Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre V/Chapitre 25

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XXV. Commerce des Européens avec la Chine.

Les premiers Européens, que leur inquiétude pouſſa vers les côtes de la Chine, furent admis indiſtinctement dans toutes les rades de l’empire. Leur extrême familiarité avec les femmes ; leurs violences avec les hommes ; des actes répétés de hauteur & d’indiſcrétion, les firent concentrer depuis à Canton, le port le plus méridional de ces côtes étendues.

Leurs navires remontèrent d’abord juſqu’aux murs de cette cité célèbre, ſituée à quinze lieues de l’embouchure du Tygre. Peu-à-peu, le port ſe combla, au point de n’offrir que douze à treize pieds d’eau. Alors nos bâtimens, qui de jour en jour avoient acquis plus de grandeur, turent forcés de s’arrêter à Hoang-pou, à trois milles de la place. C’eſt une aſſez bonne rade, formée par deux petites iſles. Des circonſtances particulières firent accorder, en 1745, aux François la liberté d’établir leurs magaſins dans celle de Wampou, qui eſt ſalubre & peuplée ; mais les nations rivales ſont toujours réduites à faire leurs opérations dans l’autre abſolument déſerte, & ſinguliérement mal-ſaine après que le riz y a été coupé.

Pendant les cinq ou ſix mois que les équipages des navires Européens ſe morfondent ou périſſent à Hoang-pou, les agens du commerce font leurs ventes & leurs achats à Canton. Lorſque ces étrangers commencèrent à fréquenter ce grand marché, on les fit jouir de toute la liberté que comportoit le maintien des loix. Bientôt ils se lassèrent de la circonspection nécessaire dans un gouvernement rempli de formalités. En punition de leurs imprudences, tout accès direct chez le dépositaire de l’autorité publique leur fut fermé, & ils furent tous réunis dans un seul quartier. Le magistrat ne permit une autre demeure qu’à ceux dont un hôte accrédité garantissoit les mœurs & la conduite. Ces liens furent encore resserrés en 1760. La cour avertie par les Anglois des vexations criantes de ses délégués, fît partir de Pékin des commissaires qui se laissèrent séduire par les accusés. Sur le rapport de ces hommes corrompus, tous les Européens furent confinés dans un petit nombre de maisons, d’où ils ne pouvoient traiter qu’avec une compagnie armée d’un privilège exclusif. Ce monopole a depuis un peu diminué ; mais les autres gènes sont toujours les mêmes.

Ces humiliations ne nous ont pas dégoûtés de nos liaisons avec la Chine. Nous continuons d’y aller chercher du thé, des porcelaines, des soies, des soieries, du vernis, du papier, de la rhubarbe & quelques autres objets moins importans.