Aller au contenu

L’Encyclopédie/1re édition/CHEVEUX

La bibliothèque libre.
◄  CHEVET
CHEVILLE  ►

* CHEVEUX, s. m. petit filament oblong qui part des pores de la peau de la tête, & qui la couvre toute entiere, à l’exception des parties de la face & des oreilles. On donne le nom de poil aux filamens pareils qui couvrent toute la peau d’un grand nombre d’animaux, & aux filamens pareils & plus courts qui couvrent quelques parties du corps humain. Voyez l’article Poil.

Les anciens ont prétendu que ces filamens étoient une espece d’excremens, qu’ils n’étoient nourris que par des matieres grossieres & destinées à l’expulsion ; & conséquemment qu’ils n’étoient point parties du corps animé. Quand on leur demandoit de quelle espece étoient ces excrémens, ils répondoient que c’étoient des parties fuligineuses du sang, qui poussées par la chaleur du corps vers sa superficie, s’y condensoient en passant par les pores. Ils croyoient donner de l’existence & de la clarté à leurs parties fuligineuses, en alléguant des expériences qui, quand elles auroient été toutes vraies, n’en auroient pas eu plus de connexion avec leur mauvaise physiologie ; savoir que les cheveux coupés reviennent très promptement, soit dans les enfans qui ne commencent qu’à végeter, soit dans les vieillards qui sont prêts à s’éteindre ; que chez les étiques les cheveux croissent, tandis que le reste du corps dépérit ; qu’ils reviennent & croissent aux corps morts ; & qu’ils ne se nourrissent & ne croissent point comme les autres parties du corps par intussusception ; c’est-à-dire, par un suc reçû au-dedans d’eux ; mais par juxtaposition, les parties qui se forment poussant en avant celles qui sont formées.

M. Mariotte ayant examiné la végétation des cheveux, crut en effet trouver qu’elle ne ressembloit point à celle des plantes qui poussent leur seve entre leurs fibres & leurs écorces, jusqu’aux extrémités de leurs branches, mais comme les ongles où les parties anciennes avancent devant les nouvelles ; car quand on teint ce qui reste sur la tête de cheveux, après qu’on les a récemment coupés, ce qui étoit près de la peau est d’une couleur différente du reste. Cet académicien paroît s’accorder en cela mieux avec les anciens physiologistes, qu’avec la vérité.

Les cheveux sont composés de cinq ou six fibres enfermées dans une guaine assez ordinairement cylindrique, quelquefois ovale ou à pans ; ce qui s’apperçoit au microscope, même à la vûe simple ; quand les cheveux se fendent, c’est que la guaine s’ouvre, & que les fibres s’écartent.

Les fibres & le tuyau sont transparens ; & cette multiplicité de fibres transparentes doit faire à l’égard des rayons, l’effet d’un verre à facettes : aussi quand on tient un cheveu proche la prunelle, & qu’on regarde une bougie un peu éloignée, on apperçoit un rayon de chaque côté de la bougie, & chaque rayon est composé de trois ou quatre petites images de la bougie, un peu obscures & colorées ; ce qui prouve que chaque fibre du cheveu fait voir par refraction une bougie séparée des autres ; & comme il n’y a que la refraction qui donne des couleurs, les couleurs de chaque image concourent à prouver cette théorie.

Les modernes pensent que chaque cheveu & peut-être chaque fibre qui le compose, vit dans le sens stricte, qu’il reçoit un fluide qui le remplit & le dilate, & que sa nutrition ne differe pas de celle des autres parties. Ils opposent expériences à expériences : dans les personnes âgées, disent-ils, les racines des cheveux ne blanchissent pas plûtôt que les extrémités ; tout le cheveu change de couleur en même tems. Le même phénomene a lieu dans les enfans. Il y a nombre d’exemples de personnes qu’une grande frayeur ou qu’une douleur extrème a fait blanchir en une nuit. Leur sentiment est que les cheveux croissant de la tête, comme les plantes de la terre, ou comme certaines plantes parasites naissent & végetent des parties d’autres plantes ; quoique l’une de ces plantes tire sa nourriture de l’autre, cependant chacune a sa vie distincte, & son œconomie particuliere : de même le cheveu tire sa subsistance de certains sucs du corps, mais il ne la tire pas des sucs nourriciers du corps ; de-là vient que les cheveux peuvent vivre & croître quoique le corps dépérisse. Ce qui explique les faits rapportés dans les transactions philosophiques par Wulferus & Arnold. Wulferus dit que le tombeau d’une femme enterrée à Nuremberg, ayant été ouvert quarante ans après sa mort, on vit sortir à travers les fentes du cercueil, une si grande quantité de cheveux, qu’on pouvoit croire que le cercueil en avoit été tout couvert pendant quelque tems ; que le corps de la femme parut entier ; qu’il étoit enveloppé d’une longue chevelure épaisse & bouclée ; que le fossoyeur ayant porté la main sur la tête de ce cadavre, il tomba tout entier en poudre, & qu’il ne prit qu’une poignée de cheveux ; que les os du crane étoient réduits en poussiere ; que cependant ces cheveux avoient du corps & de la solidité. Arnold raconte d’un homme qui avoit été pendu pour vol, que ses cheveux s’allongerent considérablement, & que tout son corps se couvrit de poil, tandis qu’il étoit encore à la potence.

Quand le microscope ne feroit pas voir que les cheveux sont des corps fistuleux ; la plica, maladie dont les Polonois sont quelquefois attaqués, & dans laquelle le sang degoutte par les extrémités des cheveux, ne laisseroit sur ce fait aucun doute. Les fibres & l’enveloppe observées aux cheveux par M. Mariotte, sont réelles ; mais il y a de plus des nœuds semblables à ceux de quelque sorte d’herbes, & des branches qui partent de leurs jointures ; il coule un fluide entre ces fibres, & peut-être dans ces fibres mêmes, ce que M. Mariotte a nié. Chaque cheveu a une petite racine bulbuleuse, assez profonde, puisqu’elle est insérée jusque dans les papilles pyramidales ; c’est dans cette bulbe que se séparent les sucs qui le nourrissent.

Les cheveux blanchissent sur le devant de la tête, & sur-tout autour des tempes, & sur le haut plûtôt que sur le derriere de la tête & ailleurs, parce que leur suc nourricier y est plus abondant.

C’est la grandeur & la configuration des pores qui déterminent le diametre & la figure des cheveux ; si les pores sont petits, les cheveux sont fins ; s’ils sont droits, les cheveux sont droits ; s’ils sont tortueux, les cheveux sont frisés ; si ce sont des poligones, les cheveux sont prismatiques ; s’ils sont ronds, les cheveux sont cylindriques.

C’est la quantité du suc nourricier qui détermine leur longueur ; c’est sa qualité qui détermine leur couleur : c’est par cette raison qu’ils changent avec l’âge.

Le docteur Derham examina un poil de souris au microscope, & il lui parut n’être qu’un tuyau transparent, rempli d’une espece de moëlle ou substance fibreuse, formant des lignes obscures, tantôt transversales, tantôt spirales : ces lignes médullaires pouvoient passer pour des fibriles très-molles, entortillées, & plus serrées selon leur direction, qu’ailleurs ; s’étendant depuis la racine du poil jusqu’à l’extrémité, & peut-être destinées à quelque évacuation : d’où il inféra que le poil des animaux ne leur sert pas seulement à les garantir du froid, mais que c’est un organe de transpiration imperceptible. Je crois qu’on peut étendre cette induction à la chevelure de l’homme par deux raisons, 1° parce qu’il est évident par la plica, que c’est un assemblage de petits canaux, & que ces canaux sont ouverts par le bout : 2° parce qu’on guérit de maux de tête, en se coupant des cheveux, quand ils sont trop longs ; & qu’on se procure des maux d’yeux, quand on est d’un tempérament humide, & qu’on les rase.

La longue chevelure étoit chez les anciens Gaulois une marque d’honneur & de liberté. César qui leur ôta la liberté, leur fit couper les cheveux. Chez les premiers François, & dans les commencemens de notre monarchie, elle fut particuliere aux princes du sang. Grégoire de Tours assûre même que dans la seconde irruption qu’ils firent dans les Gaules, c’est-à-dire avant l’établissement de leur monarchie, ils se fixerent dans la Tongrie, c’est-à-dire le Brabant, & les environs de la Meuse, & qu’ils s’y choisirent des rois à longue chevelure, de la race la plus noble d’entre eux. On lit dans l’auteur des gestes de nos rois, que les François élurent Pharamond fils de Marcomir, & placerent sur le throne un prince à longue chevelure. Franci elegerunt Pharamundum filium ipsius Marcomiri, & levaverunt eum super se regem crinitum. On sait que Clodion fut surnommé par la même raison le chevelu. Au reste, ce droit de porter de longs cheveux étoit commun à tous les fils de rois. Clovis, l’un des fils de Chilpéric & d’Andouere, fut reconnu à sa longue chevelure par le pêcheur qui trouva son corps dans la riviere de Marne, où Fredegonde l’avoit fait jetter. Gondebaud qui se prétendit fils de Clotaire, ne produisoit d’autre titre de son état que des cheveux longs ; & Clotaire pour déclarer qu’il ne le reconnoissoit pas pour son fils, se contenta de les lui faire couper. Cette cérémonie emportoit la dégradation. Le prince rasé étoit déchu de toutes ses prétentions : on voit cet usage pratiqué à la déposition de quelques-uns de nos princes renfermés dans les monasteres. On fait remonter jusqu’au tems des premiers Gaulois, l’origine de l’usage de se couper les cheveux, en signe de la rénonciation à toutes prétentions mondaines que faisoient ou étoient censés faire ceux qui embrassoient la vie monastique. Tant que les longs cheveux furent la marque du sang royal, les autres sujets les porterent coupés courts autour de la tête. Quelques auteurs prétendent qu’il y avoit des coupes plus ou moins hautes, selon le plus ou moins d’infériorité dans les rangs ; ensorte que la chevelure du monarque devenoit, pour ainsi dire, l’étalon des conditions.

Au huitieme siecle, les gens de qualité faisoient couper les premiers cheveux à leurs enfans par des personnes qu’ils honoroient, & qui devenoient ainsi les parrains spirituels de l’enfant. Mais s’il est vrai qu’un empereur de Constantinople témoigna au pape le désir que son fils en fût adopté en lui envoyant sa premiere chevelure, il falloit que cette coûtume fût antérieure au viij. siecle. V. Parrain, Adoption.

Les longues chevelures ont été principalement défendues à ceux qui embrassoient l’état ecclésiastique : la domination des peuples de la Germanie dans les Gaules y ayant introduit le relâchement des mœurs, plusieurs du clergé portoient de longs cheveux, malgré les lois de l’Église : cet abus fut réprimé dans plusieurs conciles. Un concile de plusieurs provinces des Gaules tenu à Agde l’an 509, ordonne que si des clercs portent de grands cheveux, l’archidiacre les leur coupera malgré eux. Cette défense pour les ecclésiastiques a toûjours été en vigueur ; il y eut même des tems où les longues chevelures furent interdites à tous les Chrétiens ; mais cette discipline n’a pas subsisté long-tems à leur égard. Voy. Clerc, Tonsure, Couronne.

Nos antiquaires & nos historiens se sont très-étendus sur la chevelure de nos princes : on sait très exactement une chose très-importante à savoir, qui d’entre eux porta des cheveux longs, & qui porta des cheveux courts. La question des cheveux longs & des cheveux courts a été dans son tems la matiere de plusieurs ouvrages polémiques. O curas hominum !

Aujourd’hui on porte ou on ne porte pas des cheveux ; on les porte longs ou courts sans conséquence. Les cheveux sont employés à faire des perruques, contre lesquelles à la vérité un savant homme a fait un traité. Voy. Perruque. Et cet habillement de tête est devenu si ordinaire par sa commodité, que les cheveux sont un objet de commerce assez considérable.

Les cheveux des pays septentrionaux sont plus estimés que les nôtres. De bons cheveux sont bien nourris, & ne sont ni trop gros ni trop fins. Les gros deviennent crêpus quand on les frise ; les fins ne tiennent pas assez la frisure. La longueur des cheveux doit être d’environ vingt-cinq pouces ; leur prix diminue à mesure qu’ils sont plus courts. On recherche plus ceux des femmes que ceux des hommes. On regarde beaucoup à la couleur ; les blonds sont les plus chers. Il y a peu de marchandise dont le prix soit aussi variable ; il y a des cheveux depuis quatre francs jusqu’à cinquante écus la livre. On prétend que les cheveux châtains se blanchissent comme la toile, en les lavant plusieurs fois dans de l’eau limonneuse, & les étendant sur le pré. Quant à l’emploi des cheveux, voyez les articles Perruquier & Perruque. Observons seulement que les cheveux étant une marchandise que nous tirons de l’étranger, il y auroit un avantage à ce que l’usage des perruques de fil-d’archal prévalût. Je ne sai si cet objet est assez considérable pour mériter l’attention. C’est à ceux qui veillent aux progrès du commerce à en être instruits.

Se coeffer en cheveux, c’est avoir les cheveux tressés, relevés, arrangés sur sa tête, sans bonnet ni coëffure. Porter de faux cheveux, c’est fournir par des tresses de cheveux, des tours, des coins, &c. les endroits de la tête qui sont dégarnis de cheveux naturels. La coëffure en cheveux & l’art des faux cheveux ont été à l’usage des Grecs & des Romains. On dit : faire les cheveux, couper les cheveux, rafraîchir les cheveux. Les rafraîchir, c’est en enlever au ciseau la petite extrémité, pour en hâter l’accroissement ; les couper, c’est les abattre entierement, pour y substituer la perruque ; les faire, c’est les tailler selon la mode regnante. Toutes ces opérations sont du perruquier, de même que celle de les friser. Voyez Friser.

On a attaché de tout tems la beauté de la chevelure à la longueur & à la couleur des cheveux ; mais tous les peuples n’ont pas eu dans tous les tems le même préjugé sur la couleur. C’est par cette raison qu’il a fallu imaginer pour ceux dont les cheveux n’étoient pas d’une couleur à la mode, des moyens de donner aux cheveux la couleur qu’on voudroit. En voici quelques-uns que nous ne garantissons pas.

Pour noircir les cheveux, mettez sur quatre pintes d’eau de fontaine froide, une demi-livre de chaux, & un quarteron de sel commun ; remuez ce mêlange de tems en tems pendant quatre jours ; tirez-le au clair, & le gardez. Prenez une demi-livre de noix de galle ; faites-les brûler dans un pot de fer ou de cuivre bien bouché, avec une demi-livre de graisse de bœuf. Quand le tout vous paroîtra en pâtée, laissez refroidir sans déboucher le vaisseau. Prenez ensuite votre masse, réduisez-là en poudre très-fine, jettez cette poudre sur deux pintes de l’eau que vous avez tirée au clair ; ajoûtant deux fiels de bœuf, une once de lytarge d’or, une once d’alun, une once de couperose, une once de summac, une once de verdet, une once de plomb brûlé, une once de mine de plomb, une once de vitriol, une once de sel ammoniac. Prenez encore un quarteron de noir d’Anvers ; mettez ce noir sur une chopine ou environ d’eau de chaux, préparée comme on a dit plus haut ; faites bouillir ; jettez ce second mêlange bouillant sur le mêlange précédent ; renfermez le tout dans une cruche ; laissez reposer cette cruche pendant trois ou quatre jours au coin du feu ; remuez de tems en tems. Lorsque vous voudrez faire usage de votre préparation, prenez-en dans un petit vaisseau, ajoûtez-y quatre à cinq gouttes d’eau seconde ; prenez une petite éponge, trempez-la dans ce dernier mêlange, & vous en frottez les cheveux. Continuez de vous frotter jusqu’à ce que vos cheveux ayent pris couleur. Ce procédé a été communiqué par feu madame la comtesse de B. au pere de M. Papillon, habile graveur en bois.

Voici un procédé plus simple. Prenez du brou de noix, mettez-le dans un alembic ; distillez ; recueillez l’eau claire qui vous viendra par la distillation, & vous frottez les cheveux de cette eau.

Il y en a qui pensent que de l’eau seconde répandue dans beaucoup d’eau, produiroit le même effet sans aucun danger. Mais l’usage du peigne de plomb, qu’on frotte avec la mine de plomb toutes les fois qu’on le nettoie, s’il n’est pas sûr, est du moins très-innocent.