La Vie de M. Descartes/Livre 2/Chapitre 1

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Daniel Horthemels (p. 77-86).

Aprés avoir rapporté de suite les affaires qui se sont passées en Allemagne sous les yeux de M Descartes, nous nous sommes fait un plus grand jour, pour exposer aux yeux des autres ce qui se passa dans son esprit, et dont il fut le seul acteur peu de têms aprés s’être engagé dans les troupes du Duc De Baviére. Nous avons remarqué qu’àprés avoir quitté sur la fin de septembre de l’an 1619 la ville de Francford, où il avoit assisté au couronnement de l’empereur, il s’arrêta sur les frontiéres de Baviére au mois d’octobre, et qu’il commença la campagne par se mettre en quartier d’hiver. Il se trouva en un lieu si écarté du commerce, et si peu fréquenté de gens dont la conversation fût capable de le divertir, qu’il s’y procura une solitude telle que son esprit la pouvoit avoir dans son état de vie ambulante. S’étant ainsi assuré des dehors, et par bonheur n’ayant d’ailleurs aucuns soins ni aucunes passions au dedans qui pussent le troubler, il demeuroit tout le jour enfermé seul dans un poësle, où il avoit tout le loisir de s’entretenir de ses pensées. Ce n’étoient d’abord que des préludes d’imagination : et il ne devint hardi que par dégrez en passant d’une pensée à une autre, à mesure qu’il sentoit augmenter le plaisir que son esprit trouvoit dans leur enchaînement. Une de celles qui se présentérent à lui des prémiéres, fut de considérer qu’il ne se trouve point tant de perfection dans les ouvrages composez de plusieurs piéces et faits de la main de divers maîtres, que dans ceux ausquels un seul a travaillé. Il lui fut aisé de trouver dequoi soutenir cette pensée, non seulement dans ce qui se void de l’architecture, de la peinture, et des autres arts, où l’on remarque la difficulté qu’il y a de faire quelque chose d’accompli en ne travaillant que sur l’ouvrage d’autrui, mais même dans la police qui regarde le gouvernement des peuples, et dans l’établissement de la religion qui est l’ouvrage de Dieu seul.

Il appliqua ensuite cette pensée aux sciences, dont la connoissance où les préceptes se trouvent en dépôt dans les livres. Il s’imagina que les sciences, au moins celles dont les raisons ne sont que probables, et qui n’ont aucunes démonstrations, s’étant grossies peu à peu des opinions de divers particuliers, et ne se trouvant composées que des réfléxions de plusieurs personnes d’un caractére d’esprit tout différent, approchent moins de la vérité, que les simples raisonnemens que peut faire naturellement un homme de bon sens touchant les choses qui se présentent à lui. Delà il entreprît de passer à la raison humaine avec la même pensée. Il considéra que pour avoir été enfans avant que d’être hommes, et pour nous être laissez gouverner long têms par nos appétits, et par nos maîtres, qui se sont souvent trouvez contraires les uns aux autres, il est presque impossible que nos jugemens soient aussi purs, aussi solides qu’ils auroient été, si nous avions eu l’usage entier de nôtre raison dés le point de nôtre naissance, et si nous n’avions jamais été conduits que par elle.

La liberté qu’il donnoit à son génie ne rencontrant point d’obstacles, le conduisoit insensiblement au renouvellement de tous les anciens systêmes. Mais il se retint par la vuë de l’indiscrétion qu’il auroit blâmée dans un homme, qui auroit entrepris de jetter par terre toutes les maisons d’une ville, dans le seul dessein de les rebâtir d’une autre maniére.

Cependant comme on ne trouve point à redire qu’un particulier fasse abattre la sienne lors qu’elle le menace d’une ruïne inévitable, pour la rétablir sur des fondemens plus solides : il se persuada qu’il y auroit en lui de la témérité à vouloir réformer le corps des sciences ou l’ordre établi dans les ecoles pour les enseigner ; mais qu’on ne pourroit le blâmer avec justice d’en faire l’épreuve sur lui même sans rien entreprendre sur autruy. Ainsi il se résolut une bonne fois de se défaire de toutes les opinions qu’il avoit reçuës jusqu’àlors ; de les ôter entiérement de sa créance, afin d’y en substituer d’autres ensuite qui fussent meilleures, ou d’y remettre les mêmes, aprés qu’il les auroit vérifiées, et qu’il les auroit ajustées au niveau de la raison . Il crut trouver en ce point les moiens de réüssir à conduire sa vie, beaucoup mieux que s’il ne bâtissoit que sur de vieux fondemens, ne s’appuyant que sur les principes qu’il s’étoit laissé donner dans sa prémiére jeunesse, sans avoir jamais éxaminé s’ils étoient vrays.

Il prévoioit pourtant qu’un projet si hardi et si nouveau ne seroit pas sans difficultez. Mais il se flatoit que ces difficultez ne seroient pas aussi sans reméde : outre qu’elles ne mériteroient pas d’entrer en comparaison avec celles qui se trouveroient dans la réformation des moindres choses qui touchent le public. Il mettoit une grande différence entre ce qu’il entreprenoit de détruire en lui même, et les établissements publics de ce monde, qu’il comparoit à de grands corps, dont la chute ne peut être que tres-rude, et qui sont encore plus difficiles à relever quand ils sont abatus, qu’à retenir quand ils sont ébranlez. Il estimoit que l’usage avoit adouci beaucoup de leurs imperfections, et qu’il en avoit insensiblement corrigé d’autres, beaucoup mieux que n’auroit pû faire la prudence du plus sage des politiques ou des philosophes. Il convenoit même que ces imperfections sont encore plus supportables que ne seroit leur changement : de même que les grands chemins qui tournoïent entre des montagnes, deviennent si unis et si commodes à force d’être batus et fréquentez, qu’on se rendroit ridicule de vouloir grimper sur les rochers, ou descendre dans les précipices, sous prétexte d’aller plus droit. Son dessein n’étoit pas de cette nature. Ses vuës ne s’étendoient pas alors jusqu’aux intérêts du public. Il ne prétendoit point réformer autre chose que ses propres pensées, et il ne songeoit à bâtir que dans un fonds qui fût tout à lui. En cas de mauvais succés, il croioit ne pas risquer beaucoup, puis que le pis qu’il en arriveroit, ne pourroit être que la perte de son têms et de ses peines, qu’il ne jugeoit pas fort nécessaires au bien du genre humain.

Dans la nouvelle ardeur de ses résolutions, il entreprit d’éxécuter la prémiére partie de ses desseins qui ne consistoit qu’à détruire. C’étoit assurément la plus facile des deux. Mais il s’apperçut bien tôt qu’il n’est pas aussi aisé à un homme de se défaire de ses préjugez, que de brûler sa maison. Il s’étoit déja préparé à ce renoncement dés le sortir du collége : il en avoit fait quelques essais prémiérement durant sa retraitte du fauxbourg S Germain à Paris, et ensuite durant son séjour de Breda. Avec toutes ces dispositions, il n’eut pas moins à souffrir, que s’il eût été question de se dépoüiller de soi-même. Il crût pourtant en être venu à bout. Et à dire vrai, c’étoit assez que son imagination lui présentât son esprit tout nud, pour lui faire croire qu’il l’avoit mis effectivement en cét état. Il ne lui restoit que l’amour de la vérité, dont la poursuitte devoit faire d’orénavant toute l’occupation de sa vie. Ce fut la matiére unique des tourmens qu’il fit souffrir à son esprit pour lors. Mais les moyens de parvenir à cette heureuse conquête ne lui causérent pas moins d’embarras que la fin même. La recherche qu’il voulut faire de ces moiens, jetta son esprit dans de violentes agitations, qui augmentérent de plus en plus par une contention continuelle où il le tenoit, sans souffrir que la promenade ni les compagnies y fissent diversion. Il le fatigua de telle sorte que le feu lui prît au cerveau, et qu’il tomba dans une espéce d’enthousiasme, qui disposa de telle maniére son esprit déja abatu, qu’il le mit en état de reçevoir les impressions des songes et des visions.

Il nous apprend que le dixiéme de novembre mil six cent dix-neuf, s’étant couché tout rempli de son enthousiasme , et tout occupé de la pensée d’avoir trouvé ce jour là les fondemens de la science admirable , il eut trois songes consécutifs en une seule nuit, qu’il s’imagina ne pouvoir être venus que d’enhaut. Aprés s’être endormi, son imagination se sentit frappée de la représentation de quelques fantômes qui se présentérent à lui, et qui l’épouvantérent de telle sorte, que croyant marcher par les ruës, il étoit obligé de se renverser sur le côté gauche pour pouvoir avancer au lieu où il vouloit aller, parce qu’il sentoit une grande foiblesse au côté droit dont il ne pouvoit se soutenir. Etant honteux de marcher de la sorte, il fit un effort pour se redresser : mais il sentit un vent impétueux qui l’emportant dans une espéce de tourbillon lui fit faire trois ou quatre tours sur le pied gauche. Ce ne fut pas encore ce qui l’épouvanta. La difficulté qu’il avoit de se traîner faisoit qu’il croioit tomber à chaque pas, jusqu’à ce qu’ayant apperçû un collége ouvert sur son chemin, il entra dedans pour y trouver une retraite, et un reméde à son mal. Il tâcha de gagner l’eglise du collége, où sa prémiére pensée étoit d’aller faire sa priére : mais s’étant apperçu qu’il avoit passé un homme de sa connoissance sans le saluër, il voulut retourner sur ses pas pour lui faire civilité, et il fut repoussé avec violence par le vent qui souffloit contre l’eglise. Dans le même tems il vid au milieu de la cour du collége une autre personne qui l’appella par son nom en des termes civils et obligeans : et lui dit que s’il vouloit aller trouver Monsieur N il avoit quelque chose à lui donner.

M Desc s’imagina que c’étoit un melon qu’on avoit apporté de quelque païs étranger. Mais ce qui l e surprit d’avantage, fut de voir que ceux qui se rassembloient avec cette personne autour de lui pour s’entretenir, étoient droits et fermes sur leurs pieds : quoi qu’il fût toujours courbé et chancelant sur le même terrain, et que le vent qui avoit pensé le renverser plusieurs fois eût beaucoup diminué. Il se réveilla sur cette imagination, et il sentit à l’heure même une douleur effective, qui lui fit craindre que ce ne fût l’opération de quelque mauvais génie qui l’auroit voulu séduire. Aussi-tôt il se retourna sur le côté droit, car c’étoit sur le gauche qu’il s’étoit endormi, et qu’il avoit eu le songe. Il fit une priére à Dieu pour demander d’être garanti du mauvais effet de son songe, et d’être préservé de tous les malheurs qui pourroient le menacer en punition de ses péchez, qu’il reconnoissoit pouvoir étre assez griefs pour attirer les foudres du ciel sur sa tête : quoiqu’il eût mené jusques-là une vie assez irréprochable aux yeux des hommes.

Dans cette situation il se rendormit aprés un intervalle de prés de deux heures dans des pensées diverses sur les biens et les maux de ce monde. Il lui vint aussitôt un nouveau songe dans lequel il crût entendre un bruit aigu et éclatant qu’il prit pour un coup de tonnére. La frayeur qu’il en eut le réveilla sur l’heure même : et ayant ouvert les yeux, il apperçût beaucoup d’étincelles de feu répanduës par la chambre. La chose lui étoit déja souvent arrivée en d’autres têms : et il ne lui étoit pas fort extraordinaire en se réveillant au milieu de la nuit d’avoir les yeux assez étincellans, pour lui faire entrevoir les objets les plus proches de lui. Mais en cette derniére occasion il voulut recourir à des raisons prises de la philosophie : et il en tira des conclusions favorables pour son esprit, aprés avoir observé en ouvrant, puis en fermant les yeux alternativement, la qualité des espéces qui lui étoient représentées. Ainsi sa frayeur se dissipa, et il se rendormit dans un assez grand calme.

Un moment aprés il eut un troisiéme songe, qui n’eut rien de terrible comme les deux prémiers. Dans ce dernier il trouva un livre sur sa table, sans sçavoir qui l’y avoit mis. Il l’ouvrit, et voyant que c’étoit un dictionnaire , il en fut ravi dans l’espérance qu’il pourroit lui être fort utile. Dans le même instant il se rencontra un autre livre sous sa main, qui ne lui étoit pas moins nouveau, ne sçachant d’où il lui étoit venu. Il trouva que c’étoit un recueil des poësies de différens auteurs, intitulé corpus poëtarum etc. Il eut la curiosité d’y vouloir lire quelque chose : et à l’ouverture du livre il tomba sur le vers (…) ? Etc. Au même moment il apperçût un homme qu’il ne connoissoit pas, mais qui lui présenta une piéce de vers, commençant par est et non , et qui la lui vantoit comme une piéce excellente. M Descartes lui dit qu’il sçavoit ce que c’étoit, et que cette piéce étoit parmi les idylles d’Ausone qui se trouvoit dans le gros recüeil des poëtes qui étoit sur sa table. Il voulut la montrer lui même à cét homme : et il se mit à feuïlleter le livre dont il se vantoit de connoître parfaitement l’ordre et l’oeconomie. Pendant qu’il cherchoit l’endroit, l’homme lui demanda où il avoit pris ce livre, et M Descartes lui répondit qu’il ne pouvoit lui dire comment il l’avoit eu : mais qu’un moment auparavant il en avoit manié encore un autre qui venoit de disparoître, sans sçavoir qui le lui avoit apporté, ni qui le lui avoit repris. Il n’avoit pas achevé, qu’il revid paroître le livre à l’autre bout de la table. Mais il trouva que ce dictionnaire

n’étoit plus entier comme il l’avoit vû la prémiére fois. Cependant il en vint aux poësies d’Ausone dans le recuëil des poëtes qu’il feüilletoit : et ne pouvant trouver la piéce qui commence par est et non , il dit à cét homme qu’il en connoissoit une du même poëte encore plus belle que celle là, et qu’elle commençoit par (…) ? La personne le pria de la lui montrer, et M Descartes se mettoit en devoir de la chercher, lors qu’il tomba sur divers petits portraits gravez en taille douce : ce qui lui fit dire que ce livre étoit fort beau, mais qu’il n’étoit pas de la même impression que celui qu’il connoissoit. Il en étoit là, lors que les livres et l’homme disparurent, et s’effacérent de son imagination, sans néantmoins le réveiller. Ce qu’il y a de singulier à remarquer, c’est que doutant si ce qu’il venoit de voir étoit songe ou vision, non seulement il décida en dormant que c’étoit un songe, mais il en fit encore l’interprétation avant que le sommeil le quittât. Il jugea que le dictionnaire

ne vouloit dire autre chose que toutes les sciences ramassées ensemble : et que le recueil de poësies intitulé corpus poëta rum , marquoit en particulier et d’une maniére plus distincte la philosophie et la sagesse jointes ensemble. Car il ne croioit pas qu’on dût s’étonner si fort de voir que les poëtes, même ceux qui ne font que niaiser, fussent pleins de sentences plus graves, plus sensées, et mieux exprimées que celles qui se trouvent dans les écrits des philosophes.

Il attribuoit cette merveille à la divinité de l’enthousiasme, et à la force de l’imagination, qui fait sortir les semences de la sagesse (qui se trouvent dans l’esprit de tous les hommes comme les étincelles de feu dans les cailloux) avec beaucoup plus de facilité et beaucoup plus de brillant même, que ne peut faire la raison dans les philosophes.

M Descartes continuant d’interpreter son songe dans le sommeil, estimoit que la piéce de vers sur l’incertitude du genre de vie qu’on doit choisir, et qui commençe par (…), marquoit le bon conseil d’une personne sage, ou même la théologie morale. Là dessus, doutant s’il révoit ou s’il méditoit, il se réveilla sans émotion : et continua les yeux ouverts, l’interprétation de son songe sur la même idée. Par les poëtes rassemblez dans le recueil il entendoit la révélation et l’enthousiasme, dont il ne desespéroit pas de se voir favorisé. Par la piéce de vers est et non , qui est le ouy et le non de Pythagore, il comprenoit la vérité et la fausseté dans les connoissances humaines, et les sciences profanes. Voyant que l’application de toutes ces choses réüssissoit si bien à son gré, il fut assez hardy pour se persuader, que c’étoit l’esprit de vérité qui avoit voulu lui ouvrir les trésors de toutes les sciences par ce songe. Et comme il ne lui restoit plus à expliquer que les petits portraits de taille-douce qu’il avoit trouvez dans le second livre, il n’en chercha plus l’explication aprés la visite qu’un peintre italien lui rendit dés le lendemain.

Ce dernier songe qui n’avoit eu rien que de fort doux et de fort agréable, marquoit l’avenir selon luy : et il n’étoit que pour ce qui devoit luy arriver dans le reste de sa vie. Mais il prit les deux précédens pour des avertissemens menaçans touchant sa vie passée, qui pouvoit n’avoir pas été aussi innocente devant Dieu que devant les hommes. Et il crut que c’étoit la raison de la terreur et de l’éfroy dont ces deux songes étoient accompagnez. Le melon dont on vouloit luy faire présent dans le prémier songe, signifioit, disoit-il, les charmes de la solitude, mais présentez par des sollicitations purement humaines. Le vent qui le poussoit vers l’eglise du collége, lorsqu’il avoit mal au côté droit, n’étoit autre chose que le mauvais génie qui tâchoit de le jetter par force dans un lieu, où son dessein étoit d’aller volontairement. C’est pourquoy Dieu ne permit pas qu’il avançât plus loin, et qu’il se laissât emporter même en un lieu saint par un esprit qu’il n’avoit pas envoyé : quoy qu’il fût trés-persuadé que ç’eût été l’esprit de Dieu qui luy avoit fait faire les prémiéres démarches vers cette eglise. L’épouvante dont il fut frappé dans le second songe, marquoit, à son sens, sa syndérêse, c’est-à-dire, les remords de sa conscience touchant les péchez qu’il pouvoit avoir commis pendant le cours de sa vie jusqu’alors. La foudre dont il entendit l’éclat, étoit le signal de l’esprit de vérité qui descendoit sur luy pour le posséder.

Cette derniére imagination tenoit assurément quelque chose de l’enthousiasme : et elle nous porteroit volontiers à croire que M Descartes auroit bû le soir avant que de se coucher. En effet c’étoit la veille de Saint Martin, au soir de laquelle on avoit coûtume de faire la débauche au lieu où il étoit, comme en France. Mais il nous assure qu’il avoit passé le soir et toute la journée dans une grande sobriété, et qu’il y avoit trois mois entiers qu’il n’avoit bû de vin. Il ajoûte que le génie qui excitoit en luy l’enthousiasme dont il se sentoit le cerveau échauffé depuis quelques jours, luy avoit prédit ces songes avant que de se mettre au lit, et que l’esprit humain n’y avoit aucune part.

Quoy qu’il en soit, l’impression qui luy resta de ces agitations, luy fit faire le lendemain diverses réfléxions sur le parti qu’il devoit prendre.

L’embarras où il se trouva, le fit recourir à Dieu pour le prier de luy faire connoître sa volonté, de vouloir l’éclairer et le conduire dans la recherche de la vérité. Il s’adressa ensuite à la sainte vierge pour luy recommander cette affaire, qu’il jugeoit la plus importante de sa vie. Et pour tâcher d’intéresser cette bien-heureuse mére de Dieu d’une maniére plus pressante, il prit occasion du voyage qu’il méditoit en Italie dans peu de jours, pour former le vœu d’un pélerinage à Nôtre-Dame De Lorette. Son zéle alloit encore plus loin, et il luy fit promettre que dés qu’il seroit à Venise, il se mettroit en chemin par terre, pour faire le pélerinage à pied jusqu’à Lorette : que si ses forces ne pouvoient pas fournir à cette fatigue, il prendroit au moins l’extérieur le plus dévot et le plus humilié qu’il luy seroit possible pour s’en acquitter. Il prétendoit partir avant la fin de novembre pour ce voyage. Mais il paroît que Dieu disposa de ses moyens d’une autre maniére qu’il ne les avoit proposez. Il fallut remettre l’accomplissement de son vœu à un autre têms, ayant été obligé de différer son voyage d’Italie pour des raisons que l’on n’a point sçeuës, et ne l’ayant entrepris qu’environ quatre ans depuis cette résolution.

Son enthousiasme le quitta peu de jours aprés : et quoique son esprit eût repris son assiéte ordinaire, et fût rentré dans son prémier calme, il n’en devint pas plus décisif sur les résolutions qu’il avoit à prendre. Le têms de son quartier d’hyver s’écouloit peu à peu dans la solitude de son poësle : et pour la rendre moins ennuyeuse, il se mit à composer un traité, qu’il espéroit achever avant pâques de l’an 1620.

Dés le mois de février il songeoit à chercher des libraires pour traiter avec eux de l’impression de cet ouvrage. Mais il y a beaucoup d’apparence que ce traité fut interrompu pour lors, et qu’il est toûjours demeuré imparfait depuis ce téms-là. On a ignoré jusqu’icy, ce que pouvoit être ce traité qui n’a peut-être jamais eu de titre. Il est certain que les olympiques sont de la fin de 1619, et du commençement de 1620 ; et qu’ils ont cela de commun avec le traité dont il s’agit, qu’ils ne sont pas achevez. Mais il y a si peu d’ordre et de liaison dans ce qui compose ces olympiques parmi ses manuscrits, qu’il est aisé de juger que M Descartes n’a jamais songé à en faire un traité régulier et suivi, moins encore à le rendre public.