Le Citoyen/Chapitre XVI

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Traduction par Samuel Sorbière.
Société Typographique (Volume 1 des Œuvres philosophiques et politiquesp. 374-405).

CHAPITRE XVI

Du règne de Dieu par l’ancienne alliance.



SOMMAIRE

I. Que Dieu institua la vraie religion par Abraham, tous les autres peuples étant plongés dans la superstition. Il. Que par l’alliance que Dieu fit avec Adam, il est défendu de disputer des commandements des supérieurs. III. Termes de l’alliance que Dieu traita avec Abraham. IV. Qu’en cette alliance il n’est pas porté de recon­naî­tre sim­plement un Dieu, mais celui qui apparut à Abraham. V. Que les lois auxquelles Abraham était obligé, n’étaient point autres que celles de nature et de la circoncision. VI. Qu’Abraham était interprète à ses gens de la parole de Dieu et de toutes les lois. VII. Que les sujets d’Abraham n’ont pas pu faillir en lui obéissant. VIII. Alliance de Dieu avec le peuple juif en la montagne de Sinaï. IX. Que le gouvernement de Dieu a de là pris le nom de règne. X. Quelles furent les lois que Dieu imposa aux juifs. XI. Ce que c’est que la parole de Dieu et comment c’est qu’il la faut connaître. XII. Quelle a été la parole de Dieu écrite parmi les juifs. XIII. Que la puissance d’interpréter la parole de Dieu et l’autorité suprême dans le civil ont été jointes en la personne de Moïse tandis qu’i l a vécu. XIV. Qu’elles ont demeuré unies en la personne du souve­rain sacrificateur du vivant de Josué. XV. Qu’elles ont demeuré unies en la personne du souverain sacrificateur, jusqu’au temps du roi Saül. XVI. Qu’elles ont demeuré unies en la personne des rois, jusqu’au temps de la captivité. XVII. Qu’elles ont été en la personne des sacrificateurs après le retour de la captivité. XVIII. Que parmi les juifs nier la providence divine et commettre l’idolâtrie, étaient les seuls crimes de lèse-majesté divine ; qu’en toutes autres choses, ils devaient obéir à leurs princes.


I. Presque tous les hommes sont portés par le sentiment de leur propre faiblesse, et par l’admiration, en laquelle ils se trouvent ravis des effets de la nature, à croire qu’il y a un Dieu, auteur invisible de toutes les choses que nous voyons et lequel aussi ils craignent, reconnaissant bien qu’ils n’ont pas en eux-mêmes assez de quoi se défendre des dangers qui les environnent. Mais au reste l’usage imparfait de leur raison, et la violence de leurs affections empêchent qu’ils ne le servent comme il faut : d’autant que la crainte que l’on a des choses invisibles, si elle n’est conduite par le bon sens, dégénère en superstition. De sorte qu’il était presque impossible aux hommes, dénués de l’assistance de Dieu, d’éviter ces deux écueils, l’athéisme et la superstition ; dont l’une vient d’une espèce de terreur panique qui se glisse dans l’âme sans écouter la raison et l’autre naît d’une certaine bonne opinion qu’on a de son raisonnement auquel un petit mélange de crainte ne donne point de retenue. C’est ce qui a été cause que la plupart des hommes sont aisément tombés dans l’idolâtrie, et que presque toutes les nations de la terre ont révéré la divinité sous des images et des représentations des choses finies, adorant des spectres et des fantômes, auxquels peut-être on a donné le titre de démons, à raison de la crainte qu’ils jetaient dans l’âme. Mais il a plu à la divine bonté, comme les Saintes Écritures nous l’enseignent, de choisir parmi le genre humain le fidèle Abraham, par lequel les autres hommes fussent instruits du service qu’ils devaient lui rendre. Dieu donc s’est révélé à ce père des croyants d’une façon extraordinaire, et a traité avec lui et avec la postérité cette si célèbre alliance qu’on a nommée le Vieil Testament, ou l’ancienne Alliance. C’est là le fondement de la vraie religion ; ce saint homme en a été le chef et le premier qui a enseigné après le déluge, qu’il y avait un Dieu créateur de l’univers. C’est en lui aussi qu’a commencé le règne de Dieu par les alliances. Sur quoi voyez l’historien des juifs Joseph au premier livre de ses Antiquités judaïques chap. vil. Il. Il est vrai qu’au commencement du monde, Dieu régna sur Adam et sur Ève non seulement par le droit de la nature, mais aussi en vertu de quelque alliance ; de sorte qu’il semble que Dieu n’a pas voulu qu’on lui rendît aucune autre obéissance que celle que la lumière de la raison naturelle prescrit, qu’ensuite de quelque pacte, c’est-à-dire à cause du commun consentement des hom­mes. Mais d’autant que cette alliance fut tout incontinent rompue, et qu’elle ne fut point renouvelée depuis, il ne faut pas commencer dès ce temps-là le règne de Dieu dont il s’agit en ce chapitre. Cependant il y a ceci à remarquer en passant, sur le sujet de la défense qui fut faite de ne point manger du fruit de l’arbre de science du bien et du mal (soit que l’on doive entendre par là une prohibition de s’entremettre de juger de ce qui est bien et de ce qui est mal, ou que l’usage de quelque fruit du jardin d’Eden fût interdit en effet), que Dieu a exigé une obéissance aveugle à ses comman­dements, sans qu’il fût permis de disputer à l’encontre et de mettre en question si ce qui était commandé était bon ou mauvais. Car le fruit de l’arbre n’a rien de mauvais en soi, hors de la défense qui seule peut rendre un péché, c’est-à-dire, moralement mauvaise, la liberté que l’homme prit d’en manger.


III. Or, l’alliance que Dieu traita avec Abraham fut conçue en ces termes, couchés au dix-septième chapitre de la Genèse verset 7. 8. J’établirai mon alliance entre moi et toi, et entre ta postérité après toi en leurs âges, pour être une alliance perpétuelle ; afin que je te sois Dieu et à ta postérité après toi. Et je te donnerai, et à ta postérité après toi, le pays où tu habites comme étranger, à savoir tout le pays de Canaan, en possession perpétuelle ; et leur serai Dieu. Et afin qu’Abraham et ses descendants pussent garder le souvenir de cette alliance, il était nécessaire d’instituer un signe, de sorte que la circoncision fut ajoutée au traité, mais comme un simple mémorial, verset 10. C’est ici mon alliance que vous garderez entre moi et vous, et entre ta postérité après toi, à savoir que tout mâle d’entre vous sera circoncis. Si circoncirez la chair de votre prépuce, et cela sera pour signe de l’alliance entre moi et vous. L’allian­ce donc consiste en cette condition, qu’Abraham reconnaisse que l’Éternel est son Dieu et de sa postérité, c’est-à-dire, qu’il se soumette à sa conduite ; et en cette promesse, que Dieu donnera à Abraham en héritage le pays auquel il habitait alors com­me étranger ; en mémoire de laquelle alliance Abraham reçut le signe de la circoncision et promit qu’en sa postérité tous les enfants mâles en porteraient la marque.


IV. Mais puisque avant cette alliance Abraham reconnaissait déjà Dieu comme le créateur de l’univers et le roi du monde (car ce grand homme ne douta jamais de l’exis­tence de Dieu, ni de sa providence), comment n’était-ce point une chose superflue, que Dieu exigeât de lui une obéissance, qui lui était due naturellement, en proposant une récompense, et en passant une espèce de contrat ; et comment est-ce que Dieu promettait à Abraham de lui faire posséder la terre de Canaan, sous cette condition qu’il le reconnût pour son Dieu, puisqu’il l’était déjà auparavant par le droit inaliénable de sa nature immortelle ? Il faut dire que par ces paroles, afin que je te sois Dieu, et à ta postérité après toi, il n’est pas entendu qu’Abraham satisfit à l’alliance par un simple aveu de la puissance de Dieu et de l’empire, qu’il exerce naturellement sur tous les hommes, c’est-à-dire, en le reconnaissant indéfiniment, comme il est aisé de faire par les seules lumières de la raison naturelle ; mais en le reconnaissant précisé­ment pour celui qui lui avait dit, sors de ton pays, etc. Gen. 12. 34. Lève maintenant tes yeux et regarde du lieu où tu es, vers le septentrion, le midi, l’orient et l’occident ; car je te donnerai et à ta postérité à jamais tout le pays que tu vois, etc. Gen. 13. qui lui était apparu Gen. 18. sous la figure de ces trois personnages qui allaient à Sodome, et en vision, Gen. 15. et en songe ; ce qui est un ouvrage de la foi. Il n’est pas exprimé sous quelle forme c’est que Dieu apparut à Abraham, ni de quel ton il parla à lui ; mais il appert, qu’Abraham crut que la voix qu’il entendit était celle-là de Dieu même ; que la révélation qu’il en eut était véritable ; qu’il voulut que sa famille adorât celui qui avait parlé à lui de cette sorte comme le vrai Dieu créateur de l’univers et que sa foi ne consistât pas seulement en ce qu’il crut qu’il y avait un Dieu, et que ce Dieu était véritable en ses promesses, ce que tous sont obligés de croire ; mais en ce qu’il ne douta point que ce n’eût été Dieu, dont il avait ouï la voix et entendu les promesses. Ainsi le Dieu d’Abraham ne signifie pas Dieu simplement, mais celui qui lui était apparu ; comme aussi le culte que ce patriarche lui devait en cette considéra­tion, n’était pas un effet de son raisonnement, mais un hommage religieux de sa foi et de sa piété ; et de vrai ce n’était pas la lumière de la raison naturelle, mais une surnaturelle grâce de Dieu qui avait daigné se révéler à lui, sur laquelle sa dévotion était fondée.


V. Au reste, nous ne lisons point que Dieu eût donné, devant ni après le traité d’allian­ce, aucunes lois ni séculières ni sacrées à Abraham et à sa famille, hormis le commandement de la circoncision qui est compris dans l’alliance même. D’où il appert, qu’il n’y avait aucunes autres lois, ni aucun autre culte, auquel Abraham fût obligé, outre les lois de nature, le service raisonnable et la circoncision.


VI. Cependant, Abraham était dans sa famille interprète de toutes les lois tant sacrées que temporelles, non seulement par le droit de nature, en tant qu’il ne sui­vait que les règles de la raison, mais en vertu des termes de l’alliance, par laquelle il promettait à Dieu obéissance et pour soi et pour sa postérité. Ce qui eût été en vain, si ses enfants n’eussent été obligés d’obéir à ses commandements. Et de vrai, comment pourrait-on entendre ce que Dieu dit, Gen. 18. 18. Qu’en lui seront béni­tes toutes les nations de la terre ; car je le connais, qu’il commandera à ses enfants et à sa maison après soi, qu’ils gardent la voie de l’Éternel, pour faire ce qui est juste et droit, si l’on ne supposait que ses enfants étaient obligés, et que toute sa maison était tenue d’obéir à ses ordonnances ?


VII. D’où il s’ensuit, que les sujets d’Abraham n’ont pas pu faillir en lui obéis­sant, pourvu qu’il ne commandât pas de nier l’existence de Dieu ou sa Providence, ni de faire quelque chose qui fût directement contre la gloire de Dieu. En toute autre rencontre, il fallait entendre de sa seule bouche la voix du ciel, comme étant l’unique interprète des lois et de la parole divine. En effet, l’on ne pouvait apprendre que d’Abraham, qui était son Dieu, et en quelle manière on le devait servir. Et ceux qui, après la mort de ce patriarche, furent soumis au commandement d’Isaac et de Jacob, durent par la même raison leur obéir sans crime, toutes fois et quantes qu’ils recon­nurent et avouèrent le Dieu d’Abraham pour leur Dieu et pour leur roi. Car, ils s’étaient soumis à Dieu simplement, avant qu’à Abraham ; et à celui-ci, avant qu’au Dieu d’Abraham en particulier ; comme aussi à ce dernier auparavant qu’à Isaac. De sorte qu’aux sujets d’Abraham il n’y avait que ce seul crime, de nier l’existence et la providence de Dieu, qui fût de lèse-majesté divine ; mais en leurs descendants ce fut aussi un crime de cette nature, que de nier le Dieu d’Abraham, c’est-à-dire, que de servir Dieu d’une autre façon qu’elle n’avait été instituée par ce père des croyants, à savoir sous des images faites de main d’homme * (selon le style de I’Écriture) comme le pratiquèrent les autres nations, qui à cause de cela furent nommées idolâtres. Et jusque-là les sujets purent assez aisément discerner ce qu’ils avaient à faire ou éviter dans les commandements de leurs princes.


Remarque :

  • [Sous des images faites de main d’homme.] « Voyez chapitre XV art. XIV où j’ai montré qu’un tel culte est déraisonnable. Mais s’il est pratiqué par le com­mandement d’un État, qui ne connaît ni ne reçoit point de parole de Dieu écrite, j’ai fait voir au chap. XV art. XVIII que ce service-là est raisonnable. Au reste, là où Dieu règne par une alliance contractée, où il est expressément défen­du de l’adorer de cette sorte, comme il est porté dans celle dAbraham, la chose est toujours criminelle, quelque commandement que l’État en fasse. »

VIII. Maintenant, afin que je suive le fil de l’Écriture sainte, je remarquerai que cette même alliance fut renouvelée avec Isaac, Gen. 26. 3, 4. et avec Jacob, Gen. 28. 14. où Dieu ne se nomme pas simplement Dieu, tel que la nature le publie, mais spécialement et distinctement le Dieu d’Abraham et d’Isaac. Et ensuite, ayant à re­nou­veler cette même alliance avec tout le peuple d’Israël, par le ministère de Moïse : je suis, dit-il, Exod. 3. 6. le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Derechef, lorsque le peuple, non seulement très libre, mais très ennemi de toute sujétion humaine, à cause de la mémoire récente qu’il avait de sa captivité au royaume d’Égypte, s’arrêta dans le désert proche de la montagne de Sinaï, cette ancienne alliance fut proposée à toute la congrégation pour être renou­velée en cette forme, Exod. 19. 5. Maintenant donc, si vous obéissez à bon escient à ma voix, et gardez mon alliance (à savoir celle que je traitai avec Abraham, Isaac et Jacob) aussi serez-vous d’entre tous peuples mon plus précieux joyau, combien que toute la terre m’appartienne ; et vous me serez un royaume de sacificateurs, et une nation sainte. A quoi tout le peuple répond d’un commun accord au vers. 8. Nous ferons tout ce que l’Éternel a dit.


IX. En ce traité, il faut remarquer entre autres choses le titre de royaume, qui n’avait point été employé auparavant. Car, encore que Dieu fût le roi des Israélites, et par la nature et par l’alliance, toutefois, ils ne lui devaient qu’une obéissance et un culte naturel, 5, en tant que ses sujets ; mais ils lui en devaient un religieux, tel qu’Abraham avait institué, en qualité de sujets de ce patriarche et des descendants d’Isaac et de Jacob leurs princes naturels et légitimes. D’autant qu’ils n’avaient reçu aucune autre parole de Dieu que celle que là droite raison fait entendre naturellement à tous les hommes, et il n’était intervenu aucune alliance entre Dieu et eux, si ce n’est en tant que leurs volontés étaient comprises dans celle d’Abraham, comme dans celle de leur prince. Mais quand l’alliance fut derechef traitée en la montagne de Sinaï, où tout le peuple prêta son consentement, Dieu établit d’une façon plus particulière son règne sur les Israélites. C’est de cette illustre époque que commence le règne de Dieu si célèbre dans la Sainte Écriture, et dans les écrits des théologiens et à cela regarde ce que Dieu dit à Samuel, lorsque les juifs lui demandaient un roi : ils ne t’ont point rejeté, mais ils m’ont rejeté, afin que je ne règne point sur eux, 1. Sam. 8. vers. 7. Et ce que Samuel déclare au peuple, 1. Sam. 12. vers. 12. Vous m’avez dit, non, mais un roi régnera sur nous ; combien que l’Éternel votre Dieu fût votre roi. Et ce que le prophète Jérémie ajoute au chap. XXXI. v. 31. L’alliance que je traitai avec leurs pères au jour que je les pris par la main pour les faire sortir hors du pays d’Égypte ; et même la doctrine de ce Jude le Galiléen, dont il fait mention dans joseph, au 18. livre des Antiquités judaïques, c. 2. en ces termes : or, Jude le Galiléen fut le premier auteur de cette quatrième secte, de ceux qui s’adonnaient à l’étude de la sagesse. Ceux de cet ordre conviennent en tout le reste avec les Pharisiens, si ce n’est en ce qu’ils sont éperdument amoureux de la liberté, croyant qu’il ne faut reconnaître que Dieu seul pour Seigneur et Prince, et tous prêts de souffrir les plus rigoureux supplices, en y exposant aussi leurs plus chers amis ou leurs plus proches parents, plutôt que de nommer un homme mortel leur seigneur.


X. Aptes avoir considéré le droit du règne de Dieu par l’alliance établie de cette sorte, il faut voir ensuite quelles ont été les lois que Dieu a proposées à son peuple. Elles sont connues de tout le monde, à savoir le Décalogue, et ces autres, tant politiques, que cérémonielles, contenues depuis le vingtième chapitre du livre de l’Exode, jusqu’à la fin du Pentateuque et à la mort de Moïse. Or, de toutes les lois en général qui ont été données par le ministère de Moïse, les unes obligent naturelle­ment, comme celles qui ont été publiées de Dieu, en tant qu’il est auteur de la nature, et qui ont été en vigueur, même avant qu’Abraham fût au monde. Les autres obligent en vertu de l’alliance traitée avec ce patriarche, comme promulguée de Dieu en tant que le Dieu d’Abraham et qui ont eu leur force avant Moïse, à cause du traité précédent. Mais les autres obligent seulement en considération de la dernière alliance qui fut faite avec le peuple même, et comme données de Dieu en tant que roi, particu­liè­re­ment des Israélites. Du premier ordre sont tous les préceptes du Décalogue qui regardent les mœurs, comme sont celles-ci : honore ton père et ta mère ; tu ne tueras point ; tu ne paillarderas point ; tu ne déroberas point ; tu ne diras point faux témoi­gnage ; tu ne convoiteras point. Car elles sont lois naturelles. Comme aussi le com­man­de­ment, de ne prendre point le nom de Dieu en vain, qui est une partie du culte naturel, ainsi qu’il a été démontré au chapitre précédent, art. XV. Pareillement le second précepte de loi, qui défend d’adorer Dieu sous quelque image que les hommes en aient inventée ; parce que cela aussi touche le service religieux enseigné de la nature, comme il est déclaré dans le même article. Du second rang est le premier commandement du Décalogue : tu n’auras point d’autres dieux devant moi ; car, en cela consiste l’essence de l’alliance traitée avec Abraham, par laquelle Dieu n’exige de lui autre chose, si ce n’est qu’il soit son Dieu et de sa semence. Comme le précepte de sanc­tifier le jour du sabbat ; d’autant que la sanctification du septième jour fut insti­tuée en mémoire de la création du monde parachevée dans six journées, ainsi qu’il appert de ces paroles de l’Exode, chap. XXXI. 17. C’est un signe entre moi et les enfants d’Israël à perpétuité ; car, en six jours, l’Éternel a fait les cieux et la terre, et au septième il a cessé et s’est reposé. De la troisième sorte sont les lois politiques, judi­cielles, et cérémonielles, qui ne regardent que les juifs tant seulement. Les lois des deux premières espèces furent écrites sur des tables de pierre, et nommées le Déca­logue, à cause des dix commandements qu’elles contiennent, que l’on conserva soi­gneusement enfermées dans l’arche : les autres, comprises dans le volume entier de la Loi, furent gardées à côté de cette même arche, Deuter. 3. 26. et pouvaient être changées en retenant la foi d’Abraham ; mais aux premières, il n’était point permis d’y toucher en aucune façon.


XI. Toutes les lois de Dieu sont une parole divine, mais toute la parole de Dieu n’est pas loi. Je suis le seigneur ton Dieu qui t’ai tiré hors de la terre d’Égypte, c’est bien Dieu qui parle, mais ce n’est pas une loi qu’il prononce. Et tout ce qui est proféré ou écrit ou déclarant la parole de Dieu n’est pas et ne doit pas être pris tout incon­tinent comme une partie de cette même parole. Car ces mots, par exemple, le seigneur dit ceci, ne sont pas mis dans les livres sacrés comme s’ils étaient sortis de la bouche de Dieu, mais ce sont des paroles que le prophète fait précéder en qualité de héraut et d’annonciateur de la volonté divine. Cela seul est la parole de Dieu dont un vrai prophète déclare que Dieu parla de telle sorte. Cependant les écrits des prophètes, qui comprennent tant ce que Dieu dit, que ce que le prophète ajoute, sont nommés la parole de Dieu, parce qu’elle y est contenue. Mais, d’autant que celle-là seule mérite ce titre, qui est annoncée par un vrai prophète, l’on ne peut pas connaître quelle c’est qui est véritablement parole de Dieu, que l’on ne sache auparavant quel est celui qui doit être reçu pour vrai prophète ; et il faut que la créance que l’on donne à ce dernier, précède la foi que l’on ajoute à ce qui sort de sa bouche, c’est-à-dire, il faut que l’on reçoive le prophète avant que l’on puisse croire à la parole de Dieu. Le peuple d’Israël crut à Moïse en considération de ces deux choses, de ses miracles et de sa foi ; car quelques grandes et évidentes merveilles dont il eût été spectateur, toutefois il n’eût pas dû lui croire, s’il l’eût tiré d’Égypte pour l’accoutumer à une autre religion qu’au culte du Dieu de ses pères, d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; d’autant que cela eût été contraire à l’alliance que Dieu avait traitée avec lui. Il y a aussi deux choses, la prédiction surnaturelle de ce qui est à venir, que je tiens pour un très grand miracle, et la foi au Dieu d’Abraham qui délivra les Juifs de la captivité d’Égypte, que Dieu leur proposa comme des marques infaillibles pour discerner les vrais prophètes. Celui à qui l’une de ces deux conditions manque ne doit point être tenu pour vrai prophète, ni sa parole reçue pour une parole divine. Au treizième chapitre du Deutéron. vers. 1. 2. 3. 4. 5. voici comment la foi est jugée nécessaire, quand il se lèvera au milieu de toi quelque prophète ou songeur de songes, qui vous mettra en avant quelque signe ou miracle ; et ce signe ou ce miracle deviendra, duquel il t’aura parlé, disant, allons après d’autres Dieux, lesquels tu n’as point connus et servons à iceux : tu n’écouteras point les paroles de ce prophète-là, ni de ce songeur-là des songes, etc. mais on le fera mourir. Si la prédiction de l’avenir y manque, le prophète est rejeté, selon ce qui est porté dans le même livre chapitre XVIII. verset 21. 22, Que si tu dis en ton cœur, comment connaîtrons-nous la parole que l’Éternel n’aura point dite ? Quand ce pro­phète-là aura parlé au nom de l’Éternel, et que cette chose ne sera point ni n’adviendra point, cette parole-là est celle que l’Éternel ne lui a point dite, mais le prophète l’a dite par fierté, ainsi n’aie point peur de lui. Il est donc manifeste que la parole de Dieu est celle qu’un vrai prophète annonce comme telle et c’est une chose qui n’est point contestée, qu’il y a eu parmi les Juifs de vrais prophètes dont la foi était saine, et aux prédictions desquels les événements ont répondu. A la vérité ce n’est pas une matière sans controverse que de savoir au net ce que c’est que suivre d’autres Dieux, et que d’examiner si les événements que l’on dit avoir répondu aux prédictions, s’y ajustent bien en toutes leurs circonstances ; surtout lorsqu’il s’agit des prophéties qui ont représenté l’avenir obscurément et en énigme, telles que sont celles de presque tous les prophètes, qui n’ont pas vu l’Éternel face à face (comme l’Écriture témoigne de Moïse, Nomb. 12. 8.), mais en figure et sous des énigmes. On ne peut juger de ces derniers autrement que par la raison naturelle ; car le jugement dépend de l’interpréta­tion de la prophétie et de la comparaison que l’on fait de ses paroles avec la suite des événements.


XII. Les juifs recevaient comme parole de Dieu écrite, le livre de toute la Loi qui se nommait le Deutéronome ; et jusqu’au temps de la captivité de Babylone, autant qu’on le peut cueillir de l’histoire sainte, ils n’en reçurent point d’autre ; car ce fut le livre que Moïse même donna à garder aux sacrificateurs, qu’il voulut qu’on mît à côté de l’arche de l’alliance et que les rois décrivissent, Deutéronome 3. 9. 26. Aussi, long­temps après sous le règne de Josias, il fut reconnu par l’autorité du roi comme parole de Dieu, 2. Rois 23. 1. Des autres livres du Vieux Testament nous ne savons pas quand c’est qu’ils ont commencé d’être reçus dans le canon des Saintes Écritures. Quant aux prophètes, Isaïe, Daniel, Jérémie et les autres, puisque leurs prédictions regardaient ce qui devait arriver pendant ou après la captivité, leurs écrits n’ont pas pu d’abord être reçus comme prophétiques, à cause de la règle que j’ai alléguée du Deuté­ronome 18. 21. 22. par laquelle il était commandé aux Israélites de ne recevoir pour prophète que celui dont l’événement vérifierait la certitude des prophéties. Et de là vient peut-être que les juifs, après avoir mis à mort quelques saints personnages lorsqu’ils prophétisaient, n’ont pas laissé de mettre leurs écrits au rang des prophéti­ques, et de les recevoir comme parole de Dieu, mieux instruits de la vérité des prédictions par l’expérience des choses arrivées.


XIII. Après avoir montré quelles ont été les lois sous l’ancienne alliance et ce qui a été reçu dès le commencement comme parole de Dieu, il faut considérer ensuite à qui, ou à quelles personnes c’est qu’il appartenait de juger des écrits des prophètes qui s’élevaient, pour savoir s’il fallait les recevoir comme une continuation de cette même parole divine, c’est-à-dire, si les événements répondaient aux prédictions et entre les mains de qui était laissée la puissance d’interpréter les lois déjà reçues et la parole de Dieu écrite ; ce qu’il faut rechercher en parcourant les temps et les changements qui arrivèrent à la république d’Israël.

Il est manifeste que cette autorité fut toute entre les mains de Moïse tandis qu’il vécut. Car, s’il n’eût pas été interprète des lois et de la parole, cette charge eût appar­te­nu ou à chaque particulier, ou à une congrégation telle qu’était la synagogue, composée de plusieurs têtes, ou au souverain sacrificateur, ou aux autres prophètes. Mais en premier lieu, il est certain qu’aucun particulier ni aucune assemblée de personnes privées n’a pu jouir de ce privilège ; car tant s’en faut qu’on les eût reçus à cette interprétation, qu’elle leur fût très expressément défendue et avec de rigoureuses menaces. Les juifs ne pouvaient entendre la voix de Dieu que par la bouche de Moïse, comme il est porté au chapitre 19. de l’Exode verset 24. Que les sacrificateurs et le peuple ne rompent point les bornes pour monter vers l’Éternel, de peur que par aven­ture il ne se rue sur eux. Moïse donc descendit vers le peuple et le leur dit. D’ailleurs, que ni les particuliers ni aucune assemblée, ne dut prétendre que Dieu parlât par leur entremise et par conséquent qu’ils pussent avoir le droit d’interpréter la parole de Dieu, il est ouvertement et expressément déclaré sur le sujet de la sédition de Coré, de Dathan, d’Abiron et des deux cent cinquante des principaux de la synagogue ; car, comme ils prétendaient que Dieu ne se révélait pas moins par leur bouche que par celle de Moïse, ils se glorifiaient de cette sorte, qu’il nous suffise, puisque tous ceux de l’assemblée sont saints et que l’Éternel est au milieu d’eux, pourquoi vous élevez-vous par-dessus la congrégation de l’Éternel ? Nomb. 16. 3. Mais Dieu fit bien voir ce qu’il pensait de ce raisonnement et l’on peut juger de la témérité de cette entreprise par ce qui est ajouté au 33. verset du même chapitre, que Coré, Dathan, Abiron et tous ceux qui étaient a eux descendirent vifs dans le gouffre, que la terre les couvrit et qu’ils périrent ainsi du milieu de la congrégation. Et que le feu sortit de par l’Éternel et consuma les deux cent cinquante hommes qui offraient le parfum.

Secondement, il appert qu’Aaron le souverain sacrificateur n’eut pas cette puissan­ce, par une semblable dispute qui s’éleva entre lui assisté de sa sœur Marie et le prophète Moïse. Il était question de savoir si Dieu avait parlé par la bouche de Moïse seulement, ou bien aussi par la leur, c’est-à-dire, si Moïse seul, ou si eux aussi étaient interprètes de la parole divine ; car voici comment ils en proposent l’état au 12. des Nombres verset 2. L’Éternel a-t-il parlé tant seulement par Moïse ? N’a-t-il point aussi parlé par nous ? Sur quoi Dieu se mettant en colère montre la distinction qu’il y a entre Moïse et ses autres prophètes. S’il y a, dit-il, quelque prophète entre vous, moi qui suis l’Éternel, je me ferai connaître à lui par vision et parlerai à lui par songe. Il n’est pas ainsi de mon serviteur Moïse, qui est fidèle en toute ma maison. Je parle avec lui bouche à bouche et il me voit de fait, et non point en obscurité, ni par représentation ; pourquoi donc n’avez-vous point eu peur de parler contre mon serviteur, contre Moïse ?

Enfin, on recueille que l’interprétation de la parole de Dieu n’a point été du vivant de Moïse en la puissance d’aucuns autres prophètes, de ce que j’ai déjà allégué de son excellence par-dessus tout ce qu’il y en a eu ; et d’un raisonnement naturel, qui est, qu’il appartient au même prophète qui apporte le commandement de Dieu d’en donner l’explication. Or, il n’y avait point alors d’autre parole de Dieu, hormis celle qui était annoncée par Moïse. Et de ce aussi, qu’en ce temps-là il ne parut aucun autre prophète qui prophétisât au peuple, excepté les septante anciens qui prophétisaient par l’esprit de Moïse ; ce que même Josué qui était alors son serviteur et qui fut depuis son suc­ces­seur, trouva mauvais, jusqu’à ce qu’il s’aperçût que cela se faisait du consente­ment de son maître ; l’Écriture sainte est expresse là-dessus, Nomb. Il. 25. Adonc l’Éternel descendit en la nuée et parla à Moïse, et mit à part de l’esprit qui était sur lui, et le mit sur ces septante hommes anciens. Et advint qu’aussitôt que l’esprit reposa sur eux, ils pro­phé­tisèrent. La nouvelle s’en étant répandue, lorsque Josué l’apprend, il dit à Moïse, mon seigneur, empêche-les ! A quoi Moïse répond. Es-tu jaloux pour moi ? etc. Puis donc que Moïse était seul héraut de la parole de Dieu et que ce n’était pas aux particuliers, ni à la synagogue, ni au souverain sacrificateur, ni aux autres pro­phè­tes de l’interpréter ; il reste que ce fut Moïse seul qui en était interprète, ayant aussi une autorité souveraine sur les affaires politiques ; et que d’ailleurs la contestation de Coré et de ses complices contre Moïse et Aaron ; ou même la dispute d’Aaron et de sa sœur Marie contre Moïse, ne fut pas émue pour l’intérêt du salut de l’âme, mais par un mouvement d’ambition et par un désir de régner sur le peuple.


XIV. Du temps de Josué, l’interprétation des lois et de la parole de Dieu était entre les mains d’Éléazar souverain sacrificateur, et comme vice-roi de Dieu, absolu parmi les Juifs. On peut tirer cette conséquence, premièrement de l’alliance même, en laquelle la république d’Israël est nommée un royaume sacerdotal, ou comme parle saint Pierre en sa première Épître, chap. II. une sacrificature royale ; ce qui ne pourrait pas être dit de la sorte, si par l’institution et la force du contrat, on n’entendait que la puissance royale sur le peuple était entre les mains du souverain pontife. Et cela ne répugne point à ce qui a été dit auparavant, que ce n’a pas été Aaron le sacrificateur, mais Moïse qui a régné, exerçant sous Dieu l’autorité suprême ; parce qu’il est néces­saire en l’établissement d’une république, que celui qui lui donne la première forme, tienne de son vivant les rênes de l’empire (il n’importe que ce soit en une monarchie, ou en une aristocratie, ou en un État populaire), et qu’il se réserve en ce temps-là toute la puissance, dont à l’avenir il fera part aux autres, quand les choses seront une fois mises dans leur train ordinaire. Or, que le sacrificateur Éléazar eût, avec la digni­té du sacerdoce, aussi l’autorité souveraine, la vocation même de Josué à l’administra­tion des affaires en est une preuve très évidente ; car. voici de quelle façon elle nous est décrite au livre des Nomb. 27. 18. 19. 20. 21. Lors l’Éternel dit à Moïse, prends-toi Josué, fils de Nun, homme auquel est l’esprit, puis tu poseras ta main sur lui et le présenteras devant Éléazar le sacrificateur et devant toute l’assemblée ; et l’instruiras eux le voyant et lui départiras de ton autorité, à ce que toute l’assemblée des enfants d’Israël l’écoute. Et il se présentera devant Éléazar le sacrificateur, et l’interrogera tou­chant le jugement d’Urim devant l’Éternel ; et ils sortiront et entreront à son com­man­dement, tant lui que tous les enfants d’Israël avec lui. Auquel endroit, consulter l’oracle de Dieu en ce qu’il faudra faire, c’est-à-dire, interpréter la parole de Dieu, et de la part de l’Éternel commander sur toutes choses, est une prérogative réservée à Éléazar ; mais entrer et sortir à son commandement, c’est-à-dire obéir, c’est un devoir qui regarde le peuple, et une autorité donnée à Josué. Il faut aussi remarquer que ces termes, et tu lui départiras de ton autorité, signifient clairement que Josué n’eut pas une puissance égale à celle de Moïse. Cependant il est certain, que même du temps de Josué, la souveraineté dans le temporel et dans le spirituel, où la puissance politique, et celle d’interpréter la parole de Dieu, étaient toutes deux unies à une seule personne.


XV. Après la mort de Josué, suit le temps des juges jusqu’au commencement du règne de Saül, dans toute laquelle suite il est manifeste que le droit du royaume établi de Dieu, demeura en la personne du souverain sacrificateur ; car c’était un règne (selon l’alliance) sacerdotal, c’est-à-dire, un règne de Dieu par le ministère du sacrifi­ca­teur, dont la forme a dû demeurer en son entier, jusqu’à ce que le peuple en ayant obtenu la permission de Dieu, y introduisit du changement ; ce qui n’arriva que lorsque, demandant un roi, Dieu le leur accorda et dit à Samuël, livre 1. ch. VIII. verset 7. Obéis à la voix du peuple, en tout ce qu’ils te diront ; car ils ne t’ont point rejeté, mais ils m’ont rejeté, afin que je ne règne point sur eux. De sorte que la souve­raine puissance politique était due, suivant l’institution divine, au grand sacrificateur. Mais en effet, elle était exercée par les prophètes, en la protection et à la conduite desquels (suscités de Dieu extraordinairement) le peuple d’Israël (nation fort dési­reuse de prédictions et attachée à ses prophètes) se remettait volontiers, à cause de l’estime qu’il faisait des prophéties. La raison de cela était, que par l’établissement du règne sacerdotal de Dieu, bien que des peines fussent ordonnées et qu’il y eût des magistrats établis pour rendre justice ; toutefois le droit de punir dépendait de la volonté des particuliers ; et il était en la puissance d’une multitude déjointe de faire, ou de ne pas faire supplice, suivant que les personnes privées se trouvaient poussées de zèle, ou animées de quelque passion. C’est pourquoi nous ne voyons point que Moïse ait jamais fait mourir personne de sa propre autorité ; mais quand il y en avait quelques-uns dont il se voulait défaire, il excitait contre eux la multitude, employant l’autorité divine, et disant que Dieu le commandait ainsi. Et cette pratique était très con­forme à la nature de ce règne particulier de la divinité ; car c’est là vraiment que Dieu règne, où l’on obéit aux lois, non pour la crainte des hommes, mais pour la révérence que l’on porte à sa majesté. Certainement, si nous étions tels que nous devrions être, ce serait là la plus belle et la meilleure forme de gouvernement. Mais les hommes qu’il faut gouverner étant si déréglés que nous les voyons, il est néces­saire qu’il y ait dans l’État une puissance politique qui ait le droit et les forces pour le contraindre. C’est aussi pour ce sujet, que dès le commencement, Dieu établit des lois par le ministère de Moïse, touchant les rois qui auraient à régner sur son peuple, et lesquelles nous lisons au 14. du Deutéron. Et Moïse prédit en sa dernière harangue aux juifs, qu’après sa mort ils ne faudraient point à se corrompre, et à se détourner de la voie qu’il leur avait commandé de suivre. Deut. 31. 29. S’étant levé, selon cette prophétie, une autre génération, laquelle n’avait point connu l’Éternel, ni aussi les œuvres qu’il avait faites pour Israël, les enfants d’Israël firent ce qui était déplaisant à l’Éternel et servirent aux Bahalins. Jug. 2. 10. 11. c’est-à-dire, ils rejetè­rent le gouver­nement de Dieu, cette théocratie, en laquelle ils étaient régis de leur créateur par le ministère du souverain pontife ; et comme après cette félonie, ils furent vaincus par leurs ennemis et pressés du joug de la servitude, ils n’attendirent plus d’ouïr la volonté de Dieu par la bouche du sacrificateur, mais par la révélation des prophètes. De sorte que ces derniers jugèrent effectivement le peuple d’Israël ; mais au fonds, le droit d’obéissance était dû au souverain sacrificateur. Combien donc qu’après la mort de Moïse et de Josué le règne sacerdotal demeura faible et dénué de forces, il n’était pourtant pas privé de droit, ni déchu de son titre. Quant à ce qui est de l’interprétation de la parole de Dieu, il est évident qu’elle appartenait au souverain sacrificateur, de ce qu’après que le tabernacle et l’arche de l’alliance furent consacrés, Dieu ne paria plus en la montagne de Sinaï, mais du tabernacle de l’alliance, et du propitiatoire qui était entre les chérubins, en un lieu où il n’y avait que le grand sacrificateur qui eût l’accès libre. Si donc l’on a égard au droit du règne, la puissance civile et celle d’interpréter la volonté de Dieu étaient rassemblées en la personne du souverain pontife. Mais si l’on considère le fait, elles étaient aussi communiquées aux prophètes qui jugeaient le peuple d’Israël. Car ils avaient en tant que juges, la puissance temporelle, et en tant que prophètes, ils étaient interprètes de la parole de Dieu. Et ainsi, ces deux puis­sances, de quelque façon qu’on les prenne, sont demeurées jusqu’ici inséparables.


XVI. Il n’y a point de doute que, lorsque la domination royale fut établie en la Palestine sur le peuple d’Israël, l’autorité politique fut entre les mains des rois. Car le règne de Dieu par le ministère du souverain sacrificateur ayant pris fin, les juifs, l’ayant demandé ainsi, et l’Éternel le leur ayant accordé (ce que S. Jérôme aussi remarque en parlant des livres de Samuel

Samuel, dit-il, montre qu’après qu’Heli fut mort, et que Saül eut été tué, l’ancienne loi fut abolie ; et ce que témoigne le nouveau serment que Sadoc prête pour le nou­veau sacerdoce et David pour le nouvel empire) ; le droit par lequel les rois gouver­naient était fondé en la concession du peuple. Le sacrificateur ne pouvait faire légiti­me­ment que ce que Dieu lui commandait ; mais le roi avait autant de légitime puissance que chaque particulier en avait sur soi-même : car les Israélites lui avaient donné le droit de juger de toutes choses, et de faire la guerre au nom de tout le peu­ple, qui sont les deux points qui comprennent tout le droit qu’un homme peut transfé­rer à un autre. Notre roi (est-il dit, 1. Sam. 8. 20.) nous jugera et sortira devant nous, et conduira nos guerres. Les rois donc avaient la puissance de juger ; or, qu’est autre chose juger que faire une application particulière des lois à certaines occurrences, en les interprétant. Et puisque jusqu’au temps de la captivité, on ne reconnut point d’autre parole de Dieu écrite que la loi de Moïse, il était aussi en la puissance des rois d’interpréter cette parole. Voire même, s’il faut prendre la parole de Dieu pour la loi, bien qu’il y en eût eu quelque autre d’écrite outre la loi de Moïse, elle eût dû être soumise à l’interprétation des rois, parce que celle des lois leur appartient. Lorsque le Deutéronome (où la loi de Moïse était contenue) fût retrouvé longtemps après qu’il avait demeuré perdu, les sacrificateurs consultèrent de vrai la bouche de Dieu touchant ce livre ; mais ce ne fut pas de leur propre autorité, mais par le commande­ment de Josias, ni immédiatement, mais par l’entremise de la prophétesse Holda. D’où il conte que le sacrificateur n’avait pas la puissance d’admettre certains livres, comme étant la parole de Dieu. Et il ne s’ensuit pourtant pas que la prophétesse fût privilégiée de cette puissance ; parce que c’était à d’autres de juger des prophètes mêmes, s’il fallait les tenir pour vrais, ou non. Car, autrement à quoi faire Dieu eût-il donné à son peuple des marques et des signes par lesquels il distingua les vrais d’avec les faux prophètes (à savoir l’événement des prédictions, et la conformité de leur doctrine avec la religion instituée par Moïse), s’il n’eût pas été permis de s’en servir ? De sorte que l’autorité de recevoir quelques livres, comme étant la parole même de Dieu, était réservée au roi ; aussi le livre de la loi fut approuvé et reçu par l’autorité du roi Josias, ainsi qu’il appert du quatrième Livre des rois chap. XXII. et XXIII. où il est dit, qu’il assembla les États du royaume, à savoir les anciens, les sacrificateurs, les prophètes, et tout le peuple, qu’il lut ce livre en leur présence, et qu’il renouvela les paroles de l’alliance, c’est-à-dire, qu’il les fit reconnaître pour la loi de Moïse et la parole de Dieu, que les Juifs confirmèrent et reçurent derechef comme authentique. Donc en ce temps-là, la puissance civile et celle de discerner la parole de Dieu d’avec celle des hommes, et celle de l’interpréter, étaient toutes réunies en la personne des rois. Les prophètes n’étaient pas envoyés avec une pleine autorité, mais en forme de prédica­teurs, de la doctrine desquels les auditeurs pouvaient juger ; et bien que ceux qui ne faisaient pas les choses aisées qu’ils enseignaient clairement, fussent punis du magis­trat, il ne s’ensuit pourtant pas que les rois fussent dès là obligés de suivre tout ce que les prophètes commandaient de la part de Dieu. Car encore que Josias, ce bon roi de Juda, perdit la vie pour n’avoir pas obéi au discours que Dieu lui tint par la bouche de Nechao roi d’Égypte, c’est-à-dire, parce qu’il rejeta un bon conseil, quoiqu’il semblât venir d’un ennemi ; toutefois personne ne dira, que Josias fut obligé par aucunes lois divines ou humaines d’ajouter foi à Pharao Nechao, roi d’Égypte, en ce qu’il disait que Dieu avait parlé à lui. Quant à ce que l’on pourrait objecter, que les rois, faute de doctrine, se trouvent rarement assez capables pour interpréter les livres anciens où la parole de Dieu est contenue ; et qu’à cause de cela, il n’est pas juste que cette charge dépende de leur autorité. je réponds, que la même objection peut être faite contre les sacrificateurs et contre tous les hommes du monde ; car ils sont tous sujets à faillir ; mais bien que les prêtres fussent naturellement et par étude plus propres et plus chargés de doctrine que les autres ; si estce que les rois ont assez de moyen d’établir sous eux des personnes douées de pareille suffisance, pour les aider en leur inter­prétation. Et ainsi encore que les rois n’interprètent pas eux-mêmes la parole de Dieu, néanmoins la charge de l’interpréter peut dépendre de leur autorité ; de sorte que ceux qui la leur veulent ôter, à cause qu’ils ne la peuvent pas toujours exercer eux-mêmes, sont aussi bien fondés que s’ils prétendaient qu’un souverain ne peut pas dresser des chaires en mathématiques, qui dépendent de son autorité royale, s’il n’est lui-même grand mathématicien. Nous lisons que des rois ont prié pour le peuple, qu’ils l’ont béni, qu’ils ont consacré le temple, qu’ils ont commandé aux sacrificateurs, qu’ils en ont déposé quelques-uns, et établi quelques autres. Il est vrai qu’ils n’ont pas offert des sacrifices, parce que cela était propre à Aaron et héréditaire à ses enfants. Mais il est certain que le sacerdoce fut un ministère, et non pas une charge de commande­ment, depuis le temps du roi Saül jusqu’à la captivité de Babylone, comme il l’avait été aussi du vivant de Moïse.


XVII. Le règne sacerdotal fut rétabli après le retour de la captivité de Babylone et après que l’on eut renouvelé et signé l’alliance, tel qu’il avait été depuis la mort de Josué jusqu’au commencement des rois. Si ce n’est qu’il n’est pas porté expressément que le peuple ait donné à Édras (sous la conduite duquel les Juifs redressèrent leurs affaires), ni à aucun, mais à Dieu seul le droit de l’empire. Il semble que cette réfor­ma­tion ne fut autre chose qu’un vœu, ou qu’une simple et nue promesse que chacun fit de garder tout ce qui était écrit dans le livre de la Loi. Toutefois l’État auquel on se remit était un règne sacerdotal (quoique peut-être ce ne fût pas là l’intention du peuple), c’est-à-dire, l’autorité souveraine tant au spirituel qu’au temporel, se trouvait unie dans les sacrificateurs, en vertu de l’alliance que l’on renouvelait alors ; car c’était la même qui avait été traitée en la montagne de Sinaï. Bien que ce règne fût depuis tellement troublé par l’ambition de ceux qui prétendirent à la dignité du sacerdoce, et par l’usurpation des princes étrangers, jusqu’au temps de notre sauveur Jésus-Christ, qu’on ne peut point apprendre de l’histoire de ces siècles-là, où c’est qu’une telle autorité demeura renfermée. Cependant nous savons qu’en ces temps-là, la puissance d’interpréter la parole de Dieu, ne fut point séparée de la souveraineté dans les affai­res politiques.


XVIII. Il est aisé de connaître par ce que je viens de dire, ce que les Juifs avaient à faire touchant les ordonnances de leurs princes, pendant tout le temps qui s’écoula depuis Abraham jusqu’à notre Seigneur Jésus-Christ. Car, tout ainsi que dans les royaumes purement humains, il faut obéir au magistrat subalterne en toutes choses, si ses commandements ne font point tomber dans le crime de lèse-majesté, pareillement sous le règne de Dieu, il fallait obéir en toutes choses aux princes, à Abraham, à Isaac, à Jacob, à Moïse, aux sacrificateurs et aux rois, qui ont tenu le sceptre d’Israël, si ce n’est lorsque leurs édits contenaient quelque crime de lèse-majesté divine. Or les crimes de cette nature étaient, premièrement de nier la providence de Dieu, car, c’était le même qu’ôter à sa majesté le titre de roi par le droit de nature. En après, de com­mettre idolâtrie, ou de servir à de faux dieux ; je ne dis pas à d’autres dieux (pour ce qu’il n’y en a qu’un dans le monde), mais à des divinités étrangères ; ce qui se prati­quait en rendant à Dieu, quoique reconnu pour un seul, des services sous des noms, des attributs et des cérémonies autres que celles qu’Abraham, et que Moïse avaient instituées ; car cela était nier que le Dieu d’Abraham fût leur roi par l’alliance traitée avec ce patriarche et avec eux-mêmes. Mais en toutes autres choses, il fallait prêter une entière obéissance. Et s’il fût arrivé que le roi, ou le sacrificateur exerçant la souveraineté, eût commandé quelque action contraire aux lois, le péché qui en eût rejailli eût dû lui être imputé et non pas aux sujets ; desquels c’est le devoir de faire ce qu’on leur ordonne, sans entreprendre de gloser sur les commandements de leurs supérieurs.