Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVIII/Chapitre 5

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Texte établi par Jean Léonard Pellet, Jean Léonard Pellet (9p. 21_Ch05-38_Ch06).

V. Proſpérité de la Penſilvanie.

La Penſilvanie eſt gardée à l’Eſt par l’océan ; au Nord, par la Nouvelle-York & la Nouvelle-Jerfey ; au Sud, par la Virginie & le Maryland ; à l’Oueſt, par des terres qu’occupent les ſauvages ; de tous côtés, par des amis ; & dans ſon ſein, par la vertu de ſes habitans. Ses côtes fort reſſerrées, s’élargiſſent inſenſiblement juſqu’à cent vingt milles. Sa profondeur, qui n’a d’autres limites que celles de ſa population & de ſa culture, embraſſe déjà cent quarante-cinq milles d’étendue.

La Penſilvanie propre eſt partagée en onze comtés, Philadelphie, Bucks, Cheſter, Lancaſtre, York, Cumberland, Berks, Northampton, Bedfort, Northumberland, Weſtmoreland.

Dans la même contrée, les comtés de Newcaſtle, de Kent & de Suſſex, forment un autre gouvernement, mais conduit ſur les mêmes principes.

Le ciel de la colonie eſt pur & ſerein. Le climat très-ſain par lui-même, s’eſt encore amélioré par les défrichemens. Les eaux limpides & ſalubres y coulent toujours ſur un fond de roc ou de ſable. Les ſaiſons y tempèrent l’année par une variété marquée. L’hiver qui commence avec le mois de janvier, n’expire qu’à la fin de mars. Rarement accompagné de brouillards & de nuages, le froid y eſt conſtamment modéré ; mais quelquefois aſſez vif, pour glacer en une nuit les plus grandes rivières. Cette révolution auſſi courte que ſubite, eſt l’ouvrage du vent du nord-oueſt, qui ſouffle des montagnes & des lacs du Canada. Le printems s’annonce par de douces pluies, par une chaleur légère qui s’accroît par degrés juſqu’à la fin de juin. Les ardeurs de la canicule ſeroient violentes, ſans le vent du ſud-oueſt qui les rafraîchit. Ce ſecours eſt aſſez conſtant.

Quoique le pays ſoit inégal, il n’eſt pas ſtérile. Le ſol eſt tantôt un ſable jaune & noir, tantôt du gravier, tantôt une cendre grisâtre ſur un fond pierreux, & quelquefois auſſi une terre graſſe, ſur-tout entre les ruiſſeaux qui, la coupant dans tous les ſens, y verſent encore plus de fécondité que ne feroient des rivières navigables.

Quand les Européens abordèrent dans cette contrée, ils n’y virent d’abord que des bois de conſtruction & des mines de fer à exploiter. En abattant, en défrichant, ils couvrirent, peu-à-peu, les terres qu’ils avoient remuées, de nombreux troupeaux, de fruits très-variés, de plantations de lin & de chanvre, de pluſieurs ſortes de légumes, de toute eſpèce de grains ; mais ſingulièrement de froment & de maïs, qu’une heureuſe expérience montra propres au climat. De tous côtés, on pouſſa les défrichemens avec une vigueur & un ſuccès qui étonnèrent toutes les nations.

D’où naquit cette ſurprenante proſpérité ? de la liberté, de la tolérance, qui ont attiré dans ce pays des Suédois, des Hollandois, des François induſtrieux, & ſur-tout de laborieux Allemands. Elle eſt l’ouvrage des Quakers, des Anabaptiſtes, des Anglicans, des Méthodiſtes, des Preſbytériens, des Moraves, des Luthériens & des Catholiques.

Entre de ſi nombreuſes ſectes, on diſtingue celle des Dumplers. Son fondateur fut un Allemand, qui, dégoûté du tumulte du monde, ſe retira dans une ſolitude agréable, à cinquante milles de Philadelphie, pour ſe livrer à la contemplation. La curioſité attira, dans ſa retraite, pluſieurs de ſes compatriotes. Le ſpectacle de ſes mœurs ſimples, pieuſes & tranquilles, les fixa près de lui. Tous enſemble, ils formèrent une peuplade qu’ils appelèrent Euphrate, par alluſion aux Hébreux, qui pſalmodioient ſur les bords de ce fleuve.

Cette petite ville formée en triangle, eſt entourée de pommiers & de mûriers, arbres utiles & agréables, plantés avec ſymétrie. Au centre eſt un verger très-étendu. Entre ce verger & ces allées, ſont des maiſons de bois à trois étages, où chaque Dumpler iſolé peut, ſans être diſtrait, vaquer à ſes méditations. Ces contemplatifs ne ſont au plus que cinq cens. Leur territoire n’a pas plus de deux cens cinquante acres d’étendue. Une rivière, un étang, une montagne couverte d’arbres, marquent ſes limites.

Les hommes & les femmes habitent des quartiers séparés. Ils ne ſe voient que dans les temples ; ils ne s’aſſemblent ailleurs que pour les affaires publiques. Le travail, la prière & le ſommeil, partagent leur vie. Deux fois le jour & deux fois la nuit, le culte religieux les tire de leurs cellules. Comme les Quakers & les Méthodiſtes, ils ont tous le droit de prêcher, quand ils ſe croient inſpirés. L’humilité, la tempérance, la chaſteté, les autres vertus chrétiennes, ſont les ſujets dont ils aiment le plus à parler dans leurs aſſemblées. Jamais ils ne violent le repos du ſabbat, ſi cher à tous les hommes, oiſifs ou laborieux. Ils admettent l’enfer & le paradis, mais rejettent, avec raiſon, l’éternité des peines. La doctrine du péché originel, eſt, pour eux, un blaſphême impie qu’ils abhorrent. Tout dogme cruel à l’homme, leur paroît injurieux à la divinité.

Comme ils n’attachent de mérite qu’aux œuvres volontaires, ils n’adminiſtrent jamais le baptême qu’aux adultes. Ils le croient cependant ſi néceſſaire au ſalut, qu’ils s’imaginent que, dans l’autre monde, les âmes des chrétiens ſont occupées à convertir celles des hommes, qui ne ſont pas morts ſous la loi de l’évangile. Ces pieux enthouſiaſtes veulent abſoudre Dieu des cruautés & des injuſtices, dont tant d’autres dévots calomniateurs l’ont chargé.

Encore plus déſintéreſſés que les Quakers, ils ne ſe permettent jamais de procès. On peut les tromper, les dépouiller, les maltraiter, ſans craindre ni repréſailles, ni plaintes de leur part : tant ils ſont, par religion, ce que les ſtoïciens étoient par philoſophie, inſenſibles aux outrages.

Rien n’eſt plus ſimple que leur vêtement. En hiver, une longue robe blanche, où pend un capuchon pour tenir lieu de chapeau, couvre une chemiſe groſſière, de larges culottes, & des ſouliers épais. En été, c’eſt le même habillement, ſi ce n’eſt que la toile remplace la laine. À la culotte près, les femmes ſont vêtues comme les hommes.

On ne ſe nourrit là que de végétaux ; non que ce ſoit une loi, mais par une abſtinence plus conforme à l’eſprit du chriſtianiſme, ennemi du ſang.

Chacun s’attache gaiement au genre d’occupation qui lui eſt aſſigné. Le produit de tous les travaux eſt mis en commun, pour ſubvenir aux beſoins de tous. Cette communauté d’induſtrie a créé, non-ſeulement une culture, des manufactures, tous les arts néceſſaires à la petite ſociété : mais encore un ſuperflu d’échanges, proportionnés à ſa population.

Quoique les deux ſexes vivent séparément à Euphrate, les Dumplers ne renoncent pas follement au mariage. Ceux que la jeuneſſe & l’amour, ſi voiſins de la dévotion, invitent à cette ſainte union des âmes & des ſens, quittent la ville, & vont former un établiſſement à la campagne, aux dépens du tréſor public, qu’ils groſſiſſent de leurs travaux, tandis que leurs enfans ſont élevés dans la métropole. Sans cette liberté ſage & chrétienne, les Dumplers ne ſeroient que des moines, qui deviendroient, avec le tems, féroces ou libertins. La vie cénobitique n’a qu’une ſaiſon de ferveur. Avec une âme tendre, on pourroit ſouhaiter d’être dévot juſqu’à vingt ans, comme on peut déſirer d’être belle femme juſqu’à vingt-cinq : mais après cet âge, il faut être homme.

Ce qu’il y a de plus édifiant & de plus ſingulier en même tems, dans la conduite de toutes les ſectes qui ont peuplé la Penſilvanie, c’eſt l’eſprit de concorde qui règne entre elles, malgré la différence de leurs opinions religieuſes. Quoiqu’ils ne ſoient pas membres de la même égliſe, ces ſectaires s’aiment comme des enfans d’un ſeul & même père. Ils ont vécu toujours en frères, parce qu’ils avoient la liberté de penſer en hommes. C’eſt à cette précieuſe harmonie qu’on peut, ſur-tout, attribuer les accroiſſemens rapides de la colonie.

Au commencement de 1774, cet établiſſement comptoit trois cens cinquante mille habitans, ſuivant le calcul du congrès général. On ne diſſimulera pas que trente mille noirs faiſoient partie de cette nombreuſe population ; mais la vérité veut qu’on diſe auſſi que dans cette province l’eſclavage n’a pas été un germe de corruption, comme il l’a toujours été, comme il le ſera toujours dans des ſociétés moins bien ordonnées. Les mœurs ſont encore pures, auſtères même, en Penſilvanie. Cet avantage tient-il au climat, aux loix, à la religion, à l’émulation des ſectes, à des uſages particuliers ? On le demande aux lecteurs.

Les Penſilvains ſont, en général, bien faits, & leurs femmes d’une figure agréable. Plutôt mères qu’en Europe, elles continuent plus long-tems d’être fécondes. L’inconſtance des ſaiſons n’affoiblit point en elles la nature, quoiqu’il n’y ait point de ciel où la température ſoit plus variable. Elle change par intervalles, juſqu’à cinq ou ſix fois dans la même journée.

Cette variation n’a pas une influence dangereuſe ſur les animaux, ni même ſur les végétaux. Rarement détruit-elle les récoltes. Auſſi l’abondance eſt-elle conſtante, l’aiſance eſt-elle univerſelle. L’économie particulière aux Penſilvains, n’empêche pas que les deux ſexes ne ſoient bien vêtus. La nourriture eſt encore ſupérieure à l’habillement. Les familles les moins aisées, ont du pain, de la viande, du cidre, de la bière, de l’eau-de-vie de ſucre. Un grand nombre peut uſer habituellement des vins de France & d’Eſpagne, du punch, & même de liqueurs plus chères. L’abus de ces boiſſons eſt plus rare qu’ailleurs, mais il n’eſt pas ſans exemple. Le délicieux ſpectacle de cette abondance, n’eſt jamais troublé par l’image affligeante de la mendicité. La Penſilvanie n’a pas un ſeul pauvre. Ceux que la naiſſance ou la fortune ont laiſſés ſans reſſource, ſont convenablement entretenus par le tréſor public.

La bienfaiſance va plus loin ; elle s’étend juſqu’à l’hoſpitalité la plus prévenante. Un voyageur peut s’arrêter par-tout, ſans crainte de cauſer d’autre peine que le regret de ſon départ.

La tyrannie des impôts ne vient pas flétrir, empoiſonner la félicité de la colonie. En 17665 ils ne s’élevoient pas au-deſſus de 280 140 livres. La plus part même deſtinés à fermer les plaies de la guerre, devoient ceſſer en 1772. Si, à cette époque, les peuples n’ont pas reçu ce ſoulagement, c’eſt que les irruptions des ſauvages ont occaſionné des dépenſes extraordinaires. On ſeroit conſolé de ce malheur, ſi, comme la juſtice le voudroit & comme les habitans le demandoient, on eût pu réduire la famille de Penn à contribuer aux charges publiques, dans les proportions du revenu qu’elle tire de la province.

Les Penſilvains, tranquilles poſſeſſeurs, libres uſufruitiers d’une terre qui récompenſe toujours leurs travaux, ne craignent pas de reproduire leur eſpèce. À peine trouveroit-on un célibataire dans la province. Le mariage en eſt plus doux & plus ſacré. Sa liberté, comme ſa ſainteté, dépend du choix des contractans : ils prennent le juge ou le prêtre, plutôt pour témoin que pour miniſtre de leur engagement. Deux amans y trouvent-ils quelque oppoſition dans leurs familles ? ils s’évadent enſemble à cheval : le garçon monte en croupe derrière ſa maîtreſſe ; & dans cette ſituation, ils vont ſe préſenter devant le magiſtrat. La fille déclare qu’elle a enlevé ſon amant, pour l’épouſer. On ne peut, ni ſe refuſer à ce vœu ſi formel, ni la troubler enſuite dans la poſſeſſion de ce qu’elle aime. À d’autres égards, l’autorité paternelle eſt exceſſive. Un chef de famille, dont les affaires ſe trouvent dérangées, a le droit d’engager ſes enfans à ſes créanciers : punition bien capable, ce ſemble, d’attacher un père tendre au ſoin de ſa fortune. L’homme fait, acquitte par un an de ſervice, une dette de 112 liv. 10 ſols. L’enfant au-deſſous de douze ans eſt obligé de ſervir juſqu’à vingt & un ans, pour la même ſomme. C’eſt une image des anciennes mœurs patriachales de l’Orient.

Quoiqu’il y ait des bourgs & même quelques villes dans la colonie, on peut dire que la plupart des habitans vivent iſolés dans leurs familles. Chaque propriétaire a ſa maiſon au centre d’une vaſte plantation, bien environnée de haies vives. Auſſi chaque paroiſſe de campagne ſe trouve-t-elle avoir douze ou quinze lieues de circonférence. À une ſi grande diſtance des égliſes, les cérémonies de religion ont peu d’influence. On ne préſente les enfans an baptême, que pluſieurs mois, & quelquefois un ou deux ans après leur naiſſance. Sans dogmatiſer, ſans diſputer ſur le culte, dans un pays où chaque ſecte a le ſien, on honore l’Être ſuprême par des vertus, plus que par des prières. L’innocence & l’inſcience gardent les mœurs, plus sûrement que des préceptes & des controverſes.

La religion ſemble réſerver toute ſa pompe pour les derniers honneurs que l’homme reçoit ſur la terre, avant d’être enfermé pour jamais dans ſon ſein. Auſſi-tôt qu’il eſt mort quelqu’un à la campagne, les plus proches voiſins ſont avertis du jour de ſon enterrement. Ceux-ci l’annoncent aux habitations limitrophes, & la nouvelle en eſt ainſi répandue au loin. Chaque famille au-moins envoie un de ſes membres, pour honorer le convoi funèbre. À meſure que les députés arrivent, on leur offre du punch & du gâteau. Lorſque l’aſſemblée eſt formée, on porte le cadavre dans le cimetière de ſa ſecte ; ou ſi le cimetière eſt trop éloigné, dans un champ de ſa famille. Le cortège eſt composé de quatre ou cinq cens perſonnes à cheval, qui gardent un ſilence, un recueillement, conformes à l’eſprit de la cérémonie qui les raſſemble. Une choſe qui paroitra ſingulière, c’eſt que les Penſilvains, ennemis du luxe pendant leur vie, oublient à la mort ce caractère de modeſtie. Tous veulent que les triſtes reſtes de leur exiſtence paſſagère, ſoient accompagnés d’une pompe proportionnée à leur état ou à leur fortune. On remarque, en général, que les peuples ſimples, vertueux, ſauvages même & pauvres, ſont attachés aux ſoins de la sépulture. C’eſt qu’ils regardent ces derniers honneurs comme des devoirs, & ces devoirs comme une portion du ſentiment d’amour, qui lie étroitement les familles dans l’état le plus voiſin de la nature. Ce n’eſt pas le mourant qui exige ces honneurs ; ce ſont les parens, une épouſe, des enfans, qui rendent ces devoirs à la cendre chérie d’un père ou d’un époux dignes d’être pleurés. Les convois funèbres ſont toujours plus nombreux dans les petites ſociétés que dans les grandes, parce que s’il y a moins de familles, elles ſont beaucoup plus étendues. Il y règne plus d’union, plus de force ; tous les moyens, tous les reſſorts y ſont plus actifs. C’eſt la raiſon pourquoi de petits peuples ont vaincu de grandes nations ; pourquoi les Grecs vinrent à bout des Perſes ; pourquoi les Corſes chaſſeront tôt ou tard les François de leur iſle.

Mais où la Penſilvanie puiſe-t-elle les ſources de ſa conſommation ? Comment trouve-t-elle les moyens d’y fournir ? Avec le lin & le chanvre qu’elle recueille de ſon ſol, avec les cotons qu’elle attire de l’Amérique Méridionale, elle fabrique une grande quantité de toiles communes ; avec les laines de ſes brebis, elle manufacture beaucoup de draps groſſiers. Ce que les diverſes branches de ſon induſtrie ne lui donnent pas, elle ſe le procure avec les produits de ſon territoire. Ses navigateurs portent aux iſles Angloiſes, Françoiſes, Hollandoiſes & Danoiſes, du biſcuit, des farines, du beurre, du fromage, des ſuifs, des légumes, des fruits, des viandes ſalées, du cidre, de la bière, toutes ſortes de bois de conſtruction. Ils reçoivent en échange, du coton, du ſucre, du café, de l’eau-de-vie, de l’argent, qui ſont autant de matières d’un nouveau commerce avec la métropole, d’autres colonies ou d’autres nations de l’Europe. Les Açores, Madère, les Canaries, l’Eſpagne, le Portugal, offrent un débouché avantageux aux grains & aux bois de la Penſilvanie, qu’ils achètent avec des vins & des piaſtres. La métropole reçoit du fer, du chanvre, des cuirs, des pelleteries, de la graine de lin, des vergues, des mâtures, & fournit du fil, des draps fins, du thé, des toiles d’Irlande ou des Indes, de la quincaillerie, d’autres objets d’agrément ou de néceſſité. Juſqu’ici cependant, le réſultat de tant d’opérations a été au déſavantage de la province, ſans qu’on puiſſe ni l’en blâmer, ni l’en plaindre. De quelque manière qu’on s’y prenne, c’eſt une néceſſité que les nouveaux états contractent des engagemens ; & celui qui nous occupe doit reſter endetté tout le tems que le progrès de ſes défrichemens exigera des avances plus conſidérables que leur produit. D’autres colonies, qui jouiſſent de quelques branches de commerce preſque excluſives, telles que le riz, le tabac, l’indigo, auroient pu acquérir aſſez rapidement des richeſſes. La Penſilvanie, qui fonde ſa fortune ſur la culture & ſur la multiplication des troupeaux, ne doit arriver que lentement à la proſpérité : mais cette proſpérité aura des fondemens plus sûrs & plus durables.

Si quelque choſe peut retarder les progrès de la colonie, c’eſt la manière irrégulière dont s’y forment les plantations. La famille Penn, propriétaire de toutes les terres, en accorde indifféremment par-tout & autant qu’on en demande, pourvu qu’on lui paie 112 livres 10 ſols par chaque centaine d’acres, & qu’on s’engage à une redevance annuelle de 22 ſols 6 deniers. Il arrive de-là que la province manque de cet enſemble, qui eſt néceſſaire en toutes choſes, & que ſes habitans épars ſont la victime du moindre ennemi, qui ne craint pas de les attaquer.

Les habitations ſont défrichées de différentes manières dans la colonie. Souvent un chaſſeur va ſe fixer au milieu ou tout auprès d’un bois. Ses plus proches voiſins l’aident à couper des arbres, & à les entaſſer les uns ſur les autres : c’eſt une maiſon. Aux environs, il cultive, ſans ſecours, un jardin & un champ, ſuffiſans pour ſa ſubſiſtance & pour celle de ſa famille.

Quelques années après les premiers travaux, arrivent de la métropole des hommes plus actifs que riches. Ils dédommagent le chaſſeur de ſes peines ; ils achètent du propriétaire de la province, des terres qui n’ont pas encore été payées ; ils bâtiſſent des demeures plus commodes, & étendent les défrichemens.

Enfin, des Allemands, que leur goût ou la persécution ont pouſſés dans le Nouveau-Monde, viennent mettre la dernière main à ces établiſſemens encore imparfaits. Les premiers & les ſeconds planteurs vont porter ailleurs leur induſtrie, avec des moyens de culture plus conſidérables qu’ils n’en avoient d’abord.

En 1769, les exportations de la Penſilvanie s’élevèrent à 13 164 439 l. 5 ſols 3 d. ; & elles ont depuis beaucoup plus conſidérablement augmenté dans cette colonie que dans aucune autre.