L’Heptaméron des nouvelles/Nouvelle 15

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Texte établi par Claude Gruget, Vincent Sertenas (p. 57v-63v).

Vne dame de la court du Roy, ſe voyant dedaignée de ſon mary, qui faiſoit l’amour ailleurs, ſ’en vengea, par peine pareille.


NOVVELLE QVINZIESME.



En la court du Roy François premier, y auoit vn gẽtilhomme, duquel ie cognois ſi bien le nom, que ie ne le veulx point nommer. Il eſtoit pauure, n’ayant point cinq cẽs liures de rente, mais tant eſtimé du Roy, pour les vertuz dont il eſtoit reueſtu, qu’il vint à eſpouſer vne femme ſi riche, qu’vn grãd ſeigneur ſ’en fut bien cõtenté. Et pource qu’elle eſtoit encore bien ieune, pria vne des plus grandes dames de la court de la vouloir tenir auec elle, ce que’lle feit treſuolontiers. Or eſtoit ce gentil-homme tant honneſte & plein de bonne grace, que toutes les dames de la court en faiſoient bien grand cas. Et entre autres vne que le Roy aimoit, qui n’eſtoit ſi belle ne ſi ieune que la ſienne. Et pour la grand amour qu’il luy portoit, tenoit ſi peu de compte de ſa femme, qu’à grand peine en vn an couchoit il vne nuict auec elle. Et qui plus luy eſtoit importable, eſt que iamais ne parloit à elle, ny faiſoit ſigne d’amitié. Et combien qu’il iouïſt de ſon bien, il luy en faiſoit tant petite part, qu’elle n’eſtoit pas habillée comme il luy appartenoit ny comme elle deſiroit, dont la dame auecques qui elle eſtoit, reprenoit ſouuent le gentil-homme en luy diſant : voſtre femme eſt belle, riche, & de bõne maiſon, & vous n’en tenez compte, ce que ſon enfance & ieuneſſe a ſupporté iuſques icy : mais i’ay peur quand elle ſe verra belle & grande, que ſon miroer & quelqu’vn qui ne vous aimera pas, luy remonſtre ſa beauté ſi peu de vous prisée, que par deſpit elle ne face ce que eſtant de vous bien traictée n’oſeroit auoir pensé. Le gentilhomme qui auoit ſon cueur ailleurs, ſe moqua tresbiẽ d’elle, & ne laiſſa pour ſes enſeignemens à continuer la vie qu’il menoit. Mais deux ou trois ans paſſez ſa femme commença à deuenir l’vne des plus belles femmes qui fut en France, & tant qu’elle eut le bruit à la court de n’auoir ſa pareille. Et plus elle ſe ſentit digne d’eſtre aimée, & plus s’ennuya de veoir ſon mari qui n’en tenoit compte : tellemẽt qu’elle print vn ſi grand deſplaiſir, que ſans la conſolation de ſa maiſtreſſe, elle eſtoit quaſi en deſeſpoir. Et apres auoir cherché tous les moyens de cõplaire à ſon mary qu’elle pouuoit, penſa en elle meſme qu’il eſtoit impoſsible qu’il ne l’aimaſt, veu la grande amour qu’elle luy portoit, ſinon qu’il euſt quelque autre fantaſie en ſon entendement : ce qu’elle chercha ſi ſubtillement, qu’elle trouua la verité, & qu’il eſtoit toutes les nuicts ſi empeſché ailleurs, qu’il oublioit la conſcience & ſa femme. Et apres qu’elle fut certaine de la vie qu’il menoit, print vne telle melencolie, quelle ne ſe vouloit point habiller que de noir, ne ſe trouuer en lieu ou lon feiſt bonne chere. Dont ſa maiſtreſſe s’apperceut, & feit tout ce qu’elle peut, pour la retirer de ceſte opinion : mais il ne luy fut poſsible. Et combien que ſon mary en fuſt bien aduerty, il fut plus preſt de s’en mocquer, qu’à y donner remede. Vous ſçauez, mes dames, qu’ennuy occupe ioye, & auſsi qu’ennuy par ioye prend fin. Parquoy vn iour aduint qu’vn grand ſeigneur parent prochain de la maiſtreſſe de ceſte dame, & qui ſouuent la frequentoit, entendant l’eſtrange façon de viure du mari de ceſte dame, en eut tant de pitié qu’il ſe voulut eſſaier à la conſoler, & en parlant auec elle, la trouua ſi belle & vertueuſe qu’il deſira beaucoup plus d’eſtre en ſa bõne grace, que de luy parler de ſon mary, ſinon pour luy monſtrer le peu d’occaſion qu’elle auoit de l’aimer. Ceſte dame ſe voyant delaiſſée de celuy qui la deuoit aimer, & d’autre coſté aimée & requiſe d’vn ſi grand & beau prince, s’eſtima biẽ heureuſe d’eſtre en ſa bonne grace. Et combien qu’elle euſt touſiours deſir de conſeruer ſon honneur, ſi prenoit elle grand plaiſir de parler à luy, & de ſe veoir aimée : choſe dont elle eſtoit quaſi affamée. Ceſte amitié dura quelque tẽps, iuſques à ce que le Roy s’en apperceut, qui auoit tant d’amitié au gentil-hõme, qu’il ne vouloit ſouffrir que nul luy feiſt honte & deſplaiſir. Parquoy il pria fort ce prince d’en vouloir oſter ſa fantaſie, & que s’il continuoit, il ſeroit treſmal content de luy. Ce prince qui aimoit trop plus la bonne grace du Roy, que toutes les dames du monde, luy promiſt que pour l’amour de luy abandonneroit ſon entrepriſe, & que des le ſoir il iroit prẽdre congé d’elle. Ce qu’il feit, ſi toſt qu’il ſceut qu’elle eſtoit retirée en ſon logis, auquel eſtoit logé le gentil-homme en vne chambre ſur la ſienne. Et eſtant au ſoir à la feneſtre, veid entrer le prince en la chambre de ſa femme qui eſtoit ſous la ſienne, mais le prince qui bien l’aduiſa, ne laiſſa d’y entrer. Et en diſant à dieu à celle dont l’amour ne faiſoit que cõmencer, luy allega pour toutes raiſons le cõmandemẽt du Roy. Apres pluſieurs larmes & regrets, qui durerent iuſques à vne heure apres minuict, la dame luy diſt pour concluſion : Ie louë Dieu, monſieur, dõt il luy plaiſt que vous perdiez ceſte opinion, puis qu’elle eſt ſi petite & foible que vous la pouuez prendre & laiſſer par le cõmandement des hommes. Car quant à moy ie n’ay point demandé conſeil, ny à maiſtreſſe, ny à mary, ny à moy-meſmes pour vous aimer : car amour s’aidant de voſtre beauté & honneſteté, a eu telle puiſſance ſur moy, que ie n’ay cogneu autre Dieu ne Roy que luy. Mais puis que voſtre cueur n’eſt pas remply de ſi vraye amour, que craincte n’y trouue encores quelque place, vous ne pouuez eſtre amy parfaict, & d’vn imparfaict ie ne veux faire vn amy. Car i’aime parfaictement, comme i’auois deliberé de vous aimer, dont ſuis contrainte vous dire à Dieu, mõſieur, duquel la craincte ne merite la franchiſe de mon amytié. Ainſi s’en alla pleurant ce ſeigneur, & en ſe retournant aduiſa encores le mary eſtant à la feneſtre, qui l’auoit veu entrer à la ſalle & ſaillir. Parquoy luy compta le lendemain l’occaſion pourquoy il eſtoit allé veoir ſa femme & le commandement que le Roy luy auoit faict, dont le gentil-homme fut fort content, & en remercia le Roy. Mais voyant de iour en iour que ſa femme embelliſſoit, & luy deuenoit vieil & amoindriſſoit ſa beauté, commença à changer de rolle, prenant celuy que long temps il auoit faict iouër à ſa femme : car il la cheriſſoit plus que de couſtume, & prenoit plus pres garde ſur elle. Mais tant plus qu’elle ſe voioit cherhée de luy, & plus le fuyoit, deſirant luy rẽdre partie des ennuiz qu’elle auoit euz pour eſtre de luy peu aimée. Et pour ne prendre ſi toſt le plaiſir, que l’amour luy commençoit à donner, s’en va adreſſer à vn ieune gentil homme ſi tresbeau, ſi bien parlant, & de ſi bonne grace, qu’il eſtoit aimé de toutes les dames de la court. Et en luy faiſant ſes complainctes de la façon dont elle auoit eſté traictée, l’incita d’auoir pitié d’elle, en ſorte que ce gentil-homme n’oublia rien pour eſſayer à la reconforter. Et elle pour ſe recompenſer de la perte d’un prince qui l’auoit laiſſée, ſe meit à aimer ſi fort ce gentilhomme qu’elle oublia ſon ennuy paſſé, & ne penſoit ſinon à finement conduire ſon amitié. Ce qu’elle ſceut ſi bien faire, que iamais ſa maiſtreſſe ne s’en apperceut, car en ſa preſence ſe gardoit bien de parler à luy. Mais quand elle luy vouloit dire quelque choſe, s’en alloit veoir quelques dames qui demeuroient à la court, entre leſquelles y en auoit vne, dont ſon mary feignoit d’eſtre amoureux. Or vn ſoir apres ſoupper qu’il faiſoit bien obſcur, ſe deſrobba ladicte dame ſans appeller compaignie, & entra en la chambre des dames, ou elle trouua celuy qu’elle aimoit mieux que ſoy-meſmes : & en ſe ſeant aupres de luy appuyée ſur vne table, parloient enſemble, feignans de lire en vn liure. Quelqu’vn que le mary auoit mis au guet, luy vint rapporter ou ſa femme eſtoit allée : & luy qui eſtoit ſage s’y en alla le pluſtoſt qu’il peut. En entrant en la chambre ueid ſa femme liſant le liure, qu’il feignit ne veoir point, mais alla tout droit parler aux dames qui eſtoient d’vn autre coſté. Ceſte pauure dame voyant que ſon mary l’auoit trouuée auecques celuy auquel deuant luy iamais n’auoit parlé, fut ſi tranſportée qu’elle perdit ſa raiſon, & ne pouuant paſſer au long d’vn banc s’eſcoula au long d’vne table, & s’enfuit comme ſi ſon Mary auec l’eſpée nuë l’euſt pourſuiuie, & alla trouuer ſa maiſtreſſe, qui ſe retiroit en ſon logis. Et quand elle fut deshabillée, ſe retira ladicte dame, à laquelle vne de ſes femmes vint dire que ſon mary la demandoit. Elle luy reſpond franchement qu’elle n’iroit point, & qu’il eſtoit ſi eſtrange & auſtere, qu’elle auoit peur qu’il ne luy feiſt vn mauuais tour. A la fin, de peur de pis ſ’y en alla : ſon mary ne luy en diſt vn ſeul mot, ſinon quand ils furent dedans le lict. Elle, qui ne ſçauoit pas comme luy diſsimuler, ſe print tendrement à pleurer. Et quand il luy demanda pourquoy elle pleuroit : elle luy diſt qu’elle auoit peur qu’il fuſt courroucé contre elle, pource qu’il l’auoit trouuée liſant auec vn gentil-homme. A l’heure luy reſpondit que iamais ne luy auoit deffendu de parler à homme, & qu’il n’auoit point trouué mauuais qu’elle y parlaſt : mais bien d’eſtre fuye deuãt luy, comme ſi elle euſt faict choſe digne d’eſtre repriſe, &, que ceſte fuitte ſeulement luy faiſoit penſer qu’elle aimoit le gentil-homme. Parquoy il luy deffendit que iamais il ne luy aduint de parler à homme en public ny en priué, luy aſſeurant que la premiere fois qu’elle y parleroit, qu’il la tueroit ſans pitié ne compaſsion. Ce qu’elle accepta volontiers, faiſant bien ſon compte de n’eſtre pas vne autrefois ſi ſotte. Mais par ce que les choſes ou lon a volonté, plus elles ſont deffendues, plus elles ſont deſirées : ceſte pauure femme eut bien toſt oublié les menaces de ſon mary. Car le ſoir meſmes elle eſtant retournée coucher en vne autre chambre auec d’autres damoiſelles, & ſes gardes, enuoya querir & prier le gentil-homme de le veoir la nuict. Mais le mari qui eſtoit ſi tourmenté de ialouſie qu’il ne pouuoit dormir de nuict, va prendre vne cappe & vn varlet de chambre auec luy, pource qu’il auoit ouy dire, que l’autre y alloit de nuict, & s’en va frapper à la porte du logis de ſa femme. Elle qui n’attendoit rien moins que luy, ſe leua toute ſeule, & print des brodequins & ſon manteau, qui eſtoit aupres d’elle : & voyant que trois ou quatre femmes qu’elle auoit eſtoient endormies, ſaillit de ſa chãbre, & s’en va droict à la porte ou elle ouyt frapper. Et en demandant qui eſt-ce, fut reſpondu le nom de celuy qu’elle aimoit : mais pour en eſtre plus aſſeurée, ouure vn petit guichet, en diſant : Si vous eſtes celuy que vous me dites, baillez moy la main, ie la congnoiſtray bien. Et quand elle eut touché à la main de ſon mary, elle le congneut bien, & en fermant viſtemẽt le guichet, ſe print à crier : Ha monſieur, c’eſt voſtre main. Le mary luy reſpondit par grand courroux : Ouy, c’eſt la main qui vous tiendra promeſſe, parquoy ne faillez à venir quand ie vous manderay. En diſant ceſte parolle s’en alla à ſon logis, & elle retourna en ſa chambre plus morte que viue, & diſt tout hault à ſes femmes : Leuez vous mes amies, vous auez trop dormy pour moy : car en vous cuidant tromper, ie me fuis trompée la premiere : en ce diſant ſe laiſſa tomber au millieu de la chambre eſuanouye. Les pauures femmes ſe leuerent à ce cry, tant eſtonnées de veoir leur maiſtreſſe comme morte, couchée en terre, & d’auoir ouy les propos qu’elle auoit tenuz, qu’elles ne ſceurent que faire, ſinon que de courir aux remedes pour la faire reuenir. Et quand elle peut parler, elle leur diſt : Auiourd’huy voyez vous mes amies, la plus malheureuſe creature, qui ſoit ſur la terre : & leur va compter toute ſa fortune, les priant la vouloir ſecourir, car elle tenoit ſa vie pour perdue. Et la cuidans reconforter arriua vn varlet de chambre de ſon mary, par lequel il luy mandoit qu’elle allaſt incontinent vers luy. Elle en embraſſant deux de ſes femmes commẽça à crier & à plourer, les prians ne la laiſſer point aller, car elle eſtoit ſeure de mourir. Mais le varlet de chambre l’aſſeura que non, & qu’il prenoit ſur ſa vie qu’elle n’auroit nul mal. Elle voyant qu’il n’y auoit point de reſiſtence, ſe ietta entre les bras de ce ſeruiteur, luy diſant : mon amy puis qu’il le fault, portez ce malheureux corps à la mort. Et à l’heure demy eſuanouye de triſteſſe, fut emportée du varlet au logis de ſon maiſtre : aux pieds duquel tomba ceſte pauure dame, luy diſant. Monſieur, ie vous ſupplie auoir pitié de moy, & ie vous iure la foy que ie doy à Dieu, que ie vous diray la verité du tout. A l’heure luy diſt, comme vn homme deſeſperé : par Dieu vous me la direz, & chaſſa dehors tous ſes gens. Et pour ce qu’il auoit trouué ſa femme fort deuote, penſa qu’elle ne ſe pariureroit point, ſi elle iuroit ſur la croix : parquoy en demanda vne fort belle qu’il auoit empruntée : & quãd ils furent eulx deux ſeuls, la feit iurer deſſus qu’elle luy diroit verité de ce qu’il luy demanderoit. Mais elle qui auoit deſ-ia paſsé les premieres apprehenſions de la crainte de mourir, print cueur, ſe deliberant auant que mourir de ne luy rien celer, & auſsi de ne luy dire choſe dont le gentilhomme qu’elle aimoit peuſt auoir à ſouffrir. Et apres auoir ouy les queſtions qu’il luy faiſoit, luy reſpondit : Ie ne me veulx point iuſtifier, monſieur, ne faire moindre enuers vous l’amour que i’ay portée au gẽtilhomme, dont vous auez ſoupçon : car vous ne le pouuez ny ne deuez croire, veu l’experience qu’auiourd’huy en auez euë, mais ie deſire bien vous dire l’occaſion de ceſte amitié. Entendez, monſieur, que iamais femme n’aima tant ſon mary que ie vous ay aimé : car depuis que ie vous ay eſpouſé iufques à ceſte aage cy, il ne fut iamais entré en mon cueur autre amour que la voſtre. Vous ſçauez que moy eſtant enfant, mes parens me vouloient marier à perſonnage de plus grand’maiſon que vous, mais iamais ne m’y ſceurent faire accorder, des l’heure que i’eu parlé à vous : car contre leur opinion ie tins ferme pour vous auoir ſans regarder ny à voſtre pauureté, ny aux remonſtrances que me faiſoient mes parens. Et vous ne pouuez ignorer le traictement que i’ay eu de vous iuſques icy : & comme m’auez aimée & eſtimée, dont i’ay porté tant d’ennuy & de deſplaiſir que ſans l’aide de madame, auecques laquelle vous m’auez miſe ie fuſſe preſques deſeſperée. Mais à la fin me voyant grãde, & eſtimée belle d’vn chacũ, fors de vous ſeul, ie cõmençay à ſentir ſi viuement le tort que vous me faiſiez, que l’amour que ie vous portois c’eſt tourné en haine, & le deſir de vous cõplaire en celuy de vẽgeance. Et ſur ce deſeſpoir me trouua vn prince, lequel pour obeyr au Roy plus qu’à l’amour, me laiſſa à l’heure que ie commẽçois à ſentir la conſolation de mes tourmẽts, par vn amour hõneſte. Et au partir de luy, trouuay ceſtuy, qui n’eut point la peine de me prier : car ſa beauté, ſon honneſteté, & vertuz, meritent bien d’eſtre cherchée & requiſes de toutes femmes de bon entendement. A ma requeſte, & nõ à la ſienne, il m’a aimée auec autant d’honneſteté, qu’oncques en ſa vie ne me requiſt choſe contre l’honneur. Et combien que le peu d’amour que i’ay cauſe de vous porter, me donnaſt occaſion de ne vous garder foy ny loyauté, l’amour que i’ay à Dieu ſeul, & à mon honneur, m’ont iuſques icy gardée d’auoir faict choſe pour laquelle i’aye beſoing de confeſsion, ou crainte de honte. Ie ne vous veux point nyer, que le plus ſouuent qu’il m’eſtoit poſsible, ie n’allaſſe parler à luy dedans vne garde robbe, feignant d’aller dire mes oraiſons : car iamais en femme ny en homme ie ne me fiay, de conduire ceſt affaire. Ie ne veux point auſsi nyer, qu’eſtant en vn lieu ſi priué & hors de tout ſoupçon, ie ne l’aye baiſé du meilleur cueur que ie ne feis iamais vous. Mais ie ne demande iamais mercy à Dieu, ſi entre nous deux il y a iamais eu autre priuauté, ne ſi iamais il m’en a preſſée plus auant, ne ſi mon cueur en a eu le deſir : car i’eſtois ſi aiſe de le veoir qu’il ne me ſembloit point qu’il y euſt au monde vn antre plus grand plaiſir. Et vous, monſieur, qui eſtes ſeul la cauſe de mon malheur, voudriez vous prẽdre vengeance d’vn œuure, dont ſi long temps vous m’auez donné exemple, ſinon que la voſtre eſtoit ſans honneur ny conſcience ? car vous le ſçauez, & ie le ſçay bien, que celle que vous aimez ne ſe contẽte point de ce que Dieu & la raiſon cõmandent. Et combien que la Loy des hommes donne ſi grand deshonneur aux femmes qui aiment autres que leurs mariz, ſi eſt-ce que la loy de Dieu n’excepte point les mariz, qui aiment autres que leurs femmes. Et s’il fault mettre en la balãce l’offence de vous & de moy : vous eſtes homme ſage, & experimẽté, & d’aage, pour cognoiſtre & ſçauoir euiter le mal : moy ieune & ſans experience nulle, de ſa force & puiſſance d’amour. Vous auez vne fẽme qui vo9 cherche, eſtime, & aime plus que ſa vie propre : & i’ay vn mary qui me fuit, qui me hait, & me deſpite plus qu’vne chãbriere. Vo9 aimez vne fẽme deſia d’aage, & en mauuais point, & moins belle que moy, & i’aime vn gentil-hõme plus ieune que vous, plus beau & plus amiable. Vous aimez la femme d’vn des grãs amis que vous ayez en ce monde, offençant d’vn coſté l’amitié & de l’autre la reuerence que vous portez à tous deux : & i’aime vn gentilhõme qui n’eſt à rien lié, ſinon à l’amour qu’il me porte. Or iugez mõſieur, ſans faueur lequel de nous deux eſt le plus puniſſable ou excuſable, ou vous ou moy. Ie n’eſtime hõme ſage ny experimenté, qui ne vous donne le tort, veu que ie ſuis ieune & ignorãte, deſpriſée & contemnée de vous, & aimée du plus beau & honeſte gentil-hõme de Frãce, lequel i’aime par le deſeſpoir de ne pouuoir iamais eſtre de vous aimée. Le gentil-hõme oyãt ces propos pleins de verité, dicts & prononcez d’vn viſage beau auec vne grace tant aſſeurée & audacieuſe, qu’elle mõſtroit ne craindre meriter nulle punitiõ, ſe trouua tant ſurpris d’eſtonnemẽt, qu’il ne ſceut que luy reſpondre, ſinon que l’honneur d’vn homme & d’vne femme n’eſt pas tout vn ne ſemblable. Mais toutesfois puis qu’elle iuroit qu’il n’y auoit point eu de peché entre celuy qu’elle aimoit & elle, il n’eſtoit point deliberé de luy en faire pire chere, par ainſi qu’elle n’y retournaſt plus : & que l’vn ne l’autre n’euſſent plus de recordatiõ des choſes paſsées, ce qu’elle luy promiſt, & s’en allerẽt coucher enſemble par bon accord. Le matin vne vieille damoiſelle, qui auoit grãd peur de la vie de ſa maiſtreſſe, vint à ſon leuer, & luy demanda : Et puis, madame, cõment vous va ? Elle luy reſpondit en riant : quoy mamie ? il n’eſt point vn meilleur mary que le mien, car il m’a creuë en mon ſerment. Ainſi ſe paſſerẽt cinq ou ſix iours. Le gentil-homme prenoit de ſi pres garde à ſa femme que nuict & iour auoit guet apres elle. Mais il ne ſceut ſi bien guetter qu’elle ne parlaſt encores à celuy qu’elle aimoit en vn lieu fort obſcur & ſuſpect. Toutefois elle conduiſoit ſon affaire ſi ſecrettement, qu’homme ne femme n’en peult ſçauoir la verité. Et ne fut qu’vn bruit, que quelque varlet feit, d’auoir trouué vn gentil-homme & vne damoiſelle en vne eſtable ſoubs la chambre de la maiſtreſſe de ceſte dame. Dont le gẽtil-homme mary eut ſi grand ſoupçon, qu’il ſe delibera de faire mourir ce gentil homme : & aſſembla vn grand nombre de ſes parens & amis pour le faire tuer, s’ils le pouuoient trouuer en quelque lieu mais le principal de ſes parens eſtoit tant amy du gentil-homme qu’il faiſoit chercher, qu’en lieu de le ſurprendre, l’aduertiſſoit de tout ce qui ſe faiſoit contre luy : lequel d’autre coſté eſtoit tant aimé à la court, & ſi bien accompaigné, qu’il ne craignoit point la puiſſance de ſon ennemi, parquoy il ne fut point trouué. Mais s’en vint en vne egliſe trouuer la maiſtreſſe de celle qu’il aimoit, laquelle n’auoit iamais rien entendu de touts ces propos paſſez, car deuant elle n’auoit iamais parlé à elle. Le gentil-homme luy compta la ſuſpicion & mauuaiſe volonté qu’auoit contre luy le mary, & que nonobſtant qu’il en fuſt innocent, il eſtoit deliberé s’en aller iouër en quelque voyage loingtain, pour oſter le bruit qui commençoit à croiſtre. Ceſte princeſſe maiſtreſſe de ſ’amie fut fort eſtõnée d’ouyr ces propos, & iura que le mary auoit grand tort qui auoit ſoupçon d’vne ſi femme de bien, ou elle n’auoit iamais veu ne cogneu que toute vertu & honeſteté. Toutesfois pour l’autorité ou le mary eſtoit, & pour eſteindre ce faſcheux bruit, luy conſeilla la princeſſe de s’eſlongner pour quelque temps, l’aſſeurãt, qu’elle ne croioit rien de toutes ces follies & ſoupcõs. Le gentil-hõme & la dame qui eſtoit auec elle, furent fort contens de demeurer en la bonne grace & opinion de ceſte princeſſe. Laquelle conſeilla au gentil-homme qu’auant ſon partement il deuoit parler au mary, ce qu’il feit ſelon ſon conſeil, & le trouua en vne gallerie pres la chambre du Roy, ou auec vn tresaſſeuré viſage (luy faiſant l’honneur qui appartenoit à ſon eſtat) luy diſt : Monſieur, i’ay toute ma vie eu deſir de vous faire ſeruice, & pour toute recompence ay entendu qu’au ſoir vous me faiſiez chercher pour me tuer. Ie vous prie, monſieur, penſez que vous auez plus d’autorité & puiſſance que moy, mais toutesfois ie ſuis gentil-homme comme vous, il me faſcheroit bien de donner ma vie pour rien. Ie vous prie auſsi penſez que vous auez vne femme de bien, que s’il y a qui vueille dire du contraire, ie luy diray qu’il a meſchamment menty. Et quant à moy, ie ne penſe auoir fait choſe dont vous ayez occaſion de me vouloir mal. Et ſi vous voulez ie demeureray voſtre ſeruiteur, ou ſinon ie le ſuis du Roy, dont i’ay occaſion de me contenter. Le gentil-homme à qui le propos s’adreſſoit luy diſt que veritablement il auoit eu quelque ſoupcon de luy, mais qu’il le tenoit ſi homme de bien, qu’il deſireroit plus ſon amitié que ſon inimitié : & en luy diſant à dieu le bonnet au poing, l’embraſſa cõme ſon grand amy. Vous pouuez penſer, que diſoient ceux qui le ſoir de deuant auoient eu commiſsion de le tuer, de veoir tant de ſignes d’honneur & d’amitié : chacun en parloit diuerſement. A tant ſ’en partit le gentil-homme : mais pour ce qu’il n’eſtoit ſi bien garny d’argent que de beauté, ſa dame luy donna vne bague de la valeur de trois mil eſcuz, laquelle il l’engagea pour quinze cens. Et quelque temps apres qu’il fut party, le gentil-homme mary vint à la princeſſe maiſtreſſe de ſa femme, & la ſupplia donner congé à ſa femme, pour aller demeurer quelque temps auec l’vne de ſes ſœurs. Ce que ladicte dame trouua fort eſtrange, & le pria tant de luy en dire l’occaſion, qu’il luy en diſt vne partie, mais non tout. Apres que la ieune dame mariée eut prins congé de ſa maiſtreſſe, & de toute la court, sans plorer ne faire ſigne d’ennuy, ſ’en alla où ſon mary vouloit qu’elle fuſt, en la conduicte d’vn gentil-homme auquel fut donné charge expreſſe de la garder ſoigneuſement, & ſur tout que ſur les chemins elle ne parlaſt à celuy duquel elle eſtoit ſoupconnée. Elle qui ſçauoit ce commandement, leur donnoit tous les iours des alarmes, & ſe mocquoit d’eux & de leur mauuais ſoing. Et vn iour entre les autres, au partir du logis trouua vn cordelier à cheual, & elle eſtant ſur ſa hacquenée l’entretint depuis la diſnée iuſques à la ſouppée : & quand elle fut à vne grand lieuë du logis, elle luy diſt : Mon pere, pour les conſolations que vous m’auez données ceſte apres diſnée, voyla deux eſcuz que ie vous donne, leſquels ſont dedans vn papier, car ie ſçay bien que vous n’y oſeriez toucher : vous priant que incontinent que vous ſerez party d’auec moy, vous en alliez atrauers les chãps le beau galot. Et quand il fut aſſez loing, la dame diſt tout hault à ſes gens. Penſez-vous que vous eſtes bons ſeruiteurs, & bien ſoigneux de me garder ; veu que celuy qu’on vous a tant recommãdé, a parlé à moy tout ce iourd’huy, & vous l’auez laiſſé faire : vous meritez bien que voſtre bon maiſtre qui ſe fie tant à vous, vous dõnaſt des coups de baſton au lieu de voz gages. Quand le gentilhomme qui auoit la charde d’elle ouyr ces propos, il eut ſi grand deſpit qu’il ne pouuoit reſpondre : picque ſon cheual ; appellant deux autres auec luy, & feit tant qu’il atteignit le cordelier, lequelles voÿant venir droict à luy, ſuyoit le mieux qu’il pouuoit, mais pource qu’ils eſtoient mieux montez que luy, le pauure homme fut pris. Et luy qui ne ſçauoit pourquoy, leur cria merci : & en deſtournant ſon chapperon pour les plus humblement ſupplier reſte nuë, congneurent bien que ce n’eſtoit ce qu’ils cherchoient, & que leur maiſtreſſe c’eſtoit bien moquée d’eux : ce qu’elle feit encores mieux à leur retour, diſant : C’eſt à telles gens à qui lon doit bailler telles femmes à garder : ils les laiſſent parler sans ſçauoir à qui, & puis adiouſtant foy à leurs parolles, vont faire honte aux ſeruiteurs de Dieu. Et apres toutes ſes moqueries s’en alla au lieu ou ſon mari l’auoit ordonné, ou ſes deux belles ſœurs & vn mary de l’vne la tenoit fort ſubiette. Et durant ce temps entendit ſon mari, comme ſa bague eſtoit en gage pour quinze cens eſcuz, dont il fut fort marry. Mais pour ſauluer l’honneur de ſa femme, & pour la recouurer, luy feiſt dire qu’elle la retiraſt, & qu’il payroit les quinze cens eſcuz. Elle qui n’auoit ſoing de la bague puis que l’argent demeuroit à ſon ami, luy eſcriuit comme ſon mari la contraignoit de retirer ſa bague : & àfin qu’il ne penſaſt qu’elle feiſt pour diminution de bonne volonté, elle luy enuoya vn diamant que ſa maiſtreſſe luy auoit donné, qu’elle aimoit plus que bague qu’elle euſt. Le gentil-hõme luy enuoya treſuolontiers l’obligation du marchant, & ſe tint pour content d’auoir eu quinze cẽs eſcuz, & vn diamant & de demeurer aſſeuré de la bonne grace de s’amie, combien que tant que le mari veſquit, il n’eut moyen de parler à elle, que par eſcriture. Et apres la mort du mari, pource qu’il la penſoit telle qu’elle luy auoit promis, feit toute diligẽce de la pourchaſſer en mariage : mais il trouua q̃ la longue abſence luy auoit acquis vn cõpaignon mieux aimé que luy, dont il eut ſi grãd regret qu’en fuyant les dames chercha les lieux hazardeux, ou il eut autant d’eſtime que ieune homme pourroit auoir, ainſi fina ſes iours.

Voila, mes dames, que sans eſpargner noſtre ſexe, i’ay bien voulu monſtrer aux mariz, pour leur faire entẽdre que les femmes de grand cueur ſont pluſtoſt vaincues d’ire & vengeance, que de la douceur & amour : à quoy ceſte cy ſceut long temps reſiſter, mais à la fin fut vaincue du deſeſpoir. Ce que ne doibt eſtre femme de bien : pource qu’en quelque ſorte que ce ſoit ne ſçauroit trouuer excuſe à mal faire. Car de tant plus les occaſions en ſont données grandes, & de tant plus ſe doibuent monſtrer vertueuſes à reſiſter & vaincre le mal en bien, & non pas rendre le mal pour mal : d’autant que ſouuent le mal que lon cuide rendre à autruy retombe ſur ſoy. Bien heureuſes ſont celles en qui la vertu de Dieu, ſe monſtre en chaſteté, douceur patience, & longanimité. Hircan luy diſt : Il me ſemble, Longarine, que ceſte dame dont vous auez parlé, a eſté plus menée de deſpit que d’amour : car ſi elle euſt autãt aimé le gentilhomme comme elle en faiſoit le ſemblant, elle ne l’euſt abandonné pour vn autre : & par ce diſcours on la peult nommer deſpite, vindicatiue, opiniaſtre, & muable. Vous en parlez bien à voſtre aiſe, diſt Emarſuitte à Hircan : mais vous ne ſçauez quel creue-cueur c’eſt quand on aime ſans eſtre aimé. Il eſt vray, diſt Hircan, ie ne l’ay gueres experimenté : car on ne me ſçauroit faire ſi peu de mauuaiſe chere, que ie ne laiſſe l’amour & la dame enſemble incontinent. Ouy bien vous, diſt Parlamente, qui n’aimez voſtre plaiſir mais vne femme de bien ne doibt laiſſer ainſi ſon mary. Toutesfois, reſpondit Simontault, celle dont le compte eſt faict, a oublié pour vn temps qu’elle eſtoit femme, car vn homme n’en euſt ſceu faire plus belle vengeance. Pour vne qui n’eſt pas ſage, diſt Oiſille, il ne fault pas que les autres ſoient tenuës telles. Si eſtes vous toutes femmes, diſt Saffredent, & quelques beaux & honneſtes accouſtremens que vous portez, qui vous chercheroit bien auant ſoubs la robbe, on vous trouueroit femmes. Nomerſide luy diſt : qui vous voudroit eſcouter, la iournée ſe paſſeroit en querelles. Mais il me tarde tant d’ouyr encores vne hiſtoire, que ie prie Longarine de donner ſa voix à quelqu’vn. Longarine regarda Guebron, & luy diſt : Si vous ſçauez rien de quelque honneſte femme, ie vous prie maintenant le mettre en auant. Guebron diſt : puis que i’en doibs faire ce qu’il me ſemble, ie vous feray vn compte aduenu en la ville de Milan.