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La pomme de terre, considérations sur les propriétés médicamenteuses, nutritives et chimiques de cette plante/1

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CHAPITRE PREMIER.



PREMIÈRE SECTION.

Origine de la Pomme de terre en Europe ; sa description.

La pomme de terre, très-anciennement connue en Amérique, fut introduite en Europe vers le commencement du seizième siècle. Elle signale à notre connaissance les noms de Walter Raleigh et celui de Parmentier ; le premier, comme auteur de la découverte de cette précieuse racine ; le second, comme en ayant propagé la culture et fait connaître les bonnes qualités par ses expériences et ses écrits.

Cette plante, dont la tige périt tous les ans, a été d’abord rapportée de Virginie en Angleterre d’où elle a passé dans les autres contrées de l’Europe. Elle est une des nombreuses espèces du genre Morelle (solanum) (lin), caractérisée par un calice à cinq divisions ; une corolle en roue ; le tube court ; le limbe ouvert et plissé, divisé en cinq lobes, cinq étamines ; les anthères rapprochées à deux loges, s’ouvrant au sommet par deux pores ; un ovaire supérieur ; le style filiforme, le stigmate aigu.

Le fruit est une baie molle, succulente, divisée en plusieurs cellules, par dec cloisons intermédiaires, renfermant des semences nombreuses.

Ses racines sont longues, fibreuses, chargées çà et là de gros tubercules oblongs ou arrondis, qui portent exclusivement le nom de pommes de terre.

Ses tiges sont tendres, herbacées, fistuleuses, un peu ramifiées, légèrement velues, garnies de feuilles glabres alternes, irrégulièrement pinnatifides ; les lobes ou les folioles ovales, terminées en pointe, un peu velues à leurs bords, de grandeur fort inégale.

Les fleurs sont terminales, disposées à l’extrémité d’un long pédoncule en un corymbe quelquefois un peu incliné. La corolle est blanche ou un peu violette ; ses lobes sont obtus.


DEUXIÈME SECTION.

Variétés.

Il existe un grand nombre de variétés de pommes de terre, dont quelques-unes, soumises à des expériences comparatives, ont été consignées dans des tableaux avec de nombreuses observations. Le mérite de ces tableaux est, tout en faisant apercevoir d’un coup d’œil les rapports des espèces et des variétés, de montrer en même temps que la désignation des qualités ne se trouve ordinairement vraie que pour les environs, attendu que les pommes de terre, excellentes dans un canton, ne le sont pas toujours dans un autre ; étant, comme toutes les plantes, soumises à une foule de circonstances qui influent sur leur végétation, leur volume, leur bonté et leur conservation. Il faudrait donc, pour qu’ils puissent éclairer les cultivateurs sur les causes de ces différences, et les guider sur le choix des espèces, qu’ils fussent en nombre beaucoup plus considérable, et dressés sur des points assez rapprochés, dans toute l’étendue de la France ; mais ils ne sont point encore assez multipliés pour remplir ce but. C’est pourquoi je n’en établirai point l’exposé aux yeux de mes lecteurs : je me contenterai de leur signaler les patracs blanches, les jaunes, les rouges et les violettes, comme étant plus spécialement connues des cultivateurs de ces contrées, qui prétendent que toutes subdivisions ultérieures ne sont que des dégénérations et des jeux de la nature, qui ne changent rien à l’espèce. Les semis, disent-ils, la différence des sols auxquels on les confie, une culture plus ou moins soignée, peuvent fournir des variétés ; mais elles ne sont pas assez prononcées pour qu’on soit en droit de leur donner une désignation particulière, et d’en faire une famille à part. Je n’approuverai point ce raisonnement produit par la bouche routinière de ceux dont je m’attache à vaincre les préjugés. Le grand nombre de variétés des pommes de terre est reconnu ; chaque espèce, caractérisée, est désignée par sa couleur, sa forme et ses qualités particulières, qui dépendent toutefois des circonstances auxquelles les pommes de terre sont soumises pendant le cours de leur végétation ; ces circonstances, qui influent considérablement sur les produits, et qui diffèrent dans leurs effets selon les variétés, dépendent des terrains, de l’assolement, des engrais et des cultures bonnes ou mauvaises dans leur application.


TROISIÈME SECTION.

Valeur réelle des Pommes de terre.

Après avoir fait choix des variétés que je viens d’indiquer, et que je crois préférables à toutes autres dans ces cantons, sous le rapport des qualités et des produits réels, j’observerai que ce qui doit particulièrement intéresser est de savoir que la juste valeur de ces racines n’est rien autre que la substance solide nutritive qu’elles contiennent. D’après de sérieux examens, les savans ne craignent point d’assurer que la portion sèche doit seule donner une plus exacte évaluation des valeurs réelles de ce végétal, que le nombre et le poids des tubercules, dont les quantités sont souvent illusoires : et cette assertion me paraît d’autant plus juste que le déchet des fibres ligneuses, inutiles à la nutrition des animaux, n’est guère de plus d’un centième et demi ; il a de plus été reconnu que les pommes de terre contiennent généralement moins d’eau au moment de leur plantation, qu’immédiatement après la récolte, et qu’elles donnent des produits plus aqueux dans les terrains forts et très-humides que dans les terres légères et sablonneuses, et par conséquent des récoltes moins abondantes en apparence dans celles-ci, tandis que le produit réel est en sens inverse.


QUATRIÈME SECTION.

Bonté du tubercule.

Quant à la qualité qui constitue la bonté de la pomme de terre, c’est au moment de la récolte, et au couteau, que l’on peut en juger par l’inspection de la chair ; si elle est jaune ou blanche, peu aqueuse, sans taches rouges ni autres ; que d’ailleurs elle paraisse légèrement grenue et présente une foule de petits cristaux, par son exposition aux rayons du soleil, on peut hardiment conclure avantageusement de sa richesse en fécule, et de sa bonté à la dégustation. Si, au contraire, sa chair présente une surface lisse, couverte de taches, l’on doit être certain de sa dégénération, qui se propage et s’accroît jusqu’à la rendre absolument détestable.

Si ce mal vient, comme cela arrive la plupart du temps, d’une végétation trop vigoureuse dans un terrain gras et marécageux, on peut la régénérer par un sol contraire : car lorsqu’on connaît la cause d’une maladie, rien de plus facile que d’appliquer les remèdes qui conviennent pour le rétablissement du malade ; mais si l’origine du mal est inconnue, il est par cela même devenu incurable ; la pomme de terre doit être rejetée au moment de la plantation, pour être remplacée par d’autres semences régénératives.


CINQUIÈME SECTION.

Qualités productives.

Pour ce qui est des qualités productives, on peut, jusqu’à un certain point, les connaître par quelques signes dans la végétation et l’accroissement de la plante. Si elle se compose de gros rameaux, peu nombreux, bien nourris, surmontés de leurs grappes pour porter fleurs, mais qui tombent avant même de s’épanouir, l’on peut présumer que les pommes de terre seront nombreuses, grosses et de bonne valeur ; mais ce ne sera point sur elles que tombera le choix du cuisinier de premier ordre : il donnera la préférence à celles qui, grasses, compactes, se délayant peu, conserveront leur consistance après la cuisson ; et je crois que ce ne sera pas les meilleures à la dégustation, parce qu’elles posséderont moins de fécules. En effet, c’est la fécule qui, s’étendant prodigieusement dans l’eau bouillante, fait crever le tubercule ; c’est elle qui le rend plus léger, plus volumineux, plus nourrissant, plus agréable, et enfin infiniment préférable à ceux que l’on destine aux palais délicats qui, fatigués du meilleur, cherchent à satisfaire leur sensualité par ce qu’il y a de plus mauvais.