L’Encyclopédie/1re édition/ANTIPÉRISTASE

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 511-512).

ANTIPÉRISTASE, s. f. dans la Philosophie de l’école, est l’action de deux qualités contraires, dont l’une par son opposition excite & fortifie l’autre. Voyez Qualité.

Ce mot est Grec, ἀντὶ περίστασις, & se forme de ἀντὶ contra, contre, & περίσταμαι, être autour ; comme qui diroit résistance à quelque chose qui entoure ou assiége.

On définit l’antipéristase l’opposition d’une qualité contraire à une autre, par laquelle est augmentée & fortifiée celle à qui elle résiste ; ou l’action par laquelle un corps auquel un autre résiste, devient plus fort à cause de l’opposition qu’il essuie ; ou l’effet de l’activité d’une qualité augmenté par l’opposition d’une autre qualité.

C’est ainsi, disent les Philosophes de l’école, que le froid en bien des occasions augmente le degré de la chaleur, & l’humide celui de la secheresse. Voyez Froid & Chaleur. C’est ainsi que de la chaux vive prend feu par la simple effusion de l’eau froide. Ainsi le feu est plus vif en hyver qu’en été, par antipéristase ; & c’est la même cause qui produit le tonnerre & les éclairs dans la moyenne région, où le froid est perpétuel.

Cette antipéristase est, comme l’on voit, d’une grande étendue & d’un grand secours dans la Philosophie péripatéticienne : il est nécessaire, disent les partisans de cette Philosophie, que le froid & le chaud soient l’un & l’autre doüés de la faculté de se donner de la vigueur, afin que chacun d’eux la puisse exercer lorsqu’il est comme assiégé par son contraire, & qu’ils puissent prevenir par ce moyen leur mutuelle destruction ; ainsi en été le froid chassé de la terre & de l’eau par les brûlantes ardeurs du Soleil, se retire dans la moyenne région de l’air, & s’y défend contre la chaleur qui est au-dessus, & contre celle qui est au-dessous de lui ; de même en été quand l’air qui nous environne est d’une chaleur étouffante, nous trouvons la qualité contraire dans les soûterrains & dans les caves : au contraire en hyver quand le froid fait geler les lacs & les rivieres, l’air enfermé dans les soûterrains & les caves devient l’asyle de la chaleur ; l’eau fraîchement tirée des puits & des sources profondes en hyver, est non-seulement chaude, mais encore sensiblement fumante. M. Boyle a examiné cette opinion avec beaucoup de soin dans son histoire du froid. Il est certain qu’à priori, & la considérant en elle-même indépendamment des expériences alléguées pour soûtenir l’antipéristase, elle est métaphysiquement absurde ; car enfin il est naturel de penser qu’un contraire n’en fortifie point un autre, mais qu’il le détruit.

Il est vrai que pour soûtenir la prétendue force que la nature a donnée aux corps pour fuir leurs contraires, on allegue ordinairement que des gouttes d’eau se rapprochent en globules sur une table, & se garantissent elles-mêmes ainsi de leur destruction ; mais on explique aisément ce phénomene par d’autres principes plus conformes aux lois de la nature. Voyez Attraction. A l’égard de l’antipéristase du froid & de la chaleur, les Péripatéticiens nous les représentent environnés de leur contraire, comme si chacune de ces qualités avoit une intelligence, & prévoyoit qu’en négligeant de rappeller toutes ses forces, & de s’en faire un rempart contre son ennemi, elle périroit inévitablement ; c’est-là transformer des agens physiques en agens moraux. L’expérience aussi-bien que la raison est contraire à la supposition d’une antipéristase. Le grand argument que l’on allegue pour sa défense est la chaleur que contracte la chaux vive lorsqu’on la met dans l’eau froide. Mais qui pourroit voir sans en être surpris, à quel point les hommes ont été paresseux & crédules, en se laissant si long-tems & si généralement aveugler d’une opinion dont il leur étoit si facile de voir la fausseté ? Car enfin il n’y a qu’à éteindre la chaux avec de l’eau chaude, pour y voir souvent une ébullition bien plus grande que si l’eau étoit froide.

Lorsqu’on fait geler de l’eau dans un bassin avec un mêlange de neige & de sel auprès du feu, l’on prétend que ce feu est l’occasion du degré de froid capable de congeler l’eau : mais il n’est nullement besoin d’une antipéristase pour trouver la raison de cette expérience ; puisque M. Boyle en a fait un essai qui a parfaitement réussi dans un endroit qui étoit sans feu, & où même, selon toute apparence, il ne s’en étoit jamais allumé.

Autre argument des partisans de l’antipéristase : la grêle ne s’engendre qu’en été ; la plus basse région de l’air est, suivant les écoles, le lieu où elle se forme : le froid qui regne dans cette région congele ces gouttes de pluie qui tombent, ce froid étant fort considérable à cause de la chaleur qui regne alors dans l’air voisin de la terre. Voyez à l’article Grêle, l’explication de ce phénomene. Quant à la fraîcheur que l’on trouve dans les soûterrains en été, le thermometre prouve que le froid y est moindre dans cette saison qu’en hyver ; ainsi l’on n’en sauroit conclurre une antipéristase. Voyez Caves.

La fumée des eaux qui se tirent des lieux profonds en tems de gelée, ne prouve point qu’elles soient plus chaudes alors que dans la saison où elles ne fument point ; cet effet provient, non de la plus grande chaleur de l’eau, mais du plus grand froid qui regne dans l’air. C’est ainsi que l’haleine d’un homme en hyver devient très-visible ; l’air froid qui l’entoure condense tout d’un coup les vapeurs qui sortent des poumons, & qui dans un tems plus chaud se répandent incontinent dans l’air en particules imperceptibles. Voyez les articles Eau, Froid, Emanations, &c. (O)