L’Encyclopédie/1re édition/SOUDE

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SOUDE, ou Sel de soude, (Chimie & Médec.) on appelle soude le sel lixiviel, ou les cendres de plusieurs plantes qui contiennent du sel marin, & qui croissent pour la plûpart sur les côtes maritimes des pays chauds, quoique on en trouve quelques-unes au milieu des terres, comme le kali geniculatum que Henkel a cueilli en Saxe. Les botanistes n’ont éclairé jusqu’à présent qu’imparfaitement cette partie, & nous trouvons si peu d’ordre & de clarté dans les noms & les descriptions qu’ils donnent des plantes dont on a coutume de tirer la soude, que nous n’osons en présenter un tableau complet ; on les a presque toutes confondues sous le nom de kali, tandis que plusieurs sont de différens genres. M. de Jussieu, mémoires de l’académie 1717, nomme kali d’Espagne annuel couché sur terre, à feuilles courtes, & de sedum, celui dont on retire principalement à Alicant la soude dite de barille. On prépare la soude dans plusieurs autres contrées. Les marchands distinguent ces différentes soudes par le nom que la plante dont on les tire a dans chaque endroit. Ainsi ils appellent la soude préparée à Cherbourg, soude de varech ; ainsi ils divisent celle d’Alicant en soude de barille & soude de bourdine. C’est du kali geniculatum de Caspard Bauhin, du kali majus cochleato semine, & du salsola sativa du même auteur, qu’on retire les soudes communes. Pour y parvenir, voici la méthode qu’on suit dans tous les pays où le travail s’exécute en grand, en Egypte, près d’Alexandrie, à Carthagene, à Alicant, à Cherbourg, & en d’autres endroits.

On cueille cette plante qui a crû sans art, ou qu’on a semée pour la multiplier ; on la coupe lorsqu’elle est dans sa plus grande force, on la fait sécher au soleil comme le foin ; on la met en gerbes, après en avoir ramassé le fruit, si on souhaite ; on la brûle ensuite sur des grils de fer, d’où les cendres tombent dans une fosse, ou par un procédé plus suivi, dans un grand creux ; on jette d’abord une botte de kali séchée & enflammée, qui réduit successivement en cendres toutes celles dont on la couvre peu-à-peu. Le feu éteint naturellement, on tire du creux les cendres qui contiennent une très-grande quantité de sel alkali fixe marin (voyez Sel), auquel on a donné les noms de soude, soude en pierre, salicore, salicote, la marie, alun catin, dont Pline dit que la découverte est dûe à des marchands qui jettés par la tempête à l’embouchure du fleuve Bélus en Syrie, firent cuire leurs alimens avec le kali, dont la cendre unie au sable sur lequel elle tomboit, forma du verre par la fusion de l’un & de l’autre.

On préférera la soude des pays chauds à celle des pays froids ; la soude de barille est la plus estimée de toutes. On la choisira seche, sonnante, d’un gris bleuâtre, garnie de petits trous, n’ayant aucune odeur de marécage ; on rejettera celle qui a une croûte verdâtre, qui est noirâtre, puante, ou qui contient des pierres. Pour être sûr de son choix dans l’achat de la soude, il faut la dissoudre dans l’eau, la filtrer, comparer le poids que l’eau a acquis avec celui de la soude, ou-bien faire évaporer jusqu’à siccité ; elle sera d’autant meilleure, qu’elle contiendra une plus grande quantité de sel alkali auquel elle doit toute sa vertu.

Le sel de la soude est un vrai sel lixiviel alkalin marin, c’est lui qui sert de base au sel commun ; mais cet alkali est mêlé de sel de Glauber, de tartre vitriolé, & d’une assez grande quantité de sel marin que le feu n’a pu décomposer. Ce sel marin constitue le sel essentiel du kali de la plûpart des plantes maritimes, & de toutes celles qui fournissent la soude ; ce qu’il est aisé de démontrer par la décoction, l’expression, la filtration & l’évaporation du suc de ces plantes. Voyez le supplément au Flora saturnisans de Henkel, voyez Sel essentiel. Ce sel neutre est détruit par l’incinération, le feu dégage l’acide marin de sa base alkaline ; cet acide se dissipe, & l’alkali reste mêlé avec la terre, & une portion des sels qui n’ont pu être décomposés, voyez Sel lixiviel. La putréfaction est un autre moyen de décomposer le sel marin ; le kali donne en se pourrissant une odeur extrèmement fétide, sémblable à celle des excrémens humains, ou des parties animales putréfiées : elle est dûe à un alkali volatil qu’on peut ramasser sous forme concrete par la distillation. Voyez Henkel à l’endroit cité. C’est ici évidemment une transmutation de l’alkali fixe en volatil.

M. Henkel ayant versé les différens acides minéraux sur un sel grossier qui s’étoit précipité de la lessive & sur la soude, trouva après une sorte effervescence, & après avoir laissé reposer la dissolution, une poudre semblable au bleu de Prusse, en très-petite quantité, voyez le supplément au Flora saturnisans déja cité. M. Geoffroy répéta les expériences de M. Henkel, obtint à peu-près les mêmes produits, & observa que la fécule bleue qui varioit beaucoup, dépendoit principalement de la quantité de charbon contenu dans la soude. Voyez son mémoire parmi ceux de l’académie, 1725. Il attribua cette couleur bleue à la portion ferrugineuse du charbon, développée par le savon tartareux formé de soufre, ou de l’huile concentrée du même charbon unie avec le sel alkali qui est ici abondant.

La soude est d’un très-grand usage pour blanchir le linge dans les pays où on ne brûle que du bois flotté, comme à Paris, dont les cendres ne contiennent point d’alkali fixe ; les blanchisseuses ne pouvant faire usage de ces cendres pour leurs lessives, emploient la soude à leur place ; elle sert aussi à dégraisser les étoffes : mais sa plus grande consommation est dans les fabriques de savon noir, gris ou blanc, & dans les verreries. Voyez Savon, Verre, Email & Fritte. Pour ces derniers usages on ne devroit l’employer que lorsqu’elle est purifiée par la lessive de sa partie terreuse surabondante. Le sel marin qu’elle contient lui est nécessaire pour que le savon prenne de la consistence.

Nous ne trouvons pas qu’on se soit servi de la soude pure ou lessive dans la Médecine, mais les vertus apéritives & fondantes des savons communs de Marseille, d’Alicant, de Venise, sont connues de tout le monde ; ils les doivent presque toutes au sel alkali de la soude : nous pouvons donc les attribuer à ce dernier. On pourroit en faire des pierres à cauteres, moins actives que celles qu’on prépare communément avec les cendres clavelées.

Soude blanche, (Minéralogie & Chimie.) Lemery donne ce nom au natrum des anciens. Voyez Natrum.

Soude, kali, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du milieu de cette fleur, & devient dans la suite un fruit presque rond & membraneux, qui renferme un fruit d’une forme singuliere ; car il est contourné comme un limaçon, & le plus souvent enveloppé par les pétales de la fleur. Tournefort, Inst. rei heib. Voyez Plante.

Soude de barille, (Commerce.) soude d’Alicant, ainsi nommée de l’herbe de barille qui se seme, se cul ? ve, se recueille & se brûle aux environs de cette ville d’Espagne. On la tire rarement toute pure d’Espagne, les Espagnols la mêlant souvent avec la soude de bourdine, qui est une autre herbe qui ressemble à la barille. C’est la véritable soude de barille qu’il faut employer pour la fabrication des glaces à miroirs, la bourdine n’y étant pas propre ; elle s’envoie en masse dans de grands cabats de jonc. (D. J.)