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L’Encyclopédie/1re édition/BUCHER

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 457-458).

BUCHER, s. m. en Architecture, est un petit bâtiment ou engard, pratiqué dans une basse-cour ou dans une maison de campagne, où l’on serre le bois : dans les maisons particulieres, c’est un lieu obscur dans l’étage soûterrain ou au rez-de-chaussée. Les bûchers, chez les princes, s’appellent fourrieres, en latin cella lignaria. (P)

* Bûchers, s. m. (Hist. anc.) amas de bois sur lesquels les anciens brûloient leurs morts : ces amas étoient plus ou moins grands, selon la qualité des personnes. La loi des douze Tables défendoit d’y employer du bois poli & menuisé. On les construisoit principalement de larix, d’if, de pin, de frêne, & d’autres arbres qui s’enflamment facilement. On y ajoûtoit aussi la plante appellée papyrus. On les environnoit de cyprès, dit Varron, pour corriger par son odeur celle du cadavre, qui auroit incommodé ceux qui assistoient à la cérémonie, & qui répondoient aux lamentations de la Præfica, jusqu’à ce que le corps étant consumé & les cendres recueillies, elle disoit ilicet, retirez-vous.

Le bûcher étoit de forme quarrée, à trois ou quatre étages, qui alloient toûjours en diminuant comme une pyramide : on l’ornoit quelquefois de statues. On versoit sur le cadavre du vin, du lait, & du miel. On répandoit sur le bûcher des parfums, des liqueurs odoriférantes, de l’encens, du cinnamome, des aromates, & de l’huile. On donnoit au mort la potion myrrhine. Voyez Myrrhe. Cette profusion coûteuse d’aromates, de liqueurs, de potions, fut défendue par la loi des douze Tables : outre la dépense superflue, qu’il étoit de la bonne police d’arrêter, l’exhalaison de tant d’odeurs étouffoit quelquefois ceux qui approchoient trop près du bûcher.

Après qu’on avoit oint le corps, on lui ouvroit les yeux qu’on avoit fermés après le dernier soûpir. On mettoit au mort une piece de monnoie dans la bouche ; cette coûtume a été fort générale en Grece : il n’y avoit que les Hermoniens qui prétendoient passer la barque gratis. C’étoient les plus proches parens du défunt qui mettoient le feu au bûcher : ils lui tournoient le dos, pour s’ôter la vûe d’un si triste spectacle.

Quand le bûcher étoit allumé, on prioit les vents de hâter l’incendie. Achille appelle, dans Homere, le vent du septentrion & le zéphir sur le bûcher de Patrocle, & cette coûtume passa des Grecs chez les Romains. Quand le bûcher étoit bien allumé, on y jettoit des habits, des étoffes précieuses, & les parfums les plus rares. On y jettoit aussi les dépouilles des ennemis. Aux funérailles de Jules César les vétérans y précipiterent leurs armes. On immoloit de plus des bœufs, des taureaux, des moutons, qu’on mettoit aussi sur le bûcher. Quelques-uns se coupoient ou s’arrachoient des cheveux qu’ils y semoient.

Il y a des exemples de personnes qui se sont tuées sur le bûcher de celles qu’elles aimoient. Aux funérailles d’Agrippine, Mnestor, un de ses affranchis, se tua de douleur. Plusieurs soldats en firent autant devant le bûcher de l’empereur Othon. Pline dit qu’un nommé Philotimus, à qui son maître avoit legué ses biens, se jetta sur son bûcher. Plusieurs femmes ont eu ce courage. Cette coûtume subsiste encore, comme on sait, chez les Banianes. Achille tua douze jeunes Troyens sur le bûcher de Patrocle.

Lorsque le cadavre étoit réduit en cendres, & qu’il n’en restoit que les ossemens parmi les cendres, on achevoit d’éteindre le bûcher avec du vin : on recueilloit les restes, & on les enfermoit dans une urne d’or. La loi des douze Tables défendit les libations de vin.

Mais tout ce qui précede, ne concerne que les grands & les riches. On brûloit les pauvres dans de grands lieux enfermés, appellés ustrina. Voyez Ustrinum.

C’étoit la mere, les sœurs ou les parentes du défunt qui ramassoient les cendres & les os : elles étoient vêtues de noir : elles les mettoient sous leurs habits. Les fils recueilloient les restes de leurs peres ; au défaut d’enfans, ce devoir étoit rendu par les autres parens ou par les héritiers. Les consuls ou les premiers officiers des empereurs ramassoient leurs ossemens. Au décès d’Auguste, les premiers de l’ordre équestre les ramasserent nuds piés. On enveloppoit ces restes dans un linge. Avant que de se retirer, ils crioient tous au défunt : vale, vale, vale ; nos te ordine quo natura permiserit cuncti sequemur : « adieu, adieu, adieu ; nous te suivrons tous, quand la nature l’ordonnera.

On emportoit les os & les cendres du défunt. Voy. les articles Funérailles, Brûler, Tombeau, Jeux funebres, Urne, Sépulcre, Épitaphe, Mausolée.