L’Encyclopédie/1re édition/CHALDÉENS

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CHALDÉENS, (Philosophie des) Les Chaldéens sont les plus anciens peuples de l’Orient qui se soient appliqués à la philosophie. Le titre de premiers philosophes leur a été contesté par les Egyptiens. Cette nation, aussi jalouse de l’honneur des inventions, qu’entêtée de l’antiquité de son origine, se croyoit non-seulement la plus vieille de toutes les nations, mais se regardoit encore comme le berceau où les arts & les sciences avoient pris naissance. Ainsi les Chaldéens n’étoient, selon les Egyptiens, qu’une colonie venue d’Egypte ; & c’est d’eux qu’ils avoient appris tout ce qu’ils savoient. Comme la vanité nationale est toûjours un mauvais garant des faits qui n’ont d’autre appui qu’elle, cette supériorité que les Egyptiens s’arrogeoient en tout genre sur les autres nations, est encore aujourd’hui un problème parmi les savans.

Si les inondations du Nil, qui confondoient les bornes des champs, donnerent aux Egyptiens les premieres idées de la Géométrie, par la nécessité où elles mettoient chacun d’inventer des mesures exactes pour reconnoître son champ d’avec celui de son voisin ; on peut dire que le grand loisir dont joüissoient les anciens bergers de Chaldée, joint à l’air pur & serein qu’ils respiroient sous un ciel qui n’étoit jamais couvert de nuages, produisit les premieres observations qui ont été le fondement de l’Astronomie. D’ailleurs, comme la Chaldée a servi de séjour aux premiers hommes du monde nouveau, il est naturel de s’imaginer que l’empire de Babylone a précédé les commencemens de la monarchie d’Egypte, & que par conséquent la Chaldée, qui étoit un certain canton compris dans cet empire, & qui reçut son nom des Chaldéens, philosophes étrangers auxquels elle fut accordée pour y fixer leur demeure, est le premier pays qui ait été éclairé des lumieres de la philosophie. V. Astronomie.

Il n’est pas facile de donner une juste idée de la philosophie des Chaldéens. Les monumens, qui pourroient nous servir ici de mémoires pour cette histoire, ne remontent pas, à beaucoup près, aussi haut que cette secte : encore ces mémoires nous viennent-ils des Grecs ; ce qui suffit pour leur faire perdre toute l’autorité qu’ils pourroient avolr. Car on sait que les Grecs avoient un tour d’esprit très différent de celui des Orientaux, & qu’ils défiguroient tout ce qu’ils touchoient & qui leur venoit des nations barbares ; car c’est ainsi qu’ils appelloient ceux qui n’étoient pas nés Grecs. Les dogmes des autres nations, en passant par leur imagination, y prenoient une teinture de leur maniere de penser ; & n’entroient jamais dans leurs écrits, sans avoir éprouvé une grande altération. Une autre raison, qui doit nous rendre soupçonneux sur les véritables sentimens des Chaldéens, c’est que, selon l’usage reçu dans tout l’Orient, ils renfermoient dans l’enceinte de leurs écoles, où même ils n’admettoient que des disciples privilégiés, les dogmes de leur secte, & qu’ils ne les produisoient en public que sous le voile des symboles & des allégories. Ainsi nous ne pouvons former que des conjectures sur ce que les Grecs & même les Arabes en ont fait parvenir jusqu’à nous. De-là aussi cette diversité d’opinions qui partagent les savans, qui ont tenté de percer l’enveloppe de ces ténebres mystérieuses. En prétendant les éclaircir, ils n’ont fait qu’épaissir davantage la nuit qui nous les cache : témoin cette secte de philosophes, qui s’éleva en Asie vers les tems où J. C. parut sur la terre. Pour donner plus de poids aux rêveries qu’enfantoit leur imagination déréglée, ils s’aviserent de les colorer d’un air de grande antiquité, & de les faire passer, sous le nom des Chaldéens & des Perses, pour les restes précieux de la doctrine de ces philosophes. Ils forgerent en conséquence grand nombre d’ouvrages sous le nom du fameux Zoroastre, regardé alors dans l’Asie comme le chef & le maître de tous les mages de la Perse & de la Chaldée.

Plusieurs savans, tant anciens que modernes, se sont exercés à découvrir quel pouvoit être ce Zoroastre si vanté dans tout l’Orient : mais après bien des veilles consumées dans ce travail ingrat, ils ont été forcés d’avoüer l’inutilité de leurs efforts. Voyez l’article de la Philosophie des Perses.

D’autres Philosophes, non moins ignorans dans les mysteres sacrés de l’ancienne doctrine des Chaldéens, voulurent partager avec les premiers l’honneur de composer une secte à part. Ils prirent donc le parti de faire naître Zoroastre en Egypte ; & ils ne furent pas moins hardis à lui supposer des ouvrages, dont ils se servirent pour les combattre plus commodément. Comme Pythagore & Platon étoient allés en Egypte pour s’instruire dans les Sciences, que cette nation avoit la réputation d’avoir extrèmement perfectionnées, ils imaginerent que les systèmes de ces deux philosophes Grecs n’étoient qu’un fidele extrait de la doctrine de Zoroastre. Cette hardiesse à supposer des livres, qui fait le caractere de ces deux sectes de philosophes, nous apprend jusqu’à quel point nous devons leur donner notre confiance.

Les Chaldéens étoient en grande considération parmi les Babyloniens. C’étoient les prêtres de la nation ; ils y remplissoient les mêmes fonctions que les mages chez les Perses, en instruisant le peuple de tout ce qui avoit rapport aux choses de la religion, comme les cérémonies & les sacrifices. Voilà pourquoi il est arrivé souvent aux historiens Grecs de les confondre les uns avec les autres ; en quoi ils ont marqué leur peu d’exactitude, ne distinguant pas, comme ils le devoient, l’état où se trouvoit la Philosophie chez les anciens Babyloniens, de celui où elle fut réduite, lorsque ces peuples passerent sous la domination des Perses.

On peut remarquer en passant, que chez tous les anciens peuples, tels que les Assyriens, les Perses, les Egyptiens, les Ethiopiens, les Gaulois, les Bretons, les Germains, les Scythes, les Etruriens, ceux-là seuls étoient regardés comme les sages & les philosophes de la nation, qui avoient usurpé la qualité de prêtres & de ministres de la religion. C’étoient des hommes souples & adroits, qui faisoient servir la religion aux vûes intéressées & politiques de ceux qui gouvernoient. Voici quelle étoit la doctrine des Chaldéens sur la divinité.

Ils reconnoissoient un Dieu souverain, auteur de toutes choses, lequel avoit établi cette belle harmonie qui lie toutes les parties de l’univers. Quoiqu’ils crussent la matiere éternelle & préexistante à l’opération de Dieu, ils ne s’imaginoient pourtant pas que le monde fût éternel ; car leur cosmogonie nous représente notre terre comme ayant été un chaos ténébreux, où tous les élémens étoient confondus pêle-mêle, avant qu’elle eût reçu cet ordre & cet arrangement qui la rendent un séjour habitable. Ils supposoient que des animaux monstrueux & de diverses figures avoient pris naissance dans le sein informe de ce chaos, & qu’ils avoient été soûmis à une femme nommée Omerca ; que le dieu Belus avoit coupé cette femme en deux parties, de l’une desquelles il avoit formé le ciel & de l’autre la terre, & que la mort de cette femme avoit causé celle de tous ces animaux ; que Belus après avoir formé le monde & produit les animaux qui le remplissent, s’étoit fait couper la tête ; que les hommes & les animaux étoient sortis de la terre que les autres dieux avoient détrempée dans le sang qui couloit de la blessure du dieu Belus, que c’étoit-là la raison pour laquelle les hommes étoient doués d’intelligence, & avoient reçu une portion de la divinité. Berose, qui rapporte ceci dans les fragmens que nous avons de lui, & qui nous ont été conservés par Syncelle, observe que toute cette cosmogonie n’est qu’une allégorie mystérieuse, par laquelle les Chaldéens expliquoient de quelle maniere le Dieu créateur avoit débrouillé le chaos & introduit l’ordre parmi la confusion des élémens. Du moins, ce que l’on voit à-travers les voiles de cette surprenante allégorie, c’est que l’homme doit sa naissance à Dieu, & que le Dieu suprème s’étoit servi d’un autre Dieu pour former ce monde. Cette doctrine n’étoit point particuliere aux Chaldéens. C’étoit même une opinion universellement reçue dans tout l’Orient, qu’il y avoit des génies, dieux subalternes & dépendans de l’Être suprême, qui étoient distribués & répandus dans toutes les parties de ce vaste univers. On croyoit qu’il n’étoit pas digne de la majesté du Dieu souverain de présider directement au sort des nations. Renfermé dans lui-même, il ne lui convenoit pas de s’occuper des pensées & des actions des simples mortels : mais il en laissoit le soin à des divinités locales & tutélaires. Ce n’étoit aussi qu’en leur honneur que fumoit l’encens dans les temples, & que couloit sur les autels le sang des victimes. Mais outre les bons génies qui s’appliquoient à faire du bien aux hommes, les Chaldéens admettoient aussi des génies mal-faisans. Ceux-là étoient formés d’une matiere plus grossiere que les bons, avec lesquels ils étoient perpétuellement en guerre. Les premiers étoient l’ouvrage du mauvais principe, comme les autres l’étoient du bon ; car il paroît que la doctrine des deux principes avoit pris naissance en Chaldée, d’où elle a passé chez les Perses. Cette croyance des mauvais démons, qui non seulement avoit cours chez les Chaldéens, mais encore chez les Perses, les Egyptiens & les autres nations Orientales, paroît avoir sa source dans la tradition respectable de la séduction du premier homme par un mauvais démon. Ils prenoient toutes sortes de formes, pour mieux tromper ceux qui avoient l’impudence de se confier à eux.

Tels étoient vraissemblablement les mysteres, auxquels les Chaldéens avoient soin de n’initier qu’un petit nombre d’adeptes, qui devoient leur succéder, pour en faire passer la tradition d’âge en âge jusqu’à la postérité la plus reculée. Il n’étoit pas permis aux disciples de penser au-delà de ce que leurs maîtres leur avoient appris. Ils plioient servilement sous le joug que leur imposoit le respect aveugle qu’ils avoient pour eux. Diodore de Sicile leur en fait un mérite, & les éleve en cela beaucoup au-dessus des Grecs, qui, selon lui, devenoient le jouet éternel de mille opinions diverses, entre lesquelles flottoit leur esprit indécis ; parce que dans leur maniere de penser, ils ne vouloient être maîtrisés que par leur génie. Mais il faut être bien peu philosophe soi-même, pour ne pas sentir que le plus beau privilége de notre raison consiste à ne rien croire par l’impulsion d’un instinct aveugle & méchanique, & que c’est deshonorer la raison, que de la mettre dans des entraves ainsi que le faisoient les Chaldéens. L’homme est né pour penser de lui-même. Dieu seul mérite le sacrifice de nos lumieres, parce qu’il est le seul qui ne puisse pas nous tromper, soit qu’il parle par lui-même, soit qu’il le fasse par l’organe de ceux auxquels il a confié le sacré dépôt de ses révélations. La philosophie des Chaldéens n’étant autre chose qu’un amas de maximes & de dogmes, qu’ils transmettoient par le canal de la tradition, ils ne méritent nullement le nom de philosophes. Ce titre, dans toute la rigueur du terme, ne convient qu’aux Grecs & aux Romains, qui les ont imités en marchant sur leurs traces. Car pour les autres nations, on doit en porter le même jugement que des Chaldéens, puisque le même esprit de servitude régnoit parmi elles ; au lieu que les Grecs & les Romains osoient penser d’après eux-mêmes. Ils ne croyoient que ce qu’ils voyoient, ou du moins que ce qu’ils s’imaginoient voir. Si l’esprit systématique les a précipités dans un grand nombre d’erreurs, c’est parce qu’il ne nous est pas donné de découvrir subitement & comme par une espece d’instinct la vérité. Nous ne pouvons y parvenir, qu’en passant par bien des impertinences & des extravagances ; c’est une loi à laquelle la nature nous a assujettis. Mais en épuisant toutes les sottises, qu’on peut dire sur chaque chose, les Grecs nous ont rendu un service important, parce qu’ils nous ont comme forcés de prendre presqu’à l’entrée de notre carriere le chemin de la vérité.

Pour revenir aux Chaldéens, voici la doctrine qu’ils enseignoient publiquement ; savoir, que le soleil, la lune, & les autres astres, & sur-tout les planetes, étoient des divinités qu’il falloit adorer. Hérodote & Diodore sont ici nos garans. Les étoiles qui forment le zodiaque, étoient principalement en grande vénération parmi eux, sans préjudice du soleil & de la lune, qu’ils ont toûjours regardés comme leurs premieres divinités. Ils appelloient le soleil Belus, & donnoient à la lune le nom de Nebo ; quelquefois aussi ils l’appelloient Nergal. Le peuple, qui est fait pour être la dupe de tous ceux qui ont assez d’esprit pour prendre sur lui de l’ascendant, croyoit bonnement que la divinité résidoit dans les astres, & par conséquent qu’ils étoient autant de dieux qui méritoient ses hommages. Pour les sages & les philosophes du pays, ils se contentoient d’y placer des esprits ou des dieux du second ordre, qui en dirigeoient les divers mouvemens.

Ce principe une fois établi que les astres étoient des divinités, il n’en fallut pas davantage aux Chaldéens pour persuader au peuple qu’ils avoient une grande influence sur le bonheur ou le malheur des humains. De là est née l’Astrologie judiciaire, dans laquelle les Chaldéens avoient la réputation d’exceller si fort entre les autres nations, que tous ceux qui s’y distinguoient, s’appelloient Chaldéens, quelle que fût leur patrie. Ces charlatans s’étoient fait un art de prédire l’avenir par l’inspection du cours des astres, où ils feignoient de lire l’enchaînement des destinées humaines. La crédulité des peuples faisoit toute leur science ; car quelle liaison pouvoient-ils appercevoir entre les mouvemens réglés des astres & les événemens libres de la volonté ? L’avide curiosité des hommes pour percer dans l’avenir & pour prévoir ce qui doit leur arriver, est une maladie aussi ancienne que le monde même. Mais elle a exercé principalement son empire chez tous les peuples de l’Orient, dont on sait que l’imagination s’allume aisément. On ne sauroit croire jusqu’à quel excès elle y a été portée par les ruses & les artifices des prêtres. L’Astrologie judiciaire est le puissant frein avec lequel on a de tout tems gouverné l’esprit des Orientaux. Sextus Empiricus déclame avec beaucoup de force & d’éloquence contre cet art frivole, si funeste au bonheur du genre humain, par les maux qu’il produit nécessairement. En effet, les Chaldéens retrécissoient l’esprit des peuples, & les tenoient indignement courbés sous un joug de fer, que leur imposoit leur superstition ; il ne leur étoit pas permis de faire la moindre démarche, sans avoir auparavant consulté les augures & les aruspices. Quelque crédules que fussent les peuples, il n’étoit pas possible que l’imposture de ces charlatans de Chaldée ne trahît & ne décelât très-souvent la vanité de l’Astrologie judiciaire. Sous le consulat de M. Popillius, & de Cneius Calpurnius, il fut ordonné aux Chaldéens, par un édit du préteur Cor. Hispallus, de sortir de Rome & de toute l’Italie dans l’espace de dix jours ; & la raison qu’on en donnoit, c’est qu’ils abusoient de la prétendue connoissance qu’ils se vantoient d’avoir du cours des astres, pour tromper des esprits foibles & crédules, en leur persuadant que tels & tels événemens de leur vie étoient écrits dans le ciel. Alexandre lui-même, qui d’abord avoit été prévenu d’une grande estime pour les Chaldéens, la leur vendit bien cher par le grand mépris qu’il leur porta, depuis que le philosophe Anaxarque lui eut fait connoître toute la vanité de l’Astrologie judiciaire.

Quoique l’Astronomie ait été fort en honneur chez les Chaldéens, & qu’ils l’ayent cultivée avec beaucoup de soin, il ne paroît pourtant pas qu’elle eût fait parmi eux des progrès considérables. Quels Astronomes, que des gens qui croyoient que les éclipses de lune provenoient de ce que cet astre tournoit vers nous la partie de son disque qui étoit opaque ? car ils croyoient l’autre lumineuse par elle-même, indépendamment du soleil : où avoient-ils pris aussi que le globe terrestre seroit consumé par les flammes, lors de la conjonction des astres dans le signe de l’Ecrevisse, & qu’il seroit inondé si cette conjonction arrivoit dans le signe du Capricorne ? Cependant ces Chaldéens ont été estimés comme de grands Astronomes ; & il n’y a pas même long-tems qu’on est revenu de cette admiration prodigieuse qu’on avoit conçue pour leur grand savoir dans l’Astronomie ; admiration qui n’étoit fondée que sur ce qu’ils sont séparés de nous par une longue suite de siecles. Tout éloignement est en droit de nous en imposer.

L’envie de passer pour les plus anciens peuples du monde, est une manie qui a été commune à toutes les nations. On diroit qu’elles s’imaginent valoir d’autant mieux, qu’elles peuvent remonter plus haut dans l’antiquité. On ne sauroit croire combien de rêveries & d’absurdités ont été débitées à ce sujet. Les Chaldéens, par exemple, prétendoient qu’au tems où Alexandre vainqueur de Darius prit Babylone, il s’étoit écoulé quatre cents soixante & dix mille années, à compter depuis le tems où l’Astronomie fleurissoit dans la Chaldée. Cette longue supputation d’années n’a point sa preuve dans l’histoire, mais seulement dans l’imagination échauffée des Chaldéens. En effet, Callisthène, à qui le précepteur d’Alexandre avoit ménagé une entrée à la cour de ce prince, & qui suivoit ce conquérant dans ses expéditions militaires, envoya à ce même Aristote des observations qu’il avoit trouvées à Babylone. Or ces observations ne remontoient pas au-delà de mille neuf cents trois ans ; & ces mille neuf cents trois ans, si on les fait commencer à l’année 4383 de la période Julienne, où Babylone fut prise, iront, en rétrogradant, se terminer à l’année 2480 de la même période. Il s’en faut bien que le tems marqué par ces observations remonte jusqu’au déluge, si l’on s’attache au système chronologique de Moyse, tel qu’il se trouve dans la version des Septante. Si les Chaldéens avoient eu des observations plus anciennes ; comment se peut-il faire que Ptolomée, cet Astronome si exact, n’en ait point fait mention, & que la premiere dont il parle tombe à la premiere année de Merdochai roi de Babylone, laquelle se trouve être dans la vingt-septieme année de l’ere de Nabonassar ? Il résulte de là que cette prétendue antiquité, que les Chaldéens donnoient à leurs observations, ne mérite pas plus notre croyance que le témoignage de Porphire, qui lui sert de fondement. Il y a plus : Epigene ne craint point d’avancer que les observations astronomiques, qui se trouvoient inscrites sur des briques cuites qu’on voyoit à Babylone, ne remontoient pas au-delà de 720 ans ; & comme si ce tems eût été encore trop long, Bérose & Critodème renferment tout ce tems dans l’espace de 480 ans.

Après cela, qui ne riroit de voir les Chaldéens nous présenter gravement leurs observations astronomiques, & nous les apporter en preuve de leur grande antiquité ; tandis que leurs propres auteurs leur donnent le démenti, en les renfermant dans un si court espace de tems ? Ils ont apparemment cru, suivant la remarque de Lactance, qu’il leur étoit libre de mentir, en imaginant des observations de 470000 ans ; parce qu’ils étoient bien sûrs qu’en s’enfonçant si fort dans l’antiquité, il ne seroit pas possible de les atteindre. Mais ils n’ont pas fait attention que tous ces calculs n’operent dans les esprits une vraie persuasion, qu’autant qu’on y attache des faits, dont la réalité ne soit point suspecte.

Toute chronologie qui ne tient point à des faits, n’est point historique, & par conséquent ne prouve rien en faveur de l’antiquité d’une nation. Quand une fois le cours des astres m’est connu, je puis prévoir, en conséquence de leur marche assujettie à des mouvemens uniformes & réguliers, dans quel tems & de quelle maniere ils figureront ensemble, soit dans leur opposition, soit dans leur conjonction. Je puis également me replier sur les tems passés, ou m’avancer sur ceux qui ne sont pas encore arrivés ; & franchissant les bornes du tems où le Créateur a renfermé le monde, marquer dans un tems imaginaire les instans précis où tels & tels astres seroient éclipsés. Je puis, à l’aide d’un calcul qui ne s’épuisera jamais, tant que mon esprit voudra le continuer, faire un système d’observations pour des tems qui n’ont jamais existé ou même qui n’existeront jamais. Mais de ce système d’observations, purement arbitraire, il n’en résultera jamais que le monde ait toûjours existé, ou qu’il doive toûjours durer. Tel est le cas où se trouvent par rapport à nous les anciens Chaldéens, touchant ces observations qui ne comprenoient pas moins que 470000 ans. Si je voyois une suite de faits attachés à ces observations, & qu’ils remplissent tout ce long espace de tems, je ne pourrois m’empêcher de reconnoître un monde réellement subsistant dans toute cette longue durée de siecles ; mais parce que je n’y vois que des calculs, qui ne traînent après eux aucune révolution dans les choses humaines, je ne puis les regarder que comme les rêveries d’un calculateur. Voyez Chronologie, & l’Hist. phil. de Brucker.