L’Encyclopédie/1re édition/APOCALYPSE

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 527-528).
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APOCALYPSE, s. m. (Théol.) du Grec ἀποκαλυψις, révélation ; c’est le nom du dernier livre canonique de l’Ecriture. Voyez Canon & Bible.

Il contient en vingt-deux chapitres une prophétie touchant l’état de l’Eglise, depuis l’Ascension de Jesus-Christ au ciel jusqu’au dernier jugement : & c’est comme la conclusion de toutes les saintes Ecritures, afin que les fideles reconnoissant la conformité des révélations de la nouvelle alliance avec les prédictions de l’ancienne, soient plus confirmés dans l’attente du dernier avenement de Jesus-Christ. Ces révélations furent faites à l’apôtre S. Jean durant son exil dans l’île de Pathmos, pendant la persécution de Domitien. Voyez Révelation.

L’enchaînement d’idées sublimes & prophétiques qui composent l’Apocalypse, a toûjours été un labyrinthe pour les plus grands génies, & un écueil pour la plûpart des Commentateurs. On sait par quelles rêveries ont prétendu l’expliquer Drabienis, Joseph Mede, le ministre Jurieu, le grand Newton lui-même. Les secrets qu’elle renferme, & l’explication frivole que tant d’Auteurs ont tenté d’en donner, sont bien propres à humilier l’esprit humain.

On a long-tems disputé dans les premiers siecles de l’Eglise sur l’authenticité & la canonicité de ce livre : mais ces deux points sont aujourd’hui pleinement éclaircis. Quant à son authenticité, quelques Anciens la nioient : Cérinthe, disoient-ils, avoit donné à l’Apocalypse le nom de S. Jean, pour donner du poids à ses rêveries, & pour établir le regne de Jesus-Christ pendant mille ans sur la terre après le jugement. Voyez Millenaires. S. Denys d’Alexandrie, cité par Eusebe, l’attribue à un personnage nommé Jean, différent de l’Evangéliste. Il est vrai que les plus anciennes copies Greques, tant manuscrites qu’imprimées de l’Apocalypse, portent en tête le nom de Jean le divin. Mais on sait que les Peres Grecs donnent par excellence ce surnom à l’apôtre S. Jean pour le distinguer des autres Evangélistes, & parce qu’il avoit traité spécialement de la divinité du Verbe. A cette raison l’on ajoûte, 1°. que dans l’Apocalypse S. Jean est nommément designé par ces termes : à Jean qui a publié la parole de Dieu, & qui a rendu témoignage de tout ce qu’il a vû de Jesus-Christ ; caracteres qui ne conviennent qu’à l’Apôtre. 2°. Ce livre est adressé aux sept Eglises d’Asie, dont S. Jean avoit le gouvernement. 3°. Il est écrit de l’île de Pathmos, où S. Irenée, Eusebe & tous les Anciens conviennent que l’apôtre S. Jean fut relégué en 95, & d’où il revint en 98 : époque qui fixe encore le tems où l’ouvrage fut composé. 4°. Enfin plusieurs Auteurs voisins des tems apostoliques, tels que Saint Justin, S. Irenée, Origene, Victorin, & après eux une foule de Peres & d’Auteurs ecclésiastiques, l’attribuent à S. Jean l’Evangéliste. V. Authenticité & Authentique.

Quant à sa canonicité, elle n’a pas été moins contestée. S. Jérôme rapporte que dans l’Eglise Greque, même de son tems, on la révoquoit en doute. Eusebe & S. Epiphane en conviennent. Dans les catalogues des Livres saints, dressés par le concile de Laodicée, par S. Grégoire de Nazianze, par S. Cyrille de Jérusalem, & par quelques autres Auteurs Grecs, il n’en est fait aucune mention. Mais on l’a toûjours regardé comme canonique dans l’Eglise Latine. C’est le sentiment de S. Justin, de S. Irenée, de Théophile d’Antioche, de Méliton, d’Apollonius, & de Clément Alexandrin. Le troisieme concile de Carthage, tenu en 397, l’inséra dans le canon des Ecritures, & depuis ce tems-là l’Eglise d’orient l’a admis comme celle d’occident.

Les Alogiens, hérétiques du deuxieme siecle, rejettoient l’Apocalypse, dont ils tournoient les révélations en ridicule, sur-tout celles des sept trompettes, des quatre Anges liés sur l’Euphrate, &c. S. Epiphane répondant à leurs invectives, observe que l’Apocalypse n’étant pas une simple histoire, mais une prophétie, il ne doit pas paroître étrange que ce livre soit écrit dans un style figuré, semblable à celui des Prophetes de l’ancien Testament.

La difficulté la plus spécieuse qu’ils opposassent à l’authenticité de l’Apocalypse, étoit fondée sur ce qu’on lit au ch. xj. v. 18. Ecrivez à l’ange de l’église de Thyatire. Or, ajoûtoient-ils, du tems de l’apôtre S. Jean il n’y avoit nulle église chrétienne à Thyatire. Le même S. Epiphane convient du fait, & répond que l’Apôtre parlant d’une chose future, c’est-à-dire de l’Eglise qui devoit être un jour établie à Thyatire, en parle comme d’une chose présente & accomplie, suivant l’usage des Prophetes. Quelques modernes ajoûtent, que du tems de S. Epiphane le catalogue des Evêques & les autres actes qui prouvoient qu’il y avoit eu une église à Thyatire dès le tems des Apôtres, étoient inconnus à ce Pere, & que son aveu ne favorise point les Alogiens. Enfin Grotius remarque qu’encore qu’il n’y eût aucune église de Payens convertis à Thyatire quand S. Jean écrivit son Apocalypse, il y en avoit néanmoins une de Juifs, semblable à celle qui s’étoit établie à Thessalonique avant que S. Paul y prêchât.

Il y a eu plusieurs Apocalypses supposées. S. Clément dans ses hypotyposes parle d’une Apocalypse de S. Pierre ; & Sozomene ajoûte, qu’on la lisoit tous les ans vers Pâques dans les églises de la Palestine. Ce dernier parle encore d’une Apocalypse de S. Paul que les Moines estimoient autrefois, & que les Cophtes modernes se vantent de posséder. Eusebe fait aussi mention de l’Apocalypse d’Adam ; S. Epiphane, de celle d’Abraham, supposée par les hérétiques Séthiens, & des révélations de Seth & de Narie femme de Noé, par les Gnostiques. Nicéphore parle d’une Apocalypse d’Esdras ; Gratian & Cédrene d’une Apocalypse de Moyse ; d’une autre attribuée à S. Thomas ; d’une troisieme de S. Etienne ; & S. Jérôme d’une quatrieme, dont on faisoit auteur le prophete Elie. Porphyre dans la vie de Plotin, cite les Apocalypses de Zoroastre, de Zostrein, de Nicothée, d’Allogenes, &c. livres dont on ne connoît plus que les titres, & qui vraissemblablement n’étoient que des recueils de fables. Sixt. senens. lib. II. & VII. Dupin, dissert. prælim. tom. III. & biblioth. des Aut. ecclésiast. (G)