La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XI/Chapitre XI

La bibliothèque libre.
La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 231-232).
CHAPITRE XI.
SI LES ANGES PRÉVARICATEURS ONT PARTICIPÉ A LA BÉATITUDE DONT LES ANGES FIDÈLES ONT JOUI SANS INTERRUPTION DEPUIS QU’ILS ONT ÉTÉ CRÉÉS ?

Il suit de là qu’en aucun temps ni d’aucune manière les anges n’ont commencé par être des esprits de ténèbres[1] ; dès qu’ils ont été, ils ont été lumière[2], n’ayant pas été créés pour être ou pour vivre d’une manière quelconque, mais pour vivre sages et heureux. Quelques-uns, il est vrai, s’étant éloignés de la lumière, n’ont point possédé la vie parfaite, la vie sage et heureuse, qui est essentiellement une vie éternelle accompagnée d’une confiance parfaite en sa propre éternité ; mais ils ont encore la vie raisonnable, tout en l’ayant pleine de folie, et ils ne sauraient la perdre, quand ils le voudraient. Au surplus, qui pourrait déterminer à quel degré ils ont participé à la sagesse avant leur chute, et comment croire qu’ils y aient participé autant que les anges fidèles qui trouvent la perfection de leur bonheur dans la certitude de sa durée ? S’il en était de la sorte, les mauvais anges seraient demeurés, eux aussi, éternellement heureux, étant également assurés de leur bonheur. Mais si longue qu’on suppose une vie, elle ne peut être appelée éternelle, si elle doit avoir une fin. Par conséquent, bien que l’éternité ne suppose pas nécessairement la félicité (témoin le feu d’enfer qui, selon l’Ecriture, sera éternel), si une vie ne peut être pleinement et véritablement heureuse qu’elle ne soit éternelle, la vie de ces mauvais anges n’était pas bienheureuse, puisqu’elle devait cesser de l’être, soit qu’ils l’aient su, soit qu’ils l’aient ignoré. Dans l’un ou l’autre cas, la crainte ou l’erreur s’opposait à leur parfaite félicité. Et si l’on suppose que, sans être ignorants ou trompés, ils étaient seulement dans le doute sur l’avenir, cela même était incompatible avec la béatitude parfaite que nous attribuons aux bons anges. Quand nous parlons de béatitude, en effet, nous ne restreignons pas tellement l’étendue de ce mot qu’il ne puisse convenir qu’à Dieu seul ; et toutefois Dieu seul est heureux en ce sens qu’il ne peut y avoir de béatitude plus grande que la sienne, et celle des anges, appropriée à leur nature, qu’est-elle en comparaison ?

  1. Contre le dualisme des Manichéens.
  2. Voyez plus bas, livre XII, ch. 9. — Comp. De Gen. ad litt., n. 32.