L’Encyclopédie/1re édition/MUSCULAIRE
MUSCULAIRE, en Anatomie, quelque chose qui a rapport aux muscles ou qui participe de leur nature. Voyez Muscles.
C’est dans ce sens que l’on dit fibres musculaires, chair musculaire, veine musculaire, artere musculaire, &c.
Les organes les plus simples par lesquels s’exécute l’action organique de toutes nos parties, sont connus sous le nom de muscles.
L’action des muscles est ou volontaire ou involontaire, ou naturelle, c’est-à-dire qu’il y a des muscles dont l’action est entierement soumise à notre volonté ; tels sont ceux qui meuvent les bras & les jambes : d’autres où notre volonté n’a aucun pouvoir, & qui agissent continuellement, soit que nous dormions, soit que nous veillions, indépendamment de notre consentement, & sans que notre volonté puisse ni arrêter, ni accélérer, ni ralentir leurs actions ; tels sont les muscles qui satisfont aux actions dans lesquelles consiste la vie, comme l’action du cœur, des arteres, de l’estomac, des intestins, &c.
Les muscles soumis à la volonté peuvent agir aussi sans être continuellement mis en mouvement par la volonté ; car l’ame n’est pas une cause efficiente du mouvement & du repos, elle n’est tout au plus qu’une cause déterminante des mouvemens volontaires. Un homme qui marche & qui a l’esprit occupé de différentes idées, fait souvent beaucoup de chemin sans penser qu’il marche. Ainsi un seul acte de la volonté peut mettre les muscles pour long-tems en action, & peut de même les faire cesser d’agir & les laisser dans l’inaction sans que l’ame y pense.
Les fibres musculaires au moyen desquelles s’exécute cette action, sont des filets fins dont on a déja donné la description à l’article Fibre. Voyez & Muscle.
La structure des fibres les plus petites & qui peuvent être regardées comme les élémens des muscles, examinée à-travers le microscope, a toujours paru, tant dans l’homme que dans les animaux, semblable à la structure des grandes fibres ; on a simplement découvert que ces fibres étoient très-petites, & qu’elles étoient toutes réunies par un tissu cellulaire. Voyez Tissu cellulaire.
Elles ne sont donc point composées de vésicules ni d’une suite enchaînée de losanges, comme quelques-uns l’ont prétendu : ces fibres sont elles creuses ? sont-elles continues aux arteres ? Les fibres rouges du muscle sont-elles continues avec celles des tendons, parce qu’après avoir été bien lavées elles deviennent aussi blanches & aussi solides qu’elles ? Ces fibres sont si petites, que cela ne paroît pas probable.
Pour expliquer la contraction des muscles, les physiciens les plus éclairés ont eu recours à un suc qui coule dans les nerfs, & à des vésicules qui, selon eux, sont dans les fibres musculaires.
Il y en a plusieurs qui ont attribué au sang la contraction des muscles.
Baglivi regarde les grandes & les petites fibres comme autant de cordes dont chaque point glisse sur les globules du sang qui y circule de même que sur autant de poulies, & qui décrivent des demi-courbes, d’où il résulte une grande force dans les extrémités des tendons. Il démontre cette hypothèse en faisant faire au sang des petits cylindres qui s’entortillent autour de la fibre. Il ne donne aux esprits animaux d’autre fonction que celle de varier le diametre des globules du sang, & de les rendre globulaires sphéroïdes alongés ou applatis, selon le plus ou le moins de tension qu’il doit y avoir.
Il en est qui, avec le savant docteur Willis, font des tendons des muscles autant de reservoirs des esprits animaux, au moyen desquels les esprits, selon eux, sont élevés au gré de la volonté : c’est de cette sorte qu’ils sont portés dans le corps du muscle, où rencontrant les particules actives du sang, ils y fermentent, y produisent un gonflement, & contractent ainsi le muscle.
D’autres, du nombre desquels sont Descartes & ses sectateurs, ne reconnoissent d’autres reservoirs des esprits animaux que le cerveau, & les font partir de là comme autant d’éclairs au gré de la volonté, pour parvenir à-travers les nerfs aux endroits du corps où il s’agit d’exécuter ce que l’homme se propose ; & ils préferent ce système, parce qu’ils ne sauroient s’imaginer que les tendons puissent former un reservoir convenable pour les esprits animaux, eu égard à leur tissu extrèmement serré, ni que les esprits animaux y pussent rester dans l’inaction.
M. Duverney & ses sectateurs ont imaginé que ce gonflement pouvoit être produit sans fermentation par les esprits animaux & par le suc qui provient des arteres, lesquels coulent l’un & l’autre dans les tendons & les fibres charnues, qu’ils étendent à peu-près comme l’humidité fait gonfler les cordes.
M. Chirac & d’autres soutiennent que chaque fibre musculaire a d’espace en espace, lorsque le muscle est dans l’inaction, outre sa veine, son artere & son nerf, plusieurs autres petites cavités de figure oblongue ; que le sang qui circule dans ce muscle dépose continuellement dans ses pores un recrément sulphureux qui abonde en sels alkalis, & que lorsque ces sels rencontrent l’esprit qui coule par ces nerfs dans ces mêmes pores, leurs particules nitro-aériennes fermentent avec les particules salines du récrement sulphureux ; & que par une espece d’explosion elles étendent assez les pores pour changer leur figure ovale & longue en une ronde, & que c’est ainsi que le muscle se contracte.
Borelli a imaginé que les fibres des muscles sont composés d’une chaîne de rhombes ou de losanges dont les aires s’élargissent ou se rétrécissent à mesure que le suc nerveux y entre ainsi que la lymphe & le sang, & qu’elles en sont exprimées au gré de la volonté.
Le docteur Croon prétend que chaque fibre charnue est composée de petites vessies ou globules qui communiquent les unes aux autres, & dans lesquelles le suc nourricier entre avec une ou deux autres liqueurs ; que la chaleur naturelle cause de plus alors une effervescence entre ces liqueurs, & que c’est par-là que le muscle se tend.
Le docteur Cheyne prend ces petites fibriles des muscles pour autant de canaux élastiques fort déliés, serrés tout-au-tour par de petites cordes paralleles transverses qui divisent les fibriles creuses en autant de petites vésicules élastiques, lesquelles sont orbiculaires & formées par un segment concave de sphere, & dans chacune desquelles il entre une artere, une veine & un nerf ; les deux premieres pour porter & rapporter le sang, le nerf pour y porter le suc nerveux, lequel venant à se mêler avec le sang dans les vésicules, picote & brise les globules du sang au moyen des particules acides & pointues dont il est formé, & cela au point de faire sortir dans ces petites vésicules l’air élastique qui étoit contenu dans les globules, ce qui gonfle les cellules élastiques des fibres, & accourcit par conséquent de cellule en cellule leurs diametres longitudinaux, & doit contracter en même tems la longueur de toute la fibre, & mouvoir par conséquent l’organe auquel l’extrémité du tendon est attachée.
Le docteur Keil que cette théorie n’a pas satisfait, en a imaginé une autre où il suppose aussi la même structure, & où il prend les mêmes fluides, savoir le sang & le suc nerveux pour les agens & instrumens de la contraction ; mais au-lieu de ces particules piquantes du suc nerveux qui percent dans l’autre système les particules de sang, & qui mettent ainsi en liberté l’air élastique qui y étoit comme emprisonné, il aime mieux en tirer l’explication de la force de l’attraction. Voyez Attraction.
Dans tout le reste M. Keil démontre fort bien la maniere dont les vésicules se gonflent, mais sans rendre justice à M. Bernoulli qu’il a copié.
Le docteur Boerrhaave trouvant dans le suc nerveux ou les esprits animaux toutes les qualités que nous avons prouvé être nécessaires pour l’action des muscles, & ne le trouvant dans aucun autre fluide du corps humain, croit qu’il est inutile d’avoir recours au mélange de plusieurs liqueurs pour expliquer un effet à la production duquel une seule suffit, & ainsi il n’hésite point d’attribuer en entier l’action des muscles aux seuls esprits animaux.
M. Astruc a travaillé assez heureusement à prouver qu’il n’y a que le suc nerveux qui soit employé au mouvement musculaire, & que le sang n’y a aucune part ; c’est ce qu’il a fait par l’expérience suivante, qu’il a réitérée plusieurs fois avec le même succès ; il a ouvert l’abdomen d’un chien vivant, & éloignant les intestins, il a lié avec un fil l’aorte dans l’endroit où elle donne naissance aux iliaques & l’artere hypogastrique, il a ensuite cousu les muscles hipogastriques, & la sensation & le mouvement ont été aussi vifs & aussi prompts qu’auparavant dans les parties postérieures du chien, de façon que lorsqu’on le laissoit libre il se tenoit sur ses quatre pattes, & marchoit avec la même facilité qu’auparavant, sans chanceler davantage ; or il est certain qu’il n’alloit alors aucune goutte de sang dans les parties postérieures du chien.
Le docteur Lower, M. Cowper, & après eux le docteur Morgagni, & d’autres auteurs modernes qui ont écrit sur ce sujet abandonnant tout fluide adventice, déduisent la cause du mouvement musculaire de l’élasticité intrinseque des fibriles nerveuses qui se contractent & se rétablissent, malgré l’obstacle de la force extensive du sang qui circule. Morgagni tâche de prouver ce système par les observations suivantes. 1°. Que tous les vaisseaux d’un animal étant composés de fibres flexibles & extensibles, elles sont toujours dans un état de tension, c’est-à-dire que les fluides qui y sont contenus les étendent transversalement & longitudinalement ; c’est ainsi, par exemple, qu’une veine & qu’une artere qu’on coupe se contractent de même que le côté opposé du vaisseau, au point que les parties viendront presque à se toucher sur l’axe pendant que les deux bouts s’éloignant les uns des autres laisseront un vuide, ce qui prouve que le vaisseau, lorsqu’il étoit dans son état naturel, étoit tendu dans les deux sens, & que par conséquent cette contraction dans toutes les dimensions, est l’action naturelle ou intrinseque des vaisseaux ou des fibres.
Bergerus a avancé que les fibres membraneuses transversales venant à se tendre rident les fibres charnues ; on est aussi embarrassé avec cet expédient qu’avec les autres : on fait dire à Stenon que les angles des fibres qui étoient aigus devenoient droits ; mais quelle est la méchanique qui fait cela, & comment supposer que des espaces remplis de fluides qui poussent également de tous côtés puissent avoir des angles aigus ? Toute cavité simple remplie d’une liqueur qui est poussée à force doit s’arrondir.
M. Deidier suppose dans une thèse que les fibres nerveuses venant à se contracter dans un muscle, le sang y coule moins abondamment que dans son antagoniste, de-là vient que cet antagoniste l’emporte sur le muscle déjà contracté par la machine.
M. Bernoulli, après avoir exposé la structure des muscles suivant laquelle il les suppose composés de deux plans de fibres, l’un longitudinal & l’autre transverse ; il pense que les fibres transverses doivent resserrer les longitudinales, qui gonflées par l’effervescence qui y arrive, prendront par ce moyen la figure d’une suite de petites vésicules ovales, & non pas de rectangles, comme l’a pensé Borelli, ce qu’il démontre très-bien, & dont il déduit, par un calcul très-ingénieux dans le détail duquel nous n’entrons pas ici, une évaluation des forces des muscles bien différente de celle que Borelli avoit trouvée par le sien : quant à son hypothèse, la voici. « Lorsque la volonté, dit il, envoie le suc nerveux dans les muscles, les parties de ce suc par leurs pointes subtiles s’attachent aux parties du sang & les divise ; alors les parties d’air renfermées dans le sang bouillonnent, se dilatent tout-à-coup, & subtiles qu’elles sont, elles s’échappent facilement, & lorsque par une impétuosité subite elles ont raréfié le sang, les particules du suc nerveux, dont les pointes sont plus fortes, rompent quelques pores des globules du sang qui renferment l’air, & cet air grossier ne pouvant s’échapper par les pores des muscles, produit les vésicules qui s’observent à leur surface, de pareilles vésicules sont la cause de la tympanite ; c’est encore, continue notre auteur, une erreur populaire que de croire que la paralysie ne provient que de ce que les esprits animaux cessent de couler dans la partie paralytique, puisqu’elle peut également provenir du trop de souplesse des pointes des particules du suc nerveux ». Voyez sa Diss.
M. Winslow ne trouvant point les différentes hypothèses sur le mouvement des muscles suffisantes pour rendre raison de la détermination de ces mouvemens, de leur durée ; de leur augmentation & de leur diminution, &c. M. l’abbé de Molieres entreprit de résoudre quelques-unes de ces difficultés par l’hypothèse suivante. Il reconnoit avec tous les grands anatomistes, que le nombre des vaisseaux qui se distribuent dans le muscle est infini ; que ces petits vaisseaux sont comme autant de petits cylindres qui s’étendent le long des fibres des muscles ; que tous ces petits cylindres sont tous entourés par un nombre infini de filamens nerveux, & que, lorsque nous voulons exécuter quelque mouvement, il se fait une effusion d’esprits animaux plus grande qu’à l’ordinaire, ce qui ne peut arriver sans gonfler les petits filamens nerveux qui environnent chaque petit vaisseau ; les filamens ne peuvent être gonflés sans qu’il s’ensuive une compression sur les vaisseaux qu’ils environnent ; les petites arteres doivent donc se changer en une espece de petit chapelet, & c’est de-là qu’il déduit l’explication de la plûpart des phénomenes du mouvement musculaire. Voyez les Mémoires de l’acad. royale des Sciences.
Quelque ingénieuses que puissent être toutes ces hypotheses, elles ne peuvent cependant satisfaire à tous les phénomenes du mouvement musculaire, & tout ce qu’il y a de bien certain & de bien démontré, c’est :
1°. Que les muscles ont une force de contraction naturelle. En effet, si on regarde au microscope la chair d’un animal récemment tué, on voit évidemment qu’elle se contracte. Si on coupe dans un animal quelconque un muscle dans son milieu, on voit les deux extrémités se contracter. Si on arrache le cœur d’une grenouille, & qu’on le mette sur une table, on le voit faire les mouvemens de systole & de diastole pendant une heure. Qu’on mette tremper dans l’eau un muscle pendant quelque tems, il devient pâle, se dépouille de la partie rouge qui l’environnoit, & ses fibres deviennent plus courtes ; elles s’alongent lorsqu’on les tire, & se remettent dans leur premier état lorsqu’on les lâche. Il faut néanmoins convenir que cette force de contraction naturelle aux muscles, & même aux membranes qui ne sont pas musculaires, différent beaucoup de celle qu’ils ont pendant la vie, & avec laquelle ils soutiennent des poids certainement plus grands que ceux qu’ils supportent, lorsqu’ils ne sont plus animés par cette force vitale quelle qu’elle puisse être.
2°. Il est certain que les expériences prouvent que la cause du mouvement musculaire vient des nerfs, puisque les nerfs ou la moëlle épiniere étant irrités, même dans l’animal après la mort ; les muscles qui reçoivent de ces parties des rameaux de nerf, entrent dans de violentes convulsions. Le nerf d’un muscle quelconque étant lié ou coupé, ce muscle s’affaisse, tombe en langueur, & ne peut aucunement se rétablir dans un mouvement semblable au mouvement vital ; la ligature étant relâchée, le muscle recouvre la force qui le met en mouvement. On a fait ces expériences sur-tout sur le nerf diaphragmatique & sur le recurrant.
3°. Il est encore en question si les arteres concourent au mouvement musculaire. La paralysie qui survient dans les extrémités après la ligature de l’aorte, ou dans quelques parties que ce puisse être, après avoir lié l’artere qui y porte le sang, sembleroit le confirmer ; cependant de grands hommes prétendent que les arteres ne concourent en rien au mouvement musculaire, sinon en ce qu’elles conservent la bonne disposition du muscle, l’habitude mutuelle des parties, qu’elles séparent la vapeur & la graisse qui les humectent, & enfin qu’elles le nourrissent : cela paroît d’autant mieux fondé, que le muscle ne se détruit que long-tems après qu’on a empêché par quelques moyens que ce puisse être, le sang artériel de s’y porter, & qu’on ne peut expliquer le mouvement de quelque muscle particulier par une cause qui provenant du cœur, agit avec une force égale dans toutes les parties du corps.
C’est donc par le moyen des nerfs (continue M. Haller, de qui j’ai tiré une partie de ce que j’ai dit ci-dessus), & non pas celui des arteres, ni des autres parties solides, que s’exécutent les ordres de la volonté ; mais la façon dont les nerfs mettent les muscles en mouvement, est si obscure, qu’il n’y a presque pas lieu d’espérer de la jamais découvrir ; les vésicules nerveuses capables de se gonfler, le suc nerveux y étant apporté avec plus de vîtesse, ne s’accordent pas avec l’anatomie, qui nous fait voir que les fibriles sont par-tout cylindriques avec la prompte exécution du mouvement des muscles, avec la diminution plutôt que l’augmentation de leur volume pendant leur action ; les chaînettes, les rhombes que forment les fibres enflées, ne cadrent point avec l’anatomie de ces parties, ni avec la vîtesse de leur action ; enfin, on ne peut faire voir une assez grande quantité de filets nerveux produits par aussi peu de nerf, & que ces filets se distribuent dans une direction presque transverse par rapport à celle des fibres musculaires. La supposition que les nerfs environnent la fibre artérielle, & la contractent par son élasticité, n’est pas conforme à la structure de ces parties, dans lesquelles on prend pour nerfs les filets cellulaires, qui sont les seuls qu’on y puisse découvrir : l’hypothèse des bulles de sang remplies d’air, & la façon dont on s’en sert pour expliquer le mouvement musculaire, ne sont pas conformes à la nature du sang, dans lequel on suppose un air élastique qui n’y est pas ; il est d’ailleurs constant par ce qui a été dit ci-dessus, que l’action des muscles ne dépend pas de leur contraction méchanique, mais de la grande vîtesse avec laquelle le suc nerveux y coule, & ce n’est que par son impulsion que l’on peut rendre raison de leur dureté lorsqu’ils font quelque effort, soit que cela vienne de la volonté ou de quelqu’autre cause qui ait son siege dans le cerveau, soit de la puissance d’un aiguillon sur le nerf même, &c.
L’effet du mouvement musculaire est de rendre les muscles plus courts, de tirer par cette raison leurs tendons qui sont presque en repos vers le milieu du muscle, & d’approcher les os ou les parties auxquelles les tendons sont attachés, les unes des autres. Si l’une des parties mues est plus stable que l’autre, la plus mobille s’approche alors d’autant plus de l’autre, qu’elle est moins stable qu’elle ; si l’une d’elles est immobile, la mobile s’approche uniquement vers l’immobile, & c’est dans ce cas le seul où les mots d’origine & d’insertion, qui d’ailleurs sont si souvent équivoques, peuvent être tolérés.
La force de cette action est immense dans tous les hommes, & sur-tout dans les phrénétiques & dans certains hommes vigoureux. Peu de muscles élevent souvent un poids égal & même plus grand que le poids de tout le corps humain ; cependant la plus grande partie de l’effort ou de la puissance du muscle se perd sans produire aucun effet sensible, puisque les muscles ont leur attache plus près du point d’appui, que n’en est le poids qu’ils doivent soutenir : l’effet de leur action est d’autant plus petit, que la partie du levier à laquelle ils s’attachent pour mouvoir le poids est plus petite ; de plus, une grande partie des muscles formant avec les os auxquels ils s’inserent, surtout dans les extrémités, des angles fort aigus, & par conséquent l’effet de l’action des muscles sera d’autant plus petite, que le sinus de l’angle entre le muscle & l’os est dans un moindre rapport avec le sinus total ; d’ailleurs la moitié de tout l’effort du muscle en contraction est sans effet, parce qu’on peut regarder ce muscle comme une corde qui tire au poids vers son point d’appui : d’ailleurs plusieurs muscles sont placés dans l’angle formé par deux os dont l’un leur sert de point d’appui pour mouvoir l’autre ; ils se fléchissent donc lorsque cet os est en mouvement ; un nouvel effort doit alors mouvoir ces cordes fléchies : plusieurs muscles passent par-dessus quelques articulations & les fléchissent toutes un peu, de forte que la plus petite partie de l’effet de cette action est reservée pour fléchir une articulation particuliere : les fibres musculaires elles-mêmes forment très souvent avec leur tendon des angles qui leur font perdre une grande partie de leur force, & ce qu’il en reste est à la force totale dans le rapport du sinus de l’angle d’insertion, au sinus total. Enfin les muscles meuvent les poids qui leur sont opposés avec une grande vitesse ; & non-seulement ils emploient assez de force pour le balancer, mais ils en emploient même assez pour les élever.
Toutes ces pertes compensées, il paroît que la force des muscles en action est très-grande, & qu’elle ne peut se déterminer par aucun rapport méchanique, son effet étant presqu’un soixantieme de tout l’effort du muscle, & que quelques muscles dont le poids n’est pas considérable, peuvent élever un poids de mille livres, & l’élevent avec une grande vitesse. On ne doit pas moins admirer la sagesse du Créateur, car ces pertes sont compensées par d’autres avantages ; par la justesse du corps, par le mouvement musculaire, par la vîtesse nécessaire, par la direction des muscles, avantages qui tous contraires, demandoient une compensation méchanique ; mais on conclut de-là que l’action des esprits animaux est très-puissante, puisqu’elle peut dans un organe si petit, produire assez de force pour soutenir un poids égal à quelque milliers de livres pendant long-tems, même pendant des jours entiers : & il ne paroît pas qu’on puisse l’expliquer autrement que par la vîtesse incroyable avec laquelle ce fluide se porte dans toutes ces parties, lorsque nous le voulons, quoiqu’on ne puisse pas dire d’où vient cette vîtesse, & qu’il suffise qu’il y ait une loi déterminée, suivant laquelle le suc nerveux soit nouvellement poussé avec une vîtesse donnée suivant une volonté donnée. Voyez Nerveux & Esprit.
Les muscles antagonistes facilitent le relâchement des muscles dans leur action dans toutes les parties du corps humain ; chaque muscle est balancé ou par un poids opposé, ou par son ressort, ou par un autre muscle, ou par un fluide qui fait effort contre les parois du muscle qu’il presse : cette cause quelle qu’elle puisse être, agit continuellement, même lorsque le muscle est en action, & que cette vîtesse qui provient du cerveau est ralentie, & elle rétablit les membres ou les autres parties quelconques dans un état tel qu’il y ait équilibre entre les muscles & la cause opposée : toutes les fois que l’antagonisme dépend des muscles, aucuns ne peuvent se contracter sans étendre leur antagoniste ; d’où il suit que les nerfs distendus & le sentiment douloureux leur font faire de plus grands efforts pour reproduire l’équilibre ; c’est aussi la raison pourquoi les muscles fléchisseurs étant coupés, les extenseurs doivent agir même dans le cadavre, & réciproquement.
Mais il y a d’autres moyens qui rendent le mouvement musculaire juste, sûr & facile. Les grands muscles longs, par le moyen desquels se font les grandes flexions, sont renfermées dans des gaines tendineuses, fermes, que d’autres muscles tendent & tirent, de maniere que pendant que les membranes sont fléchies, le muscle reste étendu & appliqué sur l’os, ce qui s’oppose à la grande perte qui se feroit des forces. Les tendons longs, courbés & étendus sur les articulations fléchies dans leur mouvement, sont reçus dans des especes de coulisses particulieres dont les canaux sont lubréfiés, & ces coulisses fortifient les tendons sans les priver de leur mouvement, & les empêchent de s’écarter & d’être refroidis sur la peau, ce qui les rendroit douloureux, & leur feroit perdre leur mouvement. Les muscles perforés font les mêmes fonctions dans d’autres parties, dans celles où les tendons sont placés au-tour des éminences des os, pour s’insérer sous un plus grand angle dans l’os qu’ils meuvent, où ils s’inserent à un autre os, d’où un autre tendon va s’insérer sous un plus grand angle dans l’os à mouvoir. Dans quelques endroits la nature a placé les muscles au-tour de la partie à mouvoir, comme au tour d’une poulie. Enfin elle a environné par-tout ces muscles d’une graisse lubrefiante, & il s’en trouve entre les fibrilles, les fibres, les paquets de fibres & les muscles ; la compression qui suit le gonflement des muscles fait qu’elle se répand entre ces muscles & leurs fibres, & qu’elle entretient leur flexibilité.
La force d’un muscle est déterminée par la société ou l’opposition des autres, qui rendent l’une ou l’autre des deux parties auxquelles ils s’attachent, plus solide, & qui concourent directement avec lui à son action, ou qui changent la direction qu’auroit eue la partie si elle eût été mue par ce seul muscle, en la faisant passer par la diagonale. On ne peut donc au juste déterminer l’action particuliere d’aucun muscle ; mais il faut les considerer tous ensemble, tous ceux qui s’attachent à l’une & à l’autre partie à laquelle un muscle va s’insérer.
C’est par l’action de ces muscles, par leur réunion ou leur opposition différente, que nous marchons, que nous nous tenons en équilibre, que nous nous fléchissons, que nous étendons nos membres, que se fait la déglutition & toutes les autres fonctions de la vie. Outre cela les muscles ont encore des usages particuliers ; ils accélerent le sang veineux par leur pression sur les veines qui en sont proche & lui sont particulieres entre les colonnes charnues du cœur, pression dont l’effet est de pousser uniquement le sang au cœur au moyen des valvules ; ils brisent & atténuent le sang artériel, ils envoient avec plus de vîtesse au poumon le sang qui revient du foie, du mesentere, de la matrice, &c. ils font avancer la bile & autres parties contenues ; ils empêchent ces liqueurs de séjourner ; ils augmentent la force de l’estomac par leur action ; ils aident si bien à la digestion, que la vie oisive & sédentaire est contraire aux lois de la nature, & nous rend sujets aux maladies qui dépendent de la stagnation des humeurs & de la crudité des alimens.
Nerfs musculaires communs, voyez Moteurs.
Nerfs musculaires oblique ; supérieurs, voyez Pathétiques.
Nerfs musculaires externes, voyez Moteurs.