Le Charme de l’Histoire/09

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Alphonse Picard et Fils, Éditeurs (p. 261-314).

LA ROCHEFOUCAULD
et
LA COMTESSE DIANE




LA FORTUNE, LE COURAGE, L’AMOUR
au xviie et au xixe siècle[1]



Un moraliste dépeint ce qu’il a observé sur lui-même ou sur les homme qui l’entourent. Toute observation morale est donc une confession ou un portrait. Elle est même presque toujours à la fois l’un et l’autre ; elle révèle en même temps et l’auteur et ses contemporains. Le moraliste, en effet, ne dépeint pas tout ce qu’il voit, mais seulement ce qu’il regarde ; et de même que, quand nous parcourons un livre, nous y apercevons surtout ce qui cadre avec notre propre pensée, de même, quand nous cherchons à pénétrer le cœur humain, nous y distinguons plus volontiers les traits qui concordent avec nos préoccupations intimes, ceux qui confirment nos jugements antérieurs, notre manière d’envisager la vie, nos doctrines. Un trait de bonté aurait pu échapper à l’attention de La Rochefoucauld ; jamais un trait de vanité. Le moraliste se fait donc connaître dans son livre, moins parce qu’il a eu l’intention de s·y dépeindre, que parce qu’il l’a écrit sous la dictée de ses sentiments et surtout de ses théories.

D’autre part, ce que le moraliste a vu, c’est son siècle qui l’a offert à ses yeux ; son esprit était façonné par son siècle quand il a observé tel ou tel fait, et qu’il l’a jugé plus digne que tel ou tel autre de fixer son attention. S’il a une haute portée, il dégagera de ses observations un trait général et permanent du cœur humain, et sa réflexion, exprimée sous une forme saisissante, sera vraie pour tous les temps et pour tous les hommes ; presque toujours pourtant elle portera l’empreinte de la société contemporaine. Sans doute il en est ainsi de tous les livres et même de toutes les œuvres de l’esprit humain, car il n’en est aucune dont l’auteur n’ait subi l’influence du milieu dans lequel il vit. Mais les recueils d·observations morales ont précisément pour objet de peindre les hommes ; ils doivent donc plus sûrement les représenter avec le costume de leur temps et de leur pays. En outre, et cette considération est plus décisive encore, ils sont presque toujours écrits par des personnes étrangères à la profession des lettres ; dès lors, le métier, le convenu, l’artificiel y doivent avoir moins de part ; conçus au sein même de la société, ils en reflètent plus exactement l’image, et nous devons y retrouver le tableau des mœurs, des habitudes, des préoccupations générales au milieu desquelles l’auteur a vécu, observé, écrit.

Il est intéressant, à ce point de vue, de lire, à côté des Maximes de La Rochefoucauld, un des petits volumes parus dans ces dernières années qui, par la finesse de l’observation, la grâce des aperçus, l’élégance et la précision de la forme, méritent le plus d’attirer et de retenir le lecteur délicat : les Maximes de la vie, par la Comtesse Diane. À chaque page de ces deux recueils on reconnaît, soit le grand seigneur du temps de la Fronde, soit la Parisienne d’aujourd’hui. Pour ne pas étendre indéfiment notre étude, nous nous attacherons seulement à rechercher ce que chacun des deux auteurs a dit de la Fortune, du Courage et de l’Amour.


I


La différence entre les deux époques, et par suite entre les deux écrivains, est très marquée pour ce que nous appellerions aujourd’hui la fortune.

Nous ferons d’abord une observation sur cette expression elle-même : la fortune. La Rochefoucauld, qui l’emploie très souvent, ne lui donne jamais le sens de richesse. Il la prend parfois dans son acception propre, les hasards de la vie : « La nature fait le mérite et la fortune le met en œuvre » (153)[2]. Parfois aussi il s’en sert pour désigner les biens que la destinée accorde à un homme ; mais alors ce n’est pas, comme nous, à l’argent qu’il pense : « La fortune fait paraître nos vertus et nos vices, comme la lumière fait paraître les objets » (380). — « La plupart des gens ne jugent les hommes que par la vogue qu’ils ont ou par leur fortune » (212). — « L’amour de la gloire, la crainte de la honte, le dessein de faire fortune, le désir de rendre notre vie commode et agréable, et l’envie d’abaisser les autres, sont souvent les causes de cette valeur si célèbre parmi les hommes » (213). Dans aucune de ces maximes, La Rochefoucauld n’a voulu parler de la richesse, n’a entendu faire allusion au pouvoir magique de l’argent, au désir de s’enrichir.

Une des plus jolies fables de Lafontaine nous présente aussi deux personnages qui, entraînés par « certain esprit de liberté », vont loin du lieu de leur naissance « chercher fortune ». Ce sont deux chèvres,


« Qui toutes deux étant fort fières…
Toutes deux tombèrent dans l’eau, »

Et le fabuliste ajoute :


« Cet accident n’est pas nouveau
Dans le chemin de la fortune, »

Il ne veut nullement nous faire entendre que ses deux héroïnes prétendaient s’enrichir, ni que ce soit sur le chemin des écus que l’on se casse le cou.

Lorsqu’il nous dit, dans Philémon et Baucis « que la fortune vend ce qu’on croit qu’elle donne », il a soin de nous avertir qu’il parle, non seulement de l’or, mais de la grandeur ; et certainement, de « ces deux divinités », la première n’est pas la plus importante à ses yeux. Ce u’est pas aux traitants ou aux partisans qu’il oppose les humbles héros de son poème ; c’est, il nous le dit formellement, aux « favoris des Rois ». Il pense comme La Roche­foucauld, et il parle la même langue.

La Bruyère, il est vrai, donne souvent au mot fortune le sens de richesse. Mais son exemple, explicable d’ailleurs par diverses circonstances sur lesquelles nous reviendrons plus tard, prouve uniquement que le mot pouvait avoir alors, comme aujourd’hui, deux acceptions. Seulement il y en avait une à laquelle La Rochefoucauld ne songeait jamais, et c’est précisément celle qui nous est aujourd’hui la plus familière. Quant à l’autre, nous n’y pensons guère plus que La Rochefoucauld ne pensait à la première, si bien que quand par hasard un de nos contemporains l’emploie, il risque de n’être pas compris.

Un jour, à la tribune, Guizot parlait des vertus qui avaient fait la fortune du parti conservateur. Des murmures ironiques ayant accueilli ces paroles, l’orateur se redressa de toute la hauteur de son dédain : « Il y a, dit-il, des pensées qui ne me viennent pas, des allusions que je ne sais pas pressentir. » Guizot avait employé le mot fortune comme l’eussent fait Lafontaine et La Rochefoucauld ; ses adversaires affectaient malignement de l’entendre dans le sens moderne.

On pourrait faire une remarque analogue au sujet d’une autre expression dont le sens a également changé à mesure que les présomptions d’argent prenaient plus d’importance dans la société : le mot honnête homme éveillait autrefois l’idée de bonne éducation ; il éveille aujourd’hui celle de probité.

Cette différence dans le sens usuel des mots par lesquels les hommes résument, soit la qualité qu’ils recherchent avant tout chez leurs amis, soit celui de tous les biens envoyés par le sort qu’ils désirent avec le plus de passion, est un signe caractéristique des mœurs et une conséquence frappante de l’organisation sociale des deux époques.

Sous Louis XIV, aux yeux d’un homme de Cour, le point important dans la destinée d’un personnage était sa situation à la Cour ; la richesse était l’accessoire naturel et nécessaire des dignités ; mais elle n’était pas le but, comme elle le serait aujourd’hui. Aujourd’hui une situation élevée dans l’État n’est souvent qu’un moyen plus facile et plus sûr d’acquérir la richesse. À cette époque, l’homme qui n’aurait eu que de l’or, et qui aurait prétendu compter pour quelque chose dans l’État, eût été ridicule. Le rang que chacun tenait de sa naissance, de ses emplois, de la faveur du Prince, voilà ce que l’on considérait ; voilà ce que La Rochefoucauld appelait la fortune ; voilà le sujet d’observation qui l’intéressait. « Lorsque la fortune, dit-il, nous surprend en nous donnant une grande place sans nous y avoir conduits par degrés ou sans que nous nous y soyons élevés par nos espérances, il est presque impossible de s’y bien soutenir et de paraître digne de l’occuper » (449) … « La modération des hommes dans leur plus haute élévation est un désir de paraître plus grands que leur fortune » (18). — « Il y a une élévation qui ne dépend point de la fortune : c’est un certain air qui nous distingue et qui semble nous destiner aux grandes choses : c’est par cette qualité que nous usurpons les déférences des autres hommes, et c’est elle d’ordinaire qui nous met plus au­ dessus d’eux que la naissance, les dignités et le mérite même » (399). Ainsi, pour La Rochefoucauld, la naissance, les dignités, le mérite, c’est cela, et non point la richesse, qui met un homme au-dessus des autres. Il écrit pour ceux qui, comme lui et autour de lui, possèdent ces biens ; et il étudie avec soin les sentiments, les faiblesses, les inimitiés qui sont le partage accoutumé de la grandeur. Il nous parle de la modération dans la haute fortune (18), du danger d’occuper un emploi plus grand que son mérite (419), des qualités nécessaires pour s’élever dans les grandes affaires (453, 399, 343, 239, etc.) de l’envie qui s’attache au succès : « L’approbation que l’on donne à ceux qui entrent dans le monde vient souvent de l’envie secrète que l’on porte à ceux qui y sont établis » (28). — « La haine pour les favoris n’est autre chose que l’amour de la faveur. Le dépit de ne pas la posséder se console et s’adoucit par le mépris que l’on témoigne de ceux qui le possèdent, et nous leur refusons nos hommages, ne pouvant pas leur ôter ce qui leur attire ceux de tant le monde » (551. Comme cette pensée si fine et si vraie porte bien sa date ! Quel moraliste aujourd’hui son­gerait à nous parler de la faveur ou des favoris ? Non que ces choses ne puissent encore exister ; mais elles sont trop précaires et trop peu importantes pour exciter l’envie ou la colère, ou même pour attirer l’attention ; de nos jours, Racine ne mourrait plus de chagrin pour avoir encouru la disgrâce de quelque successeur du grand Roi ; mais dans le cercle où vivait La Rochefoucauld, la faveur du Prince était la fortune suprême, et les courtisans adoraient, non seulement le Soleil, mais les personnages mesquins que le Soleil daignait éclairer du reflet de ses rayons !

À côté de ces Maximes nombreuses sur les hautes fortunes et sur les hautes infortunes, sur les grandes ambitions et les grandes affaires, quelle place La Rochefoucauld va-t-il donner aux sentiments si variés, si intéressants par leur déraison comme par leur puissance, que le prestige de l’or fait naître dans le cœur de ceux qui possèdent la richesse et de ceux qui ne la possèdent pas. Voilà une mine féconde d’observations, se rattachant, non plus à des mœurs passagères, aux manies accidentelles d’un cercle étroitement limité, mais à des passions impérissables et universelles. Tout cela pourtant semble ne pas exister pour La Rochefoucauld. Hormis trois ou quatre réflexions sur l’avarice (11, 167, 491, 492), vice particulièrement honni des grands seigneurs, et deux maximes, contradictoires d’ailleurs, sur le mépris des richesses (51 et 301), il néglige ou il dédaigne tout ce côté du cœur humain.

Conclurons-nous de son silence que l’argent ne tenait aucune place dans les préoccupations de ses contemporains, ou dans celles des hommes de son rang, ou même dans les siennes ? Les mémoires et les correspondances du temps révèlent au contraire une société qui était loin de se montrer insensible aux avantages de l’opulence : l’avidité cynique des courtisans, les exactions des personnages en place, les mésalliances dorées des grands seigneurs, le mélange bizarre d’envie, de dédain irrité et d’adulations complaisantes dont ils entouraient les traitants enrichis, la place que le théâtre, image de la vie, donnait aux legs et aux procès, tout atteste qu’alors, comme aujourd’hui, comme toujours, la richesse, source de jouissance ou source de puissance, était convoitée avec passion et poursuivie avec âpreté.

Lorsque le petit marquis du Misanthrope énumère cornplaisamment les mérites qui lui donneraient le droit « en tout pays d’être content de soi », il s’écrie :

J’ai du bien, je suis jeune, et sors d’une maison… » etc.

C’est le bien qui vient le premier à sa pensée. Quand Alceste cherche quelles qualités, à défaut de faire des vers, il pourrait reconnaître à l’homme au son­ net, il dit à Philinte :

Je louerai, si l’on veut, son train et sa dépense… » etc.

La dépense ! Comme cette expression est caractéristique ! Dépenser était pour les gens de Cour une nécessité si impérieuse qu’ils avaient fini par en faire un mérite ! Peut-être aurions-nous mauvaise grâce à le leur reprocher, nous qui, pour exprimer qu’un homme dépense beaucoup relativement à son revenu, disons qu’il vit honorablement.

Mais pour satisfaire à ce devoir que la situation sociale imposait sous peine de déchéance, pour tenir son rang à la Cour, pour faire figure à l’armée, il fallait de l’argent, et, afin de s’en procurer, les rands seigneurs avaient recours, sans rougir, à des moyens que l’usage autorisait alors et qui révolteraient aujourd’hui notre probité bourgeoise et notre fierté démocratique. Quel ministre de rencontre, quel agitateur politique de bas étage aurait de nos jours l’impudence d’avouer, s’il avait eu la faiblesse de s’en rendre coupable, des actes tels que ceux dont l’intègre Sully et le fier La Rochefoucauld se glorifient dans leurs Mémoires ?

Sully, naïf dans son amour de l’or, et probe à sa manière, même dans les actes que nous réprouverions aujourd’hui, raconte avec force détails qu’il s’est enrichi dans sa jeunesse par les rançons des prisonniers et par le pillage, plus tard par les dons du Roi et par les pots-de-vin des traitants. On sortait à peine du régime féodal ; le butin et les rançons étaient encore le droit de la guerre. Chaque seigneur, chaque gouverneur de ville ou de province, chaque gentilhomme se regardait comme un petit souverain, et faisait la guerre à ses frais et à son profit. S’enrichir par la guerre, céder à prix d’argent la place forte, que l’on avait charge de défendre, se révolter pour faire acheter sa soumission,s’allier avec l’étranger, ne prendre conseil que de ses intérêts et faire prévaloir ses prétentions par les armes, tous ces privilèges, réservés aujourd’hui aux puissances belligérantes, étaient revendiqués et exercés sans déshonneur par les simples capitaines. Les mœurs créées par un état social survivent si longtemps aux institutions qui leur ont donné naissance, qu’on retrouve celles-ci, même après Richelieu ; la conduite de Turenne et de Condé pendant les troubles de la Fronde ne peut s’expliquer que par les souvenirs des temps féodaux.

Devenu ministre, Sully n’a plus l’occasion de faire des prisonniers ; mais il lui reste les présents du Roi, qui lui semblent la chose du monde la plus flatteuse, et les pots-de-vin, à l’occasion desquels sa probité fait une distinction. Il blâme sévèrement ses collègues, qui les recevaient en se cachant, pour trahir les intérêts du Roi. Quant à lui, il se vante de n’en avoir jamais accepté sans en avertir Henri IV ; c’était, dit-il, ainsi convenu entre eux. À chaque occasion, d’ailleurs, il offrait de reverser au trésor royal ce qu’il avait reçu, et le bon Roi, toujours aussi surpris que charmé d’une honnêteté à laquelle ses courtisans ne l’avaient pas accoutumé, ne manquait pas, à son tour, d’autoriser l’intègre ministre à garder ce qu’on lui avait donné ; il y ajoutait même presque toujours une nouvelle récompense. « Je n’y perdis rien » est, dans les mémoires de Sully, la conclusion ordinaire de son récit. Chaque siècle, comme chaque classe, a sa manière de comprendre et de sentir la délicatesse, cette « élégance de la probité », suivant l’heureuse expression de la Comtesse Diane. De nos jours encore nous entendons parler du sou pour livre, mais ce ne sont plus les Ministres qui se le font donner.

La Rochefoucauld répondra-t-il mieux à ce que nous attendrions aujourd’hui d’un homme délicat, ou même simplement d’un homme désintéressé ? Pendant la Fronde, il offre sa soumission à Mazarin, dans un projet de traité qu’il juge sans doute fort honorable pour lui, car il en reproduit le texte dans ses mémoires en s’indignant de ce que Mazarin ne l’ait pas accepté ; le traité, muet sur tout ce qui pouvait intéresser le bien public, stipulait uniquement des avantages personnels en faveur des divers seigneurs révoltés ; La Rochefoucauld exigeait pour sa part 120,000 écus, destinés à lui acheter un gouvernement ; puis, afin que l’honneur accompagnât l’argent, il prétendait aussi obtenir pour sa femme un tabouret à la Cour. Quelques années plus tard, son nom figure sur la liste des grands personnages soupçonnés d’être à la solde de Fouquet. Quand Louis XIV est devenu le maître incontesté du royaume, La Rochefoucauld reçoit de lui des présents et une pension ; ses frères et ses sœurs, ses enfants et ses petits-enfants ont des pensions, des bénéfices, des charges de Cour, des gouvernements qui ne sont que des présents déguisés.

Son livre ne dément pas sa vie. Remarquons en quels termes il s’exprime dans une des seules maximes où il parle de la richesse. « Le mépris des richesses, dit-il, était dans les philosophes un désir caché de venger leur mérite de l’injustice de la fortune par le mépris des mêmes biens dont elle les privait ; c’était un secret pour se garantir de l’avilissement de la, pauvreté ; c’était un chemin détourné pour aller à la considération qu’ils ne pouvaient avoir par les richesses » (54). Ici la tournure de la phrase est significative autant que le fond même de la pensée : La richesse donne la considération et la pauvreté avilit. Voilà une première proposition ; elle est, aux yeux de l’auteur, tellement avérée qu’il n’aurait pas songé à la relever pour elle-même ; il la rappelle incidemment pour justifier une seconde proposition à laquelle tout le monde n’aurait pas songé, et qui motive la peine qu’il a prise d’écrire une maxime : La richesse a tant de prestige, elle est un bien si désirable, qu’il est impossible de croire à la sincérité des philosophes qui ont prétendu la mépriser.

Certes, l’argent tient maintenant une grande place dans nos désirs et dans nos hommages ; mais personne n’oserait plus écrire ce qu’écrivait La Rochefoucauld, parce qu’il n’est personne aujourd’hui qui ne connaisse et qui ne puisse citer des hommes très sincèrement indifférents à la fortune. Ces hommes ne prétendent peut-être point au titre glorieux de philosophes ; mais ils ont été assez heureux pour se créer un devoir et ils lui consacrent leur vie. Que ce soit le dévouement obscur à quelque humble tâche, ou la poursuite passionnée de quelque grand rêve humanitaire, scientifique, artistique, ou même politique, tout entiers à leur idée, suivant avec respect le sillon qu’ils se sont tracé, ils passent à côté de l’argent, l’oubliant plus encore qu’ils ne le dédaignent.

Autour de La Rochefoucauld on ne le dédaignait pas, parce qu’on ne savait point s’en passer ; mais, tout en le convoitant, on affectait de le mépriser ; c’était un de ces côtés matériels de la vie que l’on subit, et dont on ne parle pas. Voilà ce qui explique le silence de La Rochefoucauld. « Ne touchez pas à l’argent, cela pue », écrivait Mme  de Sévigné, qui cependant savait compter la dot de sa fille, et qui dut plus tard se résigner à l’humiliation de voir son petit-fils épouser la fille d’un fermier-général pour payer les dettes des Grignan. La richesse était si peu de chose à côté de la naissance ou des dignités, que ce qui avait trait à l’argent ne comptait pas. Un homme de haut rang le prenait sans scrupule comme il le dépensait sans mesure ; ces choses glissaient sur lui sans le tacher. C’était se tacher peut-être que contracter une mésalliance, parce que c’était déroger, c’était altérer pour toute la race à venir la pureté du blason ; mais rançonner une ville, pressurer une province ou ramasser les dons du roi, et relever ainsi la fortune de ses descendants, c’était faire acte de gentilhomme.

Nous pensons et nous sentons autrement aujourd’hui. Dans notre société démocratique qui croit s’être affranchie des vieux préjugés et qui prétend ne faire de distinction entre les hommes que pour leur éducation ou pour leur valeur personnelle, la différence la plus réelle est celle que crée la fortune ; c’est la moins discutable, celle qui se traduit par les effets les plus positifs. Nous n’irons certainement pas jusqu’à dire que la richesse constitue la seule aristocratie restée puissante devant l’opinion ; toutefois on ne peut nier qu’elle ne mette un homme en relief, et qu’elle ne lui donne, dans une large mesure, l’influence réservée jadis au rang et aux dignités.

Mais précisément parce que la question d’argent a pris dans notre société effacée un rôle prépondérant ; parce que, plus qu’autrefois, il est vrai de dire, suivant l’énergique expression de la Comtesse Diane : « Le MOI est quand il a » (50), tout ce qui touche à la fortune, aux moyens de l’acquérir, à la manière de l’employer, est devenu plus grave. Chacun, se sentant moins haut, redoute plus de s’abaisser. Les Maximes de la vie témoignent de cet état d’esprit ; elles reflètent des préoccupations et, nous le verrons aussi, des délicatesses dont ne s’était pas avisé La Rochefoucauld.

La Comtesse Diane parle souvent de la richesse, de la pauvreté, de la ruine. Elle ne dit pas, comme La Rochefoucauld, qui ne comprenait point que l’on pût vivre sans un grand train de maison, que la richesse donne la considération et que la pauvreté avilit ; elle dit simplement, en quelques mots d’une énergie saisissante : « La richesse rend tout facile, d’abord l’honnêteté » (42). Elle décrit avec une ironie sereine ces sentiments terre-à-terre que chacun de nous a maintes fois eu l’occasion d’observer… chez les autres : « La bravoure et le désintéressement sont les deux qualités que nous admirons davantage, sans doute parce qu’elles mettent en péril les biens qui nous sont les plus précieux : la vie et l’argent » (95). — « Nous croyons toujours que nos amis nous préfèrent à leur intérêt ; nous le croyons…, jusqu’au jour où nous avons des affaires d’intérêt avec nos amis » (110). — « Les parents pauvres sont toujours des parents éloignés » (Glanes de la vie, p. 61).

Elle a observe avec une attention particulière les misères qu’entraînent les vicissitudes si fréquentes dans notre existence de travail et de luxe, de jouissances hâtives et de risques imprudemment courus. La pauvreté succédant à la richesse, n’est-ce pas le spectacle poignant que nous avons chaque jour sous les yeux ? Et les conséquences d’un changement de fortune ne sont-elles pas plus graves parmi nous qu’elles ne pouvaient l’être parmi les grands seigneurs pour lesquels était écrit le Livre des maximes ? Qu’un La Rochefoucauld tombât en disgrâce, qu’il perdit par quelque revers du sort les biens dont les hasards de la guerre ou la faveur des rois avaient enrichi ses ancêtres, il n’en conservait pas moins et il transmettait à ses enfants ce que rien ne pouvait lui enlever : son nom, son rang, son épée, tout ce qui faisait son prestige ; il restait duc de La Rochefoucauld. Que reste-t-il à un bourgeois de nos jours quand il perd son argent· ? L’homme qui avait su conquérir l’aisance et qui n’a pas su la conserver trouve à peine, à la fin de sa vie, le moyen de gagner péniblement son pain ; le renom de probité qu’il a peut-être la consolation de léguer à ses enfants ne suffira pas pour les aider à se relever. La ruine leur impose des privations matérielles pénibles, car, comme le dit la Comtesse Diane, « On s’accoutume à tout ce qu’on a, jamais à ce qu’on n’a plus » (94). Elle lui impose aussi des souffrances morales bien autrement douloureuses « Il est difficile aux grandes âmes elles-mêmes de porter fièrement la ruine, parce qu’elles sentent sans cesse leur dignité menacée par la misère » (65). — Et plus loin : « Il y a dans la générosité même une raison de ne pas pardonner à celui qui, en nous ruinant, nous a privé du bonheur de donner ; cette générosité entravée chaque jour se retourne contre lui pour le faire maudire » (134).

Le bonheur de donner ! Nous retrouverons souvent dans les Maximes de la vie cette expression charmante. Donner est certainement une des plus grandes joies de ce monde, un des plus doux privilèges de la fortune. L’art de donner est, avec l’art plus difficile encore peut-être de recevoir, un des sujets que la Comtesse Diane a observés avec le plus de pénétration et traités avec le plus de délicatesse.

La Rochefoucauld avait dit : « Assez de gens méprisent le bien, mais peu savent le donner » (301). La Comtesse Diane cherche la cause de cette disposition singulière et cependant si commune : « Les caractères faibles se laisseront piller, mais ils ne seront jamais généreux ; il faut prendre sur soi pour donner » (97). Conséquence étrange de la faiblesse ! C’est par faiblesse qu’on gaspille sa fortune ; c’est par faiblesse aussi que l’on ne sait pas faire l’effort de la bien employer ! Et cet effort, quand on le fait, on ne sait pas le pousser jusqu’au bout. Voyez ce que dit encore la Comtesse Diane : « Qui a donné n’entend pas s’être dessaisi tout-à-fait, et se croit le droit d’exercer un contrôle sur l’obligé. Ce contrôle est d’autant plus impérieux que l’obligé est plus pauvre » (60). Voici un exemple de cette prétention singulière : « Les cœurs qui comprennent et pratiquent le mieux la générosité ne songent pourtant pas à donner aux autres le plus grand des bonheurs, le bonheur de donner ; ils ne permettent pas même d’ordinaire qu’on partage avec d’autres la jouissance de leur don » (83). Qui de nous ne fera ici un retour sur soi-même et ne sentira avec surprise combien il garde d’égoïsme jusque dans sa générosité ! Nous voulons avoir le bénéfice de notre bienfait ; nous voulons que celui qui en jouit sache à qui il le doit. Ces exigences déraisonnables que la Comtesse Diane nous fait découvrir au fond de notre cœur et qui lui donnent le droit de s’écrier : « Nous faisons souvent payer bien cher ce que nous croyons avoir donné » (97) ; ces bizarreries et ces contradictions qu’elle constate dans les âmes les plus généreuses ont toutes la même source : l’amour de soi. Notre moi déborde jusque dans nos bienfaits ; c’est pour soi qu’on donne, comme c’est pour soi qu’on se dévoue et qu’on se sacrifie, comme, hélas ! c’est pour soi qu’on aime.

Aussi la Comtesse Diane a-t-elle raison de dire : « Il faut encore plus de générosité pour bien recevoir que pour bien donner ; la grandeur d’âme prescrit au bienfaiteur d’oublier et à l’obligé de se souvenir » (106). Mais sa délicatesse est trop haute pour conclure de cette observation qu’un cœur jaloux de sa dignité ne doit pas accepter l’aide offerte par un ami : « On peut, dit-elle au contraire, tout accepter de celui à qui on aurait tout donné ; il n’a que la supériorité de l’occasion » (40). Elle nous montre que ce sont les âmes les plus fières qui savent recevoir sans s’abaisser- : « Les caractères généreux acceptent sans embarras en pensant qu’ils donnent le bonheur de donner. Les caractères avides demandent sans honte en ne pensant qu’au profit de recevoir. Les caractères ordinaires, ni avides, ni généreux, ne veulent ni demander, ni recevoir, et ne comprennent pas qu’il y ait des gens pour qui la reconnaissance ne soit pas un fardeau » (64). Voilà la vérité ! c’est celui qui donne qui est véritablement heureux et qui doit rendre grâce à son ami. Aussi a-t-elle raison d’ajouter : « Pour bien donner, comme pour bien recevoir, il n’y a qu’à laisser voir son bonheur >> (68).

Que ces pensées charmantes nous transportent loin de La Rochefoucauld et de son fastueux entou­rage ! Il ne faut cependant ·pas en attribuer l’honneur à la seule marche du temps ; les sentiments peuvent différer, non seulement d’un siècle à l’autre, mais aussi d’une société à l’autre dans le même siècle, et sur tous ces points La Bruyère s’éloigne de La Rochefoucauld autant qu’il se rapproche de la Comtesse Diane. C’est que pour lui la question d’argent était chose grave, comme elle l’est aujour­d’hui pour nous tous. Vivant au milieu des grands, dans une condition subalterne à laquelle le condamnait l’infériorité de sa naissance aussi bien que la médiocrité de son avoir, il les regardait de bas en haut, et, pour prendre sa revanche, il en appelait d’avance à la postérité. « Le présent, disait-il, est pour les riches, et l’avenir pour les vertueux et les habiles… Que sont devenus ces importants personnages qui méprisaient Homère, … qui ne lui rendaient pas le salut, qui ne daignaient pas l’asseoir à leur table, qui le regardaient comme un homme qui n’était pas riche et qui faisait un livre ? » (Des biens de fortune).

À côté de ces lignes amères et orgueilleuses qui contrastent avec l’indulgente sérénité de la Comtesse Diane, on retrouve chez La Bruyère, avec les mêmes préoccupations, les mêmes délicatesses. Lui aussi se demande dans quelles circonstances un cœur fier peut recevoir un don sans compromettre sa dignité, et il affirme, presque dans les mêmes termes, qu’il faut être généreux pour consentir à accepter un bienfait : « Quelque désintéressement qu’on ait à l’égard de ceux qu’on aime, dit-il, il faut quelquefois se contraindre pour eux, et avoir la générosité de recevoir » … « Celui-là peut prendre qui goûte un plaisir aussi délicat à recevoir que son ami en sent à lui donner » (Des biens de fortune). Il a soin de nous avertir d’ailleurs qu’il suppose le service rendu par un ami, par ceux qu’on aime ; la Comtesse Diane de son côté dit par celui à qui on aurait tout donné. Ni l’un, ni l’autre, sans doute, n’eût parlé dans les mêmes termes d’un secours offert par le dédain d’un supérieur ou par la pitié d’un étranger.

La Comtesse Diane n’avait certainement pas dans la mémoire ces passages de La Bruyère lorsqu’elle a écrit ses Maximes de la vie ; il n’en est que plus intéressant de remarquer qu’à deux cents ans de distance, dans des conditions et dans des milieux si différents, les deux moralistes se sont rencontrés pour exprimer avec une exquise délicatesse un sentiment profondément vrai, qui n’étonnera que les âmes vulgaires, et pour affirmer que l’on peut honorablement devenir l’obligé d’un ami sans devenir son inférieur. La dignité n’est pas fatalement atteinte par le bienfait, la reconnaissance n’est pas une sujétion, et quand c’est vraiment le cœur qui donne, l’égalité n’est pas à tout jamais rompue.

Avant de quitter cette matière, nous ne résistons pas au plaisir de citer encore une Maxime de la vie dont la forme est superbe et qui atteste une grande profondeur d’observation : « Si un homme qui tombe veut se relever, qu’il se hâte de saisir la main que tout le monde lui tend dans le premier moment. Plus tard, tout le monde aura passé son chemin » (4). Ce n’est pas seulement à la perte d’argent que s’applique cette remarque, mais à tout revers, à toute disgrâce ; nos temps troublés nous en ont trop souvent fourni la preuve. Un homme est victime de quelque changement politique, ou, pour ne pas blesser sa conscience, il brise volontairement sa carrière. Aussitôt tous ses amis s’agitent ; les indifférents eux-mêmes s’émeuvent ; chacun, avec une ardeur sincère, cherche à remédier à son infortune. Mais que le premier effort n’aboutisse pas, que le temps s’écoule, on se lasse, on oublie ; il reste seul. Et si parfois on pense encore à lui, on semble se dire qu’après tout c’est sa destinée ! On lui reprocherait presque de se plaindre encore et de ne pas savoir se résigner !

Ne nous étonnons point qu’il en soit ainsi. Où serait le mérite du sacrifice s’il n’était pas suivi de souffrance ? Admirerions-nous l’homme de cœur qui immole à sa conscience sa situation ou sa fortune, s’il était certain de retrouver une fortune ou une position ? Il savait ce qui l’attendait ; il savait qu’il n’obtiendrait des hommes qu’une estime stérile et qu’il n’aurait pour récompense que le seul bonheur qui sur la terre dépend uniquement de nous-même : la satisfaction d’avoir fait son devoir. Voilà pourquoi il peut regarder avec fierté ceux dont l’oubli rapide et la lâche indifférence n’ont pas su le venger de l’injustice, et qui, devant son abnégation, ne savent montrer que de la faiblesse.


II


Le mot courage n’a pas changé de sens depuis deux cents ans. Aujourd’hui, comme autrefois, il comprend dans ses diverses acceptions tous les genres de la force d’âme : bravoure devant le danger, résistance à la tentation, constance dans le malheur ou la souffrance. Or, La Rochefoucauld lui donne toujours le sens de valeur militaire, et la Comtesse Diane le sens de fermeté. Chacun des deux auteurs l’emploie pour exprimer celle des qualités de l’âme élevée et vaillante à laquelle il s’intéresse le plus.

Quand La Rochefoucauld veut parler de la fermeté d’âme, il se sert des mots constance ou intrépidité, qu’il emploie dans un sens peut-être un peu différent de celui que nous leur donnerions aujourd’hui : « La constance des sages n’est que l’art de renfermer leur agitation dans le cœur » (20) "Nous croyons souvent avoir de la constance dans les malheurs lorsque nous n’avons que de l’abattement » (420 ; voir aussi 21). « L’intrépidité doit soutenir le cœur dans les conjurations, au lieu que la seule valeur lui fournit toute la fermeté qui lui est nécessaire dans les périls de la guerre » (Pensées supprimées, 40). — La Rochefoucauld, on le voit, était loin de dédaigner la fermeté d’âme, car ici, sous le nom d’intrépidité, il la met au-dessus de la bravoure militaire ; mais il lui donne dans son livre une place beaucoup moins importante. Qu’il désigne la bravoure militaire sous le nom de courage[3], ou plus habituellement sous le nom de valeur[4], il l’étudie sous toutes ses formes[5], distinguant le courage contre le mousquet ou contre l’épée, en rase campagne ou devant des retranchements, en public ou sans témoins, en plein jour ou dans l’ombre de la nuit ; il en recherche les mobiles secrets ; il en démasque les contradictions et les défaillances ; il y revient souvent, et l’on voit qu’il y pense toujours. Ainsi, même dans cette tirade célèbre par laquelle il clôt son livre, en affirmant, après « la fausseté de tant de vertus, la fausseté du mépris de la mort » (504), c’est encore la mort du soldat sur le champ de bataille qui domine sa pensée.

Le courage devant l’ennemi était, en effet, le plus nécessaire des courages dans un siècle militaire, le plus familier à La Rochefoucauld qui avait commencé sa vie dans les camps et qui la finissait dans une Cour, le plus naturel et le plus répandu parmi cette société de grands seigneurs qui tous appartenaient à l’armée, et qui considéraient comme le privilège de leur caste de ne devoir au roi que le sacrifice de leur sang.

Notre siècle a d’autres idées et d’autres mœurs ; aussi voyons-nous chez la Comtesse Diane des préoccupations très différentes. Ce qui l’intéresse par dessus tout, c’est la force d’âme ; pour elle, le courage, c’est cet empire sur soi-même qui fait l’honneur de l’homme dans toutes les difficultés de la vie[6] ; qui l’élève au-dessus des petitesses et des lâchetés mondaines[7] ; qui lui permet de lutter contre la douleur et contre les coups de la destinée aussi bien que contre le péril[8] ; qui le soutient par la résignation et par la fierté quand le malheur est accompli[9], et qui lui inspire, s’il le faut, le sacrifice sous toutes ses formes, y compris le sacrifice de la vie, l’un des plus faciles de tous : « Le courage le plus court, dit-elle, est le plus aisé ; on sacrifie sa vie plus facilement qu’on ne la consacre » (Maximes de la vie, p. 100).

Quand la Comtesse Diane s’occupe du courage devant le péril, elle ne s’attache pas spécialement, comme La Rochefoucauld, au danger que rencontre le soldat ; elle songe à tout danger qui peut menacer un homme, et la forme même qu’elle donne à sa pensée prouve que ce qui la frappe le plus dans ce genre de courage, ce n’est pas le côté brillant du mépris de la mort, l’entrain militaire, mais la fermeté calme et réfléchie d’une âme maîtresse d’elle-même, qui voit le péril et qui l’affronte délibérément pour accomplir un devoir. « Avoir peur, c’est s’obéir ; être brave, c’est se commander » (p. 207). — « La peur est un instinct, le courage est une conquête ; la volonté fait taire la peur et la cache sous le courage » (p. 52). Cette disposition d’esprit ne tient pas uniquement à ce que le sexe de l’auteur ne lui donne pas l’occasion d’affronter personnellement les dangers de la guerre ; toutes les femmes sont sensibles au prestige de la valeur militaire, et d’ailleurs la Comtesse Diane appartenait à une famille où tous les hommes ont porté l’épée. Mais de nos jours ce n’est plus le soldat qui joue dans l’ordre social le rôle prépondérant ; ce n’est plus le courage du champ de bataille qui est le plus souvent nécessaire ; ce n’est plus devant le danger matériel qu’un homme doit surtout se préparer à rester inébranlable. Le livre de la Comtesse Diane, comme celui de La Rochefoucauld, reflète les préoccupations générales du siècle qui l’a inspiré et de la société pour laquelle il a été écrit.


III


L’amour est éternel comme le cœur humain ; le sens du mot amour ne peut avoir changé depuis deux cents ans ; cependant, là aussi le siècle a mis son empreinte, et lorsque La Rochefoucauld parle de l’amour, le sentiment qu’il dépeint n’est pas celui dont le même mot éveille en nous la pensée. Ce qu’il voyait autour de lui, ce qu’il s’est plu à observer et à décrire, c’est la galanterie, ou tout au plus ce sentiment élégant et frivole que nous ont légué le moyen-âge et la chevalerie, et en qui se confondent le respect et le désir, la tendresse discrète et le besoin de proclamer hautement son amour, la résolution de tout braver pour posséder la femme aimée, et la soumission, fière parce qu’elle est volontaire, à l’être faible et adoré dont on se sent le maître. Dans le livre comme dans la vie de La Rochefoucauld on retrouve l’homme auquel ses contemporains ont donné pour devise ces vers :


« Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
J’ai fait la guerre aux Rois, je l’aurais faite aux Dieux ».

Quel amoureux aujourd’hui oserait tenir un langage qui pouvait paraître charmant alors parce qu’il était vrai, qui serait ridicule maintenant, tant il formerait dissonance avec nos mœurs ?

La galanterie, que Montesquieu a si bien définie en disant : « Elle n’est point l’amour, mais le délicat, mais le léger, mais le perpétuel mensonge de l’amour » (Esprit des Lois, XXVIII, 22) ; la galanterie a sa grâce puisqu’elle peut inspirer le dévouement jusqu’à la mort ; mais elle l’inspire par genre, par mode, et non par affection. Si elle a trop la conscience de sa fragilité pour donner le bonheur, elle peut cependant, dans une société polie et raffinée, donner, avec l’illusion de l’amour, un plaisir élégant et délicat ; mais bientôt elle dégénère ; elle fait place à ce qui ne se nomme l’amour que dans les salons et les ruelles, à la galanterie banale et basse, recherche vaniteuse et sensuelle du commerce amoureux, qui n’est même plus l’illusion de l’amour, qui en est le mensonge et le plus grand ennemi ». « Cette piperie, dit Montaigne, rejaillit sur celui qui la fait ; il ne lui couste guère, mais il n’acquiert aussi rien qui vaille » (livre III, chapitre III).

La Rochefoucauld a bien senti la différence de ces divers sentiments et il a cherché à les distinguer : « L’amour, dit-il, prête son nom à un nombre infini de commerces qu’on lui attribue, et où il n’a non plus de part que le Doge à ce qui se fait à Venise » (77). — « Il n’y a que d’une sorte d’amour, mais il y en a mille différentes copies » (74). — Ailleurs il précise encore davantage : (( Ce qui se trouve le moins dans la galanterie, c’est de l’amour » (102). Toutefois il est entraîné par les mœurs de son temps comme par ses propres souvenirs, et, en général, ce qui se trouve le moins dans ses pensées sur l’amour, c’est de l’amour.

« Il y a, dit-il, des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour » (136). Comment ! Colin et Babet ont besoin d’avoir entendu parler de l’amour pour se chercher sans cesse, pour trembler quand ils se retrouvent, et cependant pour ne se sentir heureux que quand ils sont ensemble ! L’amour est dans la nature et non dans la convention sociale ; il ne s’apprend pas, il se devine, parce qu’il se sent. Ce qui est de convention, ce qui a besoin d’être appris, c’est la galanterie ; c’est la forme différente que chaque siècle, chaque société, chaque coterie donne aux relations galantes entre les deux sexes[10] ; c’est la copie de l’amour là où n’est pas l’amour, et où cependant la vanité et la sensualité veulent, à défaut du bonheur, chercher du moins le plaisir.

« L’amour, tout agréable qu’il est, plaît encore plus par les manières dont il se montre que par lui-même » (501 ). Si nous comprenons bien ce qui se cache sous cette phrase un peu maniérée, ce n’est pas à l’amour qu’elle peut s’appliquer, mais à la comédie de l’amour.

« Un honnête homme peut être amoureux comme un fou, mais non comme un sot » (353). Oui, dans le commerce de la galanterie, où, n’aimant pas, on serait un sot de se laisser berner ; mais quand on aime, est-ce que l’on calcule encore ! Est-ce que l’on se préoccupe de la louange ou des railleries des hommes ? Les contemporains prétendent que dans cette maxime, La Rochefoucauld fait allusion à certaines péripéties de sa liaison avec : Mme  de Longueville. S’il en est ainsi, Mme  de Motteville et Mme  de Sévigné le jugeaient bien lorsqu’elles écrivaient, la première : « Ce seigneur était peut-être plus intéressé qu’il n’était tendre » (Mémoires de Mme  de Motteville, II, 275) ; la seconde : « Il allait,

comme un enfant, revoir Verteuil et les lieux où il a chassé avec tant de plaisir ; je ne dis pas où il a été amoureux, car je ne crois pas que ce qui s’appelle amoureux il l’ait jamais été » (lettre du 7 octobre 1676).

« Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour » (324). Ici un doute nous arrête ; nous ne sommes pas absolument certain de la pensée de l’auteur. Avant La Rochefoucauld, le mot amour-propre était habituellement pris dans son sens étymologique, l’amour de soi. Lui-même l’a souvent employé dans ce sens général : « L’amour-propre, dit-il notamment, est l’amour de soi-même et de toutes choses pour soi » (Max. suppr., 563). Mais de toutes les formes que peut prendre l’amour de soi, celle qui le frappait davantage, celle qu’il se plaisait à mettre à nu et qu’il a le plus souvent flagellée, c’était l’admiration de soi : « il rend les hommes idolâtres d’eux-mêmes » (loc. cit.) ; presque toujours, quand il a écrit amour-propre, sa pensée reste vraie ou même devient plus vraie encore si l’on donne à ce mot le sens de vanité, par exemple dans cette phrase si souvent citée : « L’amour-propre est le plus grand de tous les flatteurs » (2 ; voir aussi 3, 4, 13, 228).

Depuis que les Maximes du grand écrivain sont dans toutes les mémoires, le mot amour-propre a presque complètement perdu son acception primitive, et il n’est plus guère employé que pour exprimer cette forme particulière d’amour de soi qui nous pousse à nous admirer nous-même, et à vouloir inspirer aux autres une opinion avantageuse de notre personne et de nos mérites. Aussi, contrairement peut-être à l’intention de La Rochefoucauld, tout lecteur donnera-t-il aujourd’hui cette interprétation à la phrase que nous venons de citer : « Il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour ». Il hésitera d’autant moins, que la pensée, ainsi comprise, sera aussi juste que piquante. Mais elle sera juste à la condition qu’il s’agisse de la galanterie, et non point de l’amour. C’est la galanterie, en effet, qui a pour principal mobile l’amour-propre. Quant à l’amour, son mobile est le besoin de posséder ce qu’on aime, et de le posséder seul ; voilà d’où naît la jalousie. Le vieux Corneille l’exprime avec autant de grâce que de poésie dans les vers charmants que l’Amour adresse à Psyché : « Des tendresses du sang, dit Psyché, peut-on être jaloux ? » Et l’Amour répond :

Je le suis, ma Psyché, de toute la nature.
Les rayons du soleil vous baisent trop souvent ;
Vos cheveux souffrent trop les caresses du vent…
................
N’ayez d’yeux que pour moi, qui n’en ai que pour vous ;
Ne songez qu’à m’aimer, ne songez qu’à me plaire ».

Être jaloux, c’est aimer pour soi. Le jaloux veut que ce qu’il aime ne soit heureux que par lui et pour lui ; il le tuerait plutôt que de le voir heureux par un autre. Quelle place reste-t-il pour l’amour·­ propre dans un sentiment aussi passionné ? La Rochefoucauld dit dans une autre maxime : « Il n’y a point de passion où l’amour de soi-même règne si puissamment que dans l’amour, et on est toujours plus disposé à sacrifier le repos de ce qu’on aime qu’à perdre le sien » (262). Cette fois c’est bien l’amour, l’égoïsme suprême, l’égoïsme d’autant plus implacable qu’il est inconscient, et que les expressions même dont il se sert, amour, aimer, concourent à le tromper. L’objet aimé n’est que l’instrument de notre propre bonheur ; l’amant sacrifierait sans hésiter tout l’univers aussi bien que sa propre vie à l’idole en qui pour quelques instants se résume tout son être ; mais il immolerait sans plus d’hésitation cette idole elle-même, aussitôt qu’il apercevrait en elle une volonté et des désirs se séparant des siens. Cette passion est égoïste sans doute, mais elle est profonde, et ce n’est point dans l’amour-propre qu’elle a ses racines.

Si la pensée de La Rochefoucauld est douteuse quand il parle de la jalousie, elle ne l’est plus quand il parle de la fidélité, et là sa méprise est caractéristique : « La violence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité » (381). Est-ce que, quand on aime, on se fait violence pour être fidèle ? Est-ce qu’on pourrait ne pas l’être ? « Il est, dit-il ailleurs, plus difficile d’être fidèle à sa maîtresse quand on est heureux que quand on est maltraité » (331). Ici du moins l’auteur ne profane pas le mot amour ; il ne nous trompe pas sur le sentiment auquel il fait allusion[11].

« Dans l’amour, la tromperie va presque toujours plus loin que la méfiance »(335). Quelle calomnie contre ce pauvre amour, la plus sincère de toutes les passions ! C’est la contrefaçon de l’amour, c’est la galanterie, qui pour réussir a besoin de mensonge, comme pour rester fidèle elle a besoin d’effort ; c’est cette lutte de deux êtres coquets, Acaste et Célimène, qui partent en guerre l’un contre l’autre pour goûter la gloire d’avoir triomphé, et qui, une fois la curiosité et l’amour-propre satisfaits, se hâtent d’aller chercher ailleurs des conquêtes nouvelles. Mais quand on aime, pourquoi tromper ? Pourquoi mentir ? La Rochefoucauld est mieux inspiré lorsqu’il dit : « Le plus grand miracle de l’amour, c’est de guérir de la coquetterie » (349 ; voir aussi 376).

Que La Rochefoucauld nie la constance en amour, personne ne songera à s’en étonner ; mais voyons en quels termes il va s’exprimer. Il ne dira pas, comme Vauvenargues, en quelques mots amers et incisifs, «  La constance est la chimère de l’amour. »

(398) ; il écrira une phrase précieuse et cherchée qui ne peut s’appliquer qu’à la galanterie : « La constance en amour est une inconstance perpétuelle qui fait que notre cœur s’attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons, donnant tantôt la préférence à l’une, tantôt à l’autre ; de sorte que cette constance n’est qu’une inconstance arrêtée et renfermée dans un même objet » (175 ; voir aussi 176). Ici le fond et la forme eussent été dignes de trouver place dans la Carte de Tendre, et Alceste qui connaissait, lui, le véritable amour, eût certainement grondé :

« Ce sont colifichets dont le bon sens murmure
Et ce n’est point ainsi que parle la nature ».

Ce serait pousser notre discussion jusqu’au paradoxe que de prétendre qu’aucune des Maximes de La Rochefoucauld ne peut s’appliquer à l’amour proprement dit. Nous en avons déjà cité plusieurs ; nous pourrions en ajouter quelques autres encore : « Il n’y a point de déguisement qui puisse longtemps cacher l’amour où il est, ni le feindre où il n’est pas » (70). — « Le plaisir de l’amour est d’aimer, et l’on est plus heureux par la passion que l’on a que par celle que l’on donne » (259). Mais presque toujours alors ce sont les mauvais côtés de l’amour que La Rochefoucauld se plaît à peindre. Il montre la désillusion succédant à l’ivresse, la lassitude à la possession (417) ; il met en relief, dans quelque phrase mordante, les points par où l’amour se rapproche de la galanterie : « On a bien de la peine à rompre quand on ne s’aime plus[12] » (351). Ou bien il raille les petites faiblesses des amants : « Ce qui fait que les amants et les maîtresses ne s’ennuient point d’être ensemble, c’est qu’ils parlent toujours d’eux-mêmes » (312). Hélas ! « L’amour sincère ne sait parler que de soi » (Glanes de la vie, p. 132). fais quand chacun des deux amants est las d’entendre l’autre parler de soi, les amants cessent de se rechercher et bientôt de s’aimer. — Il décrit en termes amers l’égoïsme de l’amour : « Si on croit aimer sa maîtresse pour l’amour d’elle, on est bien trompe " (374). — « Si on juge de l’amour par la plupart de ses effets, il ressemble plus à la haine qu’à l’amitié » (72). — « Plus on aime une maîtresse, et plus on est prêt de la haïr » (111). — « Nous sommes plus près d’aimer ceux qui nous haïssent que ceux qui nous aiment plus que nous ne voulons » (321).

Tout cela peut être vrai de l’amour comme de la galanterie ; mais dans l’amour n’y a-t-il que cela ? Pourquoi, sauf dans cette délicieuse pensée : « On pardonne tant que l’on aime[13] » (330), La Rochefoucauld ne nous peint-il pas les sentiments secrets et profonds, les élans enivrés d’un cœur atteint par l’amour ? Pourquoi ne nous montre-t-il pas cette empreinte ineffaçable que l’amour, même quand il a été passager, et pourvu qu’il ait été sincère, imprime pour toute la vie sur l’âme qui l’a ressenti ? C’est qu’au fond il ne croyait pas à l’amour. Il en fait lui-même l’aveu lorsqu’il dit : « Il est du véritable amour comme de l’apparition des esprits ; tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu » (76). Pour faire comme tout le monde, il a parlé de l’amour, mais il en a parlé sans l’avoir vu, et surtout sans l’avoir éprouvé. Peut-être n’était-il pas complètement sincère, mais à coup sûr il était vrai lorsqu’il terminait son propre portrait par ces mots : « Moi qui connais tout ce qu’il y a de délicat et de fort dans les grands sentiments de l’amour, si Jamais je viens à aimer ce sera assurément de cette sorte ; mais de la façon dont je suis, je ne crois pas que cette connaissance que j’ai me passe jamais de l’esprit au cœur ». — Mme  de Motteville et Mme  de Sévigné l’avaient bien jugé. Il ne connaissait pas l’amour, il n’y croyait pas. Il ne croyait qu’à la galanterie, plus ou moins délicate, plus ou moins sensuelle ; à ce commerce amoureux qui n’est qu’une distraction de l’esprit et un plaisir des sens, qui masque le vide du cœur, et auquel seul peut s’appliquer cette pensée amère : « Il n’y a guère de gens qui ne soient honteux de s’être aimés quand ils ne s’aiînent plus » (71).

La galanterie, sans doute, est de tous les temps, comme le libertinage, cette parodie de l’amour. De nos jours elle est loin d’être inconnue, mais du moins elle n’occupe pas seule les esprits délicats ; à côté d’elle, au-dessus d’elle, nous croyons à l’amour. Ce ne serait plus la galanterie, ce serait l’amour qui ferait aujourd’hui le principal sujet des observations d’un moraliste de bonne compagnie. D’autre part, la galanterie est maintenant moins hardie, et La Rochefoucauld ne pourrait plus dire : « On ne compte d’ordinaire la première galanterie des femmes que lorsqu’elles en ont une seconde » (499). Il ne pourrait plus, sans calomnier notre siècle, écrire : « Il y a peu d’honnêtes femmes qui ne soient lasses de leur métier » (367). Que l’on ne nous accuse point d’avoir seulement fait des progrès dans l’hypocrisie, ce qui, d’ailleurs, La Rochefoucauld ne le contesterait pas, serait dèjà « un hommage rendu à la vertu » ; mais non, c’est la moralité générale qui a gagné, c’est le sens moral qui s’est élevé. Nous allons en trouver la preuve dans les Maximes de la Vie.

La Comtesse Diane semble éviter de nommer l’amour. Elle n’a pas ce scrupule lorsqu’elle décrit d’une plume légère les petits manèges des amants dans le monde : « Ce sont toujours les yeux qui les premiers parlent d’amour » (96). Mais lorsqu’elle veut dépeindre le sentiment lui-même, les mouvements secrets du cœur aimant, elle emploie plus volontiers, comme Lacordaire dans Marie-Madeleine, des expressions assez générales pour s’appliquer à toute grande affection qui s’empare de notre âme. Il y a certainement dans cette réserve une sorte de pudeur instinctive et délicate ; une femme qui écrit peut toujours appréhender que la malice du lecteur ne prétende trouver dans le tableau qu’elle trace de ce qui s’est passé devant ses yeux l’aveu de ce qu’elle aurait elle-même ressenti. Mais ce langage n’a-t-il pas encore une autre cause, et ne doit-il pas nous avertir que l’auteur va nous transporter dans une région bien différente de celle où nous laissait La Rochefoucauld ? Pour celui-ci, ce qu’il appelle l’amour n’est qu’un amusement passager, une sorte de lutte diplomatique où chacun des deux partenaires s’efforce d’obtenir plus qu’il ne donne, et veut surtout ne s’engager ni tout entier, ni pour toujours ; pour la Comtesse Diane, c’est un sentiment sérieux et sincère, fondé sur l’estime et sur l’admiration[14] ; c’est la plus intense de nos affections. La Rochefoucauld y voyait une source de plaisir ; elle y verra la source du bonheur, et, comme suivant elle,« le bonheur ne se donne pas, il s’échange » (144), l’amour tel qu’elle le concevra, sera moins encore le désir d’être heureux que le désir de rendre heureux ce qu’on aime : « Tout être aimé qui n’est pas heureux paraît ingrat » (15). — « On croit avoir tout fait pour l’être préféré quand on l’aime comme on voudrait être aimé de lui ; il se trouverait plus heureux si on l’aimait comme il veut être aimé » (73).

Toutefois elle sait qu’il ne suffit pas d’aimer pour donner le bonheur, d’être aimé pour le ressentir ; que l’amour ne nous apporte pas seulement les plus douces joies, mais aussi les douleurs les plus amères, puisqu’elles nous viennent de celui de qui nous attendions le bonheur. « Aimer quelqu’un, dit-elle, c’est à la fois lui ôter le droit et lui donner la puissance de nous faire souffrir » (5). — « Aimer, c’est souffrir ; être aimé, c’est faire souffrir » (Glanes de la vie, p. 114). Nous souffrirons de son indifférence, de son oubli, peut-être de l’excès de son amour. Nous souffrirons sans qu’il soit en faute, simplement parce que « nous sommes sensible à tout ce qui lui arrive et à tout ce qui vient de lui » (11). Nous souffrirons de la nature elle-même et de l’infranchissable barrière qu’elle oppose à la fusion intime des âmes les plus étroitement unies. Sully-Prudhomme, dans une de ses plus touchantes Solitudes, s’écrie, en s’adressant aux étoiles de la Voie lactée :

…Vous ressemblez à nos âmes !
Ainsi que vous chacune luit
Loin des sœurs qui semblent près d’elle,
Et la solitaire immortelle
Brûle en silence dans la nuit.

La Comtesse Diane a compris à son tour cet inévitable tourment des âmes aimantes : « Ce qu’on dit à l’être à qui l’on dit tout n’est pas la moitié de ce qu’on lui cache » (43). — « Jamais nous ne disons notre pensée jusqu’à la lie ; jamais nous ne sommes sûrs de pénétrer jusqu’au fond d’une autre âme, Nous sommes seuls au monde » (223).

Oui, même pendant qu’il se sent partagé, l’amour fait souffrir parce que, plus il est heureux, plus il est insatiable. Plus l’amant se sent aimé, plus il voudrait étreindre l’âme et le cœur de l’être qu’il aime, pour ne faire avec lui qu’un cœur et qu’une âme. Ce désir est si intense que le rêve de tous les amants est de mourir ensemble, endormis dans l’ivresse de leur bonheur.

Comment se fait-il qu’un sentiment si profond, si puissant, soit si souvent éphémère ? C’est qu’il naît de ce qu’il y a de plus fragile dans notre double nature, le caprice d’un corps qui se lasse, les illusions d’un cœur qui finit toujours par s’ouvrir à la vérité. La Comtesse Diane ne l’ignore pas, et elle l’avoue dans une réflexion qui, sous sa forme légère, suppose cependant encore la sincérité de l’affection : « En amour, le mot « toujours » veut dire seulement de la bonne volonté pour l’avenir ». (109). Un jour viendra peut-être où l’un de ces deux êtres qui semblaient ne plus en faire qu’un se réveillera de son ivresse, indifférent et glacé ! L’autre devra reprendre seul le sillon de la vie : il lui faudra se consoler, c’est-à-dire, arracher de son cœur jusqu’au souvenir du bonheur perdu. Comment nos deux moralistes vont-ils dépeindre le sentiments qui agitent son âme ? « En amour, dit philosophiquement La Rochefoucauld, le premier guéri est toujours le mieux guéri » (417). C’est charmant et c’est vrai, même pour l’amour ; mais ne sent-on pas que La Rochefoucauld pense surtout à cette galanterie légère où, quand on s’unit, on prévoit qu’on se quittera bientôt ; où, quand on se quitte, la grande affaire est d’être bientôt consolé ? Gageons que, dans sa vie, La Rochefoucauld a toujours été guéri le premier !

Quant à la Comtesse Diane, elle ne s’occupe pas du premier guéri : elle ne songe qu’à l’autre, à celui qui a été trahi, à celui qui aimait, à celui qui souffre : « D’abord on n’aime plus ; longtemps après on arrive à n’aimer pas, c’est alors qu’on cesse de souffrir » (Maximes, p. 122). La phrase, ainsi formulée en termes généraux, n’est vraie pour l’amour que s’il n’est pas une galanterie, s’il est réellement l’amour. Mais comme elle est vraie alors ! Elle est vraie aussi pour l’amitié, pour toutes les autres affections vives et sincères que vient à briser la trahison ou l’indignité !

Que la mort frappe l’un des deux amants : La Rochefoucauld écrira cette Maxime qui peut-être était juste de son temps, mais qui n’est plus que choquante aujourd’hui, tant elle s’éloigne de nos mœurs : « La plupart des femmes ne pleurent pas tant la mort de leurs amants pour les avoir aimés que pour paraître plus dignes d’être aimées » (362). L’indifférence et les calculs de l’égoïsme, c’est là ce qu’il suppose ; c’est là ce qu’il aperçoit, parce que c’est là ce qui l’intéresse. La Comtesse Diane dira : « Tout être aimé a perdu le droit de mourir » (Glanes de la vie, p. 108). « Quand on a perdu l’être aimé, on ne tient plus à sa propre vie : on ne s’aime plus soi-même qu’en souvenir de lui, en respect de ce qu'il aimait » (Maximes. p. 85). Elle ajoute, et ceci montre qu’à ses yeux l’amour, comme toute autre affection d’ailleurs, parait loin de l’égoïsme puisqu’il survit à la mort : « On se console de l’abandon d’un ami, parce qu’on arrive à ne plus l’aimer ; mais on ne se console jamais de sa mort, parce que mort on l’aime encore » (194). C’est encore la même pensée qu’elle exprime sous une autre forme : « L’homme qui perd celle qu’il aime pense à mourir ; la femme qui perd celui pour qui elle est belle pense à détruire sa beauté. J’ai vu dans un cimetière musulman une magnifique chevelure noire nouée d’une corde et jetée de toute sa longueur sur la terre fraîche d’une tombe récente » (220). Ce qui intéresse et ce qui frappe la Comtesse Diane , aussi bien dans notre société émoussée par la civilisation que dans les races restées plus près de la nature, c’est la sincérité des sentiments : l’amour lui apparaît comme une affection profonde et absolue.

Comme nous sommes loin de La Rochefoucauld et de sa vaine galanterie ! Quelle différence entre cette passion qui commence par être sincère, même quand elle "doit finir, et un commerce amoureux qui ne s’est jamais fait illusion sur sa durée, où le cœur n’a jamais été engagé, qui n’intéressait que les sens ou que la vanité ! La Comtesse Diane a vu passer sous ses yeux cette frivole recherche du plaisir, mais elle ne s’attache pas, comme La Rochefoucauld, à la dépeindre, et elle n’en parle que pour exprimer son dédain. La Rochefoucauld avait dit : « Ce qui se trouve le moins dans la galanterie, c’est de l’amour » (402) ; elle écrit à son tour : « La galanterie, c’est l’amour sans amour » (179). Au premier abord les deux maximes paraissent identiques : l’idée est la même, les mots sont les mêmes ; mais combien le sentiment diffère ! La Rochefoucauld constate froidement un fait qu’il juge piquant peut-être, mais qui lui semble tout naturel ; la Comtesse Diane laisse percer du mépris et de la pitié pour une faiblesse dépourvue de la passion qui en serait l’excuse, de la tendresse qui en ferait le charme. Sans doute ici chacun de nos deux auteurs suit la tendance de son sexe ; mais il obéit aussi au sentiment de son siècle. Au théâtre et dans le roman, quand nos contemporains étudient et décrivent l’amour, ils n’en font pas un caprice léger dont on reste le maître, dont on s’amuse quelque temps et que l’on abandonne avec aisance en s’attachant seulement à rester fidèle aux règles convenues de l’élégance et du bon ton ; pour eux, qu’il soit innocent ou coupable, qu’il pousse celui qui le subit au dévouement ou au crime, l’amour est toujours une passion sérieuse et redoutable qui envahit et domine malgré nous tout notre être.

La Comtesse Diane voit que l’amour est cruel et qu’il peut s’éteindre ; mais elle voit aussi que, quand on l’éprouve, on croit sincèrement qu’il ne s’éteindra jamais. Quand il dure, ce qui arrive plus souvent que ne le croient les sceptiques et les libertins, il ne demeure pas en cet état de paroxysme où l’être tout entier s’incarne dans un sentiment unique qui le soulève au-dessus de la terre ; mais c’est encore lui qui nous fait vivre et nous rend heureux : « L’amour fait vivre dans l’avenir quand on est jeune, dans le passé quand on est vieux, et dans le ciel pendant un jour » (177). Tandis que La Rochefoucauld peint avec une ironie railleuse un passe-temps dont il avoue lui-même qu’on est honteux quand on a cessé de s’en amuser (71), la Comtesse Diane décrit une passion dont les traces restent douces et profondes parce qu’elle n’est ni une fantaisie passagère des sens, ni un jeu de l’amour-propre, et que le cœur tout entier s’est donné. Voilà pourquoi les Maximes de la Vie, quand elles nous parlent de l’amour, même pour nous rappeler sa fragilité, élèvent l’âme et la consolent, au lieu de l’attrister comme le livre sceptique de La Rochefoucauld.

Nous pourrions étendre à d’autres sujets l’étude que nous venons d’esquisser, et toujours nous retrouverions dans chacun de nos deux moralistes, à côté de l’empreinte de son caractère personnel, la marque de son siècle, presque l’histoire de son temps.

Ainsi la Comtesse Diane ne paraît nullement occupée de ce que La Rochefoucauld appelait les grandes affaires ; nous dirions aujourd’hui la politique. Laissant de côté ces questions redoutables où les personnes tiennent plus de place que les principes, et détournant ses yeux de nos querelles et de nos intrigues, elle se contente d’observer dans les salons la comédie mondaine qui se joue autour d’elle, et de démasquer avec finesse les mobiles secrets derrière les prétextes par lesquels nous cherchons à tromper les autres et nous parvenons quelquefois à nous tromper nous-mêmes. Un jour cependant le tonnerre gronde et lui révèle qu’au-delà de la famille et des amis il y a la France ; que la patrie n’est pas un mot vague et banal, mais une réalité vivante et saignante. Alors entre une gracieuse définition du tact : « Le tact, c’est le bon goût dans les actions » (115), et une réflexion mélancolique sur le bonheur : « Nous n’avons de bonheur certain que celui que nous croyons donner » (114), elle écrit ces lignes douloureuses : « Le cœur ne connaît pas toutes ses tendresses ; c’est le malheur de la patrie qui nous révèle combien elle nous est chère » (115).

La Rochefoucauld, au contraire, l’homme aux grandes ambitions, le politique sans cesse préoccupé des affaires publiques, n’a pas un mot sur la patrie. Qu’était-ce, de son temps, que la patrie, et où était-elle ? Dans l’armée de Turenne ou dans l’année de Condé ? Avec les Princes ou avec Mazarin ? Il y avait des partis, des ambitions, des intrigues, il n’y avait nulle part un drapeau, emblème de la France, devant lequel se seraient inclinés respectueusement tous les enfants du même pays. L’idée de la patrie, on ne l’aurait à cette époque trouvée que dans les vers de Corneille !

Mais pendant les longs troubles qui avaient précédé la grandeur de Louis XIV, La Rochefoucauld avait vu les personnages les plus élevés de l’État monter sur l’échafaud ; il rappelle leurs noms dans ses Mémoires. Il n’avait pas oublié que lui-même, à différentes reprises, avait risqué sa tête. Aussi nous dira-t-il : « Ceux qu’on condamne au supplice affectent quelquefois une constance et un mépris de la mort qui n’est en effet que la crainte de l’envisager. De sorte qu’on peut dire que cette constance et ce mépris sont à leur esprit ce que le bandeau est à leurs yeux » (21). Aujourd’hui, bien que les souvenirs de la Terreur planent encore sur notre histoire et projettent sur notre avenir un nuage sanglant, nous ne songeons pas, dans la vie ordinaire, que l’échafaud puisse menacer un homme qui n’est pas un criminel ; un moraliste ne suppose pas que le lecteur pour lequel il écrit soit prédestiné à devenir un assassin, et il laisserait aux criminalistes ou aux philanthropes réformateurs le soin de décrire les sentiments d’un condamné à mort.

Les pensées sur la clémence des princes (15 et 16), sur la confiance des grands (239), sur la magnanimité (248, 285), sur la gloire (268, 272), sur la générosité, qui n’est qu’une ambition déguisée (246), sur l’air bourgeois, qui se perd quelquefois à l’armée, et jamais à la Cour (393), etc., etc., se rapportent aussi à un état social qui est bien loin de nous, et nous rappellent ce qu’était La Rochefoucauld. Les grands formaient alors une classe à part ; Pascal, La Bruyère, Massillon, composaient des discours, des chapitres, des sermons sur les grands. La Rochefoucauld, qui était parmi les grands l’un des plus élevés par la naissance et par l’illustration personnelle, vivait à la Cour au milieu d’eux, ne voyait qu’eux, n’écrivait que pour eux. Il ne songeait pas à ce que nous nommerions aujourd’hui le public, mais uniquement à ce petit groupe d’hommes de haut rang, de femmes élégantes et spirituelles dont les jugements et les manières s’imposaient au reste de la nation. Peut-être même est-ce parce qu’il n’a pas observé d’autre modèle qu’il a été entraîné à exagérer le rôle de la vanité dans les mouvements du cœur humain. S’il avait étudié la généralité des hommes, il aurait reconnu que l’amour de soi, qui sans doute est pour tous le grand mobile, ne prend pas chez tons la même forme ; peut-être est-ce surtout dans les classes élevée que l’amour-propre (dans le sens moderne du mot) devient prépondérant. Que l’on mette en opposition, par exemple, l’amour-propre et l’intérêt ; le gendre de M. Poirier sacrifiera son intérêt, mais M. Poirier fera taire son amour-propre. Or, pour La Rochefoucauld, M. Poirier et les gens du commun (504) n’existaient pas.

La Comtesse Diane fait aussi des distinctions entre les hommes, mais elle établit autrement ses catégories. « L’humanité, dit-elle, se divise en deux parts inégales : d’un côté les natures d’élite, de l’autre côté tout le monde » (217). Elle oppose les « grandes intelligences », qui, dit-elle, « se cherchent dans la foule comme des compatriotes à l’étranger » (46), et les âmes vulgaires, les caractères ordinaires (64), qui sont pour elle, non plus les gens du commun, mais tout le monde, ou la foule. Elle est d’un siècle qui ne reconnaît plus de castes, mais qui sait encore distinguer la délicatesse des sentiments, la culture de l’intelligence, la politesse des manières ; où, dans les salons nobles ou roturiers, chacun est assuré d’obtenir la place que lui assignent son caractère, son mérite et son éducation, c’est-à-dire les qualités qui font qu’il nous inspire confiance, qu’il nous intéresse et qu’il ne nous froisse pas.

Ainsi chacun de nos deux moralistes reflète les sentiments, les idées générales, les préjugés du siècle qui l’a vu naître. Il les reflète à son insu, et son témoignage n’en est que plus précieux, car, ainsi que le dit la Comtesse Diane, « le vrai est dans l’involontaire » (167). En nous attachant principalement à faire ressortir ce côté de leur œuvre, nous savions que nous courions un danger : celui de mettre en relief leurs défauts et leurs lacunes plutôt que leurs qualités, car c’est par ses faiblesses surtout qu’un auteur est de son siècle. Mais nous avons pris pour objet de notre étude deux écrivains qui ne sont pas moins remarquables par l’excellence de la forme que par la finesse et la vérité des aperçus, et celles mêmes de leurs maximes qui décrivent des mœurs passagères ont, comme les autres, leur intérêt et leur valeur. Nous nous hâtons d’ajouter, d’ailleurs, que s’ils ont souvent dépeint ces traits accidentels qui sont le résultat de l’éducation ou de l’exemple et le signe particulier d’une époque ou d’une coterie, ils ont su retracer aussi ces mouvements éternels du cœur humain et ce caractère immuable de la race, que l’on retrouve, les uns chez tous les peuples de la terre, l’autre à toutes les époques de la vie d’une nation. Sous des formes variables et avec certaines nuances, au fond l’homme est toujours le même ; les mœurs, les préjugés diffèrent d’un siècle à l’autre ; les passions sont impérissables.

Faut-il tirer une conclusion de notre travail, porter un jugement sur les différences que la lecture des deux moralistes nous a révélées, et rechercher si nous valons mieux ou moins que nos pères ? Pour les âges comme pour les personnes, il est souvent utile de comparer afin d’apprendre à supporter, et nous sommes trop de notre siècle pour ne pas nous plaire à constater, en terminant cette étude, que, sur plusieurs points du moins, elle nous a conduit à rendre hommage à nos contemporains : la force morale obtient chez eux la considération qui jadis était plus exclusivement l’apanage de la bravoure militaire : ils ont, quoi que l’on puisse dire, plus de délicatesse pour tout ce qui touche à l’argent ; ils croient à l’amour ; le mot de patrie fait vibrer leurs cœurs, et leur indignation noterait d’infamie quiconque, dans nos querelles intestines, oserait faire appel à l’étranger. Puissent ces réflexions nous consoler quelque peu des petitesses et des misères qui affligent notre temps !




  1. Lecture faite le 27 mars 1887 à la séance annuelle de la Société des Études historiques.
  2. Voir aussi 1, 45, 47, 53, 57, 58, 60, 61, 154, 309, 323, 343, 344, 380, 391, 392, 399, 403, 435, 449, etc.
  3. 215, 504, P. S. 616.
  4. 1, 150, 213, 214, 215, 216, 220, 365, P. S. 40.
  5. 213, 214, 215, 216, 217, 219, 220, 221, etc.
  6. « Il faut toujours être brave pour faire ce qu’on veut » (Maximes de la vie, p. 56 ; voir aussi p. 119).
  7. « Il y a autant de lâcheté à condamner un absent que de courage à formuler un reproche en face ; mais la lâcheté est si générale qu’il est d’usage de ne cacher son mépris qu’à celui qui l’inspire » (Maximes de la vie, p. 35).
  8. « Pour supporter la vie, il faut du courage ou des illusions » (Glanes de la vie, p. 126) ; « li faut un grand courage pour porter sa peine tout seul » (id., p. 176).
  9. « L’homme se console de bien des douleurs ; le courage commence l’œuvre, l’habitude la continue, le temps l’achève » (Maximes de la vie, page 200).
  10. Il est curieux de rappeler en quels termes, au siècle suivant, Dubuisson critiquait Le Legs de Marivaux : « Il s’agit d’un marquis et d’une comtesse que l’auteur a montés sur les plus bas bourgeois, qui s’aiment, et qui ne peuvent se déterminer à le dire ! » — Celui qui, en 1740, écrivait ces lignes ne pouvait admettre qu’entre un marquis et une comtesse il pût exister autre chose que la comédie de l’amour. L’amour, avec ses timidités ou ses prudences, c’était bon pour les bas bourgeois ou les paysans !
  11. La Comtesse Diane dit au contraire : « L’amour s’accroît de son bonheur » (Glanes de ta vie, p. 118).
  12. Cette maxime est charmante et vraie ; mais comme le sentiment qui l’a inspirée est loin de celui qui a dicté à la Comtesse Diane la réponse à cette question : « Qu’y a-t-il de plus difficile à dire ? » : « Je ne vous aime plus. » (Livre d’or).
  13. La reine de Roumanie a dit au contraire : « Le pardon est presque de l’indifférence ; on ne pardonne pas quand on aime (Pensées d’une reine, III, 4). On a dit souvent qu’en matière d’observations morales tout peut être vrai et tout peut être contesté. Ici d’ailleurs nous estimons que c’est La Rochefoucauld qui a raison et qui décrit le véritable amour. Dans l’amour, plus encore que dan toute autre affection, tant qu’on aime on a besoin de ce qu’on aime ; voilà pourquoi on lui pardonne toujours.
  14. « Il faut devoir lever les yeux pour regarder ce qu’on aime » (Glanes de la vie, p. 3). — « La pire misère est d’aimer encore ce qu’on ne peut plus estimer (id. p 135).