum bonum, la Van der Veer, la Champion (ou Champion d’Écosse), la Farineuse rouge (ou Boule de farine, ou Red Skinned flour ball), et la Patraque blanche (ou Ex-Noble, ou Grosse blanche) dont on commençait à abandonner la culture. De son côté, en 1893, M. Henry de Vilmorin signalait dans sa Conférence précitée, comme Pommes de terre fourragères à recommander pour leur bonne productivité, les variétés suivantes : la Chave ou Shaw (et ses quasi synonymes, la Saint-Jean, la Ségonzac, la Deuxième hâtive des environs de Paris) ; la Chardon, la Jeuxey (Jeancé ou Vosgienne) ; la Canada ; l’Institut de Beauvais ; la Merveille d’Amérique ; la Meilleure de Bellevue. Il citait ensuite comme Pommes de terre industrielles : la Richter’s Imperator ; la Géante sans pareille ; la Farineuse rouge (ou Red Skinned flour ball) ; l’Aspasie, de M. Paulsen ; la Géante bleue (ou Blaue Riesen). M. H. de Vilmorin faisait ensuite connaître les résultats suivants d’expériences comparatives, faites dans ses cultures expérimentales à Verrières, avec ces dernières variétés.

Poids de tubercules
à l’hectare (en kilogr.)
Fécule
p. %
Fécule
à l’hectare (en kilogr.)
Géante bleue 56 000 17.4 9 750
Imperator 43 000 18.7 8 050
La Meilleure de Bellevue 30 900 20.9 6 450
Géante sans pareille 37 250 16.6 6 200
Canada 33 500 17.1 5 750
Aspasie[16] 25 000 19.5 4 800
Farineuse rouge 23 150 16.7 3 850

M. Aimé Girard, dans ses Recherches sur la Culture de la Pomme de terre industrielle et fourragère, que tout Agriculteur ne peut manquer de consulter pour se rendre compte des meilleurs procédés à employer dans ses travaux, avait déjà publié, en 1889 et en 1891, les résultats comparatifs de ses cultures expérimentales à Joinville-le-Pont et à Clichy-sous-Bois, obtenus en 1888. Nous en extrayons le tableau suivant qui nous paraît très instructif :

Rendement à l’hectare
en poids
(kilog.)
en fécule anhydre
(kilog.)
Richter’s Imperator (4 ares cultivés). 44 000 8 096
Id. (1 hectare) 33 185 5 808
Id. (2 ares) 31 350 5 361
Id. (2 ares 50 centiares) 41 072 8 000
Red Skinned (2 ares) 29 000 5 046
Id. (2 ares) 31 650 4 589

Red Skinned (2 ares 50 centiares) 36 380 6 975
Magnum bonum 29 600 4 825
Gelbe rose (2 ares 50 centiares) 27 040 4 898
Id. (15 ares) 23 050 3 780
Aurora 31 800 4 675
Alcool 23 800 4 141
Jeuxey (2 ares 50 centiares) 33 028 5 981
Id. (2 ares) 26 190 4 138
Id. 15 ares) 22 200 3 396
Idaho 26 050 4 116
Magnum bonum 24 800 4 042
Kornblum 23 800 3 879
Canada 25 700 3 839
Éos 23 500 3 830
Aurélie 21 200 3 519
Infaillible 22 450 3 502
Fleur de pêcher 22 050 3 484
Daberche 21 350 3 437
Rose de Lippe 22 550 3 359
Van der Weer 23 250 3 255
Boursier 20 500 3 239
Chardon 21 500 3 100

Ce Tableau nous apprend que le rendement à l’hectare, bien que les cultures aient été l’objet des mêmes soins, varie dans d’assez notables proportions : cela peut, en effet, dépendre de la nature du terrain, de l’exposition, de la qualité même des tubercules plantés, des maladies dont ils peuvent être atteints, etc. ; ensuite que, nonobstant ces différences dans la productivité des mêmes variétés, il existe, entre les diverses variétés des différences très sensibles dans le produit à l’hectare et dans celui de la fécule. Entre l’Imperator et la Chardon, la différence est de moitié !

On ne doit pas être surpris que M. Aimé Girard ait été frappé de ces résultats et ait été naturellement conduit à préconiser la culture de la première de ces deux variétés, qui l’emportait pour le rendement sur toutes les autres.

« Parmi les variétés que j’avais cultivées dès 1885, dit M. Aimé Girard, il en était une particulièrement remarquable, qu’un cultivateur regretté, Boursier, de Compiègne, avait à peu près à la même époque que moi, importée d’Allemagne, mais dont la connaissance était restée limitée à son voisinage. À cette variété on donne le nom de Richter’s Imperator ; je l’avais vue, dans de bonnes conditions de culture, fournir à l’hectare 40 000 kilos et même 44 000 kilos de tubercules riches, quelquefois, à près de 20 pour 100 de fécule.

« J’ai pensé que de si hauts rendements feraient sur l’esprit de nos cultivateurs une impression profonde, et j’ai été ainsi conduit à prendre cette variété comme type pour la vulgarisation des procédés culturaux dont l’expérience m’avait fait reconnaître l’efficacité.

« Je trouvais ainsi l’avantage de faire connaître, à la fois, d’un côté la meilleure variété rencontrée jusqu’à ce jour, d’un autre les procédés nécessaires à la production des hauts rendements.

« Sur la récolte faite en 1888 à Joinville, j’ai été autorisé par M. le Ministre de l’Agriculture à prélever 6 000 kilos de plant sélectionné par mes soins pour en confier la culture à une quarantaine d’agriculteurs qui, répartis sur divers points de la France, voulaient bien apporter à la poursuite de l’œuvre que j’avais entreprise le concours de leur haute expérience.

« Ces 6 000 kilos ont été distribués par lots de 100 à 300 kilos, permettant par conséquent de planter, suivant les données indiquées par mes recherches sur la culture de la Pomme de terre, des surfaces de 3 à 10 ares. C’est d’ailleurs vers des régions diverses, principalement vers le Nord, l’Est et le Centre, que ces lots ont été dirigés. Les résultats obtenus par mes collaborateurs ont, en général, dépassé mes espérances… »

Il y a lieu de féliciter M. Aimé Girard d’avoir entrepris cette campagne, féconde en résultats productifs, en faveur de l’Imperator. Cette variété, du reste, a des qualités intrinsèques qui la recommandent à tous les cultivateurs. Elle a figuré d’abord sur des Catalogues horticoles de bonnes maisons qui la préconisaient comme variété potagère, en raison de sa chair légère, très féculente et de bon goût. On peut dire même qu’elle est supérieure à ce titre aux autres variétés agricoles, qui presque toutes sont fades et se ramollissent par la cuisson.

Mais les beaux résultats que nous avons cités plus haut avaient été tous obtenus, avec l’Imperator, en terres fertiles. M. Aimé Girard a demandé à plusieurs de ses collaborateurs de vouloir bien en essayer la culture en terres médiocres ou pauvres. Or les résultats de cette culture ont été encore très rémunérateurs : ils ont varié, comme rendement, de 17 000 à près de 20 000 kilos à l’hectare, avec 17,16 à 19,92 pour cent de fécule, soit à l’hectare de 3 188 à 5 202 kilos de fécule. D’après des calculs établis par M. Aimé Girard, les terres médiocres peuvent ainsi fournir une récolte d’Imperator d’environ 756 francs à l’hectare.

Toutefois cette excellente variété ne serait-elle pas appelée à dégénérer, si l’on continuait de la cultiver, même sur des sols différents, chaque année, en se servant pour cela de tubercules pris dans la récolte précédente ? M. Aimé Girard, pour répondre à cette question, a cultivé pendant cinq années successives, de 1886 à 1890, l’Imperator, en appliquant ce système. Les rendements obtenus ont été variables, mais celui de 1890 était supérieur à celui de 1886. M. Aimé Girard en conclut que c’est à la négligence apportée au choix du plant, que la dégénérescence dont on s’est plaint dans certaines cultures doit être imputée : elle est accidentelle. Il serait, en effet, très surprenant qu’une bonne variété, d’obtention récente, pût dégénérer si rapidement.

Actuellement, l’Imperator conserve encore sa bonne réputation. Mais voici qu’apparaissent de nouvelles variétés allemandes, dont nous avons donné les noms dans un précédent Chapitre, que l’on annonce comme pouvant rivaliser avec elle, ou même la surpasser. Il faut attendre que des essais comparatifs soient établis de façon à ce que cette question soit clairement élucidée.

Nous croyons ne pouvoir mieux terminer ce paragraphe qu’en reproduisant ici le résumé des conseils, que donne M. Tibulle Collot, un de nos plus intelligents Agriculteurs, dans une Note récente sur la Culture de la Pomme de terre. « Cette culture, dit-il, ne peut donner de grands rendements, et, par conséquent, ne peut être lucrative qu’autant qu’on observera les conditions suivantes : Choisir des variétés nouvelles, appropriées au but que l’on poursuit. Déterminer par essais répétés les races convenant le mieux au sol dont on dispose. Ameublir, par des façons culturales bien faites, les terres destinées à la plantation. Ne pas ménager les engrais, et surtout les engrais phosphatés. Planter à des distances convenables. Tenir le terrain propre de mauvaises herbes par des façons culturales, à la houe à cheval entre les lignes, à la main entre les poquets. Dans ces conditions, à moins d’une année absolument défavorable, on est certain d’obtenir une récolte abondante et rémunératrice ».


XI. — CULTURE DES VARIÉTÉS POTAGÈRES


Ce qui a été dit plus haut, à propos de la Culture des variétés industrielles et fourragères, s’applique en grande partie à celle des variétés potagères. Celle-ci ne se fait que sur une étendue de terrain beaucoup plus restreinte et n’exige que l’emploi des outils ordinaires du jardinage. Il ne s’agit pas non plus, dans cette culture, de choisir des variétés à grand rendement, mais plutôt des variétés de table, dont la qualité l’emporte sur la quantité. On recherche en général, pour le potager, à obtenir trois sortes de produits : des Pommes de terre de primeur, pour la consommation du Printemps, des hâtives pour celle de l’Été, des tardives pour celle d’Automne et d’Hiver. Avant de parler de la culture de primeur, qui demande des soins particuliers, voyons de quels soins la culture ordinaire des Pommes de terre peut être l’objet dans le potager.

« Cette culture est des plus simples, disent MM. Decaisne et Naudin dans leur Manuel de l’Amateur des Jardins (1871). On les reproduit par la plantation des tubercules en rigoles, à 15 ou 16 centimètres de profondeur, dans une terre ameublie, légèrement fumée avant la plantation ou après une fumure d’un an qui a déjà alimenté une récolte de légumes. Si on fume au moment de la plantation, on doit poser le fumier, par poignées, sur les tubercules et non au-dessous. La distance à mettre entre les plantes est en moyenne de 50 centimètres ; elle varie cependant suivant que les races employées donnent des touffes plus fortes ou plus faibles. Lorsque les pousses ont 18 à 20 centimètres, on sarcle et on butte en accumulant la terre autour de leur pied, pour favoriser le développement des jets souterrains sur lesquels naissent les tubercules. Cet usage n’est cependant pas général. La récolte se fait quand les fanes ont jauni, en tenant compte de l’époque de maturité qui diffère considérablement d’une race à l’autre… Après la récolte des Pommes de terre, on doit mettre tout de suite en réserve les tubercules qu’on destine à servir de semence pour l’année suivante, et on choisit pour cela, sinon les plus gros, du moins ceux d’une belle grosseur moyenne. Si on tenait à ne pas les planter entiers, il faudrait les couper trois semaines ou un mois après la récolte, en long plutôt qu’en travers, afin de conserver des yeux aux deux fragments, qui doivent être à peu près égaux. La plaie se sèche assez promptement, et les tubercules se conservent bien si on les tient au sec, dans des caisses à claire-voie ou dans des paniers suspendus. Il faut éviter de les mettre à la cave, à cause de la chaleur qui les fait germer en Hiver et par là les épuise. On a remarqué que les tubercules coupés en deux au moment où on va les planter donnent toujours des récoltes plus faibles que ceux qui l’ont été avant l’Hiver. L’époque de la plantation est, en moyenne, le milieu d’Avril pour le Nord de la France ; cette époque avance de quinze jours à un mois ou même plus pour les diverses régions du Midi. En général on la fait presque partout trop tardivement, et avec des tubercules déjà en partie épuisés par les pousses étiolées qu’ils ont faites dans les caves. La récolte non plus ne doit pas être tardive ; il faut arracher les Pommes de terre dès que les fanes ont jauni ».

On conçoit que la culture de primeur exige beaucoup plus de soins. Elle se fait avec la variété anglaise Kidney, dite Marjolin ou Quarantaine, apportée d’Angleterre en 1815, et qui paraît avoir servi à cette culture depuis 1840. On la dispose, pendant l’automne sur des claies : elle développe alors son bourgeon terminal qui devient très vigoureux. On plante alors, dans le mois de Janvier, ses tubercules un à un dans des pots de 20 centimètres, le germe dressé ; puis l’on enterre ces pots dans le terreau d’une couche tiède, que l’on couvre d’un châssis. On aère toutes les fois que la température le permet, et l’on arrose suivant les besoins. La végétation se développe peu à peu, les tiges toutefois ne s’élèvent que médiocrement, et lorsque les feuilles inférieures jaunissent, vers la fin de Mars, on peut récolter d’assez présentables tubercules. On peut opérer de même, mais sans pots, en plantant des tubercules-semence dans le terreau même de la couche, vers le 15 Février. On récolte dans ce cas fin Avril ou au commencement de Mai.

Cette culture hâtive pourrait être pratiquée de même en Mars ; mais en Avril on peut cultiver en pleine terre, en abritant de la gelée si elle venait à se faire sentir.

La Maison Vilmorin-Andrieux et Cie, dans son Traité des Plantes potagères (1883), résume ainsi cette culture forcée : « Elle se fait sous châssis et sur couche plus ou moins chaude. On peut la commencer dès le mois de Décembre ou de Janvier, et continuer les plantations de mois en mois, jusque dans le courant de Mars. On emploie surtout pour cette culture la Pomme de terre Marjolin hâtive, dont les fanes sont très peu développées. On peut commencer à arracher des tubercules deux mois et demi ou trois mois après la plantation ».

La culture en pleine terre s’y trouve également résumée en ces termes : « Les Pommes de terre se plantent ordinairement dans le courant du mois d’Avril en poquets espacés en tous sens de 0m,40 à 1m,20, selon le développement que prennent les différentes variétés. Les tubercules entiers, mais de dimensions moyennes, sont les plus avantageux à employer comme semence. Ils doivent être recouverts, au moment de la plantation, d’environ 0m,10 à 0m,12 de terre. On est dans l’usage de les butter lorsque les tiges sont sorties de terre d’environ 0m,15 à 0m,20, en même temps qu’on donne le second binage. Le buttage n’est pas indispensable, mais il a l’avantage de faire que les tubercules sont mieux ramassés au pied de la plante, et que l’arrachage devient plus facile[17]. Les Pommes de terre mûrissent, ou du moins deviennent bonnes à consommer, suivant les variétés, depuis le commencement de Juin jusqu’à la fin d’Octobre. Quand les tubercules destinés à la plantation ont pu être exposés d’avance à l’influence de l’air et de la lumière, la végétation en est ordinairement d’autant plus vigoureuse et plus hâtive ».

Il est important de s’assurer que les tubercules-semence ne présentent aucun signe dénotant des maladies externes ou internes, qui pourraient compromettre la récolte future en infectant les tubercules de nouvelle formation, ou qui seraient susceptibles de pourrir par l’action des parasites qu’ils renferment. Un procédé qui serait peut-être difficilement applicable pour les plantations agricoles, étant donné le grand nombre de tubercules à employer, le serait facilement pour les plantations des cultures potagères. Il consiste à laver, ou tout au moins à mouiller (s’ils ne sont pas trop couverts de terre) tous les tubercules-semence avant de les enfouir dans le sol. Ce mouillage fait ressortir très nettement, sur l’épiderme des tubercules, les maladies dont ils peuvent être déjà atteints et qui pourraient produire des avortements ou des contaminations ultérieures. En examinant très rapidement ces tubercules mouillés, on rejetterait tous les malades, en particulier ceux attaqués par la Gale et le Rhizoctone ou présentant les taches brunâtres caractéristiques des pénétrations du Pseudocommis ou des Microcoques, et l’on aurait ainsi l’assurance, si le sol n’est pas déjà contaminé, d’obtenir de meilleurs résultats de la plantation.

Choix de variétés pour la culture potagère. — Il n’est pas sans intérêt, pour cette culture, de faire choix des variétés qui, tout en donnant des produits rémunérateurs, se distinguent plus particulièrement par des qualités spéciales dont l’art culinaire puisse tirer habilement parti. Nous avons vu que la Marjolin était la variété naturellement désignée et employée pour les cultures de primeur. Mais son rôle ne peut aller plus loin, et pour la culture ordinaire il convient de s’adresser à d’autres variétés, plus estimées sous beaucoup de rapports.

M. Henry de Vilmorin a publié, en 1893, la 2e édition d’un Mémoire fort intéressant sur ce sujet, intitulé Les Meilleures Pommes de terre. C’est le développement d’une Conférence qu’il a faite le 30 janvier 1888 au Concours agricole général de Paris. On y trouvera beaucoup de renseignements fort instructifs que nous ne pouvons reproduire. Nous rappellerons seulement ici cette juste et curieuse observation, que la préférence qu’ont les Français pour les Pommes de terre à chair jaune les rend souvent très réfractaires à l’adoption des races à chair blanche, pour lesquelles les Anglais et les Américains ont, au contraire, une prédilection marquée.

Les variétés recommandées par M. de Vilmorin pour la culture potagère sont les suivantes. Parmi les plus anciennes, très recommandablea encore, la Bonne Wilhelmine (jaune ronde) et la Rouge de Hollande, qui datant de 1815, se sont très bien conservées jusqu’ici. Viennent ensuite, comme plus nouvelles et généralement appréciées, parmi les jaunes rondes, une sous-variété de la Chave ou Shaw, la Jaune ronde hâtive, la Pomme de terre Modèle, la Lesquin ou Séguin, la Quarantaine plate hâtive ; parmi les jaunes longues, la Marjolin hâtive ou Kidney hâtive ou Quarantaine de la Halle, la Royale ou Anglaise, ou Royal Ash-leaved Kidney, la Victor, le Caillou blanc ou Boulangère, ou Lapstone, la Marjolin-Têtard, le Flocon de Neige ou Snowflake, la Joseph Rigault, la Feuille d’Ortie, la Belle de Fontenay, la Quarantaine de Noisy ou Marjolin tardive, ou Hollande de la Halle, la Magnum bonum, la Corne blanche ; parmi les rouges, la Kidney rouge hâtive, la Rose hâtive ou Early rose, la Prolifique de Bresee, la Saucisse, la Pousse debout ; parmi les violettes, la Blanchard, la Violette ronde, la Quarantaine Violette et la Négresse. Nous citerons encore la Vitelotte, très estimée à juste titre mais qui est devenu malheureusement beaucoup trop peu productive ; et nous nous permettrons d’ajouter à la liste ci-dessus, une ancienne variété jaune longue, la Vierge, très productive et d’excellente qualité, ainsi que des variétés nouvelles, la Chancelor (jaune oblongue), la Garibaldi (rouge oblongue), la Juli de Paulsen (longue à chair jaune), la variété Jaune d’or, de Norvège (ronde jaune) dont on dit le plus grand bien, enfin la Truffe, curieuse d’aspect par son épiderme craquelé.

Du reste, les Catalogues courants des Maisons qui se livrent au commerce des Pommes de terre peuvent être, chaque année, consultés avec profit par les amateurs : les Catalogues de Vilmorin, Andrieux et Cie, de Forgeot et Cie à Paris, de Léonard Lille à Lyon, des spécialistes comme les Joseph Rigault et Hyacinthe Rigault à Groslay, Tibulle Collot, à Maizières, etc., fournissent tous les renseignements désirables ; la maison Haage et Schmidt, à Erfurt, publie aussi un Catalogue de nombreuses variétés allemandes, dont certaines sont recherchées, et en Angleterre, le très important Établissement Sutton et Sons, à Reading, fait paraître tous les ans la série des gains nouveaux obtenus dans ses cultures, les plus estimés sur les tables anglaises. Nous ne pouvons indiquer ici toutes les Maisons bien connues des personnes qui ne cultivent que les variétés de premier choix.

Enfin, l’on pourra tenir compte des résultats que MM. Bussard et Coudon, ingénieurs-agronomes, ont fait connaître récemment, de leurs recherches et expériences sur la valeur culinaire d’un certain nombre de différentes variétés de Pommes de terre. Nous dirons d’abord qu’ils ont été conduits à en conclure que cette valeur culinaire est directement proportionnelle à la teneur en matières azotées totales que renferme la Pomme de terre, et inversement proportionnelle à sa richesse en fécule.

Voici comment se trouvent classées les variétés qu’ils ont analysées :

lo Variétés à saveur fine : Belle de Fontenay, Marjolin hâtive, Marjolin-Tétard, Fleur de pêcher, Chave, Royale, Semis B de M. H. Rigault. Ces variétés renferment de 21 à 25 de matières azotées pour 100 de fécule ;

2o Variétés à saveur agréable : Quarantaine de la Halle, Hollande jaune, Hollande rouge, Violette longue, Vitelotte, Lesquin, Caillou blanc, Aurora. Ces variétés contiennent de 16,9 à 18,8 de matières azotées pour 100 de fécule ;

3o Variétés passables : Pousse-debout, Victor, Rognon rose, Rother Salat, Saucisse, Flocon de neige, Merveille d’Amérique. Ces variétés renferment de 16 à 17 de matières azotées pour 100 de fécule.

Les variétés les moins recommandables ne contiennent plus que 8,4 à 15,8 de matières azotées pour 100 de fécule. Ce sont presque toutes des variétés industrielles ou fourragères, telles que Éléphant blanc, Champion, Semis A de M. H. Rigault, Farineuse rouge, Géante bleue, Institut de Beauvais, Junon, Magnum bonum, Early rose, Négresse, Richter’s Imperator. Ce n’est pas cependant que quelques-unes de ces dernières variétés n’offrent certaines qualités culinaires qui ne sont pas à dédaigner.

Engrais. — Pour les variétés agricoles, nous avons parlé des engrais, à propos de la préparation du sol pour la culture. Nous dirons ici quelques mots des engrais qui sont utilisés pour favoriser le développement des Pommes de terre potagères. On peut dire qu’en général, on se préoccupe dans la petite culture de préparer le sol pour y cultiver d’abord des variétés de primeur, puis des précoces, de telle sorte que le terrain se trouve ensuite tout préparé pour y installer d’autres cultures de légumes. Les plates-bandes, consacrées aux Pommes de terre moins hâtives, sont disposées de façon à pouvoir servir également à des cultures automnales.

M. Courtois-Gérard conseillait de se servir, pour engrais, des fumiers des divers bestiaux, en donnant aux sols légers du fumier fermenté, avancé en décomposition, et aux terres fortes ou compactes du fumier récent qui achève de se décomposer dans le sol.

M. Hyacinthe Rigaud, dans son Instruction sur la culture des Pommes de terre hâtives, où il fait connaître les procédés d’un cultivateur expérimenté, dit avec raison : « La Pomme de terre figure entre les quelques plantes peu nombreuses dont on peut faire revenir la culture, plusieurs années de suite, sur le même terrain, avec l’aide d’abondants engrais. Elle trouve dans les engrais qu’on lui donne tous les éléments indispensables
Fig. 157. — Clayette.
à une bonne végétation. Depuis les savantes recherches des chimistes agricoles, nous savons que chaque plante puise, dans le sol et les engrais, des éléments distincts et les plus convenables à sa nutrition. Les plus favorables à la Pomme de terre sont la chaux, la potasse et l’acide phosphorique. Les éléments minéraux sont plus agissants particulièrement sur le développement des tubercules, tandis que les éléments organiques, qui contiennent beaucoup d’azote, poussent au développement des fanes. Quand l’azote domine, c’est toujours au détriment des tubercules. »

Il en résulte que le terreau, qui rend de très grands services dans les jardins potagers, gagne, pour la culture des Pommes de terre, à être mélangé avec des engrais minéraux phosphatés.

Germination des tubercules de primeur. — Nous avons dit plus haut qu’il était reconnu nécessaire, pour cette culture de primeur, de faire germer les tubercules avant la plantation, et qu’on se servait pour cela de clayettes. M. Hyacinthe Rigaud, dans son Instruction précitée, nous en fait connaître l’origine.


Fig. 158. — Une récolte de Pommes de terre de la variété Satisfaction de Sutton. Reproduction d’une photographie de la Conférence intitulée Potatoes, par M. Arthur Sutton (1895).

« Quand on a commencé, aux environs de Paris, dit-il, à cultiver en grand la Pomme de terre Marjolin, on s’est aperçu qu’il fallait beaucoup de soins pour réussir avec cette variété, qui souvent produisait seulement des tubercules insignifiants autour du tubercule-semence. Alors on a jugé qu’il fallait les faire germer antérieurement à la plantation. Dans certaines localités, on s’est servi de paniers ou de bourriches ; dans d’autres, on faisait germer sur des tablettes. À Groslay, où je réside, on s’est servi d abord de clayettes d’osier. Puis, dans l’hiver de 1853-1854, un cultivateur se mit à fabriquer des boîtes en bois, avec un fond à claire-voie. Un autre y mit des pieds ; enfin un troisième leur donna la forme définitive qui a depuis servi de modèle… Ce système offre l’avantage très grand de pouvoir caser une quantité considérable de boîtes dans un espace très restreint… Maintenant, nous faisons germer avec ces clayettes toutes les variétés de Pommes de terre, tardives comme hâtives, ce qui donne toujours de l’avance. Cet emploi de boîte n’est pas très onéreux, comparativement à l’avantage qu’il procure ».

Récolte. — L’arrachage des Pommes de terre se fait habituellement et rapidement dans les jardins avec le boyau, qui est une sorte de houe à deux dents. C’est une récolte intéressante, en ce sens qu’on pourrait presque l’appeler la recherche de l’inconnu. En effet, que va-t-il sortir du pied que l’on arrache ? Par la force des tiges, comme par leur faiblesse, on peut, il est vrai, présumer à l’avance que la récolte sera productive ou médiocre. Mais que de doutes on doit garder sur le résultat ! Les tubercules peuvent apparaître fort beaux, ou dans un triste état, piqués, rongés ou malades. Ils peuvent être nombreux, mais petits, ou bien gros, mais alors rares. M. Edmond Couturier, dans l’Agriculture moderne (1896), nous semble avoir très bien exprimé cette idée. « La récolte des Pommes de terre, dit-il, est sans contredit une des plus attrayantes. Je parle, bien entendu, de la récolte faite par le propriétaire lui-même, et par des amis venus pour y participer en amateurs. L’attention y est continuellement tendue : on marche à la découverte, car on se trouve dans l’inconnu. À chaque coup de crochet donné, on met à l’air un produit plus ou moins important par son abondance ou par sa beauté. Tantôt c’est un succès exceptionnel, tantôt c’est une complète déception ».

La récolte faite, et autant que possible par un temps beau et sec, il ne restera plus qu’à faire le choix des tubercules-semence, pour l’année suivante, que l’on disposera sur des clayettes. Quant aux tubercules de consommation, l’on devra les conserver différemment, c’est-à-dire à l’abri de la lumière pour qu’ils ne verdissent pas, et prendre soin de détruire les pousses sur ceux qui viendraient à germer. Il appartient à chacun de prendre à ce sujet les mesures les plus convenables pour assurer cette double conservation.



  1. — L’arpent de Paris équivaut à 3 419 mètres carrés, et 50 setiers = 78 hectolitres.
  2. — Environ 765 grammes.
  3. — C’est-à-dire des variétés.
  4. Die Kartoffelplanze und deren Krankheiten (1856).
  5. — « Je l’ai vue aussi malade. Ludersdoff ».
  6. Early, c’est-à-dire précoce, et kidney, rognon.
  7. — M. Robert Fenn avait fait les mêmes essais, pendant quatre ans. Il n’a pas eu plus de succès.
  8. Encyclopædia of Agriculture (Londres, 1825).
  9. — Cette variété nouvelle a été mise au commerce, sous le nom de Édouard Lefort, par la maison Vilmorin-Andrieux et Cie, en 1897.
  10. — Tubercule-semence.
  11. — Tubercule.
  12. — Le tubercule se forme en même temps que s’allongent les tiges.
  13. — M. Bajac a tout récemment construit une Planteuse de Pommes de terre. Cette machine, d’une extrême simplicité, sert à planter de la façon la plus régulière les tubercules de toutes formes et de toutes grosseurs, et peut, en outre, se transformer en sarcleuse, butteuse et arracheuse.
  14. — « Aujourd’hui, nous possédons des Variétés de Pommes de terre très hâtives et très tardives, et ces dernières se conservent facilement jusqu’à la récolte des premières ; de plus, il est de ces dernières qui peuvent se garder deux ans. Il est donc moins nécessaire qu’à l’époque où écrivait Parmentier, de s’occuper des moyens artificiels de conservation » (Note de Bosc, 1822).
  15. — « Dans cet état, on casse successivement toutes les pousses qui se montrent, et lorsque la végétation est épuisée, elles peuvent passer l’année sans inconvénient » (Note de Bosc, 1822).
  16. — « Le rendement de cette variété s’est trouvé, en 1892, plus faible accidentellement qu’il ne l’avait été en 1891 ».
  17. — Nous ferons remarquer que le buttage est nécessaire, lorsqu’on cultive des variétés dont les tubercules se développent à la surface du sol et verdissent lorsque les tiges ne sont pas buttées. D’un autre côté, le buttage est utile pour préserver les tubercules des atteintes du Phytophtora.