L’Adolescence Clémentine/Rondeaux

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Les œuvres de Clément Marot
G. Roville (p. 333-370).

I

Rondeau responsif à ung aultre, qui se commenceoit, Maistre Clement mon bon Amy

En ung Rondeau sur le commencement

Ung vocatif, comme maistre Clement,

Ne peult faillir rentrer par Huys, ou Porte:

Aux plus sçavans Poëtes m'en rapporte,

Qui d'en user se gardent sagement.

Bien inventer vous fault premierement.

L'invention deschiffrer proprement,

Si que Raison, et Ryme ne soit morte

En ung Rondeau.

Usez de motz receuz communement,

Rien superflu n'y soit aulcunement,

Et de la fin quelque bon propos sorte,

Clouez tout court, rentrez de bonne sorte,

Maistre passé serez certainement

En ung Rondeau.


II[modifier]

A ung Creancier

Ung bien petit de pres me venez prendre,

Pour vous payer: et si debvez entendre,

Que je n'euz onc Angloys de vostre taille:

Car à tous coups vous criez baille, baille,

Et n'ay de quoy contre vous me deffendre.

Sur moy ne fault telle rigueur estendre,

Car de pecune ung peu ma bourse est tendre,

Et toutesfoys j'en ay, vaille que vaille,

Ung bien petit.

Mais à vous veoir (ou l'on me puisse pendre)

Il semble advis qu'on ne vous vueille rendre,

Ce qu'on vous doibt: beau Sire ne vous chaille.

Quand je seray plus garny de cliquaille,

Vous en aurez: mais il vous fault attendre

Ung bien petit.


III[modifier]

Du Disciple soustenant son Maistre contre les Detracteurs

Du premier coup, entendez ma response

Folz Detracteurs, mon Maistre vous annonce

Par moy, qui suis l'un de ses Clercs nouveaulx,

Que pour rimer ne vous craint deux Naveaulx,

Et eussiez vous de sens encor une once.

Si l'espargnez, tous deux je vous renonce:

Picquez le donc mieulx que d'Espine, ou Ronce,

Luy envoyant des meilleurs, et plus beaulx

Du premier coup.

Et tenez bon, ensuyvant ma semonce,

Car si ung coup ses deux Sourcilz il fronce,

Et eussiez-vous de Rimes, et Rondeaulx

Plein trois Barrilz, voire quatre Tonneaulx,

Je veulx mourir, s'il ne les vous deffonce

Du premier coup.


IV[modifier]

De celluy, qui incite une jeune Dame à faire Amy

A mon plaisir vous faictes feu, et basme,

Parquoy souvent je m'estonne ma Dame,

Que vous n'avez quelcque Amy par amours:

Au Diable l'ung, qui fera ses clamours

Pour vous prier, quand serez vieille lame.

Or en effect, je vous jure mon âme,

Que si j'estoie jeune, et gaillarde femme,

J'en auroys un devant qu'il fust trois jours

A mon plaisir.

Et pourquoy non? ce seroit grand diffame,

Si vous perdiez jeunesse, bruyt, et fame,

Sans esbranler Drap, Satin, et Velours.

Pardonnez moy, si mes motz sont trop lourdz,

Je ne vous veulx qu'apprendre vostre game

A mon plaisir.


V[modifier]

De l'Amoureux ardant

Au feu, qui mon cueur a choisy,

Jectez y, ma seule Deesse

De l'eau de grâce, et de lyesse,

Car il est consommé quasi.

Amours l'a de si pres saisy,

Que force est, qu'il crie sans cesse

Au feu.

Si par vous en est dessaisy,

Amours luy doint plus grand destresse,

Si jamais sert aultre maistresse:

Doncques ma Dame courez y

Au feu.


VI[modifier]

A une mesdisante

On le m'a dit, Dague à rouelle,

Que de moy en mal vous parlez:

Le vin que si bien avallez

Vous le mect il en la cervelle?

Vous estes rapporte nouvelle,

D'aultre chose ne vous mefiez,

On le m'a dit.

Mais si plus vous advient, Meselle,

Vos Reins en seront bien gallez:

Allez de par le Diable, allez,

Vous n'estes qu'une Maquerelle,

On le m'a dit.


VII[modifier]

A ung Poëte ignorant

Qu'on meine aux Champs ce Coquardeau,

Lequel gaste (quand il compose)

Raison, Mesure, Texte, et Glose,

Soit en Ballade, ou en Rondeau.

Il n'a cervelle, ne cerveau:

C'est pourquoy, si hault crier j'ose,

Qu'on meine aux champs ce Coquardeau.

S'il veult rien faire de nouveau,

Qu'il oeuvre hardiment en Prose

(J'entends s'il en sçait quelcque chose)

Car en Rime ce n'est qu'ung veau,

Qu'on meine aux champs.


VIII[modifier]

De la jeune Dame, qui a vieil Mary

En languissant, et en griefve tristesse

Vit mon las cueur, jadis plein de liesse,

Puis que l'on m'a donné Mary vieillard.

Helas pourquoy? riens ne sçait du vieil art

Qu'aprend Venus l'amoureuse Deesse.

Par ung desir de monstrer ma prouesse

Souvent l'assaulx: mais il demande, où est ce?

Ou dort (peult estre) et mon cueur veille à part

En languissant.

Puis quand je veulx luy jouer de finesse,

Honte me dict, cesse ma fille, cesse,

Garde t'en bien, à honneur prends esgard:

Lors je responds, honte, allez à l'escart,

Je ne veulx pas perdre ma jeunesse

En languissant.


IX[modifier]

Du mal content d'Amours

D'estre amoureux n'ay plus intention,

C'est maintenant ma moindre affection,

Car celle là, de qui je cuydoye estre

Le bien aymé, m'a bien faict apparoistre,

Qu'au faict d'amour n'y a que fiction.

Je la pensoys sans imperfection,

Mais d'aultre Amy a prins possession:

Et pource plus ne me veulx entremettre

D'estre amoureux.

Au temps present par toute nation

Les Dames sont comme ung petit Syon,

Qui tousjours ploye à dextre, et à senestre.

Brief, les plus fins ne s'y sçavent congnoistre:

Parquoy concludz, que c'est abusion

D'estre amoureux.


X[modifier]

De l'absent de s'Amye

Tout au rebours (dont convient que languisse)

Vient mon vouloir: car de bon cueur vous veisse,

Et je ne puis par devers vous aller.

Chante, qui veult: balle, qui veult baller,

Ce seul plaisir seulement je vousisse.

Et s'on me dit, qu'il fault que je choisisse

De par deça Dame, qui m'esjouisse,

Je ne sçaurois me tenir de parler

Tout au rebours.

Si respons franc, j'ay Dame sans nul vice,

Aultre n'aura en Amours mon service:

Je la desire, et souhaitte voller,

Pour l'aller veoir, et pour nous consoller:

Mais mes soubhaitz vont, comme l'Escrevice,

Tout au rebours.


XI[modifier]

De l'Amant doloreux

Avant mes jours mort me fault encourir

Par un regard, dont m'as voulu ferir,

Et ne te chault de ma griefve tristesse:

Mais n'est ce pas à toy grande rudesse,

Veu que tu peulx si bien me secourir?

Aupres de l'eau me fault de soif perir,

Je me voy jeune, et en aage fleurir,

Et si me monstre estre plein de vieillesse

Avant mes jours.

Or si je meurs, je veulx Dieu requerir

Prendre mon ame: et sans plus enquerir,

Je donne aux vers mon Corps plein de foiblesse.

Quant est du Cueur, du tout je le te laisse,

Ce nonobstant que me fasses mourir

Avant mes jours.


XII[modifier]

A monsieur de Pothon, pour le prier de parler au Roy

Là où sçavez, sans vous ne puis venir,

Vous estes cil, qui povez subvenir

Facilement à mon cas, et affaire,

Et des heureux de ce Monde me faire,

Sans qu'aulcun mal vous en puisse advenir.

Quand je regarde, et pense à l'advenir,

J'ay bon vouloir de sage devenir:

Mais sans support je ne me puis retraire

Là où sçavez.

Male Fortune a voulu maintenir,

Et a juré de tousjours me tenir:

Mais (Monseigneur) pour l'occire, et deffaire,

Envers le Roy vueillez mon cas parfaire,

Si que par vous je puisse parvenir,

Là où sçavez.


XIII[modifier]

De la mort de Monsieur de Chissay

D'un coup d'estoc Chissay noble homme, et fort,

L'an dix et sept soubz malheureux effort

Tomba occis au Moys qu'on seme L'orge

Par Pomperan: qui de Boucal, et Lorge

Fut fort blessé, quoy qu'il resistat fort.

Chissay beau, jeune, en credit, et support

Feit son debvoir au combat, et abord,

Mais par hasard fut frappé en la Gorge

D'un coup d'estoc.

Dont un chascun de dueil ses levres mord,

Disant helas l'honneste homme est il mort?

Pleust or à Dieu, et Monseigneur Sainct George,

Que tout baston eust esté en la Forge

Alors, qu'il fut ainsi navré à mort

D'un coup d'estoc.


XIV[modifier]

A ung Poëte Françoys

Mieulx resonnant, qu'à bien louer facile,

Est ton renom volant du domicile

Palladial vers la Terrestre gent:

Puis vers les Cieulx, dont as le tiltre gent

D'Aigle moderne, à suyvre difficile.

Je dy moderne, antique en façon mille:

Ce qui pres toy me rend bas, et humile,

D'autant que Plomb est plus sourd que l'Argent

Mieulx resonnant.

Ainsi ma plume, en qui bourbe distille,

Veult esclaircir l'onde claire, et utile,

Dont le gravier est assez refulgent

Pour troubler l'Oeil de l'esprit indigent,

Qui en tel cas a besoing d'aultre stile

Mieulx resonnant.


XV[modifier]

Au Seigneur Theocrenus, lisant à ses Disciples

Plus proffitable est de t'escouter lire,

Que d'Apollo ouyr toucher la lyre,

Où ne se prend plaisir que pour l'Oreille:

Mais en ta Langue ornée, et nonpareille

Chascun y peult plaisir, et fruict eslire.

Ainsi d'autant qu'un Dieu doibt faire, et dire

Mieulx qu'un Mortel, chose où n'ayt que redire,

D'autant il fault estimer ta merveille

Plus proffitable.

Brief, si dormir plus que veiller peult nuyre,

Tu doibz en loz par sus Mercure bruyre,

Car il endort l'Oeil de celluy, qui veille,

Et ton parler les endormis esveille,

Pour quelcque jour à repos les conduire

Plus proffitable.


XVI[modifier]

A Estienne du Temple

Tant est subtil, et de grande efficace

Le tien esprit, qu'il n'est homme qui face

Chose qui plus honneur, et loz conserve:

Et ce qu'as faict, Roy, Seigneur, Serf, ne Serve,

Ne le feit onc: je mectz Raison en face.

Qui veult descendre en la vallée basse,

Monté doibt estre avant en haulte place:

Mais ton esprit tout le contraire observe,

Tant est subtil.

Descendu es des Temples, quant à race:

Et puis monté au Temple, quant à grâce,

Je dy au temple excellent de Minerve.

Brief, ton descendre est d'antique reserve,

Et ton monter le Ciel cristallin passe,

Tant est subtil.


XVII[modifier]

Estienne Clavier à Clement Marot

Pour bien louer une chose tant digne,

Comme ton sens, il fault sçavoir condigne,

Mais moy pauvret d'esprit, et de sçavoir

Ne puis attaindre à si hault concepvoir:

Dont de despit souvent me pais, et disne.

Car je congnois que le fons, et racine

De tes escriptz ont prins leur origine

Si tresprofond, que je n'y puis rien veoir,

Pour bien louer.

Donc Orateurs chascun de vous consigne

Termes dorez puisez en la Piscine

Palladiane: et faictes le debvoir

Du filz Marot en telle estime avoir,

Qu'il n'a second en Poësie insigne,

Pour bien louer.


XVIII[modifier]

Responce dudict Marot, au dict Clavier

Pour bien louer, et pour estre loué

De tous espritz tu [dis] estre alloué, [doys]

Fors que du mien, car tu me plus que loues:

Mais en louant plus haultz termes alloues,

Que la sainct Jehan ou Pasques, ou Noué.

Qui noue mieulx, responds, ou C, ou E?

J'ay jusque icy en eau basse noué,

Mais dedans l'eaue Cabaline tu noues,

Pour bien louer.

C, c'est Clement contre chagrin cloué.

E, est Estienne, esveillé, enjoué:

C'est toy, qui maintz de loz tresample doues,

Mais endroit moy tu fais Cignes les Oues,

Quoy que de loz doives estre doué,

Pour bien louer.


XIX[modifier]

A ma Dame Jehanne Gaillarde de Lyon, femme de bon sçavoir

D'avoir le pris en science, et doctrine

Bien merita de Pisan la Cristine

Durant ses jours: mais ta Plume dorée

D'elle seroit à present adorée,

S'elle vivoit par volunté divine.

Car tout ainsi que le feu l'Or affine,

Le Temps a faict nostre langue plus fine,

De qui tu as l'eloquence asseurée

D'avoir le pris.

Doncques ma Main rends toy humble, et benigne,

En donnant lieu à la Main feminine:

N'escriptz plus rien en Ryme mesurée,

Fors que tu es une Main bien heurée,

D'avoir touché celle qui est tant digne

D'avoir le pris.


XX[modifier]

Responce au précédent Rondeau par la dicte Jehanne Gaillarde

De m'acquiter je me trouve surprise

D'ung foible esprit, car à toy n'ay sçavoir

Correspondant: tu le peulx bien sçavoir,

Veu qu'en cest art plus qu'aultre l'on te prise.

Si fusse autant eloquente, et apprise,

Comme tu dys, je feroys mon debvoir

De m'acquiter.

Si veulx prier la grâce en toy comprise,

Et les vertus, qui tant te font valoir,

De prendre en gré l'affectueux vouloir,

Dont ignorance a rompu l'entreprinse

De m'acquitter.


XXI[modifier]

A celluy dont les Lettres Capitales du Rondeau portent le nom

Veu ton esprit, qui les aultres surpasse,

Je m'esbahis comment je prends audace

Composer vers. Est ce pour te valoir,

Touchant cest art? c'est plus tost Bon vouloir,

Ou franc Désir, qui mon cueur induict à ce.

Rien n'est mon faict: le tien est bon de grâce.

Brief, ta façon en peu de Ryme embrasse

Raison fort grande, et sans grand peine avoir,

Veu ton esprit.

Or desormais, je vueil suyvre la trasse

De ton hault sens, duquel la veine passe

Entre les Rocz du profond concepvoir.

A tant me tais, mais si en tel sçavoir

Veulx t'adonner, tu seras l'outrepasse,

Veu ton esprit.


XXII[modifier]

A la louange de ma Dame la Duchesse d'Alençon, Soeur unique du Roy

Sans riens blasmer, je sers une maistresse,

Qui toute femme ayant noble haultesse

Passe en Vertus, et qui porte le nom,

D'une fleur belle, et en Royal surnom

Demonstre bien son antique noblesse.

En Chasteté elle excelle Lucresse:

De vif Esprit, de Constance, et Sagesse

S'en est l'Enseigne, et le droit Gouffanon,

Sans riens blasmer.

On pourroit dire, il l'estime sans cesse,

Pour ce que c'est sa Dame, et sa Princesse,

Mais on sçait bien, si je dy vray, ou non.

Brief, il ne fut en louable renom

Depuis mille ans une telle Duchesse,

Sans riens blasmer.


XXIII[modifier]

A ses Amys, ausquelz on rapporta qu'il estoit prisonnier

Il n'en est rien, de ce qu'on vous revelle,

Ceulx qui l'on dit, ont faulte de cervelle,

Car en mon cas il n'y a mesprison,

Et par dedans ne vy jamais prison:

Doncques Amys l'ennuy qu'avez, ostez le.

Et vous Causeurs pleins d'envie immortelle,

Qui vouldriez bien que la chose fust telle,

Crevez de dueil, de despit, ou poison:

Il n'en est rien.

Je rys, je chante en joye solennelle,

Je sers ma Dame, et me consolle en elle,

Je rime en Prose (et peult estre en raison)

Je sors dehors, je rentre en la maison:

Ne croyez pas doncques l'aultre nouvelle,

Il n'en est rien.


XXIV[modifier]

D'ung qui se plainct de mort, et d'Envie

Depuis quatre ans faulx Rapport vitieux,

Et de la Mort le dard pernicieux

Ont faict sur moy tomber maint grand orage:

Mais l'ung des deux m'a navré en courage

Trop plus que l'autre, et en bien plus de lieux.

Touchant Rapport, en despit de ses jeux

Je vy tousjours riche, sain, et joyeux,

Combien qu'à tort il m'ayt faict grand dommage

Depuis quatre ans.

Mais quand de Mort le remors furieux

S'en vient par fois passer devant mes yeux,

Lors suis contrainct de blasmer son oultrage:

Car luy tout seul m'a plus donné de rage,

Que n'a Envie, et tous les Envieulx,

Depuis quatre ans.


XXV[modifier]

D'ung se complaignant de Fortune

Fausse Fortune, ô que je te vy belle:

Las qu'à present tu m'es rude, et rebelle,

O que jadis feiz bien à mon desir,

Et maintenant me fais le desplaisir,

Que je craignoys plus que chose mortelle.

Enfans nourriz de sa gausche mamelle,

Composons luy (je vous prie) ung Libelle,

Qui picque dru, et qui morde à loisir

Faulse Fortune.

Par sa rigueur (helas) elle m'expelle

Du bien, que j'ay: disant, puis qu'il vient d'elle,

Qu'elle peult bien du tout m'en dessaisir.

Mais en fin Mort mort me fera gesir,

Pour me venger de sa Soeur la cruelle,

Faulse Fortune.


XXVI[modifier]

De compter sa Fortune

De Fortune trop aspre, et dure

Peult trop souffrir ung pauvre corps,

Si par parolle ne mect hors

La cause, pourquoy il endure.

Mais soubz constante couverture

On peult bien declairer les sors

De Fortune.

D'en dessirer Robe, et Ceincture,

Crier, et faire telz efforts,

Tout cela ne sert de riens, fors

A plus indigner la nature

De Fortune.


XXVII[modifier]

Du confict en douleurs

Si j'ay du mal, maulgré moy je le porte,

Et s'ainsi est, qu'aulcun me reconforte,

Son reconfort ma douleur poinct n'appaise:

Voylà comment je languis en mal aise

Sans nul espoir de liesse plus forte.

Et fault qu'ennuy jamais de moy ne sorte,

Car mon estat fut faict de telle sorte,

Des que fuz né. Pourtant ne vous desplaise,

Si j'ay du mal.

Quand je mourray, ma douleur sera morte,

Mais ce pendant mon pauvre cueur supporte

Mes tristes jours en Fortune maulvaise:

Dont force m'est que mon ennuy me plaise,

Et ne fault plus que je me desconforte,

Si j'ay du mal.


XXVIII[modifier]

Rondeau par contradictions

En esperant, Espoir me desespere,

Tant que la mort m'est vie tresprospere,

Me tourmentant de ce, qui me contente,

[Me contentant de ce, qui me tourmente;]

Pour la douleur du soulas que j'espere.

Amour hayneuse en aigreur me tempere:

Puis temperance aspre comme Vipere

Me refroidist soubz chaleur vehemente,

En esperant.

L'enfant aussi, qui surmonte le Pere,

Bande ses yeulx, pour veoir mon impropere:

De moy s'enfuyt, et jamais ne s'absente,

Mais sans bouger va en obscure sente

Cacher mon dueil, affin que mieulx appere,

En esperant.


XXIX[modifier]

Aux Amys, et Soeurs de feu Claude Perreal, Lyonnoys

En grand regret, si pitié vous remord,

Pleurez l'Amy Perreal, qui est mort,

Vous ses Amys: chascun prenne sa plume:

La mienne est preste, et bon desir l'alume

A deplorer (de sa part) telle mort.

Et vous ses Soeurs, dont maint [beau] Tableau sort,

Paindre vous fault, pleurantes son grief fort

Pres de la Tombe, en laquelle on l'inhume

En grand regret.

Regret me blesse, et si sçay bien au fort;

Qu'il fault; mourir, et que le desconfort

(Soit court, ou long) n'y sert que d'amertume:

Mais vraye amour, est de telle coustume,

Qu'elle contrainct les Amys plaindre fort

En grand regret.


XXX[modifier]

Du Vendredy sainct

Dueil, ou plaisir me fault avoir sans cesse:

Dueil, quand je voy (ce jour plein de rudesse)

Mon Redempteur pour moy en la croix pendre:

Ou tout plaisir, quand pour son sang espendre

Je me voy hors de l'infernale presse.

Je riray donc: non, je prendray tristesse.

Tristesse? ouy, dis je toute lyesse.

Brief, je ne sçay bonnement lequel prendre

Dueil ou plaisir.

Tous deux sont bons, selon que Dieu nous dresse:

Ainsi la Mort, qui le Saulveur oppresse,

Faict sur nos cueurs Dueil, et Plaisir descendre:

Mais nostre mort, qui en fin nous faict cendre,

Tant seulement l'ung, ou l'autre nous laisse,

Dueil ou Plaisir.


XXXI[modifier]

De la Conception Nostre Dame.

Comme Nature est en peché ancrée

Par art d'Enfer: grâce, qui nous recrée

Par art du Ciel, Marie en garentit,

Car aultrement cil, qui se y consentit,

Ne l'eust jamais à son Filz consacrée.

Mais il peult tout, et veult, et luy agrée,

Qu'un filz sacré aye Mere sacrée:

Ce qu'elle fut, et vice ne sentit,

Comme Nature.

Nature trop de fol desir oultrée,

Est en peché Originel entrée,

Et sans Baptesme onc homme n'en partit:

Mesmes jamais la Vierge n'en sortit,

Aussi jamais elle n'y feit entrée

Comme Nature.


XXXII[modifier]

De la veue des Roys de France, et d'Angleterre entre Ardres, et Guynes

De deux grands Roys la noblesse, et puissance

Veue en ce lieu nous donne congnoissance

Que amytié prend courage de Lyon

Pour ruer jus vieille rebellion,

Et mettre sus de Paix l'esjoyssance.

Soit en beaulté, sçavoir, et contenance,

Les Anciens n'ont point de souvenance

D'avoir onc veu si grand perfection

De deux grands Roys.

Et le Festin, la Pompe, et l'Assistance

Surpasse en bien le Triumphe, et prestance

Qui fut jadis sur le mont Pelyon.

Car de là vint la guerre d'Ylion:

Mais de cecy vient Paix, et alliance

De deux grands Roys.


XXXIII[modifier]

De ceulx, qui alloient sur Mulle au Camp d'Atigny

Aux champs, aux champs, Braves, qu'on ne vous trousse,

Prenez Harnoys, l'Arc, la Flesche, la Trousse

Pour vous deffendre en Haynault, ou Milan,

Et gardez bien d'y empoigner mal an,

Car le drap d'or bien peu sert, quand on poulse.

Raison pourquoy? on se y bat, et courrousse

Plus qu'à chasser à quelcque beste rousse,

Ou à voller la Pye, ou le Millan

Aux champs.

En cestuy camp, où la guerre est si doulce,

Allez sur Mulle avecques une Housse,

Aussi toulsez, qu'un Moine, ou Capellan:

Mais vous vouldriez estre en Hierusalem,

Quand ce viendra à donner la secousse

Aux champs.


XXXIV[modifier]

Au Roy, pour avoir argent au desloger de Reins

Au departir de la Ville de Reins

Faulte d'Argent me rend foible de reins,

Roy des Françoys, voire de telle sorte,

Que ne sçay pas comment d'icy je sorte,

Car mon Cheval tient mieulx que par les creins.

Puis l'hoste est rude, et plein de gros refrains:

Je y laisseray Mors, Bossette, et Frains,

Ce m'a il dit, ou le Diable l'emporte

Au departir.

Si vous supply, Prince, que j'ayme, et crains,

Faictes miracle avecques aulcuns grains,

Resuscitez ceste personne morte,

Ou aultrement demourray à la porte

Avec plusieurs, qui sont à ce contraintz

Au departir.


XXXV[modifier]

De celle, qui pour Estreines envoie à son Amy une de ses couleurs

Soubz esperance, et attente d'avoir

Responce faicte en plus profond sçavoir,

Les miens espritz ung lourd Rondeau t'escrivent

Et devers toy peu d'Estreines arrivent

Pour forte Amour entre nous concepvoir.

Gris, Blanc, et Bleu, sont mes couleurs (pour voir),

Mais du seul Gris je t'ay voulu pourvoir,

Dont sont vestuz plusieurs humains, qui vivent

Soubz Esperance.

Reçoy le donc, et vueille par ce voir

Que les tendans à leurs desirs se veoir

S'arment de Gris, et Desespoir ne suivent:

Car par luy seul souvent de bien se privent

Ceulx, qui pourroient mieulx que bien recepvoir

Soubz Esperance.


XXXVI[modifier]

D'ung lieu de plaisance

Plus beau, que fort ce lieu je puis juger,

Parquoy le veulx non pas comparager

A Ilyon, non à Troye la grande,

Mais bien au val tapissé de Lavande,

Où s'endormit Pâris jeune Berger.

En ce beau lieu Dyane vient loger:

Ne vueillez donc sur luy faulte songer,

Car il est tel, comme elle le demande,

Plus beau, que fort.

Maintz Ennemis le viennent assieger,

Dont le plus rude est le Serin legier,

L'autre le Geay, la Passe, et la Calande:

Ainsi la Dame (à qui me recommande)

S'esbat à veoir la guerre en son Verger

Plus beau, que fort.


XXXVII[modifier]

Des Nonnes, qui sortirent du Couvent pour se aller recréer

Hors du Couvent l'autrehyer soubz la Couldrette

Je rencontray mainte Nonne proprette

Suyvant l'Abbesse en grand devotion:

Si cours apres, et par affection

Vins aborder la plus jeune, et tendrette.

Je l'arraisonne, elle plainct, et regrette,

Dont je congneus (certes) que la pauvrette

Eust bien voulu aultre vacation

Hors du Couvent.

Toutes avoient soubz vesture secrette

Ung tainct vermeil, une mine saffrette,

Sans point avoir d'Amour fruition.

Ha (dis je lors) quelle perdition

Se faict icy de ce, dont j'ay souffrette

Hors du Couvent.


XXXVIII[modifier]

D'alliance de Pensée

Ung Mardy gras, que tristesse est chassée,

M'advint par heur d'amytié pourchassée

Une Pensée excellente, et loyalle:

Quand je dirois digne d'estre royalle,

Par moy seroit à bon droict exaulcée.

Car de rimer ma plume dispensée

Sans me louer veult louer la Pensée,

Qui me survint dansant en une Salle

Ung Mardy gras.

C'est celle qu'ay d'alliance pressée

Par ces attraictz: laquelle à voix baissée

M'a dit, je suis ta Pensée fealle,

Et toy la mienne, à mon gré cordialle:

Nostre alliance ainsi fut commencée

Ung Mardy gras.


XXXIX[modifier]

De sa grand Amye

Dedans Paris Ville jolye

Ung jour passant melancolie

Je prins alliance nouvelle

A la plus gaye Damoyselle,

Qui soit d'icy en Italie.

D'honnesteté elle est saisie,

Et croy (selon ma fantaisie)

Qu'il n'en est gueres de plus belle

Dedans Paris.

Je ne la vous nommeray mye,

Si non que c'est ma grand Amye;

Car l'alliance se feit telle,

Par ung doulx baiser, que j'eus d'elle

Sans penser aulcune infamie,

Dedans Paris.

XL[modifier]

De Trois Alliances

Tant et plus mon cueur se contente

D'alliances, car aultre attente

Ne me sçauroit mieulx assouvrir,

Veu que j'ay (pour honneur suivir)

Pensée, Grand Amye, et Tante.

La Pensée est noble, et prudente:

La grand Amye belle, et gente:

La Tante en bonté veulx pleuvir

Tant et plus.

Et ce Rondeau je luy presente;

Mais pour conclusion decente,

La premiere je veulx servir:

De l'autre l'amour desservir:

Croire la tierce, est mon entente

Tant et plus.


XLI[modifier]

Aux Damoyselles paresseuses d'escrire à leurs Amys

Bon jour: et puis, quelles nouvelles?

N'en sçauroit on de vous avoir?

S'en brief ne m'en faictes sçavoir,

J'en feray de toute nouvelles.

Puis que vous este si rebelles,

Bon Vespre, bonne Nuict, bon Soir,

Bon jour.

Mais si vous cueillez des Groiselles,

Envoyez m'en: car pour tout voir,

Je suis gros, mais c'est de vous veoir

Quelcque matin mes Damoyselles:

Bon jour.


XLII[modifier]

De celluy, qui nouvellement a receu Lettres de s'Amye

A mon desir d'un fort singulier estre

Nouveaulx escriptz on me faict apparoistre,

Qui m'ont ravy, tant qu'il fault que par eulx

Aye Lyesse; ou Enuy langoreux:

Pour l'ung, ou l'autre Amour si m'a faict naistre.

C'est par ung cueur, que du mien j'ay faict maistre,

Voyant en luy toutes vertus accroistre:

Et ne crains fors, qu'il soit trop rigoreux

A mon desir.

C'est une Dame en faictz, et dictz adextre,

C'est une Dame ayant la sorte d'estre

Fort bien traictant un loyal Amoureux.

Pleust or à Dieu, que feusse assez heureux,

Pour quelcque jour l'esprouver, et congnoistre.

A mon desir.


XLIII[modifier]

Des trois couleurs, Gris, Tanné, et Noir

Gris, Tanné, Noir porte la fleur des fleurs

Pour sa livrée, avec regretz, et pleurs:

Pleurs, et regretz en son cueur elle enferme,

Mais les couleurs, dont ses vestemens ferme

(Sans dire mot) exposent ses douleurs.

Car le Noir dit la fermeté des Cueurs:

Gris le travail: et Tanné les langueurs:

Par ainsi c'est, Langueur en Travail ferme,

Gris, Tanné, Noir.

J'ay ce fort mal par elle, et ses valeurs,

Et en souffrant ne crains aulcuns malheurs,

Car sa bonté de mieulx avoir m'afferme:

Ce nonobstant, en attendant le terme,

Me fault porter ces trois tristes couleurs,

Gris, Tanné, Noir.


XLIV[modifier]

D'ung soy deffiant de sa Dame

Plus qu'en aultre lieu de la ronde,

Mon cueur volle comme l'Aronde

Vers toy, en prieres, et dictz:

Mais si asprement l'escondis,

Que noyer le fais en claire unde.

Dont ne puis croire (ou l'on me tonde)

Que ton cueur à m'aymer se fonde,

Quand tous biens me y sont interdictz,

Plus qu'en aultre lieu.

Car il n'y a Princesse au Monde,

Qui m'aymast d'amour si profonde,

Comme celle que tu me dis,

Qui ne m'ouvrist le Paradis

De jouyssance, où grâce abonde

Plus qu'en aultre lieu.


XLV[modifier]

De celluy, qui ne pense qu'en s'Amye

Toutes les nuictz je ne pense qu'en celle,

Qui a le Corps plus gent qu'une pucelle

De quatorze ans, sur le poinct d'enrager,

Et au dedans ung cueur (pour abreger)

Autant joyeulx qu'eut oncque Damoyselle.

Elle a beau tainct, ung parler de bon zelle,

Et le Tetin rond comme une Grozelle.

N'ay je donc pas bien cause de songer

Toutes les nuictz?

Touchant son cueur, je l'ay en ma cordelle,

Et son Mary n'a sinon le Corps d'elle:

Mais toutesfois, quand il vouldra changer,

Prenne le Cueur: et pour le soulager

J'auray pour moy le gent Corps de la belle

Toutes les nuictz.


XLVI[modifier]

De Celluy, qui entra de Nuict chez s'Amye

De nuict, et jour fault estre adventureux,

Qui d'amours veult avoir biens plantureux:

Quant est de moy, je n'eus onc crainte d'âme,

Fors seulement, en entrant chez ma Dame,

D'estre aperceu des Langars dangereux.

Ung soir bien tard me feirent si paoureux,

Qu'advis m'estoit, qu'il estoit jour pour eulx:

Mais si entray je, et n'en vint jamais blasme

De nuict, et jour.

La nuict je prins d'elle ung fruict savoureux:

Au poinct du jour vy son corps amoureux

Entre deux draps plus odorans que Basme.

Mon Oeil adonc, qui de plaisir se pasme,

Dict à mes Bras, vous estes bien heureux

De nuict, et jour.


XLVII[modifier]

Du content en Amours

Là me tiendray, où à present me tien,

Car ma Maistresse au plaisant entretien

M'ayme d'un cueur tant bon, et desirable,

Qu'on me debvroit appeler miserable,

Si mon vouloir estoit aultre que sien.

Et fusse Helaine au gratieux maintien,

Qui me vint dire, Amy, faiz mon cueur tien,

Je respondroys, point ne seray muable:

Là me tiendray.

Qu'un chascun donc voise chercher son bien:

Quant est de moy, je me trouve tresbien.

J'ay Dame belle, exquise, et honnorable:

Parquoy fussé je unze mil ans durable,

Au dieu d'Amours ne demanderay rien:

Là me tiendray.


XLVIII[modifier]

De celluy, qui est demeuré, et s'Amye s'en est allée

Tout à part soy est melancolieux

Le tien Servant, qui s'eslongne des lieux,

Là où l'on veult chanter, dancer, et rire:

Seul en sa chambre il va ses pleurs escrire,

Et n'est possible à luy de faire mieulx.

Car quand il pleut, et le Soleil des Cieulx

Ne reluist point, tout homme est soucieux,

Et toute Beste en son creux se retire

Tout à part soy.

Or maintenant pleut larmes de mes yeux,

Et toy, qui es mon Soleil gracieux,

M'as délaissé en l'ombre de martyre:

Pour ces raisons loing des aultres me tire,

Que mon ennuy ne leur soit ennuyeux

Tout à part soy.


XLIX[modifier]

De celluy, de qui l'Amye a faict nouvel Amy

Jusque à la mort Dame t'eusse clamée,

Mais ung nouveau t'a si bien reclamée,

Que tu ne veulx qu'à son Leurre venir:

Si ne peulx tu contre moy soustenir,

Pourquoy l'amour deust estre consommée.

Car en tous lieux tousjours t'ay estimée,

Et si on dict, que je t'ay deprimée,

Je dy que non, et le veulx maintenir

Jusque à la mort.

Dieu doint que pis tu n'en sois renommée:

Car s'il est sceu, tu en seras nommée

Femme sans cueur, qui ne se peult tenir

D'aller au change, et à grand tort bannir

Celluy, qui t'eust parfaitement aymée

Jusque à la mort.


L[modifier]

De l'Amant Marry contre sa Dame

Du tout me veulx desheriter

De ton amours, car proffiter

Je n'y pourrois pas longue espace

Veu qu'un aultre reçoit ta grâce,

Sans mieulx que moy la meriter.

Puis qu'à toy se veult presenter,

De moy se debvra contenter,

Car je luy quitteray la place

Du tout.

Tes grâces sont fort à noter,

On n'y sçauroit mettre, ne oster.

Tu as beau corps, et belle face,

Mais ton cueur est plein de fallace:

Voylà qui m'en faict deporter

Du tout.


LI[modifier]

D'alliance de Soeur

Par alliance ay acquis une Soeur,

Qui en beaulté, en grâce, et en doulceur

Entre ung milier ne trouve sa pareille:

Aussi mon cueur à l'aymer s'appareille,

Mais d'estre aymé ne se tient pas bien seur.

Las, elle m'a navré de grand vigueur,

Non d'ung cousteau, ne par haine, ou rigueur,

Mais d'ung baiser de sa bouche vermeille

Par alliance.

Cil qui la voit, jouyt d'ung treshault heur:

Plus heureux est, qui parle à sa haulteur,

Et plus heureux, à qui preste l'oreille:

Bien heureux donc debvroit estre à merveille

Qui en amours seroit son serviteur

Par alliance.


LII[modifier]

D'une Dame, ayant beaulté, et bonne grâce

Grande vertu, et beaulté naturelle

Ne sont souvent en forme corporelle,

Mais ta forme est en beaulté l'outrepasse,

D'aultant que l'Or tous les Metaulx surpasse,

Et si voit on mainte vertu en elle.

Aussi par tout en volle la nouvelle,

En ce qui plus ton renom renouvelle,

C'est que tu as (toy seulle) double grâce,

Grande vertu.

Grâce en maintien, et en parolle belle:

Grâce en apres, que mercy on appelle:

L'une contrainct, que t'amour on pourchasse:

L'aultre de toy la jouyssance brasse:

Je te supplie, use envers moy d'icelle

Grande vertu.


LIII[modifier]

A la jeune Dame melancolique, et solitaire

Par seulle amour, qui a tout surmonté,

On trouve grâce en divine bonté,

Et ne la fault par aultre chemin querre:

Mais tu la veulx par cruaulté conquerre,

Qui est contraire à bonne volunté.

Certes c'est bien à toy grand cruaulté,

De user en dueil la jeunesse, et beaulté,

Que t'a donné Nature sur la terre

Par seulle amour.

En sa verdeur se resjouist l'Esté,

Et sur l'Yver laisse joyeuseté:

En ta verdeur plaisir doncques asserre,

Puis tu diras (si vieillesse te serre)

A Dieu le temps, qui si bon a esté

Par seulle amour.


LIV[modifier]

A une Dame, pour luy offrir cueur, et service

Tant seullement ton Amour je demande,

Te suppliant que ta beaulté commande

Au cueur de moy, comme à ton serviteur,

Quoy que jamais il ne desservit heur,

Qui procedast d'une grâce si grande.

Croy que ce cueur de te congnoistre amande,

Et vouluntiers se rendroit de ta bande,

S'il te plaisoit luy faire cest honneur

Tant seullement.

Si tu le veulx, metz le soubz ta commande:

Si tu le prends, las je te recommande

Le triste Corps, ne le laisse sans Cueur,

Mais loges y le tien, qui est vainqueur

De l'humble Serf, qui son vouloir te mande

Tant sellement.


LV[modifier]

A une Dame pour la louer

Rondeau, où toute aigreur abonde,

Va veoir la doulceur de ce Monde:

Telle doulceur t'adoulcira,

Et ton aigreur ne l'aigrira.

Trop plus qu'en aultre en moy s'est arresté

Fascheux ennuy: car Yver, et Esté

N'ay veu que fraulde, hayne, vice, et oppresse

Avec chagrin: et durant ceste presse,

Plus mort, que vif au Monde j'ay esté.

Mais le mien cueur (lors de vie absenté)

Commence à vivre, et revient à santé,

Et tout plaisir vers moy prend son adresse,

Trop plus qu'en aultre.

Car maintenant j'aperçoy loyauté,

Je voy à l'oeil Amour, et feaulté,

Je voy vertu, je voy pleine lyesse.

Tout cela voy: voire mais en qui est ce?

C'est en vous seule, ou gist toute beaulté

Trop plus qu'en aultre.


LVI[modifier]

A la fille d'ung Painctre d'Orleans, belle entre les autres

Au temps passé Apelles Painctre sage

Feit seullement de Venus le visage

Par fiction: mais (pour plus hault attaindre)

Ton Pere a faict de Venus (sans rien faindre)

Entierement la face, et le corsage.

Car il et Painctre, et tu es son ouvrage

Mieulx ressemblant Venus de forme, et d'aage,

Que le Tableau, qu'Apelle voulut paindre

Au temps passé.

Vray est qu'il feit si belle son ymage,

Qu'elle eschauffoit en Amour maint courage;

Mais celle là que ton Pere a sceu taindre,

Y mect le feu, et a dequoy l'estaindre:

L'aultre n'eut pas ung si gros advantage

Au temps passé.


LVII[modifier]

Du baiser de s'Amye

En la baisant m'a dit, Amy sans blasme

Ce seul baiser, qui deux bouches enbasme,

Les arres sont du bien tant esperé:

Ce mot elle a doulcement proferé

Pensant du tout appaiser ma grand flamme.

Mais le mien cueur adonc plus elle enflamme,

Car son alaine odorant plus que basme

Souffloit le feu qu'Amour m'a preparé

En la baisant.

Brief, mon esprit sans congnoissance d'âme

Vivoit alors sur la bouche à ma Dame,

Dont se mouroit le corps enamouré:

Et si la levre eust gueres demouré

Contre la mienne, elle m'eust sucé l'âme

En la baisant.


LVIII[modifier]

Pour ung, qui est allé loing de s'Amye

Loing de tes yeux t'amour me vient poursuivre

Autant ou plus qu'elle me souloit suivre

Aupres de toy: car tu as (pour tout seur)

Si bien gravé dedans moy ta doulceur,

Que mieulx graver se pourroit en cuivre.

Le corps est loing, plus à toy ne se livre:

Touchant le cueur, ta beaulté m'en delivre.

Ainsi je suis (long temps a) sans mon cueur,

Loing de tes yeux.

Or l'homme est mort, qui n'a son cueur delivre:

Mais endroit moy ne s'en peult mort ensuyvre,

Car si tu as le mien plein de langueur,

J'ay avec moy le tien plein de vigueur,

Lequel aultant que le mien me faict vivre

Loing de tes yeux.


LIX[modifier]

De la Paix traictée à Cambray par trois Princesses

Dessus la Terre on voyt les trois Deesses,

Non pas les trois, qui après grand liesses

Misrent au Monde aspre guerre, et discord:

Ces trois icy avec paix, et accord

Rompent de Mars les cruelles rudesses.

Par ces trois là entre tourbes, et presses

La Pomme d'or causa grandes oppresses:

Par ces trois cy l'Olive croist, et sort

Dessus la Terre.

S'elle fleurist, sont divines largesses

S'elle flestrist, sont humaines sagesses:

Et en viendra (si l'Arbre est bon, et fort)

Gloire à Dieu seul, aux humains reconfort,

Amour de peuple aux trois grandes Princesses

Dessus la Terre.


LX[modifier]

A Monsieur de Belleville

En attendant que plus grand Oeuvre face,

Pour presenter devant la clere face

De Diana, Seigneur tant estimé,

Prens cest escript mal poli, et limé:

Et si lourd suis, mes offenses efface.

Si respondray je à ton envoy, qu'Orace

N'amenderoit. Voyre mais, quand sera ce?

Tu le sçauras par ce Rondeau rimé

En attendant.

Ce sera lors, que ma Muse trop basse

Se haulsera pour louer l'outrepasse

En Bruyt, et Los, qui par tout est semé.

Loyal Amant tresdigne d'estre aymé

Vueilles moy mettre, et tenir en sa grâce

En attendant.


LXI[modifier]

Sur la devise de Madame de Lorraine: Amour, et Foy

Amour, et Foy sont bien appariez,

Voire trop mieulx ensemble mariez

Que les humains, qu'en ce Monde on marie:

Car jamais Foy de l'Amour ne varie:

Et vous humains bien souvent variez.

Dames de cueur icy estudiez:

Ces deux beaulx dons Dieu vous a dediez,

Et sont seans en haulte seigneurie

Amour, et Foy.

Tant sont uniz, tant sont bien alliez,

Qu'oubliant l'ung, l'autre vous oubliez:

Si l'Amour fault, la Foy n'est plus cherie:

Si Foy perit, l'Amour s'en va perie:

Pour ce les ay en devise lyez,

Amour, et Foy.


LXII[modifier]

De l'Amour du Siecle Antique


Au bon vieulx temps ung train d'Amours regnoit,

Qui sans grand art, et dons se demenoit,

Si qu'un boucquet donné d'Amour profonde,

S'estoit donné tout la Terre ronde,

Car seulement au cueur on se prenoit.

Et si par cas à jouyr on venoit,

Sçavez vous bien comme on s'entretenoit?

Vingt ans, trente ans: cela duroit ung Monde

Au bon vieulx temps.

Or est perdu ce qu'Amour ordonnoit,

Rien que pleurs fainctz, rien que changes on n'oyt,

Qui vouldra donc qu'à aymer je me fonde,

Il fault premier que l'Amour on refonde,

Et qu'on la meine ainsi, qu'on la menoit

Au bon vieulx temps.

LXIII[modifier]

Rondeau par Victor Brodeau, responsif au precedant

Au bon vieulx temps, que l'amour par bouquetz

Se demenoit, et par joieux caquetz,

La femme estoit trop sotte, ou trop peu fine:

Le temps depuis, qui tout fine, et affine,

Luy a monstré à faire ces acquetz.

Lors les Seigneurs estoient petis Nacquetz,

D'aux, et Oignons se faisoient les banquetz,

Et n'estoit bruict de ruer en cuisine

Au bon vieulx temps.

Dames aux huis n'avoient clefz, ne loquetz:

Leur garde robe estoit petis pacquetz

De Canevas, ou de grosse Estamine:

Or, Diamans on laissoit en leur Mine,

Et les couleurs porter aux Perroquetz

Au bon vieulx temps.


LXIV[modifier]

D'une Dame, à ung Importun

Tant seullement ton repos je desire,

T'advertissant (puis qu'il fault le te dire)

Que je ne suis disposée à t'aymer:

Si pour cueillir tu veulx donc semer,

Trouve aultre champ, et du mien te retire.

Brief, si ton cueur plus à ce chemin tire,

Il ne fera que augmenter son martyre,

Car je ne veulx serviteur te nommer

Tant seullement.

Tu peulx donc bien aultre maistresse eslire:

Que pleust à Dieu qu'en mon cueur pusses lire,

Là où Amour ne t'a sceu imprimer:

Et m'esbahis (sans rien desestimer)

Comment j'ay prins la peine de t'escrire

Tant seullement.

LXV[modifier]

De la mal mariée, qui ne veult faire Amy

Contre raison Fortune l'esvollée

Trop lourdement devers moy est vollée,

Quand pour loyer de ma grand loyaulté

Du mien Espoux je n'ay que cruaulté,

En lieu d'en estre en mes maulx consollée.

Or d'aultre Amy ne seray je accollée,

Et aymeroys mieulx estre descollée,

Que desloiaille à sa desloiauté

Contre raison.

La fleur des champs n'est seichée, et foulée

Qu'en temps d'yver, mais moy pauvre affollée

Perds en tout temps la fleur de ma beaulté.

Helas ma Mere, en qui j'ay privaulté,

Reconfortez la pauvre desollée,

Contre raison.


LXVI[modifier]

De l'inconstance de Ysabeau,

Comme inconstante, et de cueur faulse, et lasche,

Elle me laisse. Or puis qu'ainsi me lasche,

A vostre advis ne la doibs je lascher?

Certes ouy: [et] aultrement fascher [mais]

Je ne la veulx, combien qu'elle me fasche.

Il luy fauldroit (au train qu'à mener tasche)

Des Serviteurs à journée, et à tasche.

En trop de lieux veult son cueur attacher

Comme inconstante.

Or pour couvrir son grand vice, et sa tache,

Souvent ma plume à la louer s'attache:

Mais à cela je ne veulx plus tascher,

Car je ne puis son maulvais bruyt cacher

Si seurement, qu'elle ne se descache

Comme inconstante.


LXVII[modifier]

Rondeau parfaict.

A ses Amys apres sa delivrance

En liberté maintenant me pourmaine,

Mais en prison pour tant je fuz cloué:

Voyla comment Fortune me demaine.

C'est bien, et mal. Dieu soit de tout loué.

Les Envieux ont dit, que de Noé

N'en sortirois: que la Mort les emmaine.

Maulgré leurs dentz le neud est desnoué,

En liberté maintenant me pourmaine.

Pourtant si j'ay fasché la Court Rommaine,

Entre meschans ne fuz oncq alloué:

Des biens famez j'ay hanté le dommaine:

Mais en prison pourtant je fuz cloué.

Car aussi tost que fuz desavoué

De celle là, qui me fut tant humaine,

Bien tost apres à sainct Pris fuz voué:

Voylà comment Fortune me demaine.

J'eus à Paris prison fort inhumaine:

A Chartes fuz doulcement encloué:

Maintenant voys, où mon plaisir me maine.

C'est bien, et mal. Dieu soit de tout loué.

Au fort, Amys, c'est à vous bien joué,

Quand vostre main [hors du parc] me ramaine.[hors de per]

Escript, et faict d'ung cueur bien enjoué,

Le premier jour de la verte Sepmaine,

En liberté.