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Jean Chrysostome/Homélies sur la croix et le bon larron

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HOMÉLIES SUR LA CROIX ET LE BON LARRON.

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PREMIÈRE HOMÉLIE.

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Du second avènement du Christ ; – de la nécessité de prier souvent pour ses ennemis.

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

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Nous ferons ici les mêmes remarques que pour les homélies sur la trahison de Judas. Saint Jean Chrysostome prononça d’abord une de ces homélies un jour de vendredi saint, puis, quelques années plus tard, ayant à prêcher à pareil jour, il la donna de nouveau après l’avoir retouchée et un peu modifiée dans certains endroits, mais surtout au commencement. – non seulement on remarque la même disposition, mais le plus souvent les expressions ne sont pas changées et les passages de la sainte Écriture sont cités dans le même ordre dans les deux homélies. Laquelle fut prononcée la première ? C’est ce que rien ne fait conjecturer. Celle que nous donnons ici en premier lieu, d’après Henri Savilius, est de beaucoup la plus courte. Autrement elles sont absolument semblables, à une seule exception prés. C’est un passage qu’on lit au paragraphe 5 et qui dans l’une est ainsi conçu : Imitons le Seigneur et prions pour nos ennemis ; je vous répète la même exhortation et pour la cinquième fois je reviens sur le même sujet. Tandis que dans l’autre on lit : Imitons le Seigneur et prions pour nos ennemis ; je vous répète aujourd’hui ce que je vous ai dit hier, à cause de l’importance du sujet.
Dans la première il parlait pour la cinquième fois de la prière pour ses ennemis ; dans la seconde, c’était pour la seconde fois. Cette variété s’explique facilement par la différence des années où ces homélies furent prononcées. Remarquons aussi que ces paroles : Je vous répète aujourd’hui ce que je vous ai dit hier, ne prouvent nullement que le même sujet n’avait pas été traité les jours précédents.
Dans les deux discours sur la trahison de Judas, qui précédent d’un seul jour ceux sur la croix et le bon larron, saint Chrysostome s’exprime ainsi : C’est le quatrième jour que je vous entretiens de la prière pour nos ennemis, Or, ces deux discours furent prononcés le jeudi saint, mais à plusieurs années d’intervalle, comme nous l’avons dit dans l’avertissement qui les précède. Dans tous les deux il est dit que c’est pour la quatrième fois qu’on exhortait à prier pour ses ennemis, tandis que, dans les deux suivantes, c’était pour la cinquième fois. A moins qu’on ne prétende que l’homélie sur la croix, où il n’est fait mention que de l’exhortation de la veille, ne doive suivre ni l’une ni l’autre des homélies sur la trahison de Judas, auquel cas il faudrait la reporter à une autre année.
Mais nous n’oserions regarder comme certaine cette manière de juger. Pour le temps et l’année où ces deux homélies ont été prononcées il faut voir ce que nous avons dit à propos de celles sur la trahison de Judas.
1° Saint Jean Chrysostome fait voir l’excellence de la croix : elle a été l’autel où Notre-Seigneur a consommé son sacrifice, elle nous a ouvert le ciel. – 2° Tout notre bonheur vient donc de la croix, de ce nouvel autel où Jésus-Christ, prêtre selon l’esprit et victime selon la chair, s’est immolé pour nous, de cette clef, qui dès le jour même ouvrit le paradis, afin qu’un voleur y entrât le premier. – 3° Il s’étend beaucoup sur la conduite du bon larron dont il relève le courage et la foi.— 4° Il dit de la croix qu’elle paraîtra au dernier jour portée par les anges et les archanges et plus éclatante que le soleil.
5° Passant à la nécessité de prier pour ses ennemis il exhorte les chrétiens à imiter le Sauveur qui pria pour ses ennemis, et à se conformer à l’avertissement de saint Paul qui nous dit d’être ses imitateurs comme il l’est lui-même de Jésus-Christ. – Il y a plus ; dans la loi ancienne où la grâce était moins abondante, Moïse, David et Samuel ont prié pour leurs ennemis. – Marchons donc sur leurs traces.
1. Aujourd’hui Notre-Seigneur Jésus-Christ est sur la croix, et nous sommes en fête pour vous apprendre que la croix est un sujet de fête et de réjouissance spirituelle. Autrefois, la croix était le symbole de la condamnation maintenant elle est devenue un signe d’honneur. Auparavant c’était un instrument de mort, aujourd’hui c’est la cause du salut. En effet, elle a été pour nous la source de biens innombrables : c’est elle qui nous a délivrés de l’erreur, qui nous a éclairés alors que nous étions dans les ténèbres ; vaincus par le démon, elle nous a réconciliés avec Dieu ; ennemis, elle nous a rendus amis ; éloignés, elle nous a rapprochés. Elle est la destruction de l’inimitié, la garantie de la paix, et le trésor de tous les biens. Grâce à elle, nous n’errons plus dans les déserts, car nous connaissons la véritable voie ; nous n’habitons plus hors du royaume, nous avons trouvé la porte, nous ne craignons plus les traits enflammés du démon, nous avons aperçu une source rafraîchissante. Par la croix, nous ne sommes plus dans le veuvage, nous avons reçu l’Époux, nous ne redoutons pas le loup, nous avons le bon Pasteur : Je suis le bon Pasteur, dit-il. (Jn. 10,11) Par elle nous ne craignons pas le tyran, nous sommes à côté du roi, et voilà pourquoi nous sommes en fête en célébrant la mémoire de la croix. De même autrefois saint Paul ordonna de solenniser la fête de la croix : Célébrons celte fête, dit-il, non avec le vieux levain, mais avec les pains sans levain de la sincérité et de la vérité. (1Co. 5,8) Et pour donner les motifs de son exhortation il ajoute : Parce que le Christ, notre pâque, a été immolé pour nous. Voyez-vous pourquoi il ordonne de célébrer une fête à cause de la croix ? C’est parce que le Christ a été immolé sur la croix ; parce que là où est le sacrifice, là aussi se trouve l’abolition des péchés, là aussi la réconciliation avec le Seigneur, là enfin la fête et la joie : Le Christ, notre pâque, a été immolé pour nous. Où, je vous le demande, a-t-il été immolé ? sur un gibet élevé. L’autel de ce sacrifice est nouveau, parce que le sacrifice lui-même est nouveau et prodigieux. Le même Christ était prêtre et victime : victime selon la chair, prêtre selon l’esprit. Il offrait et il était offert selon la chair.
Apprenez comment saint Paul annonce ces deux choses : Tout pontife, dit-il, est pris d’entre les hommes et est établi pour les hommes ; c’est pourquoi il est nécessaire qu’il ait quelque chose qu’il puisse offrir. Notre-Seigneur s’offre lui-même. (Heb. 6,1 ; 8, 3) Ailleurs encore il dit : Jésus-Christ a été offert une fois pour effacer les péchés de plusieurs, et la seconde fois il apparaîtra pour le salut de ceux qui l’attendent. (Heb. 9,28) Il a été offert d’abord, puis il s’est offert. Voyez-vous comment il a été victime et prêtre, et comment la croix a été son autel ? Et pourquoi, direz-vous, la victime est-elle offerte hors de la ville et des murailles et non dans le temple ? C’était pour l’accomplissement de cette parole : Il a été mis au nombre des scélérats. (Isa. 53,12) Pourquoi est-elle immolée sur un gibet élevé et non sous un toit ? Pour purifier l’air : c’est la raison par laquelle il choisit un lieu élevé d’où il ne soit pas dominé par un toit, mais par le ciel seul. L’air était purifié, puisque l’agneau était immolé en haut lieu, la terre l’était également, car elle était arrosée par le sang qui coulait de son côté. Il ne voulut pas être sous un toit ni dans le temple des Juifs, dans la crainte que ces derniers ne s’appropriassent exclusivement cette victime, et qu’on ne crût qu’elle était offerte seulement pour leur nation. Ce fut en dehors de la ville et des murailles, pour nous apprendre que c’était un sacrifice universel, une oblation pour la terre entière ; enfin, une purification générale et non particulière comme celle qui avait lieu chez les Juifs. Dieu ordonna aux Juifs de venir de tous les points de la terre pour lui offrir des victimes et des prières dans un seul lieu, parce que toute la terre était souillée par la fumée, l’odeur et toutes les autres impuretés des sacrifices des païens répandus à sa surface. Nous, au contraire, nous pouvons prier en tout lieu depuis que le Christ par sa venue a purifié l’univers. C’est pourquoi saint Paul exhortait en ces termes les fidèles à prier partout sans crainte : Je veux que les hommes prient en tout lieu, levant des mains pures. (1Ti. 2,8) Comprenez-vous que l’univers a été purifié, puisqu’en tout lieu on peut lever des maint ;, pures ? que toute la terre a été sanctifiée, et rendue plus sainte que n’était l’intérieur des temples, puisqu’on n’y offrait qu’un animal, saris intelligence, tandis que nous avons une victime spirituelle. – Or, la sanctification est d’autant plus complète que le sacrifice est d’un plus grand prix.
De là la solennité de la croix.
2. Voulez-vous connaître un autre effet remarquable de la Croix ? Elle nous a ouvert en ce jour le paradis fermé depuis cinq mille ans et plus : car c’est en ce jour, à cette heure, que Dieu y a introduit le bon larron, nous apprenant ainsi deux choses bien importantes, savoir, que le ciel était ouvert et qu’un larron y avait été reçu. Aujourd’hui le Seigneur nous a rendu notre antique patrie, aujourd’hui, il nous a ramenés dans la cité de nos pères et il a ouvert un asile à toute la nature humaine. Aujourd’hui, dit-il, tu seras avec moi en paradis. (Luc. 23,43) Que dites-vous, ô mon Sauveur ? Vous êtes crucifié, attaché avec des clous, et vous promettez le paradis ? Sans doute, nous répond-il, car je veux vous apprendre quelle puissance j’ai sur la croix. Pour vous distraire du triste spectacle de la croix par la puissance du Crucifié, il opère sur la croix même ce miracle qui manifeste le plus sa vertu surnaturelle. Ce n’est pas en ressuscitant les morts, en commandant aux vents et à la mer, en mettant en fuite les démons, mais sur la croix, alors qu’il était percé de clous, couvert d’outrages, de crachats, d’insultes, accablé d’opprobres, qu’il peut changer l’âme perverse du larron ; et afin que de toutes parts éclatât sa puissance, il ébranlait en même temps la nature entière, il brisait les rochers, il attirait et glorifiait l’âme du bon larron plus dure que la pierre, car il lui dit : Aujourd’hui tu seras avec moi en paradis. – Sans doute les chérubins gardaient le paradis, mais il est le maître des chérubins ; ils étaient armés d’un glaive de feu, mais il a tout pouvoir sur le feu et sur l’enfer, sur la vie et sur la mort. A-t-on jamais vu un roi permettre à un voleur ou à tout autre de ses serviteurs de s’asseoir à ses côtés pour entrer dans sa ville ? Le Christ l’a fait et en entrant dans la Patrie sainte, il introduit un voleur à ses côtés. N’allez pas croire que par cet acte il ait méprisé le paradis, il l’ait déshonoré par les pas de ce voleur ; au contraire, il l’a honoré, car c’est une gloire de plus pour le ciel d’appartenir à un Maître qui puisse rendre un voleur digne du bonheur qu’on y goûte. Et lorsqu’il introduisait les publicains et les femmes pécheresses dans le royaume des cieux, ce n’était point un déshonneur mais bien une gloire pour ce royaume, car il montrait ainsi que le Maître de ce royaume était si puissant qu’il pouvait changer les publicains et les femmes pécheresses au point de les rendre dignes d’une telle gloire et d’une telle récompense. Car, de même que nous admirons surtout un médecin lorsque nous le voyons rendre la santé à des hommes atteints de maladies incurables, ainsi est-il juste d’admirer Notre-Seigneur quand il guérit des blessures désespérées, quand il ramène le publicain et la femme pécheresse à un tel état de santé spirituelle qu’ils sont trouvés dignes du ciel.
Mais, me demandez-vous, qu’a donc fait de si grand le larron pour passer instantanément de la croix dans le ciel ? Je vais vous démontrer en peu de mots son mérite. Tandis que Pierre reniait au pied de la croix, lui confessait sur la croix, ce que je dis, non pour accuser saint Pierre, Dieu m’en garde ! mais pour vous donner une preuve de la vertu du larron. Le disciple ne résiste pas aux menaces d’une jeune fille sans importance, le voleur, au contraire, à la vue de tout le peuple qui l’environne en criant, en lançant les blasphèmes, les insultes, ne s’émeut pas, ne songe pas au déshonneur actuel du Crucifié, mais s’élevant plus haut avec les yeux de la foi, il ne fait nulle attention à ces vils obstacles, il reconnaît le Maître des cieux et se prosternant en esprit devant lui il disait : Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez dans votre royaume. (Luc. 23,42) Ne nous hâtons pas trop de quitter ce voleur et ne rougissons pas de nous instruire à l’école de celui que Notre-Seigneur ne rougit pas d’introduire le premier dans le ciel. N’ayons pas honte de prendre pour maître celui qui avant toutes les autres créatures terrestres parut digne de la cité du ciel, mais faisons ressortir avec soin tous les détails de sa conduite, afin d’apprendre la vertu de la croix. Le Seigneur ne lui dit point comme à Pierre : Viens à ma suite et je te ferai pêcheur d’hommes. (Mat. 4, 19) Il ne lui dit pas comme aux douze : Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël. (Mat. 19,28) Il ne l’honora pas même d’une parole. Il ne lui montra pas de miracles, il ne lui fit pas voir les morts ressuscités, les démons mis en fuite, la mer soumise, il ne lui parla ni du royaume des cieux ni de l’enfer, et cependant il le confessa avant tous les autres, malgré les insultes de son compagnon. L’autre voleur, en effet, insultait le Sauveur, c’est qu’il y avait encore un voleur crucifié avec Notre-Seigneur, afin que fût accomplie cette parole : Il a été mis au rang des scélérats. (Isa. 53,12) Les Juifs voulaient ainsi obscurcir sa gloire et ils l’insultaient dans tout ce qu’ils faisaient, mais la vérité brillait de toutes parts et les obstacles ne servaient qu’à la rendre plus éclatante. Donc, l’autre voleur insultait. Voyez-vus ces deux voleurs ? Tous deux sont sur la croix, tous deux pour leurs brigandages, tous deux pour leurs crimes. Mais tous deux n’atteignent pas la même fin. L’un a reçu en héritage le royaume des cieux, l’autre a été précipité en enfer. C’est ainsi qu’hier déjà nous distinguions le disciple et les disciples, Judas et les onze. Ces derniers disaient ; Où voulez-vous que nous préparions ce qu’il faut pour manger la pâque? Judas au contraire se disposait à trahir et disait : Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai. Les uns se préparaient à servir et à être initiés aux saints mystères, l’autre avait hâte de trahir son Maître. De même aujourd’hui, nous voyons deux voleurs, mais l’un insulte, l’autre adore, le premier blasphème, celui-ci bénit et il reprend le blasphémateur en ces termes : Tu ne crains donc pas Dieu ? Car nous souffrons la peine que nos crimes ont méritée. (Luc. 23,40-41)
3. Avez-vous vu la foi du bon larron ? Avez-vous remarqué sa foi sur la croix, sa sagesse dans le supplice, sa piété dans les tourments ? Qui ne s’étonnerait de voir qu’il a conservé sa présence d’esprit, qu’il ne s’est pas évanoui étant percé de clous ? non seulement il se possédait parfaitement, mais oubliant ses propres intérêts il s’occupait des affaires des autres, enseignant sur la croix et réprimandant en ces termes : Ne crains-tu donc pas Dieu. Ne t’arrête pas, dit-il à son compagnon, à ce tribunal de la terre, il est un autre juge invisible, un tribunal inaccessible à la corruption. Ne sois pas troublé de ce que cet homme a été condamné ici-bas, les jugements de Dieu diffèrent de ceux-ci. A ce tribunal terrestre, les justes sont quelquefois condamnés et les méchants échappent au châtiment, les coupables sont absous et les innocents dévoués au supplice. C’est que les juges ont beau faire, ils se trompent souvent, et souvent aussi, soit surprise et ignorance du bon droit, soit avec connaissance de cause, parce qu’ils étaient gagnés par argent, ils ont trahi la justice. Là haut, il n’en est pas ainsi, car Dieu est juste juge et son jugement paraîtra comme la lumière sans que les ténèbres ou l’ignorance puissent l’obscurcir. Ainsi, dans la crainte qu’il ne lui objectât la condamnation qui pesait sur le Sauveur, il le conduisit au tribunal du souverain juge, lui rappelant ce tribunal redoutable, comme s’il lui eût dit : « Regarde plus haut et tu ne seras pas ému par ce qui vient de se passer, tu ne seras plus ici-bas avec des juges corrompus ; mais tu en appelleras avec confiance au jugement d’en-haut. » Quel raisonnement chez ce voleur ? Quelle prudence ? Quelle sagesse ? Aussitôt il passa de la croix dans le ciel. Puis, afin de fermer la bouche à son compagnon par un argument sans réplique, il lui disait : Ne crains-tu donc pas Dieu ? Car nous sommes sous le poids de la même condamnation. (Luc. 23,40) Comment cela ? Nous sommes en effet livrés au même supplice. N’es-tu pas toi aussi sur la croix ? Lors donc que tu l’insultes, c’est toi-même que tu attaques. De même que celui qui est en faute s’accuse le premier en accusant ceux qui sont dans le même cas que lui, ainsi celui qui est dans le malheur se condamne en faisant aux autres un crime de leur infortune. Car nous sommes sous le poids de la même condamnation. Et lui lit la loi de l’apôtre exprimée par ces paroles de l’Évangile : Ne jugez pas afin que vous ne soyez point jugés. (Mat. 7,1) Car nous sommes sous le poids de la même condamnation. Que fais-tu, ô larron ? En t’efforçant de plaider la cause du Sauveur ne te rends-tu pas complice des insultes de ton compagnon ? Non, nous répondil ; ce qui suit ne laisse pas de doute à cet égard ; car dans la crainte qu’on ne s’imagine que de la parité du supplice il conclut à la parité des fautes, il rectifie ainsi ses premières paroles : Nous du moins, nous sommes punis justement, puisque nous souffrons la peine que nos crimes ont méritée. (Luc. 23,41) Voyez-vous la confession parfaite ? Voyez-vous comment sur la croix il s’est déchargé de ses fautes ? Car il est écrit : Commence par confesser toi-même tes fautes afin que tu sois justifié. (Isa. 43,26) Personne ne l’a forcé, personne ne lui a fait violence, mais il s’est fait connaître volontairement en disant : Nous du moins nous sommes punis justement, puisque nous souffrons la peine que nos crimes ont méritée ; mais lui n’a fait aucun mal (Luc. 23,41-42), et il ajoute ensuite : Souvenez-vous de moi, Seigneur, dans votre royaume. Il n’a pas osé dire : Souvenez-vous de moi dans votre royaume avant d’avoir déposé par la confession, le fardeau de ses péchés. Comprenez-vous maintenant le prix de la confession ? Le larron se confessa et il ouvrit le ciel ; il se confessa et il acquit une telle confiance qu’ayant à peine cessé d’être voleur il demanda le ciel. De quels biens la croix n’a-t-elle pas été pour nous la source ? Vous prétendez à un royaume, mais qu’est-ce qui l’indique ? Des clous, une croix, voilà ce qui nous apparaît ; mais cette croix est désormais un signe de royauté. J’appelle Jésus-Christ roi, parce que je le vois crucifié car c’est le propre d’un roi de mourir pour ses sujets. Lui-même a dit : Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (Jn. 10,11), donc aussi le bon roi donne sa vie pour ses sujets. Et parce qu’il a donné sa vie, je l’appelle roi. Souvenez-vous de moi, Seigneur, dans votre royaume.
4. Voyez-vous comment la croix est le symbole de la royauté ? En voulez-vous d’autres preuves ? Le Sauveur ne la laissa pas sur la terre, mais il l’emporta avec lui et la plaça dans le ciel. D’où tirons-nous cette conclusion ? De ce qu’il viendra avec elle dans son second et glorieux avènement pour nous apprendre combien la croix est honorable. C’est pourquoi il l’a appelée du nom de gloire. Mais voyons comment il viendra avec la croix, car il est nécessaire de vous l’expliquer. Si on vous dit : Voici le Christ dans le lieu le plus retiré de la maison, le voilà dans le désert, n’y allez pas (Mat. 24,26), parlant ainsi de son second et glorieux avènement à cause des faux christs et des faux prophètes, à cause de l’antéchrist, de peur qu’on ne se laisse séduire par lui. Comme l’antéchrist doit venir avant le Christ, il ne faut pas qu’en cherchant le pasteur on tombe sur le loup, voilà pourquoi on vous donne un signe de (arrivée du pasteur. De ce que le premier avènement fut secret, il ne voulait pas nous laisser conclure qu’il en serait de même du second, c’est pourquoi il nous a donné ce signe. Ce fut avec raison que le premier avènement fut caché, car il s’agissait de rechercher ce qui avait péri : dans le second il n’y a rien de semblable. Comment, je vous prie ? Comme la foudre part de l’Orient et apparaît en Occident, ainsi en sera-t-il de l’arrivée du Fils de l’homme. Sur-le-champ il apparaîtra aux yeux de tous et personne n’aura besoin de demander si le Christ est ici ou là ? Quand la foudre brille il n’est pas nécessaire de s’informer si c’est bien elle, ainsi à l’arrivée du Christ il ne sera pas besoin de demander s’il est venu. Mais ce que nous voulons savoir, c’est si le Christ viendra avec sa croix, car nous n’avons pas oublié ce que nous avons promis de vous démontrer. Écoutez donc ce qui suit : Alors, dit-il, alors, quand cela ? Lorsque le Fils de l’homme viendra, le soleil s’obscurcira et la lune ne donnera plus sa clarté. Il y aura en effet une telle abondance de lumière que les étoiles les plus brillantes seront obscurcies. Alors les étoiles tomberont, alors l’étendard du Fils de l’homme apparaîtra dans le ciel. Quelle vertu de l’étendard de la croix ! Le soleil sera obscurci et la lune ne paraîtra plus, mais la croix apparaît et brille pour nous apprendre qu’elle est plus éclatante que le soleil et que la lune. Et de même qu’à l’entrée d’un roi dans une ville, ses soldats marchent en avant portant sur leurs épaules ses étendards, pour annoncer qu’il s’avance, ainsi quand le Seigneur descendra des cieux il sera précédé par la multitude des anges et des archanges, portant, eux aussi sur leurs épaules, les étendards de leur roi et nous annonçant d’avance son approche : Alors les vertus des cieux seront ébranlées. Il s’agit des anges ; ils seront saisis de frayeur et d’une grande crainte. Et pourquoi, je vous le demande ? C’est que ce jugement sera terrible. Car toute la nature humaine doit être jugée et comparaître devant ce juge redoutable. Mais pourquoi cette crainte et cette terreur des anges, puisqu’ils ne doivent pas être jugés ! Quand un juge siège à son tribunal, non seulement les coupables, mais les soldats qui lui font cortège, malgré leur innocence, sont saisis de crainte et d’effroi en présence de la Majesté du juge ; ainsi lorsque notre nature sera jugée, les anges, malgré leur pureté, craindront à cause de l’extrême frayeur qu’inspirera le juge. Mais pourquoi la croix apparaîtra-t-elle alors ? Pourquoi Notre-Seigneur viendra-t-il avec elle ? – Afin que ceux qui l’ont crucifié reconnaissent leur ingratitude et leur malice, il leur fournira la preuve de leur impudence. Et si vous doutez qu’il doive en être ainsi, écoutez le prophète : Alors les tribus de la terre pleureront en voyant leur accusateur et en reconnaissant leur péché. Et pourquoi s’étonner qu’il vienne avec sa croix, puisqu’il doit montrer alors ses blessures : car il est écrit : Ils verront celui qu’ils ont percé. (Zac. 12,10) De même que pour vaincre l’incrédulité de son disciple, il montra à Thomas la marque des clous et ses blessures en disant : Porte ici ta main et considère qu’un esprit n’a ni chair ni os (Jn. 20,27 ; Luc. 24,39) ; ainsi montrera-t-il alors ses blessures et sa croix pour prouver que c’est bien lui qui a été crucifié.
5. Ce n’est pas seulement la croix, mais les paroles prononcées sur cette croix, qui nous montrent une immense bonté. En effet, crucifié, bafoué, moqué, conspué, il disait : Père, pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu’ils font. (Luc. 23,34) Et crucifié il prie pour ses bourreaux, tandis qu’on lui répond : Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix et nous croirons en toi. (Mat. 27,40 et 42) Mais précisément parce qu’il est Fils de Dieu, il ne descendit pas de la croix et c’est pour cela encore qu’il est venu afin d’être crucifié pour nous : Descends de la croix, lui disent-ils, et nous croirons en toi. – Vains prétextes d’incrédulité. Car il était beaucoup plus difficile de sortir d’un tombeau scellé par une pierre que de descendre de la croix ; c’était beaucoup plus de tirer du sépulcre Lazare mort depuis quatre jours et enveloppé d’un linceul, que de descendre de la croix. – Ils disaient donc : Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même; mais il était tout entier au salut de ceux-là même qui le chargeaient d’insultes, et il disait : Pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu’ils font. (Luc. 23,34) Quoi donc ? Les a-t-il absous de leur péché ? Il l’aurait fait s’ils eussent voulu faire pénitence. La preuve, c’est que s’il n’eût pas pardonné leur péché, jamais Paul n’eût été apôtre. S’il n’eût pas pardonné leur péché, on n’en aurait pas vu et trois mille, et cinq mille et plusieurs milliers d’autres venir à la foi. Au sujet de ces milliers de Juifs qui ont cru, écoutez ce que les autres apôtres disent à Paul : Vous voyez, frère, combien de milliers de Juifs ont cru. (Act. 21,20)
Imitons donc le Seigneur et prions pour nos ennemis. Je reviens à la même recommandation et c’est le cinquième jour que je vous entretiens du même sujet, non que je veuille vous accuser de désobéissance, Dieu m’en garde ! mais dans l’espérance que vous vous rendrez à mes avis. S’il y en a parmi vous qui soient durs, colères, rancuniers au point de n’avoir pas tenu compte jusqu’ici de ce que nous avons dit de la prière pour nos ennemis, nous espérons que, touchés du nombre de jours que nous avons employés à ce sujet, ils déposeront leurs inimitiés et leurs haines. Imitez le Seigneur. Il a été crucifié et il a invoqué son Père pour ceux qui le crucifiaient. Mais, direz-vous, comment puis-je imiter le Seigneur ? Vous le pouvez, si vous voulez, car si la chose était au-dessus de vos forces il ne vous aurait pas dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. (Mat. 11,29) Si la chose était au-dessus de vos forces, saint Paul ne vous crierait pas : Soyez mes imitateurs, comme je suis celui du Christ. (1Co. 11,1) Si vous ne voulez pas imiter le Seigneur, imitez au moins votre semblable, l’apôtre saint Étienne ; car il a imité le Seigneur celui-là ! Et de même que le Christ au milieu de ses bourreaux, oubliant la croix, oubliant ses propres intérêts, priait son Père pour ceux qui le crucifiaient ; ainsi le serviteur, entouré de ceux qui le lapidaient, attaqué de toutes parts, exposé aux pierres sans songer à la douleur dont il était accablé, disait : Seigneur, ne leur imputez pas ce péché. (Act. 7,59) Voyez-vous comment parle le Maître ? comment prie le serviteur ? Le premier dit : Père, pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu’ils font. (Luc. 23,34) Le second, de son côté : Ne leur imputez point ce péché. – Et pour nous convaincre de l’ardeur avec laquelle il prie, il n’est pas debout, quoique accablé de pierres, mais il se tient à genoux, avec componction et une grande compassion. Faut-il vous montrer un autre de vos frères souffrant des tourments encore bien plus graves que celui-là ? Écoutez Paul : Trois fois j’ai été battu de verges par les Juifs, j’ai été lapidé une fois, j’ai passé un jour et une nuit au fond de la mer. (2Co. 11,24-25) Et ensuite : Je souhaitais, continue-t-il, d’être anathème pour mes frères, mes parents selon la chair. (Rom. 9,3) Mais laissons le Nouveau Testament, et passons à l’Ancien. Les exemples qu’il nous fournit sont d’autant plus admirables qu’il n’y était pas ordonné d’aimer ses ennemis, mais qu’il était permis d’appliquer la maxime : Œil pour œil, dent pour dent (Exo. 21,24-25), et ainsi de rendre le mal pour le mal. Nous y trouvons néanmoins une perfection qui égale celle des apôtres. Écoutez Moïse si souvent lapidé et méprisé par les Juifs : Si vous leur pardonnez leur faute, faites-moi miséricorde, mais si vous ne leur pardonnez pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit. (Exo. 32,31-32) Voyez-vous comment ces justes préfèrent le salut des autres à leur propre salut. Ils n’ont pas péché et ils veulent partager le châtiment de leurs frères, parce que, disent-ils, le malheur des autres ne leur permet pas de jouir de leur prospérité. Ces exemples devraient suffire, mais afin que le grand nombre nous force à nous corriger, j’en produirai un autre qui est dans le même sens. David, cet homme heureux et bon, avait été abandonné par son armée, qui, sous la conduite de son fils Absalon, cherchait à le faire mourir. Le Seigneur, irrité de cet acte de révolte (qu’importe un autre motif?) envoie son ange armé d’un glaive vengeur pour infliger un châtiment céleste, et alors quand David voit ce malheureux succomber, il s’écrie : C’est moi le pasteur qui ai péché, c’est moi qui suis le coupable. Que votre main, je vous en prie, se tourne contre moi et contre la maison de mon père. (2Sa. 24,17)
Voyez-vous ces actes de vertu de l’Ancien Testament si semblables à ceux du Nouveau ? Vous faut-il un dernier exemple du même genre ? Je ne serai pas embarrassé pour le trouver. Ce sera Samuel, ce prophète accablé d’outrages par les Juifs, haï, méprisé, au point que Dieu lui-même disait pour le consoler : Ce n’est pas toi, mais moi-même qu’ils ont méprisé. (1Sa. 8,7) Que disait-il au milieu de ces mépris, de ces haines et de ces outrages ? Dieu me préserve de commettre la faute de ne plus prier pour vous le Seigneur. (1Sa. 3, 23) Il regardait comme un péché de ne pas prier pour ses ennemis : Dieu me garde de faire la faute de ne plus prier pour vous. Le Christ dit : Père, pardonnez leur péché, car ils ne savent ce qu’ils font (Luc. 23,34) ; Étienne : Seigneur ne leur imputez point ce péché (Act. 7,59) ; Paul : Je souhaitais d’être anathème pour mes frères, mes parents selon la chair (Rom. 9,3) ; Moïse : Si vous leur pardonnez leur faute, faites-moi miséricorde, sinon effacez-moi du livre que vous avez écrit (Exo. 32,31-33) ; David : Que votre main s’appesantisse sur moi et sur la maison de mon père (1Ro. 24,17) ; Samuel : Dieu me garde de faire la faute de ne plus prier pour vous (1Sa. 12,23)
Quel pardon pourrons-nous donc espérer, si, après que le Seigneur et ses serviteurs, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, nous exhortent à prier pour nos ennemis, nous prions au contraire contre nos ennemis. N’agissons pas ainsi, mes Frères, je vous en conjure, car plus les exemples sont nombreux, plus nous serons punis si nous ne les suivons pas. Il est plus avantageux de prier pour ses ennemis que pour ses amis, cardans le second cas il y a moins à gagner que dans le premier : En effet, si vous chérissez seulement ceux qui vous aiment, vous ne faites rien de bien grand, car les publicains en font autant (Mat. 5,46) Donc, si nous prions pour nos amis seulement, nous ne sommes pas encore au-dessus des païens et des publicains. Mais lorsque nous aimons nos ennemis, nous devenons, autant que notre nature nous le permet, semblables à Dieu : Qui fait luire son soleil sur les méchants et sur les bons, et qui répand sa rosée sur le champ du coupable comme sur celui du juste. (Mat. 5,45) Soyons donc semblables au Père, car il nous dit lui-même d’être parfaits comme notre Père qui est dans les cieux, afin que nous méritions d’acquérir le royaume des cieux, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Dieu et Sauveur, Jésus-Christ à lui gloire et empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. l’abbé GAGEY, curé de Millery.

HOMÉLIES SUR LA CROIX ET LE BON LARRON [1].

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DEUXIÈME HOMÉLIE.

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ANALYSE.

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Dans cette homélie, l’orateur, après avoir détaillé rapidement tous les bienfaits de la croix, et montré pourquoi Jésus-Christ, victime de la nouvelle alliance, a été immolé hors des murs de Jérusalem, parle du bon larron, dont il exalte le mérite en commentant toutes ses paroles, et dont il vaille la confession généreuse pour motiver le prix glorieux dont Jésus-Christ la paye. – Il prouve que Jésus-Christ, dans les derniers jours, paraîtra avec sa croix ; il exhorte, en finissant, les fidèles à pardonner à leurs ennemis ; il les y exhorte par l’exemple du Sauveur, et par celui de plusieurs saints tant de l’ancien que du Nouveau Testament. Cette homélie a dû être prononcée le vendredi saint même ; le lendemain de celle sur la trahison de Judas.
1. Nous célébrons dans ce jour une fête solennelle, mes très-chers frères, dans ce jour où Notre-Seigneur est mort, attaché à la croix. Et ne soyez pas étonnés que nous nous réjouissions d’un événement qui semble aussi triste ; les choses spirituelles sont toujours en contradiction avec nos idées charnelles. Pour vous convaincre de ce que je dis, la croix, qui auparavant était un titre de condamnation et de supplice, est devenue un objet précieux et désirable. La croix, qui auparavant était un sujet de honte et d’opprobre, est devenue une source de gloire et d’honneur. Jésus-Christ lui-même nous apprend que la croix est un titre de gloire : Mon Père, dit-il, glorifiez-moi, comme j’étais glorifié dans votre sein avant que le monde existât. (Jn. 17,5) Il appelle la croix un titre de gloire. La croix est le principe de notre salut, la source d’une infinité de biens. Par elle, nous sommes admis au nombre des enfants, nous qui auparavant étions rejetés et avilis. Par elle, nous ne sommes plus livrés à l’erreur, mais nous connaissons la vérité. Par elle, nous qui adorions le bois et la pierre, nous reconnaissons le Maître et le Créateur du monde. Par elle, nous qui étions esclaves du péché, nous sommes élevés à la liberté de la justice. Par elle, la terre désormais est devenue le ciel. La croix nous a affranchis de nos erreurs, elle nous a conduits à la vérité, elle a réconcilié l’homme avec Dieu, elle nous a arrachés de l’abîme du vice pour nous porter au comble de la vertu. Elle a détruit les ruses du serpent antique, et nous a ramenés de l’égarement où il nous avait jetés. Par elle, les temples ne sont plus remplis de la fumée et de l’odeur des victimes : on n’y voit plus couler le sang des animaux ; mais partout domine un culte spirituel, partout retentissent des hymnes et des prières. Grâce à la croix, les démons sont mis en fuite. Grâce à la croix, la nature humaine le dispute à la condition angélique. Grâce à la croix, la virginité habite sur la terre ; car depuis qu’un Dieu né d’une vierge a parti' dans le monde, l’homme a connu la pratique de cette vertu. Nous étions assis dans les ténèbres, la croix nous a éclairés ; nous étions ennemis, elle nous a réconciliés ; nous étions éloignés de Dieu, elle nous en a rapprochés ; nous avions encouru sa haine, elle nous a rendu son amour ; nous étions étrangers, elle nous a fait citoyens du ciel. Elle a fait cesser pour nous la guerre, et nous a assuré la paix. Par elle, nous ne craignons plus les traits enflammés du démon, parce que nous avons trouvé la source de la vie. Par elle, nous ne gémissons plus dans une triste viduité, parce que nous avons recouvré l’Epoux. Par elle, nous n’appréhendons plus le loup cruel, parce que nous avons connu le bon Pasteur : Je suis, dit Jésus-Christ, le bon Pasteur. (Jn. 10,11) Par elle, nous ne redoutons plus le tyran, parce que nous sommes accourus au Prince légitime. Vous voyez de quels biens la croix est pour nous le principe. C’est donc avec raison que nous célébrons ce jour comme un jour de fête. Et c’est à quoi nous exhorte l’apôtre saint Paul. Célébrons la fête, dit-il, non avec l’ancien levain, avec le levain de la perversité et de la malice, mais dans les azymes de la sincérité et de la vérité. (1Cor. 5,8) Et pourquoi, bienheureux Paul, nous exhortez-vous à nous réjouir comme dans un jour de fête. Dites-nous-en la raison. C’est que le Fils de Dieu, notre pâque, a été immolé pour nous. Vous voyez une fête véritable dans le mystère de la croix : vous comprenez pourquoi l’Apôtre nous exhorte à en célébrer la fête. Jésus-Christ a été immolé sur la croix ; or, partout où il y a sacrifice, il y a rémission des péchés, il y a réconciliation avec le Seigneur, il y a fête et allégresse.
Jésus-Christ, notre pâque, dit l’Apôtre, a été immolé pour nous. (1Co. 5,7) Et où a-t-il été immolé ? sur la croix. L’autel est extraordinaire et nouveau, parce que le sacrifice n’est pas ordinaire, et ne ressemble pas aux autres. Jésus-Christ était en même temps la victime et le prêtre ; la victime selon la chair, le prêtre selon l’esprit. Il offrait en même temps, et il était offert. Écoutez encore saint Paul qui dit : Tout pontife, pris parmi les hommes, intercède pour les hommes auprès de Dieu : il faut donc nécessairement qu’il ait de quoi lui offrir. (Heb. 5,3 ; 8, 3) Ici Jésus-Christ s’offre lui-même. Jésus-Christ, dit ailleurs le même apôtre, a été offert une fois pour expier le péché de plusieurs. (Heb. 9,28) Il dit donc qu’il a été offert, après avoir dit qu’il s’est offert lui-même. Vous avez vu comment Jésus-Christ était en même temps prêtre et victime, et que la croix était l’autel.
Mais il est nécessaire d’examiner pourquoi le sacrifice n’est pas offert dans un temple (je dis dans le temple des Juifs), mais hors de la ville, hors des murs. Jésus-Christ a été crucifié hors de la ville comme un scélérat condamné au supplice, afin que cette parole du prophète fût accomplie : Il a été confondu avec les scélérats. (Isa. 53,12) Pourquoi donc a-t-il été crucifié hors de la ville, dans un lieu élevé, et non dans un lieu enfermé ? Cela ne s’est pas fait non plus sans cause ; c’était afin de purifier la nature de l’air. Voilà pourquoi, dis-je, il est mort dans un lieu élevé, et non dans un lieu enfermé. Il est mort à la face du ciel, afin que tout le ciel fût purifié, la victime étant immolée dans un lieu élevé. Le ciel a donc été purifié ; la terre l’a été aussi, puisque le sang du Sauveur a coulé de son côté sur la terre, et l’a purifiée de toutes ses souillures. Telle est donc la raison pour laquelle le sacrifice n’a pas été offert dans un lieu enfermé. Et pourquoi n’a-t-il pas été offert dans le temple même des Juifs ? Cela ne s’est pas fait encore sans une raison particulière : c’est afin que les Juifs ne prétendissent pas s’approprier le sacrifice. Il a été offert hors de la ville, hors des murs, afin qu’on ne crût pas qu’il fût propre à cette seule nation, afin que l’on sût qu’il était universel, afin que l’on sût que l’oblation était faite pour toute la terre, pour sanctifier toute la nature humaine. Dieu a ordonné aux Juifs de choisir dans toute la terre un lieu unique où on lui offrit des sacrifices, où on lui adressât des prières, parce que toute la terre alors était souillée par la fumée, par l’odeur, par le sang des victimes offertes aux idoles, et par les autres abominations des gentils. Voilà pourquoi il leur a marqué un lieu unique. Mais Jésus-Christ étant venu dans le monde, et ayant subi la mort hors de la ville, a purifié toute la terre, a rendu tous les lieux propres aux prières. Voulez-vous apprendre comment toute la terre est devenue désormais un temple, comment tous les lieux ont été rendus propres aux prières ? écoutez encore le bienheureux Paul, qui dit : Elevant en tout lieu des mains pures, sans écouter la passion ni de faux raisonnements. (1Ti. 2,8) Vous voyez comment Jésus-Christ a purifié le monde ; vous voyez comment nous pouvons en tout lieu élever des mains pures. Oui, toute la terre est désormais devenue sainte, et même plus sainte que ce que les Juifs avaient de plus saint. Comment cela ? C’est que dans le temple des Juifs on n’immolait que les animaux déraisonnables, au lieu qu’ici une victime douée d’une raison supérieure a été immolée. Or, autant ce qui est doué de raison l’emporte sur ce qui en est dépourvu, autant toute la terre a été plus sanctifiée que le temple des Juifs. C’est donc bien véritablement que le mystère de la croix est une fête.
2. Voulez-vous connaître un autre bienfait de la croix, bienfait insigne qui surpasse toutes les idées des hommes ? Elle a ouvert aujourd’hui le ciel qui était fermé en y introduisant aujourd’hui un brigand. Ouvrir le ciel, y introduire un brigand, tels sont les deux miracles qu’elle opère. Elle a rendu à un brigand la céleste patrie, dont il s’était exclu par ses crimes, elle l’a introduit dans la cité d’où il tirait son origine : Vous serez, lui dit Jésus, vous serez aujourd’hui avec moi dans le ciel. (Luc. 23,43) Quoi donc ? vous êtes crucifié, vous êtes cloué sur une croix, et vous promettez le ciel ! comment pouvez-vous accorder cette faveur précieuse ? Jésus-Christ, dit saint Paul, est mort par un effet de la faiblesse humaine. Écoutons ce qui suit : Mais il vit, ajoute le même apôtre, par un prodige de la puissance divine. (2Co. 13,4) Ma puissance, dit-il encore ailleurs, se signale dans la faiblesse. (2Co. 12,9) Si je promets maintenant sur la croix, c’est afin que vous connaissiez ma puissance par la croix. Comme par elle-même la croix est quelque chose de triste, afin que vous ne rougissiez pas en faisant attention à la nature de la croix, mais que vous soyez satisfaits et joyeux en considérant la puissance du Crucifié ; voilà pourquoi Jésus-Christ montre toute sa force sur la croix. Non, ce n’est pas en ressuscitant les morts, en commandant à la mer, en menaçant les démons, mais crucifié, cloué, méprisé, injurié, outragé, bafoué, qu’il a pu fléchir et attirer à lui le cœur pervers d’un brigand. Voyez comme sa puissance éclate de toute part. Il a ébranlé les créatures inanimées ; il a brisé les pierres, et le cœur d’un brigand, plus dur que la pierre ; il l’a amolli, il l’a rendu plus souple que la cire : Vous serez aujourd’hui avec moi dans le ciel. Quoi donc ! les chérubins armés d’une épée flamboyante gardent la porte du ciel, et vous promettez à un brigand de l’y faire entrer ! Oui, sans doute, parce que je suis le maître des chérubins ; que j’ai en mon pouvoir l’enfer et ses feux, la vie et la mort. Jésus-Christ dit donc : Vous serez aujourd’hui avec moi dans le ciel. Dès que les anges et les archanges verront leur Seigneur, ils se retireront aussitôt et se rangeront par respect. Un prince qui fait son entrée dans une ville, ne placerait jamais auprès de lui sur son char un brigand ni aucun de ses serviteurs. C’est ce que fait néanmoins le Fils de Dieu plein de bonté. En retournant dans sa patrie sainte, il y fait entrer avec lui un brigand, sans prétendre, oui, sans prétendre déshonorer le ciel, mais l’honorant davantage par cela même, puisque la gloire du ciel est d’avoir un maître assez puissant et assez bon pour avoir pu rendre un brigand digne du bonheur céleste. Ainsi lorsqu’il appelait au royaume des cieux les publicains et les courtisanes, loin de le déshonorer par là, il l’honorait surtout, en faisant voir que le Maître du royaume des cieux est capable de sanctifier les courtisanes et les publicains, de les rendre dignes des honneurs et des récompenses suprêmes. Comme donc nous admirons un médecin, lorsque nous le voyons guérir de leurs maux et rappeler à une santé parfaite des hommes affligés de maladies incurables : de même, mes très-chers frères, admirez Jésus-Christ, soyez frappés de sa puissance, parce que, trouvant des hommes affligés de maladies spirituelles, de maladies supérieures à tous les remèdes, il a pu les guérir de leurs vices, il a pu les rendre dignes de son royaume, quoiqu’ils fussent parvenus au comble de la perversité. Vous serez aujourd’hui avec moi dans le ciel. Honneur insigne, comble infini de bonté, excès inouï de miséricorde ; car entrer dans le ciel avec le souverain Maître du ciel, est un plus grand honneur que d’y entrer simplement.
Qu’est-il donc arrivé, me direz-vous ? et qu’est-ce que le brigand de l’Évangile a fait de si extraordinaire pour passer de dessus la croix dans le ciel ? Je vais vous le dire en peu de mots, et vous faire comprendre toute sa vertu. Lorsque le chef des disciples, Pierre, le niait chez le grand prêtre, lui le confessait étant sur la croix. Ce n’est pas, non ce n’est pas pour injurier Pierre que je le dis, mais je veux montrer quel fut le courage et la sagesse peu commune du brigand crucifié. Tandis que Pierre ne pouvait soutenir les menaces d’une simple servante, lui qui voyait tout un peuple furieux environner la croix de Jésus, l’outrager par des défis insolents, ne considéra point Il insultes faites au divin compagnon de son supplice ; mais, rompant tous les voiles avec ! yeux de la foi, passant par-dessus toutes marques extérieures de faiblesse et d’humiliation, il reconnut le Maître des cieux, et prononça ces paroles précises qui le proclamaient digne du ciel : Souvenez-vous de moi dans votre royaume. (Luc. 23,42) Ne passons point légèrement sur ces paroles, et ne rougissons point de prendre pour maître un brigand que Notre-Seigneur n’a point rougi de faire entrer le premier dans le ciel. Ne rougissons point de prendre pour maître un homme qui a été jugé digne de jouir du bonheur céleste avant tous les autres humains. Pesons toutes ses paroles, afin de connaître aussi par là la vertu de la croix.
Jésus-Christ n’avait pas dit à ce brigand, ainsi qu’à Pierre et à André : Venez, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. (Mat. 4,19) Il ne lui avait pas dit, ainsi qu’aux douze apôtres Vous serez assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël. (Mat. 19,28) Il ne lui avait pas adressé un seul mot. Le brigand n’avait pas vu les prodiges qu’il avait opérés, les morts ressuscités, les démons chassés, la mer obéissant à ses ordres ; il ne l’avait pas entendu raisonner sur le royaume des cieux. Comment donc avait-il appris ce nom de royaume ? Connaissons sa rare intelligence. Un des deux brigands, dit l’Évangile, accablait Jésus-Christ d’injures ; car il y avait un autre brigand crucifié avec lui, afin que l’on vît s’accomplir cette parole du Prophète : Il a été confondu avec les scélérats. (Isa. 53,12) Les Juifs ingrats et insensés cherchaient tous les moyens d’obscurcir sa gloire, d’avilir sa puissance ; mais la vérité perçait malgré eux, et tous leurs efforts pour l’étouffer ne faisaient que la montrer dans un plus grand éclat. Jésus-Christ était donc accablé d’injures par un des deux brigands, et même par tous les deux, suivant le témoignage d’un des évangélistes (Mc. xv, 32) ; ce qui est vrai, et ce qui manifeste surtout la vertu du brigand dont nous parlons ; car il est probable que lui-même injuriait d’abord Jésus-Christ, mais qu’il ne tarda pas à changer de langage. Un des deux brigands accablait Jésus-Christ d’injures, dit l’Évangile. Vous voyez brigand et brigand : tous deux sur la croix, tous deux expiant les crimes d’une vie perverse ; mais n’éprouvant pas tous deux le même sort, puisque l’un a obtenu le royaume des cieux, et que l’autre a été précipité dans les enfers. Ainsi nous avons vu hier disciple et disciples. L’un se préparait à trahir son Maître, les autres se disposaient à le servir. L’un disait aux pharisiens \it : Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ? Les autres approchant de Jésus, lui disaient : Où voulez-vous que nous vous préparions la pâque? (Mat. 26,15 et 17) De même ici l’on voit brigand et brigand l’un accablait Jésus d’injures, l’autre fermait la bouche à celui qui l’injuriait ; l’un blasphémait contre lui, l’autre lui reprochait ses blasphèmes, et cela quoiqu’il vît Jésus condamné, crucifié ; quoiqu’il vît le peuple l’attaquer par ses railleries outrageantes. Mais rien ne put l’ébranler, rien ne put changer ses sentiments, ni l’empêcher de faire à son compagnon de vifs reproches, et de lui dire : Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? (Luc. 23,40)
3. Vous voyez la sainte liberté d’un brigand, vous voyez comment sur la croix, fidèle, pour ainsi dire, à son métier de brigand, il emporte de force par sa confession et ravit le royaume céleste. Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? dit-il. Vous voyez sa liberté sur la croix, vous voyez sa sagesse, vous voyez sa modération. Toujours maître de lui-même, jouissant de toute sa raison, quoique percé de clous, quoiqu’essuyant au milieu de son supplice les douleurs les plus affreuses, ne mérite-t-il pas d’être admiré pour ses sentiments magnanimes ? Quant à moi, je ne le trouve pas seulement admirable, mais je le trouve bienheureux. Insensible à ses propres douleurs, et s’oubliant lui-même, il s’occupait d’un autre, il cherchait à le détromper, à lui donner des leçons même sur la croix. Est-ce que vous ne craignez pas Dieu ? lui disait-il. Il semblait lui dire : Ne faites pas attention au tribunal des hommes, ne jugez point par ce que vous voyez, ne considérez point seulement ce qui se passe sous vos yeux. Il est un autre juge invisible, dont le tribunal suprême est inaccessible à la corruption et à la séduction. Ne pensez donc pas qu’il a été condamné par les hommes, mais songez aux jugements de Dieu qui sont bien différents. Ici-bas, dans les tribunaux humains, les innocents sont souvent condamnés, tandis que les coupables sont absous ; les justes subissent la peine, tandis que les injustes y échappent. La plupart des hommes jugent mal ou par mauvaise volonté ou malgré eux. Ils trahissent la vérité et condamnent l’innocence, ou parce qu’on les trompe et qu’ils ignorent la justice, ou parce que,-corrompus par argent, ils agissent contre leurs propres lumières. Mais il n’en est pas ainsi de Dieu : C’est un juste juge, et ses jugements sont aussi purs, aussi brillants que le soleil. Jamais obscurcis par les ténèbres, ils ne se cachent pas dans l’obscurité, et ne s’écartent pas de la voie droite. Afin donc que son compagnon ne pût pas lui dire : Il a été condamné par les hommes, pourquoi le défendez-vous ? il le rappelle aux jugements de Dieu, à ce tribunal redoutable et incorruptible, à ce juge que rien ne peut tromper et séduire ; il le fait souvenir des arrêts formidables que ce Juge prononce. Regardez en haut, lui dit-il ; et vous ne condamnerez pas Celui que le ciel absout, et, sans vous arrêter aux jugements humains, vous n’approuverez, vous n’adopterez que les jugements célestes. Est-ce que vous ne craignez pas Dieu? lui dit-il. Vous voyez la sagesse du brigand, vous voyez son intelligence, vous voyez : il instruit son compagnon, et comme de dessus la croix où son corps est attaché, son esprit s’envole dans le ciel. Oui, il remplit déjà la loi apostolique ; peu occupé de lui-même, il ne s’étudie et ne travaille qu’à tirer son frère de l’erreur et à le ramener à la vérité. Après lui avoir dit : Est-ce que vous ne craignez pas Dieu ? il ajoute : Nous subissons la même sentence. Considérez combien cet aveu est parfait. Qu’est-ce à dire : Nous subissons la même sentence ? c’est-à-dire : nous sommes condamnés à la même peine, puisque nous sommes également sur la croix. Les reproches injurieux que vous lui faites tombent donc sur vous plus que sur lui. Et comme un pécheur qui condamne son semblable, se condamne plutôt lui-même ; ainsi reprocher à un autre la disgrâce que soi-même on éprouve, c’est se faire plutôt un reproche à soi-même. Nous subissons, dit-il, la même sentence. Il présente à son compagnon la loi apostolique, formée de ces paroles de l’Évangile : Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés. (Mat. 7,1) Nous subissons la même sentence. Quoi donc, pourrais-je lui dire ! prétendez-vous par-là associer Jésus-Christ à votre état de criminel ? Non, dit-il, je corrige ces paroles par celles qui suivent : Mais nous, nous souffrons justement, et nous portons la peine de nos crimes. Car, de peur que ces paroles Nous subissons la même sentence, ne vous fassent croire qu’il associe Jésus-Christ à leurs forfaits, il ajoute cette correction : Mais nous, dit-il, nous souffrons justement, et nous portons la peine de nos crimes. Vous voyez sur la croix un parfait aveu, vous voyez comme par des paroles le brigand expie ses attentats, vous voyez comme il accomplit cet avis du Prophète : Confessez le premier vos iniquités, afin que vous soyez justifié. (Isa. 43,26) Personne ne l’a accusé, personne ne l’a forcé, personne ne l’a pressé, et il devient lui-même son propre accusateur. Aussi par la suite n’a-t-il trouvé aucun accusateur, parce qu’il s’est hâté de s’accuser lui-même, qu’il s’est empressé de s’avouer coupable : Mais nous, dit-il, nous souffrons justement, et nous portons la peine de nos crimes ; au lieu que celui-ci n’a rien fait de mal. Vous voyez quelle est sa grande modération. Ce n’est qu’après s’être accusé et s’être chargé lui-même, après avoir justifié le Sauveur du monde par ces paroles : Mais nous, nous souffrons justement, au lieu que celui-ci n’a rien fait de mal; ce n’est qu’après cela qu’il lui a adressé avec confiance cette prière : Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez retourné dans votre royaume. Il n’a pas osé lui dire : Souvenez-vous de moi, avant de s’être lavé de la souillure de ses péchés par une confession sincère, avant de s’être justifié en se condamnant lui-même, avant de s’être déchargé de ses crimes par sa propre accusation.
Vous voyez quel est le pouvoir de la confession même sur la croix. Apprenez de là, mes très-chers frères, à ne point désespérer de vous-mêmes ; ne perdez jamais de vue la bonté infinie de Dieu, et hâtez-vous de corriger vos fautes. S’il a traité avec tant de distinction un brigand sur la croix, à plus forte raison encore nous fera-t-il éprouver les effets de sa grande miséricorde, si nous voulons faire l’aveu de nos péchés. Afin donc de ressentir ces effets, ne rougissons pas de faire cet aveu. Oui, la confession a beaucoup de force et de vertu. Le brigand a confessé ses crimes, et il a trouvé le paradis ouvert ; il a confessé ses crimes, et malgré ses brigandages, il a osé demander le royaume céleste ; demande qu’avant cela il n’avait osé faire. Et comment, lui dirai-je, parliez-vous de royaume ? qu’avez-vous vu qui vous inspirât cette idée ? des clous, une croix, des reproches, des railleries ; des injures, des outrages, voilà tout ce qui s’offre à vous. Eh bien ! dit-il, c’est la croix même qui me parait le signe et la marque d’un royaume. C’est parce que je vois Jésus crucifié, que je l’appelle roi, puisqu’il est d’un roi de mourir pour ses sujets : Le bon pasteur, a-t-il dit lui-même, donne sa vie pour ses brebis, (Jn. 10,11) Ainsi un bon roi donne sa vie pour ses sujets. Je l’appelle donc roi parce qu’il a donné sa vie. Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous, serez retourné dans votre royaume.
4. Voulez-vous savoir comment la croix est la marque et le signe d’un royaume, combien elle est auguste et vénérable ? c’est que Jésus-Christ ne l’a point laissée sur la terre, mais qu’il l’a transportée avec lui dans le ciel. Et qu’est-ce qui le prouve ? il doit paraître avec elle dans son second avènement. Mais voyons comment il doit paraître avec elle ; écoutez Jésus-Christ lui-même, qui s’exprime ainsi : S’ils vous disent : le Christ est retiré à l’écart, il est dans le désert, ne sortez pas. (Mat. 24,26) Il parle de son second avènement, à cause des faux christs, des faux prophètes, de l’Antechrist, dans la crainte qu’on ne se trompe, et qu’on ne le prenne pour le Christ. Comme l’Antechrist doit paraître avant le Christ, de crainte qu’en cherchant le pasteur vous ne rencontriez le loup, je vous donne les marques certaines de l’avènement du Pasteur ; car, si son premier avènement a été sans éclat, ne croyez pas que le second sera de même. Son premier avènement a dû être obscur, parce qu’il venait chercher ce qui était perdu ; mais il n’en sera pas de même du second. Dites-nous donc, apprenez-nous comment Jésus-Christ paraîtra. Comme l’éclair, dit l’Évangile, brille depuis l’orient jusqu’à l’occident, il en sera de même de l’avènement du Fils de l’Homme. Il paraîtra en même temps aux yeux de toute la terre, sans qu’il soit besoin de demander s’il est venu. Et comme il n’est pas besoin que l’on examine si l’éclair a paru lorsqu’il se montre, ainsi nous n’aurons pas besoin d’examiner si le Christ s’est montré, lorsqu’il se montrera réellement. Mais nous n’avons pas dit encore ce que nous voulons apprendre, s’il viendra avec sa croix. Écoutez-le donc s’expliquer lui-même, en termes clairs et formels. Alors, dit-il, c’est-à-dire lorsque je viendrai, le soleil sera obscurci, la lune ne donnera pas sa lumière ; car la lumière sera tellement répandue partout, que les astres les plus brillants seront éclipsés. Les étoiles, dit l’Évangile, tomberont, et alors on verra paraître dans le ciel le signe die Fils de l’Homme. Vous voyez quelle est l’excellence de ce signe, quel est son éclat et sa splendeur. Le soleil est obscurci, la lune est sans lumière, les étoiles tombent, lui seul paraît, afin que vous appreniez qu’il est plus brillant que la lune, et plus éclatant que le soleil. Lorsqu’un roi fait son entrée, il est précédé d’une troupe de soldats qui portent devant lui des étendards, et qui annoncent l’entrée du prince. Ainsi, lorsque le Maître de l’univers descendra des cieux, il sera précédé d’une troupe d’anges et d’archanges, qui porteront devant lui l’étendard de la croix, et qui annonceront l’arrivée du Roi suprême. Alors, dit l’Évangile, les puissances des cieux seront ébranlées ; il parle des anges, des archanges, de toutes les puissances invisibles, qui seront dans le tremblement, dans la crainte et dans la frayeur. Et pourquoi ces puissances seront-elles dans la frayeur ? c’est, sans doute, qu’alors s’ouvrira ce tribunal redoutable devant lequel paraîtront tous les mortels pour être jugés et rendre compte de leurs œuvres. Pourquoi donc les anges trembleront-ils alors ? pourquoi ces puissances spirituelles seront-elles dans la crainte, puisque ce ne sont pas elles qui doivent être jugées ? Lorsqu’assis sur son trône, un juge condamne les coupables, non seulement les coupables, ceux mêmes qui assistent au jugement, qui n’ont à se reprocher aucun crime, sont tremblants, sont effrayés par la présence du juge : de même, lorsque le genre humain sera jugé et rendra compte de ses fautes, les anges qui n’auront rien à se reprocher, et toutes les puissances célestes, saisies de frayeur, trembleront en présence du Juge suprême. C’est une circonstance du dernier jugement, dont nous devons sentir la raison. Mais pourquoi Jésus-Christ viendra-t-il avec sa croix ? apprenez-en la cause. C’est afin que ceux qui l’ont crucifié soient convaincus de leur ingratitude par le fait même ; c’est pour cela qu’il leur montre l’objet qui dénonce et condamne leur folie. Et afin que vous sachiez que c’est pour les confondre qu’il leur présentera sa croix, écoutez encore l’Évangéliste, qui dit : Alors paraîtra le signe du Fils de l’Homme, et toutes les tribus de la terre seront dans la consternation en voyant leur accusateur, et en reconnaissant leurs fautes. Et pourquoi seriez-vous étonnés que Jésus-Christ vienne avec sa croix, puisqu’il viendra même avec ses plaies ? Qu’est-ce qui prouve qu’il viendra avec ses plaies ? écoutons le prophète : Ils verront, dit-il, celui qu’ils ont percé. (Zac. 12, 10) Car, de même que lorsqu’il voulut guérir l’incrédulité de Thomas, son disciple, et lui apprendre que son maître était vraiment ressuscité, il lui montra les places des clous et les plaies mêmes, en lui disant : Portez ici votre doigt et votre main, et voyez qu’un esprit n’a point, de chair et d’os (Jn. 20,27) : ainsi, dans les derniers jours, il présentera aux Juifs ses plaies et sa croix, afin de leur apprendre que c’est lui-même qu’ils ont crucifié.
La croix est donc un grand, bien, c’est un objet utile et salutaire, un témoignage évident de la bonté divine.
5. Mais non seulement la croix, les paroles mêmes que le Sauveur du monde prononce sur la croix, manifestent sa miséricorde infinie. Voici ces paroles : environné de ceux qui le crucifiaient, en butte à tous les outrages d’une multitude furieuse : Mon Père, disait-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. (Luc. 13,34) Vous voyez la bonté du Seigneur, c’est lorsqu’il était crucifié, qu’il priait pour ceux mêmes qui le crucifiaient. Cependant ils lui adressaient alors leurs railleries insolentes : Si tu es le Fils de Dieu, lui disaient-ils d’un ton moqueur, descends de la croix. (Mat. 17,40-42) Mais c’est parce qu’il était le Fils de Dieu qu’il n’est pas descendu de la croix, lui qui était venu afin d’être crucifié pour nous. Qu’il descende de la croix, disaient les Juifs, afin que nous puissions croire en lui. Entendez-vous le langage de l’endurcissement, et les prétextes de l’incrédulité ! Il a fait quelque chose de plus que de descendre de la croix, sans qu’ils aient cru en lui ; et ils disent maintenant : Qu’il descende de la croix, et nous croirons en lui. N’était-ce pas quelque chose de plus que de descendre de la croix, de faire sortir un mort de son tombeau, dont une pierre fermait l’entrée ? n’était-ce pas quelque chose de plus que de descendre de la croix, de tirer de son sépulcre, avec le linceul dont il était enveloppé, Lazare mort depuis quatre jours ? vous entendez le langage de l’extravagance, vous voyez l’excès de la folie ! Mais écoutez avec la plus grande attention, afin de connaître la bonté infinie de Dieu, et comment Jésus se sert de leur folie même, comme d’un motif pour leur pardonner : Mon Père, dit-il, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. C’est comme s’il disait : C’est parce qu’ils sont insensés, qu’ils ignorent ce qu’ils font. Les Juifs disaient à Jésus-Christ : Si tu es le Fils de Dieu, sauve-toi toi-même. Et Jésus-Christ s’empressait de sauver les Juifs, qui l’accablaient de reproches, de railleries et d’injures : Pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. Quoi donc ! leur a-t-il pardonné ? oui, il a pardonné à tous ceux qui ont voulu se repentir. S’il ne leur eût pas pardonné, Paul ne serait pas devenu apôtre ; s’il ne leur eût pas pardonné, trois mille, cinq mille Juifs n’auraient pas cru en lui sur-le-champ, et tant de milliers par la suite. Écoutez ce que saint Jacques dit à saint Paul dans Jérusalem : Vous voyez, mon frère, combien de milliers de Juifs croient en Jésus-Christ. (Act. 21,20)
Imitez donc, je vous en conjure, imitez le Seigneur, et priez pour vos ennemis. Je vous y exhortais hier, je vous y exhorte encore aujourd’hui, parce que je sens toute l’importance de cette vertu. Imitez votre Maître. Il était crucifié, et il priait pour ceux qui le crucifiaient. Et comment, direz-vous, puis-je imiter le Seigneur : vous le pouvez, si vous le voulez. Si chose n’était pas possible, il n’aurait pas dit : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. (Mat. 2,29) S’il n’était pas possible à l’homme d’imiter un Dieu, saint Paul n’aurait pas dit aux fidèles : Soyez mes imitateurs, comme je le suis de Jésus-Christ. (1Co. 2,1) Mais si vous ne voulez pas imiter le Seigneur, imitez au moins son disciple ; je parle d’Étienne, qui, le premier, a ouvert les portes du martyre, et qui a marché sur les pas de son Maître. Le Maître, suspendu à la croix, au milieu des Juifs qui l’avaient crucifié, priait pour eux ; le disciple, au milieu des Juifs qui le lapidaient, accablé d’une grêle de pierres qu’ils faisaient pleuvoir sur lui, sans penser aux douleurs de son supplice, s’écriait : Seigneur, ne leur imputez pas cette faute. (Act. 7,59) Vous entendez les paroles que prononcent le Maître et le disciple : l’un dit : Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font; l’autre dit : Seigneur, ne leur imputez pas cette faute. Et afin que vous sachiez quel zèle animait Étienne, c’est qu’il ne priait pas froidement, avec indifférence, ni debout, mais les genoux en terre, avec l’intérêt le plus vif et la charité la plus ardente. Voulez-vous que je vous montre un autre disciple du Fils de Dieu, qui fait pour ses ennemis une prière encore plus généreuse ? écoutez le bienheureux Paul. Après avoir rapporté tout ce qu’il a souffert, après avoir dit qu’il a reçu des Juifs mille mauvais traitements (2Co. 2,23), qu’il a été trois fois battu de verges, une fois lapidé, qu’il a fait trois fois naufrage, après avoir détaillé toutes les persécutions qu’il éprouvait chaque jour de leur part, il ajoute enfin : J’ai désiré d’être séparé de Jésus-Christ, et de devenir anathème pour mes frères, pour mes parents selon la chair, qui sont Israélites. (Rom. 9,3-4)
Voulez-vous voir encore d’autres exemples pareils, pris, non dans le Nouveau, mais dans l’Ancien Testament ; car, ce qu’il y a de plus admirable, c’est que ceux à qui il n’était pas ordonné d’aimer leurs ennemis, mais de donner œil pour mil, dent pour dent, de rendre le mal pour le mal, ceux-là mêmes ont devancé la perfection évangélique ? Écoutez donc ce que dit à Dieu Moïse si souvent outragé par les Juifs : Si vous leur pardonnez, faites-moi grâce à moi-même ; sinon, effacez-moi du livre que vous avez écrit. (Exo. 32,32) Vous voyer, que tous les justes sont prêts à sacrifier leur propre salut pour le salut de leurs frères. Vous n’avez commis aucune faute, dirais-je à Moïse, et vous voulez avoir part à la punition ! ah ! répond-il, c’est que je ne sens pas mon bonheur lorsque je vois les autres dans le malheur. On peut encore citer un autre saint, qui fait une prière semblable ; car je multiplie les exemples, afin que nous soyons excités de plus en plus à nous corriger nous-mêmes, à nous délivrer de cette maladie de l’âme si dangereuse, de ce penchant qui nous porte à souhaiter du mal à nos ennemis. Écoutez le bienheureux David. Dieu étant irrité et ayant envoyé son ange pour punir le peuple, que dit le prince, lorsqu’il voit l’ange faire étinceler son glaive, et se disposer à porter des coups funestes ? C’est moi qui suis le pasteur et qui ai fait le mal ; ceux-ci, qui sont les brebis, qu’ont-ils fait ? que votre bras s’étende sur moi et sur la maison de mon père. (2Sa. 24,17) Vous voyez donc dans ce saint roi la vertu que je vous prêche. Voici encore un saint animé des mêmes sentiments. Le prophète Samuel avait été si fort méprisé, outragé, insulté par les Juifs, que pour le consoler Dieu lui dit : Écoutez, mes frères, écoutez avec attention : C’est moi, lui dit Dieu, et non pas vous qu’ils ont méprisé. (1Sa. 8,7) Et cet homme accablé de mépris, d’injures et d’outrages, que dit-il ? A Dieu ne plaise que je commette la faute de manquer à prier le Seigneur pour vous ! Il regardait comme une faute de ne pas prier pour ses ennemis. A Dieu ne plaise, dit-il, que je commette la faute de manquer à prier pour vous. (1Sa. 12,23) Vous voyez combien tous les justes, marchant sur les traces du Seigneur, se sont montrés jaloux de se signaler dans la vertu à laquelle je vous exhorte. Reprenons les paroles que nous venons de citer : Pardonnez-leur, dit le Fils de Dieu, car ils ne savent ce qu’ils font. Seigneur, s’écriait Étienne, ne leur imputez pas cette faute. J’ai désiré, dit saint Paul, d’être séparé de Jésus-Christ, et de devenir anathème pour mes frères, pour mes parents selon la chair. Si vous leur pardonnez, disait aussi Moïse, faites-moi grâce à moi-même, sinon, effacez-moi du livre que vous avez écrit. Que votre bras, dit David, s’étende sur moi et sur la maison de mon Père. A Dieu ne plaise, dit de même Samuel, que je commette la faute de manquer à prier pour vous !
Lors donc que tous les saints, tant du Nouveau que de l’Ancien Testament, nous excitent à prier pour nos ennemis, quel pardon obtiendrions-nous par la suite, si nous ne montrions le plus grand empressement pour pratiquer cette vertu ? Ne balançons point, mes frères ; car plus nous avons d’exemples, plus nous serions sévèrement punis, si nous ne les imitions pas. Il est beaucoup plus important de prier pour ses ennemis que pour ses amis ; l’un nous est plus utile que l’autre. Écoutez Jésus-Christ qui dit : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel sera votre mérite ?, les publicains ne le font-ils pas? (Mat. 5,46) Lors donc que nous prions pour nos amis, nous ne sommes pas meilleurs que les publicains, mais si nous aimons nos ennemis, si nous prions pour nos ennemis, nous devenons semblables à Dieu, autant qu’il est possible à l’homme. Soyez semblables, dit l’Évangile, a votre Père céleste, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. (Mat. 5,45) Puis donc que nous avons de si grands modèles, et dans le Seigneur et dans ses disciples, soyons jaloux de nous distinguer par une vertu dont ils nous ont donné l’exemple, afin que nous soyons jugés dignes de jouir du royaume des cieux, et qu’après avoir purifié notre âme, nous puissions approcher avec confiance de la table sacrée et redoutable, et obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l’honneur et l’empire soient au Père et à l’Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Voir aussi le SEPTIÈME DISCOURS. sur la Genèse.

  1. 1. Traduction de l’abbé Auger, revue.