La Famille Elliot/19

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Traduction par Isabelle de Montolieu.
Arthus Bertrand (2p. 117-132).

CHAPITRE XIX.


Au moment où l’amiral Croft exprimait le désir qu’il éprouvait que son beau-frère vînt à Bath, Wentworth y arrivait ; il le trouva chez lui, et le lendemain Alice le vit par hasard. Elisabeth et madame Clay lui proposèrent de venir faire quelques emplettes dans la rue marchande de Milsom ; M. Elliot les accompagna. À peine furent-elles à Milsom-Street, qu’il survint une averse assez forte pour faire désirer un asile ; elles entrèrent dans une boutique. Elisabeth avait remarqué à quelque distance la voiture de lady Dalrymple arrêtée devant un magasin ; elle espéra qu’il y aurait au moins une place pour elle, et pria son cousin Elliot d’aller la demander de sa part à la vicomtesse ; il y courut, et revint bientôt, apportant les complimens de lady Dalrymple, qui s’estimait heureuse de pouvoir être utile à mesdames Elliot, et devait venir les prendre dans quelques minutes ; son seul regret était que sa birouche ne pût contenir que quatre personnes, et que miss Carteret étant avec elle, elle ne pût prendre que deux dames. Elisabeth regarda son amie et puis sa sœur ; l’un de ses regards disait : Ce sera vous ; l’autre : Ce ne sera pas vous. Alice les interpréta ainsi, et comme elle n’avait nulle envie d’être avec les illustres parentes, et qu’elle ne voulait pas qu’on la refusât, elle se hâta de dire qu’elle ne craignait pas la pluie, que ses bottines étaient fortes, qu’elles la garantiraient de l’humidité ; qu’avec le bras de son cousin Elliot elle serait bientôt à la maison, et qu’elle cédait avec plaisir la place à madame Clay. Mais, à sa grande surprise, madame Clay refusa de l’accepter, assura qu’elle n’irait point en voiture quand miss Elliot était à pied, et qu’elle espérait que M. Elliot voudrait bien aussi l’accompagner. Alice insista ; madame Clay fit de même, et, malgré les signes d’Elisabeth, persista. Alice et madame Clay mirent tant d’obstination dans leurs complimens, que M. Elliot et Elisabeth furent obligés de décider. Elisabeth prétendit que madame Clay avait un commencement de rhume qu’il fallait ménager. M. Elliot examina les bottines, et déclara que celles de sa cousine Alice étaient plus fortes : madame Clay fut donc obligée de céder, et de jouer le rôle de dame d’honneur de la noble Elisabeth. Alice, enchantée d’en être dispensée, s’éloigna d’elles, et fut s’asseoir près de la fenêtre, pour saisir le moment où la pluie se ralentirait. Elle y était à peine, qu’elle vit le capitaine Wentworth qui descendait la rue ; elle tressaillit ; personne ne s’en aperçut ; mais elle s’indigna de sa propre faiblesse, et de l’émotion excessive qu’elle éprouvait. Pendant une ou deux minutes, elle ne distingua plus aucun objet autour d’elle ; elle ne sentait que trouble et confusion dans sa tête et dans son cœur. Lorsqu’elle eut repris ses sens, elle vit Elisabeth et madame Clay causant ensemble et ne faisant nulle attention à elle. M. Elliot, toujours obligeant, était allé faire, dans une rue voisine, une commission pour madame Clay.

Alice se sentit tout-à-coup une grande envie d’aller ouvrir la porte du magasin, pour voir s’il pleuvait encore : était-ce bien son seul motif ? Ne voulait-elle pas s’assurer si ses yeux ne l’avaient point trompée ? Mais la palpitation de son cœur lui disait encore que c’était bien Wentworth qu’elle avait vu. Il marchait très-vite, et sans doute il était à présent hors de sa vue ; c’est donc le désir seul de s’assurer si la pluie a cessé qui l’attire irrésistiblement à la porte. Elle y est ; la porte s’ouvre du dehors, Wentworth paraît, avec plusieurs personnes de sa connaissance qu’il avait rencontrées au bas de la rue et suivies jusqu’à ce magasin. Il fut très-étonné en se trouvant en face d’Alice ; sans doute elle n’était pas moins émue ; mais cette fois elle avait sur lui l’avantage de n’être pas surprise. Le trouble du premier moment, produit par sa présence, était dissipé ; mais il lui restait encore assez à sentir et à cacher ; agitation, peine, plaisir, crainte, espoir ; elle était dans un état qu’on ne peut définir, qui tient à la fois du délice et de la douleur : ah ! oui, du délice ! car pour la première fois depuis qu’elle l’avait retrouvé, elle crut remarquer quelque nuance de ses premiers sentimens. Il avait rougi ; quelques mots qu’il lui adressa en la saluant, et qu’elle entendit à peine, annonçaient de l’embarras, de l’émotion ; il se détourna ensuite de quelques pas, et n’eut pas l’air d’écouter ce que lui disait une dame de sa compagnie ; il paraissait absorbé dans ses pensées ; Alice n’aurait pu décider si elles lui étaient favorables ; ce qu’il y avait de plus positif dans sa manière était de l’embarras.

Après un court intervalle, il se rapprocha d’elle et lui parla encore ; des questions mutuelles sur des sujets indifférens, dont ni l’un ni l’autre n’écoutaient la réponse, remplirent leur entretien. Alice fut convaincue que quelque chose l’occupait péniblement, et qu’il n’était pas à son aise. Lorsqu’ils étaient à Upercross et à Lyme, et que l’occasion de se parler ne pouvait s’éviter, il montrait beaucoup de calme et d’indifférence ; à présent, il tâchait d’être de même, mais il n’y parvenait plus. Quelque nuance imperceptible pour tout autre prouvait à Alice qu’il était changé ; mais comment ? Elle n’aurait pu le dire ; il ne paraissait pas avoir souffert ; ni sa santé ni sa gaîté n’étaient altérées : il parla du ton le plus naturel d’Upercross, des Musgrove. En nommant Louisa, elle remarqua dans son regard, dans son demi-sourire, quelque chose qui n’était ni du dépit ni du chagrin ; ce ne pouvait être du plaisir : il était visiblement embarrassé, mal à son aise. Ah ! pensait Alice, c’est bien toujours lui, c’est Wentworth, incapable de feindre, malgré tous ses efforts, et de déguiser ses sentimens ; il ne veut pas paraître blessé de l’inconstance de Louisa ; mais son cœur souffre et le trahit.

Elle fut peinée, mais non surprise, en observant qu’Elisabeth n’avait pas l’air de le reconnaître ; il était si peu changé, que c’était impossible de s’y méprendre ; d’ailleurs, ils s’étaient jeté mutuellement un regard qui ne laissait pas le moindre doute ; elle vit, dans la physionomie de Wentworth, qu’il était prêt à saluer miss Elliot comme une ancienne connaissance, et dans celle de sa sœur, le dédain le plus marqué ; elle se tourna d’un autre côté, et ne fit plus la moindre attention au capitaine.

Le carrosse de lady Dalrymple, qu’elle attendait avec une extrême impatience, arriva enfin ; un laquais vint l’annoncer. La pluie avait recommencé ; miss Elisabeth parlait si haut à madame Clay, en lui disant de se presser pour ne pas faire attendre sa cousine la vicomtesse, qu’elle trouva ainsi le moyen d’apprendre à tous ceux qui étaient là que lady Dalrymple était sa cousine, et qu’elle venait la prendre dans son équipage ; mais ce qui affligeait un peu la fière beauté, c’est qu’elle n’avait aucun suivant pour lui donner la main : le cher cousin Elliot n’était pas revenu ; et, tout en grondant madame Clay de l’avoir envoyé ailleurs, elle s’appuya sur son bras, et s’avança vers la porte, accompagnée seulement du laquais de lady Dalrymple. Le capitaine Wentworth les laissa passer ; puis s’avançant vers Alice, qu’il croyait être de la partie, il lui offrit son bras pour la conduire.

« Je vous suis très-obligée, lui dit-elle ; je ne vais pas avec ma sœur ; le carrosse ne pouvait nous contenir toutes trois, j’ai cédé ma place, préférant aller à pied.

— Mais il pleut.

— Oh ! très-peu. D’ailleurs, j’attendrai… »

Après un moment de pause, il dit en riant : « Quoique je ne sois à Bath que depuis hier, je me suis déjà mis à la mode du pays. (Il montra à Alice un parapluie.) Je vous prie d’en faire usage, si vous êtes déterminée à aller à pied ; cependant il serait plus prudent de me permettre d’aller vous chercher une chaise à porteurs. »

Elle le remercia encore, mais en refusant ses offres obligeantes, et répéta que la pluie était trop peu de chose. « Elle cessera peut-être dans un instant, ajouta-t-elle, et je dois attendre M. Elliot qui nous a accompagnées et qui va revenir bientôt. » Oh ! combien elle aurait préféré le bras et le parapluie de Wentworth ! Mais Alice avait toujours le sentiment des convenances, et son cousin Elliot, revenant et ne trouvant personne, aurait eu le droit d’en être blessé.

À peine Alice avait-elle achevé sa phrase, que M. Elliot parut : le capitaine Wentworth le reconnut à l’instant. Il n’y avait aucune différence entre l’homme qui entrait et celui qui descendait les marches de la rapide montée de Lyme, et qui s’arrêta pour les laisser passer, en admirant Alice ; il était facile de retrouver la même expression sur sa physionomie en parlant à sa cousine, mais il s’y joignait de plus la douce familiarité d’un parent et d’un ami : il paraissait ne chercher et ne voir qu’elle seule. Il vint d’abord près d’elle, s’excusa d’être resté aussi long-temps, lui fit adroitement sentir que l’espoir de trouver le carrosse parti l’avait engagé à retarder son retour ; il la remercia de l’avoir attendu, et la pressant de profiter d’un moment où la pluie avait diminué, il passa doucement le bras de sa cousine sur le sien et l’entraîna ; elle put à peine jeter un doux et timide regard sur Wentworth et lui rendre son salut.

Aussitôt qu’ils furent hors de vue, les dames avec lesquelles Wentworth était entré parlèrent de miss Alice. « Son cousin paraît l’aimer ? dit l’une d’elles en riant. — Elliot en est très-amoureux, reprit une autre, et sans être sorcier, on peut prédire ce qui va arriver ; il est toujours avec elle, il vit dans la famille, et en fera bientôt doublement partie, rien n’est plus clair : c’est d’ailleurs un très-bel homme et on le dit fort aimable.

— Il est fort bien, reprit la première, et mon amie miss Atkinson, qui a dîné l’autre jour avec lui chez les Wallis, dit que c’est le plus agréable cavalier qu’elle ait jamais rencontré.

— Miss Alice ne sera pas mal partagée ; elle le mérite ; elle est parfaitement aimable et bonne. — Elle est jolie aussi, et très-jolie, je vous assure ; examinez-la bien ; elle n’a ni le teint éclatant ni les traits réguliers de sa sœur, mais elle a tant de grâces, tant d’expression dans la physionomie, un regard si doux ! Je sais que dans sa famille on parle peu d’Alice ; mais je déclare qu’elle me plaît beaucoup plus qu’Elisabeth. » Et à moi aussi, et à moi aussi, fut l’écho général : Wentworth seul gardait un profond silence.

« Il n’y a nulle comparaison, ajouta l’une des dames ; mais la plupart des hommes préfèrent l’éclat à la délicatesse. Je suis bien aise que M. Elliot ait fait une exception ; il en sera récompensé ; miss Alice le rendra le plus heureux des maris. » On aurait pu alors entendre un soupir étouffé sortir de la poitrine de Wentworth ; mais il se détourna promptement, et l’on n’y fit nulle attention.

Alice, tout en cheminant à côté de son cousin, aurait bien voulu aussi être silencieuse ; elle lui aurait eu bien de l’obligation s’il l’avait menée jusque chez elle sans dire une parole. Quoiqu’il fût pour elle rempli de soins et d’attentions, et qu’il les poussât jusqu’à ne lui parler que de choses qui pouvaient lui être agréables ou sur lesquelles ils pensaient de même : éloge vif, distingué et juste de lady Russel ; insinuation contre madame Clay ; souvenir de Lyme, rien ne l’intéressa. Jamais elle n’avait trouvé qu’il fût si difficile d’écouter et de répondre ; elle ne pouvait penser à autre chose qu’au capitaine Wentworth, au changement qui s’était opéré en lui et qu’elle ne comprenait pas. Frederich avait en même temps l’air indifférent et occupé. Regrettait-il Louisa ? L’avait-il oubliée ? Jusqu’à ce que cette question fût décidée, elle ne pouvait être tranquille. Hélas ! Alice était déterminée à être sage, raisonnable, à éloigner toute illusion de sa pensée, toute fausse espérance, et dans ce moment elle était forcée de s’avouer à elle-même qu’elle était loin encore d’avoir autant de fermeté qu’elle l’avait résolu. Elle aurait voulu savoir si Wentworth ferait quelque séjour à Bath, ou s’il n’y venait qu’en passant. Frederich ne s’était pas expliqué à cet égard, mais il y avait toute apparence qu’il resterait chez sa sœur ; dans ce cas, comme chacun à Bath se rencontre, lady Russel le verra sûrement : comment se conduira-t-elle avec lui ? Feindra-t-elle, comme Elisabeth, de ne pas le reconnaître ? Alice a bien assez de choses à penser pour désirer d’être seule.

Elle avait déjà été obligée de dire à lady Russel que Louisa Musgrove épousait le capitaine Bentick ; la surprise de son amie ressembla à un désappointement ; Wentworth n’avait pas été nommé ; mais lorsque lady Russel le verrait à Bath, elle pourrait rapprocher ces deux idées, et penser que, rebuté par Louisa, il voulait renouer avec Alice, et l’orgueil de la fière lady, son extrême prévention pour sa protégée, se révolteraient à cette idée.

Le lendemain matin, elles firent ensemble leur promenade accoutumée en voiture : en traversant la ville, Alice s’attendait à rencontrer Wentworth, et le craignait et le désirait en même temps. Elle regarda pendant long-temps de tous côtés, et désespérait de le voir ; mais en entrant dans Pulteney-Street, elle l’aperçut du côté droit du pavé, qui était celui de lady Russel, quoiqu’il fût encore à une distance assez grande. Il y avait plusieurs hommes autour de lui ; des groupes de promeneurs allaient et venaient ; mais sa belle figure se remarquait assez pour qu’on ne pût s’y tromper. Elle tourna involontairement la tête vers lady Russel, pour savoir si ses regards suivaient la même direction que les siens, quoiqu’elle ne pût supposer que lady Russel eût reconnu Wentworth aussitôt qu’elle, d’un bout de la rue à l’autre. Non, elle ne l’apercevrait sans doute que lorsqu’il serait en face : Alice calculait les tours de roue de la voiture et les pas de Wentworth, frémissant du moment où ils seraient sur la même ligne, où elle aurait à répondre aux questions de son amie, à lui avouer qu’elle l’avait déjà vu, à retrouver encore ses injustes préventions : ce moment approchait, le capitaine n’était plus qu’à quelques pas, et lady Russel, tournée vers la portière devant laquelle il devait passer, ne pouvait éviter de le voir ; elle semblait même le chercher : il lui eût été si facile de changer de position, de parler à Alice, de regarder du côté opposé ! Mais non, elle tournait presque le dos à sa compagne, et paraissait observer avec la plus grande attention ce qui se passait dans la rue.

Enfin, lady Russel se retourna ; sans aucun doute elle va parler de lui à Alice ; mais de quelle manière ? Le cœur de miss Elliot battait au point qu’elle ne savait comment elle pourrait répondre. « Vous devez être surprise, Alice, dit lady Russel, de ce que mes yeux ont été fixés sur ce côté de la rue ; je cherchais à voir des draperies de fenêtre dont lady Falkand n’a cessé de me parler hier au soir ; elle les a remarquées en passant ici ; mais elle n’a pu se rappeler le numéro de la maison : elle assure que ce sont les draperies les plus riches et les plus élégantes qu’elle ait vues à Bath, j’étais curieuse d’en juger ; mais quoique j’aie regardé avec soin toutes les fenêtres du côté qu’elle m’avait indiqué, je n’ai pas vu de draperies semblables à celles que m’a décrites lady Falkand. »

Alice bénit les draperies à l’aide desquelles Wentworth avait échappé aux regards de lady Russel ; mais pendant qu’elle observait son amie, elle avait manqué le moment de voir elle-même si Wentworth l’avait aperçue, et cela lui causa des regrets.

Un jour ou deux se passèrent sans qu’il arrivât rien d’intéressant. Le théâtre et le salon du rassemblement n’étaient pas du goût de sir Walter et de miss Elisabeth ; on y trouvait une société trop mélangée ; leurs amusemens du soir consistaient dans l’élégante, honorable et très-insipide compagnie de quelques vieilles ladys et d’une triste partie de wisk ; cependant sir Walter cédait quelquefois à l’envie de montrer en public sa belle figure et celle de sa fille Elisabeth lorsque quelque artiste renommé donnait un concert. Il en était arrivé un protégé par lady Dalrymple ; c’était une affaire de famille à laquelle il était impossible de manquer, et personne ne s’en réjouissait plus qu’Alice. Fatiguée de ne rien savoir, de ne pas même entendre prononcer le nom de l’homme auquel elle pensait sans cesse, d’habiter le même endroit que Wentworth, et de ne pas plus le voir que s’il eût été à cent lieues, elle attendait le jour du concert avec la plus vive impatience. On disait qu’il serait très-brillant. Le capitaine Wentworth aimait passionnément la bonne musique ; il y serait certainement : il lui semblait que si elle pouvait lui parler et l’entendre, ne fût-ce que quelques minutes, elle lirait dans son cœur, comme naguère elle y lisait. Elle avait été si troublée la première fois qu’elle l’avait vu, qu’il n’était point étonnant qu’elle n’eût pas découvert ses vrais sentimens sur le mariage de Louisa ; mais à présent elle s’attend à le voir, et elle sent qu’elle aura le courage de l’aborder, de lui parler comme à un ancien ami. Elle s’était convaincue que lady Russel l’avait vu, et que l’histoire des draperies n’avait été qu’un prétexte pour ne pas parler de lui. Sir Walter, chez qui Wentworth allait tous les jours quand il faisait sa cour à Alice ; Elisabeth, qui la raillait sans cesse de sa conquête et de son beau lieutenant, ne pouvaient, ne devaient pas l’avoir oublié au point de ne le pas saluer. L’indignation releva ses forces ; elle se promit de réparer, par ses attentions amicales, les torts de sa famille envers une ancienne connaissance.

Le concert fut fixé au jour suivant ; croyant que ce serait plus tard, Alice avait promis sa soirée à madame Smith ; mais elle ne se fit aucun scrupule d’aller s’excuser auprès d’elle, et de lui promettre une longue visite le lendemain. Son amie y consentit de grand cœur, et lui dit qu’elle aurait été fâchée de la priver d’un plaisir : « J’aime mieux vous voir après le concert, ajouta-t-elle ; vous me le raconterez ; j’aime à savoir ce qui se passe dans le monde ! Dites-moi d’abord avec qui vous allez. »

Alice l’en instruisit. Madame Smith ne répliqua rien ; mais, en se séparant, elle dit avec une expression de tristesse : « Je désire de tout mon cœur que ce concert réponde à votre attente, et je n’en doute point. Ne manquez pas, chère Alice, de venir me voir demain ; je ne sais, mais j’ai le pressentiment que désormais je n’aurai plus de visites de vous. »

Alice fut étonnée au point de ne savoir que répondre ; elle resta un moment en silence, n’ayant pas le temps d’entrer en explication sur ce sujet : elle se contenta d’embrasser tendrement son amie, et fut rejoindre lady Russel, qui l’attendait dans sa voiture.