La Vie de M. Descartes/Livre 3/Chapitre 14

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Daniel Horthemels (p. 262-272).

Ce fut en 1634, et selon toutes les apparences aprés le voiage de Danemarck que M Descartes écrivit par maniere d’ébauche un petit traité de l’homme et de l’animal , qu’il fit voir depuis à la Princesse Elizabeth De Bohéme fille du feu electeur palatin du Rhin : mais il se crût obligé de le refaire douze ou treize ans depuis, pour le mettre en état d’être plus agréablement reçû de cette princesse. Ce travail qui n’étoit que le résultat des réfléxions que lui faisoient faire ses exercices d’anatomie qu’il continuoit avec son assiduité ordinaire, ne fit point de diversion à ceux de méchanique : et M De Ville-Bressieux étant venu le rejoindre à son retour de Danemarck, il s’occupoit à rectifier ses observations et ses études, lors qu’il apprit le changement qui se faisoit dans la fortune de son autre disciple M Reneri.

Les magistrats d’Utrecht excitez par l’éxemple de plusieurs villes des Pays-Bas et de l’Allemagne avoient résolu depuis quelque têms de changer le collége de leur ville en académie ou université. Ils avoient trouvé les fonds nécessaires pour l’entretien des bâtimens et la subsistance des professeurs, et ils avoient fait expédier les titres de l’érection dés le Xvi jour de Mars de cette année 1634. Ils s’appliquérent ensuite à chercher pour remplir leurs chaires les personnes du mérite le plus reconnu, et les plus capables de répondre au desir qu’ils avoient de rendre leur université la plus florissante des Pays-Bas. Le prémier de ceux sur qui ils jettérent les yeux fut M Reneri, qu’ils trouvérent moyen de détacher de la ville de Déventer dés la même année, quoique les autres professeurs ne dussent participer aux honneurs et aux priviléges nouvellement établis qu’au commençement de l’an 1636. Ces professeurs furent pour la théologie, Gisbert Voet, autrement Vout, dit Voetius, qui étoit déja ministre, et qui avoit même assisté au synode de Dordrecht ; Charles De Maets, qui s’appelle en latin quelquefois Maetius et le plus souvent Dematius ; Meinard Schotanus : pour le droit, Antoine Matthieu le jeune, (car l’ancien professoit le droit actuellement à Groningue, où il mourut l’année suivante âgé de 73 ans ;) Cyprien Regneri appellé simplement Cyprianus, que M De Saumaise a tâché de deshonorer en ne le faisant connoître que sous le nom de Coprianus ; Bernard Schotanus, qui occupa la chaire de mathématique avec celle de droit : pour la médecine, Guillaume Stratenus, retenu pour enseigner la médecine pratique et l’anatomie ; puis Henry De Roy, dit Regius, médecin d’Utrecht professeur extraordinaire en médecine théorétique, et en botanique : Berckringer De Danemarck, outre M Reneri dont nous avons parlé : pour les belles lettres, Antoine Emilius d’Aix La Chapelle professeur en eloquence ; et Juste De Lire ou Lyreus professeur en histoire et en chronologie. Tous ces professeurs sont assez connus du public par leurs écrits indépendemment de ce que je pourrois dire à leur avantage. Tous se sont trouvez intéressez dans les affaires de M Descartes peu de têms aprés l’établissement de cette université, qui a été la prémiére école où l’on ait publiquement enseigné sa philosophie nouvelle, et le prémier théatre où ses sectateurs et ses adversaires ayent commencé à éprouver leurs forces.

M Reneri qui avoit puisé tout à loisir la philosophie de M Descartes dans sa source lors qu’il jouissoit de sa présence à Déventer, ne fit point difficulté de la communiquer à ses disciples. Mais il le fit avec une discrétion qui auroit été capable seule de nous persuader que la sagesse étoit l’ame de cette nouvelle philosophie. Il étoit fort éloigné de faire croire à ses écoliers que ce qu’il avoit à leur debiter fût la philosophie de Platon, d’Aristote, ou de Descartes : mais suivant les régles de la méthode de ce dernier, il établissoit dans leur esprit les principes de la nature, qu’elle lui faisoit paroître les plus conformes à la vérité. On ne trouva point mauvais qu’il frondât (…) des pythagoriciens ; et que sans se soumettre aveuglément à l’autorité d’aucun de nos maîtres, il usât particuliérement envers Aristote de la liberté qu’Aristote avoit prise à l’égard de Platon dont il avoit été le disciple. Il eût été à souhaiter que M Regius l’un de ses collégues dans cette nouvelle université, se fût conduit avec autant de prudence et de circonspection, lors qu’il entreprit de son côté d’introduire la doctrine de M Descartes dans sa profession. Il auroit sans doute épargné beaucoup d’inquiétudes et d’embarras à M Descartes, qu’il honoroit d’ailleurs comme son maître, et il se seroit peut-être garenti lui même de la tache qu’il a faite à son nom aprés la mort de M Descartes, en tombant dans l’ingratitude.

Sur la fin de l’année 1634 ou au commencement de la suivante M Descart es reçût le présent que M Morin professeur royal des mathématiques lui fit du livre des longitudes célestes et terrestres nouvellement imprimé In Quarto à Paris. Il en avoit déja ouy parler au P Mersenne, à qui il avoit écrit qu’il apprendroit avec plaisir l’histoire de ce nouvel ouvrage d’un de ses anciens amis ; et qu’il seroit curieux de sçavoir, si M Morin, qui sembloit être extraordinairement suscité pour rétablir l’honneur de l’astrologie (même de la judiciaire s’il eût été possible), seroit capable de mettre cette science en quelque estime parmi les gens de cour. M Descartes n’eût pas plûtôt reçû ce livre qu’il en écrivit une lettre de remerciment à l’auteur, sans attendre qu’il en eût fait la lecture. Il en usa ainsi par la crainte de blesser sa conscience, et d’aller contre sa sincérité ordinaire dans le compliment qu’il lui en vouloit faire. Il se contenta de lui mander que la peine qu’il avoit prise pour trouver les longitudes ne méritoit rien moins qu’une récompense publique. Mais, dit-il, comme les inventions des sciences sont d’un si haut prix, qu’elles ne peuvent être payées ce qu’elles valent avec de l’argent : il semble que Dieu ait tellement ordonné le monde, que cette sorte de récompense n’est communément réservée que pour des ouvrages méchaniques, ou pour des actions basses et serviles.

Ainsi, ajoute-t’il, je suis persuadé qu’un artisan qui auroit fait de bonnes lunettes en pourroit tirer beaucoup plus d’argent que moy de toutes les réveries de ma dioptrique, si j’avois dessein de les vendre. M Descartes qui étoit assez ennemi de la flaterie et peu prodigue d’éloges ne s’est point démenti dans ce compliment, puis que ce qu’il y avançoit d’avantageux à M Morin, retomboit plûtôt sur la bonne volonté de l’auteur et le dessein de l’ouvrage, que sur le succés de l’éxécution. M Morin croyoit avoir fait un chef-d’ œuvre d’astronomie, et il ne croyoit pas qu’on pût commettre d’excés dans les loüanges qu’on auroit voulu lui donner : mais il ne trouva point autant de complaisance parmi les mathématiciens de Paris, que dans M Descartes. Il avoit prié M Mydorge, M Boulanger, M De Beaugrand, et M Gassendi, d’éxaminer son livre, et de luy en dire leur sentiment.

Mais sa résignation à leur discernement n’étoit point sans réserve ; et pour n’en point mentir c’étoit moins un jugement qu’une approbation qu’il leur demandoit sous le nom d’éxamen. C’est à quoi ces messieurs, sur tout Mm Mydorge, Boulanger, et De Beaugrand n’avoient peut-être pas pris garde, lors qu’ils s’avisérent de luy dire un peu trop ingénûment ce qu’ils pensoient de quelques endroits de son livre. De sorte que de ses juges il en fit ses parties. M Gassendi qui étoit alors à Aix chez M De Peiresc, craignant qu’il ne luy voulût aussi faire un procés s’il usoit de la même liberté, ne jugea point à propos de risquer une amitié si facile à perdre, et il retint sa plume au milieu de la lettre, où pour lui obéir il avoit commencé à luy en marquer son sentiment.

Sans entrer donc dans la discussion des matiéres de son livre, il se contenta de lui faire des lieux communs sur les épines qui accompagnent les roses, et sur la malignité du public qui censure souvent ce qu’il devroit approuver. Il joüit encore pendant quelques années des fruits de cette circonspection : mais enfin il fallut tomber comme plusieurs autres dans la disgrace de M Morin, à qui la mauvaise humeur et la présomption firent perdre un grand nombre d’illustres amis, sans en excepter même M Descartes, qui ménagea son cœur autant qu’il luy fut possible, et qui rendit d’ailleurs bonne justice à son habileté qui étoit plus que médiocre.

C’est à l’hyver de l’an 1635, que le public est redevable de ce que M Descartes à écrit sur la nége : et l’observation qu’il fit alors de celle qui se forme à six pointes, et qui se nomme héxagone , fut une des causes du traité des météores qu’il mit au jour dix-huit mois aprés. Il s’étoit contenté quelques années auparavant d’étudier pour luy seul tout ce qui peut concerner la nége, la grêle, et la pluie. Il avoit éxaminé ce que Kepler avoit écrit et publié dés l’an 1611 à Francford (…). Au milieu de ces recherches il se souvint que M Gassendi étant à Sedan avec M Luillier dans le cours de son voyage des Pays-Bas, avoit fait quelques observations sur la nége à six angles, qu’il avoit vû tomber dans cette ville le Xix jour de Janvier de l’an 1629. Il en écrivit au P Mersenne pour le prier de lui faire sçavoir, s’il se trouvoit dans ces remarques de M Gassendi quelque autre chose que ce qu’il avoit vû dans Kepler. Aprés toutes ces précautions il se mit à la composition de son petit traité de la nége, de la pluie, et de la grêle, qui fait aujourd’hui le sixiéme discours de ses météores. Il s’attacha particuliérement à expliquer comment les petites parties de glace qui composent les nuës s’entassent en divers floccons ; comment ces floccons se grossissent, et tombent tantôt en nége, tantôt en grêle, et tantôt en pluie. D’où vient la figure de pyramide ou de pain de sucre à la grêle, et celle de rouë ou d’étoile de six rays à la nége. Il éxamina tout ce que nôtre curiosité peut nous faire souhaiter sur cette matiére avec sa briéveté et sa netteté ordinaire : et il parût si content des observations que la nége héxagone luy fit faire, qu’il témoigna depuis à M Chanut, qu’il auroit souhaité que toutes les expériences dont il avoit besoin pour le reste de sa physique pussent luy tomber ainsi des nuës , et qu’il ne fallût que des yeux pour les connoître.

M Descartes ne se souvenant plus des incommoditez que le commerce de ses correspondans avoit reçûës de sa solitude de Déventer, voulut retourner en cette ville pour se dégager des visites qu’il étoit obligé de recevoir à Amsterdam. Aprés cinq ou six mois de retraite et d’étude il passa en Frise vers la fin de l’automne, et alla se retirer à Liewarden, ville principale de la province à deux lieuës de Franecker, où il avoit demeuré dés l’an 1629. Là, il fit réfléxion sur la priére que M De Zuytlichem luy avoit faite de luy donner quelque chose sur les méchaniques. M De Zuytlichem dont le nom étoit Constantin Huyghens seigneur de Zuytlichem, de Zeelhem, et de quelques autres lieux, se trouvoit depuis quelques années au nombre des plus intimes d’entre les amis de M Descartes. C’étoit un gentilhomme hollandois originaire du Brabant, conseiller et sécrétaire des commandemens du Prince D’Orange, homme fait également pour la cour, pour la guerre, et pour le cabinet ; homme d’un esprit délicat, aisé, agréable, appliqué, profond, mais libre et dégagé ; d’une érudition fort diversifiée dans les langues et les sciences qu’il possédoit, et dans les arts libéraux dont il sçavoit la pratique autant que la spéculative. Il avoit conçû d’abord pour M Descartes, outre une estime toute extraordinaire une inclination trés-violente à le servir ; et il s’étoit rendu son correspondant en Hollande pour les lettres et les pacquets qui s’addressoient de France, d’Angleterre, et des Pays-Bas à ce philosophe, et pour une grande partie de ce qu’il avoit à envoyer en divers pays.

Les services et la bienveillance dont il étoit redevable à un tel amy luy ôtoient donc la liberté de lui rien refuser de ce qui dépendoit de lui : et ce fut pour luy obéir qu’il écrivit son petit traité des méchaniques vers la fin de l’hyver, qui commença l’année 1636. M De Zuytlichem l’avoit surpris dans un têms où il étoit le moins en disposition de travailler à des matiéres de cette nature : mais il fallut faire violence à son humeur. On peut dire qu’il brocha ce petit traité plûtôt qu’il ne le composa ; et il prit à la lettre l’intention de son amy, qui ne luy en demandoit que trois petits feüillets . Il ne se hâta point de le luy envoyer le voyant occupé au camp devant le fort de Skein, que le Prince D’Orange avoit envie de reprendre sur les espagnols, qui s’en étoient rendus les maîtres la nuit du 16 de Juillet de l’année précédente. La place se rendit au prince le dernier jour d’avril aprés un siége de prés de huit mois : mais M De Zuytlichem qui resta pendant quelque têms sur les lieux pour faire rétablir et fortifier cette importante place ne fut de retour à La Haye que vers le milieu du mois de juin.

M Descartes qui par la fidélité et l’exactitude de ses correspondans se trouvoit à Lieuwarden aussi commodément que dans Amsterdam pour le commerce des lettres, recevoit beaucoup de satisfaction des nouvelles qu’il apprenoit de ses amis. Ceux qu’il avoit à Paris étoient des plus ardens à le presser sur la publication de sa philosophie ; et leurs importunitez le rappellérent enfin à Amsterdam vers le commencement du mois de Mars, pour délibérer de plus prés avec eux sur leurs demandes. Il fit une observation en venant de Frise, dont il crut devoir faire part à un de ses amis de Leyde, qui l’avoit convié à son arrivée de prendre un logement chez luy.

Etant de nuit sur le Zuyder-Zée pour passer de Frise à Amsterdam, il s’étoit tenu le soir assez long-têms la tête appuyée sur la main droite, dont il fermoit l’œil droit tandis que l’autre demeuroit ouvert. L’air étant assez obscur on apporta une chandelle dans la chambre où il étoit : et ouvrant les yeux incontinent, il apperçût deux couronnes autour de cette chandelle plus parfaitement qu’il n’eût crû qu’elles pussent être. La plus grande de ces deux couronnes étoit bordée de deux cercles. Celuy du dehors étoit d’un rouge fort bien coloré, et celuy du dedans étoit bleu. Les autres couleurs de l’arc-en-ciel se faisoient un peu remarquer entre ces deux cercles : mais elles n’y occupoient que fort peu d’espace. L’intervalle qui étoit entre les deux couronnes paroissoit autant et plus noir que l’air d’alentour. La petite couronne n’étoit qu’un cercle fort rouge comme l’autre, mais plus chargé de couleur en dehors qu’en dedans.

L’intervalle entre ce petit cercle rouge et la flamme de la chandelle étoit tout blanc et comme lumineux.

Cela dura de la sorte jusqu’à ce qu’il se fût endormi, c’est-à-dire, pendant l’espace d’environ trois heures.

Il apprit de cette observation que les couronnes qui se forment autour des chandelles sont disposées tout au contraire de celles qui paroissent autour des astres, sçavoir le rouge en dehors ; et qu’elles ne se forment point dans l’air, mais seulement de la disposition de nos yeux. Car fermant l’œil droit il ne les voyoit point du tout, fermant le gauche il ne les en voyoit pas moins, et mettant seulement le doit entre son œil et la flamme de la chandelle elles disparoissoient.

Cette expérience luy plut tellement qu’il ne put s’empêcher de luy donner place dans son traité des météores, où il explique les causes de ces couronnes, et même des rayons qui s’étendent en ligne droite autour des flambeaux. Mais il n’est point hors de propos de rapporter ici sur le même sujet ce qu’il en avoit mandé six ans auparavant au P Mersenne, et que le desir d’être court ne permit pas qu’il insérât dans son traité. Vous m’étonnez, marque-t’il à ce pére, de dire que vous avez vû tant de fois une couronne autour de la chandelle. De la maniére que vous la décrivez, il semble que vous ayez moyen de la voir quand il vous plaît. Je me suis frotté et tourné les yeux en toutes façons, pour tâcher d’appercevoir quelque chose de semblable : mais il m’a été impossible. Je suis pourtant d’accord avec vous pour en rapporter la cause aux humeurs de l’œil. Et pour cette raison je serois bien aise de sçavoir de vous si c’est en vous levant la nuit, et lors que vôtre vûë est encore chargée des vapeurs du sommeil, ou bien aprés avoir beaucoup lû, ou veillé, ou jeûné, que vous les voyez.

La chose ainsi supposée, je pense en pouvoir rendre la raison assez distinctement. Le pére Mersenne luy manda quelque têms aprés l’opinion de quelques autres personnes sur le même sujet : et sur ce qu’il luy marqua qu’il avoit ouy dire touchant ces couronnes que le milieu en étoit verd ou bleu, et que l’une des extrémitez étoit rouge, et l’autre jaune, il lui répondit que cela étoit sans fondement et certainement faux. Il ajouta qu’il valoit beaucoup mieux s’en tenir à l’expérience de Monsieur Gassendi, dont l’autorité étoit beaucoup plus considérable. Je sçay par épreuve, dit-il, et par raison, que dans tous les cercles ou iris qui peuvent se former il n’y a point d’autre ordre pour les couleurs que celuy-cy. La prémiére est de rouge-pourpré , la suivante d’incarnat , la troisiéme d’orangé , la quatriéme de jaune , la cinquiéme de verd , la sixiéme de bleu , la septiéme de gris-de-lin . Or il paroît plus ou moins de ces couleurs selon que l’iris est plus ou moins parfaite. En certaines iris, le rouge est au cercle convexe, et le bleu ou gris-de-lin au concave. Ce qui a trompé la personne qui avoit voulu vous persuader la chose autrement, ce sont sans doute vos couronnes de la chandelle, ausquelles il aura vû comme vous un cercle verd entre deux autres, dont l’un étoit rouge, et l’autre jaune ou orangé. La raison est que ce qui paroit autour de la chandelle n’est pas une couronne seule, mais deux différentes, dont chacune est rouge en convéxe, et celle de dehors verte en concave. Mais celle du dedans se terminant à la chandelle ne peut dégénérer en aucune couleur moins teinte que la flamme même, comme seroient le verd, le bleu, et le gris-de-lin : c’est pourquoi elle demeure jaune jusqu’à la chandelle. C’est ainsi que Monsieur Descartes sans avoir vû les choses dont il étoit question, réformoit souvent les remarques de ceux même qui les avoient vûës et qui croyoient les avoir bien observées.

Depuis la condamnation de Galilée il avoit achevé et revû son traité des lunettes, qu’il avoit eu dessein d’incorporer à son monde avant cét accident. Mais depuis son retour à Amsterdam, il considéra que ce petit traité n’avoit rien de commun avec les raisons qui l’obligeoient de supprimer son ouvrage. Ce fut ce qui le porta à l’en détacher dans le dessein de le faire imprimer à part. Je ne sçay s’il se présenta quelque nouvel obstacle à l’éxécution de ce dessein : mais il paroît qu’ayant appris qu’un de ses amis travailloit sur le même sujet, il lui envoya la partie de ce traité qui regardoit particuliérement la pratique ; et que ce qui pouvoit luy être resté s’est trouvé fondu depuis dans sa dioptrique.

Ce fut vers la fin de cette année que Monsieur Descartes perdit le plus ancien des amis qu’il eût acquis dans la Hollande en la personne du Sieur Isaac Beeckman principal du collége de Dordrecht. Il s’étoit rendu habile dans la musique et dans les autres parties des mathématiques, particuliérement depuis l’aventure de Breda, qui lui avoit procuré dix-neuf ans auparavant la connoissance et l’amitié de M Descartes. Il paroît que son sçavoir l’avoit fait distinguer parmi les habiles gens de sa province, puisque les étrangers qui y voyageoient le mettoient au nombre de ceux qu’ils devoient visiter. La mort enleva encore vers le même têms deux autres mathématiciens assez célébres, mais qui étoient de l’Allemagne. Le prémier étoit Daniel Schwenter de Nuremberg âgé pour lors de cinquante années, professeur dans l’université d’Altorf, dont nous avons une géométrie pratique, et quelques autres ouvrages mêlez de physique et de mathématique. L’autre étoit Guillaume Schickard de Hernberg en Soüabe et professeur à Tubingue, qui avoit des habitudes particuliéres avec Monsieur Gassendi, principalement pour des observations astronomiques. Nous ne voyons pas que M Descartes eût de grandes relations avec luy, quoi qu’il ne fût inconnu à aucun des habiles mathématiciens de l’Europe. C’est lui qu’il allégue au dernier discours de ses météores sous le nom général de mathématicien de Tubingue touchant une observation des parhélies, qu’il avoit faite au mois de juin de l’an 1633, quatre ans aprés celle de Rome, dont nous avons eu occasion de parler. Ce n’est pas que Schickard eût jamais écrit à M Descartes en particulier touchant ce phénoméne : mais il en avoit publié à Tubingue dés l’an 1633 une dissertation que M Descartes avoit luë. Il fut emporté de la peste aprés environ quarante cinq années de vie au mois de novembre de l’année 1635 plûtôt que de la suivante, nonobstant l’autorité de quelques auteurs qui en ont écrit autrement.