L’Œuvre d’une nuit de mai/03

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III


L’été suivant revit encore M. Corbet chez son révérend professeur. Avec la meilleure volonté du monde, on n’aurait pu trouver grand changement chez notre précoce jeune homme. Mais Ellenor, elle, avait subi une complète métamorphose. À une petite fille dont les beaux yeux seuls présageaient quelque avenir, succédait une jeune lady, svelte, élancée, au maintien grave, aux rares sourires ; l’ivoire un peu terne de ses joues était maintenant une espèce de marbre incolore, il est vrai, mais d’un grain serré, d’un éclat enviable, sur lequel se dessinaient, quand elle daignait s’égayer, deux fossettes charmantes, que Théocrite eût comparées à deux nids de colombes. Ralph demeura confondu, tout d’abord, par une transformation si complète, opérée en moins d’une année. En l’étudiant plus à loisir, il entrevit, sous cette réserve d’emprunt, sous ces grands airs de femme faite, quelques vestiges de l’humeur indépendante, de l’indomptable vivacité qui était en quelque sorte l’essence et le fond caractéristique de cette riche et puissante nature. Fier de sa découverte que n’avaient faite, observateurs inattentifs, ni M. Wilkins, ni miss Monro, il se plut à évoquer des souvenirs presque effacés, se remémorer les tendances trop exactement réprimées, de cette enfance qui l’avait charmé. Cette imprudence le mena plus loin qu’il ne comptait, et avant la fin de l’été, nos deux jeunes gens se trouvaient fort épris l’un de l’autre, mais chacun a sa manière : Ellenor, avec l’ardeur presque passionnée qu’elle portait dans tous ses sentiments ; Ralph, de par un entraînement sur lequel la raison et le calcul ne devaient jamais cesser d’avoir prise. Personne autour d’eux ne se douta de ce résultat, d’autant plus facile à deviner, qu’il aurait dû se prévoir. Pour M. Wilkins, cette fillette qu’il berçait encore quelquefois sur ses genoux, n’était qu’une enfant sans conséquence. Miss Monro s’absorbait dans sa lutte avec le texte de Don Quixote. M. Ness, sur le point de publier un cent et unième commentaire des poëmes d’Horace, colligeait, de toute part ses notes inédites, et n’était pour ainsi dire plus de ce monde. Dixon, mieux que tout autre, eût pénétré le mystère, mais Ellenor, obéissant à l’instinct féminin, prenait grand soin d’isoler l’un de l’autre ses deux bons amis, qu’elle soupçonnait de ne s’aimer guère, et qu’elle voulait faire vivre en paix.

Rien n’était d’ailleurs changé aux habitudes quotidiennes de la jeune fille. Levée de bonne heure, elle jardinait jusqu’au déjeuner, où son père trouvait invariablement au bord de son assiette le bouquet encore mouillé de rosée qu’elle venait de lui cueillir. Après le thé, suivi de quelque causerie indifférente, à laquelle miss Monro ne prenait jamais qu’une part secondaire, M. Wilkins passait dans un petit cabinet de travail, ouvrant sur un passage qui existait, sur la gauche du vestibule, entre la cuisine et la salle à manger. En regard de celle-ci, de l’autre côté du vestibule, était le salon, dont une des fenêtres-portes donnait accès dans la serre ; par celle-ci on arrivait dans la bibliothèque, à laquelle M. Wilkins le père avait ajouté un retrait en hémicycle, couronné d’un dôme et recevant son jour par le haut. C’est là qu’étaient rassemblés les morceaux de sculpture que son fils avait achetés en Italie. Aucune autre pièce de la maison n’avait les agréments de celle-ci, et le salon lui-même, déserté pour elle, avait pris peu à peu la physionomie triste et maussade des pièces uniquement vouées à l’apparat. Le cabinet de M. Wilkins, de l’autre côté du logis, était aussi une construction récente, ajoutée après coup au reste du bâtiment. Un étroit couloir dallé, parti du vestibule, et sur lequel n’ouvrait aucune autre porte que celle d’entrée, y aboutissait en ligne droite. Ce cabinet hexagone était éclairé par une seule fenêtre, pratiquée sur l’une de ses six faces. Une seconde avait reçu le foyer. Restaient quatre côtés, dans lesquels quatre portes étaient pratiquées. Deux d’entre elles ont déjà été mentionnées plus haut. La troisième donnait au pied d’un petit escalier à vis, par lequel M. Wilkins montait directement dans sa chambre à coucher, située au-dessus de la salle à manger, et par la quatrième on débouchait dans un sentier traversant une espèce de pépinière, puis la cour des écuries, et finalement, par le plus court, gagnant une des rues d’Hamley, au bout de laquelle étaient situés l’étude et les bureaux de M. Wilkins. C’est par là qu’il allait à ses affaires, par là qu’il s’en retournait lorsqu’elles étaient terminées. Son cabinet lui servait principalement de fumoir et de lieu de repos, bien qu’il le vantât surtout comme éminemment approprié à certaines conférences privées, que ses clients étaient parfois bien aises d’avoir avec lui et qu’ils voulaient mettre à l’abri de l’indiscrète curiosité des clercs. Ellenor y passait quelquefois avec lui une bonne partie de la matinée, occupée de mille soins ou de mille menus propos à l’issue desquels le père et la fille, bras dessus, bras dessous, passaient ensemble dans la cour des écuries, où ils visitaient l’une après l’autre chaque box, rassurant, caressant les chevaux farouches, distribuant du pain à leurs favoris, et bavardant avec Dixon dont ils envahissaient familièrement le domaine et les fonctions. De là notre jeune miss allait rejoindre miss Monro, et tant bien que mal, peu encouragée par l’indifférence paternelle, picorait çà et là quelques bribes d’un savoir que M. Wilkins regardait comme assez inutile. Pourvu que l’heureuse intelligence de sa fille, se développant par elle-même, la rendît une aimable compagne, et qu’elle sût l’amuser pendant les heures de loisir, il ne lui demandait compte d’aucune de ses études, il, ne s’intéressait à aucun de ses progrès. Vers midi, laissant là ses livres, Ellenor agitait avec miss Monro la question de savoir si ces dames feraient ou non la promenade inscrite sur leur programme quotidien. La gouvernante n’aimait guère la fatigue, la boue encore moins ; les chemins difficiles lui étaient odieux, et le moindre prétexte lui suffisait pour remettre au lendemain un plaisir essentiellement problématique. Son élève se prêtait avec un plaisir secret à ces ajournements réitérés qui la laissaient libre d’aller s’amuser seule au jardin, où elle attirait Dixon, par toute sorte de stratagèmes, pour lui faire exécuter sous ses yeux une multitude de menus travaux étrangers à sa mission domestique. Vers une heure le dîner des deux dames était servi, et la santé de miss Monro exigeait ensuite une heure de repos complet. Les leçons, reprises trois heures, duraient jusque cinq. Demi-heure après (temps consacré la toilette du soir) on servait le thé dans la salle d’études. Ellenor ensuite était censée préparer les leçons du jour suivant ; mais, en réalité, son attention était absorbée par le retour prochain de son père, dont elle guettait l’approche, l’oreille tendue au moindre bruit. M. Wilkins dînait à sept heures, du moins lorsqu’il dînait chez lui, ce qui ne lui arrivait guère que trois ou quatre fois par semaine, — et presque jamais il n’était seul à table. M. Ness venait très-fréquemment lui tenir compagnie, ou bien M. Corbet, lorsque ce dernier était à Hamley ; parfois un étranger, parfois un client. Bien rarement, et lorsqu’il le fallait pour ne pas trahir un éloignement trop accentué, il invitait M. Dunster. En pareille circonstance, les deux convives allaient presque immédiatement rejoindre Ellenor dans la bibliothèque. Tout au contraire, avec M. Ness ou n’importe quel autre, le maître de la maison prolongeait volontiers la séance, à la grande joie de ses hôtes, qui trouvaient le vin excellent, et dans le verre desquels l’amphitryon le versait sans aucune parcimonie.

M. Corbet, moins touché de cette dernière considération, laissait volontiers en tête-à-tête M. Ness et M. Wilkins, pour venir s’asseoir à côté d’Ellenor, occupée à quelque travail de broderie sous la surveillance passablement inerte de la bonne miss Monro, et celle-ci sentait sa responsabilité parfaitement à couvert, du moment le père de son élève tolérait, encourageait les assiduités de l’avocat en herbe, qui la rassurait d’ailleurs par l’exacte retenue de ses propos. Ralph n’entretenait guère Ellenor que de ce qui se passait dans la maison paternelle. Il lui parlait de sa mère, de ses sœurs, de leurs façons de penser et de vivre. Il lui parlait d’elles comme de personnes qu’elle ne connaissait pas encore, mais dont infailliblement, un jour ou l’autre, elle se trouverait rapprochée. La jeune fille, attentive et soumise, acceptait ces pronostics implicites, et y donnait un acquiescement silencieux.

Un pas de plus restai à faire, et maître Ralph mit en délibération avec lui-même s’il était ou non à propos de se déclarer formellement avant de repartir pour Cambridge. Une certaine répugnance l’avait empêché jusqu’alors de s’adresser à M. Wilkins, ce qui était pourtant la démarche la plus naturelle, puisque la jeune fille dont il voulait solliciter la main n’avait guère plus de seize ans. Craignait-il donc de rencontrer quelque difficulté ? Rien de moins probable, car l’attorney semblait favoriser, autant que faire se pouvait, une intimité dont les résultats n’étaient point difficiles à prévoir. Mais, une fois la demande faite, il faudrait, de toute nécessité, que le père du jeune homme en reçût communication, et ce grave personnage pourrait bien regarder comme un enfantillage l’attachement de deux fiancés dont le plus âgé n’avait pas plus de vingt et un ans. Tout en protestant au dedans de lui contre toute imputation qui mettrait en doute la parfaite maturité de son jugement et la fermeté de ses décisions, Ralph voulut bien ajourner encore l’exécution d’un projet sur lequel il n’entendait plus revenir. En attendant, fallait-il le révéler à Ellenor ? Lui déclarerait-il l’intention où il était de la prendre pour femme ? Il y songea longtemps et se décida pour la négative, qui lui sembla plus prudente : « Si je m’explique, se disait-il, je n’ai à craindre ni un refus d’Ellenor, ni un repentir de ma part ; mais de deux choses l’une : — ou bien elle ira, comme elle le doit, tout rapporter a son père, et autant vaudrait m’adresser directement à ce dernier ; — ou bien elle me gardera le secret, ce dont je ne pourrai m’empêcher de la blâmer intérieurement. Mieux vaut se taire, à coup sûr. Je sais qu’elle m’aime : j’ai tout lieu de compter sur elle. Pourquoi devancer l’heure où ces sentiments pourront être avoués sans créer d’inutiles querelles, sans donner lieu à de vaines objections ? Je puis d’avance prévoir tout ce que l’orgueil de notre race trouvera d’humiliant à une alliance avec ces Wilkins, que leurs singulières prétentions n’ont pas encore égalé aux Plantagenet ; mais, Dieu merci, je suis au-dessus de ces préjugés surannés, et mon rôle de fils cadet me permet heureusement de ne pas me rabaisser en épousant la fille d’un riche attorney… »

Ce fut en vertu de ces raisonnements que Ralph partit sans avoir manifesté ses intentions matrimoniales. Ellenor ne s’inquiéta point de ce silence ; mais son père en fut quelque peu désappointé. Il s’attendait à quelques ouvertures du jeune homme, et, celles-ci manquante, à quelques confidences de sa fille, pour lesquelles il lui ménagea tout exprès un long tête-à-tête avec lui. Quand il se fut ainsi assuré qu’elle n’avait rien à lui dire, il éprouva peut-être un léger mouvement d’irritation ; mais, en optimiste qu’il était, n’apercevant aucun symptôme d’agitation ou de chagrin dans les propos de son enfant, — toujours aussi affectueuse, disons mieux, aussi tendre que par le passé, — il se rassura petit à petit, et sut même gré à leur jeune hôte de n’avoir pas prématurément déchiré, pour en hâter l’éclosion, le frêle bouton de cet amour qui semblait s’ignorer encore.

Ainsi se passèrent deux années de plus, sans amener aucun changement perceptible dans l’existence routinière dé la famille au sein de laquelle nous avons introduit nos lecteurs. Mais il en est du temps comme de ces corps de troupes qui, vus de loin, semblent immobiles et n’en avancent pas moins vers le but marqué d’avance à leurs manœuvres. On ne s’aperçoit de son influence fatale, toujours à l’œuvre, qu’au moment où ses menaces, longtemps inaperçues, se traduisent en effets immédiats. Ainsi en est-il pour vous qui me lisez, pour moi qui trace ces lignes ; ainsi en était-il pour M. Wilkins, chez lequel exerçaient à petit bruit leurs ravages ces habitudes que nous avons vues germer en lui, et qui prenaient insensiblement, sur cette nature peu résistante, une influence de plus en plus dominatrice. Chaque jour il laissait plus d’empire aux entraînements, aux distractions dont sa jeunesse n’avait pas été sevrée à temps. De ses penchants divers les moins nobles prenaient le dessus. Il achetait moins d’objets d’art, et payait ses chevaux beaucoup plus cher ; les satisfactions gastronomiques devenaient aussi plus importantes à ses yeux. Dans cette transformation graduelle, rien n’était assez excessif pour le mettre sur ses gardes et lui montrer un abîme se creusant sous ses pas. Au fait et au prendre, il ne faisait rien de plus ou de pis que ses pareils : seulement, en dehors des heures qu’il passait avec de joyeux compagnons, ceux-ci avaient une tâche à remplir et s’y consacraient tout entiers. Lourde ou légère, ils ne cherchaient point à éluder leur mission sociale, et, selon leurs lumières, la remplissaient dans l’intérêt commun, aussi bien le lieutenant de louveterie nettoyant les forêts de leurs animaux nuisibles, que le juge de paix réprimant le braconnage, ou M. Ness consultant un nouvel auteur classique. Wilkins seul, dégoûté de sa profession et renonçant à prendre sa part de la besogne commune, ne s’associait qu’aux plaisirs de ses voisins, nullement à leurs travaux, et, s’autorisant de cette supériorité intellectuelle qui donnait une valeur à ses loisirs, il l’énervait, il la diminuait par l’emploi toujours moins relevé de ces mêmes loisirs. Réduit, de plus, à se chercher sans cesse des excuses, il faussait peu à peu les inspirations d’une conscience importune. Par exemple, il se levait tard, et s’en prenait à M. Dunster de la physionomie effarée avec laquelle celui-ci lui annonçait que tel ou tel client des plus recommandables et des moins faits pour attendre, s’était retiré fort mécontent une heure après celle du rendez-vous convenu « Eh bien, que ne l’avez-vous reçu ? Vous savez aussi bien que moi ce qu’il y avait à lui répondre, » répliquait en pareil cas le négligent attorney, tâchant de conjurer, par cette flatterie indirecte, la censure de son rigide premier clerc. Et celui-ci ne manquait jamais de répliquer, avec une tranquillité désespérante, mais du ton le plus positif : « Cela se peut, monsieur, mais on n’aime pas toujours à causer de ses affaires les plus secrètes avec un simple subordonné. »

C’était là une suggestion indirecte, qui, le temps et la paresse aidant, se fraya chemin parmi les combinaisons de M. Wilkins. L’idée de s’associer Dunster, — et d’abdiquer ainsi une bonne portion d’une responsabilité qui lui pesait toujours davantage, — lui parut de plus en plus séduisante. Les clients qui refusaient de s’aboucher avec un commis, ne feraient plus la moindre façon, mis en face d’un des patrons. Il est vrai que la déplaisance du futur partner était une objection sérieuse ; car cette déplaisance était arrivée par degrés jusqu’à déterminer une véritable antipathie. La voix, le costume, les façons de Dunster causaient à son patron un véritable malaise, une irritation sourde dont celui-ci avait peine à contenir les éclats. Aussi, dans les premiers temps, M. Wilkins prenait un plaisir pervers à faire tour à tour luire et disparaître, devant les yeux de son ambitieux subordonné, l’espérance dont évidemment ce dernier aimait à se bercer ; mais, comme nous venons de le dire, en dépit de tout mauvais vouloir, la réalisation de cette espérance devenait de moment en moment plus certaine. La situation donnée ne comportait pas d’autre issue.

Quelle circonstance particulière amena le dénoûment inévitable ? Dunster, sur ce point, en demeura réduit aux conjectures. Ce furent sans doute quelques reproches reçus à propos d’une négligence plus criante que les autres, ou bien la menace de se voir retirer une clientèle de première importance : bref, la proposition attendue par Dunster fut faite par M. Wilkins qui lui donna, pour se dédommager, la forme la plus désagréable dont il se pût aviser. Mais la forme était peu de chose pour le premier clerc, façonné depuis longtemps aux aspérités de la vie. En toute affaire il ne voyait que la substance ; et les accessoires lui étaient indifférents. Ici le bénéfice n’avait rien de douteux, et l’offre fut acceptée sans la moindre hésitation, avec une sorte de ricanement intérieur.

Justement à la même époque, — soyons exact, quelques semaines plus tôt, — Ralph Corbet s’était enfin décidé à se déclarer. Il avait quitté l’université, s’était fait inscrire à Middle Temple, se plongeait dans l’étude du droit, et commençait à pressentir l’heure des succès futurs. Ellenor, d’ailleurs, venait de débuter aux assemblées de Hamley, et il était à craindre qu’un rival bien avisé ne profitât des retards de maître Ralph pour prendre date à son tour, et peut-être le gagner de vitesse. Une plus profonde connaissance du caractère de la jeune fille eût empêché Ralph de faire entrer en ligne de compte cette appréhension chimérique. Comptant pour rien les formules et les engagements exprès, elle s’était regardée comme la fiancée de son ami d’enfance et avait pris avec elle-même l’engagement de n’avoir jamais d’autre époux, dès l’instant où il lui avait laissé comprendre, sans le lui dire formellement, qu’elle était l’objet de ses préférences. Il lui parut même surprenant qu’il crût avoir à la questionner sur l’affection qu’elle lui avait vouée, et quand il lui demanda, tout tremblant, « si elle ne consentirait pas à l’épouser ? — En vérité, lui dit-elle, je ne pensais pas que le moindre doute vous fût permis à cet égard. » Restait à faire sanctionner cette mutuelle détermination par les autorités compétentes. Ralph se mit à la recherche de M. Wilkins, qui aurait dû être à son bureau, mais il le trouva se prélassant sur deux chaises, le cigare entre les lèvres, au bord d’un massif de fleurs : « Fumez-vous ? dit-il au jeune homme, après l’avoir fait asseoir. — Jamais, » lui répondit celui-ci avec une certaine emphase, et peut-être une légère intention de reproche. Puis il exposa sa requête en termes nefs et précis. Wilkins l’écoutait avec une certaine trépidation intime, dissimulée sous un air de complaisante bienveillance. Il soupirait en se rappelant la belle Lettice, leur mutuelle tendresse, et les riantes perspectives de leur jeune âge, bien moins radieuses à l’heure présente. Puis il lui en coûtait de renoncer une à affection aussi charmante que celle d’Ellenor. Il tendit cependant la main à son futur gendre et n’hésita pas à bénir le projet d’union. Après quoi, resté seul, il cacha quelques instants sa tête dans ses mains, se releva les yeux un peu rouges, et courut aux écuries où il fit seller immédiatement son meilleur cheval. Tandis que Wildfire l’emportait au galop à travers la campagne, un client obstiné s’impatientait dans l’étude, et contestait à M. Dunster le droit de représenter le patron absent.