La Réaction païenne/Partie IV/Chapitre I

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CHAPITRE PREMIER

LES POINTS D’APPUI DU PAGANISME AU IVe SIÈCLE

I. « L’Édit » de Milan. — II. L’Histoire-Auguste. — III. La Noblesse et le monde des écoles. — IV. Comment s’expliquent les répugnances de ces milieux : la prétendue rusticitas chrétienne ; les attaques, parfois excessives, à l’égard de la civilisation latine et du mos maiorum ; la difficulté d’assimiler la Bible ; les outrances de la propagande ascétique. — V. La religiosité païenne. Virius Nicomachus Flavianus. — VI. Offensive chrétienne contre le groupe des dévots. — VII. Les revisions de manuscrits d’œuvres classiques. — VIII. Trois documents significatifs des dispositions hostiles des lettrés païens. — IX. L’Asclepius du Pseudo-Apulée. — X. Un coup de boutoir du rhéteur Victorinus. — XI. La Vie des Sophistes d’Eunape de Sardes. — XII. Le cas d’Ausone et de Claudien.

I

Nous abordons une période nouvelle, celle de la première entente entre le christianisme et l’Empire.

Concerté en février 313, à Milan, par Constantin et Licinius, le fameux Édit — que nous connaissons, non pas en sa teneur authentique, mais d’après les rédactions quelque peu divergentes dues à Lactance[1] et à Eusèbe de Césarée[2] — inaugurait le système de la liberté, aussi bien pour les chrétiens que pour les non-chrétiens, en invoquant l’intérêt du bien public et la divinitatis reverentia.

Les cultes officiels conservaient leur statut légal, mais n’étaient plus obligatoires pour personne.

Les églises obtenaient la restitution intégrale, immédiate, de leurs biens confisqués en vertu de l’édit de 303.

Constantin ne se tint pas dans la stricte limite de ces dispositions réparatrices. Par la construction et la dotation de somptueuses basiliques ; par les immunités accordées au clergé catholique ; par la compétence juridique dévolue en certains cas aux évêques, il marqua sa faveur spéciale à l’Église catholique — cette Église où il ne devait entrer effectivement par le baptême qu’à son lit de mort.

Ses fils Constant et Constance continuèrent la même politique, en l’accentuant dans un sens plus rigoureux à l’égard du paganisme. De là un véritable épanouissement de la puissance spirituelle de l’Église et de sa prospérité matérielle. « Nous la voyons sortir comme d’un long hiver, consolider et développer ses cadres, discuter ses titres hiérarchiques, arrêter les lignes de ses dogmes, dresser les formules de sa foi, régler le culte, entourer les lieux saints des signes publics de la vénération, assurer des retraites sacrées aux âmes avides de perfection, donner à la moitié latine de l’Église une version plus fidèle de la Bible. Tous ces fruits sont la moisson du ive siècle[3]. »

Que le revirement des pouvoirs publics ait intimidé nombre d’ennemis du christianisme, qui en pourrait douter ? Pourtant, tout au long du siècle, le paganisme conserva de vigoureux centres de résistance, des sympathies agissantes ; et plus d’une fois les vicissitudes de la politique lui donnèrent l’espoir d’un nouveau coup de fortune qui, jouant à son bénéfice, renverserait une fois encore la situation.

C’est à cette phase suprême de la lutte anti-chrétienne que nous allons assister.

II

La formidable entreprise de Dioclétien avait eu — parmi d’autres résultats encore plus imprévus — celui de forcer les historiographes à ne plus ignorer (sauf dessein délibéré[4]) un mouvement capable de tenir en échec tout l’appareil gouvernemental conjuré contre lui.

Que le christianisme s’imposât désormais à l’attention, sinon au respect de tous, c’est ce que prouve assez bien l’attitude de certains des rédacteurs de l’Histoire-Auguste à son égard.

Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que l’Histoire-Auguste est une œuvre collective où sont racontées les vies des empereurs — et aussi celles des Césars et des usurpateurs — depuis Hadrien jusqu’à Numerianus (117-284). Les six auteurs de l’Histoire-Auguste semblent avoir eu pour objet, en écrivant ces biographies, de faire leur cour à Dioclétien, puis à Constantin, qui, à en croire certaines de leurs dédicaces, les leur auraient commandées. La tradition manuscrite en nomme six : Ælius Spartianus, Julius Capitolinus, Vulcacius Gallicanus, Trebellius Pollio, Flavius Vopiscus, Ælius Lampridius.

Pour qui les lit bénévolement, l’intérêt de ces Vies paraît consister dans les anecdotes plus ou moins piquantes qui y sont collectionnées, et dans les nombreux documents (lettres des empereurs, édits, discours) qui s’y insèrent. Mais la critique, qui enseigne à se méfier, s’est abondamment exercée depuis une quarantaine d’années sur cette compilation. On a révoqué en doute beaucoup des renseignements « historiques » qui en faisaient le prix apparent. On a été jusqu’à voir dans l’Histoire-Auguste la vaste supercherie d’un faussaire qui aurait imaginé, vers le temps de Valentinien et de Théodose, d’écrire sous plusieurs noms, pour pallier sa fraude[5].

L’avis commun est qu’il n’y a pas lieu d’en rejeter si loin la composition, ni de supposer un tel faux semblant ; mais qu’il faut se méfier grandement des documents qui y sont mis en œuvre : beaucoup paraissent avoir été forgés par ces rhétoriqueurs pour donner une apparence de sérieux aux déclamations et aux anecdotes où leur futilité se complaît.

Quoi qu’il en soit, trois des rédacteurs de l’Histoire-Auguste font allusion au christianisme. Il ne s’agit pas d’apprécier ici la valeur des données qu’ils apportent. Nous avons examiné la lettre d’Hadrien au sujet des Égyptiens, telle que la cite Flavius Vopiscus ; et cet examen a été peu favorable à l’authenticité de la pièce[6]. Vopiscus, s’il l’a inventée, n’a guère pu s’y décider que dans une intention malveillante à l’égard des chrétiens. Il allègue également une lettre d’Aurélien au Sénat au sujet d’une consultation des livres sibyllins ; on y lit ce passage :

Je m’étonne, Pères vénérables, que vous hésitiez si longtemps à les ouvrir, comme si vous délibériez dans une assemblée de Chrétiens (in Christianorum ecclesia), et non pas dans le temple de tous les dieux[7].

Chez Ælius Spartianus, on ne relève guère qu’une brève mention au sujet de l’interdiction portée par Septime-Sévère contre la foi chrétienne[8].

En revanche, Ælius Lampridius, qui écrivait, semble-t-il, un peu plus tard que les deux premiers, à un moment où l’hégémonie de Constantin était consolidée, se répand bien davantage. Dans sa Vie d’Héliogabale[9], il rappelle le désir que manifesta Héliogabale de construire sur le Palatin un Heliogabalum où il aurait réuni les symboles divers de tous les cultes, y compris ceux de la christiana devotio. — La Vie d’Alexandre-Sévère est encore plus fertile en renseignements. Lampride fait mention d’un rescrit favorable aux chrétiens qu’aurait rendu cet empereur, au sujet d’un local, autrefois locus publicus, que des cabaretiers leur disputaient[10] ; la complaisance avec laquelle il répétait, et voulut faire graver partout, la maxime : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît[11] » ; la pensée qui aurait traversé l’esprit d’Hadrien de faire élever un temple au Christ[12]. Il mentionne encore les dévotions matinales d’Alexandre-Sévère dans son lararium, où il avait réuni les portraits de saints personnages, parmi lesquels Apollonius de Tyane, le Christ, Abraham et Orphée[13] ; enfin il rapporte un propos du même empereur, provoquant le verdict populaire préalable sur les gouverneurs qu’il se proposait de nommer, et justifiant son initiative par l’usage parallèle des juifs et des chrétiens, lors de la nomination de leurs prêtres[14].

En admettant que ces renseignements n’offrent que de peu sûres garanties, encore témoignent-ils de l’état d’esprit des narrateurs qui nous le donnent. Vopiscus, qui écrit probablement au lendemain de l’abdication de Dioclétien, n’a aucune raison de se montrer favorable aux chrétiens. Lampride, avisé rhéteur gaulois, en a bien davantage. De là certaines nuances que l’on observe dans son ton, et qu’il convenait de relever[15].

III

On peut dire que tout au long du ive siècle, et bien au delà, le paganisme recrutera ses plus énergiques défenseurs dans la noblesse et dans l’enseignement.

Saint Augustin remarque, dans ses Confessions, à propos du rhéteur Victorinus et de son éclatante conversion que « jusqu’à une époque avancée de sa vie, il était resté l’adorateur des idoles et participait aux mystères sacrilèges dont s’enthousiasmait alors presque toute la noblesse romaine » qui communiquait au peuple son goût pour les cultes exotiques[16].

La conversion de Victorinus dut se placer entre 353 et 357. Il est probable que, dans la seconde moitié du siècle, un certain nombre de grandes familles passèrent au christianisme. C’est ce qu’affirme le poète Prudence, lequel écrit au début du ve siècle. Il fait allusion à ceux qui refusent encore d’ouvrir leurs yeux à la lumière.

Bien que, illustres par leurs mérites, nobles par leur sang, comblés de titres et d’honneurs, ils aient remporté les difficiles récompenses qu’on accorde à la valeur ; bien que, maîtres de la citadelle des Fastes, ils aient inscrit leurs noms dans les Annales ; bien que leur image de cire ou de bronze ait sa place parmi celles des ancêtres ; cependant leur groupe s’amenuise déjà, et ce n’est pas dans une poignée d’hommes que s’incarnent la patrie ni le Sénat. Leur zèle a beau être ardent, il ne représente que la volonté privée d’un petit nombre. Les vœux de la masse réclament ; ces vœux se séparent en foule de leurs vœux, à eux, et condamnent leurs protestations intimidées[17].

Et ailleurs[18] :

Je pourrais citer un nombre infini de familles nobles qui se sont tournées vers le sceau du Christ [le baptême], et se sont dégagées de l’abîme d’un honteux paganisme… Jetez les yeux sur cet habitacle illustre [le Sénat], c’est à peine si vous trouverez quelques esprits encore empêtrés dans les sottises païennes et qui se maintiennent non sans peine dans ces ténèbres périmées.

Malgré ces défections, la position de la noblesse païenne restait très forte. L’État chrétien — au moins jusqu’en 408[19] — observait un réel libéralisme à l’égard des personnes. Il arrivait, certaines années, que presque tous les leviers de commande fussent aux mains de hauts fonctionnaires païens[20].

D’autre part, quantité de philosophes, de sophistes, de grammairiens, de rhéteurs perpétuaient dans les écoles le culte de l’ancienne littérature et de la vieille religion, avec l’attachement obstiné du métier, comme autant de Chateaubriands païens « en extase devant le génie du Paganisme[21] ». En Orient surtout, leur rôle était prépondérant[22]. Les chrétiens savaient l’influence qu’ils exerçaient sur la jeunesse et ne leur ménageaient pas les épithètes irritées. L’auteur anonyme d’un ouvrage à tendances ariennes, l’Opus imperfectum in Matthaeum, traite ces intellectuels d’ « hommes pleins de l’esprit immonde, tout gonflés de verbalisme, et dont le cœur est une source d’eau morte[23] ».

En fait, le haut enseignement resta entre les mains des païens jusqu’à la fin du ve siècle ; et ce fut là une des raisons les plus efficaces de la persistance de l’ancienne foi dans les classes cultivées, en dépit de tant d’édits impériaux et de mesures rigoureuses, dont certaines connivences amortissaient souvent les effets.

Quand un essai de résistance se dessinait ici ou là contre les entreprises chrétiennes, il n’était pas rare que des lettrés en fussent les instigateurs les plus actifs. Voici un exemple qui est de l’époque de Théodose.

Une sédition éclate, en 389, à Alexandrie. Des éléments chrétiens ont attaqué le temple de Sérapis et un Mithraeum, et exhibé publiquement les verenda qu’y adoraient les païens. Ceux-ci se révoltent contre cet attentat, « surtout les philosophes ». Il y a de part et d’autre beaucoup de morts et de blessés. L’empereur ne veut pas sévir, dans un dessein d’apaisement ; mais il ordonne la destruction totale des temples qui ont été l’occasion de l’émeute. Un matin, le philosophe Olympius entend une voix qui chante l’Alleluia dans le Serapaeum : il comprend dès lors que la partie est perdue, et il quitte la ville sur un navire, sans esprit de retour[24].

IV

Faut-il nécessairement soupçonner d’inintelligence ou de mauvaise foi ces irréductibles partisans, ainsi réfugiés dans l’asile de leurs souvenirs littéraires, et dont beaucoup se livraient à des surenchères de dévotion superstitieuse ? Il est plus équitable de se représenter quelques-unes des causes de leurs répugnances, que certaines insistances chrétiennes, parfois maladroites, aggravaient jusqu’à les rendre invincibles.

Remarquons en premier lieu qu’ils avaient été élevés dans le culte du bien-dire. Le goût de la forme, le souci de la phrase harmonieuse et de l’ingéniosité dans l’expression, étaient la marque même des esprits qui avaient passé par le cycle de ces studia liberalia dont Quintilien avait naguère si fortement défini la tâche et le programme. Et à mesure que la culture latine se sentait plus menacée, les lettrés s’attachaient plus anxieusement à écrire d’une façon piquante, à raffiner sur le tour, à enchâsser savamment dans leurs phrases des réminiscences de classiques, — hémistiche de Virgile, malice d’Horace, sonorité de Cicéron[25]. C’est justement cette volonté de faire un sort à chaque pensée, qui nous rend fastidieuse parfois la lecture de leurs œuvres.

Or, par réaction contre des préoccupations si futiles, les écrivains chrétiens se plaisaient à répéter que le style n’a aucune importance ; que la rhétorique n’est qu’une mâîtresse d’erreur ; que peu importent les barbarismes et les solécismes pourvu qu’on se fasse comprendre ; et que, loin de rougir de leur rusticitas ils la préféraient aux vaines parures de la pensée[26]. — Ce disant, ils se montraient aussi peu sincères que l’était jadis Sénèque, quand il se laissait aller à des déclarations du même genre[27]. Loin de rejeter les techniques qu’ils affectent de mépriser, les auteurs chrétiens s’y conforment soigneusement, pour la plupart. Et l’on sait de reste la place que la rhétorique même usurpe dans leurs œuvres. Mais par leurs façons de disqualifier toute forme d’art, ils créaient contre eux un préjugé que leurs adversaires furent heureux d’exploiter, en se prévalant de ces fâcheuses et paradoxales déclarations[28].

On connaît, d’autre part, le respect des Anciens pour le mos maiorum, pour les traditions héritées. Devant le legs des siècles, leur scepticisme ordinaire ne se permettait plus ni doute, ni réserve. Et ils se plaisaient à opposer à cette foi chrétienne, née sous Tibère, la chaîne ininterrompue de pratiques dévotieuses, de sages maximes, dont l’origine se perdrait dans la nuit des temps. Les polémistes chrétiens ripostaient en raillant cet assujettissement au passé. Lactance avait cité dans ses Institutions divines les beaux vers où Properce, au seuil de ses Élégies romaines[29], évoquait les sénateurs de la Rome primitive, avec leurs vêtements grossiers et leur âme rustique ; et il demandait ironiquement si c’était vraiment un devoir de tout subordonner à ce qu’avaient pensé ces centum pelliti senes, ces cent vieillards en peaux de bêtes. Non, s’écriait-il, quand il s’agit d’une chose aussi importante que la conduite de toute une vie, c’est à soi-même qu’il faut se fier, c’est à l’aide de son propre jugement qu’on doit chercher et conquérir le vrai. Mieux vaut utiliser la petite parcelle de sagesse dévolue à chacun de nous que d’accepter, les yeux fermés, les inventa maiorum[30].

De telles affirmations — dont on perçoit l’écho tout au long du ive siècle[31] — devaient paraître anarchie pure aux regards des conservateurs romains.

Heurtés dans leur traditionalisme, ils l’étaient aussi dans leurs admirations littéraires, quand ils se risquaient à lire certaines œuvres chrétiennes, où pourtant l’influence des classiques était partout sensible. Prenons le poète Prudence : il a le respect et l’amour de Rome ; il accepte du même cœur qu’un Horace ou un Virgile le dogme de son immortalité ; le prestige du Sénat demeure inentamé à ses yeux. Et pourtant il affecte de considérer la religion romaine tout entière comme une croyance barbare, bonne pour des rustres[32]. Il traite Ariane, la pathétique héroïne de Catulle[33], dont l’abandon, les plaintes douloureuses avaient inspiré tant d’œuvres d’art, de scortum[34], de meretrix[35]. Il raille lourdement, lui aussi, le mos maiorum, comme si toute fidélité aux traditions impliquait une hostilité radicale au progrès humain et favorisait les pires régressions vers un passé aboli[36]. — On devine les sourires méprisants que de telles outrances devaient provoquer dans des cercles déjà mal disposés.

La Bible latine elle-même, si d’aventure un païen formé aux humaniores litterae consentait à y jeter les yeux, ne pouvait guère lui apporter que surprise et dégoût. « Quand, habitués aux recherches de style, aux ingénieuses subtilités de la pensée ou de l’expression, au cliquetis des assonances et aux raffinements des figures de rhétorique ou de grammaire, les beaux esprits (de ce temps) se trouvaient en présence, surtout dans l’ancienne Vulgate, de ces livres d’un latin incorrect où étaient racontés des événements si étrangers à l’histoire de l’humanité classique, et exposées des idées si différentes des conceptions philosophiques coutumières, ils éprouvaient un sentiment de répulsion très prononcé, où il y avait à la fois de l’ahurissement, du dédain et du découragement. La Bible était pour eux un livre fermé, obscur à la fois pour le fond et pour la forme[37]. » Saint Augustin lui-même, non encore converti, mais qui avait reçu une éducation chrétienne, nous a confié à quel point il fut rebuté, quand déjà plein de zèle pour la vie de l’esprit, il essaya d’approfondir les Écritures[38] ; et nous avons, de saint Jérôme, des aveux analogues[39]. — On comprend, à ce prix, les résistances païennes et la vivacité avec laquelle elles éclataient quelquefois[40].

Nul doute, enfin, que certaines maximes chrétiennes, en raison même du ton sur lequel elles s’affirmaient, ne dussent paraître inquiétantes pour l’avenir de l’État et l’autorité des parents. Quand saint Ambroise, porte-parole du concile d’Aquilée, écrivait à l’empereur Gratien « … reverentiam primum ecclesiæ catholicæ, deinde etiam legibus vestris deferri[41] », une subordination grosse de conséquences dessinait déjà sa menace. Quand le même Ambroise invitait les jeunes filles tentées par la vie religieuse à triompher coûte que coûte de la résistance des leurs[42] ; quand saint Jérôme, imitant sans le dire un trait de Sénèque le rhéteur, exhortait un jeune ami à fouler au besoin le corps de son père, si, s’opposant à sa vocation, celui-ci se couchait sur le seuil de la porte[43], les familles se jugeaient atteintes dans leurs plus justes prérogatives. Même parmi les milieux chrétiens, la propagande ascétique soulevait de l’émoi : que pouvaient penser, à ce prix, les fervents des traditions purement romaines ? Stupeur, amertume, indignation, voilà de quels âcres sentiments leur âme était travaillée. Et tous répétaient avec Symmaque : « Instituta maiorum, patriæ iura et fata defendimus[44] ! »

V

À partir de la seconde moitié du ive siècle, la piété païenne, surtout dans les hautes classes, s’exalte, devient plus ardente, plus mystique. Elle réagit contre les lâches désertions dont le spectacle affligeant s’offre à elle[45]. Elle ne se satisfait plus d’un vague syncrétisme, de déférentes allusions au Summus Deus : il lui faut des rites, des symboles, des liturgies savantes et jusqu’à l’imprégnation fétide des tauroboles[46].

Parmi les zélotes du passé, il en est un certain nombre qui aimèrent à rappeler publiquement, par une sorte de défi, leurs initiations multiples et leur appétit de religiosité. Tel cet Alfenius Ceionius Julianus Kamenius, préfet de Rome en 333, qui se glorifie d’avoir été septemvir Épulon, quindecemvir, Père des sacrifices de Mithra, hiérophante d’Hécate, archibucolus de Liber, initié aux mystères de la Mère des Dieux[47] ; tel le sénateur Ulpius Egnatius Faventinus « père et héraut sacré du dieu Soleil invincible Mithra, chef des bouviers de Bacchus, prêtre d’Isis », qui, après avoir reçu le baptême sanglant du taurobole, consacre en 376 une dédicace à la Grande Mère et à Attis[48] ; tel encore ce Tamesius Augentius Olympius, qui relève un sanctuaire dédié à Mithra, près de la voie Flaminienne, et déclare qu’il ne demande pour cela aucune subvention officielle, car une âme pieuse préfère une dépense comme celle-là à un gain[49].

Le Musée du Capitole possède une curieuse inscription funéraire, rédigée peu après 384[50], dont une longue partie est en sénaires iambiques. Une femme y rend hommage à son mari ; le mari loue celle qui lui a de peu survécu. Ce mari, c’est Vettius Agorius Praetextatus, que l’empereur Julien avait nommé proconsul d’Achaïe en 362, et qui devint Praefectus Urbi en 367, Préfet du Prétoire d’Italie en 384, l’année même où, consul désigné, il mourut[51]. Le début de l’inscription rappelle ses titres d’augure, de pontife de Vesta, de prêtre du Soleil, de quindecemvir, de curiale d’Hercule ; il y est appelé aussi « initié à Liber et aux Éleusinies, hiérophante, néocore (c’est-à-dire inspecteur des temples), taurobolié, père des pères[52]. » — La femme, c’est Aconia Fabia Paulina, clarissime, « consacrée à Cérès et aux Éleusinies, consacrée à Hécate, en son sanctuaire d’Égine, tauroboliée, hiérophante (hierophantria)… » La pièce continue par un bel éloge que fait Aconia Fabia Paulina des vertus et des dons intellectuels de son mari défunt. Puis elle ajoute :

Mais tout cela est peu de chose ! C’est toi qui, myste pieux, recèles dans le secret de ton cœur les vérités révélées grâce aux initiations saintes, et qui, docte connaisseur (des choses célestes), honores la puissance multiforme des dieux, associant avec bonté ta femme aux cérémonies sacrées, (ta femme) confidente des dieux et des hommes, ta fidèle compagne.

Pourquoi parler des honneurs, de l’influence, des joies que convoitent les vœux humains ? Tu les as toujours tenues pour caduques et chétives. Prêtre des dieux, tes bandelettes te placent haut devant l’opinion. Et c’est toi, ô mon époux, qui, grâce à de bienfaisantes disciplines, affranchissant de la condition mortelle ma pureté, ma pudeur, me conduis dans les temples et me voues aux dieux comme servante. Je suis, sous tes yeux, initiée à tous les mystères ; c’est toi, ô mon pieux compagnon, qui honores en moi la prêtresse de la déesse de Dindyme[53] et d’Attis, en m’initiant (au sang) du taureau ; tu m’enseignes le triple secret, (à moi) prêtresse d’Hécate ; tu me prépares à devenir digne des mystères de Cérès, la déesse grecque. Grâce à toi, tous célèbrent mon bonheur, ma piété ; car tu t’en vas partout vantant mes vertus ; et d’ignorée que j’étais, ma réputation se répand dans tout l’univers.

Trop heureuse elle eût été (continue-t-elle) si son mari lui avait survécu ; mais, heureuse elle se juge tout de même, parce qu’elle est, qu’elle a été et que, morte, elle sera « sienne ».

Sur le côté droit de la pierre, c’est le mari qui, à son tour, loue Paulina, « consacrée aux temples et amie des divinités », pour ses exceptionnelles qualités.

Parmi ces piétistes païens, on en voyait de fort combatifs, qui appelaient de leurs vœux un renversement de la politique impériale et guettaient les occasions d’y coopérer.

Virius Nicomachus Flavianus, qui passait pour fort expert dans l’art des augures[54], fit ce qu’il put, tout au long de sa carrière, pour contrecarrer le christianisme[55]. Vicaire d’Afrique en 377, il favorisa les donatistes, en dépit des rigoureuses instructions impériales, au point qu’on put l’appeler « un homme de leur parti[56] ». L’avènement d’Eugène, en 392, lui ouvrit une grande espérance : il s’empressa de solliciter du nouveau prince le rétablissement de l’autel et de la statue de la Victoire, que Gratien avait fait enlever en 382 de la Curie julienne. Lors de la marche de Théodose sur Rome, en 394, il prédit, après consultation des entrailles des victimes, la victoire d’Eugène ; il mit les passages des Alpes sous la protection de Jupiter tonnant, dont plusieurs statues dorées furent érigées sur les hauteurs. L’usurpateur fut vaincu, et abattu par un soldat de Théodose : déjà Nicomachus, désespéré, s’était donné la mort.

Nicomachus avait été lié intimement avec Vettius Agorius Prætextatus et avec le fameux Symmaque. Le nom des deux premiers revient souvent dans les Lettres de Symmaque. Un fils de Nicomachus était devenu le gendre de Symmaque, et un fils de Symmaque avait épousé la petite-fille de Nicomachus. Ces trois personnages figurent dans les Saturnales de Macrobe : c’est même dans le palais de Nicomachus que le dialogue se déroule, le second jour ; il passe dans celui de Symmaque, le troisième jour. Par leur haute situation, par leur prestige social et leur grande fortune, ils fournissaient aux vieilles traditions romaines un solide point de résistance. Nous verrons que Nicomachus Flavianus donna une traduction latine de la Vie d’Apollonius, par Philostrate, afin de répandre plus largement cette œuvre qui, au cours des temps, était devenue une machine de guerre contre le christianisme[57].

VI

Du côté chrétien, on s’irritait de l’hostilité redoutable d’un groupe aussi agissant. Léopold Delisle a publié en 1867[58], d’après les trois derniers feuillets d’un très ancien manuscrit de Prudence[59], un poème latin anonyme de 112 hexamètres. Le texte en est fort gâté et la langue souvent obscure ; mais il est aisé de reconnaître que le peu adroit poète qui le composa s’en prenait à l’un des chefs du parti païen. L’année suivante, Ch. Morel réussissait à identifier celui-ci. C’est Virius Nicomachus Flavianus qui y est visé[60]. Le poème a dû être écrit en 394, à un moment où la défaite d’Eugène n’était peut-être pas consommée, mais où déjà Nicomachus avait préféré se tuer. Le poète n’économise point les banalités sur la mythologie en général ; mais son invective se fait plus précise pour reprocher à Nicomachus de s’être soumis à des rites malpropres comme le taurobole[61], ou absurdes comme ceux des mystères de Cybèle[62], de Sérapis[63], d’Isis et d’Osiris[64]. La femme même du défunt n’est pas épargnée :

Ton épouse suppliante a beau, elle aussi, charger d’offrandes les autels de toutes ces divinités monstrueuses que tu vénérais dans leurs sanctuaires, accomplir des vœux, au seuil des temples… et tâcher d’émouvoir l’Achéron à force d’évocations magiques, elle t’a laissé tomber, infortuné que tu es, dans le Tartare infernal.

Vers le même temps, un autre poète chrétien adressait un avertissement pressant, mais courtois, à un sénateur, ancien consul (v. 27) qui, après avoir embrassé le christianisme pendant quelques années (v. 43-44) l’avait abandonné pour le culte de la Magna Mater. L’auteur (c’est saint Cyprien qui est nommé dans les manuscrits !) s’étonne qu’un homme de sa distinction revienne à de telles folies ; et il formule le vœu qu’en vieillissant le relaps sache s’en détacher. Le morceau est d’une langue très claire et d’un tour très vif[65].

VII

Il est difficile de ne pas imputer, pour une large mesure, au même souci de revigorer les traditions du passé, déjà ébranlées et vacillantes, l’ardeur avec laquelle, vers la fin du ive siècle et le début du ve, on voit des membres de l’aristocratie romaine, des lettrés, des rhéteurs, faire copier les manuscrits des écrivains classiques ou les reviser de leur mieux pour assurer la pureté du texte.

En plus d’un cas, ils signaient de leur nom les manuscrits ainsi contrôlés et indiquaient à quelle date ils avaient parachevé leur tâche. C’est grâce à ces subscriptions que leur effort nous est connu, et que nous saisissons les preuves d’un zèle érudit que la simple lecture des Saturnales de Macrobe nous permettait déjà d’entrevoir.

Une inscription en vers, déjà mentionnée, nous apprend que Vettius Agorius Praetextatus, dont nous avons vu quel dévot personnage il était, aimait à corriger les écrits grecs et latins, en prose et en vers, qui lui tombaient sous la main, et qu’ « il les rendait meilleurs qu’il ne les avait pris, pour les lire[66] ». La pièce ne précise pas de quels auteurs il s’agit. Mais nous sommes souvent mieux informés.

C’est ainsi que vers 380 les Grandes Déclamations de Quintilien furent recensées par Domitius Dracontius, d’après un manuscrit appartenant à son frère Hierius[67] — celui-là même, sans doute, que le poème anonyme contre Nicomachus Flavianus mentionne comme un fidèle de Mithra[68]. Sallustius (probablement un élève de Severus Sanctus Endelechius), revit à deux reprises, en 395 et en 397, d’abord à Rome, puis à Constantinople, les Métamorphoses d’Apulée[69]. Vers la même époque, Nicaeus, un élève du grammairien Servius fit de même pour les Satires de Juvénal[70] ; Torquatus Gennadius, en 401, pour les Épigrammes de Martial[71] ; Flavius Julius Tryfonianus Sabinus pour les Satires de Perse[72]. Les fils de Virius Nicomachus, dont il a été question ci-dessus, à savoir Livius Nicomachus Flavianus et Livius Appius Nicomachus Dexter, s’associèrent avec Thascius Victorianus, dans leur propriété d’Henna, en Sicile, pour mettre au point la première Décade de Tite-Live[73]. Déjà leur ami Macrobe avait revivifié par son commentaire néo-platonicien le Somnium Scipionis de Cicéron. Bientôt trois lettrés commenteront une partie de l’œuvre de Virgile : Titus Gallus reverra les Géorgiques ; Gaudentius et Julius Phylargyrius les Bucoliques[74]. Les Verrines trouveront aussi leur exégète[75]. Cet effort d’interprétation durera longtemps encore au milieu de la barbarie grandissante, et provoquera chez quelques chrétiens cultivés des empressements analogues[76].

VIII

Pour saisir au vif les dispositions des lettrés païens, et la façon tantôt détournée et oblique, tantôt audacieusement directe, dont ils essayaient de nuire au christianisme, trois documents d’une réelle portée s’offrent à nous : l’Asclepius du Pseudo-Apulée ; un texte du rhéteur Victorinus, antérieur à sa conversion ; la Vie des Sophistes d’Eunape[77].

IX

Parmi les écrits faussement attribués à Apulée figure un curieux traité qui porte le titre d’Asclepius. C’est un « dialogue » qui est censé se dérouler dans une haute antiquité entre Hermès Trismégiste, détenteur des mystiques secrets, et ceux qu’il endoctrine, Asclepius, Hammon et Tat. En réalité, le Trismégiste garde la parole, et les rares questions que se permet Asclepius ne sont qu’amorces à de nouveaux développements. L’ouvrage avait d’abord été rédigé en grec, et c’est sous cette forme que Lactance, au début du ive siècle, l’a connu et cité[78]. Puis une traduction latine, que saint Augustin a utilisée[79], en fut faite au cours du ive siècle par une main païenne, qui y ajouta de claires allusions à la législation des empereurs chrétiens contre le paganisme. C’est dans sa traduction latine que l’ouvrage est venu jusqu’à nous. Il contient, aux chapitres xxiv et suivants[80], des doléances très vives (sous le voile d’une prophétie d’Hermès Trismégiste) contre le sort qui est fait aux hommes de foi, et aux cultes qui leur sont chers.

Trismégiste explique à Asclepius comment il existe deux espèces de Dieux, ceux que le Père et Seigneur a faits à sa ressemblance, ceux que l’humanité fait à la ressemblance de l’homme. — « N’est-ce pas des statues que tu parles ? demande Asclepius. — Oui, répond Trismégiste, il s’agit bien des statues, grâce auxquelles tant de prodiges, de guérisons, de prophéties s’accomplissent… L’Égypte, notre patrie, n’est-elle pas le temple de l’univers ? »

Mais l’avenir est sombre pour cette terre d’élection, et pour la religion dont elle est le vivant foyer :

Comme il appartient au sage de tout prévoir, voici ce qu’il ne vous est pas permis d’ignorer. Un temps viendra où il apparaîtra que c’est en vain que les Égyptiens ont trouvé la Divinité avec une âme pieuse et un culte fidèle ; tout leur culte des choses saintes, frustré de son objet, sera réduit à néant. La Divinité remontera de la terre au ciel, elle abandonnera l’Égypte ; et cette contrée, naguère la patrie des cérémonies sacrées, sera privée de la présence des dieux et abandonnée par eux ! Des étrangers rempliront ce pays, et non seulement la religion se verra abandonnée, mais ce qui est plus dur encore, une prohibition légale interdira sous des peines déterminées la religion, la piété, le culte divin. Alors cette terre si sainte, demeure des sanctuaires et des temples, sera toute pleine de sépulcres et de morts[81]. Ô Égypte, Égypte ! de tes cérémonies il ne subsistera plus que l’histoire à laquelle la postérité ne croira pas, et les paroles gravées dans la pierre qui racontent tes pieuses actions : c’est le Scythe, l’Indien, toute la barbarie voisine qui s’installera chez toi !… Pourquoi pleurer, Asclepius ? Chose plus pénible, plus lamentable encore, l’Égypte même se laissera persuader ; des maux pires l’intoxiqueront. Elle, la terre très sainte, amante de la Divinité,… maîtresse de sainteté et de piété, elle donnera l’exemple des pires cruautés. Les hommes inspireront une telle répugnance que l’univers cessera d’être admiré, adoré… Les ténèbres seront préférées à la lumière, on trouvera la mort plus utile que la vie. Personne ne lèvera plus les yeux vers le ciel ; l’homme religieux sera considéré comme un fou, l’irréligieux passera pour un sage, le furieux pour un énergique, le scélérat pour un homme de bien… Oui, croyez-m’en : il y aura péril capital pour celui qui se consacrera au culte de l’âme. Un nouveau droit se constituera, une loi nouvelle ; il ne sera plus question de rien de saint, de rien de religieux qui soit digne du ciel et de ses célestes habitants ; on ne croira plus à tout cela. Il y aura un douloureux divorce entre les dieux et les hommes. Seuls les anges nuisibles resteront, mêlés à l’humanité : ils induiront les malheureux à tous les méfaits de l’audace, aux guerres, aux rapines, aux fraudes, à tout ce qui est contraire à la vraie nature des âmes…

Hermès Trismégiste parachève cette lugubre et menaçante cantilène par l’annonce de grands bouleversements dans la nature. Haec et talis senectus veniet mundi[82]. Une fois morts les cultes païens, l’univers n’a plus qu’à périr ou du moins qu’à se renouveler, et le deus primipotens saura faire son choix entre les moyens propres à en extirper les éléments mauvais (par l’inondation, le feu, les épidémies) pour lui restituer sa face ancienne[83].

On remarquera combien étroitement ces plaintes se lient et s’apparentent à celles que Julien l’Apostat a si souvent formulées. Pour le traducteur de l’Asclepius grec, comme pour l’Empereur lui-même, christianisme signifie barbarie, haine de la lumière, haine de la vie. Il remplit de tombeaux un sol qui se parait naguère de la beauté de ses temples. Il renverse audacieusement toutes les traditions consacrées par le temps. Et il emprunte la force de la loi pour contraindre les âmes vraiment religieuses.

« Tel qu’il est en latin, note fort justement le P. Lagrange[84], l’Asclepius est manifestement l’œuvre d’un néo-platonicien qui connaît le christianisme, qui le hait et qui, sans trop d’espoir, lui oppose la religion de l’intelligence, à laquelle il promet l’avenir, après le châtiment et la restauration. »

Le texte grec est antérieur aux premières années du ive siècle, puisque Lactance l’a eu sous les yeux. Contenait-il déjà certains pressentiments funestes relatifs à l’issue de la lutte engagée entre le christianisme et le paganisme ? La chose n’est pas invraisemblable, mais ne saurait être affirmée. On peut admettre que le traducteur latin l’ait remanié pour y introduire ses doléances indignées, dès après les premières mesures édictées par Constance en 346 et en 353 contre le culte païen[85]. Mais l’analogie de ses griefs avec ceux de l’empereur Julien, et le ton consterné de sa protestation, inviteraient plutôt à supposer que cette transposition latine a été faite assez tard dans le ive siècle, dans la période où les ordonnances anti-païennes se faisaient de plus en plus énergiques et brutales[86].

X

Marius Victorinus est bien connu, grâce à la façon si vivante dont saint Augustin a raconté au VIIIe livre de ses Confessions comment ce rhéteur fameux se convertit. Né en Afrique proconsulaire vers 300, Victorinus exerçait à Rome son métier. Il passait pour un des hommes les plus savants et les plus éloquents de son temps. Il avait même accepté qu’on lui élevât une statue sur le Forum romanum (ou peut-être sur le Forum de Trajan).

Il mettait au service du paganisme menacé sa parole formidable ; — saint Augustin, pour en caractériser la puissance, n’hésite pas à créer un mot nouveau : ore terricrepo. Il n’épargnait pas aux chrétiens, en dépit d’une certaine aménité naturelle qu’il devait garder toute sa vie, des coups de boutoir du genre de celui-ci. Le passage est d’autant plus frappant qu’il surgit inopinément, au milieu d’un exposé paisible sur les « arguments », considérés du point de vue de la rhétorique[87].

Un argument est nécessaire, quand il ne peut être formulé ni démontré autrement qu’il ne l’est effectivement. Un argument nécessaire force la croyance, il la contraint, tandis qu’un argument probable s’insinue et persuade. Tel est le cas d’une affirmation qu’on pose de telle sorte qu’elle ne saurait être autre chose que ce qu’elle est. Exemple : « s’il est né, il mourra » ; « si elle a enfanté, c’est qu’elle a couché avec uri homme… » J’ajoute que, selon l’idée des chrétiens, n’est pas nécessaire l’argument « si elle a enfanté, c’est qu’elle a couché avec un homme » ; et pas davantage celui-ci : « s’il est né, il mourra ». Car ils admettent comme une chose évidente l’existence d’un être qui est né sans l’intervention de l’homme, et qui ne meurt point !

Il est probable que Victorinus ne devait pas se priver, dans son enseignement, de décocher maintes allusions aussi acérées. Saint Augustin nous dit que son cœur était « la retraite inexpugnable du diable[88] » et que sa langue, telle une flèche aiguë, avait tué bien des âmes. Et pourtant une enquête sur l’Écriture sainte et la littérature chrétienne, quoique conçue dans un dessein nettement hostile, l’achemina à des conclusions inattendues. Il sentit naître en lui une sympathie grandissante pour la doctrine contre laquelle il cherchait des armes. Après quelques atermoiements, il fit publiquement sa profession de foi, au milieu d’une émotion qu’Augustin a su décrire avec son ordinaire bonheur d’expression. Il joua dès lors un rôle assez important dans les controverses ariennes, et chercha à utiliser les éléments néo-platoniciens dont il pensait que pouvait s’aider l’interprétation du dogme. Ni son exégèse ni sa philosophie ne satisfaisait entièrement un saint Jérôme. On s’accorde pourtant à reconnaître que Victorinus a formé à l’usage de l’Occident latin une nouvelle langue philosophique qui devait être d’un grand secours pour les logiciens et les métaphysiciens du moyen âge.

XI

Un autre témoignage fort suggestif est celui que nous recueillons dans la Vie des Sophistes, d’Eunape de Sardes.

Né à Sardes, en Lydie, vers 345-346, Eunape fut confié aux soins du philosophe Chrysanthius que Julien « l’Apostat » devait associer, en 362, à ses desseins réformateurs, en faisant de lui un grand prêtre (ἀρχιερεύς) de Lydie. Chrysanthius lui inculqua un zèle ardent pour la religion hellénique et lui fit connaître la doctrine de Jamblique. Il passa quelques années comme étudiant à l’Université d’Athènes, où il suivit les leçons du rhéteur Prohaeresius. Il raconte lui-même qu’il se fit initier aux mystères d’Éleusis[89]. Il revint ensuite dans sa ville natale, et il y enseigna la rhétorique à son tour, non sans acquérir également une certaine compétence en médecine.

Il y entreprit une œuvre historique, dont nous n’avons plus que des fragments[90]. Elle couvrait la période entre Claude II (270) et le début du ve siècle. Mais il avait expédié en un seul livre — sur quatorze — les événements antérieurs à Julien, et s’était étendu sur l’histoire contemporaine, celle qu’il avait personnellement connue et vécue. Profondément blessé par les violences officielles qui, dans les dernières années du ive siècle, précipitèrent la chute du paganisme, Eunape y jugeait sans bienveillance les empereurs chrétiens : toutes ses faveurs, tout son enthousiasme allaient à l’empereur Julien, qu’il magnifiait de son mieux. Photius, qui lisait l’ouvrage au complet, en connaissait deux rédactions, l’une où, dit-il[91] « Eunape avait inséré beaucoup de blasphèmes contre notre sainte religion et exalté la superstition grecque ; il y adressait nombre de critiques aux pieux empereurs » ; l’autre où « il avait laissé tomber beaucoup des attaques précédemment articulées contre notre foi, tout en laissant divers indices de son inimitié à notre égard. » Était-ce vraiment Eunape qui avait opéré cette revision lui-même ? Quand on connaît la solidité de ses rancunes, il est permis d’en douter.

Dans ses Vies de Philosophes et de Sophistes, rédigées au début du ve siècle, et que nous possédons au complet, Eunape fournit vingt-trois notices de longueur fort inégale sur les principaux représentants de l’école néo-platonicienne au ive siècle. Il commence toutefois par Plotin (mort en 270) et Porphyre (dont nous perdons la trace vers 300), ancêtres de cette belle lignée. À partir d’Ædesius et de Maxime d’Éphèse, quatrième et cinquième de la liste, il a connu personnellement ou par ouï-dire la plupart de ceux dont il parle, rhéteurs, philosophes, médecins, tous païens convaincus et dévots fervents du passé hellénique, à l’exception du chrétien Prohaeresius.

Certes l’opuscule est bien médiocre : « Des commérages confus, une crédulité superstitieuse poussée jusqu’à l’absurde, un jargon de rhétorique insipide, des hyperboles puériles, des partis pris évidents, des digressions incessantes : véritable collection des défauts de l’esprit du temps, qu’on ne saurait imaginer plus complète. » C’est ainsi que le juge Maurice Croiset[92]. Il n’est pourtant pas dénué de toute valeur documentaire. Eunape, malgré son peu de talent, fait revivre sous nos yeux un groupe de professeurs et de beaux-esprits, tout occupés de questions chétives, de petites vanités, et profondément complaisants, pour la plupart, aux pratiques de la théurgie et de la magie. Certains parmi eux font figure de charlatans : l’admiration d’Eunape à leur égard n’en est nullement ébranlée, tant lui sont chers ceux qui « honorent les dieux selon l’antique coutume[93] ». Il croit lui-même, d’une foi inentamée, aux démons, aux oracles, aux prédictions des illuminés, aux fantasmagories de la théurgie[94] ; il croit aux miracles de Jamblique, aux prestiges de Maxime, et il tient Porphyre pour « un résumé de toutes les vertus ».

L’impression qui se dégage de ces Vies, c’est que le paganisme gardait encore de puissants étais dans la seconde moitié du ive siècle, surtout dans l’Orient grec (Eunape ne s’intéresse pas à l’Occident). Les chaires de rhétorique et de philosophie étaient presque toutes occupées, à Athènes, par des païens zélés. Et beaucoup de hauts fonctionnaires défendaient aussi l’hellénisme, par exemple, Anatolus de Béryte, préfet d’Illyrie ; Justus, préfet d’Asie ; Hilarius, gouverneur de Lydie. Ils restauraient les temples, rétablissaient les sacrifices publics, sans être inquiétés.

Leur ressentiment contre le christianisme était d’ailleurs très vif, et sur ce point Eunape est en plein accord avec eux. Toutes les fois qu’il touche aux choses chrétiennes, son ton devient ironique, amer, injurieux même.

Voici les spécimens les plus significatifs de cette animosité.

Dans la biographie du philosophe Ædesius, Eunape rappelle incidemment — à propos du don de divination qu’il impute à un certain Antoninus, fils du philosophe Eustathius et fidèle dévot des « ineffables mystères » — que, peu après la mort de celui-ci, les temples de Canope, ceux d’Alexandrie, en particulier le fameux Serapeum, furent détruits ; et que statues et offrandes votives furent dérobées par les assaillants chrétiens, lesquels se vantèrent ensuite d’avoir « vaincu les dieux » !

Ulcéré de ces récents souvenirs — c’est en 389 que l’évêque Théophile d’Alexandrie avait lancé l’offensive. — Eunape ne peut se tenir de dire à ce propos ce qu’il pense des moines, et du culte des martyrs, substitué par eux à celui des dieux[95].

Ils introduisirent ensuite dans les lieux sacrés ces gens appelés moines qui, avec une forme humaine, vivaient comme des porcs, et se livraient ouvertement à toute sortes d’excès que je n’oserais rapporter. Par contre, ils regardaient comme un acte de piété de témoigner leur mépris pour les choses divines. À cette époque, du reste, tout homme affublé d’unérobe noire et qui ne craignait pas d’affecter en public l’oubli des bienséances, avait permission d’exercer une autorité tyrannique : c’est à ce haut point de vertu que l’humanité en était arrivée !

Mais j’ai déjà parlé de ces gens-là dans mon Histoire Générale.

Ces moines furent donc installés aussi à Canope ; et là, ils enchaînèrent la race humaine à un culte d’esclaves, je dis d’esclaves malhonnêtes. Recueillant, en effet, les ossements et les têtes de misérables que leurs nombreux crimes avaient fait condamner par les tribunaux des cités, ils les présentaient comme des dieux, ne quittaient plus ces monuments, et s’imaginaient qu’à se vautrer sur des sépulcres ils devenaient meilleurs. Ils les appelaient « martyrs », « diacres », « messagers[96] » des prières envoyés par les dieux, alors qu’ils n’avaient été que des esclaves, sans cesse roués de coups de fouet et tout sillonnés des cicatrices que leurs perversités leur avaient values.

Et la terre souffre de pareils dieux ! Antonin avait bien dit que les temples deviendraient des tombeaux : sa réputation de prescience en reçut un accroissement d’éclat.

Dans sa notice sur Maxime, conseiller et ami de l’Empereur Julien, Eunape est amené à parler d’un hiérophante des Déesses adorées à Éleusis (c’est-à-dire de Déméter et de Perséphone), qu’il avait entendu prédire la destruction des temples, la ruine de la Grèce, et la fin prochaine du culte d’Éleusis[97] sous les coups d’Alaric.

Peu après, en effet, survinrent d’inexplicables désastres. J’en ai décrit quelques-uns d’une façon plus détaillée dans mon Histoire, et j’en raconterai d’autres encore, st la Divinité le permet. Ce fut à cette époque qu’Alaric envahit la Grèce par les Thermopyles, aussi aisément que s’il avait traversé un stade ouvert ou une plaine accessible à la cavalerie[98]. Ces portes de la Grèce lui furent livrées par l’impiété de ces hommes vêtus de robes sombres qui y pénétrèrent sans obstacle avec lui[99], et par ce fait que les lois et les obligations prescrites par les oracles des hiérophantes avaient été déchirées.

Mais tout cela n’arriva que plus tard, et c’est la mention de cette prophétie qui a fait dévier ma narration.

Il est possible, mais non certain, qu’il fasse allusion à l’invasion des Goths d’Alaric dans un passage de ses Histoires qui nous est parvenu isolé[100].

Ces barbares, dit-il, s’intitulent chrétiens, ils ont leurs évêques. Ils ont même leurs moines, ce qui n’est pas difficile, puisque, pour être moine, il suffit de balayer la terre de manteaux et de tuniques d’un brun sale, d’être malhonnête homme — et d’en avoir la réputation[101]. Comme les barbares savaient que tout cela était en admiration chez les Romains, ils s’en servaient pour les tromper, et ils y réussissaient.

Telle est la disposition constante d’Eunape à l’égard du christianisme. Son ordinaire bienveillance, qui confine parfois à la naïveté, s’aigrit et fait place à l’hostilité la plus acerbe, dès qu’il le rencontre sur sa route. On a vu comment il traite la milice monastique : non seulement il l’accuse de ravaler le culte à d’absurdes mômeries, mais il la suspecte de trahison contre la patrie.

XII

Même chez les lettrés qui, à la différence des précédents, ne trahissent aucune animosité à l’égard du christianisme, et qui n’hésitent pas à versifier à l’occasion des vers chrétiens — c’est, vers la fin du ive siècle, le cas d’Ausone et celui de Claudien —, l’esprit de leur œuvre reste païen foncièrement. Magnifique héritage de belles sentences et de beaux vers, le paganisme est vraiment la patrie de leur pensée. Ils acceptent parfois des formules qui sont en opposition directe avec les croyances chrétiennes ou qui impliquent à leur sujet un doute inadmissible : « Si quelque chose subsiste après l’heure suprême, dit Ausone, s’adressant à son défunt collègue Minervius[102], tu vis encore, avec le souvenir de ton existence close désormais ; si rien ne demeure, et que de l’éternel repos tout sentiment soit exclu, tu as vécu pour toi ; et nous, nous nous réjouissons de ta gloire. » — Quant à Claudien, auteur de moins en moins contesté du Carmen Paschale de Salvatore[103], il prend sa revanche sur un détracteur de ses vers le dux Jacob, en lui adressant une pièce ironique, qui implique que ce pieux général se fiait plus que de raison à l’intervention des saints, au lieu de s’aider lui-même.

Par les cendres de Paul, par le seuil (de l’Église) de Pierre à la blanche chevelure, général Jacob, ne déchirez pas mes vers ! Et qu’en échange Thomas vous serve de bouclier pour protéger votre poitrine ; que Barthélemy vous accompagne à la guerre ; que l’appui des saints ferme les Alpes à l’invasion barbare ; que sainte Suzanne vous communique sa force ; que soit submergé tout ennemi farouche qui franchira les glaces de l’Ister, comme le furent les coursiers rapides du Pharaon ; qu’un glaive vengeur frappe les hordes gétiques ; et que l’heureuse Thécla protège les troupes romaines[104] !

Le milieu des lettrés et des professeurs a peut-être été le plus imperméable de tous aux profondes influences chrétiennes.


  1. De Mort. Persec., 48 (Brandt, p. 228 et s.).
  2. Hist. Eccl., X, v, 2.
  3. Paul Lejay, dans la Rev. d’Hist. et de Litt. rel., 1900, p. 187.
  4. Voir plus loin, p. 356, le cas d’Aurelius Victor. G. Boissier (Fin du Pagan., II, 209) remarque que « le silence, un silence hautain et insolent » devint la dernière protestation du culte proscrit.
  5. Hypothèse de Dessau, dans l’Hermès, t. XXIV (1889), p. 337 et s.
  6. Voy. p. 50.
  7. Vita Aureliani, XX, 5 (Holl, t. II, p. 164, l. 13).
  8. Vita Severi, 17 (Holl, t. I, p. 149, l. 8).
  9. III, 3 (Holl, t. I, p. 225, l. 12).
  10. XLIV, 6 (t. I, p. 290, l. 17).
  11. LI, 6-7.
  12. XLIII, 6 (t. I, p. 285, l. 28).
  13. XXIX, 2 (t. I, p. 273, l. 27).
  14. XLV, 6 (t. I, p. 287, l. 18).
  15. Voy. sur ce point Geffcken, dans l’Hermès, t. LV (1920), p. 279 et s. ; Homo, dans la Revue Historique, mai-juin 1926, p. 29 et s.
  16. Conf., VIII, 2, 3.
  17. Contra Symmachum, I, 592 et s. (Bergman, Corpus Script. Eccl. lat., t. 61, p. 241).
  18. Ibid., 566 et s.Comp. 544 et s., 574 et s. Témoignage analogue dans saint Jérôme, Ép., 66, 4 (éd. Hilberg, p. 651, l. 15 et s.).
  19. Lois d’Honorius (Code Théod., XVI, 5, 42, 14 nov. 108). Cf. Maurice, Bull. de la Soc. des Antiq. de France, 1929, p. 145.
  20. Par ex. en 384.
  21. Constant Martha, Études mor. sur l’Antiq., p. 260. Nous avons déjà signalé l’action antichrétienne de certains lettrés dès le début du ive s. (p. 304).
  22. P. Allard, Julien l’Apostat, II, 350 ; Diehl, dans Hanotaux, Hist. de la Nation Égyptienne, Paris, s. d., t. III [1932], p. 33.
  23. Patrol. gr., 56, 745 ; comp. 765 bas et 776 bas.
  24. Cassiodore, Hist. trip., IX, 27 (Patrol. lat., 69, 1143), d’après Sozomène VII, 15. Rufin, H. E., ii, 22 appelle ce philosophe « Olympus ». — Noter aussi les discussions de saint Antoine avec des philosophes qui viennent le relancer au désert et, par le moyen d’un interprète (Antoine ne parle que le copte), le somment de fournir des raisons valables de sa foi au Christ (Vita Antonii, de saint Athanase, 74 et s. Patrol. lat., 26, 945). — Sur la légende d’après laquelle certains philosophes auraient pris part aux débats du Concile de Nicée, voy. Jugie, dans Échos d’Orient, 24 (1925), 403 et s.
  25. Ce goût du fucus, du blandior sonus, est fort bien défini par Lactance, Inst. Div., V, 1 (Brandt, I, p. 401). Saint Augustin connaît des puristes qui trouvaient des barbarismes chez Cicéron lui-même ! (De Ordine, II, 15, 45 ; Migne, 33, 1016).
  26. Textes innombrables. Un bon choix, de Karl Sittl, dans l’Archiv. für latein. Lexicog., VI, 560 et s.
  27. Ép. 40, ; 100, 4 et s. ; 115. — Rappelons que la Correspondance entre Sénèque et saint Paul, forgée très probablement au ive siècle (v. ici p. 25), prouve l’anxiété où l’accusation de mal écrire jetait certains chrétiens.
  28. Voy. saint Augustin, De Doctr. Chr., IV, vii, 16 « Male doctis hominibus respondendum fuit, qui nostros auctores contemnendos putant, non quia non habent, sed quia non ostentant, quam nimis isti diligunt, eloquentiam. » — Saint Jérôme écrit son de Viris illustribus, en 392, pour « apprendre aux Celse, aux Porphyre, aux Julien et à leurs disciples, qui estiment que l’Église n’a ni philosophes, ni orateurs, ni docteurs, les noms des grands hommes dont la Foi s’honore ; ainsi cesseront-ils d’accuser cette foi de simplicitas rustica ».
  29. IV, i, 11 et s.
  30. II, 8 (éd. Brandt, p. 124).
  31. Athanase, Or. c. Gentes, x (Patrol. gr., 25, 24) ; Eusèbe de Césarée, Prép. Év., II, vi (ibid., 21, 141) ; saint Ambroise, Ép. 18, etc. ; Prudence, Contra Symm., II, 277 et s.
  32. Contra Symmachum, I, 449 : Théodose dit à Rome : « Sint haec barbaricis gentilia numina pagis  »
  33. Poème 64.
  34. Contra Symmachum, I, 136 et s.
  35. Ibid., 144.
  36. Ibid., II, 277 et s.
  37. Cavallera, dans le Bulletin de Litt. Ecclés. de Toulouse, 1921, p. 214.
  38. Conf. III, 5.
  39. Ép. 22, 30.
  40. Citons seulement les propos dont l’apologiste Arnobe se fait l’écho, Adv. Nation., I, 59 « Barbarismis, soloecismis obsitae sunt res vestrae et vitiorum deformitate pollutao ». Cf. I, 45 ; I, 58 ; celui de saint Jérôme, Chroniq., Préf. (éd. Helm, p. 3) ; d’Augustin, de Catech. Rudibus, IX.
  41. Ép. x, 12.
  42. Dans le De Virginibus et le De Virginitate.
  43. Ép. xiv, 2-3.
  44. Relatio, III, 2.
  45. « Abandonner les autels, remarque Symmaque (Ép. I, 51), c’est aujourd’hui pour les Romains une manière de faire leur cour. » Nunc aris deesse Romanos genus est ambiendi.
  46. Prudence a donné une description saisissante du taurobole dans son Péristephanon, X, 1011 et s. On creuse une fosse où le myste (que Prudence appelle summus sacerdos) descend ; il a le front ceint de bandelettes et d’une couronne d’or, et il est revêtu d’une toge de soie. La fosse est couverte de planches percées de trous sur lesquelles un taureau est immolé. L’initié reçoit le sang : « Il offre sa tête à la souillure de ce flot qui salit son vêtement et tout son corps. Il tend sa figure, ses joues, ses oreilles, ses lèvres, ses narines, ses yeux, sa langue même, jusqu’à ce qu’il soit imbibé tout entier de ce sang. » Une fois la victime morte, on enlève la claire-voie : « Le pontifex sort de là, horrible à voir ; il montre avec orgueil sa tête humide, sa barbe alourdie, ses bandelettes dégouttantes, ses vêtements mouillés à tordre. Tous le saluent, et de tout près l’adorent. »
  47. Buecheler, Carm. lat. epigr., no 654.
  48. Corp. Inscr. lat, VI, 564 = Dessau, Insc. lat. sel., no 4153.
  49. Dessau, Inscr. lat. sel., 4269. Voir aussi Corp. Inscr. lat, VI, 500 et s. ; 504 ; 510 ; 511 ; 1698 ; 1741 et s. ; 1778 et s. ; 2151.
  50. Buecheler, Carmina lat. epigr., no 111, p. 62 [Anthol. lat., pars posterior, fasc. I (1895)] ; Dessau, Inscr. lat. sel., no 1259.
  51. Bel éloge de lui dans Symmaque, Rel. xii (Seeck, p. 289).
  52. La plus haute dignité de la hiérarchie mithriaque : voy. Wissowa, Rel. und Kultus der Römer, 2e  éd., p. 370.
  53. Cybèle.
  54. Macrobe, Saturn., i, 24, 17 ; Sozomène, Hist. Eccl., vii, 22.
  55. L’Invective dont il sera parlé plus loin (p. 353) lui reproche véhémentement d’avoir fomenté les apostasies, en prodiguant ses faveurs à ceux qui cédaient (v. 78 et s.).
  56. Saint Augustin, Ép. 87, 8.
  57. Cf. p. 457. Nicomachus passait pour un esprit exceptionnelloment cultivé ; il s’occupait de philosophie (Symmaque, Ép. ii, 51), d’histoire (Dessau, Inscr. lat. sel., no 2947), de « théologie » (Macrobe, Saturn., III, 10, 1 et s.).
  58. Biblioth. de l’École des Chartes, t. III (1867), 6e  série, p. 295 et s.
  59. Paris, fonds latin, no 8084, vie s.
  60. Revue Archéol., 1868, t. I, p. 451 et s. Les allusions significatives se lisent aux vers 25 ; 32 ; 33 ; 58 ; 111 ; 122 ; 124. Ellis (Journal of Philology, II, 66-80) ; Rossi (Bull. di arch. chr., 1868, p. 49-58 et 61-91), Mommsen, Hermès, IV (1870), p. 353 et s. ont contribué à l’élucidation du texte.
  61. V. 57 et s. « Quis tibi taurobolus, etc. ».
  62. V. 65.
  63. V. 91.
  64. V. 98 et s.
  65. Édition de Peiper, dans le Corpus Script. Eccl. lat., t. XXIII, p. 227.
  66. Anthol. lat., 2, Carmina epigr. (Buecheler), no 111, v. 8 et s.
  67. Deux subscriptions : l’une figure dans tous les manuscrits ; l’autre se lit dans le Parisinus 16230 et le Sorbonianus 629, après la XVIIIe Declamatio.
  68. Vers 47 et s. — C’est Nicomachus qui, d’après le poète, l’aurait amené aux rites mithriacistes. Ce Hierius faisait donc partie du cercle des Nicomachi.
  69. Laurentianus 68, 2, xie s. (fin des livres IV, VIII ; IX ; X). Voir l’intéressant article de H. I. Marrou, La vie intellectuelle au Forum de Trajan et au Forum d’Auguste, dans les Mél. d’Archéol. et d’Hist. de l’Éc. de Rome, t. XLIV (1932), p. 93 et s.
  70. Mention dans le Leidensis 82, s. XI et le Laurentianus 34, 42, s. XI.
  71. Mss. de la « seconde » famille.
  72. Montepessulanus 212, s. X ; Cod. tabularii basilicae Vaticanae 36, 11, s. IX.
  73. Subscription des livres VI, VII et VIII.
  74. Schanz, Röm. Literaturgesch., II, i, p. 137.
  75. Ibid., I, ii, p. 283.
  76. Végèce est revisé en 450, à Constantinople, par Flavius Eutropius ; Virgile, à la fin du ve s., par Turcius Rufus Apronianus Asperius ; Horace, au début du vie s., par Vettius Agorius Basilius Mavortius ; César vers la même époque, par Flavius Licerius Firminus Lupicinus ; Pomponius Mela, ar Rusticius Helpidius Domnulus ; Julius Paris (l’abréviateur de Valère-Maxime), par le même, etc.
  77. Il sera question plus loin du rhéteur Libanius, à propos de Julien « l’Apostat », p. 429. — Si le silence est quelquefois une « opinion », il est bon de rappeler ici que l’historien Aurelius Victor, lequel bénéficia de la faveur toute spéciale de l’empereur Julien, trouva moyen de rédiger vers 360-361 une série de notices — fort courtes, il est vrai — sur les Césars, le Liber de Caesaribus (éd. Pichmayr, dans la Teubneriana, p. 77-129), sans mentionner les chrétiens ni souffler mot des persécutions.
  78. Instit. div., IV, 6, 4 ; VII, 13, 3 ; VII, 18, 3. Il en a traduit lui-même un passage dans son Épitome.
  79. Cité de Dieu, VIII, 23.
  80. Éd. P. Thomas (Bibl. Teubner), p. 60.
  81. Il pense évidemment aux memoriae des martyrs. C’est bien ainsi que saint Augustin a compris l’allusion (Cité de Dieu, VIII, xxvi).
  82. P. 63, l. 14 (éd. P. Thomas).
  83. Ad antiquam faciem mundum revocabit (p. 63, l. 22).
  84. Revue Biblique, t. 34 (1925), p. 386.
  85. Voy. Neill et Nock, dans Journal of Theol. Studies, t. 26 (1925), p. 174. Ces critiques rappellent la prédiction sinistre d’Antoninus, païen d’Égypte, telle qu’elle est rapportée par Eunape, Vie d’Ædesius (p. 61, Boissonnade), V, p. 367.
  86. F. Martroye a voulu démontrer dans une savante étude (Rev. histor. de Droit français et étr., 1930, p. 669-701) que les Constitutions des empereurs chrétiens, tout au long du ive s. (jusqu’en 395), n’auraient eu pour but que de faire obstacle à l’accomplissement des rites magiques, et non de proscrire l’ancienne religion. On peut contester l’interprétation qu’il donne du mot superstitio, lequel ne désignerait pas dans la langue juridique le culte des idoles. Ce qui est sûr, c’est que, du côté païen, on imputait à ces empereurs des intentions moins inoffensives.
  87. In rheloricam M. Tulli Ciceronis libro duo, i, 29 (dans Halm, Rhetores latini minores, Leipzig, 1863, p. 232, l. 30 et s.). « … Alioqui secundum Christianorum opinionem non est necessarium argumentum : « Si peperit, cum viro concubuit » neque hoc rursus « si natus est, morietur » .Nam aput eos, manifestum est sine viro natum et non mortuum. »
  88. Conf. VIII, 4, 9
  89. Vie des Sophistes, éd. Boissonade (Didot), p. 475.
  90. Ces fragments, conservés principalement par Photius, Suidas, Constantin Porphyrogénète, ont été recueillis par C. Mueller, Fragm. Histor. Graecorum, t. IV (1668) p. 7 et s. (Didot) et par Dindorf, Histor. Gr. Min., t. I (1870), p. 205 et s. (dans la Biblioth. Teubner).
  91. Biblioth. (Patrol. gr., 103, 245).
  92. Hist. de la Litt. Grecque, V, 886.
  93. θεοὺς θεραπεύοντες κατὰ τὸν ἀρχαῖον νόμον (Fragm., éd. Dindorf, p. 252, l. 22 ; cf. Vie des Soph., Boissonade, p. 503).
  94. Voir le récit, traduit plus loin, p. 380. — C’est Eunape qui aurait voulu que Philostrate eût intitulé sa Vie d’Apollonius de Tyane « Voyage d’un dieu parmi les hommes », car « Apollonius n’était pas seulement un philosophe, mais un demi-dieu, — moitié dieu, moitié homme » (Vie des Soph., Boissonade, p. 454).
  95. Éd. Boissonade, p. 472.
  96. πρέσβεις.
  97. Éd. Boissonade, p. 476, l. 10 et s.
  98. Comp. Claudien, De Bello Getico, vers 187-188 : Primo conamine ruptae | Thermopylae.
  99. Zosime, peu favorable lui-même aux chrétiens, n’impute cet échec qu’à la complicité ou à la lâcheté de Gérontius, chargé de couvrir les Thermopyles, et du proconsul d’Achaïe, Antiochus (V, 5, 5).
  100. Fragm. Hist. Graec., no 55, t. IV, p. 38 (Didot).
  101. ἐξήρκει φαιὰ ἱμάτια σύρουσι καὶ χιτώνια, πονηροῖς τε εἶναι καὶ πιστεύεσθαι.
  102. Éd. Peiper, p. 50.
  103. Éd. Birt, Carmina Minora, no 32.
  104. Carmina minora, 50 (éd. Birt).