L’Encyclopédie/1re édition/TRIBUNAL

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TRIBUNAL, s. m. (Gramm. & Jurisprud.) est le siege d’un juge, le lieu où il rend la justice. Quelquefois aussi ce terme se prend pour le corps entier des juges qui composent une jurisdiction. Quelquefois il se prend pour la jurisdiction même qu’ils exercent.

Ce terme qui est aussi latin tire son origine du nom que l’on donnoit à un siege élevé où les tribuns rendoient la justice. Voyez Tribun.

Tribunal ecclésiastique, est celui qui connoît des matieres ecclésiastiques, comme les officialités. Voyez Tribunal séculier.

Tribunal incompétent, est une jurisdiction qui n’a pas le pouvoir de connoître d’une affaire soit par rapport à la qualité des personnes, ou à la qualité de la matiere. Voyez Compétence & Incompétence.

Tribunal inférieur est une jurisdiction qui ressortit à un autre.

Tribunal du recteur, c’est le titre consacré à la jurisdiction du recteur de l’université. Voyez Recteur & Université.

Tribunal séculier, est une jurisdiction établie pour connoître des affaires temporelles. Voyez Tribunal ecclésiastique.

Tribunal souverain, est une jurisdiction où l’on juge souverainement & sans appel.

Tribunal supérieur, se prend quelquefois pour tribunal souverain ; quelquefois il signifie seulement une jurisdiction qui est au-dessus d’une autre, dont les jugemens y ressortissent par appel. (A)

On a comparé les tribunaux au buisson épineux, où la brebis cherche un refuge contre les loups, & d’où elle ne sort point sans y laisser une partie de sa toison. C’est aux sangsues du palais à comprendre ceci : ces mains avides ne feront-elles que tendre des lacets, tracer des lignes obliques, & fabriquer des labyrinthes ? Le souverain ne sévira-t-il point contre ces sangsues altérées, qui épuisent le bien de leurs clients par des faux conseils, par des menées indirectes, & par des voies tortueuses ? (D. J.)

Tribunal secret de Westphalie, (Hist. mod.) c’est le nom d’un tribunal assez semblable à celui de l’inquisition, qui fut, dit-on, établi en Westphalie par l’empereur Charlemagne, & par le pape Léon III. pour forcer les Saxons payens à se convertir au christianisme. On a une description de ce tribunal faite par plusieurs auteurs & historiens, ainsi que l’ordre & les statuts des assesseurs de ce tribunal, appellés vry graves, frey graves, comtes libres, ou échevins du saint & secret tribunal de Westphalie.

Une superstition cruelle, aidée d’une politique barbare, autorisa pendant long-tems les jugemens clandestins de ces redoutables tribunaux, qui remplissoient l’Allemagne de délateurs, d’espions, d’assesseurs & d’exécuteurs de leurs arrêts ténébreux ; les juges de Westphalie usurperent une autorité semblable à celle que s’est arrogée depuis le tribunal odieux que l’Espagne, l’Italie & le Portugal réverent encore sous le titre de saint office. Il paroît en effet que c’est sur le modele du tribunal secret de Westphalie que la cour de Rome a formé celui de l’inquisition, si favorable à ses prétentions & à l’abrutissement des peuples, & si contraire aux maximes de la vraie religion & de l’humanité.

Quoi qu’il en soit, ces deux tribunaux furent toujours également propres à anéantir la liberté des citoyens en les mettant à la merci d’une autorité secrette qui punissoit des crimes qu’il fut toujours facile d’imputer à tous ceux qu’on voulut perdre. En effet, le tribunal secret connoissoit également de tous les crimes & même de tous les péchés, puisqu’à la liste des cas qui étoient spécialement de sa compétence on joignoit toutes les transgressions du décalogue & des lois de l’Église, la violation du carême, &c. Son autorité s’étendoit sur tous les ordres de l’état ; les électeurs, les princes, les évêques mêmes y furent soumis, & ne pouvoient en être exemptés que par le pape & l’empereur. Par la suite néanmoins les ecclésiastiques & les femmes furent soustraits de sa jurisdiction ; cet établissement fut protégé par les empereurs, à qui il fut, sans doute, utile pour perdre ceux qui avoient le malheur de leur déplaire. L’empereur Sigismond y présida une fois, il fut alors garni de mille assesseurs ou échevins ; Charles IV. en sut tirer un très-grand parti, & les bourreaux du tribunal secret eussent empêché la déposition de l’affreux Wenceslas, s’il ne les eût indisposés en divulgant leur secret. La superstition ne sert les tyrans que lorsqu’ils consentent à lui être fideles.

Pour se faire une idée de ce tribunal, il suffit de voir ce qu’en a dit Æneas Sylvius en parlant de ceux qui le composoient de son tems, il dit qu’ils ont (secretos ritus) & arcana quædam instituta, quibus malefactores judicent, & nondum repertus est qui vel pretio vel metu revelaverit ; ipsorum quoque scabinorum major pars occulta est, qui per provincias discurrentes, criminosos notant, & inferentes judicio accusant, probantque, ut eis mos est. Damnati libro inscribuntur, & junioribus scabinis committitur executio. « Ils ont des usages secrets & des formalités cachées pour juger les malfaiteurs, & il ne s’est encore trouvé personne à qui la crainte ou l’argent aient fait réveler le secret ; la plûpart des échevins de ce tribunal sont inconnus ; en parcourant les provinces, ils prennent note des criminels, ils les déferent & les accusent devant le tribunal, & prouvent leur accusation à leur maniere ; ceux qui sont condamnés sont inscrits sur un livre, & les plus jeunes d’entre les échevins sont chargés de l’exécution ». Voyez Æneas Sylv. Europ. cap. xljx.

Au mépris de toutes les formes judiciaires, on condamnoit souvent l’accusé sans le citer, sans l’entendre, sans le convaincre ; un homme absent étoit légalement pendu ou assassiné sans qu’on sût le motif de sa mort, ni ceux qui en étoient les auteurs. Un tribunal si détestable, sujet à des abus si crians, & si contraires à toute raison & à toute justice, subsista pourtant pendant plusieurs siecles en Allemagne. Cependant il fut réformé à plusieurs reprises par quelques empereurs qui rougirent des horreurs qu’on commettoit en leur nom ; & enfin il fut entierement aboli par l’empereur Maximilien I. en 1512 ; & on l’appella depuis le tribunal défendu de Westphalie, & il n’en fut plus question dans l’empire. Il faut espérer que les progrès de la raison, qui tend toujours à rendre les hommes plus humains, feront abolir de même ces institutions odieuses & tyranniques, qui sous le faux prétexte des intérêts de la divinité, permettent à quelques hommes d’exercer la tyrannie la plus cruelle sur les êtres qu’elle a créés à son image ; quelles que soient leurs opinions, un chrétien doit de l’indulgence à ses semblables ; s’ils sont vraiment criminels, ils doivent être punis suivant les lois de la justice & de la raison. Ce tribunal se trouve désigné dans les historiens & dans les écrivains sur le droit public germanique, sous le nom de Judicium occultum Westphalicum, de Vemium, Wemium ou Wehem Gericht en allemand. Ce que quelques-uns dérivent du latin voemihi ; & d’autres du mot saxon vehmen, qui signifie proscrire, bannir, condamner, ou de verfaymer, diffamer, noter d’infamie, &c. Voyez Vrigraves, Inquisition, &c.

Ce tribunal Westphalien, comme on a dit, fut établi par Charlemagne de concert avec le pape Léon III. Quelques auteurs ont rapporté les circonstances suivantes de sa fondation ; cependant il y a des auteurs qui les regardent comme fabuleuses. Quoi qu’il en soit, voici ce qui en est dit à la page 624 du tome III. scriptorum Brunswic. publié par M. de Leibnitz. Ut fertur, misit rex (Carolus M.) legatum Romam ad Leonem papam, pro concilio habendo de rebellibus istis (Saxonibus), quos nullâ poterat diligentiâ ex toto compescere aut exterminare. Ast sanctus vir, auditâ legatione, nihil prorsus respondit ; sed surgens ad hortulum ivit, & zizania cum tribulis colligens, supra patibulum quod de virgulis fecerat, suspendit. Rediens autem legatus hæc Carolo nunciavit, qui mox jus vetitum instituit, quod usque in præsens veniæ vel vemiæ vocatur. « On dit que le roi Charlemagne envoya un ambassadeur à Rome vers le pape Léon, afin de prendre ses conseils sur ce qu’il devoit faire de ces rebelles Saxons, qu’il ne pouvoit ni dompter ni exterminer. Mais le saint homme, ayant entendu le sujet de l’ambassade, ne répondit rien ; il se leva seulement & alla dans son jardin, où ayant ramassé des ronces & des mauvaises herbes, il les suspendit à un gibet qu’il avoit formé avec de petits bâtons. L’ambassadeur, a son retour, rapporte à Charles ce qu’il avoit vu, & celui-ci institua le tribunal qui s’appelle jusqu’à ce jour venia ou vemia ». Voyez Pfessinger, in vitriarium, tome IV. p. 470. & suiv.

Tribunal de l’inquisition, (Hist. ecclés.) voyez Inquisition & Office, saint.

Je me contenterai d’ajouter ici une foible description de la torture qu’on fait subir dans cet horrible tribunal, l’opprobre de la religion chrétienne & de l’humanité.

« Un bourreau deshabille le patient, lui lie les piés & les mains avec une corde, & le fait monter sur un petit siege pour pouvoir passer la corde à des boucles de fer qui sont attachées à la muraille. Après cela, on ôte le siege de dessous les piés du patient, de sorte qu’il demeure suspendu par la corde, que le bourreau serre toujours plus violemment, jusqu’à ce que le criminel ait confessé, ou qu’un chirurgien qui est présent, avertisse les juges qu’il est en danger de mourir. Ces cordes causent, comme on le peut aisément penser, une douleur infinie, lorsqu’elles viennent à entrer dans la chair, & qu’elles font enfler les mains & les piés, jusqu’à tirer du sang par les ongles. Comme le patient se trouve violemment serré contre la muraille, & qu’en serrant les cordes avec tant de force, on courroit risque de déchirer tous ses membres, on a soin auparavant de le ceindre avec quelques bandes par la poitrine, qu’on serre extrèmement. Dans le moment qu’il souffre le plus, on lui dit, pour l’épouvanter, que ce n’est que le commencement des souffrances, & qu’il doit tout avouer avant qu’on en vienne à l’extrémité. Outre les tourmens dont on vient de parler, le bourreau lâche sur les jambes du patient une petite échelle où il est monté, & dont les échelons aigus causent une douleur incroyable en tombant sur les os des jambes… ».

On frémit sans doute à cette seule description de la torture qu’on emploie dans ce tribunal, quoique cette description en françois soit fort imparfaite & fort adoucie ; le lecteur peut s’en convaincre en la lisant dans le latin de l’historien de l’inquisition, dans Limborch, hist. inquisit. lib. IV. cap. xxjx. pag. 323. (D. J.)

Tribunaux de Juifs, (Critiq. sacrés.) il y avoit chez les Juifs trois sortes de tribunaux, un de trois juges, un de vingt-trois, & un troisieme de soixante ; on voit leur institution au Deutér. xvj. 18. & xvij. 8. Le premier tribunal étoit établi dans toutes les bourgades, & on y plaidoit devant trois arbitres les procès où il s’agissoit d’argent & de choses mobiliaires ; le second se tenoit dans les villes, & jugeoit en premier ressort de quelques affaires criminelles ; enfin le troisieme supérieur aux deux autres, étoit le grand sanhédrin, qui ne se tenoit que dans Jérusalem. Voyez les détails concernant ces trois tribunaux au mot Sanhédrin. (D. J.)

Tribunaux de Rome, (Antiq. rom.) il y avoit à Rome trois sortes de tribunaux ; le premier étoit le tribunal des sénateurs ; le second celui des chevaliers ; & le troisieme étoit celui des tribuns de l’épargne : mais Cesar supprima le dernier. (D. J.)