La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle/Pièces justificatives/02

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II.

Procès-verbal de la torture subie le 19 octobre 1724
par Romule Ackerini.


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À huit heures et demy, il a commencé à trembler sur la sellette ; et comme le prisonnier avoit une rupture ou descente des boieaux, dont il se plaignoit, le chirurgien luy a mis des bandages à huict heures et demy, malgrez quoy il a continué à trembler sur la sellette.

Pendant qu’on luy mettoit les bandages, nous avons remarqué qu’il grinçait des dents, vraysemblablement à cause des douleurs que la descente lui causoit.

Après les huict heures et demy, nous avons remarqué un mouvement continuel des lèvres comme d’un homme priant et les yeux presque fermez.

Le quart devant neuf heures, le susdit mouvement des lèvres a cessé aussi bien que le tremblement.

Vers les neuf heures et demy, le valet du Mtre des hautes œuvres a offert à boire au patient, sur ce que celuy cy crachoit, et le patient fit signe de la teste qu’il n’en vouloit point.

Un peu avant le quart avant dix heures, nous avons remarqué que les douleurs le pressoit, qu’il panchoit la teste tantôt d’un costé, et tantôt de l’autre, au lieu qu’auparavant il estoit presque immobile.

Le médecin luy a demandé s’il vouloit boire, et le patient a repondu que non.

Vers les dix heures, il a crié : Jesus, Maria, et un moment après : Jesus, Maria, miséricorde !

Après quoy le conseiller proc. Gal  et nous premier commissaire avons successivement exhortez le patient à dire la vérité, sur quoy il a repondu l’avoir déjà ditte.

Un moment après, il a demandé à boire ; on luy a donné un gobelet de petite bière dont il a beu la moitié.

À dix heures, il a soupiré et commencé à avoir la respiration plus difficile et a crié : Jésus, Marie.

Après les dix heures, il a crié et demandé d’être délié ; sur quoy nous luy avons repondu qu’il falloit avant tout commencer à dire la vérité.

Le patient a répliqué qu’il avoit déjà dit la vérité et qu’il ne sçavoit rien autre chose ; il a encore crié et prié qu’on le voulut délier, au moins les mains.

Il nous a demandé aussi de vouloir luy dire ou indiquer ce qu’on veut qu’il avoue ; a quoy on luy a repondu qu’il devoit luy même dire la vérité de sa propre bouche et déclarer ce que sa propre conscience lui dictoit ; après cecy il s’est teù.

À dix heures et un quart, il a demandé à boire et a vuidé le gobelet tout entier.

Vers les dix heures et demy, il a fort insisté à être délié, en persistant toujours qu’il avoit déjà dit la vérité ; sur quoy nous avons répondu comme cy devant ; ensuitte il a demandé à boire et a vuidé le gobelet presque entier, comme il a encore fait vers les onze heures.

À onze heures, il a fait encore les mêmes instances pour être délié sans néanmoins rien vouloir avouer.

À onze heures et demy, il a demandé à boire et a vuidé le gobelet, comme il a beu aussi une goutte, le quart avant douze heures. Il a fait de même quelques minutes après, lorsqu’il cria : o Dieu, o Dieu, miséricorde !

Le quart après douze heures, il a demandé à boire et a vuidé le gobelet.

Le quart avant une heure, luy ayant demandé s’il ne vouloit pas encor déclarer la vérité, et disant qu’il n’avoit rien à nous dire et qu’il ne sçavoit rien, nous avons ordonné que les ligatures des cordes seroient changées et les pieds rehaussés ; ce qu’estant fait, il a commencé à crier miséricorde au Seigneur et à faire semblant de pleurer.

Un peu après une heure, il a demandé à boire et a beu la moitié du gobelet, se plaignant continuellement.

Le quart avant deux heures, il a demandé à boire et a beu un demi gobelet.

Vers les trois heures, demandant d’estre délivré, il nous a déclaré… (Suivent les aveux) .....................

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Déclaran le prisonnier tout ce que dessus contenir la pure vérité sans qu’il sache autre chose et sans y pouvoir joindre ou en pouvoir oter ; et estant le prisonnier demis de la sellette et hors de tous liens, nous l’avons fait mettre auprès du feu, fait donner un chaud d’eau pour prendre ses forces, nous avons attendu l’intervalle de cinq quarts d’heure, lorsque nous avons interrogé les susdit médecin et chirurgien si le patient avoit repris ses forces et s’il estoit bien rétabli, lesquels nous ont dit et assuré qu’il estoit en très bon estat ; ce fait, nous avons presleu ce que dessus et luy avons demandé s’il y persistoit et s’il vouloit signer avec nous commissaires et adjoint ; et le prisonnier ayant déclaré qu’oui, a effectivement signé de même que nous commissaires et adjoint.

Jo segnio che tutto quitto du milio letto me lanno facto dire p. tormento.

(S.) Jo Romolo Accherini.

Lequel conseiller proc. Gal , attendu que le prisonnier, a sept heure de ce soir, en signant cette sienne déclaration, s’est retracté de ce qu’il nous a dit, requiert que nous voulussions ordonner qu’il sera incessamment réappliqué à la question. Sur ce avons ordonné nous premier Comre que le prisonnier soit reappliqué à la de question.

Sur quoi la sellette étant raportée par le maître des hautes œuvres, et le prisonnier aiant les mains reliées, prêt à être reappliqué à la question, il nous a déclaré qu’il revoquoit la clause apposée en langue italienne à la précédente signature, qu’elle etoit fausse et point véritable, qu’il se sentoit hors de douleur, que la précédente déposition et déclaration contenaient la pure vérité, qu’il y persistoit et qu’il etoit prêt à signer présentement tout son contenu purement et simplement sans adjoute ; en conséquence de quoi nous lui avons fait délier les mains, retirer le maître des hautes œuvres et remporter la sellette ; à quel effet et après prélecture de cette il a autrefois persisté et signé avec nous commissaires et adjoint.

(S.) A. Romolo Accherini[1].
B.-G. De Decker.xxx
J.-D. De Geldorp.xxx
J. Van der Linden.xxx

La note du maître des hautes œuvres monte à 214 florins.

[Archives du Royaume à Bruxelles. Grand Conseil de Malines, Office fiscal, liasse 38, no 175.]


  1. R. Ackerini mourut sur la roue, place du Grand-Sablon, à Bruxelles, le 26 octobre 1724.