L’Encyclopédie/1re édition/ÊTRE

La bibliothèque libre.

ÊTRE, s. m. (Métaph.) notion la plus générale de toutes, qui renferme non-seulement tout ce qui est, a été, ou sera, mais encore tout ce que l’on conçoit comme possible. On peut donc définir l’être ce à quoi l’existence ne répugne pas. Un arbre qui porte fleurs & fruits dans un jardin est un être ; mais un arbre caché dans le noyau ou dans le pepin n’en est pas moins un, en ce qu’il n’implique point qu’il vienne au même état. Il en est de même du triangle tracé sur le papier, ou seulement conçu dans l’imagination.

Pour arriver à la notion de l’être, il suffit donc de supposer unies des choses qui ne sont point en contradiction entre elles, pourvû que ces choses ne soient point déterminées par d’autres, ou qu’elles ne se determinent point réciproquement. C’est ce qu’on appelle l’essence par laquelle l’être est possible. Voyez Essence, Attribut, Mode.

Être feint, c’est un être auquel nous supposons que l’existence ne répugne pas, quoiqu’elle lui répugne en effet. Cela arrive, par exemple, lorsque notre imagination combine des parties qui semblent s’ajuster, mais dont le tout ne pourroit néanmoins subsister. Un peintre peut joindre une tête d’homme à un corps de cheval, & à des piés de bouc ; mais un peu d’attention à la disproportion des organes, montre que leur assemblage ne produiroit pas un être vivant. Cependant comme on ne sauroit absolument démontrer l’impossibilité de ces êtres, on les laisse dans la classe des êtres ; & il faut les nommer êtres feints.

Être imaginaire, c’est une espece de représentation qu’on se fait de choses purement abstraites, & qui n’ont aucune existence réelle, ni même possible. L’idée de l’espace & du tems sont ordinairement de ce genre. Les infiniment petits des Mathématiciens sont des êtres purement imaginaires, qui ne laissent pas d’avoir une extreme utilité dans l’art d’inventer. Une telle notion imaginaire met à la place du vrai une espece d’être, qui le représente dans la recherche de la vérité : c’est un jetton dans le calcul, auquel il faut bien prendre garde de ne pas donner une valeur intrinseque, ou une existence réelle. Voy. Différentiel, Infini, &c.

Être externe, c’est celui qui a une relation quelconque avec un être donné.

Être singulier, voyez Individu.

Être universel, c’est celui qui n’a pas toutes ses déterminations, mais qui ne contient que celles qui sont communes à un certain nombre d’individus ou d’especes. Il y a des degrés d’universalité qui vont en augmentant à mesure qu’on diminue le nombre des déterminations, & qui vont en diminuant quand les déterminations se multiplient. Les êtres universaux qui ne sont autre chose que les genres & les especes, se forment par abstraction, lorsque nous ne considérons que les qualités communes à certains êtres, pour en former une notion sous laquelle ces êtres soient compris. La fameuse question de l’existence à parte rei des universaux, qui a fait tant de bruit autrefois, mérite à peine d’être indiquée aujourd’hui. Pierre & Paul existent : mais où existe l’idée générale de l’homme, ailleurs que dans le cerveau qui l’a conçûe ? Voyez Abstraction.

Être actuel, c’est celui qui existe avec toutes ses déterminations individuelles, & on l’appelle ainsi par opposition au suivant.

Être potentiel ou en puissance, c’est celui qui n’existe pas encore, mais qui a ou peut avoir sa raison suffisante dans des êtres existans : c’est ce qu’on appelle la puissance prochaine. Mais quand les êtres qui renferment la raison suffisante de quelques autres n’existent pas encore eux-mêmes, la puissance des êtres qui en doivent résulter est dite éloignée ; & cela plus ou moins, à proportion de l’éloignement où sont de l’existence les êtres qui renferment leur raison d’existence. Une semence féconde à laquelle il ne manque que le tems & la culture, est dans la puissance prochaine de devenir la plante ou l’arbre qu’elle contient ; mais les plantes de même espece qui viendront de la semence produite par la plante qui est encore cachée elle-même dans sa semence, ne sont que dans une puissance éloignée.

Être positif, c’est celui qui consiste dans une réalité, & non dans une privation. La vûe, par exemple, la lumiere, sont des êtres positifs qui désignent des choses réelles dans les sujets où ils se trouvent.

Être privatif, c’est celui qui n’exprime qu’un défaut, & l’absence de quelque qualité réelle : tels sont l’aveuglement, les ténebres, la mort. On transforme souvent par une notion imaginaire ces privations en êtres réels, & on leur donne gratuitement des attributs positifs : cependant c’est un abus, & l’être privatif n’est autre chose que la négation de tout ce qui convient à l’être positif.

Être permanent, c’est celui qui a toutes ses déterminations essentielles à la fois. Un horloge est un être permanent, dont toutes les parties existent ensemble.

Être successif, c’est celui dont les déterminations essentielles sont successives : tel est le mouvement, dont une détermination n’existe qu’après l’autre.

Être simple, composé, fini, infini, nécessaire, contingent, vrai ; voyez-en les articles. Article de M. Formey.

Être moral, (Droit nat.) Les êtres moraux sont certaines modifications attachées aux choses, soit essentiellement par la volonté divine, soit par institution humaine pour le bonheur & l’avantage des hommes dans la société, autant qu’elle est susceptible d’ordre & de beauté, par opposition à la vie des bêtes.

Tous les êtres moraux essentiellement attachés aux choses, peuvent être réduits à deux, le droit & l’obligation : c’est-là du moins le fondement de toute moralité ; car on ne reconnoît rien de moral, soit dans les actions, soit dans les personnes, qui ne vienne ou de ce que l’on a droit d’agir d’une certaine maniere, ou de ce que l’on y est obligé.

Les êtres moraux qui ont été produits par l’institution divine, ne peuvent être anéantis que par le créateur : ceux qui procedent de la volonté des hommes, s’abolissent par un effet de la même volonté, sans pourtant que la substance physique des personnes reçoive en elle-même le moindre changement. Par exemple, quand un gentilhomme est dégradé, il ne perd que les droits de la noblesse ; tout ce qu’il tenoit de la nature subsiste toujours en son entier : c’est ce qu’exprime si bien le beau mot de Démetrius de Phalere, lorsqu’on eut appris à ce philosophe que les Athéniens avoient renversé ses statues ; mais, répondit-il, ils n’ont pas renversé la vertu en considération de laquelle ils me les avoient dressées. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Être sensitif ou Ame, voyez Evidence.

Être suprème, Dieu, premiere cause, intelligence par essence. Voyez Evidence.