L’Origine de nos Idees du Sublime et du Beau/PIII XVI

La bibliothèque libre.
Traduction par E. Lagentie de Lavaïsse.
Pichon et Depierreux (p. 208-209).

SECTION XVI.
La délicatesse.

Un air de vigueur et de force nuit à la beauté : une apparence de délicatesse et même ; de fragilité lui est presque essentielle. Quiconque examinera la création végétale ou animale, se convaincra que cette observation est fondée dans la nature. Ce ne sont ni le chêne, ni le frêne, ni l’orme, ni aucun des arbres vigoureux des forêts, auxquels nous accordons la beauté ; ils sont imposans et majestueux ; ils inspirent une sorte de respect : c’est le myrte délicat, l’oranger élancé, le débile amandier, le jasmin délié, c’est la vigne flexible, que nous regardons comme des beautés végétales : ce sont les fleurs, si remarquables par leur fragilité et leur existence momentanée, qui nous donnent l’idée la plus vive de l’élégance et de la beauté. Parmi les animaux, la levrette est plus belle que le mâtin ; et la finesse d’un, cheval genêt, barbe ou arabe, est plus aimable que la force et la solidité de quelques chevaux de guerre ou de trait. Je dirai peu de chose du sexe que nous adorons, il suffit de le voir pour sentir combien il est favorable à mon opinion. La beauté des femmes est due en grande partie à leur faiblesse ou à leur délicatesse ; elle est même relevée par leur timidité, qualité de l’ame qui naît du sentiment de sa propre fragilité. Qu’on ne se méprenne pas sur ma pensée : je ne prétends pas dire que la faiblesse qui décèle une très-mauvaise santé, doive produire la beauté ; cependant le mauvais effet de cette situation ne vient pas de la faiblesse, mais de ce que la maladie qui cause cette faiblesse, altère les autres conditions de la beauté ; alors les autres tombent en ruine ; l’éclat des couleurs, le lumen purpureum juventæ s’éteint, et la belle variation se perd dans les rides, les interruptions soudaines et les lignes droites.