L’Encyclopédie/1re édition/CONJURATION

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CONJURATION, s. f. (Hist. mod.) complot de personnes mal intentionnées contre le prince ou contre l’état. Voyez Salluste & l’abbé de Saint-Réal.

* Conjuration, (Hist. anc.) cérémonie qui se pratiquoit dans les grands dangers : alors les soldats juroient tous ensemble de remplir leur devoir. Le général se rendoit au capitole, y plaçoit un étendart rouge pour l’infanterie, & un bleu pour les chevaux, & disoit qui vult rempublicam salvam me sequatur ; les soldats qui s’étoient rassemblés répondoient à cette invitation par un cri, & marchoient de là contre l’ennemi.

Conjuration, s. f. (Divinat.) parole, caractere, ou cérémonie, par lesquels on évoque ou l’on chasse les esprits malins, on détourne les tempêtes, les maladies, & les autres fléaux.

Dans l’Église Catholique & Romaine on employe, pour expulser les démons des corps des possédés, certaines conjurations ou exorcismes, & on les asperge d’eau-benite avec des prieres & des cérémonies particulieres. Voyez Exorcisme.

Il y a cette différence entre conjuration & sortilége, que dans la conjuration on agit par des prieres, par l’invocation des saints, & au nom de Dieu, pour forcer les diables à obéir. Le ministre qui conjure par la fonction sainte qu’il exerce, commande au diable, & l’esprit malin agit alors par pure contrainte : au lieu que dans le sortilége on agit en s’adressant au diable, que l’on suppose répondre favorablement en vertu de quelque pacte fait avec lui, ensorte que le magicien & le diable n’ont entre eux aucune opposition. Voyez Sortilége.

L’un & l’autre different encore de l’enchantement & des maléfices, en ce que dans ces derniers on agit lentement & secrettement par des charmes, par des caracteres magiques, &c. sans jamais appeller le diable, ni avoir aucun entretien avec lui. Voyez Charme & Maléfice.

Quelques démonographes ont prétendu qu’un moyen très-efficace de reconnoître les sorciers dans les exorcismes, étoit de les conjurer par les larmes de Jesus-Christ ; & que si par cette conjuration on pouvoit leur en tirer à eux-mêmes, c’étoit une marque de leur innocence ; & qu’au contraire si elle ne leur en arrachoit pas, c’étoit un signe de magie. Modus autem conjurandi, disent-ils, ad lacrymas veras si innoxia fuerit & cohibere lacrymas falsas, talis vel consimilis practicari in sententia à judice potest seu presbytero, manum super caput delati seu delatæ ponendo : conjuro te per amarissimas lacrymas à nostro salvatore Domino, &c. Delrio, qui cite cette pratique & cette formule, regarde avec raison l’une & l’autre comme superstitieuses : & d’ailleurs, quel moyen facile de justification n’offriroit-elle pas aux sorciers, & sur-tout aux sorcieres, qui sont d’un sexe à qui l’on sait que les larmes ne coutent rien ? Voyez Delrio, disquisit. magicar. lib. V. sect. jx. pag. 741. & suiv.

Les Payens avoient coûtume de conjurer les animaux nuisibles aux biens & aux fruits de la terre, & entr’autres les rats. C’étoit au nom de quelque divinité fabuleuse, qu’on interdisoit à ces animaux destructeurs l’entrée des maisons, des jardins, ou des campagnes. Aldrovandus, dans son ouvrage sur l’histoire naturelle, pag. 438. a pris soin de nous en conserver cette formule : Adjuro vos, omnes mures, qui hic comistitis, ne mihi inferatis injuriam : assigno vobis hunc agrum, in quo si vos posthac deprehendero, matrem deorum testor, singulos vestrum in septem frusta discerpam. Mais il ne dit pas l’effet que produisoit ce talisman. Voyez Talisman. Celui qui voudra connoître jusqu’où peut aller la méchanceté de l’homme, n’aura qu’à lire l’histoire de la conjuration des diables de Loudun, & la mort d’Urbain Grandier. (G)