La Cité de Dieu (Augustin)/Livre XIII/Chapitre XX

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Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 278).
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CHAPITRE XX.

les corps des bienheureux ressuscités seront plus parfaits que n’étaient ceux des premiers hommes dans le paradis terrestre.

Ainsi la mort paraît légère aux âmes des fidèles trépassés, parce que leur chair repose en espérance, quelque outrage qu’elle ait paru recevoir après avoir perdu la vie. Car n’en déplaise à Platon, si les âmes soupirent après un corps, ce n’est pas parce qu’elles ont perdu la mémoire, mais plutôt parce qu’elles se souviennent de ce que leur a promis celui qui ne trompe personne et qui nous a garanti jusqu’au moindre de nos cheveux. Elles souhaitent donc avec ardeur et attendent avec patience la résurrection de leurs corps, où elles ont beaucoup souffert, mais où elles ne doivent plus souffrir. Aussi bien, puisqu’elles ne haïssaient pas leur chair lorsqu’elle entrait en révolte contre leur faiblesse et qu’il fallait la retenir sous l’empire de l’esprit, combien leur est-elle plus précieuse, au moment de devenir spirituelle ? Car de même qu’on appelle charnel l’esprit esclave de la chair, on peut bien aussi appeler spirituelle la chair soumise à l’esprit, non qu’elle doive être convertie en esprit, comme le croient quelques-uns sur la foi de cette parole de l’Apôtre : « Corps animal, quand il est mis en terre, notre corps ressuscitera spirituel » ; mais parce qu’elle sera parfaitement soumise à l’esprit, qui en pourra disposer à son gré sans éprouver jamais aucune résistance. En effet, après la résurrection, le corps n’aura pas seulement toute la perfection dont il est capable ici-bas dans la meilleure santé, mais il sera même beaucoup plus parfait que celui des premiers hommes avant le péché. Bien qu’ils ne dussent point mourir, s’ils ne péchaient point, ils ne laissaient pas toutefois de se servir d’aliments, leurs corps n’étant pas encore spirituels. Il est vrai aussi qu’ils ne vieillissaient point, par une grâce merveilleuse que Dieu avait attachée en leur faveur à l’arbre de vie, planté au milieu du paradis avec l’arbre défendu ; mais cela ne les empêchait pas de se nourrir du fruit de tous les autres arbres du paradis, à l’exception d’un seul toutefois, qui leur avait été défendu, non comme une chose mauvaise, mais pour glorifier cette chose excellente qui est la pure et simple obéissance, une des plus grandes vertus que puisse exercer la créature raisonnable à l’égard de son créateur. Ils se nourrissaient donc des autres fruits pour se garantir de la faim et de la soif, et ils mangeaient du fruit de l’arbre de vie pour arrêter les progrès de la mort et de la vieillesse, tellement qu’il semble que le fruit de la vie était dans le paradis— terrestre ce qu’est dans le paradis spirituel la sagesse de Dieu, dont il est écrit : « C’est un arbre de vie pour ceux qui l’embrassent ».