La Littérature ennemie de la famille/1

La bibliothèque libre.
Librairie Bloud & Gay (p. 5-55).


PREMIÈRE PARTIE




Les faits


QUELLE EST LA LITTÉRATURE ENNEMIE DE LA FAMILLE

I

Les romans et les pièces de théâtre


1. — Les romans et les pièces de théâtre qui représentent la littérature ennemie ont proclamé la souveraineté de l’amour. L’amour soumet donc à ses lois brutales tous les éléments qui composent la famille, notamment la femme qui est ainsi ravalée à la qualité de poupée, de révoltée, de courtisane, etc.
2. — Deux œuvres types de la littérature ennemie de la famille : l’œuvre romanesque de Victor Marguerite ; l’œuvre dramatique de Georges de Porto-Riche, de l’Académie française.
3. — Ces œuvres dévastatrices se répandent de plus en plus dans tous les milieux, et y portent leurs fruits. Elles dissolvent et ruinent la famille : car elles y introduisent les désordres dûs à l’amour souverain ; elles favorisent la stérilité volontaire, l’union libre et l’adultère ; elles corrompent les jeunes gens et les jeunes filles ; elles discréditent la femme reine du foyer au profit de la femme de mauvaise vie.


La littérature ennemie de la famille forme une masse effrayante. J’en élimine la plus grosse part, c’est à savoir l’ensemble des livres licencieux ; j’élimine ensuite toute une catégorie d’ouvrages qui, en raison de leur caractère même, tombent sous la condamnation des lois et ne produisent clandestinement que des ravages profonds, mais sporadiques.

Je m’attache donc dans ce paragraphe, aux romans et aux pièces de théâtre, et parmi cette littérature, j’envisage seulement les ouvrages d’idées, les romans et les pièces de théâtre qui sapent, par des voies plus ou moins directes, les doctrines génératrices et conservatrices de la famille.


i.


Pour tous les esprits réfléchis, pour tous les citoyens qui ont à cœur la dignité éminente de l’homme et de la femme, l’éducation des enfants, la force de la nation et l’avenir de la race, les droits de la famille, établis par la Providence, respectés, exercés et légués à notre génération par nos aïeux, sont considérés comme sacrés, imprescriptibles, et en quelque sorte souverains.

Aux yeux des romanciers et des dramaturges dont nous parlons, au contraire, les droits souverains appartiennent à l’Amour, à l’amour dans l’acception la moins noble de ce mot, à l’amour brutal et instinctif, à l’amour animal.

Dans une notable partie de notre littérature, l’amour — cet amour — est roi. Il règne ; il gouverne tout dans la famille et dans la société : il est le roi absolu. Bien plus, il est le roi légitime : car il est roi, en vertu d’un droit. Il n’est enchaîné par aucune entrave, arrêté par aucune barrière, lié par aucune loi. Tout ce qui s’opposerait à son empire et à son expansion, la religion qui l’a réformé et avili en y mettant la notion de péché — c’est Henry Bataille qui parle — la société qui a dressé contre ses dérèglements la loi et les conventions, les serments contractés à la mairie et à l’église, les liens indissolubles du mariage, la fidélité conjugale, les obligations du conjoint et de la conjointe, les droits de l’enfant, tout doit s’effacer devant sa prétendue souveraineté.

L’amour est seul maître. Les débordements précoces de la vie passionnelle, l’adultère et la prostitution sont légitimes, pourvu qu’ils se réclament de ses lois ; toute union est valide et licite par le fait seul de son intervention ; toute union devient caduque, dès qu’il s’en sépare.

Voilà ce qu’enseignent nombre d’écrivains néo-moralistes, soit par des raisonnements spécieux, soit par des fictions habilement ménagées, soit surtout par une accumulation de tableaux ou de suggestions qui forcent le lecteur ou le spectateur à tirer lui-même la pire des conclusions[1].

Voilà ce qu’enseignent, implicitement et au travers d’une intrigue plus ou moins plaisante, certains vaudevillistes et fabricants d’opérette. Ils s’appliquent à rendre ridicules le mariage, la fidélité conjugale, les vertus domestiques et les devoirs qu’ils imposent, et d’autre part, à rendre agréables les plaisirs dégradants qu’ils représentent comme le but de la vie.

« On peut dire sans se méprendre, écrivait Émile Bergerat dans Le Figaro (7 mai 1917), qu’il n’y en a dans l’encrier français que pour les cantiques à Éros libre. »

L’Amour est souverain : ainsi l’ont décidé les législateurs de la République des Lettres. En vertu d’une logique inéluctable, il doit donc soumettre à ses lois toutes les créatures qui composent la famille et notamment la femme.

La femme, formée par des siècles de christianisme et de chevalerie, est le chef-d’œuvre de notre passé. Devant l’amour, elle est condamnée à abdiquer sa noblesse ; car elle ne doit servir qu’aux desseins du souverain. Aussi, la littérature ennemie de la famille l’a-t-elle ravalée aux conditions les plus dérogeantes. Dans ces livres, dans ces pièces si nombreuses, dans ces romans innombrables, la femme n’est plus la femme, elle n’est plus la fiancée, elle n’est plus l’épouse, elle n’est plus la mère, elle est la parisienne, la poupée, la don-juane, la demi-vierge, l’affranchie, la déchaînée, la grisette, la courtisane.

En août 1916, une italienne, Madame Luisa Amici-Grossi, adressait à M. Brieux, de l’Académie française, une lettre qu’elle intitulait « L’École des mères » et dans laquelle elle disait :

« Est-ce leur faute, je vous le demande, si les Françaises ont oublié, depuis tant d’années déjà, que le vrai rôle, l’unique rôle pour ainsi dire de la femme, c’est d’être mère ?

« Qui a exalté en elle la poupée, la petite poupée parisienne, toute fanfreluche et maquillage, la petite poupée sans poitrine, sans hanches, presque uniquement faite de sa robe, de sa coiffure et de ses dessous ? Qui lui a créé le règne de ce faux monde du théâtre qui règne encore partout, à côté du monde de la politique, encore plus dans les restaurants et les casinos à la mode que sur la scène ? Qui a fait de la demi-mondaine la véritable reine de la société française moderne, si l’on en croit du moins vos livres et vos journaux ? Qui a créé la midinette, si touchante, pour en faire une attraction parisienne ? Qui a rempli les plus paisibles maisons de province des publications illustrées où des pseudo-artistes sont montées et exaltées dans leur luxe tapageur, avec leurs robes, leurs chapeaux, leurs autos, leurs chevaux, leurs chiens même, comme des modèles de l’élégance et du goût français ?

« Quelle place a-t-on faite à la femme sérieuse, toute prise par l’éducation de ses enfants, les soins dont elle entoure son mari, le rafraîchissement continuel de sa petite maison accueillante et coquette ? Qui en a célébré les vertus ?

« Qui s’occupe de cette femme-là qui ne s’attache qu’à ses devoirs et trouve le complet bonheur à les remplir ? Qui cherche à développer ce sentiment du bonheur dans le devoir ?

« À qui la faute, je le répète, si, objet de luxe et de plaisir, la femme n’est plus, oublie d’être la créature de dévouement et de sacrifice qui n’a d’autre pensée que de répandre de la joie autour d’elle ? À qui la faute si elle est devenue la poupée égoïste et artificielle ? À qui la faute ? Aux hommes, Monsieur, aux hommes seuls, n’en doutez pas…

« … Je ne puis dire inconsciemment. Votre inconscience a été de ne pas vous être aperçus de la grandeur du rôle et de la mission de la mère. Nos mères, la vôtre, Monsieur, acceptaient la maternité et ses devoirs avec simplicité, parce que c’était la loi divine, leur raison d’être, la condition même — et non point la rançon — du bonheur. Vous les hommes, dans vos romans et vos pièces de théâtre, vous représentez surtout des héroïnes prêtes à trahir leur mari, à devenir la maîtresse de celui-ci et de celui-là, à remplir leur entourage de l’éclat de leurs passions, mais qui jamais, jamais, ne s’affirment des mères. » (Maria Luisa Amici-Grossi, Le Figaro, 21 août 1916).

Ce sont les mêmes hommes qui ont créé la révoltée. « Cette révoltée, je la connais bien, écrivait Sarcey dans son feuilleton dramatique (Quarante ans de théâtre, tome VII, pp. 1-16), à propos d’Irène dans Les Tenailles. Elle nous a été apportée par Ibsen, qui l’avait prise aux romans de Madame Sand. Madame Sand, bien avant Ibsen et Paul Hervieu, avait revendiqué pour la créature humaine le droit d’aimer à sa guise, de mettre au-dessus des lois et des convenances les suggestions de son cœur : elle avait, la première, magnifiquement prêché la toute-puissance de l’instinct et de la passion et le mépris de toute règle. »

« Avez-vous remarqué, continue le même critique, que dans toute cette analyse, il y a un mot qui n’a jamais été prononcé : le simple mot de devoir. C’est que l’idée est absente de l’ouvrage. »

Ce sont les mêmes hommes enfin qui ont élevé l’irrégulière et la courtisane, en un mot, la femme de mauvaise vie, au niveau de la femme honnête et de la plus noble des mères.

On se rappelle Marion Delorme et Angelo de Victor Hugo ; Les Maris de Léontine, Rosine, La Veine, Les Passagères, Les Deux écoles, d’Alfred Capus ; La Dame aux camélias, Le demi-monde, Denise, Diane de Lys et Le supplice d’une femme d’Alexandre Dumas fils ; La Parisienne d’Henry Becque ; Le Détour et Le Marché de Bernstein.

« C’est l’amour, sous toutes ses faces, qui est l’élément du théâtre, écrit Alexandre Dumas fils, c’est l’émotion qui en est le but. C’est donc la Femme qui en est le principe. Sans elle, pas d’amour et pas d’émotion… Elle est la divinité du lieu, et, de sa loge ou de sa stalle, belle, fière, triomphante, calme, entourée, adulée, elle assiste à ces hécatombes humaines.

« Voulons-nous par hasard, peindre une coquine ? Nous ne le pouvons faire qu’à la condition de la présenter aussi séduisante, aussi excusée que possible. C’est toujours la faute de l’Homme si elle est ainsi. C’est le mari qui est vieux, laid, bête, libertin, joueur, infidèle, ennuyeux, insupportable ; c’est un homme qui l’a entraînée, séduite, abandonnée ; enfin, c’est la Société, c’est le Code, ce sont les mœurs qui sont en faute, mais non pas elle. Et comme elle a des remords ! et comme elle pleure ! et comme elle aime ! Après quelles luttes et avec quelle grâce elle tombe ! Pauvre femme incomprise ! pauvre ange déchu ! comme ses ailes repoussent à la fin du drame ! comme on lui pardonne ! comme on la plaint !

« Voyez la Marguerite de Goethe ! Est-elle restée assez sympathique et immaculée dans l’imagination des hommes, cette gaillarde qui s’éprend à première vue, qui se donne pour un collier, et qui tue son enfant ! Où est la vierge, où est l’épouse, où est l’amante, où est la mère dans tout cela ? N’importe, elle souffre, c’est assez ! Et c’est l’Homme qui est coupable ; et puis, elle se repent, à la fin, et c’est elle qui sauve Faust. Et que de choses il a fallu pour qu’elle connût toutes ces abominations : le renversement de toutes les lois physiques et (dernière incarnation des puissances surnaturelles évoquées par le moyen-âge) le Diable opérant lui-même. Qui de nous n’a pleuré sur Marguerite, et qui est-ce qui pense à son pauvre honnête homme de frère, qui se fait tuer pour l’honneur de son modeste foyer ? L’imbécile ! Est-ce que l’amour n’explique pas, n’excuse pas et n’emporte pas tout ? » (Alexandre Dumas fils, préface de L’Ami des femmes, Théâtre complet, tome IV, pp. 7 et 8, cité par La Revue des lectures, 15 septembre 1920, p. 549).

Telles sont les conceptions et les thèses que tant d’écrivains soutiennent dans les romans et les pièces de théâtre.


2.


Comme œuvre-type de la littérature ennemie de la famille, je signale d’abord les romans de Victor Margueritte. Je ne vise pas le dernier qu’il a publié et qui a provoqué le scandale que l’on sait, j’ai en vue les ouvrages que ce romancier en collaboration avec son frère, puis sous son seul nom, a publiés depuis l’apparition des Femmes nouvelles en 1899, jusqu’au Soleil dans la geôle en 1921.

Ces romans sont, pour la plupart, de véritables manifestes qui prêchent, comme dans un cours gradué, l’émancipation de la femme, la légitimité de l’adultère et l’élargissement du divorce. Ils prennent la femme nouvelle au début de son évolution sociale, ils lui placent entre les mains le balai des mégères de 93 et ils lui font vider « la geôle », c’est-à-dire le foyer[2].

La femme nouvelle, telle qu’elle se présente dans le roman qui porte ce titre, n’est pas la détraquée qu’a rêvée ou faite le féminisme outrancier : elle n’est ni hommasse, ni bas bleu, ni surtout meurtrière comme une suffragette. Elle est réfléchie, sérieuse, femme de caractère : elle mêle à sa grâce une hardiesse et une vigueur assez rares chez les femmes. Elle est décidée — et elle le dit — à revendiquer tous ses droits, elle témoigne de son indépendance et de sa décision en refusant d’épouser les yeux fermés, le premier prétendant venu… Cette femme nouvelle s’appelle Hélène Dugast, et à première vue, elle paraît ne s’inspirer que des lois morales les plus authentiquement catholiques.

Elle a particulièrement en horreur les mariages d’argent : entre gens qui s’aiment vraiment, c’est-à-dire passionnément, professe-t-elle avec Victor Margueritte (Le Figaro, 29 mars 1913) il ne peut y avoir de question d’argent. Elle s’apparente même aux libératrices : elle prétend remédier à toutes les détresses, à tous les maux dont son sexe est la victime dans notre société actuelle… Aucun catholique, aucun honnête homme ne condamnerait les femmes nouvelles, si elles bornaient là leur programme et leur action : car ce féminisme-là est de tradition chrétienne. Il sauvegarde, il exalte dans la femme sa dignité de personne et sa fonction de mère. Il est vieux comme l’Évangile.

Dans leur réalité intégrale, les femmes nouvelles dont Victor Margueritte est le maître éponyme, se présentent sous des traits qui les rendent moins sympathiques. Elles ne cherchent pas seulement à sortir de la condition malheureuse que leur créent certaines dispositions légales fâcheuses ou incomplètes ; elles s’évadent résolument des lois les plus sacrées, des disciplines morales les plus fondamentales.

Hélène Dugast est une personne réfléchie, nous l’avons vu tout à l’heure, mais aussi elle est une affranchie. Après un séjour en Angleterre, elle s’est déniaisée ; elle a rejeté tous les préjugés étroits, elle s’est débarrassée de toutes les pudeurs conventionnelles. Et l’on comprend, sans que j’y insiste, tout ce que cela veut dire.

Comme Marthe Dangé, l’une de ces jeunes filles auxquelles Victor Margueritte a consacré tout un livre, elle tient des propos de corps de garde, et se livre au libertinage avec une désinvolture et une inconscience de faunesse.

Marthe Dangé et Hélène Dugast sont des femmes nouvelles ; elles sont déjà assez écœurantes. Elles ne donnent pas cependant au titre dont on les pare toute sa signification.

Il ne suffit pas que la femme nouvelle s’affranchisse de la délicatesse morale et des lois de la pudeur. Il faut qu’elle secoue le joug de l’idée religieuse et la rigueur de l’indissolubilité matrimoniale.

La femme d’autrefois était chrétienne : Madame la comtesse Favié mère, devenue veuve, était restée digne. La raison en est qu’asservie aux idées religieuses et mondaines, elle était trop « vieux jeu » et ne comprenait pas ce que les écrivains modernes appellent la vie. Ce qu’est cette vie — car il y a « deux vies », c’est le titre d’un roman — une femme nouvelle, Madame Francine Le Hagre, va nous l’apprendre. Son mari, Fernand, est une brute, un menteur, un mauvais drôle, un avare. Francine engage une action en divorce. Elle plaide. M. Le Hagre, cependant, ne veut pas divorcer. C’est contraire à ses intérêts et à ce qu’il appelle ses principes, car il estime qu’on peut, au xxe siècle, « conserver une femme à soi, malgré elle, comme un marchand arabe s’attribue le droit de vie et de mort sur quelque négresse volée dans une razzia ».

Or, Francine perd son procès ; elle est déboutée et condamnée aux dépens. Cela devait arriver, la loi est tellement insuffisante et mal faite ! Qu’à cela ne tienne ! On lui refuse le bonheur légal : elle prendra le bonheur extra-légal. « Lois, juges, coutumes, quel nouveau 93 balaiera tout cela ? » En attendant, Francine les balaie pour son compte. Elle a aimé un explorateur, nommé Eparvié. Eparvié est revenu. Francine ne peut pas être sa femme devant la loi « idiote » ; elle sera sa compagne devant sa conscience… Car la femme nouvelle résume tout son programme dans ces formules cyniques : le droit au bonheur, par le divorce élargi et par l’union libre.

Ce programme, M. Victor Margueritte ne l’a pas seulement placé sur les lèvres de ses héroïnes. Il ne s’est pas contenté de l’exposer dans ses livres et ses pièces de théâtre. Pendant vingt ans, il s’appliqua à la faire passer dans la législation et dans les mœurs. En 1902, il adresse à la Chambre des députés, une pétition en faveur de l’extension du divorce. En 1903, il dépose au groupe parlementaire de la libre-pensée une nouvelle brochure qui défend le même projet.

On sait en quoi consiste la thèse. L’auteur a eu soin de la préciser lui-même dans un article de la Revue des revues. Après s’être élevé éloquemment contre tout ce que l’application de la loi du divorce actuel renferme d’odieux et de malpropre, il indique le remède ; introduire dans la loi le divorce par consentement mutuel, et y ajouter le divorce par la volonté d’un seul, en d’autres termes, donner une sanction légale au mariage temporaire et à la répudiation païenne. « Il appartient, conclut-il, au jeune parti socialiste de reprendre le pur, le généreux esprit de la Révolution, et de donner à notre divorce incomplet, boiteux, bâtard, un affranchissement. » (Revue des revues, 1er février 1900).

Il serait superflu de flétrir. Il suffit de résumer. On comprend assez ce qu’est la femme nouvelle, d’après M. Victor Margueritte. La femme nouvelle a des aspirations généreuses, mais qui déguisent mal des idées révolutionnaires et anarchiques. Elle réunit, comme dans un saisissant microcosme, tous les ferments de décadence et de destruction qui travaillent notre monde moderne : dans le théâtre de Bataille et de Bernstein, elle clame son droit au bonheur ; dans le monde des lettres, elle s’incarne en un groupe de femmes tristement renommées et fait effrontément, en vers comme en prose, l’apologie de la luxure ; dans les livres de Victor Margueritte, elle a partie liée avec les « éclaireuses » de la libre-pensée, les parangons du divorce, du grand divorce, et les pires ennemis de la famille.

La littérature dramatique ennemie de la famille, je la trouve représentée, ramassée, symbolisée dans Le Théâtre d’amour de M. Georges de Porto-Riche, élu membre de l’Académie française, le 24 mai 1923.

Toutes les pièces qui le composent, et La Chance de Françoise et Le Passé, et Le Vieil Homme, et Le Marchand d’estampes, et Les Malfilâtre, et L’Infidèle, et Zuriki, et enfin Amoureuse, sapent l’un ou l’autre élément de l’édifice familial : elles ravalent l’amour au rang des instincts physiologiques, la femme au rang d’une biche, d’une louve, ou d’une pieuvre de la sensualité, le mariage à l’animalité, la vie tout entière au plaisir bestial.

Or, tout le théâtre français, depuis plus d’un quart de siècle, s’inspire de la manière de Porto-Riche. Personne ne le conteste. C’est un fait d’une évidence criante.

« M. de Porto-Riche est un précurseur, déclare M. Adolphe Brisson dans son ouvrage Le Théâtre (3e série, p. 338). Les innombrables pièces où l’énergie individuelle se trouve exaltée et qui ont pour fondement le « droit au bonheur » sont les filles d’Amoureuse. En écrivant cette comédie, il a créé une école. »

M. Henry Bordeaux, dans La Vie au théâtre (1re série, 1907-1909, pp. 212-213), dit de même : « La nouveauté d’Amoureuse, c’est ce jaillissement de volupté qui a débordé dans tout l’art contemporain et que, la première ou presque, elle osait mettre à la scène avec impudeur. Elle y ajoutait une nervosité, une trépidation parfaitement convenable à des êtres que leurs instincts trouvent sans résistance… Dans Amoureuse, c’est exclusivement la peinture de l’amour physique. Nous le pouvons constater : il n’y a plus de lyrisme que pour lui. Il s’étale partout avec allégresse. »

Plus récemment, dans Le Figaro du 28 mai 1923, M. Robert de Flers déclarait : « Quel est l’écrivain de théâtre parmi ceux-là même qui n’auraient pas osé s’inspirer volontairement de cette pièce fameuse (Amoureuse), qui ne lui doive quelque chose ? Son influence fut prodigieuse et depuis trente-deux ans, elle ne s’est point périmée. »

Puis donc que le théâtre contemporain a pris sa formule dans Porto-Riche, et que parmi le Théâtre d’amour de Porto-Riche, Amoureuse se donne comme l’œuvre la plus signifiante, nous connaîtrons le mal que le théâtre a fait à la famille si nous étudions la malfaisance de cette pièce.

Appelé un jour à la juger, un critique peu suspect de pudibonderie, M. Ernest-Charles, se trouvait embarrassé : « Je me demande, écrivait-il dans L’Opinion (18 octobre 1913), si les journalistes ont des dispositions particulières à être pervertis ou à se scandaliser… Mais il ne s’agit pas ici de se scandaliser. Il est plus important de constater. On pourra se scandaliser plus tard. »

Et il constatait que « Porto-Riche ayant voulu, vers l’année 1890, peindre la femme amoureuse de la société moderne, il l’a représentée comme une sensuelle effrénée qui sera toujours sensuelle sans cesser un instant d’être effrénée. »

Cette remarque et cette constatation d’un critique peu « bégueule » m’ont mis en défiance.

Enclin peut-être, comme journaliste, à me scandaliser, je n’ai pas voulu lire la pièce, et j’ai simplement consulté les critiques mondains qui, en raison de leurs fonctions, de leur état d’esprit et de leur complaisance habituelle à l’égard des dramatistes, ne sauraient être suspectés de rigorisme et d’étroitesse d’esprit. Et voici ce que j’ai trouvé.

J’ai retrouvé l’appréciation de M. Gustave Téry, parlant d’Amoureuse dans L’Œuvre du 16 octobre 1913 : « Non, vrai de vrai, en son fond, en sa substance, tout cela est sale et vil. On aura beau mettre autour de ces cœurs faisandés tous les chichis de la psychologie, tous les mots, tout l’esprit que l’on voudra (et c’est en effet de l’esprit voulu, qui a encore sa marque, comme les articles d’exportation), nous ne pourrons jamais devant ce prétendu « chef-d’œuvre classique », nous retenir de crier : « Ça sent le bouc ! Ça pue le juif. »

J’ai trouvé Jules Lemaître qui, dans ses Impressions de théâtre (6e série, p. 315), formule, à propos d’Amoureuse dont il admire la puissance dramatique, ce verdict : « M. Georges de Porto-Riche est d’un siècle qui s’est piqué d’introduire la débauche dans le mariage, et qui a jugé que cela était salutaire, et que cela devenait même respectable… »

Dans L’Action française du 19 octobre 1913, j’ai trouvé ceci : « Qu’Amoureuse ait exercé une profonde influence sur le théâtre contemporain, comme on l’a rappelé à outrance tous ces jours-ci, c’est vrai sans doute dans une certaine mesure. Il y a un théâtre où les personnages se trouvent vils, où ils se complaisent à étaler et à remuer la boue de leur cœur et à se répéter à eux-mêmes sur tous les tons : « Sommes-nous ignobles ! Le sommes-nous assez ! » Ah ! ce théâtre-là, il ne peut pas méconnaître ses origines. Oui, il procède d’Amoureuse ».

Et dans L’Écho de Paris du 11 octobre 1913, ces lignes de M. André Beaunier : « On a dit qu’Amoureuse était le type de la pièce rosse ; c’est la pièce mufle qu’il faut dire, aujourd’hui que ce mot, si commode d’ailleurs, a reçu l’estampille officielle. Je ne sais rien de plus désolant, de plus vulgaire et de plus répugnant que les trois caractères mis en scène et pour lesquels on sent bien que l’écrivain dramatique laisse percer un peu de complaisance. Faut-il le répéter encore (même en s’exposant à ce que cette répétition paraisse bouffonne) : quel monde et quel drôle de monde !…

« On a envie de secouer son mouchoir et de dire : Pouah ! comme madame de Morancé, à la fin de la Visite de noces ».

Même le Gil Blas se montrait ému. M. Edmond Sée y écrivait, le 11 octobre 1913 : « Je ne veux pas analyser à nouveau une œuvre classique ni commenter ces personnages. Les premiers au théâtre, ils osèrent tout dire du cœur et du corps humain ! Et ils eurent l’heureuse fortune de figurer dans un drame non seulement sentimental, mais social encore, puisque l’auteur fait ici non seulement le procès déchirant de l’amour, mais de l’amour dans le mariage ».

Et « Un monsieur de l’orchestre » dans le Figaro (12 octobre 1913) disait qu’Amoureuse « est en même temps une des plus émouvantes apologies de l’amour des femmes qui aient été écrites, et une des plaidoiries les plus éloquentes qui aient été prononcées en faveur de leurs trahisons. »

« Il n’y a pas une ligne, pas une note, ajoutait Antoine Redier dans le Bulletin des catholiques écrivains (20 février 1919), qui y soit à l’honneur du cœur humain : c’est du théâtre dégradant. Aussi n’est-ce point de l’art, mais du bas métier. »[3]


3.


Or, le peuple, comme disait Bonald, « se gouverne par des exemples plutôt que par des lois, et par des influences plutôt que par des sanctions ». On le sait, l’idée n’est jamais inféconde. Quand elle est semée par le monde, elle germe et porte des fruits. Dans le cas qui nous occupe, ce sont des fruits amers, des fruits de mort. Quelques détails vont suffire à le démontrer.

C’est un fait hors de conteste que de nos jours plus que jamais, les idées et les œuvres, jadis confinées dans quelques groupes étroits et choisis, se répandent dans des milieux les plus étrangers à la vie intellectuelle, les moins prévenus, les plus perméables aux influences extérieures. Le Bonhomme Chrysale l’expliquait, l’autre jour, dans les Annales.

« J’accorde, écrivait-il, qu’il y ait dans certaines œuvres du xviie et du xviiie siècles autant de libertinage que dans les productions modernes du même ordre. Le danger d’un écrit ou d’un spectacle ne se mesure pas à ce qu’il contient, mais à sa puissance d’expansion, à l’état du milieu où il rayonne. Autrefois le livre polisson, tiré à quelques exemplaires, se distribuait sous le manteau. C’était une manière de luxe assez coûteuse et malaisée à atteindre. Maintenant l’ordure s’est démocratisée ; elle se fabrique à bon marché dans les usines, comme la bougie et le chocolat ; on en achète pour vingt sous, pour dix sous, pour cinq sous. Partout elle s’offre au passant, l’émoustille, le raccroche ».

… « En somme, note à ce propos M. André Lichtenberger, les mœurs et la religion protégaient la société contre l’ordure. Nous avons supprimé les freins et barreaux, lâché la bonde au torrent immonde. Jadis les jeunes filles et les enfants, enfermés dans la cellule familiale, étaient à l’abri de ces flots. Ils y sont aujourd’hui livrés. Nous tendons à leur accorder la liberté anglo-saxonne, mais sans la compenser par les précautions de la loi anglo-saxonne, car celle-ci prétendant accorder à l’individu un maximum de liberté, se sent d’autant plus tenue à la défendre contre un certain nombre de contagions et de souillures. Dans l’ordre de l’hygiène publique, elle est impitoyable. Chez les Américains, comme chez les Anglais ont été édictées vis à vis de l’alcoolisme, du taudis, des maladies contagieuses, les mesures les plus draconiennes. Et de même l’enfant, la jeune fille, la moralité publique y sont protégés par une sévère législation. Hypocrisie puritaine ? Oh ! que non pas. Connaissance concrète de l’humanité. Plus les mœurs comportent de liberté, plus il est nécessaire que la loi garantisse contre ces abus.

« C’est ce que nous affectons de méconnaître pour notre plus grand dam.

« Nos pères pouvaient être aussi grossiers que nous-mêmes. Cela était pour eux sans conséquence. Cela en a pour nous d’incalculables. Tel microbe qui languit dans un terrain réfractaire pullule si le terrain est favorable et bientôt envahit le terrain tout entier ».

« Laisser aujourd’hui pulluler l’ordure est une erreur grave et un réel danger autant pour notre littérature et notre art que pour notre société elle-même et pour notre bon renom ». (André Lichtenberger, La Victoire, 24 février 1923).

Aussi, sous l’influence des miasmes délétères que dégagent les livres autour d’eux et spécialement dans les âmes qui s’exposent à leur contact, les doctrines de cette littérature perverse ont pénétré dans les mœurs : l’amour souverain qui règne dans les livres et dans les spectacles a étendu ses ravages jusqu’au sein de la famille et dans toutes les classes de la société.

« Ces livres sont malsains, écrit à ce propos M. Fernand Laudet, ils empoisonnent comme un champignon vénéneux. On sait combien de vies ont été décidées par la lecture d’une mauvaise page.

« Je relisais précisément, ces jours derniers, un livre de Pierre de Coulevain. « La littérature, disait l’auteur, peut vivifier, elle peut tuer aussi ». Et il citait l’exemple d’un jeune homme qui était mort d’une page, d’une phrase, qui lui était montée au cerveau comme le plus capiteux des vins et avait décidé de son sort. Et Pierre de Coulevain, en achevant le récit de cette triste histoire, dit : « L’auteur, qui a été l’agent inconscient de toute cette douleur, est un homme excellent, un esprit brillant mais vulgaire. Il a peut-être écrit la phrase homicide, la cigarette aux lèvres et les épaules secouées par un petit rire de satisfaction, trouvant que c’était très fort ».

« Oui « très fort » ; l’auteur le laisse modestement entendre, le critique adulateur le déclare et le lecteur du Café du commerce le répète. De la ville, le livre se répand jusque dans la campagne, et l’on rencontre dans la lande la gardeuse de brebis qui a glissé sous son capulet le mauvais roman, passé de mains en mains, et qu’elle a encore la pudeur de vouloir cacher.

« Mais, qui plus est, ces mauvais bergers de la littérature ne se contentent pas de mal faire la garde des esprits, ils revendiquent presque un rôle moral, car, s’ils s’appliquent à la pornographie, ils ne veulent pas être traités de pornographes. Leurs héroïnes sont représentées comme de grandes âmes qui ont récusé la société pour vivre selon leur conscience. Elles sont restées profondément droites, malgré les fatalités ; or, ces fatalités ce sont tous les vices, et elles n’en manquent pas un ; et, quand sonne pour elles l’heure de la déchéance, ce sont des martyres ! « Nous sommes tous le jouet d’énergies qui nous dépassent ». (Fernand Laudet, La Libre Parole, 25 octobre 1922).

Le mari et la femme ne veulent plus d’enfants. Je n’ignore pas que la stérilité volontaire est déterminée par de multiples causes ; mais je ne crains pas d’affirmer que parmi ces causes, les causes psychologiques et morales tiennent le premier rang, et que parmi les causes psychologiques et morales, il faut ranger l’appétit effréné et raisonné du plaisir, l’influence des théories pernicieuses répandues par la littérature antifamiliale.

« Quand on cherche en tout et pour tout à se satisfaire, écrit M. Paul Gautier (Les Maladies sociales, pp. 154 et 155), on ne tarde pas en effet, de déchéance en déchéance, à quêter les plaisirs bas et à détourner, notamment, l’instinct sexuel de son but pour lui demander uniquement la volupté. Or, « les causes qui tendent à surexciter ou à dévouer l’instinct, sexuel, note M. Gide, agissent comme un facteur puissant de la dépopulation ». Non seulement l’immoralité retarde le mariage ou en détourne, non seulement elle stérilise la puissance génératrice par les maladies vénériennes qu’elle occasionne, elle supprime encore l’enfant. C’est pourquoi la pornographie et la prostitution sont de grands malheurs. Elles tarissent les sources vives de la race, la recherche exclusive du plaisir souillant jusqu’à l’alcôve conjugale ».

Un écrivain boulevardier fait à ce propos une remarque un peu subtile, mais pleine de sens et bonne à méditer :

« Il est une raison que les prédicateurs de la repopulation n’ont pas mise en lumière, la raison psychologique la plus forte, celle qui résulte de l’importance excessive accordée à l’amour et proclamée par les arts. Chez les peuples prolifiques, l’amour nait au moment des fiançailles et meurt au moment du mariage : chez les gréco-latins, il nait au seuil du mariage et se prolonge au-delà de la seconde jeunesse. Or, si Schopenhauer ne s’est pas trompé, « le désir, c’est l’enfant ! » et l’enfant, en venant au monde, tue le désir, son auteur. Voilà pourquoi votre fille est muette, beaux-parents candides ! Voilà l’aboutissement d’une éducation trop raffinée, trop romanesque ! » (Pierre Veber, La Liberté, 17 mars 1922).

D’autre part, un journaliste écrit sur le même sujet : « Avec la vie chère l’une des causes de la dépopulation, c’est justement le progrès de la pornographie… Des générations habituées par leurs lectures à ne voir les relations sexuelles que par les yeux de Suzanne, de la « garçonne » ou de l’ « entremetteuse » sont vouées à la stérilité. Comptez les romans pornographiques, dont la diffusion est favorisée par l’indifférence ou la lâcheté des pouvoirs publics : plus leur tirage monte, plus la natalité baisse ; le voilà, le vrai synchronisme ». (Gustave Téry, L’Œuvre, 4 mars 1923).

Enfin, lisez cette énergique déclaration de M. de Lamarzelle au Sénat :

« La grande cause du mal est une cause purement morale. Qu’est-ce qui a fait le mal ? Ce sont toutes ces théories que nous entendons répéter partout, soutenir partout. Dans le livre, au théâtre, on nous parle du droit de faire sa vie, du droit du plaisir, du droit de la passion, du droit de la chair. Tous ces « droits » sont les ennemis des familles nombreuses, parce que, pour avoir une famille nombreuse, pour résister à cette vie facile qui nous menace de tous côtés et toujours, il faut avoir la force morale. Il faut surtout, et avant tout, l’esprit de sacrifice » (M. de Lamarzelle, séance du 20 juin 1923. Journal officiel, du 21 juin 1923, p. 1013).

Par ailleurs, l’homme et la femme, quand ils sont imbus de ces funestes doctrines, pratiquent l’adultère ou l’union libre : qu’ils aient fondé un foyer ou qu’ils aient résolu de n’en créer point, ils s’en vont chercher, loin des leurs, des voluptés momentanées et successives.

Dans un article publié par Le Figaro (17 novembre 1920), M. Gaston Rageot dénonçait en ces termes les progrès effroyables qu’a réalisé ce genre de désordre :

« Environ un quart de siècle, Maurice Donnay, entreprenant de peindre les fragiles liaisons de ce temps-là, intitulait sa pièce : Amants. Cela signifiait encore un amour en partie double, un homme et une femme, deux destinées. Maintenant Sacha Guitry, peintre non moins fidèle, inscrit tout bonnement sur l’affiche : Je t’aime.

« Je n’oublie point que, plusieurs siècles avant les représentations du théâtre Édouard VII, La Rochefoucauld affirmait que « tout le plaisir de l’amour est d’aimer » et que Goethe s’écriait brutalement : « Si je t’aime, est-ce que cela te regarde ?… » Plus plaisamment encore, un personnage de Porto-Riche avait fait cette remarque : « J’aime le poulet, je n’ai pas besoin que le poulet m’aime ! »

« Seulement, c’était de l’esprit ou du pessimisme. Aujourd’hui c’est l’amour même… Notre passion d’aujourd’hui est plus orgueilleuse : elle se flatte d’être éphémère et pose à l’être. Elle se présente avec la fougue des choses qui vont mourir et l’impétuosité des gens qui se pressent. Elle n’est pas romantique, mais positive ; elle n’est pas sentimentale, mais sensuelle ; pas exaltée, mais frénétique… Elle ne tient compte ni des circonstances, ni des êtres, et se soucie tellement peu d’aucun devoir qu’il peut lui arriver de les respecter tous. Elle s’accommode aussi bien du mariage que de l’aventure, puisque le mariage n’est plus qu’une aventure et souvent la plus facile à dénouer. Marions-nous ou ne nous marions pas, peu importe. « Je t’aime ! » — Pour combien de temps ?… — Comment veux-tu que je sache ?… L’instant est, d’après les philosophes, ce qui ressemble le plus à l’éternité… Soyons éternels ce soir !

« Tel est le dernier cri du cœur ». (Gaston Rageot , Le Figaro, 17 novembre 1920).

Toute la famille est atteinte. « Quinze ans, Roméo, l’âge de Juliette ! » Les adolescents eux-mêmes subissent l’action des idées qui empoisonnent leur ambiance : obsédés, démoralisés par tout ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, ce qu’ils lisent, ils se livrent trop souvent à des intempérances prématurées qui inquiètent autant les médecins que les sociologues.

Les jeunes gens sont, pour la littérature ennemie de la famille, des proies de choix.

Le R. P. de Pully, qui est certes qualifié pour traiter ce sujet, puisqu’il a longtemps dirigé à Paris un cercle très fréquenté, communiquait à la revue Lumen, au début de 1921, ces sagaces observations :

« Bien des parents, hélas ! sont étrangement confiants. Ils laissent parfois sous leurs yeux, leurs fils ou leurs filles se pervertir l’esprit ou le cœur, sans paraître y prendre garde.

« Ce roman que le jeune homme dévore en secret, et qui traîne sur sa table, parait inoffensif parce qu’il n’est pas obscène. Quelle erreur fatale ! Ce roman éveille et intensifie, dans une sensibilité de vingt ans, des rêves, des désirs, des émotions, qui, peu à peu captivent l’âme, l’absorbent, créent en elle une exaltation qui cherchera vite à se satisfaire.

« L’amour semble désormais à ce jeune homme la grande affaire, la seule affaire. Tout le reste finit par s’estomper pour lui. Il subit encore le cadre extérieur de son existence mais il s’en fatigue, il s’en lasse. La famille n’a plus pour lui d’attraits. Le travail en a moins encore. La piété le rebute. C’est un somnambule. Il parle, il va, il vient ; les apparences ne le trahissent pas encore au regard aveuglé des siens, mais il porte en lui un rêve, un rêve puissant, vers lequel convergent toutes ses pensées, tous ses projets, tous ses élans.

« La catastrophe se produira tôt ou tard. Car une sensibilité aussi exaltée ne peut longtemps demeurer muette. Et quand elle se produira, il sera souvent trop tard pour qu’on puisse espérer une guérison. Le mal sera trop profond parce que l’esprit aura été faussé. À lire les romanciers, ses maîtres, le jeune homme en est arrivé à penser que l’amour est quelque chose de sacré, de suprême, que rien ne règle ni n’explique, et que bien fou est celui qui sacrifie l’amour — quel qu’il soit, du reste — à des considérations d’un autre ordre.

« C’est que le roman sentimental, même s’il ne formule pas expressément cette thèse, la suppose, la met en action, la drape de toutes les séductions imaginatives. L’erreur, hélas ! conduit fatalement à l’erreur ».

Ces jeunes gens se refusent au mariage, non pour être plus chastes, mais pour être plus libres. C’est que malheureusement ils ont lu des livres écrits par des professeurs de débauche. Mais ils ne connaissent point cette leçon de Dumas fils : « Tu entendras dire autour de toi qu’un homme civilisé doit avoir connu des femmes avant son mariage… pour ne pas arriver maladroit, ridicule et désarmé devant celle qu’il épousera. Ce que tu entendras dire là n’est pas vrai. Ce n’est pas par la possession physique qu’on apprend à connaître les femmes. Plus les femmes en dehors du mariage livrent les secrets de leur corps, plus elles gardent ceux de leur âme. Les femmes que tu connaîtras ainsi seraient de malhonnêtes femmes qui te détourneraient de ta route, ou d’honnêtes femmes que tu détournerais de la leur. Elles ne t’apprendraient donc les premières qu’à mépriser les femmes, les autres qu’à te mépriser toi-même ». (Alexandre Dumas fils, L’Homme-femme, pp. 169-190).

Le dramaturge ne nous révèle pas cependant le fond de l’abjection. Laissons à un médecin le soin de le dénoncer.

Dans une lettre adressée à M. de Pierrefeu, rédacteur au Journal des Débats (28 septembre 1922), le Docteur Roques, ancien président de l’Académie des Sciences, belles-lettres et arts de Tarn-et-Garonne, s’exprimait ainsi : « Je suis tout simplement un père de famille, et, de plus, un médecin que son expérience professionnelle a depuis longtemps averti des meurtriers effets de la littérature immorale : car enfin, c’est bien sur le terrain de la médecine qu’elle nous force à la rencontrer, dans les conséquences très directes des excitations dont elle est seule responsable : et quelles tristes choses n’avons-nous pas tous les jours à constater !…

« Pardonnez, Monsieur, à un médecin que les ambulances de 1914-15 ont jeté sur une voie opposée à celle que vous indiquiez dans votre « Controverse » du 23 août. Dans ces tristesses et ces horreurs, il a retrouvé, lui aussi, la beauté de l’homme, mais seulement dans l’immatérielle splendeur de quelques âmes… Et si quelque chose peut être pire pour lui que l’épreuve subie alors, c’est, maintenant, de voir, avec tous ses confrères, les paysans qui nous restent pour « refaire la race » (?) atteints déjà, hélas ! par toutes les conséquences de la débauche ; c’est de voir les esprits pervertis et les cœurs souillés par la littérature la plus malsaine ».

Quant à la jeune fille, elle répugne peut-être moins au mariage ; une enquête récente semble l’avoir démontré.

Mais, en raison de l’ambiance contaminée par les sophismes que nous avons signalés, elle ne sait pas, elle se méprend sur le caractère du mariage :

« La femme qui lit des romans ou qui fréquente les théâtres ne sait pas si l’homme qui approche est celui qui lui faut, car elle n’a pas d’idéal organique, mais seulement des réminiscences de héros, de romans et de drames. Elle confond ses caprices avec les véritables besoins de son organisme, et commet à la légère les funestes méprises qui rendent une femme malheureuse pour la vie ». (Max Nordau, Paradoxes psychologiques, cité par la Revue encyclopédique, 1896, p. 20).

Parfois même — ce qui est le plus grave — la femme se trouve tellement déséquilibrée ou pervertie qu’elle est devenue incapable d’en remplir les devoirs et d’en supporter les charges :

« Qui ignore l’influence énervante des lectures érotiques, des spectacles et de certaines réunions mondaines, qui surexcitent prématurément les sens, passionnent l’imagination et jettent les jeunes personnes dans toutes les aberrations des rêveries romanesques, quand elles ne les précipitent pas dans l’hystéricisme ». (Decharmbre et Lereboullet, Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, au mot Maladies nerveuses, cité par La Revue des lectures, 15 avril 1920, p. 244).

D’autres fois — et malheureusement le cas n’est pas rare — elles en seront indignes… Une réflexion empruntée à un critique va préciser ma pensée :

« Venant après Les Don Juanes, de M. Marcel Prévost, La Garçonne, de M. Victor Margueritte achèvera de donner corps à un type féminin qui, sans ces deux livres, eut probablement tardé à se former. Beaucoup de jeunes femmes et de jeunes filles vont s’enhardir dans la voie du donjuanisme, où nos romanciers psychologues les assurent qu’elles trouveront des devancières et des émules dont l’exemple leur sera à la fois un excitant et une excuse. Je ne suis pas certain du tout qu’il y avait tant de « don juanes » et de « garçonnes », quand MM. Prévost et Margueritte en étaient encore à prendre des notes sur elles ; je ne puis douter qu’elles se multiplient désormais. Que de personnages de Balzac n’ont été vrais que par le même phénomène d’anticipation ! » (André Billy, L’Œuvre, 23 août 1922).

Et pour aggraver tant de défaillances, la femme de mauvaise vie offre aux uns ses séductions, aux autres les entraînements de ses scandales, à tous les hontes de sa gloire usurpée. Aux yeux de tout un public imprégné de la littérature ambiante, la reine qui gouverne le monde, ce n’est plus la femme qui, selon le mot de Ruskin, balance un berceau dans une paisible demeure, c’est celle qui partage sa vie entre les tréteaux, le trottoir ou la fange du ruisseau.

« On ne saurait soupçonner, écrivait Frédéric Le Play dans son ouvrage La Réforme sociale, les désordres sociaux provoqués à Paris par quelques milliers de femmes qui se tiennent en rébellion ouverte contre les devoirs de leur sexe ».

M. Henri Joly, membre de l’Institut, ajoutait : « Vous voulez abaisser de plus en plus la barrière qui sépare les honnêtes femmes et celles qui ne le sont pas, vous voulez encourager ces dernières à porter le front aussi haut que si elles avaient pris la grippe dans un autobus ou que leur hôtelier leur ait donné, sans précaution, les draps d’un tuberculeux. Prenez garde que toutes vos prévenances, vos marques d’intérêt, vos témoignages de discrétion, ne multiplient encore davantage le nombre des cas dangereux par la fausse sécurité que vous vous ingéniez à inspirer. Prenez garde surtout que vous ne précipitiez la décadence familiale par l’indifférence que vous propagez à l’endroit de ce qu’on appelle la liberté de disposer de soi-même ». (Henri Joly, de l’Institut, La Libre Parole, 5 avril 1920).

II

Les Quotidiens


Un mot sur les suppléments de L’Illustration. — La plupart des quotidiens : 1° glorifient et recommandent les romans et les pièces de théâtre nuisibles à la famille ; 2° mettent leur puissance énorme au service de la propagande des faits-divers criminels et passionnels, dont la lecture va à ruiner les vertus familiales.


Les quotidiens et les revues ont aussi, dans cette campagne antifamiliale, un rôle qu’il est impossible de négliger.

Je ne signalerai qu’en passant, la part importante qu’y prend une revue de famille fort répandue et dont les illustrations sont très légitimement appréciées dans toutes les parties du monde.

Cette revue de famille ne craint pas de joindre comme supplément à certains de ses numéros, des pièces de théâtre et parfois des romans qui préconisent l’amour libre et la débauche, au mépris des droits de la famille et du respect des âmes.

Cette propagande malencontreuse et néfaste a, nous le savons, soulevé à diverses reprises, la réprobation du public honnête ; elle se soutient cependant, et nous devons, une fois de plus, exprimer ici bien haut, notre surprise et nos regrets, sinon notre indignation.

Le cas des quotidiens de Paris et de province vaut que nous le signalions avec un peu plus d’insistance.

Premièrement, les journaux, sauf d’honorables exceptions, ont accoutumé de prôner et de pousser, parfois au détriment de la littérature honnête, les romans et les œuvres dramatiques qui combattent la famille.

Tous les jours, ils consacrent une ou plusieurs colonnes aux spectacles les plus dépravants, aux exhibitions scandaleuses qui se produisent dans les lieux les plus interlopes, aux spectacles dits de curiosité et qui en réalité ne sont rien de moins que des excitations à la débauche.

Une ou plusieurs fois par semaine, ils appellent l’attention de leurs lecteurs sur les livres nouveaux ; avec insistance, ils les louangent, ils les recommandent ; ils les comblent d’hyperboles. Et ces livres, le plus souvent, roulent sur des sujets que la morale condamne et constituent pour les familles un péril ou une tentation, même et notamment pour la jeunesse une cause de démoralisation.

L’assaut que livre ainsi la presse à l’intégrité morale et à la sécurité de la famille revêt une gravité particulièrement inquiétante. Conduit avec art, avec persévérance, avec toute la fertilité d’expédients dont disposent aujourd’hui les meneurs de l’opinion, continu, méthodique, universel, masqué sous les apparences de l’impartialité critique, de l’information nue, ou du témoignage le plus sincère, il force tout un public à capituler et à se livrer sans défense aux entreprises des corrupteurs de l’esprit familial.

En second lieu, la presse dont je parle met sa puissance multiplicatrice au service des faits-divers criminels ou passionnels.

Un assassinat vulgaire, un cambriolage compliqué, un crime atroce, effroyable, crapuleux, ont-ils été commis dans un mauvais lieu de la capitale ou dans un village obscur ? Une actrice, une irrégulière, une femme de mauvaise vie a-t-elle été mêlée à un vol mystérieux, à une aventure équivoque, à un de ces mille incidents qui traversent même les existences unies ? Il faut que ces événements soient colportés par la voix de la presse dans les foyers les plus paisibles, les plus honnêtes, les plus éloignés par leur genre de vie de cette qualité d’informations. Des reporters frénétiques se ruent vers le lieu du forfait ou de l’incident ; ils fouillent la vie privée, les mœurs, les secrets des victimes, ils établissent leur hérédité, montrent leurs tares, étalent leurs souffrances intimes, commentent, amplifient, dramatisent. Puis, ils campent la silhouette du coupable dans une attitude de défi, ils en font un personnage de tragédie moderne, un héros du mal, auquel son méfait même sert d’auréole.

Et quand cette besogne est achevée, le journal s’envole à travers les villes et les villages. Là, il ne tombe pas seulement aux mains des bandits et des polissons, il franchit le seuil de nos maisons, il envahit les salons du riche et le modeste appartement de l’ouvrier ; il est lu par le père, par la mère, par les jeunes gens, par les jeunes filles et par les enfants. C’est l’exemple criminel à domicile, c’est le scandale quotidien à la portée de tous. La littérature ennemie de la famille, la voilà.

III

Les illustrés pornographiques


Par leur diffusion considérable, par la faveur qu’elles rencontrent, ces publications honteuses font un mal dont il est impossible de juger la gravité.


Quels que soient les méfaits des quotidiens, il existe cependant des journaux qui dépassent de beaucoup, leur impudence et leurs ravages. Ce sont les journaux spécialisés dans la pornographie.

Ces journaux, luxueux ou non, illustrés ou non, font de la propagande pornographique leur objet exclusif et leur but unique ; ils font métier et marchandise de l’immoralité ; ils n’ont, en toute vérité, qu’une raison d’être : gagner de l’argent en vendant de l’ordure, en exploitant le vice, en prêchant la luxure, en favorisant la débauche, en dépravant les âmes des jeunes gens et des jeunes filles, en corrompant la race, en dissolvant les mœurs publiques, en ruinant le bon renom de la France à l’étranger.

Ces journaux — ils sont plus de vingt, à ce que m’a appris un critique éprouvé — ces journaux sont mis en vente dans toutes les bibliothèques de gares, dans les kiosques, dans certains bureaux de tabac et dans la plupart des dépôts de presse. Ils s’y étalent en piles, et tirent l’œil des passants, des jeunes gens et même des enfants, par leurs dehors aguichants et leurs illustrations hautes en couleur.

Ils sont achetés et beaucoup achetés ; ils sont lus et beaucoup lus ; ils sont infiniment plus répandus qu’on ne le suppose, même dans les meilleures familles. Parmi tous les fléaux qui ravagent notre société, il en existe peut-être de si redoutables, il n’y en a pas probablement de plus honteux pour notre civilisation.

IV

Les illustrés pour enfants


Ces illustrés très répandus, constituent une entreprise de contre-éducation qui, accaparée par une maison trop connue, devient un danger national.


Cet inventaire de la littérature ennemie si incomplet que je le veuille laisser, manquerait cependant d’un élément essentiel, si je n’y mentionnais, au moins par quelques mots, les mauvais illustrés pour enfants.

Je ne veux pas refaire, ni même résumer l’ouvrage que le R. P. de Parvillez a consacré à ce grave sujet : je me réduis à consigner trois faits.


Un premier fait qui frappe les hommes les moins clairvoyants, c’est l’extraordinaire diffusion de cette sorte de littérature.

À l’étalage des boutiques populaires, à la devanture des bibliothèques de gares et des kiosques, ces mauvais illustrés attirent, saisissent, violentent les regards de la jeunesse par leur couverture outrageusement illustrée. Ils se présentent en piles, ils sont variés par leur prix comme par leur contenu. De telle sorte qu’il ne se rencontre pas de gosse si exigeant, de gamine si capricieuse qui ne puissent trouver une pâture à son goût. Non plus, il ne se rencontre peut-être pas une seule famille en France qui puisse se croire à l’abri de cette invasion.

Deuxième fait. Cette littérature absurde, policière, sanglante, bassement sentimentale, et cette déplorable imagerie, constituent dans notre pays une entreprise de contre-éducation, dont les effets se multiplient par des manifestations de plus en plus inquiétantes. Des éducateurs, tels que M. Ferdinand Buisson, M. Félix Pécaut, des hommes publics, tels que M. Violette et M. Bonnefous, des publicistes tels que M. Vandérem, M. Veuillot, des hommes de loi, tels que M. Henri Robert et M. Raymond Hesse, ont depuis longtemps dénoncé ces ravages.

Ces productions cependant n’ont pas cessé de sévir, ni elles n’ont ralenti leur travail de destruction. Les pères de famille qui veulent ouvrir les yeux n’éprouveront pas de peine à constater peut-être chez eux, l’existence de ce fléau.

Troisième fait. Cette abondante littérature de contre-éducation est, sinon monopolisée, accaparée — et de plus en plus — par une maison dont les bruyantes réclames et l’éclatante prospérité devraient faire rougir de honte tous les bons Français.

Les directeurs de cette maison, en effet, sont d’origine allemande ; et de plus, ils ont été, à plusieurs reprises, condamnés par les tribunaux français pour outrages aux mœurs. Et ils continuent leur propagande par la publication d’illustrés pornographiques ! Et ils continuent, sous les yeux clos des pères de famille, à s’introduire dans nos maisons, pour y placer leurs journaux, pour faire, eux, l’éducation de nos enfants, de nos jeunes gens et de nos jeunes filles. Quelle honte !

Dans un article publié dans L’Écho de Paris, le 1er janvier 1917, M. de Lannoy disait :

« Nous le considérons (le cas Offenstadt) comme tristement représentatif d’un état de choses trop général, hélas ! avant la guerre et qui devra complètement cesser dorénavant. Permettre que des Allemands ou des naturalisés de fraîche date puissent contribuer à l’empoisonnement moral du pays est véritablement intolérable ».

C’est intolérable. Et pourtant, nous le tolérons. Voilà un fait. Il est mon dernier. Je passe à l’examen de vos droits.

  1. Ainsi L’Énigme, de Paul Hervieu, Le Torrent, de Maurice Donnay établissent les droits supérieurs de l’adultère ; La Marche nuptiale, Résurrection, La Femme nue et en général toutes les œuvres de Henri Bataille ; celles d’Ibsen, de Porto-Riche et de George Sand prêchent les revendications de l’instinct. On trouvera des exemples détaillés, pour ce qui concerne le théâtre, dans le remarquable ouvrage de François Veuillot, Les Prédicateurs de la scène, auquel nous avons emprunté les observations qui précèdent.
  2. Le romancier ennemi de la famille continue son œuvre, avec Le Compagnon. Comme il l’écrit lui-même dans Comœdia (25 août 1923), il poursuit, en l’élargissant, le sillon commencé en 1896 : « J’espère avoir fait ici, déclare-t-il, un pas en avant. Les femmes que jusqu’ici j’avais tenté d’animer, n’étaient que des bourgeoises en mal d’évolution. Annik Raimbert, sœur de Monique dans la libération physique ; va plus loin qu’elle, dans l’émancipation de l’esprit… Elle va jusqu’au bout de ses croyances, elle accomplit intégralement l’étape. » En effet, elle n’admet point d’autre joug que l’amour, et refuse le mariage, pour l’exemple, pour prouver que l’union libre vaut l’union légalisée.
    C’est cette doctrine abominable, essentiellement antifamiliale, anarchique, sauvage, que certains journaux, admis dans les familles et soutenus par les conservateurs, ont contribué à propager, en accordant au roman Le Compagnon l’appui de leur publicité. Tels sont notamment : L’Éclair (20 août, 21 août, 22 août, 23 août, 28 août, 30 août) ; Excelsior (19 août, 21 août, 23 août, 24 août, 28 août, 3 septembre, 4 septembre, 14 septembre) ; Le Figaro (28 août, 31 août, 4 septembre) ; Le Journal des Débats (20 août, 21 août, 22 août, 26 août, 30 août, 31 août) ; La Liberté (17 août, 24 août, 25 août, 26 août, 29 août, 21 août) ; Le Temps (20 août, 24 août, 25 août, 26 août, 30 août, 31 août, 2 septembre, 4 septembre 1923) ; etc.
  3. Depuis que ces lignes ont été écrites, Mme Henriette Charasson a publié, dans Les Lettres du 1er août 1923, une étude fouillée et d’une singulière force d’argumentation sur le fameux dramatiste.
    « La femme que nous présente M. de Porto-Riche, dit-elle, c’est la femme orientale, l’échappée du harem, sans dignité, sans retenue, sans discipline morale, asservie aux sens et qui ne songe jamais qu’à s’attaquer à la partie basse de l’amour mâle… L’homme, l’amoureux de M. de Porto-Riche, est un être abject, sans volonté, sans dignité, dont la bonté même est avilissante, dont le désir aboutit toujours à une satiété compliquée de cruauté. »
    Ce théâtre, ajoute la distinguée critique, a mis en faveur certaines mœurs inquiétantes. Par exemple, « les jeunes gens ont adopté avec les femmes une attitude qui avilit celles-ci… On présente au grand jour dans les livres, on discute à voix haute dans les salons, des mœurs contre nature, offensantes pour la femme, auxquelles on eût osé à peine faire allusion naguère. Les femmes ne s’en révoltent pas… »
    Mais tout l’article doit être lu et médité, par ceux qui ne veulent pas délibérément ignorer la cause des fléaux qui ravagent la famille française.