Le Bouddhisme au Tibet/Chapitre 8

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Traduction par Léon de Milloué.
Texte établi par Musée Guimet, Impr. Pitrat Ainé (p. 48-57).
CHAPITRE VIII

littérature sacrée

Ouvrages traduits du sanscrit et livres écrits en tibétain. — Les deux recueils du Kandjour et du Tandjour. — Littérature tibétaine en Europe. — Analyse du Mani Kamboum. — Noms et représentations de Padmapani.

Les premiers livres religieux publiés en tibétain sont de simples traductions du sanscrit entreprises par des prêtres indiens, des traducteurs tibétains (Lotsavas) et aussi des Chinois. L’œuvre de traduction fut menée avec un zèle et une énergie remarquables ; afin d’arriver à l’uniformité on prépara un vocabulaire des noms propres sanscrits et des expressions techniques et philosophiques qui se rencontrent dans les textes originaux, et il fut ordonné de s’y conformer[1]. Mais il est regrettable que les traducteurs, au lieu de nous fournir des versions correctes, aient entremêlé les textes de leurs propres commentaires, afin de justifier les dogmes de leurs diverses écoles. À ces altérations des textes originaux est due l’obscurité qui a si longtemps enveloppé le sujet et empêché l’intelligence claire des principes du bouddhisme primitif et de ses divisions subséquentes.

En même temps que se formait l’alphabet tibétain, des livres se composaient dans la langue nationale. Le Mani Kamboum, ouvrage historique attribué à Srongtsan Gampo, est l’œuvre d’un Tibétain ; « l’Introduction grammaticale » et les « Lettres caractéristiques » de Thoumi Sambhota, ainsi que les ouvrages historiques sur le Tibet, écrits par les anciens traducteurs tibétains, paraissent avoir été composés en langue vulgaire[2].

Depuis le quatorzième siècle, la littérature nationale, qui commence avec Tsonkhapa, se développe sur une large échelle. Tsonkhapa lui-même publia des ouvrages systématiques très volumineux ; ses œuvres principales sont : le Bodhi-mour, le Tarnim-mour, l’Altanerike, et le Lamrim, « un degré en avant », titre qui a été pris également par d’autres auteurs. Plusieurs savants tibétains employèrent aussi la langue vulgaire dans la composition de leurs nombreux commentaires sur les dogmes et l’histoire du bouddhisme ; ils furent suivis même par les Mongols, obligés d’apprendre le tibétain, parce qu’il était (alors comme aujourd’hui) la langue sacrée du service divin.

Toutes les traductions du sanscrit ont été réunies, en forme de recueil, en deux livres grands et volumineux, qui contiennent, dans un mélange irrespectueux, les publications sacrées et profanes de différentes époques. Ces recueils portent le nom de Kandjour « traduction des commandements (du Bouddha) » et Tandjour « traduction de la doctrine ». Le Kandjour comprend cent huit grands volumes, classés dans les sept divisions suivantes :

1. Doulva, ou « discipline » ;

2. Scherchin, ou « sagesse » ;

3. Palchen, ou « association des Bouddhas » ;

4. Kontseg, ou « montagne de joyaux »,

5. Do, Soutras, ou « aphorismes » ;

6. Myangdas, traitant de la doctrine « de délivrance par l’affranchissement de l’existence » ;

7. Gyout, « Tantra », traitant du mysticisme.

Chacune de ces divisions se compose d’un plus ou moins grand nombre de traités. Le Kandjour passe pour renfermer « la parole du Bouddha », car il contient principalement les doctrines morales et religieuses enseignées par Sâkyamouni et ses disciples. Le Tandjour forme deux cent vingt-cinq volumes, divisés en deux grandes classes : Gyout et Do. Il est beaucoup plus mélangé ; il contient des traités sur les diverses écoles philosophiques avec différents ouvrages sur la logique, la rhétorique et la grammaire sanscrite. Plusieurs volumes traitent des mêmes sujets que le Kandjour.

Les principaux ouvrages qui forment ces collections ont été traduits vers le neuvième siècle ; d’autres, principalement ceux du Gyout, beaucoup plus tard. Par exemple le Kala Chakra, ou Dous kyi khorlo, contenu dans ce dernier, ne fut pas connu au Tibet avant le onzième siècle. Aussi n’est-il pas douteux que la traduction du Do n’ait encore occupé une plus longue période de temps en raison de la plus grande variété de son contenu.

Bien qu’il soit impossible de déterminer positivement l’époque à laquelle ces deux recueils furent compilés, il est cependant fort probable que la composition actuelle des volumes n’est pas antérieure au siècle dernier ; des recueils semblables ont pu exister plus tôt, mais il est douteux que ce fussent exactement les mêmes. Nous devons à Csoma de Körös un extrait du Kandjour et du Tandjour ; son analyse a été résumée par Wilson. Un index du Kandjour publié par l’Académie impériale russe de Saint-Pétersbourg en 1840, a été avec une préface de Schmidt. Un mémoire de Schiefner traite des ouvrages de logique et de grammaire incorporés dans le Tandjour[3].

Ces collections furent imprimés par l’ordre Mivang, régent de Lhássa, en 1723-46 ; la première édition fut préparée à Nárthang, ville près de Tashiloúnpo, qui est encore renommée pour ses productions typographiques. Aujourd’hui elles s’impriment dans beaucoup de monastères ; mais le papier et l’impression de ces copies, celles du moins qui se vendent à Pékin, sont si mauvais et le texte si plein d’erreurs qu’il est presque impossible de les lire.

En tibétain on n’emploie pour l’impression que les lettres capitales (tib., vouchan), du moins autant que je le sache ; pour les manuscrits les petites lettres (voumed) sont d’un usage fréquent, et selon les nécessités de la main elles sont souvent quelque peu modifiées. Quand on emploie les lettres indiennes pour les sentences sanscrites, on fait usage de l’alphabet randjā, appelé Lantsa par les Tibétains ; c’est celui avec lequel sont écrits la plupart des anciens livres sanscrits découverts dans le Népal. Cet alphabet randja ou lantsa, est une variété du Devanagari ; il est surtout usité pour écrire en sanscrit les sentences mystiques, Dhāranis, qui doivent être reproduites sans aucune altération pour conserver leur efficacité ; bien que l’alphabet tibétain ait été adapté à leur reproduction exacte, l’alphabet randja est pourtant préféré dans beaucoup de cas.

Les livres tibétains sont répandus partout dans l’Asie centrale, à cause de la grande réputation dont jouit tout ce qui vient du Tibet, le pays d’élection de Padmapāni. L’art de l’impression, depuis longtemps connu des Tibétains, qui emploient à cet effet des blocs de bois gravés, a aussi beaucoup aidé à leur extension. Il n’y a pas de monastère bouddhique qui ne possède une série d’ouvrages en langue tibétaine, et le prix que les Kalmouks et les Bouriats payent quelquefois pour les plus sacrés, comme par exemple le Kandjour, s’est élevé en certains cas jusqu’à 200 livres (50,000 francs).

Beaucoup de livres tibétains, soit originaux soit traductions du sanscrit, sont venus jusqu’en Europe et à Calcutta grâce aux efforts de zèle de Csoma, Schilling von Cannstadt, Hodgson, de quelques Anglais résidant à Hillstation et des membres de l’ambassade russe à Pékin. La bibliothèque et le musée de l’India Office, si richement pourvus en tous les genres d’objets pratiques ou scientifiques se rapportant à la vie orientale, possèdent aussi un grand nombre d’ouvrages tibétains importants ; on n’en a pourtant publié aucun catalogue jusqu’à présent. Tout le Kandjour et le Tandjour s’y trouvent. Un autre exemplaire de ces deux collections existe dans la bibliothèque de Saint-Pétersbourg, qui possède en outre la plus grande partie des ouvrages importants, écrits sur le bouddhisme en langue tibétaine, mongole ou chinoise. La bibliothèque impériale à Paris n’a que le Kandjour. La Société asiatique du Bengale possède aussi une copie complète du Kandjour ; son édition du Tandjour est incomplète, ou du moins l’était en 1831. Un catalogue des livres tibétains renfermés dans le musée asiatique de l’académie impériale à Saint-Pétersbourg, comprenant tous les ouvrages réunis jusqu’en 1847, a été publié par J.-J. Schmidt et O. Boethling ; un appendice de Schiefner indique les derniers livres reçus de Pékin[4].

Un nouveau catalogue détaillé est maintenant en cours de publication ; il fournira sans doute beaucoup de faits intéressants au sujet du bouddhisme et élargira nos connaissances sur la littérature tibétaine en général. Csoma de Körös avait commencé à composer le catalogue détaillé des livres tibétains appartenant à la bibliothèque de la Société asiatique du Bengale ; il fut arrêté par la mort, et je ne crois pas que son œuvre ait été continuée.

La langue tibétaine n’a été connue en Europe que dans ces dernières années ; le premier chercheur qui mit la langue tibétaine à la portée des étudiants européens, fut Csoma de Körös, zélé et infatigable Hongrois de la Transylvanie. Le but de ses longues et laborieuses recherches était de découvrir le berceau des Hongrois (en allemand Hounen), qu’il espérait trouver en Asie. Déçu dans ses tentatives en Asie occidentale, il se retira (1827) pendant plusieurs mois dans le monastère de Zankhar, où il s’adonna à l’étude de la littérature tibétaine ; il parvint presque, malgré beaucoup de difficultés, à compléter un dictionnaire et une grammaire de la langue tibétaine, qui furent publiées (en anglais) à Calcutta en 1832[5]. Plus tard (1839-1841) J.-J. Schmidt publia en allemand une autre grammaire et un dictionnaire tibétains, basés probablement sur les ouvrages originaux et les dictionnaires tibétains, mongols et mandchous. Le dictionnaire de Schmidt contient environ 5,000 mots et expressions de plus que celui de Csoma. Des remarques grammaticales plus étendues ont été publiées par Schiefner dans les bulletins de Saint-Pétersbourg, et plus récemment par Foucaux dans sa grammaire tibétaine. En 1845 Schiefner publia la traduction du grand traité tibétain Dsang loun, « le sage et le fou », avec le texte original[6]. Foucaux le suivit avec une traduction du Rgya chher rol pa. En plus de ces publications je dois encore citer les nombreuses et importantes traductions de Schiefner et de Wassiljew.

En le questionnant sur une peinture représentant la déesse Doldjang (voyez page 42), j’obtins du Lama Bouriat Gambojew un extrait du Mani Kamboum, ancien ouvrage historique dont la paternité est attribuée au roi Srongtsan Gampo. Schmidt avait déjà attiré l’attention sur la grande réputation dont jouit cet ouvrage parmi les bouddhistes de la Haute-Asie ; mais il n’eut pas la bonne fortune de se procurer le Mani Kamboum (1829), qui n’est que depuis peu parvenu à Saint-Pétersbourg. Jusqu’à présent nous n’avons qu’un extrait du premier chapitre par Jähring, l’interprète de Pallas. Je donne ici la note rapide de Gombojew sur le contenu général de cet important ouvrage ; quelque courte qu’elle soit, elle pourra du moins fournir une idée de l’un des plus anciens livres historiques de la littérature tibétaine.

ANALYSE DU LIVRE MANI KAMBOUM

Le Mani Kamboum (ce nom a été adouci en Mani-Gamboum), ou littéralement Mani bka boum, a cent mille commandements précieux », contient en douze chapitres un récit très détaillé des contes légendaires sur les mérites de Padmapâni, le propagateur du bouddhisme au Tibet. Il s’y trouve aussi une explication sur l’origine et l’application de la formule sacrée : Om mani padme houm ». Quelques événements historiques y sont ajoutés à propos de Srongtsan Gampo (qui vécut de 617 à 698 av. J.-C.) et ses femmes, ainsi qu’une explication générale des doctrines fondamentales du bouddhisme.

Chapitre I. Il commence par la description de la région merveilleuse, Soukhavati (tib. Devāchan)[7]Amitābha (tib. Odpagmed) est assis sur son trône et où il reçoit ceux qui ont mérité la vie de la plus parfaite félicité.

Tout à coup Amitābha, après une profonde méditation, fait jaillir de son œil droit un rayon de lumière rouge[8], de ce rayon naît Padmapāni Bōdhisattva. Pendant ce temps de son œil gauche sortait un rayon de lumière bleue, qui s’incarnant dans les vierges Dolma (en sanscrit Tārā, les deux épouses du roi Srongtsan) avait le pouvoir d’illuminer les esprits des hommes. Alors Amitābha bénit Padmapāni Bōdhisattva en lui imposant les mains, et en ce moment, par la vertu de cette bénédiction, celui-ci créa la prière « Om mani padme houm ». Padmapāni fait le vœu solennel d’affranchir de l’existence tous les êtres vivants et de délivrer de leurs peines toutes les âmes torturées dans l’enfer ; en gage de sa sincérité il ajoute le vœu que sa tête se rompe en mille morceaux, s’il ne réussissait point. Pour accomplir son vœu il se plonge dans une profonde méditation et après être resté quelque temps en contemplation, il regarde, plein de sagesse, dans les diverses divisions de l’enfer, comptant que par la vertu de sa méditation ses habitants seraient montés jusqu’aux plus hautes classes des êtres qui aient jamais existé. Mais qui pourrait décrire son étonnement quand il voit les régions de l’enfer aussi pleines que jamais ? La foule des arrivants avait comblé les vides laissés par ceux qui sortaient. Cette vue si terrible et désespérante fut de trop pour l’infortuné Bōdhisattva, qui attribuait cette défaillance apparente à la faiblesse de ses méditations. Aussitôt sa tête se rompt en mille pièces, il perd connaissance et tombe lourdement sur le sol. Amitābha, profondément ému des douleurs de son malheureux fils, s’empresse à son secours ; avec les mille morceaux il forme dix têtes, et pour le consoler il assure son fils, dès qu’il a repris ses sens, que le moment n’est pas encore venu de délivrer tous les êtres, mais que son vœu s’accomplira pourtant. Depuis ce moment Padmapāni redoubla ses louables efforts[9].


Prière à six syllabes : « Om mani padme hum »
Prière à six syllabes : « Om mani padme hum »
PRIÈRE À SIX SYLLABES : « OM MANI PADME HUM ».

Ensuite vient une histoire de la création de l’univers et des animaux ; les douze actes, les Dzadpa Chagnyi, de Sākyamouni sont racontés en détail[10], avec le récit de la construction d’un palais sur le sommet de la montagne Patala, suivi d’une esquisse de la propagation du bouddhisme depuis son origine jusqu’à la mort de Srongtsan Gampo.

Chapitre II. Il donne des instructions sur les prières à adresser à Padmapāni et énumère les avantages immenses attachés à l’usage fréquent de la prière « Om mani padme houm ». Une dissertation sur le vide forme la conclusion.

Chapitre III. Il donne le sens de la prière « Om mani padme houm ». Nous y trouvons aussi des remarques sur les diverses représentations de Padmapāni ; ainsi il y est expliqué pourquoi on le représente tantôt avec trois visages et huit mains, tantôt avec dix-huit faces et huit mains et quelque fois même avec mille visages et autant de mains et de pieds. Ensuite vient le récit de la manière dont Srongtsan Gampo apprit les dogmes du bouddhisme ; comme conclusion nous remarquons quelques faits particuliers sur la propagation générale du bouddhisme au Tibet et la mission de Thoumi Sambhota dans l’Inde.

Chapitres IV à VIII. Ils sont pleins de remarques sur les qualités de Samsara et les statuts moraux et religieux du bouddhisme. L’état d’ignorance du Tibet est déploré ; suit une courte biographie de Padmapāni Bōdhisattva pendant son existence sous la forme du roi Srongtan Gampo.

Dans un discours en réponse à une question sur les facultés de l’esprit, ce roi établit que le bonheur et le salut dépendent de l’énergie et de la conduite de chacun et que si l’on souhaite briser les fers de Samsara, on le peut par la prière « Om mani padme houm » dont le pouvoir est irrésistible. Srongtsan prend sur lui d’interpréter cette prière ; il l’enseigne à ses parents et à ses femmes et développe les devoirs que doivent observer ceux qui croient en la vérité des doctrines révélées par le Bouddha. Ces explications sont calculées pour l’usage pratique et se rapportent à des sujets tels que l’ignorance, les péchés, les vertus et leur influence[11].

Chapitres IX et X. Ils rapportent les légendes intimement liées aux doctrines bouddhistes.

Chapitre XI. Il traite de la fin de la vie de Srongtsan.

Chapitre XII. Il parle de la traduction des livres sanscrits en tibétain, de la mission de Thoumi Sambhota dans l’Inde et de l’alphabet qu’il a tiré du Devanagari.

Le Mani Kamboum a été traduit en mongol et en dsoungarien. La dernière version fut exécutée sur l’ordre de Dalaï Khan, au dix-septième siècle, par un Lama dsoungarien, qui habita plusieurs années à Lhâssa et reçut, en raison de cette traduction, l’honorable titre de Pandit.

Le Dhyāni Bōdhisattva Padmapāni ou Avalokitesvara, sujet de cet ouvrage, est le plus imploré de tous les dieux ; parce qu’il représente Sākyamouni, qu’il est le gardien et le protecteur de la religion jusqu’à l’apparition du Bouddha futur Maitreya et qu’il protège particulièrement le Tibet.

Afin de montrer aux Tibétains le chemin de la félicité suprême il se plaît, disent-ils, à se manifester d’âge en âge sous la forme humaine. Ils croient que sa descente et son incarnation dans le Dalaï Lama a lieu par l’émission d’un rayon de lumière et que finalement il naîtra au Tibet comme très parfait Bouddha et non dans l’Inde où ses prédécesseurs ont apparu.

Padmapāni a beaucoup de noms dans les livres sacrés et il est représenté sous diverses figures. Le plus souvent on le prie sous le nom de Chenresi ou plus exactement Chenresi Vanchoug, « le puissant qui regarde avec les yeux », en sanscrit Avalokitesvara. À ce nom, aussi bien qu’à celui de Phagpa Chenresi, en sanscrit Argavalokita, ou Chougchig Zhal, « celui qui a onze visages », correspondent les images qui le représentent avec onze faces et huit mains.


Maïtreya, en tibétain Jampa, le Bouddha futur
Maïtreya, en tibétain Jampa, le Bouddha futur
MAÏTREYA, EN TIBÉTAIN JAMPA, LE BOUDDHA FUTUR.

Padmapāni, en tibétain Chenrési, protecteur particulier du Tibet
Padmapāni, en tibétain Chenrési, protecteur particulier du Tibet
PADMAPANI, EN TIBÉTAIN CHENRESI, PROTECTEUR PARTICULIER DU TIBET.

Les onze visages forment une pyramide et sont placés sur quatre rangs. Chaque série de têtes a un teint différent ; les trois faces qui reposent sur le cou sont blanches, les trois autres jaunes, les trois suivantes rouges, la dixième est bleue et la onzième (le visage d’Amitābha) est rouge. Cette disposition se trouve dans toutes les images tibétaines et mongoles que j’ai pu examiner ; mais dans les images japonaises du Nippon Panthéon les onze visages sont beaucoup plus petits et arrangés en forme de couronne ; le centre est formé de deux figures complètes ; la plus basse est assise, l’autre est droite au-dessus ; dix têtes plus petites sont combinées avec ces deux figures dans une sorte de disposition rayonnante ; six reposent immédiatement sur le front, les quatre autres forment une seconde rangée au-dessus d’elles.

Sous la forme de Chagtong Khorlo, « le cercle aux mille mains », ou, comme Thougdje chenpo chougchig zhal, « le grand miséricordieux qui a onze visages », il a aussi onze faces, avec un millier de mains. Comme Chag zhipa, « qui a quatre bras », il est représenté avec une tête et quatre bras ; deux sont croisés, le troisième tient une fleur de lotus, le quatrième un rosaire ou un lacet. Comme Chakna padma karpo (en sanscrit Padmapāni), « qui tient à la main un lotus blanc », il a deux bras ; l’un d’eux tient un lotus. On l’appelle Chantong, « qui a mille yeux », parce qu’il possède « l’œil de sagesse » sur la paume de ses mille mains. Le nom Djigten Gonpo (en sanscrit Lokapati ou Lokanātha), « seigneur du monde, protecteur, sauveur », est une allusion à son pouvoir de délivrer des péchés et de protéger contre toutes sortes de maux.

  1. Les premiers commencements de cette entreprise datent peut-être du temps de Srongtsan Gampo et de Thoumi Sambhota. Ce vocabulaire existe encore en trois éditions, qui varient suivant le plus ou moins grand nombre d’expressions qui y sont contenues. Celui de taille moyenne fut composé au temps de Ralpachen ou Khiral, qui régnait au neuvième siècle ; il est compris dans le Tandjour. Wilson, Note on the literature of Tibet. Gleanings in science, vol. III, p. 217. Comparez aussi Hodgson, As. Res., vol. XVI, p. 434. — Les noms des traducteurs de beaucoup de livres nous ont été conservés.
  2. Ainsi Csoma, dans son écrit sur les livres d’histoire ou de grammaire du Tibet, ne cite pas les titres sanscrits de ces livres, ainsi qu’il le fait toujours quand il s’agit de traduction du sanscrit.
  3. Voyez sur ces collections H. H. Wilson, Note on the Literature of Tibet ; Gleanings in science, Journ As., Soc. Beng., vol. I. Csoma, Analysis, As. Res., vol. XX. A. Schiefner, Bul. hist. phil. de Saint-Petersbourg, Notice sur les ouvrages en langue de l’Asie orientale. Bul., vol. XIII, no 13 et 14.

    Léon Feer (Analyse du Kandjour), annales du Musée Guimet, t. II.

  4. Bul. hist. phil. de Saint-Pétersbourg, vol. IV, IX. — Au sujet du nombre extraordinaire d’ouvrages importants apportés à Londres et à Paris par B.-H. Hodgson, voyez Wilson, Buddha and Buddhism. R. As., Soc., vol. XVI, p. 234.
  5. Voyez quelques remarques intéressantes sur ses opinions et sa mort dans Journal As., Soc. Beng., vol. XI, p. 303 ; vol. XIV, p. 320, par le Dr Campbell. Il y a dans les montagnes deux tribus qui ont conservé le nom de Huns ; l’une réside à Gnary Kh’orsoum et se donne le nom de Hounia ; l’autre est la tribu de Limbou dans le Népal et Sikkim : une grande partie de cette tribu porte le nom de Houngs. Comparez Campbell, Journal As., Soc. Beng., vol., IX, p. 599.
  6. Schefner publia en 1852 des additions et corrections à l’édition de Schmidt.
  7. Voyez le chapitre suivant.
  8. D’après la traduction de Pallas, ce rayon est de couleur blanche.
  9. Cette légende est racontée différemment dans l’ouvrage Mongol Nom Garchoi Todorchoi Toli, traduit par Schmidt, Forschungen, p. 202-206. Padmapāni avait fait vœu de ne pas rentrer à Soukhavati tant que tous les hommes et les Tibétains en particulier ne seraient pas sauvés par lui. Mais quand il vit que la centième partie seulement des Tibétains était entrée dans le chemin du salut, la nostalgie de Soukhavati s’empara de lui. Ce fut en raison de ce désir de retour que sa tête se brisa en dix morceaux (et non pas mille, comme le raconte le Mani Kamboum) et son corps se divisa en mille pièces. Amitābha répara les dommages corporels.
  10. Les biographies tibétaines de Sākyamouni sont divisées en douze parties d’après ses douze actes. Les voici : 1o Il descend de la demeure des dieux. — 2o Il entre dans le sein de sa mère. — 3o Il naît. — 4o Il développe toutes sortes d’arts. — 5o Il se marie (il jouit des plaisirs de l’état de mariage). — 6o Il quitte sa maison et prend l’état religieux. — 7o Il accomplit des pénitences. — 8o Il est vainqueur du diable, ou dieu des plaisirs. — 9o Il arrive à la perfection suprême, ou devient Bouddha. — 10o Il tourne la roue de la loi, ou publie sa doctrine. — 11o Il est délivré des peines, ou il meurt. — 12o Ses restes sont déposés (dans un charton). Csoma. Notices on the life of Sakia, As. R., vol. XX, p. 285. Comparez aussi Schmidt, Ssanang Ssetsen, p. 312. Schiefner, Tib. Lebens-Beschreibung Sākyamuni. Mémoires des savants étrangers, vol. VI, p. 232.
  11. Au sujet du nombre des prescriptions à observer et des dogmes à croire par les basses classes, voyez pages 134 à 138.