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Histoire du parlement/Édition Garnier/Chapitre 48

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CHAPITRE XLVIII.

DU MEURTRE DU MARÉCHAL D’ANCRE ET DE SA FEMME.

De plus grands événements se préparaient ; les factions s’aigrissaient ; Concini, maréchal d’Ancre, n’entrait pas au conseil, mais il le dirigeait : il était le maître des affaires, et le prince de Condé, premier prince du sang, en était exclu. Il eut le malheur de se croire obligé à prendre les armes comme son père et son grand-père. Cette guerre civile dura peu ; elle fut suivie du traité de Loudun[1], qui donnait au prince de Condé un pouvoir presque égal à celui de la régente. À peine le prince de Condé crut-il jouir de ce pouvoir que Concini le fit mettre à la Bastille. La prison de ce prince, au lieu d’étouffer les restes des guerres civiles, les ralluma ; chaque seigneur, chaque prince, chaque gouverneur de province prenait le parti qu’il croyait le plus convenable à ses intérêts, et en changeait le lendemain. Chacun ravissait ce qui était à sa bienséance. Le duc d’Épernon, qui était retiré dans l’Angoumois, tenta de se rendre maître de la Rochelle. Le maréchal de Lesdiguières était véritablement souverain dans le Dauphiné. Le duc de Nevers, de la maison de Gonzague, se cantonnait dans ses terres. Le duc de Vendôme, fils de Henri IV et de Gabrielle d’Estrées ; le duc de Mayenne, fils du chef de la Ligue ; le maréchal duc de Bouillon, prince de Sedan, unissaient leurs troupes ; et tous disaient que c’était contre le Florentin Concini, et non pas contre le roi.

Au milieu de tant d’alarmes, un jeune gentilhomme du comtat d’Avignon[2], introduit auprès de Louis XIII, et s’étant rendu nécessaire aux amusements de son enfance, préparait une révolution à laquelle personne ne s’attendait. Le roi avait alors seize ans et demi ; il lui persuada qu’il était seul capable de bien gouverner son royaume, que sa mère n’aimait ni sa personne ni son État, que Concini était un traître. Ce Concini dans ce temps-là même faisait une action qui méritait une statue. Enrichi par les profusions de Marie de Médicis, il levait à ses dépens une armée de cinq à six mille hommes contre les révoltés ; il soutenait la France comme si elle avait été sa patrie. Le jeune gentilhomme nommé Charles d’Albert, connu sous le nom de Luines, rendit si suspect le service même que Concini, maréchal de France, venait de rendre, qu’il fit consentir le roi à l’assassiner, et à mettre en prison la reine sa mère.

Louis XIII, à qui on donnait déjà le nom de Juste[3], approuva l’idée de faire tuer le maréchal dans son propre appartement, ou dans celui de sa mère. Concini, ne s’étant pas présenté ce jour-là au Louvre, ne prolongea sa vie que d’un jour. Il fut tué à coups de pistolet le lendemain[4] en entrant dans la cour du château. Vitry et quelques gardes du corps furent les meurtriers. Vitry eut le bâton de maréchal de France pour récompense. Marie de Médicis fut emprisonnée dans son appartement, dont on mura les portes qui donnaient sur le jardin, et bientôt après on l’envoya prisonnière à Blois, dont le duc d’Épernon la tira trois ans après, comme on l’a déjà dit[5].

Éléonore Galigaï, maréchale d’Ancre, dame d’atours de la reine, fut incontinent saisie, dépouillée de tout, conduite à la Bastille, et de là transférée à la Conciergerie.

Le favori de Luines, qui dévorait déjà en espérance les grands biens du mari et de la femme, fit donner ordre au parlement d’instruire le procès du maréchal assassiné, et de sa malheureuse veuve. Pour le maréchal, son corps ne pouvait pas se retrouver : le peuple en fureur l’avait déterré ; on l’avait mis en pièces, on avait même mangé son cœur : excès de barbarie digne du peuple qui avait exécuté les massacres de la Saint-Barthélemy, et inconcevable dans une nation qui passe aujourd’hui pour si frivole et si douce. Il était difficile de trouver de quoi juger à mort la maréchale. C’était une Italienne de qualité, venue en France avec la reine ; comblée à la vérité de ses bienfaits, insolente dans sa fortune, et bizarre dans son humeur : défauts pour lesquels on n’a jamais fait couper la tête à personne.

On fut obligé de lui faire un crime d’avoir écrit quelques lettres de compliments à Madrid et à Bruxelles ; mais ce forfait ne suffisant pas, on imagina de la faire déclarer sorcière. On croyait alors aux sortiléges et à la magie comme à un point de religion. Cette superstition est la plus ancienne de toutes, et la plus universelle. Elle passa des païens et des Juifs chez les premiers chrétiens, et s’est conservée jusqu’au temps où un peu de philosophie a commencé à ouvrir les yeux des hommes aveuglés par tant de siècles.

La maréchale d’Ancre avait fait venir d’Italie un médecin juif nommé Montalto ; elle avait même eu la scrupuleuse attention d’en demander la permission au pape. Les médecins de Paris n’étaient pas alors en grande réputation dans l’Europe. Les Italiens étaient en possession de tous les arts. On prétendit que le juif Montalto était magicien, et qu’il avait sacrifié un coq blanc chez la maréchale ; cependant il ne put la guérir de ses vapeurs : elles furent si fortes qu’au lieu de se croire sorcière elle se crut ensorcelée. Marie de Médicis lui dit que le dernier cardinal de Lorraine, Henri, ayant eu la même maladie, s’était fait exorciser par des moines de Milan. Elle eut la faiblesse de faire venir deux de ces exorcistes milanais, qui dirent des messes aux Augustins pour la vaporeuse maréchale, et qui l’assurèrent qu’elle était guérie.

On l’interrogea sur le meurtre de Henri IV, on lui demanda si elle n’en avait point eu connaissance ; après avoir ri sur les accusations de magie, elle pleura à cet interrogatoire sur la mort du feu roi, et fit sentir aux juges tout ce que cette imputation contre la confidente de la reine pouvait avoir d’atroce.

Des deux rapporteurs qui instruisaient le procès, l’un était Courtin, vendu au nouveau favori, et qui sollicitait des grâces ; l’autre était Deslandes Payen, homme intègre, qui ne voulut jamais conclure à la mort, ni même consentir à ne pas se trouver au jugement. Cinq juges s’absentèrent, quelques-uns opinèrent pour le seul bannissement ; mais Luines sollicita avec tant d’ardeur que la pluralité fut pour brûler une maréchale de France comme sorcière. Elle fut traînée dans un tombereau à la Grève, comme une femme de la lie du peuple[6]. Toute la grâce qu’on lui fit fut de lui couper la tête avant de jeter son corps dans les flammes.

On croirait qu’un tel arrêt est du xe siècle. Le parlement, en condamnant la mémoire du maréchal, eut soin d’insérer dans l’arrêt que désormais aucun étranger ne serait admis au conseil d’État ; cette clause était plus qu’on ne demandait. Luines, qui eut beaucoup plus de pouvoir que Concini, était étranger lui-même, étant né sujet du pape[7].

  1. Mai 1616. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez tome XII, page 575.
  3. Ce nom lui avait été donné dès son enfance, parce qu’il était né sous le signe de la Balance. Voyez, tome XIV, le chapitre II du Siècle de Louis XIV. (B.)
  4. 24 avril 1617. (Note de Voltaire.)
  5. Voyez tome XII, page 577.
  6. 8 juillet 1617. (Note de Voltaire.)
  7. « L’avocat général Le Bret m’a dit (au cardinal de Richelieu) que les imputations qu’on faisait à la défunte étaient si frivoles, et les preuves si faibles, que, quelques sollicitations qu’on lui fît qu’il était nécessaire pour l’honneur et la sûreté de la vie du roi qu’elle mourut, il ne voulut jamais donner ses conclusions à la mort que sur l’assurance qu’il eut, par la propre bouche de Luines, qu’étant condamnée, le roi lui donnerait sa grâce. » Histoire de la Mère et du Fils, année 1617.

    Elle mourut avec courage au milieu des larmes du peuple, dont son malheur et l’avide cruauté de ses ennemis avaient changé les sentiments.

    Le 2 juin 1617, l’évêque de Mâcon, portant la parole au nom du clergé assemblé, dit au roi que la première action de son règne lui ayant mérité le nom de Juste, il doit faire rendre aux églises catholiques les biens des églises protestantes de Béarn. Ainsi l’on vit un évêque louer un prince d’avoir commis un assassinat, afin d’obtenir de lui la permission de commettre un vol.

    Un homme accusé d’avoir écrit un libelle contre Luines fut rompu vif ; un autre, qui en avait fait une copie, fut pendu.

    On en roua un troisième, sous prétexte qu’il avait voulu assassiner la reine mère. Mais au contraire c’était Luines qu’il voulait assassiner ; il s’en était ouvert à un espion de Luines, qui faisait semblant d’en être ennemi ; et pour ne pas rendre cet espion suspect au parti de la reine, Luines imagina de substituer un projet contre la reine à un projet contre lui. On eut la précaution d’ordonner de brûler le procès de ce malheureux avec son corps. Il était prêtre, et l’espion qui le dénonçait était un homme de la cour.

    On poursuivit avec fureur Bardin, secrétaire d’État sous Concini. Enfermé à la Bastille, il fut interrogé par des conseillers d’État. Luines montra ses réponses au conseiller du grand conseil Lasnier, qui promit, d’après ces pièces, de faire rendre un arrêt de mort contre Bardin. Lasnier et La Greslière furent nommés ses rapporteurs. Bardin demanda d’être renvoyé au parlement en sa qualité de secrétaire du roi. On lui refusa son renvoi. Il est singulier qu’en France on crût alors avoir besoin d’un privilége pour demander ce qui, dans tous les pays, est le droit de chaque citoyen. Bardin protesta contre les réponses extrajudiciaires qu’il avait faites aux conseillers d’État. Ses protestations ne furent pas écoutées.

    Luines sollicita ouvertement tous les juges. Ceux qui résistèrent à la corruption crurent être obligés, pour le sauver, de le condamner à un bannissement : exemple qu’imitèrent depuis les juges du surintendant Fouquet. Cependant déjà une voix de plus l’avait condamné à la mort, lorsqu’un des juges s’évanouit ; revenu à lui, on le ramena dans l’assemblée : « Messieurs, dit-il, vous voyez en quel état j’ai été ; Dieu m’a fait voir la mort, qui est une chose si horrible et si effroyable que je ne puis me porter à condamner un innocent comme celui-ci, de qui il s’agit. J’ai ouï quelques opinions qui vont au bannissement ; s’il y en a quelqu’une plus douce, je prie le conseil de me le dire, afin que j’en sois. » Alors les jeunes conseillers revinrent presque tous à l’avis du bannissement ; le président de Bercis, seul parmi les présidents, se joignit à eux, et Bardin fut sauvé. Voyez l’Histoire de la Mère et du Fils. (K.) — L’Histoire de la Mère et du Fils, que citent les éditeurs de Kehl, fut publiée sous le nom de Mézeray, 1730, un volume in-4°, ou deux volumes. C’est la première partie des Mémoires du cardinal de Richelieu, imprimés pour la première fois en 1823, 10 volumes in-8°. Dans le tome Ier, pages 447 et 509, se retrouvent textuellement les deux passages que les éditeurs de Kehl ont guillemetés. Voyez aussi, tome XIV, le chapitre II du Siècle de Louis XIV. (B.)