La Réaction païenne/Partie I/Chapitre I

La bibliothèque libre.
L’Artisan du livre (p. 19-54).

CHAPITRE PREMIER

LES TEMPS DE SÉCURITÉ ET DE DÉDAIN
(de 40 à 160)

I. L’incuriosité païenne à l’égard du christianisme naissant. — II. La lettre de Claude aux Alexandrins. — III. La prétendue correspondance de Sénèque avec saint Paul. — IV. Le rapport de Pline le Jeune à l’empereur Trajan. — V. L’incendie de Rome, sous Néron, d’après le récit de Tacite. — VI. Les allusions de Suétone. — VII. Une mention d’Épictète. — VIII. La lettre d’Hadrien à Servianus. — IX. Phlégon de Tralles.

I

Nous n’aurons pas la naïveté de nous étonner que les lettrés, contemporains des premiers progrès du christianisme, en aient très rarement parlé[1]. Ils paraissent n’en avoir soupçonné ni la véritable importance, ni les promesses d’avenir. Ils ne se sont pas doutés que la civilisation occidentale, telle qu’ils en chérissaient l’image, que la société civilement et politiquement organisée dont les formes séculaires leur paraissaient si solidement établies, dût être renouvelée un jour par une secte obscure, sur laquelle s’appesantirent de bonne heure les rigueurs de l’autorité. Il est rare que les témoins des transformations sociales en mesurent exactement le dynamisme et l’orientation. Puis, la plupart des grands Romains des premiers siècles de l’Empire étaient à ce point détachés de toute foi positive que les mouvements religieux qui agitaient les foules leur paraissaient relever plutôt des surveillances policières que de l’audience des esprits cultivés.

Une allusion — très douteuse, très problématique — dans un rescrit impérial ; une lettre assez substantielle de Pline le Jeune ; deux brèves mentions dans Suétone ; un dramatique récit dans Tacite ; un simple mot dans Épictète : voilà à quoi se réduit la documentation que nous ont léguée le ier siècle et le iie siècle commençant.

II

Devons-nous faire état de la fameuse lettre de l’empereur Claude au préfet d’Égypte, L. Æmilius Rectus ?

Cette lettre nous est connue grâce à un papyrus de 109 lignes trouvé pendant l’hiver de 1920-1921 dans la région du Faïyoûm, près de Darb-el-Gerza, l’ancienne Philadelphia, et conservé actuellement au British Museum[2].

Elle n’est pas datée, mais la notification qu’en donne le gouverneur est faite à une date qui correspond dans le calendrier romain au 10 novembre 41.

Le rescrit comprend trois parties.

Glaude se défend d’abord contre les basses flatteries des Grecs d’Alexandrie qui veulent lui décerner les honneurs réservés aux dieux (temple, grand-prêtre, statues érigées dans les lieux saints). Il règle ensuite certaines requêtes, d’ordre politique, qu’ils lui ont présentées. Enfin il morigène Grecs et Juifs, qui se sont récemment heurtés en de violentes émeutes, et il les invite à se faire réciproquement les concessions indispensables au bon ordre public et à la bonne harmonie.

C’est dans la troisième partie que se lisent les lignes dont la signification est ardemment controversée.

En voici la traduction, telle que l’a proposée Salomon Reinach[3].

Défense aux Juifs d’attirer ou d’inviter d’autres Juifs à venir par eau de Syrie ou du reste de l’Égypte, ce qui m’obligerait à concevoir à leur égard de plus graves soupçons. S’ils ne s’abstiennent pas d’agir ainsi, je les poursuivrai par tous les moyens, comme fomentant une sorte de maladie commune à tout l’univers.

Peu après la publication du papyrus de Londres, par H. J. Bell, en 1924, M. de Sanctis[4] et M. Salomon Reinach[5] signalaient presque simultanément l’exceptionnelle importance de cet avertissement.

Reinach estimait qu’il est quasi impossible de n’y pas lire une allusion de Claude à l’activité missionnaire qui commençait dès lors, sans doute, à rayonner d’Antioche, centre de la première propagande chrétienne, par delà les limites de la Palestine et de la Syrie.

Ainsi, plusieurs années avant l’entrée en scène de l’apôtre Paul (vers 45), la prédication messianique s’exerçait déjà au dehors, et cela au point d’inquiéter l’autorité romaine ! Ce stade initial de l’extension chrétienne était jusqu’ici totalement inconnu. Contrairement à ce qu’affirmait Ernest Renan[6], les premiers missionnaires chrétiens n’avaient donc pas négligé l’Égypte, qui avait été, au contraire, un de leurs objectifs immédiats.

Salomon Reinach soulignait aussi le jugement de l’empereur sur cette prédication, génératrice de désordre. Claude l’appelle une « maladie ». Quelque temps après, le rhéteur Tertullus traitera saint Paul de « peste » (λοιμός[7]). Vers 111, Pline le Jeune parlera de la contagio istius superstitionis. Tacite dira malum, exitiabilis superstitio, à propos de la secte chrétienne. Et sous plus d’une plume païenne réapparaîtront dans la suite ces qualifications méprisantes.

Nous serions donc en présence du premier témoignage profane sur la mission chrétienne primitive, considérée dès lors comme une menace contre la société humaine, contre l’Oikouménè tout entière.

La thèse Sanctis-Reinach suscita des adhésions chaleureuses, mais aussi de vives oppositions (Jülicher, Guignebert, Batiffol, Lagrange, von Soden, etc.). M. Stephan Lösch[8] a résumé, en dernier lieu, les raisons qui interdisent de croire qu’elle soit historiquement fondée. Les voici, avec les mises au point indispensables.

1o  Le rescrit impérial ne fait aucune allusion à des conflits religieux qui mettraient aux prises divers éléments des communautés juives d’Alexandrie ou de Syrie. Il ne vise que les luttes entre Juifs et Grecs. Si de tels conflits avaient soulevé les uns contre les autres, vers 40, les Juifs d’Alexandrie, il serait surprenant qu’il n’y ait eu d’abord, à Antioche même, aucune sédition de ce genre. Or Malalas-23, l’historien byzantin, qui a utilisé une chronique de la ville d’Antioche, signale bien dans les dernières années de Caligula de sanglants combats entre les païens et les Juifs, mais il ne note pas de troubles dans les groupements juifs proprement dits.

2o  Claude-parle d’une sorte de maladie contagieuse qui menace l’oikouménè, c’est-à-dire tout l’univers habité. S. Reinach entend par là « l’énorme agitation née en Palestine », qui serait apparue sporadiquement un peu partout. Mais le moyen de croire qu’en 41 tout l’univers romain ait déjà été ébranlé, ou parût susceptible de l’être, par l’action conquérante du christianisme ? Supposons au contraire que Claude ne redoute autre chose qu’une fermentation d’antisémitisme-23, au cas où les éléments juifs d’Alexandrie se grossiraient d’apports étrangers. Alors son état d’esprit s’explique. « Il sait très bien que les Juifs étant fort remuants, et dispersés dans le monde entier, tout ce qui les touche peut causer un ébranlement général[9]. »

3o  Quant à l’expression nosos, maladie, pour désigner les agitations politiques, M. Lösch a fort bien montré qu’elle n’est nullement une nouveauté, qu’aurait suscitée l’inquiétante diffusion de la foi nouvelle. L’équation στάσιςνόσος avait été posée par Platon dans le Sophiste (228 A), à propos des troubles de l’âme. Et cette identité entre la « discorde » et la « maladie », Platon l’avait transposée lui-même dans l’ordre politique : « Tout homme incapable de participer à la pudeur et à la justice doit être mis à mort comme un fléau de la cité (ὡς νόσον πόλεως[10]) ». Depuis lors la comparaison, simplifiée en métaphore, était devenue courante dans la langue politico-juridique des Grecs. On la rencontre chez Xénophon, chez Démosthène, chez Polybe, chez Diodore, chez Galien, chez Plutarque, etc. Claude parle donc — ou sa chancellerie le fait parler — d’une façon toute traditionnelle, et selon le formulaire coutumier, pour désigner les tumultes, les séditions dont il s’emploie à prévenir le retour.

Ce que Claude redoute des Juifs à Alexandrie, ce n’est pas leur messianisme, si hétérogène au judaïsme hellénisé ; c’est leur nombre et l’antisémitisme qui s’ensuit. Tuteur naturel de la paix, Claude redoute que, de proche en proche, la réaction antisémite provoquée par un afflux nouveau de Juifs dans Alexandrie ne se propage à travers le monde romain et n’y allume de fâcheuses discordes.

Nous n’avons pas le droit d’annexer sa lettre aux textes profanes où le christianisme naissant est certainement visé.

III

Autant en dirons-nous (pour d’autres raisons) de la prétendue correspondance entre Sénèque et saint Paul, qui nous est venue en de nombreux manuscrits[11].

Elle se compose de huit courtes lettres de Sénèque et de six réponses plus courtes encore de Paul. Le contenu en est assez insignifiant. Ce sont surtout des politesses affectueuses qu’échangent le philosophe et l’Apôtre. Sénèque exprime à Paul la vive impression qu’il a éprouvée à la lecture des Épîtres, d’une substance morale si riche[12]. Il lui déclare que son ambition la plus chère, c’est d’être considéré comme un autre Paul[13]. Il n’a pas craint d’en lire quelques-unes à l’empereur, qui en a été très vivement frappé[14]. — Toutefois il se permet une réserve. Quel dommage que de si belles choses soient écrites en un style inégal à leur majesté[15] ! Il y a là un dédain exagéré des ornements purement littéraires ; et Sénèque invite Paul à montrer un peu plus de souci du bien-dire[16]. Çà et là, quelques allusions aux événements contemporains : par exemple, à la persécution consécutive à l’incendie de Rome[17].

Les réponses de saint Paul sont particulièrement ternes. Il remercie Sénèque de ses impressions favorables. « Je m’estime heureux de l’appréciation d’un homme comme vous[18] ! » Il exprime des craintes au sujet de la petite indiscrétion que Sénèque a commise en faisant connaître à l’empereur ses écrits[19]. Mais il espère que le philosophe se constituera, à la cour impériale, le propagateur de l’indéfectible sagesse du Christ[20].

Dès la fin du ive siècle, saint Jérôme signalait, dans son De Viris illustribus (§ 12) l’existence d’une correspondance entre Sénèque et saint Paul. Il s’excuse d’introduire le nom de Sénèque, auteur profane, dans un catalogue réservé aux écrivains chrétiens, et fait valoir cette considération que, de son temps, beaucoup de gens lisent les lettres de Paul à Sénèque et de Sénèque à Paul.

On s’est demandé si la correspondance que nous possédons est bien celle à laquelle Jérôme fait allusion. Une raison sérieuse conseille d’accepter l’identification : Jérôme cite dans le même paragraphe une phrase extraite du recueil, laquelle se retrouve à peu de chose près dans notre lettre XI[21].

Mais une question se pose : comment l’auteur de cette prétendue correspondance a-t-il pu supposer que saint Paul ait écrit en latin, et non pas en grec ?

Car telle est évidemment son erreur. Autrement, il n’aurait pas eu l’idée de faire donner à Paul des leçons de style par Sénèque, auteur latin, qui va jusqu’à proposer à l’Apôtre de l’aider à se corriger[22].

Il est donc vraisemblable que cet inconnu appartenait, malgré son respect pour Sénèque, à un milieu médiocrement cultivé ; et que, comme le dit Harnack[23], « enfermé dans un horizon exclusivement latin, il n’a jamais songé que son christianisme et sa Bible étaient d’origine grecque ».

Voilà qui incline à penser que le recueil a dû être formé au cours du ive siècle ; car, plus tôt, une telle confusion eût été plus étrange encore.

Le but du faussaire apparaît clairement. Ce qu’il voudrait, c’est non pas tant recommander aux chrétiens la lecture de Sénèque, que combattre indirectement les répugnances des lettrés païens à l’égard de la forme insuffisamment littéraire des premiers écrits chrétiens. Il souligne l’admiration de Sénèque pour le fond même des Épîtres de Paul, encore que le style en paraisse quelquefois choquant. C’était par là même induire les délicats à percer l’enveloppe qui leur déplaisait, et à goûter le noyau substantiel qui y était inclus. De très bonne heure, les tendances de la philosophie de Sénèque — son souci profond de la culture morale, son hostilité contre les faux biens qui dégradent insensiblement les âmes — l’avaient mis à part des autres penseurs païens. Tertullien lui-même, si dur pour la philosophie laïque, avait remarqué ces affinités entre Sénèque et le christianisme ; et, d’un mot bref, il les nota : « Seneca saepe noster[24]. »

Le faussaire n’avait donc pas mal choisi son personnage. Il a beaucoup contribué à former la légende d’après laquelle Sénèque devrait au christianisme le meilleur de sa pensée. Nul n’ignore la faveur que cette légende rencontra au moyen âge, et avec quelle imprudente naïveté certains critiques modernes ont cru devoir l’accueillir.

Le fait est que Sénèque — qui connaît fort bien les Juifs et n’a pour eux aucune amitié — ne souffle mot des chrétiens. S’il a subi l’influence de leurs doctrines, ce serait par des voies détournées, et sans qu’il s’en doutât lui-même.

IV

Avec Pline le Jeune, nous prenons pied sur un terrain solide.

On sait quel était Pline. Mommsen le tenait pour une personnalité chétive et sans relief — ce qui lui aurait permis de traverser l’époque de Domitien sans appeler sur lui l’attention redoutable du tyran. Ce jugement est à reviser. Que Pline ne soit ni un penseur de grande envergure, ni même un artiste véritablement créateur, nul n’en disconviendra. Mais comment méconnaître la variété de ses aptitudes ? Il est orateur, l’un des premiers de son temps ; il est homme du monde, et il est homme de lettres, partout réputé ; il est grand avocat, magistrat à l’occasion, administrateur chargé de fonctions particulièrement délicates. Et il supporte ces tâches multiples, non pas avec résignation et minimum d’efforts, mais avec sérieux, avec zèle, en payant de sa personne. Il garde d’un bout à l’autre de sa carrière une ardeur presque juvénile, un enthousiasme dont l’aliment constamment renouvelé est fait de son amour pour l’État, pour la littérature, pour ses amis — et pour la gloire. Ce n’est pas un génie, soit ; mais c’est un beau type de Romain cultivé, et un exemplaire remarquable de cette aristocratie provinciale qui fut la meilleure force de l’époque des Antonins.

Vers 111 Trajan lui demanda d’accepter une mission en Bithynie, au nord de l’Asie Mineure, avec le titre de légat et le rang de proconsul. Depuis plusieurs années l’administration de la province était désorganisée, et avait besoin d’être vigoureusement reprise en main. Pline déploya dans ce rôle nouveau pour lui une application presque touchante. Un peu timoré, il redoutait les initiatives, et il consultait Trajan sur tous les cas qui lui semblaient douteux, tellement il désirait bien faire. — Or, un jour, la question chrétienne surgit devant lui, et il ne manqua pas de l’exposer tout entière à l’empereur dans un rapport que nous possédons.

L’authenticité de ce rapport a été souvent contestée depuis le xvie siècle.

La Correspondance de Pline et de Trajan, qui constitue le xe siècle des Lettres, a eu, au point de vue de la tradition manuscrite, une destinée spéciale, différente de celle des neuf premiers livres. Elle nous est venue par un seul manuscrit, un Parisinus, qui semble s’être perdu dès le xvie siècle, après avoir servi de base à l’édition de Hiéronymus Avantius, en 1502 et à l’édition, plus complète, d’Alde, en 1508. Nous n’avons d’ailleurs aucune raison de douter de l’existence de ce manuscrit : Guillaume Budé le connaissait, il l’a cité dans ses remarques sur les Pandectes (en 1506) et E.-G. Hardy a retrouvé à la Bibliothèque Bodléienne d’Oxford, en 1889, un grand nombre de variantes que Budé lui-même avait notées d’après ce Parisinus.

Il serait donc impossible de condamner globalement le recueil des lettres de Pline à Trajan, et personne ne s’y risque plus aujourd’hui. Mais il subsiste encore quelques vestiges de défiance à l’endroit de la lettre relative aux chrétiens[25].

Une raison très forte milite pour l’authenticité. Dès la fin du second siècle de notre ère, en 197, Tertullien citait la lettre de Pline, au chapitre ii de son Apologeticus, en des termes si précis qu’évidemment il l’avait sous les yeux :

Pline le Jeune, alors qu’il administrait une province, condamna quelques chrétiens, il en délogea d’autres de leur position [c’est-à-dire : il les contraignit à l’apostasie] ; puis, effrayé tout de même de leur grand nombre, il consulta l’empereur Trajan sur ce qu’il devait faire désormais. Il lui exposait qu’à part l’obstination des chrétiens à ne pas sacrifier, il n’avait pu découvrir, au sujet de leurs mystères, autre chose que des réunions tenues avant le jour pour chanter des cantiques en l’honneur du Christ et de Dieu[26], et pour resserrer les liens d’une discipline qui défend l’homicide, l’adultère, le vol, la perfidie et tous les autres crimes…

Tertullien résume avec fidélité les premiers paragraphes de la lettre. Et ce qui prouve que celle-ci circulait dès cette époque, c’est que le traducteur qui entreprit de mettre l’Apologeticus en grec, peu après l’apparition du livre, ne se contenta pas de reproduire les expressions employées par Tertullien dans le passage que j’ai cité : il s’aida, pour plus d’exactitude encore, de la lettre même de Pline — certains détails de style décèlent cette collation[27].

Combien trouverait-on de textes anciens aussi fortement garantis ?

On fait état, pour le contenu même de la lettre, d’apparentes difficultés ou de prétendues invraisemblances. Il est étrange, dit-on, que Pline, qui est un juriste, rompu aux choses du Droit, semble ignorer la législation romaine relative aux chrétiens. — Mais il ne l’ignore nullement ! Il sait fort bien que la loi frappe les chrétiens, et que ceux qui persévèrent obstinément dans cette qualité sont voués au supplice (supplicium minatus, § 3). Seulement, chargé d’appliquer la loi, il s’est trouvé en face de questions d’espèces qu’il n’a su comment trancher. Et c’est sur les détails de la procédure, sur les modalités de l’action juridique, qu’il a voulu s’éclairer auprès de Trajan lui-même, pour ne pas faire d’inutiles hécatombes. Quoi de plus naturel que de tels scrupules chez un magistrat honnête homme ?

Les autres objections ne sont pas plus valables. Nous marchons ici sur un sol parfaitement sûr[28]. Cette lettre, fortement construite et d’une belle venue, est bien sortie de la plume de Pline le Jeune. Lisons-la dans sa teneur complète[29]. Pline dut l’écrire dans les environs d’Amisus (aujourd’hui Samsoûn), au N.-O. du Pont[30].

1 Je me suis fait une habitude, Seigneur, d’en référer à vous sur toutes les affaires où j’ai des doutes. Qui, en effet, peut mieux que vous me diriger dans mes hésitations ou instruire mon ignorance ?

Je n’ai jamais assisté à aucun procès contre les chrétiens. Aussi ne sais-je ce qu’on punit ordinairement chez eux et sur quoi porte l’enquête, ni jusqu’où il faut aller[31].

2 De là pour moi de sérieuses perplexités : faut-il tenir compte de l’âge ; ou bien, en pareille matière, n’y a-t-il pas de différence à faire entre la plus tendre jeunesse et un âge plus robuste ? Faut-il pardonner au repentir ; ou celui qui a été chrétien déclaré ne doit-il bénéficier en rien d’avoir cessé de l’être ? Est-ce le nom lui-même, abstraction faite de tout acte ignominieux, ou les ignominies inséparables du nom, que l’on punit[32] ?

Provisoirement, voici la ligne de conduite que j’ai adoptée à l’égard de ceux qui m’ont été déférés comme chrétiens. 3 Je leur ai directement posé la question : « Êtes-vous chrétiens ? » À ceux qui ont avoué qu’ils l’étaient, j’ai répété cette même question une seconde, une troisième fois, en les menaçant du supplice. Ceux qui ont persisté y ont été conduits par mon ordre. Un point, en effet, hors de doute pour moi, c’est que, quoi qu’on dût penser du fait ainsi avoué, cet entêtement, cette inflexible obstination méritaient d’être punis[33].

4 Il y en eut quelques autres, atteints de la même folie, que, vu leur titre de citoyens romains, j’ai notés pour être envoyés à Rome.

Puis, comme il arrive, avec les progrès de l’instruction l’accusation a fait tache d’huile, et plusieurs cas particuliers se sont présentés.

5 Un libelle anonyme m’a été remis, contenant beaucoup de noms. Ceux qui ont nié qu’ils fussent ou qu’ils eussent été chrétiens, ceux-là, une fois qu’ils eurent invoqué après moi les dieux, supplié par l’encens et le vin votre image — que j’avais pour cela fait apporter avec les statues des divinités — et par surcroît maudit Christus, toutes choses auxquelles, dit-on, ne peuvent être amenés par la force ceux qui sont vraiment chrétiens, j’ai cru devoir les faire relâcher.

6 D’autres, nommés par le dénonciateur, ont dit qu’ils étaient chrétiens, et bientôt ils ont nié qu’ils le fussent, assurant qu’ils l’avaient bien été, mais qu’ils avaient cessé de l’être, les uns depuis trois ans, les autres depuis plus longtemps encore, certains depuis plus de vingt ans. Et tous, ils ont aussi vénéré votre image, les statues des dieux, et maudit Christus.

7 Or ils affirmaient que toute leur faute, ou toute leur erreur, s’était bornée à se réunir habituellement à jour fixe, avant le lever du soleil, pour réciter entre eux alternativement un hymne (carmen) à Christus comme à un dieu, et pour s’engager par serment, non à tel ou tel crime, mais à ne point commettre de vols, de brigandages, d’adultères, à ne pas manquer à la foi jurée, à ne pas nier un dépôt, quand il leur était réclamé ; que, cela fait, ils avaient coutume de se retirer, puis de se réunir de nouveau pour prendre ensemble une nourriture, mais une nourriture tout ordinaire et innocente[34] ; que, cela même, ils avaient cessé de le faire depuis l’édit par lequel, conformément à vos instructions, j’avais interdit les hétéries[35].

8 Ces déclarations m’ont fait regarder comme d’autant plus nécessaire[36] de procéder à la recherche de la vérité par la torture même sur deux femmes esclaves, qu’ils appelaient des ministrae[37]. Je n’ai rien trouvé qu’une superstition absurde, extravagante.

Aussi, suspendant l’instruction, ai-je résolu de vous consulter. 9 L’affaire m’a paru le mériter, surtout à cause du nombre de ceux qui sont compromis. Voilà une foule de gens de tout âge, de toute condition, de l’un et l’autre sexe, qui sont appelés devant la justice, ou le seront. Ce ne sont pas seulement les villes, ce sont les bourgs et les campagnes que la contagion de cette superstition a envahies. Je crois qu’on pourrait l’arrêter et y porter remède. 10 Ainsi il est déjà constaté que les temples, qui étaient à peu près abandonnés, sont de nouveau fréquentés ; que les fêtes solennelles, longtemps interrompues, sont reprises, et qu’on expose partout en vente la viande des victimes[38] pour laquelle on ne trouvait plus que de très rares acheteurs[39]. D’où il est facile d’inférer quelle multitude de gens on peut ramener, si l’on ouvre la porte au repentir.

On voit, ou plutôt l’on devine, à travers ces suggestions déférentes, le sentiment intime de Pline le Jeune. Il sévit parce que la loi l’y oblige. Ses cruautés mêmes sont celles d’un haut fonctionnaire qui n’admet pas qu’on lui résiste, ni qu’on se joue de lui. Mais il n’y mêle aucune animosité personnelle. Il répugne aux exécutions en masse. Toute sa lettre tend à insinuer à Trajan des conseils de clémence, en lui montrant combien il serait aisé de désabuser les indécis, et quelles difficultés préparerait une répression rigoureuse, étant donné le nombre de coupables qu’il faudrait frapper.

C’est qu’à tout prendre son enquête ne lui a révélé rien de vraiment suspect. Sans doute les tortionnaires n’avaient-ils pu arracher aux deux ministrae aucune révélation compromettante. Il envisage toute l’affaire sous l’aspect juridique, sans faire abstraction de l’humanitas qui lui est naturelle. Mais le mystère d’une foi si tenace chez quelques-uns ne l’a nullement intrigué. Il laisse tomber de très haut quelques mots dédaigneux : amentia, superstitio prava, immodica. Un lettré de grand style, un ami de Trajan, ne se met pas en peine de telles sornettes, et n’a cure d’y regarder de plus près.

Rappelons la réponse de Trajan :

La marche à suivre, mon cher Pline, dans l’instruction des causes de ceux qui t’ont été déférés comme chrétiens, était bien celle que tu as suivie. On ne peut poser une règle générale, ni de forme pour ainsi dire immuable. Il ne faut pas les rechercher. Si on les dénonce, et qu’ils soient convaincus, il faut les punir, avec cette réserve que celui qui affirmera qu’il n’est pas chrétien et prouvera son dire par un acte — en adressant des supplications à nos dieux — obtiendra sa grâce par son repentir, quand même son passé le rendrait suspect.

Quant aux dénonciations anonymes qui te sont remises, il n’en faut tenir compte dans aucun genre d’accusations ; car ce serait là chose d’un détestable exemple, et qui n’est plus de notre temps.

Dans ce court billet, l’empereur fixe le droit, ou plutôt il détermine les modalités d’application d’une loi certainement préexistante. Il ne veut pas aller jusqu’au bout de la rigueur. Il ne veut pas de persécution générale. Les magistrats ne prendront pas l’initiative des poursuites. Les accusés qui leur seront déférés par des dénonciateurs agissant à visage découvert devront, en tous cas, prouver qu’ils renoncent à la qualité de chrétiens. La preuve juridique de leur sincérité, ce sera un sacrifice offert aux dieux. Mais plus de libelles anonymes : le « siècle » d’un Trajan rejette ces odieux procédés, qui sont d’un autre âge.

V

Le 19 juillet de l’année 64, un incendie se déclara à Rome, non loin de la porte Capène, dans la partie du grand cirque contiguë au mont Palatin et au mont Cœlius. Le feu trouva un facile aliment dans les boutiques de petits négociants, de parfumeurs, de droguistes qui pullulaient de ce côté de la ville ; il parcourut toute la longueur du cirque, dévasta le quartier commerçant du Vélabre, le Forum, les Carines (à l’extrémité ouest de l’Esquilin), attaqua le Palatin, redescendit dans les vallées, et ne put être arrêté qu’après six jours et sept nuits, au pied des Esquilies.

Les vigiles romains, dont le matériel était inégal à un tel fléau, avaient usé de leur procédé coutumier : ils avaient fait le vide devant l’incendie, en abattant quantité de maisons.

Le fléau se ranima pourtant auprès d’une propriété qui appartenait à Tigellin (le favori de Néron), et il exerça ses ravages pendant trois jours encore dans des quartiers moins denses, mais où s’élevaient de nombreux monuments. Le 28 juillet seulement, il fut enfin maîtrisé. Des quatorze régions entre lesquelles Auguste avait divisé la ville, trois étaient anéanties, quatre seulement restaient intactes, et les pertes en vies humaines furent terriblement lourdes.

Naturellement la question des responsabilités se posa tout de suite devant l’opinion. Tacite, qui a tracé un tableau pathétique du désastre au XVe livre de ses Annales, laisse entendre de la façon la plus explicite, et à diverses reprises, qu’un soupçon atroce grandit peu à peu dans les masses. La conflagration n’aurait-elle pas été provoquée par un ordre formel de Néron ?

Certes, on ne pouvait reprocher au prince d’être resté inerte devant le désastre. Dès que les nouvelles s’étaient aggravées, il était revenu d’Antium ; il avait ouvert aux sinistrés sans abri les édifices publics et ses propres jardins ; il avait fait construire en toute hâte des baraquements, réquisitionné des meubles à Ostie et dans les villes voisines, distribué du blé presque pour rien. — Ces mesures énergiques ne faisaient pas taire les méchants bruits. On prétendait que, pendant l’incendie, ce monomane de littérature, ce dilettante incorrigible, était monté sur une hauteur d’où se découvrait à lui le panorama terrifiant, et que, une lyre entre les mains, il avait chanté la ruine de Troie, par une allusion aisée à comprendre, mais souverainement déplacée, à la calamité présente. On remarquait aussi que, quelque zèle qu’il mît à reconstruire Rome plus belle, plus salubre, plus prestigieuse encore qu’elle ne l’était auparavant, il était en train de satisfaire sans compter une de ses plus folles ambitions, en se faisant bâtir pour son propre usage cette fameuse Aurea Domus qui devait couvrir plus d’un mille carré, et où il allait accumuler les plus dispendieuses magnificences.

N’était-il pas évident qu’il avait voulu, au prix d’un attentat inouï, réaliser ce rêve d’une Rome, d’un palais enfin dignes d’un artiste tel que lui, qui hantait depuis longtemps son imagination sans frein ?

Néron ne pouvait ignorer l’état d’esprit de la multitude et, quelque conscient qu’il fût de son pouvoir, il était bien obligé d’en tenir compte, et de ménager l’opinion. Il essaya d’apaiser les ressentiments, justifiés ou non, en multipliant les parades religieuses. Les livres sibyllins furent solennellement consultés et, d’après leur réponse, on fit toutes sortes de prières publiques et de cérémonies expiatoires, auxquelles les dames romaines durent coopérer de leur personne.

Mais il fallait trouver quelque combinaison plus impressionnante, et qui offrît un plus efficace exutoire à l’émoi populaire.

C’est ici que se place le fameux chapitre 44.

Ni les secours humains, ni les largesses du prince, ni les expiations ne pouvaient faire reculer le soupçon infamant que l’incendie avait eu lieu par ordre.

Pour faire taire cette rumeur, Néron substitua des accusés et infligea les tortures les plus raffinées à des hommes, odieux à cause de leurs abominations, que le vulgaire appelait chrétiens[40]. Celui dont ils tiraient ce nom, Christ, avait été, sous le règne de Tibère, livré au supplice par le procurateur Ponce Pilate. L’exécrable superstition, réprimée un instant, faisait irruption de nouveau, non seulement en Judée où le fléau avait pris naissance, mais jusque dans Rome où tout ce que l’univers produit d’atrocités et d’infamies afflue et trouve des adeptes.

On se saisit d’abord de ceux qui avouaient ; puis, sur leurs indications, d’une multitude considérable, convaincue, moins du crime d’incendie, que de haïr le genre humain. Aux agonies on ajoute la dérision : des hommes enveloppés de peaux de bêtes périrent déchirés par les chiens, ou attachés à des croix, ou réservés au feu, et, à la tombée du jour, allumés en guise de flambeaux nocturnes. Néron avait prêté ses jardins pour ce spectacle, et y donnait des jeux de cirque, mêlé à la foule en habit de cocher, ou monté sur un char.

Aussi, bien que ces hommes fussent coupables et dignes des dernières rigueurs, une pitié s’élevait dans les cœurs, parce qu’ils semblaient sacrifiés, non à l’intérêt général, mais à la cruauté d’un seul.

Où Tacite a-t-il puisé les éléments de ce passage ? Il ne le dit pas : on sait qu’il est avare de ce genre de renseignements, même là où, d’après les principes qu’il arbore[41], il aurait dû se faire une obligation de citer ses garants. La mention de Ponce Pilate ferait penser à une source officielle. En tous cas, ce que nous constatons, c’est que la police romaine avait fort bien su faire la discrimination entre les Juifs et les chrétiens, pour limiter à ceux-ci son opération. Il est probable que les Juifs l’y avaient obligeamment aidée. Ils jouissaient d’une grande faveur auprès de Poppée qui pratiquait elle-même, semble-t-il, une partie des rites juifs[42] : nombreux étaient alors les prosélytes du judaïsme[43]. Il serait étrange que, sans une protection spéciale, détestés comme ils l’étaient des Romains, ils n’eussent même pas été effleurés par des mesures policières de cette brutalité.

Ce chapitre projette une subite lumière sur l’Église de Rome, en cette période un peu mystérieuse des débuts. Jusque-là nous ne savions d’elle que les brefs renseignements fournis par saint Paul dans l’Épître aux Romains. Et voici que, dès l’année 64, elle apparaît comme singulièrement florissante, puisque Tacite nous apprend que le coup de filet de la police ramena une ingens multitudo. Encore est-il évident que tous les fidèles ne furent pas captés, et que plus d’un passa à travers les mailles.

Le sentiment personnel de Tacite sur toute cette affaire n’est pas trop difficile à démêler. Il n’est aucunement contristé de la rafle qui avait permis de délivrer Rome d’une peste aussi nuisible que la secte chrétienne (per flagitia invisos ; exitiabilis superstitio ; odio generis humani ; adversus sontes et novissima exempla meritos). Mais il ne peut s’empêcher de noter que, de l’avis général, la répression dépassa toute mesure. C’est qu’il n’envisageait lui-même sérieusement que deux hypothèses : ou bien c’était Néron qui avait fait mettre le feu à la ville ; ou bien il fallait incriminer le seul hasard[44]. Il ne se décide pas à prendre parti. Mais il relève si soigneusement les indices suspects dont l’opinion s’était emparée contre Néron, qu’il achemine ses lecteurs à une conclusion que, lui-même, en tant qu’historien, ne se reconnaît pas le droit de soutenir formellement.

Le procédé lui est, du reste, assez familier. Certains lui en font honneur comme d’une preuve de sa loyauté, qui lui interdit d’en dire plus qu’il n’en pense et de dépasser la ligne où s’arrêtent ses certitudes ; d’autres estiment que ces insinuations obliques, coulées à petit bruit, décèlent plus de prudence équivoque que de véritable fermeté morale.

Que ce fussent les chrétiens qui eussent réellement fomenté l’incendie, certains historiens modernes l’ont admis[45], en exploitant le correpti qui fatebantur de Tacite. Mais l’historien n’indique pas le « contenu » de leurs aveux. Ces mots peuvent fort bien signifier que la police arrêta d’abord un certain nombre de suspects, qui ne voulurent pas nier leur qualité de chrétiens. Dès lors, une fois l’instruction commencée, on dut provoquer leurs dénonciations par tous les moyens, y compris, sans aucun doute, la torture ; et ainsi, de proche en proche, le nombre des inculpés grossit au point de devenir une « immense multitude ». Si Tacite avait admis que les chrétiens fussent vraiment des incendiaires, et se fussent désignés eux-mêmes comme tels, pourquoi aurait-il tu, au début de son récit, cette constatation vérifiée ? Et pourquoi, à la fin, eût-il nié que les suppliciés aient été sacrifiés à l’intérêt public ? La vindicte sociale n’appelait-elle pas un châtiment sans pitié, à titre de sanction et d’exemple ?

Tacite tient les chrétiens pour une vile multitude, pour un dangereux ramas. Mais, dans sa pensée, c’est au palais impérial qu’il faut chercher le vrai responsable de la catastrophe. Et c’est bien en ce sens que la tradition antique, la païenne et la chrétienne, s’est tout entière prononcée[46].

VI

Nous ne savons pas, je l’ai dit, comment le christianisme avait constitué à Rome ses formations du début, ni quels missionnaires l’y avaient apporté. Il paraît probable que la prédication chrétienne se fit d’abord dans les synagogues juives. Les Juifs étaient, de longue date, fort nombreux à Rome et fort remuants. Cicéron ne se sentait point rassuré pour sa sécurité personnelle, quand, en 59 avant notre ère, il plaidait pour L. Valerius Flaccus, lequel avait brimé les Juifs d’Asie : c’est qu’il connaissait la solidarité de ce peuple, et son art de remuer les assemblées (quanta sit manus, quanta concordia, quantum valeat in contionibus[47]). Les Juifs formaient au Transtévère, c’est-à-dire au delà du Tibre, dans la partie la plus sordide de Rome, des communautés fort denses. Il était normal que leurs coreligionnaires déjà gagnés à la foi du Christ, et venus d’Orient pour propager la bonne parole, les fissent bénéficier en premier lieu de leur message de salut.

Naturellement cette prédication suscita dans les milieux juifs une émotion très vive. Il dut y avoir d’âpres discussions, des rixes, des commencements d’émeutes, comme il s’en était produit plus d’une fois dans les cités d’Orient. La police romaine ne pouvait rester inerte devant ces désordres réitérés. Sans doute dressa-t-elle un rapport qui fut remis aux autorités. Et Suétone — qui écrit dans le premier tiers du second siècle, mais utilise consciencieusement les pièces d’archives auxquelles son poste à la chancellerie impériale, sous Hadrien, lui donnait libre accès — nous apprend qu’entre autres mesures administratives l’empereur Claude « chassa de Rome les Juifs qui se livraient à de continuelles séditions, à l’instigation de Chrestus ». (Claudius Iudaeos impulsore Chresto adsidue tumultuantes Roma expulit[48].)

De cette expulsion en masse (qui dut n’être faite qu’assez mollement[49]) nous trouvons une confirmation intéressante dans les Actes des Apôtres. Les collaborateurs zélés qui hébergèrent saint Paul à Corinthe, Aquilas, un fabricant de tentes, et sa femme Priscille, y étaient arrivés récemment, éliminés de Rome par l’édit de Claude[50].

Sans doute la police romaine, en cette première rencontre, n’avait-elle pas essayé de faire le départ entre Juifs authentiques et Juifs déjà convertis, et avait-elle dû supposer que le Chrestus, dont elle entendait répéter si souvent le nom, était quelque agitateur de même nationalité. Suétone transcrit l’indication, sans se mettre en peine d’en vérifier lui-même le sens exact, n’en ayant ni la curiosité ni les moyens. On doit maintenir contre les doutes de certains[51], que le nom de ce Chrestus, c’est bien celui du Christ, tel que l’articulait la foule[52]. Chrestus était à Rome un nom propre assez courant, c’est entendu[53] : mais qu’il y ait eu simple coïncidence, on peut raisonnablement se refuser à l’admettre[54].

Dans sa notice sur Néron, Suétone est amené à mentionner en quelques mots, parmi les réglementations dont cet empereur avait pris l’initiative, les peines rigoureuses infligées aux chrétiens[55].

On imposa des bornes au luxe ; on réduisit les festins publics à des distributions de vivres ; il fut défendu de vendre dans les cabarets aucune denrée cuite, en dehors des liqueurs et des herbes potagères, alors qu’on y servait auparavant toutes sortes de plats ; on livra aux supplices les chrétiens, sorte de gens adonnés à une superstition nouvelle et malfaisante[56] ; on interdit les ébats des conducteurs de quadriges, etc.[57].

La façon dont Suétone encadre ce memento de la persécution de l’année 64 est significative : un épisode sans intérêt, une équitable sanction, voilà quelles impressions il a gardées du peu qu’il en a su. Les mots qu’il emploie ne sont pas sans portée. Le christianisme est pour lui une « superstition ». Nous avons déjà rencontré le mot chez Pline le Jeune. Il est pris très ordinairement en mauvaise part : déjà Cicéron l’opposait expressément à religio : « Non philosophi solum, verum etiam maiores nostri superstitionem a religione separaverunt. » « Non seulement les philosophes, mais aussi nos ancêtres ont distingué entre « superstition » et « religion »[58]. » — Cette superstition est « nouvelle ». Voilà une tare qui suffisait à la rendre suspecte, et qui, dans la suite, lui sera souvent reprochée[59]. S’il y a un principe dont les Romains aient été pénétrés, c’est assurément celui-ci : toute institution, quelle qu’elle soit, qui se rattache à un passé lointain a droit au respect. La croyance à la supériorité de l’humanité primitive, au double point de vue de la « science » et de la « vertu » n’était pas étrangère à une telle conviction, que professaient les moralistes les plus autorisés[60]. Il faut connaître cet état d’esprit pour comprendre l’insistance avec laquelle les premiers avocats du christianisme se défendront contre le grief de nouveauté, et s’attacheront à démontrer que, soudée au judaïsme, qui l’avait précédée et préparée, la religion du Christ n’est point nouvelle, qu’elle a derrière soi la majesté des siècles, dont l’ombre auguste doit la protéger[61]. Plus tard, les chronographes chrétiens du iiie siècle, tels que Jules l’Africain, saint Hippolyte, n’auront d’autre ambition que de reprendre avec une rigueur plus systématique et sur un plan plus vaste cette preuve capitale, que l’érudition un peu tumultuaire des apologistes avait insuffisamment précisée et développée. — Enfin cette superstition est « maléfique » : le mot traîne après soi les vieilles terreurs latines à l’égard des pratiques occultes qui, selon l’opinion commune, pouvaient compromettre le sort des moissons, gâter les santés florissantes, assujettir toute vie humaine aux puissances invisibles déchaînées par certains actes associés à certaines formules. Jusqu’aux derniers temps de l’Empire vivra dans les âmes la peur de cet art terrifiant, de ses incantations, de ses envoûtements, de ses breuvages, de ses philtres[62].

Nulle définition plus compromettante pour la « race d’hommes » dont parle Suétone, que celle qu’il lui jette au passage, sans daigner même en justifier les termes accablants.

VII

Épictète n’a rien écrit. C’est à son disciple Arrien que nous devons le résumé fidèle, et sans prétentions littéraires, de son enseignement. Sa vie s’encadra, semble-t-il, entre 60 environ et 140. Né à Hiérapolis, il vint de bonne heure à Rome, où il fut esclave d’Épaphrodite, le riche affranchi de Néron, celui-là même qui aida le prince à se tuer. Affranchi à son tour par son maître, Épictète resta à Rome jusqu’en 89. Quand Domitien eut chassé de la ville les philosophes, il se retira à Nicopolis, en Épire, et y enseigna jusqu’à sa mort.

Faire « des hommes affranchis de toute entrave, de toute contrainte, libres, tranquilles, heureux, qui tournent leurs regards vers Dieu dans les petites comme dans les grandes choses[63] » ; assurer ainsi la totale indépendance, l’entière autonomie de la conscience, non pas pour déchaîner les instincts, mais pour enseigner, au contraire, le grand art de « supporter » ce qui vient du dehors, et de « s’abstenir » de la poursuite des biens extérieurs : tel fut le fond même de la doctrine d’Épictète. Aucun moraliste n’a peut-être mis une insistance plus obstinée à prêcher le détachement absolu.

Mais voici qui donne à cette doctrine, de couleur stoïcienne, sa nuance originale. Épictète est une âme profondément religieuse ; il devient lyrique dès qu’il parle de Dieu. Se conformer à la volonté de Dieu, accepter ses « commandements » (προστάγματα) ; sentir dans son âme la constante présence divine ; ne rien faire qui puisse souiller l’habitacle humain où Dieu réside ; célébrer ses louanges, le remercier de ce qu’il a fait pour nous, c’est à quoi Épictète convie sans cesse ceux qui veulent apprendre de lui le secret du vrai bonheur.

Que puis-je faire, moi, vieux et malade, si ce n’est de chanter Dieu ? Si j’étais rossignol, je ferais le métier d’un rossignol ; si j’étais cygne, celui d’un cygne. Je suis un être raisonnable : il me faut chanter Dieu[64].

Certes, à approfondir la pensée d’Épictète, on éprouve quelque difficulté à concilier certaines de ses vues. Ce dévot, qui s’adresse à Dieu avec un accent si émouvant, distingue à peine son Dieu de la nature elle-même, et il a bien l’air parfois de l’identifier avec le monde matériel[65]. Il ne croit pas à la survie de l’âme ; il n’a aucun souci des rémunérations d’outre-tombe, et il admet qu’après la mort les éléments instables dont nous sommes formés se dissocieront purement et simplement[66]. On a peine à repérer les sources profondes d’une si chaude piété. À moins que, comme l’a discrètement insinué le P. Lagrange, il n’ait subi, sans doute à son insu, la contagion du monothéisme chrétien et de la foi intense des premiers propagateurs de la foi nouvelle[67].

Épictète connaissait le christianisme, et avait dû avoir, soit à Rome, soit à Nicopolis[68], plus d’une occasion d’en entendre parler ou de l’observer lui-même. Un passage des Entretiens est significatif, à ce point de vue[69]. Épictète y explique la magnifique sécurité d’une conscience vraiment libre, en présence des menaces d’un tyran :

… Si nous avions à l’endroit de notre fortune, de nos enfants, de notre femme, les sentiments de cet homme [il s’agit d’un homme affrontant un tyran, sans tenir absolument ni à vivre, ni à mourir] à l’endroit de son corps ; ou si simplement, par égarement et par désespoir, nous nous trouvions dans une disposition d’esprit telle qu’il nous fût indifférent de les conserver ou de ne pas les conserver ; si, à l’exemple des enfants qui, en jouant avec les coquilles, ne se préoccupent que du jeu et ne s’inquiètent guère des coquilles, nous étions aussi indifférents aux objets eux-mêmes, sans autre pensée que de jouer avec, et de nous en servir, — qu’aurions-nous encore à craindre d’un tyran ? Qu’aurions-nous à redouter de ses gardes et de leurs épées ? Et quand la folie chez un homme ordinaire, quand l’habitude chez les Galiléens (καὶ ὑπὸ ἔθους οἱ Γαλιλαῖοι), suffisent à donner cette disposition d’esprit, le raisonnement et la démonstration ne pourraient apprendre à personne que c’est Dieu qui a tout fait dans le monde, et que dans son ensemble il l’a fait indépendant et sans autre fin que lui-même, tandis que les parties n’en existent que pour les besoins du tout ? Les autres êtres sont hors d’état de comprendre cette grande administration ; mais l’animal raisonnable a les moyens de démêler à la fois qu’il est une partie du tout, et telle partie ; et qu’il est convenable que les parties subissent la loi de l’ensemble[70].

Épictète avait donc été témoin de la résistance héroïque opposée par les martyrs chrétiens aux sollicitations et aux menaces de leurs juges. Lui qui s’écriait : « Montrez-moi un stoïcien, si vous en avez un ! Où et comment le feriez-vous ? Vous me montrerez, il est vrai, des milliers d’individus parlant le langage du stoïcisme… Où est donc le stoïcien ?… Montrez-moi un homme qui soit à la fois malade et heureux, mourant et heureux, exilé et heureux, flétri et heureux[71]… », n’aurait-il pas dû se féliciter qu’un tel spectacle, « refusé à sa vieillesse », lui tombât enfin sous les yeux ? Le martyre, joyeusement accepté, n’était-il pas la preuve souveraine de cette liberté intérieure dont le philosophe avait constamment vanté le privilège et la sécurité ? Or, il semble que, cette sympathie postulée par la logique même de son système, il n’en ait finalement accordé aux « Galiléens[72] » qu’une bien faible dose. On s’étonne qu’un critique aussi averti que W. von Christ[73] ait pu soupçonner une admiration secrète sous le dédaigneux memento qu’il leur consacre. Renan remarque avec une justesse bien plus sûre qu’ « Épictète considère l’héroïsme des Galiléens comme l’effet d’un fanatisme endurci[74] ». Pour le philosophe, la bravoure dont les « Galiléens » font preuve — et qu’il ne conteste pas — procède d’une sorte d’instinct aveugle ou d’entraînement machinal. La raison, la volonté réfléchie, la claire intelligence des grandes lois de l’univers n’en sont point les motifs déterminants. Qu’est-ce que l’éthos sans le logos ? Épictète n’attache aucun prix à un sacrifice irrationnel, dicté par une foi obtuse, ou par la contagion de l’exemple.

On est tenté parfois de croire que le stoïcisme et le christianisme, préconisant l’un et l’autre le détachement des biens extérieurs, la culture de l’âme individuelle, la réhabilitation des vraies supériorités morales, s’apparentaient l’un à l’autre jusqu’à une sorte de fusion. Mais non ! cette illusion ne tarde pas à se dissiper. Leur armature doctrinale était trop différente, et aussi le « climat » où chacun d’eux vivait et respirait. Le plus accompli et le plus honnête des Stoïciens, Marc-Aurèle, rencontrera, quelques dizaines d’années plus tard, le même accent de mépris pour parler de l’intrépidité chrétienne, où il ne verra qu’entêtement et parti-pris effronté[75].

VIII

Parmi les textes douteux, dont il est aussi difficile de faire abstraction que de faire état, il faut citer la lettre qu’un des auteurs de l’Histoire-Auguste, Vopiscus, donne comme adressée par l’empereur Hadrien à son beau-frère, L. Julius Ursus Servianus.

Grand voyageur, Hadrien entreprit en septembre 128 un long périple à travers l’Orient. Il passa l’hiver à Athènes ; puis il visita l’Asie Mineure, la Syrie, arriva en Égypte au début de 130 et séjourna deux mois à Alexandrie. Il est possible qu’il ait eu, durant ces années d’Orient, un commerce de lettres avec Servianus. Voici en quels termes il aurait parlé de l’Égypte et des Alexandrins d’après le document que Vopiscus prétend avoir extrait des écrits de Phlégon, secrétaire de l’Empereur[76].

Cette Égypte que tu me vantais, mon cher Servianus, je l’ai trouvée légère, suspendue à un fil, voltigeant à chaque souffle de la mode. Là, ceux qui adorent Sérapis sont en même temps chrétiens, et ceux qui se disent évêques du Christ sont dévots à Sérapis. Pas un président de synagogue juive, pas un Samaritain, pas un prêtre chrétien qui ne cumule ses fonctions avec celles d’astrologue, de devin, de charlatan. Le patriarche lui-même, quand il vient en Égypte, est forcé par les uns à adorer Sérapis, par les autres à adorer le Christ. Engeance séditieuse, vaine, impertinente ! Ville opulente, riche, productrice, où personne ne vit oisif ! Les uns soufflent le verre, les autres fabriquent du papier, d’autres sont teinturiers. Tous professent quelque métier et l’exercent. Les goutteux trouvent de quoi faire, les myopes ont à s’employer ; les aveugles ne sont pas sans occupation ; les manchots mêmes ne restent point oisifs. Leur dieu unique, c’est l’argent. Voilà la divinité que chrétiens, juifs, gens de toute sorte adorent[77]

Cette lettre est-elle authentique ?

E. Renan jugeait « inconcevable » qu’on pût élever des doutes sur un pareil morceau « d’un style si fin, qui porte si bien le cachet de son auteur, et que personne n’avait intérêt à fabriquer ».

En fait, les études approfondies dont l’Histotre-Auguste a été l’objet, depuis H. Peter et Ch. Lécrivain, commandent la plus grande prudence à l’égard des « documents » qui y sont cités. À passer au crible les expressions dont usa Hadrien, il en est une qui, vers la fin de la lettre, éveille une défiance justifiée.

Hadrien écrit : « … À peine étais-je parti qu’ils se sont mis à jaser sur mon fils Verus et à dire sur Antinoüs ce que tu sais, je crois. » Cette formule, « mon fils » Verus, implique que Hadrien avait déjà adopté (ce qu’il fit dans la seconde moitié de l’année 136) L. Ceionius Commodus[78], lequel devait mourir peu après. Or Servianus, alors très âgé[79], avait encore des prétentions à l’Empire[80], et dut manifester à ce sujet quelque mécontentement[81]. Hadrien, fort cruel en ses dernières années, le fit mettre à mort, ou l’obligea à se tuer. Selon Dion Cassius, ce châtiment rigoureux aurait immédiatement suivi l’adoption. — Il faut donc supposer que la lettre aurait été écrite dans le très court délai entre l’adoption de L. Ceionius Commodus et l’exécution du vieux Servianus, — et près de six ans après la visite d’Hadrien en Égypte (alors qu’elle a si bien l’air de refléter des impressions toutes fraîches encore). Que de difficultés !

On comprend le peu de crédit que cette lettre, évidemment forgée, trouve auprès des historiens modernes[82].

Convenons que, même authentique, elle n’aurait pas grande portée. Harnack n’a point tort de la qualifier de höchst oberflächliche[83], c’est-à-dire de superficielle au plus haut point. Il est aussi difficile de se représenter un évêque chrétien du second siècle faisant ses dévotions à Sérapis qu’un patriarche juif adorant le Christ. Quand des superstitions païennes se sont insinuées dans le culte chrétien, ce n’a jamais été par dessein délibéré et « syncrétisme » voulu. Hadrien avait cette forme de dilettantisme qui s’amuse des multiples aspects et des contrastes qu’offre la vie, sans pousser au delà du chatoiement des apparences. Si ces lignes étaient de lui, c’est qu’il aurait pris prétexte de quelques anecdotes plus ou moins consistantes pour s’égayer aux dépens des Égyptiens, — des Alexandrins, surtout — et pour railler leurs dévotions interchangeables. Mais à quoi bon épiloguer sur un document aussi peu sûr ?

IX

Au nom de l’empereur Hadrien, il faut lier celui de son affranchi, Phlégon de Tralles.

Ce Phlégon avait composé une sorte de Chronologie historique qui s’étendait de la première à la deux cent vingt-neuvième Olympiade, et qui ne comprenait pas moins de seize livres. De ce vaste travail, il avait donné aussi deux abrégés. Il s’attachait avec une prédilection spéciale et une toute candide crédulité à noter les faits remarquables, les cas exceptionnels, les « paradoxa ». Le peu que nous connaissons de son œuvre, c’est aux Byzantins, au Syncelle, à Stéphane de Byzance, à Photius que nous le devons[84].

Origène, qui lisait Phlégon, raconte que, dans le XIIIe ou le XIVe livre de sa Chronique, Phlégon reconnaissait que le Christ avait eu le privilège de lire dans l’avenir et constatait que certaines de ses prophéties s’étaient réalisées. Origène ne cite pas textuellement le morceau de Phlégon. On peut supposer qu’il y était question de la ruine de Jérusalem. Origène remarque que, sur divers points, Phlégon avait fait confusion entre le Christ et saint Pierre, mettant au compte de l’un ce qui devait être dit de l’autre[85]. Où Phlégon avait-il puisé ces indications, en partie erronées, nous ne savons. Mais il est intéressant de savoir qu’il avait cru devoir les consigner dans son grand travail historique.

Un siècle plus tard, le nom de Phlégon de Tralles sera souvent jeté dans les discussions entre païens et chrétiens. C’est, qu’au dire du même Origène, Phlégon apportait une précieuse confirmation aux passages des Évangiles synoptiques où est évoquée l’éclipse de soleil et le tremblement de terre dont la mort de Jésus sur la croix aurait été la cause directe. Dès avant la fin du iiie siècle, ce témoignage sera contesté ; et il le sera plus fortement encore au iiie siècle. C’est donc à cette époque que nous examinerons les arguments allégués de part et d’autre[86].


  1. L’empereur Julien tirera parti, dans son ouvrage Contre les Galiléens du long silence qui pesa sur la foi naissante : « Si vous pouvez me montrer que l’un de ces hommes est mentionné par les écrivains notoires de cette époque — ces événements arrivèrent sous Tibère et Claude — alors vous êtes en droit de me considérer comme un parfait menteur » (éd. Neumann, p. 260, I, 1 et s.).
  2. London Papyri, no 1912.
  3. Amalthée, t. II (1930), p. 294.
  4. Riv. di Filol., N. S., t. II (1924), p. 473 et s. ; t. IV (1926), p. 128 et s.
  5. Revue de l’Hist. des Rel., 1924, p. 108-123 = Amalthée, t. II, p. 289 et s.
  6. Orig. du Christianisme, II, 283.
  7. Actes des Ap., 24, 5.
  8. Epistula Claudiana, der neuentdeckte Brief des Kaisers Claudius vom Jahre 41 n. Chr. und das Urchristentum, Rottenburg a. N., 1930. Une broch. in-8o de 48 p.
  9. Lagrange, dans Revue Biblique, 1925, p. 623.
  10. Protagoras, 322 D.
  11. Texte et trad. française dans Léon Vouaux, Les Actes de Paul et ses Lettres apocryphes, Paris, 1913, p. 332 et s.
  12. Ép. I : « …litteras mira exhortatione vitam moralem continentes. »
  13. Ép. XI.
  14. Ép. VII.
  15. Ép. VII : « Vellem itaque, cures et cetera, ut maiestati earum cultus sermonis non desit. »
  16. Ép. XIII.
  17. Ép. XII.
  18. Ép. II.
  19. Ép. VIII.
  20. Ép. XIV.
  21. « [Seneca] optare se dicit eius esse loci apud suos, cuius sit Paulus apud christianos. » Comp. Ép. XI : « Nam qui meus, tuus apud te locus, qui tuus, velim ut meus. »
  22. Ép. XIII.
  23. Gesch. der altchr. Liter., II, 458.
  24. De Anima, § 20.
  25. Par ex. E. Havet, le Christianisme et ses Origines, t. IV, p. 421 ; Ch. Guignebert, Tertullien…, p. 77 et s. ; A. Drews, Die Petruslegende, Iéna, 1924. Aubé a annulé ses réserves dans la seconde édition de son Hist. des Perséc. de l’Église jusqu’à la fin des Antonins, 1878, p. 218.
  26. Les manuscrits de l’Apologeticus portent et deo ; on attendrait ut deo, correction généralement acceptée par les éditeurs modernes.
  27. Voir sur ce point la démonstration de Harnack, dans Texte und Untersuchungen, VIII, 4 (1892), p. 25-26.
  28. Démonstration détaillée chez Linck, dans les Religionsgesch. Versuche und Vorarbeiten, XIV, 1 (1913) ; et comp. déjà E. Renan, les Évangiles, p. 476.
  29. Éd. Keil (Teubneriana), Ép. 96
  30. Cf. Wilcken, dans l’Hermès, t. 49 (1914), p. 120 et s.
  31. Il ne doute pas que les chrétiens doivent être punis. Il se demande seulement quid et qualenus aut puniri soleat aut quaeri. — Quid, c’est-à-dire, si c’est le nom seul qu’on poursuit, ou bien les crimes que le nom implique ; quatenus, c’est-à-dire, s’il faut condamner en bloc, ou bien tenir compte de l’âge et du repentir. — Une centaine d’années plus tard, vers 222, le jurisconsulte Domitius Ulpien formera une sorte de vade-mecum à l’usage des magistrats, en groupant les divers rescrits impériaux relatifs aux chrétiens (Lactance, Inst. Div., V, 11 ; éd. Brandt, I, 436).
  32. Si c’est le nom seulement, la procédure est simplifiée : il suffit, pour encourir la peine, de se reconnaître chrétien devant le magistrat. Si ce sont les flagitia nomini cohaerentia que vise la loi, il incombe au magistrat d’en prouver la réalité, avant de sévir.
  33. Peu importe, en effet, que Pline ne voie pas avec une parfaite clarté ce que le législateur a voulu punir : ce qui est sûr, c’est que la qualité de chrétien est en soi condamnable. Y persévérer obstinément, c’est donc mériter la mort. Et cela d’autant plus, que cette résistance farouche aux sommations d’un juge appelle une sanction sévère.
  34. Cette remarque implique que, dès le début du second siècle, de mauvais bruits couraient déjà sur les repas chrétiens. Ces calomnies trouvèrent créance tout au long du siècle (saint Justin, Apol. I, 26 ; II, 12 ; Dial. avec Tryphon X, 17 ; saint Irénée, fr. 13, p. 832 ; Stieren ; Athénagore, Leg. 3 ; Théoph., ad Autol. III, 4, 15 ; Tertullien, Apol. VII, 1, etc.). — Nul doute que le cibus en question soit l’eucharistie : ou bien Pline n’a pas compris (c’est le plus probable) ; ou bien les apostats avaient eux-mêmes employé des expressions vagues à dessein, pour éluder les questions embarrassantes.
  35. La défiance de Trajan à l’égard des associations, même les plus inoffensives en apparence, se décèle dans cette même Correspondance, Ép. 33-34.
  36. L’entière innocence de la vie chrétienne, telle que les apostats la lui ont décrite, la déférence dont ils assurent que les ordres du légat sont entourés, tout cela forme un tableau trop idyllique. Pline se méfie, et juge « d’autant plus nécessaire » d’aller au fond des choses. Sans doute la torture lui en fera-t-elle savoir davantage.
  37. Sans doute des préposées aux soins du culte. Le mot diaconesse aurait ici saveur d’anachronisme.
  38. J’accepte la correction de A. Körte (Hermès, 1928, p. 482-484) : passimque venire victimarum < carnem >
  39. Il est probable que Pline avait reçu les doléances des prêtres des temples, des bouchers, de tout le petit monde qui gravitait autour des cérémonies cultuelles, et en tirait profit. Sans doute n’avaient-ils pas craint de lui en dépeindre en noir la désaffection dont pâtissaient leurs intérêts. Cf. Badut, dans Rev. d’Hist. et de Litt. rel., 1910, p. 300.
  40. « Quos per flagitia invisos vulgus Christianos appellabat. »
  41. Ann. XIII, 20, 3 : « Pour nous, résolus à suivre nos auteurs quand ils sont d’accord, nous rapporterons leurs divergences en indiquant leurs noms. »
  42. Josèphe, Antiq. Jud. XX, 195, 252 (éd. Niese).
  43. Cf. P. de Labriolle, Les satires de Juvénal, Paris, 1930, p. 179.
  44. § 38. « Forte an dolo principis — nam utrumque auctores prodidere. »
  45. Ernest Havet, Le Christianisme et ses Orig. IV, 228 ; Carlo Pascal, etc. (bibliog. dans le Theolog. Jahrb. de 1901 et années subséq.).
  46. Voy. déjà le tribun Subrius, dans Tacite, Ann. XV, 67.
  47. Pro Flacco, 66-67.
  48. Claud. XXV.
  49. Voy. Dion Cassius, LX, 166. La date probable est 41.
  50. Actes, XVIII, 2.
  51. Par ex., Linck, dans les Religion. Versuche und Vorarb., XVI, 1, p. 104, qui use presque exclusivement de l’argumentum e silentio.
  52. Sur cette prononciation, cf. P. de Labriolle, Christianus, dans le Bulletin du Cange, tome V.
  53. Il apparaît quelquefois dans les textes et souvent dans les inscriptions : voir l’article Chrestus, dans le Thesaurus Ling. lat. Suppl. Nomina propria latina.
  54. La démonstration de Th. Keim, Rom und das Christentum, Berlin, 1881, p. 171 et s. garde toute sa force. Voy. aussi Janne, dans Mél. Bidez, 1934, 531 et s.
  55. § XVI.
  56. Afflicti suppliciis Christiani, genus hominum superstitionis novae ac maleficae.
  57. Trad. Ailloud, légèrement retouchée.
  58. De Nat. Deorum, II, 28, 71 ; cf. I, 42, 117. Voir sur ce mot superstitio, Martroye, dans Bull. de la Soc. des Antiquaires de France, 1915, p. 280-292 ; 1916, p. 106 et s.
  59. Voy. Théophile, Ad Autol. II, 30, 32 et s. (προσφατοί καὶ νεωτερικοί) ; ibid., III, 1, 4 ; Saint Justin, Cohort. IX ; Minucius Felix, Oct. VI, 3 ; Celse, ap. Origène, I, 14, etc.
  60. Cicéron, Tusc. I, 12, 26 ; Sénèque, De Benef., I, 10, 1 ; Quintilien, Inst. Or., III, 7, 26 ; Tacite, Hist. V, 5, etc.
  61. Voy. saint Justin, 1re Apol. I, 44, 8 ; 54, 5 ; 59, 1 ; Théophile, Ad Autol. III, 16-29 ; Tatien, § XXXVI-XLI (trad. Puech, p. 155 ; cf. ibid., p. 82 et s.) ; Clément d’Alex., Strom. I, 21, 101 ; Tertullien, Apolog. XIX : « apud nos quoque religionis est instar, fidem de temporibus adserere » ; lire ibid. le fragment de Fulda, avec le commentaire de J.-P. Waltzing ; Minucius Felix, Oct. VI, 3, etc. Arnobe dira encore, au début du ive s., Adv. Nat. II, 72 : « Religiones eo sunt veriores quo vetustatis auctoritate munitae sunt. »
  62. Voy. Maurice, dans la Revue histor. de Droit français et étranger, 1927.
  63. Entretiens, II, 19, 29.
  64. Entr. I, 16, 15.
  65. Entr. I, 14, 10.
  66. Ibid. III, 13, 13 et s.
  67. Voir la Revue Biblique, 1912, p. 204 et s. Qu’Épictète ait lu de ses yeux les écrits du Nouveau Testament, la chose est très douteuse : cf. Bonhœffer, Epiktet und das neue Testament, Giessen, 1911 (Religionsgesch. Vers. and Vorarb., X).
  68. Un groupe chrétien est signalé à Nicopolis, — peut-être dès le ier siècle (Harnack, Mission…, 3e  éd., p. 90 ; 241).
  69. Je laisse tomber le passage des Entr. II, ix, 20 : « Ce n’est que quand un homme prend l’esprit du baptisé et du sectaire qu’il est réellement juif et qu’on lui en donne le nom. » Il est possible qu’Épictète confonde juifs et chrétiens et vise réellement ceux-ci ; mais cela n’est pas sûr : car il y avait un baptême juif. Voy. Batiffol, L’Église naissante et le Catholicisme, p. 14 et s.
  70. Entret. IV, 7, 6 : trad. Courdaveaux, Paris, 1908, p. 312 (retouchée).
  71. Entr. II, 19, 22-27.
  72. S’il emploie le mot « Galiléen », c’est sans doute qu’il emprunte aux Juifs cette désignation : voir Bonhœffer, Epiktet und das neue Testament, p. 42 et 72. Ce terme sera repris plus tard par l’empereur Julien dans une intention dénigrante. Voy. p. 393.
  73. Gesch. der griech. Literatur, 5e  éd., t. II, 1, p. 275.
  74. Marc-Aurèle, p. 56.
  75. Ici p. 76.
  76. Vita Saturnini, 8, 1.
  77. Trad. Renan, l’Égl. chrét., p. 189. Texte dans l’éd. Holl, t. II, p. 227.
  78. Ce personnage est appelé L. Aurelius Verus ou Verus dans l’Histoire-Auguste : les monnaies et les inscriptions ne le nomment jamais ainsi (P. W., art. Ceionius, col. 1830).
  79. Spartien, Vita Hadriani, 22 le traite de senex nonagenarius.
  80. Affectator imperii, dit Spartien.
  81. Dion, LXIX, 17, 1 = Zonaras, IX, 24.
  82. Mommsen, Röm. Geschichte, V, 576, 1 ; 585, 2 ; A. Hausrath, Neutest. Zeitgesch. III (Heidelberg, 1874), p. 505 ; W. Weber, Unters. zur Geschichte des Kaisers Hadrian, Leipzig, 1907, p. 88 et s.
  83. Altchr. Liter. I, 867.
  84. Fragments dans Jacoby, Die Fragmente der griechischen Historiker, zweiter Theil, Zeitgeschichte (1929), no 257, p. 1165.
  85. Contra Celsum, IL, 14 (Koetschau, Origenes, I, p. 144, l. 1 et s.).
  86. P. 204 et s.