La Nouvelle Emma/31

La bibliothèque libre.
Traduction par anonyme.
Arthus Bertrand Libraire (Tome 3p. 89-114).
◄  XXX
XXXII  ►

CHAPITRE XXXI.

La première fois qu’on vit madame Elton, ce fut à l’église ; mais quoique sa présence pût donner des distractions, la curiosité ne fut pas satisfaite de la voir dans un banc ; il fallait s’en rapporter aux visites de cérémonie qu’on devait lui rendre, pour décider si elle était très-belle, passablement belle, ou pas belle du tout.

Emma résolut d’être une des premières à lui rendre ses devoirs, plus par orgueil et bienséance, que par curiosité ; et pour se débarrasser de cette désagréable affaire tout d’un coup, elle résolut de conduire Henriette avec elle.

Elle ne put entrer dans le presbytère pour la seconde fois, se retrouver dans la chambre où elle avait réparé le désordre de sa chaussure, sans rappeler à son souvenir mille pensées chagrinantes. Complimens, charade, d’horribles bévues ; et on suppose bien que de son côté, Henriette n’en fut pas exempte, mais elle se conduisit bien ; seulement elle était pâle et garda le silence.

La visite fut courte, suivant l’usage. Cela, joint à l’embarras d’esprit, empêcha Emma de former son opinion sur la nouvelle mariée, et d’en dire autre chose, sinon qu’elle était bien mise et paraissait agréable ; ce qui ne signifiait rien.

La vérité est qu’elle ne lui plut pas. Elle ne se pressa pas de lui trouver des défauts, mais elle ne reconnut en elle aucune élégance, des manières aisées, et même beaucoup trop pour une jeune étrangère nouvellement mariée. Sa personne n’était pas mal, et sa figure était aussi assez bien ; mais point de traits, son air, sa voix et ses manières annonçaient une femme du commun. Emma crut au moins qu’elle passerait pour telle qu’elle se la figurait.

Quant à M. Elton, elle ne put juger de ses manières, ou elle ne se permit pas d’en parler. Dans tous les temps possibles, une visite de noce est une cérémonie peu agréable, et il faut que le mari le soit beaucoup pour s’en tirer convenablement. La femme appelle à son aide sa modestie et ses beaux habits ; mais l’homme n’a que du bon sens à invoquer, et si l’on considère la position malheureuse dans laquelle se trouvait M. Elton : dans la même chambre, il voyait la femme qu’il venait d’épouser, celle qu’il avait eu grande envie d’avoir, et enfin une autre qu’on voulait lui donner, l’on ne sera pas surpris qu’il fit triste figure, et qu’il fût mal à son aise.

« Eh bien ! mademoiselle Woodhouse, dit Henriette, dès qu’elles furent sorties du presbytère, que pensez-vous de madame Elton ? N’est-elle pas charmante ? »

Emma ne répondit pas sur-le-champ.

« Oh ! oui, c’est une femme assez agréable. »

« Elle me paraît très-belle. » ( Elle soupire ).

« Elle est bien mise, sa robe est très-élégante. »

« Je ne suis pas du tout surprise qu’il en soit devenu amoureux. » (Autre soupir).

« Il n’y a rien de surprenant à cela. Une fortune passable, et puis elle s’est jetée à sa tête. »

« Je suis très-persuadée, répliqua Henriette, en soupirant de nouveau, qu’elle l’aimait beaucoup. »

« C’est possible, mais il n’est pas donné à tout homme d’épouser la femme qui l’aime le mieux. Il est très-probable qu’elle avait besoin de s’établir, et que cette offre fut la plus avantageuse qui pût s’offrir à elle. »

« Oui, dit Henriette vivement, elle a bien fait de l’accepter, personne n’en pouvait désirer une meilleure. Je désire de tout mon cœur qu’ils soienl heureux. Maintenant, mademoiselle Woodhouse, je crois qu’à présent je pourrai les voir sans en être affectée. Il est toujours l’être supérieur que je l’ai vu, mais étant marié, c’est tout différent. Vous pouvez être tranquille sur mon compte ; je puis maintenant le regarder et l’admirer sans grand danger. J’ai tant de plaisir à voir qu’il s’est bien marié ! Elle me paraît charmante, tout juste la personne qu’il méritait. Qu’elle est heureuse ! Il l’appelle Augustine. Le joli nom ! »

Lorsque la visite fut rendue à Emma, elle fixa son opinion, elle avait eu le temps de voir et de juger. Henriette n’étant pas à Hartfield, et M. Woodhouse tenant compagnie à M. Elton, Emma eut un quart-d’heure de conversation avec son épouse. Ce quart-d’heure lui suffit pour reconnaître que madame Elton était vaine, très-contente d’elle-même, se croyait une femme de conséquence, qu’elle avait intention de briller et d’afficher une supériorité à laquelle ses manières formées à une mauvaise école, son ton hautain et familier, ne lui donnaient aucun droit. Elle crut observer, en outre, que si elle n’était pas sotte, elle était ignorante, et que la société d’une telle femme ne rendrait certainement pas M. Elton heureux.

Il aurait beaucoup mieux fait d’épouser Henriette. Si elle n’était pas instruite, elle l’aurait lié avec des personnes qui l’étaient ; mais il était naturel de supposer que mademoiselle Hawkins, d’après les grands airs qu’elle se donnait, avait été la personne la plus accomplie de la société qu’elle voyait. Le riche beau-frère, près Bristol, faisait par son alliance, l’orgueil de la famille ; il avait des châteaux, des voitures, etc. À peine était-elle assise, qu’elle parla de Maple-Grove, résidence ordinaire de son beau-frère, M. Suckling. Elle compara Maple-Grove à Hartfield. Les terres autour d’Hartfield n’étaient pas d’une grande étendue, mais bien distribuées, la maison était moderne et bien bâtie. Madame Elton parut approuver la dimension des salles, de l’entrée et de tout ce qu’elle voyait. « En vérité cela ressemble à Maple-Grove, je suis extrêmement surprise d’une si parfaite ressemblance. Cette chambre est aussi longue et aussi large que celle où se tient ma sœur, le matin, à Maple-Grove ; c’est celle qu’elle préfère. Elle en appela au témoignage de M. Elton. « N’êtes-vous pas frappé de la ressemblance ? En vérité je croirais presque que je suis encore à Maple-Grove. »

« Et l’escalier, vous savez que je vous l’ai observé en entrant, placé exactement de même. Je vous assure, mademoiselle Woodhouse, qu’il m’est extrêmement agréable de me trouver dans une maison qui me rappelle Maple-Grove. J’y ai passé de si heureux jours ! Charmant endroit ! Tous ceux qui y viennent en sont enchantés. Quant à moi, je le regardais comme ma maison. Lorsque, comme moi, vous serez déplacée, mademoiselle Woodhouse, vous sentirez combien il est doux de se rappeler les lieux qu’on a quittés. C’est suivant moi un des plus grands désagrémens du mariage que d’être obligé de se déplacer. »

Emma ne répondit qu’un mot, mais madame Elton, qui avait envie de parler, s’en contenta.

« Si ressemblant à Maple-Grove ! Non-seulement la maison, mais même les terres qui l’entourent. Les lauriers à Maple-Grove y sont en aussi grande profusion qu’ici ; placés de la même manière, dans l’ouverture, entre les bois. J’ai aperçu un grand arbre avec un banc tout au tour, qui me fait souvenir de… Oh ! mon frère et ma sœur seront enchantés d’Hartfield : les gens qui ont une grande étendue de terre sont charmés d’en voir d’arrangées comme les leurs. »

Emma n’était pas de son avis ; elle pensait au contraire que les gens possesseurs de grandes terres se souciaient fort peu des terres des autres. Mais croyant inutile de redresser cette erreur, elle se contenta de dire :

« Quand vous connaîtrez mieux ce pays, je crains bien que vous ne pensiez que vous avez conçu une trop bonne opinion d’Hartfield. Le comté de Surry est plein de beautés. »

« J’en suis persuadée, c’est le jardin de l’Angleterre. »

« Oui, mais si nous n’avions pas d’autres prétentions que celle-là, ce ne serait pas grand’chose, car on donne ce nom-là à plusieurs comtés. »

« Non, je ne crois pas, répliqua madame Elton, avec un sourire de satisfaction, je ne l’ai jamais entendu donner qu’au comté de Surry. »

Emma garda le silence.

« Mon frère et ma sœur ont promis de nous rendre visite ce printemps, ou au plus tard cet été. Nous profiterons de cette circonstance pour faire des excursions. Pendant leur séjour nous en ferons beaucoup, j’en suis sûre. Ils viendront sans doute dans leur landau, qui contient à l’aise quatre personnes, et sans parler de notre voiture, nous serons à même de reconnaître les différentes beautés du pays. Je ne crois pas que dans cette saison ils viennent en chaise de poste. Mais quand le temps de leur arrivée approchera, je leur écrirai qu’il faut qu’ils viennent dans leur landau. Lorsqu’on visite un beau pays, vous savez, mademoiselle Woodhouse, qu’on est bien aise de tout voir, et M. Suckling trouve beaucoup de plaisir à aller en reconnaissance. Nous nous sommes portés sur King’s-Weston deux fois l’été passé, peu après l’acquisition du landau. Je suppose que pendant l’été vous faites souvent de ces parties. »

« Non, pas ici, nous sommes éloignés des beautés qui font l’objet des parties dont vous parlez ; nous sommes des gens tranquilles, et en général plus portés à rester à la maison, qu’à faire des parties de plaisir. »

« Ah ! rester à la maison, c’est ce que j’aime sur toute chose, personne n’est plus casanière que moi ; j’étais passée en proverbe à cause de cela à Maple-Grove. Sélina a dit plusieurs fois, en partant pour Bristol : Il m’est impossible de tirer cette fille de la maison : je suis obligée de sortir, quoique je déteste d’être seule dans le landau ; mais Augustine, de sa propre volonté, ne dépasserait jamais les barrières du parc. Elle a souvent répété cela, quoique je ne sois pas du tout portée à approuver une entière solitude. Je crois au contraire qu’il est fort mal de se retirer tout à fait de la société ; qu’il faut aller dans le monde ni trop ni trop peu. Je vois votre situation, mademoiselle Woodhouse, (regardant M. Woodhouse) l’état de la santé de M. votre père doit vous empêcher de sortir souvent. Pourquoi n’essaie-t-il pas Bath ? Il devrait y aller. Je suis persuadée que les eaux lui feraient du bien. »

« Mon papa a été à Bath plusieurs fois, sans que sa santé se soit améliorée, et M. Perry, dont le nom vous est sans doute connu, assure que les eaux de Bath ne peuvent lui faire aucun bien. »

« C’est grand dommage, car je vous assure, mademoiselle Woodhouse, que lorsque les eaux conviennent, elles opèrent des merveilles : j’en ai vu tant d’exemples lorsque je demeurais à Bath ! C’est une ville si agréable, que cela seul serait d’un grand service à M. Woodhouse, dont les esprits sont abattus ; et quant à vous, je ne perdrai pas le temps à vous la recommander. Les avantages de Bath, pour les jeunes personnes sont assez connus. Ce serait une charmante introduction dans le monde pour vous, qui avez presque toujours été renfermée à la maison ; et je pourrais vous assurer tout en arrivant, une des meilleures sociétés de la ville. Un mot de ma main fera accourir au-devant de vous une foule de connaissances ; et mon intime amie, madame Partridge, avec qui je demeurais à Bath, aura pour vous les plus grandes attentions, et c’est là la personne la plus propre à vous conduire dans le monde. »

Emma eut bien de la peine à se retenir. L’idée de devoir à madame Elton ce qu’on appelle une introduction dans le monde ; d’être présentée dans la société sous les auspices d’une dame Partridge, probablement quelque pimpante veuve qui, au moyen d’une pensionnaire, vivait tant bien que mal ! La dignité de mademoiselle Woodhouse d’Hartfield se trouvait en vérité bien ravalée !

Elle se contint, et se contenta de remercier madame Elton très-froidement, observant que Bath ne lui convenait pas plus qu’à son papa ; et, pour éviter de nouveaux affronts, elle changea de sujet.

« Je ne vous demande pas si vous êtes musicienne, madame ; ordinairement la réputation des talens précède toujours l’arrivée des personnes qui les possèdent. Depuis long-temps on connait les votres à Highbury, où l’on sait que vous êtes d’une force supérieure sur le piano. »

« Oh ! non, en vérité. De la première force ! bien loin de là, je vous assure. Considérez, je vous prie, la partialité de la personne qui a transmis cette information. Je suis folle de la musique, je l’aime avec passion ; mes amis me persuadent que j’ai du goût ; mais pour l’exécution, je suis très-ordinaire, très-médiocre, je vous assure. Vous, mademoiselle Woodhouse, je sais que vous jouez à ravir. Je vous avoue que j’ai senti une vive satisfaction d’apprendre qu’il y avait des amateurs de musique dans la société du pays que j’allais habiter. Je ne puis vivre sans musique ; je la regarde comme une des choses nécessaires à la vie ; et ayant toujours été accoutumée à une société musicale à Bath et à Maple-Grove, ç’aurait été un grand sacrifice pour moi. J’ai eu l’honnêteté de le dire à M. Elton, lorsqu’il me parlait de ma nouvelle habitation, et m’exprimait les craintes qu’il avait à ce sujet, et surtout de la petitesse de sa maison, sachant de quelle manière j’avais toujours été logée, et il n’était pas sans crainte. L’entendant parler ainsi, je m’empressai de lui dire que j’abandonnais volontiers le monde, les parties, les bals, les spectacles, et que je ne craignais pas la solitude avec les ressources personnelles que j’ai, pouvant me suffire à moi-même. Pour ceux qui n’ont pas ces ressources, c’est différent ; mais les miennes me rendent parfaitement indépendante. Quant à avoir des salles plus petites que celles que j’avais auparavant, je n’y pense nullement. Certainement je vivais dans les grandeurs à Maple-Grove, et je lui donnai ma parole que, pour être heureuse, je n’avais pas besoin de deux voitures ni de grands appartemens ; mais je lui avouai avec candeur que je ne pouvais pas vivre sans faire de la musique. »

« Nous ne pouvons pas supposer, dit Emma en souriant, que M. Elton ait hésité à vous assurer que vous trouveriez une société musicale à Highbury, et j’espère qu’il n’aura outrepassé la vérité qu’autant que le motif de le faire le lui permettait. »

« Certainement non, je suis convaincue qu’il n’a rien dit de trop. Il est satisfaisant pour moi de me trouver dans un pareil cercle. Je me flatte que nous aurons de charmans petits concerts ensemble. Je pense, mademoiselle Woodhouse, que nous devrions, vous et moi, instituer une société de musique qui s’assemblerait une fois la semaine chez vous ou chez nous. Ce plan tous plaît-il ? Je crois que si nous nous mettons à la tête, nous aurons bientôt des alliés. J’ai besoin de quelque chose de semblable pour me tenir en haleine, car les femmes mariées, vous savez, abandonnent ordinairement la musique de bonne heure. On raconte beaucoup d’histoires à ce sujet. »

« Mais vous, qui êtes si passionnée pour la musique, il n’y a pas de danger que cela vous arrive. »

« Je pense que non ; mais cependant, lorsque je jette les yeux sur mes connaissances, je tremble. Sélina l’a abandonnée tout à fait ; elle ne touche aucun instrument, quoiqu’elle joue très-bien, et on en peut dire autant de madame Jeffereys, jadis mademoiselle Claire Patridge ; des deux Milman, à présent mesdames Bird et Cooper, et de tant d’autres que je ne puis compter. En vérité, c’est effrayant. J’étais fort en colère contre Sélina ; mais je commence à comprendre qu’une femme mariée a bien d’autres occupations. J’ai été enfermée ce matin au moins une bonne demi-heure avec ma femme de charge. »

« Mais toutes ces choses une fois arrangées. »

« Fort bien, dit madame Elton en riant ; nous verrons. »

Emma la trouvant à peu près déterminée à quitter la musique, n’eut plus rien à dire ; et après un moment de silence, madame Elton parla d’autres choses.

« Nous avons été à Randalls, dit-elle ; nous avons trouvé tout le monde à la maison. M. et madame Weston paraissent fort aimables ; ils me plaisent infiniment. Madame Weston semble être une excellente créature ; je suis enchantée d’elle. Elle a été votre gouvernante, je crois ? »

Emma fut si étonnée d’un pareil propos, qu’elle ne put répondre ; mais madame Elton, sans y faire attention, continua.

« Avant su cela, j’ai été surprise de lui trouver l’air d’une dame, tout à fait les manières d’une femme comme il faut. »

« Les manières de madame Weston, dit Emma, ont toujours été distinguées par la propriété, la simplicité et l’élégance. Elle a toujours pu servir d’exemple aux jeunes personnes de son sexe. »

« Et qui croiriez-vous qui est venu pendant que nous y étions ? »

Emma ne put le deviner ; cependant le ton de sa question annonçait quelqu’un de connaissance.

« Knightley ! continua madame Elton, Knightley en personne ! N’était-ce pas heureux ? car n’étant pas à la maison lorsqu’il y passa l’autre jour, je ne l’avais pas encore vu, et comme c’est l’ami intime de M. E…, je mourais d’envie de le connaître ; et je rends justice à mon cara sposo, et dire qu’il ne devait pas avoir honte de son ami. Knightley a l’air et les manières d’un homme comme il faut ; je suis enchantée de lui ; tout en lui annonce l’homme bien né. »

Heureusement il était temps que la visite finît ; ils partirent, et Emma put respirer. Femme insupportable, s’écria-t-elle, pire que je ne me l’étais imaginé ! Knightley ! je n’aurais pas pu le croire. Knightley, qu’elle n’a jamais vu, et l’appeler Knightley tout court ! Et d’avoir découvert qu’il avait l’air d’un homme comme il faut ! Une petite parvenue, commune, avec M. E. et son cara sposo, ses ressources personnelles, ses airs et ses prétentions des halles. Elle a eu l’esprit de s’apercevoir que M. Knightley est un homme bien né. Je ne crois pas qu’il lui fasse le même compliment, et qu’il la prenne pour une femme bien née. Je ne l’aurais jamais cru. Et de prétendre qu’elle et moi formions une société musicale ! On croirait que nous sommes intimes. Et madame Weston, elle est surprise que la personne qui m’a élevée ait l’air d’une dame. De pis en pis. Je n’ai encore vu rien de semblable. Henriette est de cent piques au-dessus d’elle. Que dirait Frank Churchill, s’il était ici ? Combien cela l’amuserait ! Que lui dirait-il ? Ha ! m’y voici ; je me surprends à penser à lui. Frank Churchill se place comme de lui-même dans mon esprit. »

Tout cela lui passa par la tête avant que son père ne se fût remis du fracas que lui avait causé la visite des Elton, et fût en état de parler, ainsi qu’elle de l’entendre.

« Eh bien, ma chère, commença-t-il par dire, considérant que nous ne l’avons jamais vue avant cette visite, elle paraît une assez jolie femme ; et je suis très-persuadé qu’elle a été contente de vous. Elle parle un peu trop vîte ; elle écorche les oreilles. Mais je suis peut-être trop délicat : je n’aime pas à entendre des voix étrangères ; et personne ne parle comme vous et mademoiselle Taylor. Néanmoins, elle me semble agréable, ses manières sont gentilles ; et je crois qu’elle deviendra pour M. Elton une très-bonne épouse. Je pense cependant qu’il aurait mieux fait de ne pas se marier. Je lui ai fait mes excuses de ne lui avoir pas rendu visite ; et je l’ai assuré que je ne manquerais pas d’aller le voir dans le courant de l’été. Mais j’aurais dû y aller auparavant. Ne pas rendre ses devoirs à une nouvelle mariée, c’est une faute, et cela prouve que je suis invalide : je crains ce détour avant d’arriver au presbytère. »

« Vos apologies, papa, ont été bien reçues ; j’en suis sûre, M. Elton vous connaît. »

« Oui, mais une jeune dame nouvellement mariée. Oh ! j’aurais dû lui rendre mes devoirs le plus tôt possible. J’ai manqué. »

« Mais, mon cher papa, vous n’aimez pas les mariages : pourquoi seriez-vous si fâché d’avoir manqué à rendre visite à M. Elton ? Ce serait recommander le mariage, si vous avez tant d’égards pour de nouveaux mariés. »

« Non, ma chère, je n’ai jamais conseillé à personne de se marier ; mais je voudrais toujours rendre aux dames ce qui leur est dû, particulièrement à une jeune épouse qui a le pas partout, quelque qualifiées que soient les personnes avec lesquelles elle se trouve. »

« Fort bien, mon cher papa, si ce n’est pas encourager le mariage, je ne m’y connais pas, et je n’aurais jamais cru que vous ayez tendu un pareil piège aux jeunes filles. »

« Ma chère, vous ne me comprenez pas. C’est une affaire qui n’a rien de commun avec le mariage, c’est un devoir que commandent la politesse et le savoir vivre. »

Emma ne dit plus rien. Son père avait une attaque de nerfs et ne pouvait l’entendre. Les insultes de madame Elton lui revinrent à l’esprit, et l’occupèrent long-temps.